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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1512/2014

ATA/591/2014 du 29.07.2014 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1512/2014-PRISON ATA/591/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 juillet 2014

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ est détenu à la prison de
Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 20 mars 2014, en exécution de peine. Les deux tiers de la peine seront atteints le 16 novembre 2014.

2) Le 15 avril 2014 à 23h30, alors que l’intéressé était à l’unité carcérale psychiatrique (ci-après : UCP), un incident a eu lieu. Il a appelé un infirmier. À l’arrivée de ce dernier, il a déclaré avoir joué avec une bouteille d’eau et cassé une dalle du plafond. Il a alors été changé de cellule.

3) Le 17 avril 2014, à l’UCP, un nouvel incident a eu lieu.

Selon le rapport dressé, l’alarme feu, avec la mention « dérangement » s’était déclenchée dans la cellule occupée par M. A______ à 17h03. Ce dernier avait déclaré à l’infirmier avoir démonté le détecteur incendie de sa cellule. L’intéressé avait été remis dans sa cellule après réparation, à 17h27. À 17h33, le médecin de garde avait demandé à ce que le retour de M. A______ à la prison soit programmé.

4) Le même jour, à 17h54, un nouveau rapport d’incident a été dressé. Lors de la fouille réalisée avant son transfert, il avait été découvert sur l’intéressé des calepins et un jeu qu’il avait volés. De plus, le planning mensuel d’une infirmière avait été trouvé, chiffonné, dans le fond du placard de M. A______.

5) À son arrivée à la prison, à 19h00, M. A______ a été mis en cellule forte par un gardien chef adjoint. Selon le rapport rédigé par ce dernier, sa décision était fondée sur le premier rapport du 17 avril 2014.

Le lendemain, la direction de la prison a entendu l’intéressé et lui a notifié une punition de trois jours de cellule forte pour « dégradation des locaux ».

6) a. Le 8 mai 2014, M. A______ a rédigé un recours. Il n’avait pas supporté, à l’UCP, les effets secondaires des médicaments qui lui avaient été prescrits et avait eu une crise, ce qui l’avait amené à projeter des objets dans sa cellule. Sur place, les médecins lui avaient indiqué que la sanction qui lui serait infligée serait le retour à la prison. Une fois dans cet établissement, il avait été envoyé trois jours en cellule forte. Cette sanction était injustifiée et abusive.

b. Ce courrier a été inséré dans une enveloppe portant la mention « Ministère public » (ci-après : MP) et l’adresse de ce dernier. L’enveloppe porte des timbres humides de la prison mentionnant respectivement les dates du 9 mai 2014, du 12 mai 2014 et du 16 mai 2014.

Le courrier porte un timbre humide de la direction de la prison de Champ-Dollon mentionnant la date du 16 mai 2014, auquel a été ajoutée la mention manuscrite « MP, comme mentionné sur l’enveloppe. Transmis et ouvert par erreur à la direction de la prison ».

À ce pli sont de plus annexés :

- une note du MP, non datée, transmettant le recours pour raison de compétence et portant le timbre humide du Tribunal administratif de première instance avec la date du 20 mai 2014, celui du Tribunal pénal (ci-après : TP), avec la date, rectifiée à la main, du 21 mai 2014 et celui de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) du 28 mai 2014.

- un courrier du TP du 21 mai 2014, le transmettant à la prison. Cette dernière a transmis l’acte de recours à la chambre administrative le 23 mai 2014.

7) Le 10 juin 2014, la prison a conclu au rejet du recours. Les dommages causés ne résultaient pas uniquement des effets de la crise psychologique qui aurait amené l’intéressé à lancer des objets, dès lors que le système de détection d’incendie avait été démonté. De plus, il avait volé des objets qu’il désirait prendre à la prison. Malgré les traitements médicamenteux, ces actes étaient volontaires et intentionnels. La sanction respectait le principe de la proportionnalité.

8) M. A______ a exercé son droit à la réplique, par un pli reçu à la chambre administrative le 27 juin 2014. Pendant qu’il était en traitement à l’UCP, il perdait la tête et n’arrivait pas à différencier la réalité et « l’irréalité ». Il ne connaissait pas les médicaments qui lui avaient été prodigués, mais il n’avait pas fait exprès de voler des objets.

9) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous cet angle (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa p. 43 ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002, consid. 3 ; ATA/759/2012 du 6 novembre 2012 ; ATA/188/2011 du 22 mars 2011 ; ATA/146/2009 du 24 mars 2009).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 p. 81 ; 128 II 34 consid. 1b p. 36 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3 ; Hansjörg SEILER, Handkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], Berne 2007, n. 33 ad art. 89 LTF p. 365 ; Karl SPUHLER/Annette DOLGE/Dominik VOCK, Kurzkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], Zurich/St-Gall 2006, n. 5 ad art. 89 LTF p. 167). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 p. 374 ; 118 Ib 1 consid. 2 p. 7 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2 ; ATA/175/2007 du 17 avril 2007 consid. 2a ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 consid. 2b) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 p. 286 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3 ; ATA/192/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/640/2005 du 27 septembre 2005).

d. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 précité ; 131 II 361 consid. 1.2 p. 365 ; 128 II 34 précité ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/418/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2d ; ATA/365/2009 du 28 juillet 2009).

En l’espèce, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’un placement en cellule forte doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée, dans la mesure où cette situation pourrait encore se présenter (ATA/183/2013 du 19 mars 2013 et la jurisprudence citée).

Le recours est donc recevable à tous points de vue.

3) Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, sont l'objet d'une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs - la faute étant une condition de la répression - qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

4) Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard des autres personnes incarcérées (art. 44 RRIP) et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP).

5) Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

Le directeur est compétent pour prononcer les sanctions suivantes :

a)  suppression de visite pour quinze jours au plus ;

b)  suppression des promenades collectives ;

c)  suppression d’achat pour quinze jours au plus ;

d)  suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus ;

e)  privation de travail ;

f)  placement en cellule forte pour cinq jours au plus (art. 47 al. 3 RRIP), étant précisé que ces sanctions peuvent se cumuler (art. 47 al. 4 RRIP).

6) a. En l’espèce, la décision litigieuse porte, comme unique motivation, les termes « dégradation des locaux », sans mentionner un éventuel vol, ce qui interdit de retenir le fait que l’intéressé ait été en possession d’un calepin et d’un jeu lors de son transfert à la prison comme justifiant la sanction.

b. En ce qui concerne le premier incident, soit le dommage causé par le recourant au plafond d’une cellule alors qu’il jouait avec une bouteille d’eau, il apparaît difficile d’y voir une quelconque intention ou même une négligence coupable. Le fait que l’intéressé ait immédiatement appelé le personnel permet de penser qu’il n’entendait pas porter atteinte à sa cellule. De plus, le dossier ne contient aucune information sur l’état de l’intéressé à ce moment précis. L’ensemble de ces éléments ne permet pas de retenir cet incident à charge du recourant.

c. Tel n’est pas le cas du deuxième incident, soit le fait d’avoir démonté le détecteur incendie de sa cellule. Il n’est en effet pas concevable de réaliser un tel acte autrement que volontairement et l’on peut déduire du fait que le médecin consulté trente minutes après le retentissement de l’alarme ait ordonné le retour de l’intéressé à la prison que ce dernier était à ce moment dans un état normal ne nécessitant plus de soins.

Le démontage d’un tel détecteur constitue un acte qui ne doit pas être minimisé, le risque présenté par le feu dans un établissement médical, comme dans un établissement pénitentiaire, devant être pris extrêmement au sérieux. À lui seul, cet élément justifie la sanction prononcée, laquelle, certes sévère, respecte encore le principe de la proportionnalité.

7) Le recours sera rejeté. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 mai 2014 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 18 avril 2014 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :