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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/251/2017

ACST/9/2017 du 30.06.2017 ( ABST ) , REJETE

Recours TF déposé le 15.08.2017, rendu le 13.05.2019, REJETE, 2C_690/2017
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/251/2017-ABST ACST/9/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 30 juin 2017

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Samir Djaziri, avocat

contre

GRAND CONSEIL



EN FAIT

1) Monsieur A______, de nationalité suisse et né le ______ 1960, est titulaire d'une carte de chauffeur de taxi délivrée le 27 juillet 2015 par le Département de la sécurité et de l'économie (ci-après : DSE). Il exploite à ce titre un taxi de service privé en qualité d'indépendant.

2) M. A______ a passé les examens nécessaires à l'obtention de la carte professionnelle de chauffeur de taxi au plus tard lors de la session d'examens annuelle de 2015.

3) Le 26 août 2015, le Conseil d'État a déposé au Grand Conseil un projet de loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (LTVTC ; PL 11709), ainsi qu'un projet de loi modifiant la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (LTVTC-1 ; PL 11710).

4) Le 13 octobre 2016, le Grand Conseil a adopté les deux projets de loi.

5) Le 21 octobre 2016, les deux lois ont été publiées dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO), le délai référendaire expirant le 30 novembre 2016.

6) Aucun référendum n'a été lancé dans ledit délai.

7) Par arrêté du 7 décembre 2016, publié dans la FAO du 9 décembre 2016, le Conseil d'État a promulgué les lois 11709 et 11710.

8) La LTVTC (11709) contient notamment la disposition transitoire suivante :

Art. 46 Permis de service public

(…)

2 Tout titulaire de la carte professionnelle de chauffeur de taxi qui exploite un taxi de service privé en qualité d'indépendant ou travaille comme employé ou fermier d'un titulaire d'une autorisation d'exploiter un taxi ou une entreprise de taxis de service public au sens de la loi sur les taxis et limousines, du 21 janvier 2005, délivrée avant le 1er juin 2015, qui, lors de l'entrée en vigueur de la présente loi, exerce de manière effective sa profession peut demander une autorisation d'usage accru du domaine public au sens de l'article 10, dans un délai de 6 mois après son entrée en vigueur.

9) La date d'entrée en vigueur des deux lois a été fixée, par arrêté du Conseil d'État du 7 décembre 2016 publiée le surlendemain dans la FAO, au 1er juillet 2017.

10) Par acte posté le 23 janvier 2017, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre l'art 46 al. 2 LTVTC, concluant principalement à son annulation, et préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours.

L'art. 46 al. 2 LTVTC violait la liberté économique en créant une seule catégorie de taxis, ainsi qu'un numerus clausus.

Cette disposition violait également l'égalité de traitement entre concurrents. Elle opérait une distinction entre les titulaires de la carte professionnelle de chauffeurs de taxi délivrée avant le 1er juin 2015 et ceux à qui elle avait été délivrée ultérieurement. Seulement les premiers pouvaient demander une autorisation d'usage accru du domaine public, ce qui causait une distorsion de la compétition, interdite par la loi. Dans l'hypothèse où cette disposition entrerait en vigueur, il perdrait la qualité de chauffeur de taxi et les prérogatives y liées, notamment la possibilité d'utiliser l'enseigne « taxi » engendrant un manque de visibilité pour les clients. Il ne pourrait également plus faire usage du taximètre ainsi que des tarifs de courses prévues pour les taxis, ce qui engendrerait probablement une nette diminution de son chiffre d'affaires. Il perdrait également son indépendance, dans la mesure où il entrerait dans la catégorie des voitures de transport avec chauffeur (ci-après : VTC) et en cette qualité, il serait rémunéré par un fournisseur de courses et aurait un statut d'employé.

La distinction opérée par l'art. 46 al. 2 LTVTC en fonction de la date de délivrance de la carte professionnelle ne se justifiait par aucun motif objectif au regard de la situation ; cette date avait été choisie arbitrairement et violait ainsi le principe de l'égalité de traitement.

11) Le 16 mars 2017, le Grand Conseil a conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité.

La LTVTC prévoyait deux catégories de chauffeurs professionnels, l'une englobant les taxis au sens strict, l'autre permettant à ceux qui n'avaient pas obtenu une autorisation d'usage accru du domaine public, quelle qu'en soit la raison, d'exercer une activité similaire à celle de taxi, avec comme seule différence, par rapport au système actuel, l'absence d'utilisation de l'enseigne « taxi ». L'existence de deux catégories était réalisée et la liberté économique n'était pas violée.

La date du 1er juin 2015 n'avait pas été choisie arbitrairement. Elle correspondait à la période à laquelle le DSE avait soumis aux représentants des milieux professionnels les grandes lignes du projet. Le motif ayant conduit l'intimé à fixer cette date limite était d'éviter que de nombreuses personnes ne s'empressent de tirer parti de façon anticipée de la disposition transitoire pour devenir taxis de service privé, se garantissant ainsi une place parmi les taxis lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. La disposition en question reposait donc sur un critère objectif visant un but d'intérêt public ; elle était d'ailleurs proportionnée car elle n'empêchait pas les titulaires de cartes délivrées à compter du 1er juin 2015 d'exercer leur activité dans la catégorie des VTC. Cette disposition ne violait par conséquent pas l'égalité de traitement.

12) Le 19 mai 2017, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

La catégorie des VTC ne pouvait aucunement être considérée comme une seconde catégorie de taxis mais tout au plus comme une catégorie de la branche du transport professionnel de personnes, au même titre que, notamment, les bus et les taxis, et correspondait plutôt à l'actuelle catégorie de limousine prévue à l'art. 3 al. 4 de la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 - LTaxis - H 1 30 -. L'art. 46 al. 1 LTVTC violait ainsi la liberté économique et pour cette raison l'actuelle catégorie de taxis de service privé devait être conservée.

La distinction opérée entre concurrents directs dont l'autorisation d'exploiter avait été délivrée avant ou après le 1er juin 2015 ne répondait à aucun critère objectif ; lui-même n'avait pas pu être au courant, début juin 2015, des grandes lignes du projet, dans la mesure où celui-ci avait été soumis uniquement aux représentants des milieux professionnels.

Le recourant a produit, à l'appui de ses observations, l'avant-projet de règlement d'exécution de la LTVTC (ci-après : avant-projet de règlement) en soulignant trois dispositions, qui avaient la teneur suivante :

Art. 21

Le nombre maximal d'autorisation d'usage accru du domaine public est fixé à 1'400.

Art. 40

Le Conseil d'État peut décider de la limitation provisoire du nombre de nouvelles immatriculations de VTC par voie d'arrêté.

Art. 60 al. 4

La carte professionnelle de chauffeur de taxi est considéré avoir été délivrée avant le 1er juin 2015 au sens de l'art. 46 al. 2, de la loi lorsqu'elle a été requise suite à la réussite de la session d'examen de 2015, incluant le module de rattrapage.

a. D'après l'art. 21 de l'avant-projet de règlement, le nombre maximal d'autorisations serait potentiellement fixé à 1'400, ce qui semblait difficilement envisageable au regard de l'ordre public et des places de stationnement disponibles, et en contradiction avec le chiffre maximal actuel fixé le 29 août 2014 par le DSE à 875. Le nombre de permis de service public était antérieurement de 900, le DSE l'ayant revu à la baisse.

b. Aux termes de l'art. 40 de l'avant-projet de règlement, il y aurait potentiellement la possibilité pour le Conseil d'État de limiter provisoirement le nombre des nouvelles immatriculations de VTC. ce qui pourrait ainsi faire également l'objet d'un numerus clausus, contrevenant doublement à la liberté économique.

c. Le Conseil d'État semblait conscient de la problématique liée à l'inégalité de traitement entre concurrents de l'art. 46 al. 2 LTVTC, ce qui ressortait de l'art. 60 al. 4 de l'avant-projet de règlement, qui prévoyait que la carte professionnelle serait considérée comme ayant été délivrée avant le 1er juin 2015 bien qu'elle ait pu être délivrée après la session de rattrapage du mois de septembre 2015, ce qui paraissait difficilement concevable. Il ne pouvait d'ailleurs pas être dérogé à la loi de la sorte.

13) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

14) Par arrêté du 21 juin 2017, publié dans la FAO du 27 juin 2017, le Conseil d'État a adopté le règlement d'exécution de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (RTVTC).

EN DROIT

1) La chambre constitutionnelle est l’autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art.124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00). Selon la législation d’application de cette disposition, il s’agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d’État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

En l’espèce, le recours est formellement dirigé contre une loi du Grand Conseil, à savoir la LTVTC, adoptée par le Grand Conseil le 13 octobre 2016, et promulguée par arrêté du Conseil d'État du 7 décembre 2016 et en particulier son art. 46 al. 2 (ACST/6/2016 du 19 mai 2016 consid. 2 ; ACST/19/2015 du 15 octobre 2015 consid. 1a ; ACST/13/2015 du 30 juillet 2015 consid. 2b). La chambre de céans est dès lors compétente pour connaître du présent recours.

2) Interjeté dans le délai légal à compter de la publication de l'acte susmentionné dans la FAO du 9 décembre 2016, et dans les formes prévues par la loi, le recours est recevable sous cet angle (art. 62 al. 1 let. d et 3, 63 al. 1 let. c et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). Il ressort de l’exposé des motifs relatif à la loi 11311 modifiant la LOJ que l’art. 60 al. 1 let. b LPA dans sa teneur actuelle, adoptée le 11 avril 2014 et entrée en vigueur le 14 juin 2014, formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l’action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu’il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/7/2016 du 19 mai 2016 consid. 4a ; ACST/19/2015 précité consid. 1b ; ACST/13/2015 précité consid. 3a ; ACST/12/2015 précité consid. 2a ; ACST/7/2015 précité consid. 2a ; ACST/1/2015 précité consid. 3a ; ACST/2/2014 précité consid. 2a ; Michel HOTTELIER/Thierry TANQUEREL, La Constitution genevoise du 14 octobre 2012, SJ 2014 II 341-385, p. 380).

b. L’art. 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) précise que la qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédente doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral. En d’autres termes, le droit cantonal ne peut pas définir la qualité de partie devant l’autorité qui précède immédiatement le Tribunal fédéral de manière plus restrictive que ne le fait l’art. 89 LTF (ATF 139 II 233 consid. 5.2.1 ; 138 II 162 consid. 2.1.1 ; 136 II 281 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_90/2016 du 2 août 2016 consid. 3.1 ; 2C_68/2015 du 13 janvier 2016 consid. 4.2 ; 2C_885/2014 du 28 avril 2015 consid. 5.1).

Aux termes de l’art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). L’art. 89 al. 1 LTF détermine la qualité pour recourir de manière générale, la subordonnant à trois conditions, qui, pour autant qu’elles soient cumulativement remplies (ATF 137 II 40 consid. 2.2), permettent aux personnes physiques et morales de droit privé, voire exceptionnellement aux personnes morales et collectivités de droit public, de recourir (Bernard CORBOZ et al. [éd.], Commentaire de la LTF, 2ème édition, 2014, n. 11 ad art. 89 LTF).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n’est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l’acte entrepris (Marcel Alexander NIGGLI/ Peter UEBERSAX/Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetz, 2ème édition, 2011, n. 13 ad art. 89 LTF). Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu’il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 141 I 78 consid. 3.1 ; 141 I 36 consid. 1.2.3 ; 138 I 435 consid. 1.6 ; 135 II 243 consid. 1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_779/2015 du 8 août 2016 consid. 4.4.2.3 ; 2C_862/2015 du 7 juin 2016 consid. 1.2 ; 8C_91/2015 du 16 décembre 2015 consid. 6.1 ; 1C_223/2014 du 15 janvier 2015 consid. 2.3).

La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l’annulation de l’acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu’au moment où l’arrêt est rendu (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; 137 I 296 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1006/2014 du 24 août 2015 consid. 1.3 ; 1C_469/2014 du 24 avril 2015 consid. 1.1).

En l'espèce, le recourant, titulaire d'une carte professionnelle de chauffeur de taxi et exploitant d'un taxi de service privé en qualité d'indépendant, est sans conteste susceptible de se voir appliquer la disposition litigieuse.

Il en résulte que le recours est recevable.

4) Saisie d’un recours, la chambre constitutionnelle contrôle librement le respect des normes cantonales attaquées au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE ; art. 61 al. 1 LPA) ; elle est liée par les conclusions des parties, mais non par les motifs qu’elles invoquent (art. 69 al. 1 LPA), dans la mesure de la recevabilité du recours ou des griefs invoqués. Toutefois, en cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d’État, l’acte de recours doit contenir un exposé détaillé des griefs du recourant (art. 65 al. 3 LPA). Selon l’exposé des motifs relatif à la loi 11311 modifiant la LOJ, en matière de recours portant sur un contrôle abstrait, il est nécessaire de se montrer plus exigeant que dans le cadre d’un recours ordinaire, le recourant ne pouvant se contenter de réclamer l’annulation d’une loi ou d’un règlement au motif que son contenu lui déplaît, mais, au contraire, doit être acheminé à présenter un exposé détaillé de ses griefs (ACST/7/2016 précité consid. 5 ; ACST/13/2015 précité consid. 4a ; ACST/12/2015 précité consid 4b ; ACST/7/2015 précité consid 3a ; ACST/1/2015 précité consid 4b ; ACST/2/2014 précité consid 5a).

5) À l’instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu’elle se prononce dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes, s’impose une certaine retenue et n’annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 137 I 131 consid. 2 ; 135 II 243 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_862/2015 précité consid. 3 ; 1C_223/2014 précité consid. 4 ; 2C_668/2013 du 19 juin 2014 consid. 2.2 ; ACST/7/2016 précité consid. 8 ; ACST/19/2015 précité consid. 3 ; ACST/12/2015 précité consid. 5 ; ACST/7/2015 précité consid 3b ; ACST/1/2015 précité consid 5 ; ACST/2/2014 précité consid 5b). Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d’une application conforme – ou non – au droit supérieur. Les explications de l’autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d’appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l’éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 134 I 293 consid. 2 ; 130 I 82 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_862/2015 précité consid. 3 ; 1C_223/2014 précité consid. 4).

6) Le recourant invoque une violation de la liberté économique (art. 27 al. 1 et 94 al. 1 Cst., et art. 35 Cst-GE) en se référant à l'ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 79 I 334), qui interdisait de créer une seule catégorie de taxis et de soumettre ainsi la profession à un numerus clausus, déterminé par des besoins d'intérêt public. L'intéressé se plaint également d'une violation des principes de l'égalité entre concurrents et de l'égalité en relation à la distinction opérée par l'art. 46 al. 2 LTVTC; il en demande l'annulation.

a. Aux termes de l'art. 27 Cst. (et 35 Cst-GE), la liberté économique est garantie (al. 1). Elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). La liberté économique protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 137 I 167 consid. 3.1 ; 135 I 130 consid. 4.2 ; 128 I 19 consid. 4c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_441/2015 du 16 janvier 2016 consid. 7.1). Elle peut être invoquée tant par les personnes physiques que par les personnes morales (ATF 135 I 130 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_301/2015 du 3 novembre 2015 consid. 4.1).

b. Des restrictions cantonales à la liberté économique sont admissibles, mais elles doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et respecter le principe de proportionnalité (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.).

c. Sous l'angle de l'intérêt public, sont autorisées les mesures de police, les mesures de politique sociale ainsi que les mesures dictées par la réalisation d'autres intérêts publics (ATF 125 I 322 consid. 3a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 du 6 août 2015 consid. 4.1 ; 2C_793/2014 du 24 avril 2015 consid. 4.1). Sont en revanche prohibées les mesures de politique économique ou de protection d'une profession qui entravent la libre concurrence en vue de favoriser certaines branches professionnelles ou certaines formes d'exploitation (ATF 140 I 218 consid. 6.2 ; 130 I 26 consid. 4.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_32/2015 du 28 mai 2015 consid. 5.1 ; 2C_819/2014 du 3 avril 2015 consid. 5.1).

d. Selon l’art. 94 Cst., la Confédération et les cantons respectent le principe de la liberté économique (al. 1). Ils veillent à sauvegarder les intérêts de l’économie nationale et contribuent, avec le secteur de l’économie privée, à la prospérité et à la sécurité économique de la population (al. 2). Dans les limites de leurs compétences respectives, ils veillent à créer un environnement favorable au secteur de l’économie privée (al. 3). Les dérogations au principe de la liberté économique, en particulier les mesures menaçant la concurrence, ne sont admises que si elles sont prévues par la Cst. ou fondées sur les droits régaliens des cantons (al. 4). La Cst. consacre ainsi un ordre économique fondé sur la libre concurrence (Message relatif à une nouvelle constitution fédérale du 20 novembre 1996, FF 1997 I 1, p. 176 ; ATF 132 I 282 consid. 3.3 p. 287) et reconnaît que l’économie relève principalement de la société civile, l’État devant lui-même respecter les éléments essentiels du mécanisme de la concurrence (ATF 138 I 378 consid. 6.3 p. 387 ; arrêt du Tribunal fédéral 4C_2/2013 du 10 juillet 2013 consid. 3.1).

Il en découle que l’État doit se comporter de manière neutre sur le plan de la concurrence. Ainsi, selon le principe de l’égalité de traitement des concurrents, déduit des art. 27 et 94 Cst., les mesures étatiques qui ne sont pas neutres sur le plan de la concurrence entre les personnes exerçant la même activité économique sont prohibées (ATF 131 II 271 consid. 9.2.2). On entend par « concurrents directs » les membres de la même branche économique, qui s’adressent avec les mêmes offres au même public pour satisfaire les mêmes besoins (arrêt du Tribunal fédéral 2C_410/2009 du 17 décembre 2009 consid. 4.1). L’égalité entre concurrents n’est cependant pas absolue et autorise un traitement différent, à condition que celui-ci repose sur une base légale, réponde à des critères objectifs, soit proportionné et résulte du système lui-même (ATF 131 I 223 consid. 4.2 ; 125 I 431 consid. 4b/aa ; arrêts du Tribunal fédéral 4C_2/2013 du 10 juillet 2013 consid. 3.1 et 2C_410/2009 du 17 décembre 2009 consid. 4.1).

e. Pour être conforme au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), une restriction d'un droit fondamental doit être apte à atteindre le but visé (sous-principe d'adéquation), lequel ne peut pas être obtenu par une mesure moins incisive (sous-principe de nécessité) ; il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (sous-principe de proportionnalité au sens étroit ; ATF 137 I 167 consid. 3.6).

f. Selon l’art. 8 al. 1 Cst., tous les êtres humains sont égaux en droit, l’art. 15 al. 1 Cst-GE contenant une garantie similaire. Selon la jurisprudence, une décision ou un arrêté viole ce principe lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 141 I 153 consid. 5.1 ; 140 I 77 consid. 5.1 ; 137 V 334 consid. 6.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_779/2015 précité consid. 9.2 ; ACST/14/2016 du 10 novembre 2016 consid. 5d). La question de savoir s’il existe un motif raisonnable pour une distinction peut recevoir des réponses différentes suivant les époques et les idées dominantes. Le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de ces principes (ATF 137 I 167 consid. 3.5 ; 136 I 1 consid. 4.1 ; 127 I 185 consid. 5 ; ACST/14/2016 précité consid. 5d).

7) En premier lieu, le recourant se plaint d'une violation de sa liberté économique due à l'instauration, par la nouvelle loi, d'une seule catégorie de taxis soumise à un numerus clausus.

La nouvelle législation prévoit deux catégories de chauffeurs professionnels, les taxis proprement dits et les VTC, lesquels ne disposent pas d'une autorisation d'usage accru du domaine public. Ces derniers correspondent dans une certaine mesure aux taxis privés de la LTaxis, avec comme principale différence l'impossibilité de porter l'enseigne « taxi » (art. 4 let. a et b LTVTC). En conséquence, même si la LTVTC prévoit une seule catégorie de taxis soumise à un numerus clausus, elle établit deux catégories de transporteurs.

La jurisprudence du Tribunal fédéral à laquelle se réfère le recourant, remontant par ailleurs aux années 1950, prévoit que le mot « taxi » exprime la nature des services offerts et représente un moyen de publicité indispensable. Notre haute Cour avait jugé contraire à la liberté du commerce d'interdire aux voitures de transport professionnel de personnes d'employer la désignation « taxi ». Elle avait également déclaré que si l'État « soumettait la profession des chauffeurs de taxi dans son ensemble à un numerus clausus déterminé par les besoins du public », il prendrait une mesure de politique économique contraire à la liberté économique.

Ce concept de « taxi » doit aujourd'hui être relativisé et apprécié à l'aune de la situation actuelle. En effet, l'évolution des techniques de communication, telles que des plateformes de mises en relation ou les systèmes de co-voiturage, ne permettent plus de faire de l'enseigne « taxi » la référence pour le transport de personnes.

La création de la catégorie « VTC » permet de conserver un équilibre répondant à l'intérêt public à limiter le nombre de taxis et à la protection de la liberté économique de tous les acteurs susceptibles d'exercer dans cette branche. En effet, les personnes voulant exercer la profession de chauffeur de « taxi » au sens de la jurisprudence invoquée par le recourant, pourront, sous la nouvelle législation, toujours le faire, mais sous la dénomination de VTC.

La liberté économique est par conséquent respectée.

Ce grief sera par conséquent écarté.

8) En deuxième lieu et en lien avec la violation du principe de l'égalité de traitement, le recourant soutient que la distinction fixée selon la date d'obtention de la carte professionnelle de chauffeur de taxi ne se justifie pas.

a. En l'occurrence, la LTVTC prévoit que tout titulaire de la carte professionnelle de chauffeur de taxi au sens de la LTaxis, délivrée avant le 1er juin 2015, qui, lors de l'entrée en vigueur de la présente loi, exerce de manière effective sa profession, peut demander une autorisation d'usage accru du domaine public (art. 46 al. 2 LTVTC). Il s'agit ici d'une faculté et non d'une obligation. Comme évoqué plus haut, la LTVTC abolit la distinction entre taxis de service public et taxis de service privé qui existe actuellement dans la LTaxis en introduisant une autre catégorie de chauffeurs, les VTC, offrant une complémentarité en matière de service public, ne bénéficiant pas de l'usage accru du domaine public ni du droit à l'enseigne « taxi » (art. 4 let. b LTVTC).

b. La chambre constitutionnelle, comme déjà mentionné, ne contrôle pas l'opportunité ou le caractère judicieux des normes qui sont déférées devant elles, mais seulement leur conformité au droit supérieur. Cela étant, les motifs avancés par le Grand Conseil – quand bien même ils sont tenus pour contestables par le recourant, – ne peuvent être qualifiés de subjectifs ou de peu sérieux, la réglementation en cause n'étant pas dépourvue de sens ni de but.

En effet, il résulte de l'exposé des motifs du PL 11709 que la fixation de la date butoir du 1er juin 2015 correspond à la période à laquelle la préparation du projet a été rendue publique, et elle était nécessaire pour éviter que de nombreuses personnes tentent d'obtenir rapidement l'autorisation pour exercer comme taxi de service privé en se garantissant ainsi une place comme taxi dans le nouveau système, ce qui aurait impliqué le risque d'un afflux massif de nouveaux taxis. Ce procédé, ainsi que les motifs évoqués, sont parfaitement conformes à la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2P 258/2006 du 16 mars 2005 consid. 2.2) Dans cette affaire, très similaire au cas d'espèce, le Tribunal fédéral avait jugé que « le législateur a introduit une limitation dans le temps pour éviter qu'il ne soit fait un usage abusif de cette possibilité, des chauffeurs s'empressant d'obtenir peu avant l'entrée en vigueur de la loi un brevet d'exploitant, pour bénéficier, aussitôt la loi en vigueur, d'un permis de service public. On ne saurait voir dans la disposition transitoire critiquée une mesure de politique économique. Il s'agit simplement d'une limitation du cercle des bénéficiaires de l'art. 58 al. 2 let. a LTaxis qui répond à un but d'intérêt public, soit éviter un accroissement indu des personnes pouvant obtenir un permis de service public, en réservant le bénéfice du régime transitoire aux personnes en attente d'un permis de stationnement sur le domaine public depuis un laps de temps notable, et en écartant de ce régime les personnes qui auraient voulu en profiter plus ou moins au dernier moment ».

Il en découle que la disposition litigieuse répond à des critères objectifs et que, par conséquent, la distinction faite selon la date de délivrance des cartes professionnelles repose sur des motifs raisonnables.

Le recourant pourra d'ailleurs poursuivre son activité de la même manière qu'auparavant, avec comme seule différence qu'il sera qualifié d'après la loi comme VTC et qu'il ne pourra plus utiliser l'enseigne « taxi ». S'il est vrai que cela pourra engendrer une diminution de sa visibilité par rapport aux clients, il gardera toujours la faculté de déposer une requête afin d'obtenir une autorisation d'usage accru du domaine public au sens de l'art. 11 LTVTC. La seule différence par rapport aux chauffeurs ayant obtenu leur carte professionnelle avant le 1er juin 2015 résulte du fait que le recourant n'obtiendra pas automatiquement une autorisation d'usage accru du domaine public en en faisant la demande dans les six mois après l'entrée en vigueur de la loi. Dans le cadre d'une demande au sens de l'art. 11 LTVTC, il pourrait se voir placer dans une liste d'attente selon le numerus clausus qui sera fixé par le Conseil d'État.

L'art. 46 al. 2 LTVTC respecte par conséquent le principe de la proportionnalité et ne viole pas le principe de l'égalité de traitement.

Les griefs du recourant seront donc écartés.

9) Au vu du prononcé du présent arrêt, les conclusions en effet suspensif prises par les parties deviennent sans objet.

10) Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

11) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 janvier 2017 par Monsieur A______ contre l'article 46 al. 2 LTVTC (11709) du 13 octobre 2013, publié dans la FAO du 21 octobre 2016 et promulgué par arrêté du Conseil d'État du 7 décembre 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Samir Djaziri, avocat du recourant, au Grand Conseil, ainsi qu'au Conseil d'État pour information.

Siégeants : M. Verniory, président, MM. Dumartheray, Pagan, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Martin, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

 

G. Corti

 

le président siégeant :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :