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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3950/2017

ATA/156/2018 du 20.02.2018 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3950/2017-PRISON ATA/156/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 février 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Gabriele Semah, avocat

contre

ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE FERMÉ CURABILIS

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1995, est actuellement détenu dans l’établissement pénitentiaire fermé de Curabilis (ci-après : Curabilis).

2) Par décision du 29 août 2017, M. A______, a fait l’objet d’une sanction sous forme de la « suppression des multimédias pendant quatre semaines, dont deux semaines avec sursis de deux mois, pour menaces et/ou atteintes à l’intégrité corporelle ou à l’honneur sur un agent de détention ».

Les faits s’étaient déroulés le 29 août 2017. La décision était immédiatement exécutoire nonobstant recours.

Il ressortait du rapport établi par l’agent de détention que le 28 août 2017 à 16h30, M. A______ s’était montré contrarié envers un collègue. Le détenu avait alors dit à voix haute : « Il fait trop le bonhomme, il ne sait pas qui je suis » et avait par la suite indiqué : « Tu verras, tu me connais pas et tu ne sais pas de quoi je suis capable ».

Entendu le 29 août 2017, M. A______ a contesté les faits.

3) Par acte du 26 septembre 2017, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction précitée. Il a conclu à l’annulation de la sanction.

Par jugement du 2 juillet 2015, le Tribunal correctionnel avait ordonné son placement dans un établissement pour jeunes adultes au sens de l’art. 61 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). À défaut de trouver un établissement approprié et dans l’impossibilité d’exécuter le placement dans un établissement pour jeunes adultes, le Tribunal d’application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM) avait, par jugement du 21 février 2017, ordonné la levée du placement du recourant dans un établissement pour jeunes adultes et ordonné une mesure institutionnelle en milieu fermé au sens de l’art. 59 CP. Il avait alors été transféré à l’établissement pénitentiaire fermé de Curabilis (ci-après : Curabilis) le 10 juillet 2017.

Le 28 août 2017, suite à une « discussion » avec un agent de détention à Curabilis, il avait été informé qu’un rapport serait rédigé à son encontre. Le lendemain, la sanction précitée lui avait été notifiée. Des détenus avaient assisté aux faits et entendu la discussion entre l’agent de détention et lui-même. Quatre témoins attestaient par écrit qu’il n’avait pas menacé l’agent.

Il sollicitait la restitution de l’effet suspensif pour la partie de la sanction assortie du sursis.

4) Curabilis a conclu au rejet du recours et de la demande de restitution de l’effet suspensif.

Il n’était pas possible pour les quatre personnes détenues, dont les déclarations écrites étaient produites par le recourant comme seul élément de preuve à l’appui de son argument, d’avoir pu entendu quelque chose, dès lors que les quatre personnes étaient enfermées en cellule au moment des faits. Or, la distance entre la cellule du recourant et celles de Messieurs B______ et C______ était d’environ 5 m. La cellule de Monsieur D______ se trouvait à l’opposé de celle du recourant à une distance évaluée à 10 m, sur le même étage. La cellule de Monsieur E______ se trouvait à l’étage supérieur, à l’opposé de celle du recourant. Dès lors, aucun élément ne permettait de s’écarter des constatations faites par l’agent de détention, assermenté, dont les déclarations étaient reprises dans le rapport d’incident du 28 octobre 2017 et avaient pleine valeur probante.

5) Par décision du 16 octobre 2017, la présidence de la chambre administrative a rejeté la requête de restitution de l’effet suspensif.

6) Par réplique du 21 novembre 2017, M. A______ a relevé que les distances entre sa cellule et celle des témoins n’étaient ni documentées ni prouvées. Il persistait dans ses conclusions.

7) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La sanction ayant déjà été exécutée, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours (art. 60 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid 1.3 ; ATA/610/2017 du 30 mai 2017 ; ATA/308/2016 du 12 avril 2016 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 734 n. 2084 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 748 n. 5.7.2.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 449 n. 1367).

Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1).

En l’occurrence, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité de celle-ci doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée. Cette situation pourrait se présenter à nouveau dès lors que rien dans le dossier ne laisse à penser que le détenu ait quitté l’établissement à ce jour (ATA/1135/2017 du 2 août 2017 consid. 5b ; ATA/288/2017 du 14 mars 2017 consid. 2 et la jurisprudence citée).

Le recours est donc recevable à tous points de vue.

3) a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs – la faute étant une condition de la répression – qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/310/2017 du 21 mars 2017 consid. 5a ; ATA/245/2017 du 28 février 2017 consid. 5b et les références citées).

c. La sanction doit être conforme au principe de la proportionnalité (ATA/499/2017 du 2 mai 2017 consid. 3c). Traditionnellement, le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/1159/2017 du 3 août 2017 consid. 7a).

4) a. Si une personne détenue enfreint le règlement de l'établissement de Curabilis du 19 mars 2014 (RCurabilis - F 1 50.15), une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 70 al. 1 RCurabilis). Il est tenu compte de l’état de santé de la personne détenue au moment de l’infraction disciplinaire (art. 70 al. 2 RCurabilis). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (art. 70 al. 3 RCurabilis). Les sanctions sont l'avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b.), l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) et les arrêts pour une durée maximale de dix jours (let. d ; art. 70 al. 4 RCurabilis). Ces sanctions peuvent être cumulées (art. 70 al. 5 RCurabilis). L’exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (art. 70 al. 6 RCurabilis).

b. Le directeur de Curabilis et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer les sanctions (art. 71 al. 1 RCurabilis). Le directeur de Curabilis peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'art. 70
al. 4 RCurabilis à d'autres membres du personnel gradé de l’établissement. Les modalités de la délégation sont prévues dans une directive interne. Le placement d'une personne détenue en cellule forte pour une durée supérieure à cinq jours est impérativement prononcé par le directeur de Curabilis ou, en son absence,
par son suppléant ou un membre du conseil de direction chargé de la permanence (art. 71 al. 2 RCurabilis).

c. La personne détenue a l'obligation de respecter les dispositions du RCurabilis, les directives du directeur général de l’office cantonal de la détention, du directeur de Curabilis, du personnel pénitentiaire ainsi que les instructions du personnel médico-soignant (art. 67 RCurabilis). La personne détenue doit observer une attitude correcte à l'égard des différents personnels, des autres personnes détenues et des tiers (art. 68 RCurabilis). Sont en particulier interdits l’insubordination et les incivilités à l’encontre des personnels de Curabilis (art. 69 al. 1 let. b RCurabilis), les menaces dirigées contre, notamment, les différents personnels de Curabilis (art. 69 al. 1 let. c RCurabilis).

d. De jurisprudence constante, la chambre administrative accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/73/2017 du 31 janvier 2017 consid. 7 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/1410/2017 du 17 octobre 2017 consid. 4 ; ATA/1218/2017 du 22 août 2017).

5) a. En l’espèce, la sanction a été prise par un agent pénitentiaire ayant le grade de sous-chef auquel, à teneur de la décision entreprise, le directeur de Curabilis avait délégué la tâche de statuer. La sanction a été ainsi valablement prononcée par l’autorité compétente, ce qui n'est du reste pas contesté.

b. Le recourant se plaint matériellement d'une constatation inexacte des faits pertinents au sens de l'art. 61 al. 1 let. b LPA. Il conteste avoir tenu des propos menaçants et produit deux attestations signées par quatre co-détenus, ceux-ci confirmant ne pas avoir entendu de menaces.

La sanction repose sur le rapport successif d’un agent assermenté qui a protocolé les faits qui se sont déroulés. Conformément à la jurisprudence précitée, ce rapport a force probante.

Les attestations produites par le détenu ne permettent pas de remettre en cause ce qui précède. L’intimé a fourni des précisions quant aux distances entre la cellule du recourant et les cellules des détenus ayant signé les attestations. Conformément à ce qu’indique le recourant, il est exact que les mètres mentionnés par l’autorité intimée ne sont qu’une évaluation et ne sont pas prouvés. Toutefois, le recourant ne conteste pas les chiffres avancés. En conséquence les témoignages des deux détenus situés, respectivement à l’étage et à 10 m doivent être écartés. La valeur probante des témoignages des personnes dont la cellule est située à 5 m n’est pas suffisante pour remettre en cause le rapport de l’agent assermenté compte tenu de la distance entre les « témoins » et le recourant. De surcroît, la production des deux témoignages de co-détenus qui n’ont rien pu entendre au vu du lieu où ils se trouvaient contribue à remettre en cause la crédibilité du contenu des pièces produites.

Aucun élément ne remet en cause valablement la force probante du rapport de l’agent de détention.

La sanction n’est pas arbitraire, quand bien même les propos tenus par le recourant sont à la limite de la punissabilité au vu de leur contenu.

Le grief sera ainsi écarté.

6) À juste titre, l’autorité intimée relève que la sanction respecte le principe de la proportionnalité tout à la fois parce qu’elle se limite à un délai d’un mois sur un maximum de trois autorisés par la loi, qu’elle a été assortie d’un sursis de deux semaines et qu’elle porte sur une suppression qui n’est que partielle des loisirs, à savoir une limitation de l’accès et à l’utilisation des multimédias et non aux autres loisirs. De surcroît, le délai de deux mois d’épreuve ayant commencé à courir le 13 septembre 2017 et ayant pris fin le 13 novembre 2017 sans qu’il ne soit allégué que le recourant ait commis une nouvelle infraction au règlement, la limitation précitée a été effectivement subie pendant deux semaines.

7) Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 septembre 2017 par Monsieur A______ contre la décision de sanction de l’établissement pénitentiaire fermé Curabilis du 29 août 2017 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gabriele Semah, avocat du recourant ainsi qu'à l’établissement pénitentiaire fermé Curabilis.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin et Mme Junod, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :