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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/466/2018

ATA/731/2018 du 10.07.2018 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/466/2018-PRISON ATA/731/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 juillet 2018

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Yann Arnold, avocat

contre

ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE FERMÉ CURABILIS

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ exécute une mesure institutionnelle thérapeutique en milieu fermé à l’Établissement de Curabilis depuis le 28 novembre 2016.

2) Selon le rapport d’un incident survenu le 5 janvier 2018, M. A______ avait, lors du service du petit-déjeuner à 7h35, poussé violemment le chariot du petit-déjeuner contre la poubelle du lieu de vie de l’unité. Un agent de détention l’avait prié de se calmer. M. A______ avait alors dit à celui-ci : « ça suffit ! Je ne suis pas malade ! (…) Le bruit à 4h00 du matin ! Je vous préviens, (...). Le pied contre la porte et les coups c’est aussi pour vous ». À l’agent de détention qui lui avait demandé s’il s’agissait d’une menace, il avait répondu en marmonnant, s’éloignant de celui-ci. En passant devant un codétenu, il lui avait dit « ça suffit toi aussi la nuit ». En remontant dans sa cellule, M. A______ avait dit : « Je ne suis pas détenu ici. Je ne suis pas malade. Vous devez arrêter le cigare. Vous allez voir ». Sa cellule avait été fermée à 7h42.

3) M. A______ a été entendu par le sous-chef responsable du jour à 14h45. Cet entretien n’a pas fait l’objet d’un procès-verbal.

4) À 17h00 le même jour, M. A______ s’est vu signifier une sanction de trois jours d’arrêts sans sursis effectués en cellule forte pour « menaces sur un agent de détention ». Selon le Docteur B______, psychiatre, M. A______ était entièrement responsable et apte à la faute d’un point de vue disciplinaire.

5) Par acte expédié le 5 février 2018 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre cette décision, concluant principalement au constat du caractère illicite de la sanction, à la suppression du registre des sanctions de la décision attaquée et à l’octroi d’une indemnité de CHF 600.- pour détention injustifiée en cellule forte. À titre préalable, il a, notamment, sollicité la production des images de vidéosurveillance et l’audition de deux agents de détention.

Dans son complément de recours, déposé dans le délai imparti à cet effet par la chambre de céans, il a pris des conclusions subsidiaires tendant à ce qu’il soit dit qu’un avertissement aurait constitué une sanction adéquate, que les arrêts prononcés étaient illicites et que le registre des sanctions soit modifié en conséquence.

Le chariot du petit-déjeuner n’était pas à sa place le jour en question, ce qui s’était inscrit dans « une sorte de délaissement », qui avait cours dans l’unité dans laquelle était placée le recourant. Il admettait avoir poussé ce chariot, mais contestait l’avoir fait avec violence. Il contestait, en outre, avoir dit « je ne suis pas malade » et « les coups c’est aussi pour vous ». Il considérait que cette situation était « une histoire de malade » et s’était plaint du fait que des codétenus faisaient du bruit durant la nuit et tôt le matin. Il s’était ainsi déplacé vers l’un d’eux pour lui demander d’arrêter et lui avait dit « tu veux arrêter ou bien, ça suffit de toi aussi la nuit ».

Les propos litigieux, à savoir « je vous préviens (...). Le pied contre la porte et les coups c’est aussi pour vous. », n’atteignaient pas l’intensité nécessaire pour retenir l’existence d’une menace au sens de l’art. 180 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Leur retranscription était, par ailleurs, incomplète. En outre, il fallait les remettre dans le contexte du bruit que faisaient deux codétenus durant la nuit en donnant des coups de pieds dans la porte de leur cellule. Le recourant s’était d’ailleurs spécialement plaint de cette situation et avait rencontré, le 29 janvier 2018, la sous-cheffe pour discuter de ce problème. Enfin, il était indispensable d’obtenir les images de surveillance vidéo, la retranscription de l’audition du recourant avant le prononcé de la sanction et l’audition des deux agents de détention présents.

6) Par pli expédié le 21 février 2018, l’Établissement de Curabilis a été invité à sa déterminer sur le recours et son complément et à produire, si elles existaient, les images de vidéosurveillance.

7) Pour une raison demeurée inexpliquée, cette communication n’est pas parvenue à cet établissement, ce que la chambre de céans a appris lorsqu’elle l’a appelé, n’ayant pas reçu les images de vidéosurveillance demandées.

8) La chambre de céans lui a ainsi imparti un nouveau délai, dans lequel l’établissement a conclu au rejet du recours.

Il n’était plus en possession des images de vidéosurveillance, effacées après cent jours. Celles-ci n’auraient pas apporté d’éclairage sur les faits pertinents, dès lors qu’elles n’enregistraient pas le son. Le recourant avait fait l’objet, le 28 mars 2017, d’une sanction de quatre jours d’arrêts disciplinaires pour atteinte à l’honneur, le 9 avril 2017 de cinq jours d’arrêts disciplinaires pour menaces, atteinte à l’intégrité corporelle et à l’honneur et, le 13 avril 2017, de deux jours d’arrêts disciplinaires pour menaces et/ou atteintes à l’intégrité corporelle ou à l’honneur. Au regard de ces éléments, les agents de détention pouvaient percevoir le fait de porter des coups de pieds dans le chariot et de manifester aux agents son intention de leur adresser ce même geste comme une menace au sens de l’art. 180 CP. La sanction reposait sur une base légale, répondait à un intérêt public et au principe de la proportionnalité.

9) Dans sa réplique, le recourant a demandé la production des directives établies en matière de maintien de la sécurité, qui devraient intégrer celles concernant la conservation des images de vidéosurveillance. L’indisponibilité de ces images n’était pas son fait, de sorte que sa position ne pouvait être péjorée en raison de l’absence de cet élément de preuve. Les propos tenus par le recourant étaient incomplets, ce qui ressortait du fait que leur retranscription comportait des parenthèses et points de suspension. Il n’était ainsi pas possible d’en interpréter de manière certaine le sens. Le recourant insistait sur le fait qu’ils se rapportaient aux coups de pieds donnés à la porte par un codétenu à 4h00 du matin. Les précédentes sanctions dont il avait fait l’objet s’étaient inscrites dans le contexte très particulier ayant conduit le personnel médical de l’établissement à décider d’un placement à des fins d’assistance.

Selon la décision du 26 avril 2017 annexée, un tel placement a, en effet, été ordonné par les Dr B______, C______ et un troisième médecin, dont le nom n’est pas lisible.

10) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger, y compris sur les éventuels autres actes d’instruction.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La sanction ayant déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours (art. 60 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). Un tel intérêt suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel, notamment, lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1138 II 42 consid. 1 et les références citées).

En l’occurrence, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité de celle-ci doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée. Dans la mesure où rien dans le dossier ne laisse à penser que le détenu ait quitté l’établissement à ce jour, il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire Le recours conserve ainsi un intérêt actuel (ATA/1135/2017 du 2 août 2017 et la jurisprudence citée).

3) La chambre de céans n’est pas compétente pour connaître des prétentions civiles que le recourant fait valoir en lien avec la détention subie qu’il estime injustifiée. Ces prétentions relèvent de la compétence du Tribunal civil de première instance, conformément à l'art. 7 al. 1 de la loi sur la responsabilité de l'État et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40 ; ATA/1098/2015 du 13 octobre 2015 consid. 5 ; ATA/289/2015 du 24 mars 2015 et la jurisprudence citée).

Par ailleurs, en tant que le recourant sollicite la modification du registre des sanctions, son chef de conclusions est irrecevable, dès lors que la décision querellée ne porte pas sur cette question. En effet, l’objet du litige étant défini par l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible, la contestation ne peut excéder l’objet de celle-ci, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer. Ainsi, le recourant ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/262/2018 du 20 mars 2018 et les références citées).

Sous réserve de ces deux chefs de conclusions, le recours est donc recevable.

4) Le recourant sollicite l’audition de témoins, soit des deux agents de détention présents le jour de l’incident ayant donné lieu à la sanction contestée, la production du règlement relatif à la durée de conservation des images de vidéosurveillance et la retranscription des propos qu’il a tenus lors de son audition avant le prononcé de la sanction.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3 ; 136 I 229 consid. 5.2 et les références citées).

b. En l’espèce, l’audition des témoins requise par le recourant n’est pas susceptible d’éclairer la chambre de céans sur la question à examiner. En effet, leurs observations ont été consignées dans le rapport relatif à l’incident litigieux. Conjointement avec les explications du recourant, elles éclairent suffisamment la chambre de céans pour statuer sur le recours. Par ailleurs, la production du règlement relatif à la durée de conservation des images de surveillance ne sera pas ordonnée, cet acte d’instruction n’étant, au vu de ce qui suit (consid. 7), pas nécessaire. Enfin, l’autorité intimée a indiqué qu’elle n’avait pas consigné les déclarations du recourant lors de son audition avant le prononcé de la sanction, dès lors que celui-ci avait refusé de s’exprimer. Elle a reconnu qu’elle n’avait pas établi de procès-verbal constatant ce refus. Il ne peut ainsi en être ordonné la production.

Dans ces circonstances, la chambre administrative ne procédera pas aux actes d’instruction supplémentaires demandés, dès lors qu’ils ne sont pas de nature à influer sur l’issue du litige et qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer en connaissance de cause.

5) a. La personne détenue a l'obligation de respecter les dispositions du règlement de l'établissement de Curabilis du 19 mars 2014 (RCurabilis - F 1 50.15), les directives du directeur général de l’office cantonal de la détention, du directeur de Curabilis, du personnel pénitentiaire ainsi que les instructions du personnel médico-soignant (art. 67 RCurabilis). Elle doit observer une attitude correcte à l'égard des différents personnels, des autres personnes détenues et des tiers (art. 68 RCurabilis). Sont en particulier interdits l’insubordination et les incivilités à l’encontre des personnels de Curabilis (art. 69 al. 1 let.  b  RCurabilis), les menaces dirigées contre, notamment, les différents personnels de Curabilis (art. 69 al. 1 let. c RCurabilis).

Si une personne détenue enfreint le RCurabilis ou contrevient au plan d'exécution de la sanction pénale, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 70 al. 1 RCurabilis). Il est tenu compte de l’état de santé de la personne détenue au moment de l’infraction disciplinaire (art. 70 al. 2 RCurabilis). Les sanctions sont l'avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let.  b.), l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) et les arrêts pour une durée maximale de dix jours (let. d ; art. 70 al. 4 RCurabilis). Ces sanctions peuvent être cumulées (art. 70 al. 5 RCurabilis). L’exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (art. 70 al.  6  RCurabilis). L’art. 70 al. 3 RCurabilis mentionne que le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu avant le prononcé de la sanction.

b. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/310/2017 du 21 mars 2017 consid. 5a ; ATA/245/2017 du 28 février 2017 consid. 5b et les références citées).

c. La sanction doit être conforme au principe de la proportionnalité (ATA/499/2017 du 2 mai 2017 consid. 3c). Traditionnellement, le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé - de nécessité - qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF  125  I  474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c).

d. De jurisprudence constante, la chambre administrative accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/73/2017 du 31 janvier 2017 consid. 7 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/1410/2017 du 17 octobre 2017 consid. 4 ; ATA/1218/2017 du 22 août 2017).

6) a. L'art. 180 al. 1 CP réprime le comportement de celui qui, par une menace grave, aura alarmé ou effrayé une personne.

Sur le plan objectif, cette infraction suppose la réalisation de deux conditions : il faut que l'auteur ait émis une menace grave, soit une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer la victime (ATF 122 IV 97 consid. 2b ; 99 IV 212 consid. 1a), et que la victime ait été effectivement alarmée ou effrayée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2016 du 19 août 2016 consid. 2.1 ; 6B_871/2014 du 24 août 2015 consid. 2.2.2). Enfin, le contexte dans lequel des propos sont émis est un élément permettant d'en apprécier le caractère menaçant ou non (arrêts du Tribunal fédéral 6B_593/2016 du 27 avril 2017 consid. 3.1.3 ; 6B_307/2013 du 13 juin 2013 consid. 5.2).

b. Dans sa casuistique, la chambre de céans a retenu que la sanction de trois jours de cellule forte pour avoir notamment menacé les gardiens par ces termes : « je vais trouver toutes vos adresses et je vais vous retrouver dehors » était justifiée (ATA/670/2015 du 23 juin 2015). Il en allait de même d’une sanction de deux jours de cellule forte fondée sur la menace faite à un employé « fais attention à ta femme et tes enfants, quand je sortirai je m'en occuperai » (ATA/13/2015 du 6 janvier 2015). Le fait d’avoir fait mine, par deux fois, de tirer en direction d’une surveillante a également été considéré comme une menace justifiant une sanction (rapportée à deux jours de détention en cellule forte par la chambre de céans ; ATA/238/2016 du 15 mars 2016).

Dans un arrêt récent, les propos suivants : « Il fait trop le bonhomme, il ne sait pas qui je suis », suivis de : « Tu verras, tu me connais pas et tu ne sais pas de quoi je suis capable » ont été considérés comme étant « à la limite de la punissabilité au vu de leur contenu » (ATA/156/2018 du 20 février 2018).

7) En l’espèce, il ressort du rapport d’incident que le recourant a poussé violemment le chariot contenant le petit-déjeuner. Le recourant a indiqué dans son recours que le chariot de ne se trouvait pas à la place à laquelle il aurait dû être. Quand bien même tel aurait été le cas, il n’est pas nécessaire de déterminer si la réaction du recourant était disproportionnée. En effet, il n’est pas allégué que le recourant aurait en poussant, même violemment, le chariot vers la poubelle, adopté une attitude menaçante à l’encontre d’un agent de détention. Pour ce motif, il n’y a donc pas lieu d’établir davantage comment le recourant a poussé le chariot ; il ne l’a en tout cas pas poussé en direction du personnel.

Quant aux propos tenus après que l’agent de détention lui avait demandé de se calmer, il convient de relever que le rapport d’incident comporte, comme le relève le recourant, une retranscription incomplète. Par ailleurs, les paroles du recourant se rapportaient ensuite, selon le rapport d’incident, au bruit que le recourant avait perçu à 4h00 du matin. À nouveau, le récit rapporté dans le rapport est cependant entrecoupé : «  Je vous préviens (…). Le pied contre la porte et les coups, c’est aussi pour vous ! ». À la question de l’agent de détention de savoir s‘il s’agissait d’une menace, le recourant avait répondu en marmonnant et, en passant devant le codétenu qui, selon lui, avait donné des coups de pied contre la porte tôt le matin, il avait lancé à celui-ci : « ça suffit toi aussi la nuit ! ». Lorsqu’il a été à nouveau enfermé en cellule, il avait protesté en disant qu’il n’était ni détenu, ni malade, que les agents devaient « arrêter le cigare » et qu’ils allaient « voir ».

Ces paroles ne constituent pas, d’un point de vue objectif, une menace grave au sens de l’art. 180 CP, dont il y a lieu de s’inspirer. L’agent en a d’ailleurs lui-même douté puisqu’il a demandé au recourant s’il devait comprendre ses paroles comme une menace. Par ailleurs et contrairement à ce que soutient l’autorité intimée, la lecture du rapport ne permet pas de retenir que le recourant aurait menacé de donner le même coup aux agents de détention que celui qu’il avait donné au chariot. Après avoir repoussé le chariot, le recourant s’est surtout plaint du bruit qui avait eu lieu à 4h00 du matin. Dans ce contexte, l’interprétation à donner à son exclamation « le pied contre la porte et les coups c’est aussi pour vous » n’est pas particulièrement claire et peut également se rapporter au bruit provenant, selon lui, de son codétenu tôt dans la matinée. Cette phrase a d’ailleurs suscité la question précitée de l’agent de détention. Enfin, les phrases prononcées au moment où le recourant est remonté dans sa cellule (« Je ne suis pas détenu ici. Je ne suis pas malade. Vous devez arrêter le cigare ! Vous allez voir. ») n’atteignent pas non plus une intensité telle qu’elles puissent constituer une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer un ou des agents de détention. Les éléments constitutifs objectifs de l’infraction faisant défaut, l’existence d’une menace ne peut être retenue.

Il n’en demeure pas moins que le recourant a élevé la voix, ce qu’il reconnaît au demeurant dans son complément de recours, et s’est montré agité, comme l’ont retenu les agents dans leur rapport, dont rien ne justifie de s’écarter. En élevant la voix à l’encontre d’un agent de détention, le recourant a manqué à son obligation d’observer une attitude correcte à l'égard du personnel, contrevenant ainsi à l’art. 68 RCurabilis.

Le principe d’une sanction est ainsi justifié. La sanction de trois jours de cellule forte paraît cependant disproportionnée, compte tenu du fait que l’existence d’une menace doit être niée. Dans la mesure où les antécédents disciplinaires du recourant remontent au mois d’avril 2017, d’une part, et qu’ils ont précédé une période de placement aux fins d’assistance, d’autre part, leur importance doit être relativisée. Partant, au vu de l’ensemble des circonstances, le prononcé d’un avertissement s’avère adéquat et proportionné.

Le recours sera ainsi partiellement admis dans ce sens. La décision du 5 janvier 2018 sera annulée en tant qu’elle fixe la sanction disciplinaire à trois jours de cellule forte, la sanction étant réduite à un avertissement. En outre, le caractère illicite des arrêts de trois jours sera constaté, le recourant y ayant conclu.

8) Au vu de l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 700.- sera allouée au recourant, qui obtient partiellement gain de cause (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet partiellement, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 5 février 2018 par Monsieur A______ contre la décision de l’Établissement pénitentiaire fermé Curabilis du 5 janvier 2018 ;

constate le caractère illicite des arrêts prononcés par la sanction disciplinaire du 5 janvier 2018 ;

réduit la sanction prononcée le 5 janvier 2018 à un avertissement ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 700.-, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Yann Arnold, avocat du recourant, ainsi qu'à l'établissement pénitentiaire fermé Curabilis.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et Junod, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :