Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2634/2014

ATA/13/2015 du 06.01.2015 ( PRISON ) , REJETE

Descripteurs : ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE ; DÉTENTION(INCARCÉRATION) ; MESURE DISCIPLINAIRE ; QUALITÉ POUR RECOURIR ; INTÉRÊT ACTUEL ; PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPA.60 ; RRIP.42 ; RIPP.44 ; RIPP.45 ; RIPP.47
Résumé : Rejet du recours contre une décision de placement d'un détenu de deux jours en cellule forte pour injures et menaces envers le personnel, ainsi que refus d'obtempérer. Toujours incarcéré, le recourant conserve un intérêt juridique actuel au recours. Compte tenu des circonstances et de son comportement, la sanction disciplinaire prononcée à son encontre se justifiait et était proportionnée.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2634/2014-PRISON ATA/13/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 janvier 2015

1ère section

 

dans la cause

 

M. A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

1) M. A______ est détenu à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 20 juin 2014.

2) Le 1er septembre 2014, l'intéressé a fait l'objet de deux rapports au directeur de la prison.

Ce jour-là, dès 07h00, il avait refusé de se rendre à une audience à laquelle il était convoqué par le Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM), bien que les gardiens lui eussent indiqué qu'il n'avait pas le choix. Avertie à 08h00 du comportement de M. A______, la présidente du TAPEM avait autorisé l'usage de la force « en tant que besoin » pour que le détenu soit conduit à ladite audience. À 08h45, les gardiens l'avaient informé de ce qu'ils étaient dûment autorisés à user de la contrainte s'il persistait à refuser d'être emmené au TAPEM. Il s'était alors énervé et avait traité l'un des gardiens de « pédéraste », avant de dire au gardien-chef adjoint présent « fais attention à ta femme et tes enfants, quand je sortirai je m'en occuperai ». Ce dernier avait ordonné aux gardiens de coucher le détenu au sol afin de lui passer les menottes, pour le maîtriser. Les gardiens s'étaient exécutés en utilisant une clé dite « aile de poulet » aux deux bras, puis M. A______ s'était mis à crier à plusieurs reprises « Allah akbar » (sic). La conduite au greffe avait finalement été exécutée sous la contrainte, mais sans violence, de même que la fouille du détenu dans les douches.

Lorsque M. A______ était revenu à la prison à 10h00, le gardien-chef adjoint lui avait signifié sa mise en cellule forte pour insultes et menaces envers le personnel. Son transfert en cellule forte et la fouille y relatives s'étaient déroulés sans contrainte, ni violence.

3) Par décision de la direction de la prison du même jour et après avoir été entendu, M. A______ s'est vu notifier à 18h30 une punition consistant en son placement de deux jours en cellule forte pour injures et menaces envers le personnel, ainsi que refus d'obtempérer. Cette décision était immédiatement exécutoire, nonobstant recours. Le détenu a refusé de signer ce document.

4) M. A______ a exécuté cette sanction du 1er septembre 2014 à 10h10 au 3 septembre 2014 à 10h10.

5) Le 4 septembre 2014, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant implicitement à son annulation.

Au matin du 1er septembre 2014, alors qu'il dormait, un gardien était venu lui dire d'aller au tribunal. Il avait refusé, à la suite de quoi dix gardiens étaient entrés dans sa cellule, l'avaient tabassé, plaqué au sol et menotté. Ils l'avaient amené de force jusqu'à la camionnette devant le transporter, alors qu'il portait pour seuls vêtements un short et une veste de survêtement, sans rien dessous. Avant qu'il ne monte dans la camionnette, il avait été emmené dans les douches, déshabillé et humilié. Il était d'avis que cela n'était pas le travail des gardiens, lesquels ne devaient pas se mêler des affaires des détenus, dont le dossier pénal ne les regardait pas, pas plus que les convoyeurs. Il avait le droit de refuser de se rendre au tribunal.

À son retour, il avait été mis « au cachot » pour deux jours. Lorsqu'il en avait demandé les raisons, il lui avait été répondu que cela faisait suite aux injures et menaces qu'il avait proférées, ce qui était, selon lui, faux, car il n'avait pas dit un mot.

Il avait refusé, à plusieurs reprises, tant à la prison qu'au tribunal, de parler à une expert-psychiatre.

Ces agissements (sic) étaient contraires à la loi.

6) Le 17 octobre 2014, le directeur de la prison a transmis ses observations, concluant au rejet du recours.

M. A______ avait été sanctionné dès lors qu'il ne s'était pas conformé aux instructions du personnel, dont le but était de traiter à satisfaction la demande de l'autorité judiciaire. Il avait par ailleurs injurié et menacé le personnel. Le placement du recourant pour deux jours en cellule forte, cette sanction pouvant au demeurant être qualifiée de légère, était conforme au droit et à l'intérêt public, et respectait le principe de la proportionnalité. Les affirmations du recourant, selon lesquelles il n'avait pas prononcé un mot, étaient contestées, dans la mesure où le rapport établi suite à l'incident du 1er septembre 2014 relatait les insultes et menaces proférées à l'encontre des gardiens, en présence de plusieurs gardiens.

7) Par courrier daté du 19 novembre 2014, parvenu au greffe de la chambre de céans le 28 novembre 2014, M. A______ a affirmé une nouvelle fois qu'il n'avait proféré ni injures, ni menaces à l'encontre des gardiens. Le gardien qui l'avait réveillé s'était adressé à lui de manière irrespectueuse et humiliante. Lorsqu'il s'était assis sur son lit, il avait prié le gardien de ne pas lui parler de cette façon, car ils n'étaient pas amis, et lui avait dit de parler de cette manière à ses enfants à la maison. Le gardien lui avait alors enjoint de ne pas parler de ses enfants. Cela avait été la seule conversation qu'il avait eue. Bien que le gardien fût assermenté, il était, selon lui, un menteur car sa propre version de l'histoire reflétait la vérité.

8) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous cet angle (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39
consid. 2 c/aa p. 43 ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002 consid. 3 ; ATA/759/2012 du 6 novembre 2012 ; ATA/188/2011 du 22 mars
2011 ; ATA/146/2009 du 24 mars 2009).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 p. 81 ; 128 II 34 consid. 1b p. 36 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009
consid. 3 ; Hansjörg SEILER, Handkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], 2007, n. 33 ad art. 89 LTF p. 365 ; Karl SPUHLER/Annette DOLGE/Dominik VOCK, Kurzkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], 2006, n. 5 ad art. 89 LTF p. 167). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 p. 374 ; 118 Ib 1 consid. 2 p. 7 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2 ; ATA/175/2007 du 17 avril 2007 consid. 2a ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 consid. 2b) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4
p. 286 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3 ; ATA/192/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/640/2005 du 27 septembre 2005).

d. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 précité ; 131 II 361 consid. 1.2 p. 365 ; 128 II 34 précité ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/418/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2d ; ATA/365/2009 du
28 juillet 2009).

e. En l’espèce, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’un placement en cellule forte doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée, dans la mesure où cette situation pourrait encore se présenter (ATA/183/2013 du 19 mars 2013 et la jurisprudence citée), dès lors qu'il ne ressort pas du dossier qu'il aurait quitté la prison à ce jour.

Le recours est donc recevable à tous points de vue.

3) Le recourant se plaint de ce que son placement pour deux jours en cellule forte serait contraire au droit, dès lors qu'il n'aurait ni injurié, ni menacé les gardiens. Par ailleurs, selon ses allégations, un gardien se serait adressé à lui de manière irrespectueuse, puis dix gardiens l'auraient tabassé, plaqué au sol, menotté et humilié.

4) a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, sont l'objet d'une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs - la faute étant une condition de la répression - qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/785/2012 du 20 novembre 2012 ; ATA/238/2012 du 24 avril 2012 et les références citées).

5) a. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

b. Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP) et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

d. Selon les art. 47 al. 3 et 47 al. 5 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer les sanctions suivantes a) suppression de visite pour quinze jours au plus ; b) suppression des promenades collectives ; c) suppression d’achat pour quinze jours au plus ; d) suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus ; e) privation de travail ; f) placement en cellule forte pour dix jours au plus, étant précisé que ces sanctions peuvent se cumuler (art. 47 al. 4 RRIP).

6) De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/99/2014 du 18 février 2014 consid. 5b et les références citées), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

7) En l'espèce, le recourant admet avoir refusé de se rendre au TAPEM et, ainsi, de se conformer aux ordres des gardiens. À cet égard déjà, il a enfreint le RRIP, son comportement étant de nature à troubler l'ordre de la prison.

Dans ces circonstances, l'usage de la force, en tant que besoin, pour l'emmener à l'audience à laquelle il était convoquée, a été dûment autorisé par la présidente du tribunal, après qu'elle eut été avertie du comportement récalcitrant du recourant. Les gardiens étaient par conséquent légitimés à plaquer le détenu au sol en usant d'une clé de bras, puis à le menotter, pour le faire conduire au TAPEM.

Par ailleurs, bien que le recourant conteste avoir insulté et menacé les gardiens présents lors de l'incident relaté par le rapport du 1er septembre 2014, les éléments ressortant du dossier, en particulier le fait que les explications du recourant quant au déroulement des faits varient entre son recours et son écriture du 19 novembre 2014, tendent à accréditer la teneur dudit rapport, plutôt que les allégations du recourant. C'est par conséquent à juste titre que la direction de la prison a retenu ce motif également pour prononcer la sanction litigieuse, le recourant ayant aussi enfreint le RRIP en n'adoptant pas une attitude correcte envers le personnel.

Eu égard à ce qui précède, le placement du recourant en cellule forte pour deux jours, cette sanction pouvant être prononcée pour dix jours au maximum, respecte le principe de la proportionnalité.

8) Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

Vu la nature du litige et son issue, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 septembre 2014 par M. A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 1er septembre 2014 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à M. A______, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeants : M. Verniory, président, MM. Thélin et Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :