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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1811/2024

JTAPI/102/2025 du 30.01.2025 ( OCPM ) , REJETE

Descripteurs : MAXIME INQUISITOIRE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION DE LA DÉCISION;CAS DE RIGUEUR
Normes : Cst.29.al2; LEI.30.al1.letb; OASA.31.al1; LEI.64.al1.letC; LEI.83.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1811/2024

JTAPI/102/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 30 janvier 2025

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______

 

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur B______, né le ______ 1987, et son épouse, Madame A______, née le ______ 1991, sont ressortissants des Philippines. Ils ont une fille, née le ______ 2011.

2.             Le 10 novembre 2023, leur employeur, Monsieur C______ a déposé une demande d’autorisation de séjour avec activité lucrative en leur faveur auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM).

Dans sa lettre d’accompagnement, rédigée en anglais, M. B______ a précisé qu’il sollicitait une autorisation de séjour pour cas individuel d’une extrême gravité. Il était arrivé en Suisse le 22 août 2019, avec l’intention de s’y établir. Il était en quête d’une vie meilleure et souhaitait soutenir sa famille. Avant sa venue, il travaillait en qualité de plombier. Il avait de bonnes perspectives d’avenir en Suisse. Il disposait d’un travail et d’un logement. Il n’avait jamais émargé à l’assistance publique et était bien intégré. Il n’avait plus de lien avec son pays d’origine qui lui était devenu étranger. Le centre de ses intérêts se trouvait désormais en Suisse et il y avait de fortes attaches.

Dans sa lettre d’accompagnement, également rédigée en anglais, Mme A______ a indiqué, en substance, qu’elle avait travaillé dans son pays d’origine en qualité d’employée de maison et avait une grande expérience en la matière. Elle avait déjà appris « the Swiss language » et était très bien intégrée.

Ils ont notamment joint les pièces suivantes :

Pour Mme A______ :

·         un formulaire M daté du 11 septembre 2023, à teneur duquel elle était arrivée à Genève le 22 août 2019 et travaillait à temps plein, en qualité d’employée de maison, auprès de Monsieur D______, depuis le 1er décembre 2021, ainsi que le contrat de travail ;

·         ses décomptes de salaire de juin à août 2023 ;

·         son curriculum vitae ;

·         un document indiquant qu’elle est titulaire d’un SwissPass valable du 22 août 2019 au 21 août 2024 et d’un abonnement annuel Unireso valable du 6 janvier 2023 au 5 janvier 2024 ;

·         une attestation, datée du 11 décembre 2023 (sic), de participation à un cours de français pré-élémentaire dispensé par E______, du 19 septembre 2022 au 21 juin 2023, pour une durée de 39 heures ;

Pour M. B______ :

·         un formulaire M daté du 7 novembre 2023, à teneur duquel il était arrivé à Genève le 22 août 2019 et travaillait à temps plein, en qualité d’employé de maison, auprès de Monsieur C______ (ci-après : l’employeur), depuis le 1er décembre 2021, ainsi qu’un contrat de travail daté du 22 avril 2022 ;

·         son curriculum vitae à teneur duquel il travaillait auprès de l’employeur « April 22, 2012 » (sic) ;

·         un certificat de salaire établi par Chèque service pour la période du 1er septembre au 31 décembre 2021 et pour l’année 2022 auprès de l’employeur ;

·         un courrier établi par Unireso le 26 août 2019 confirmant l’acquisition d’un SwissPass ;

·         un relevé établi le 19 mars 2022 par F______ Sàrl (ci-après : F______), des transferts d’argent qu’il avait effectués depuis la Suisse aux Philippines entre le 7 janvier 2020 et le 14 mars 2022, indiquant plusieurs versements en faveur de son épouse en 2022, dont le dernier en date du 14 mars 2022.

3.             Par courrier du 28 novembre 2023, l’OCPM a fait part aux époux de son intention de refuser de préaviser favorablement leur dossier auprès du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour et de prononcer leur renvoi.

Ils ne remplissaient pas les critères d’octroi d’une autorisation de séjour pour cas individuel d’une extrême gravité, notamment sous l’angle d’un séjour continu prouvé de dix ans minimum. La durée de leur séjour de quatre années en Suisse était relativement courte au regard des nombreuses années passées aux Philippines et elle ne suffisait pas à justifier l’octroi de l’autorisation requise. Leur intégration professionnelle n’était pas négligeable mais elle n’était pas particulièrement marquée et ils n’avaient pas non plus justifié d’un niveau A1 de français à l’oral.

Par ailleurs, ils n’avaient pas démontré souffrir de graves problèmes de santé ni que leur réintégration dans leur pays d’origine aurait de graves conséquences sur leur situation personnelle, indépendamment des circonstances générales (économiques, sociales, sanitaires ou scolaires) affectant l'ensemble de la population restée sur place. Il convenait de rappeler qu’ils avaient passé toute leur enfance, leur adolescence et leur vie d'adulte aux Philippines, de sorte qu’ils y étaient encore attachés dans une large mesure. En outre, ils n’avaient pas créé avec la Suisse des attaches à ce point profondes et irréversibles qu'un retour dans leur patrie constituerait un déracinement complet.

Un délai de trente jours (dont la prolongation a été requise à deux reprises) leur était accordé pour faire valoir leur droit d’être entendu par écrit.

4.             Par courrier du 28 février 2024, réceptionné par l’OCPM le 29 février suivant, les époux ont usé de ce droit.

Ils ont d’abord relaté leurs parcours. M. B______ était titulaire de plusieurs diplômes dans le domaine de la plomberie. Son épouse disposait d’un bachelor ainsi que de plusieurs certificats dans les domaines du court-métrage, de l’aide à l’éducation et de la gestion du stress. Malgré cela, ils ne parvenaient pas à subvenir à leurs besoins ni aux besoins de leur famille. Leur fille souffrait d’un retard du développement et ils ne disposaient pas de moyens suffisants pour l’inscrire dans une école spécialisée ni pour ses traitements. Ils avaient ainsi décidé de venir en Suisse, en confiant leur fille à la mère de M. B______, âgée de 60 ans. Cette dernière avait élevé seule cinq enfants et était endettée. En 2023, ils avaient été contraints de requérir un prêt d’urgence correspondant à environ CHF 4'330.-. Les revenus qu’ils réalisaient en Suisse leur permettaient de soutenir financièrement leurs mères respectives, qui avaient été reconnues comme étant indigentes aux Philippines, et de rembourser le prêt. Ils leur permettaient également d’offrir l’éducation et les soins nécessaires au bon développement de leur fille. À défaut, son avenir serait fortement compromis. En Suisse, ils étaient parfaitement intégrés. Financièrement indépendants, ils n’avaient jamais émargé à l’assistance sociale, ne faisaient pas l’objet de poursuites et leurs casiers judiciaires étaient vierges. Ils fréquentaient l’église et leurs employeurs étaient pleinement satisfaits de leurs services, comme cela ressortait des attestations annexées. Ils suivaient également des cours de français afin de parfaire leurs connaissances et M. B______ faisait partie d’une équipe de basketball. Ils pouvaient ainsi se prévaloir d’une intégration remarquable. Un retour aux Philippines les condamnerait, ainsi que leur famille, à vivre dans la misère. Les conditions de vie y étaient extrêmement précaires et les soins médicaux étaient inaccessibles. Il ressortait d’ailleurs des « Conseils pour les voyages - Philippines » du Département fédéral des affaires étrangères (ci-après : DFAE), que le pays rencontrait des problèmes sanitaires et sécuritaire. Le taux de criminalité était élevé, la situation socio-politique préoccupante et il existait un risque d’attentats.

5.             Le 1er mars 2024, l’OCPM a réceptionné une copie de la détermination précitée, accompagnée de divers justificatifs.

Les recourants ont notamment produit un document daté du 20 février 2024, attestant que M. B______ avait atteint le niveau A2 à l’oral, en français, ainsi que des pièces relatives aux frais de scolarité de leur fille.

6.             Par décision du ______ 2024, l’OCPM a refusé de préaviser favorablement le dossier des époux auprès du SEM en vue de l’octroi d’autorisations de séjour pour cas individuel d’une extrême gravité. Il a également prononcé leur renvoi, leur impartissant un délai au 22 juillet 2024 pour quitter la Suisse, le dossier ne faisant pas apparaître que l’exécution de cette mesure ne serait pas possible, pas licite ou qu’elle ne pourrait pas être raisonnablement exigée.

Il a repris les motifs qui ressortaient de sa lettre d’intention du 28 novembre 2023, notamment en lien avec l’absence de justificatif relatif à leur niveau de français, et a ajouté que rien n’indiquait que leur sécurité serait directement menacé en cas de retour dans leur pays d’origine.

7.             Par acte du 25 mai 2024, les époux (ci-après : les recourants) ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à ce qu’il soit ordonné à l’OCPM de préaviser favorablement leur dossier auprès du SEM en vue de l’octroi des autorisations requises.

Après avoir repris en substance les arguments avancés dans leur détermination du 28 février 2024, ils ont reproché l’OCPM d’avoir fait fi de tous les éléments dont ils avaient fait état et qui démontraient les dangers auxquels ils seraient exposés en cas de retour dans leur patrie. Ils ont également relevé que l’OCPM ne semblait pas avoir pris en compte la détermination précitée, dans la mesure où il considérait qu’ils n’avaient pas démontré leur niveau de français, alors qu’ils avaient produit des justificatifs à cet égard. Il en allait de même de leur séjour d’une durée de six ans démontrée par leurs abonnements de transport et les transferts d’argent effectués depuis la Suisse.

Un renvoi aux Philippines compromettrait gravement leur situation économique et celle de leur famille. Leur sécurité ne serait pas non plus garantie. En effet, en raison de leur réussite économique en Suisse qui était connue, ils seraient la cible de « séquestration et d’autres formes de criminalité économique ».

8.             Dans ses observations du 18 juillet 2024, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

Les recourants étaient arrivés en Suisse en provenance de leur pays d'origine à une date indéterminée, étant précisé que la copie de l’intégralité de leurs passeports n’avait pas été produite. Ils avaient démontré leur présence à Genève depuis août 2019, s’agissant du recourant (cf. document UNIRESO du 26 août 2019) et depuis janvier 2020 (sic) s’agissant de la recourante (cf. document F______ daté du 19 mars 2022). Ils séjournaient ainsi en Suisse depuis près de cinq ans, ce qui ne constituait pas une longue durée, au vu de la jurisprudence, ce d’autant qu’ils avaient vécu dans la clandestinité avant de solliciter une autorisation de séjour, le 10 novembre 2023.

Par ailleurs, bien qu’ils n’aient pas produit d’attestation de langue, une bonne intégration socio-économique pouvait être retenue. Cela étant, elle ne présentait pas un caractère exceptionnel. Il n’apparaissait notamment pas qu’ils se seraient constitués des liens particulièrement étroits et durables avec leur entourage socio-professionnel à Genève. Ils n’avaient pas non plus acquis de connaissances ou de qualifications spécifiques telles qu'il faille considérer qu’ils avaient fait preuve d'une évolution professionnelle remarquable en Suisse justifiant, à elle seule, l'admission d'un cas de rigueur.

En outre, leur réintégration dans leur patrie n'apparaissait pas comme fortement compromise. Ils étaient venus en Suisse pour des motifs économiques, pour pouvoir payer les frais de scolarisation de leur fille dans un établissement spécialisé. De plus, ils étaient nés aux Philippines où ils avaient vécu respectivement jusqu’à l’âge de 32 ans et 39 ans et où ils avaient travaillé. Toute leur famille, en particulier leur fille âgée de 12 ans, vivait dans leur pays d’origine.

Partant, rien ne permettait d'affirmer que de possibles difficultés de réintégration seraient sensiblement plus graves pour eux que pour n'importe lequel de leurs compatriotes appelés à quitter la Suisse au terme d'un séjour équivalent, ou que leur situation serait sans commune mesure avec celle que connaissaient leurs compatriotes, les circonstances générales - économiques, sociales, sanitaires ou scolaires - qui affectaient l'ensemble de la population restée sur place ne pouvant pas être prises en compte.

À cet égard, une exemption des nombres maximums fixés par le Conseil fédéral n'avait pas pour but de soustraire un ressortissant étranger aux conditions de vie de son pays d'origine, mais impliquait que celui-ci se trouve personnellement dans une situation si rigoureuse qu'on ne saurait exiger de lui, compte tenu notamment de l'intensité des liens qu'il avait noués avec la Suisse, qu'il tente de se réadapter à son existence passée.

9.             Invités à répliquer, les recourants ne se sont pas manifestés.

10.         Le détail des écritures et des pièces des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

5.             Selon la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public, l'autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l'établissement des faits ; il incombe à celles-ci d'étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1 ; 2C_1156/2018 du 12 juillet 2019 consid. 3.3 et les arrêts cités). En matière de droit des étrangers, l'art. 90 LEI met un devoir spécifique de collaborer à la constatation des faits déterminants à la charge de l'étranger ou des tiers participants (ATF 142 II 265 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1 ; 2C_323/2018 du 21 septembre 2018 consid. 8.3.3 ; 2C_767/2015 du 19 février 2016 consid. 5.3.1).

Lorsque les preuves font défaut ou s'il ne peut être raisonnablement exigé de l'autorité qu'elle les recueille pour les faits constitutifs d'un droit, le fardeau de la preuve incombe à celui qui entend se prévaloir de ce droit (cf. ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_27/2018 du 10 septembre 2018 consid. 2.2 ; 1C_170/2011 du 18 août 2011 consid. 3.2 et les références citées ; ATA/99/2020 du 28 janvier 2020 consid. 5b). Il appartient ainsi à l'administré d'établir les faits qui sont de nature à lui procurer un avantage et à l'administration de démontrer l'existence de ceux qui imposent une obligation en sa faveur (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4a ; ATA/1155/2018 du 30 octobre 2018 consid. 3b et les références citées).

6.             Par ailleurs, en procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_668/2011 du 12 avril 2011 consid. 3.3 ; ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n'est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b et les arrêts cités).

7.             L’objet du litige porte sur la décision de l’OCPM du 22 avril 2024, refusant de donner une suite favorable à la demande d’autorisation de séjour pour cas de rigueur sollicitée par les recourants.

8.             Dans un grief d’ordre formel qu’il convient d’examiner en premier lieu, les recourants se plaignent d’une violation de leur droit d’être entendu. Ils reprochent à l’OCPM de ne pas avoir tenu compte, malgré les justificatifs produits, des éléments qu’ils avaient fait valoir dans leur détermination du 28 février 2024, s’agissant en particulier de leurs compétences linguistiques et de la durée de leur séjour.

9.             Garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 et les références). Il inclut notamment le droit, pour le justiciable, de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

Le droit d'être entendu implique aussi, pour l'autorité, l'obligation de motiver sa décision. Selon une jurisprudence constante, l'obligation de motiver n'impose pas à l'autorité d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_298/2017 du 30 avril 2018 consid. 2.1). Il suffit, au regard de ce droit, qu'elle mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que les intéressés puissent se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 139 IV 179 consid. 2.2 ; 138 I 232 consid. 5.1). Il n'y a ainsi violation du droit d'être entendu que si l'autorité ne satisfait pas à son devoir minimum d'examiner et de traiter les problèmes objectivement pertinents (ATF 139 IV 179 consid. 2.2 ; ATF 134 I 83 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_72/2020 du 1er mai 2020 consid. 3.3.1 ; 2C_56/2015 du 13 mai 2015 consid. 2.1).

10.         La jurisprudence admet qu'une violation du droit d'être entendu en instance inférieure peut être réparée lorsque l'intéressé a eu la faculté de se faire entendre en instance supérieure par une autorité disposant d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 134 I 331 consid. 3.1 ; 133 I 201 consid. 2.2 ; 130 II 530 consid. 7.3 et les arrêts cités). Une telle réparation dépend de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 126 I 68 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019 consid. 3.8). Elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C/72/2019 du 13 mai 2019 consid. 3. 1 ; ATA/779/2021 du 27 juillet 2021 consid. 4b ; ATA/1194/2019 du 30 juillet 2019 consid. 3c et les arrêts cités). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/779/2021 du 27 juillet 2021 consid. 4b ; ATA/1108/2019 du 27 juin 2019 consid. 4c et les arrêts cités).

11.         Dans une procédure initiée sur requête d'un administré, celui-ci est censé motiver sa requête en apportant tous les éléments pertinents ; il n'a donc pas un droit à être encore entendu avant que l'autorité ne prenne sa décision afin de pouvoir présenter des observations complémentaires (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n° 1528 ss, p. 509 s ; ATA/277/2021 du 2 mars 2021 consid. 5c ; ATA/523/2016 du 21 juin 2016 consid. 2b).

12.         En l’espèce, il ressort du dossier qu’avant de rendre la décision litigieuse, l’autorité intimée a informé les recourants de son intention de rejeter leur demande d’autorisation de séjour et de prononcer leur renvoi, précisant les motifs qui l’y conduisaient, tout en leur impartissant un délai pour exercer leur droit d’être entendu, dont les recourants ont usé le 28 février 2024. La décision attaquée contient certes une inexactitude, dans la mesure où elle retient que les recourants n’avaient pas justifié d’un niveau A1, à l’oral, en français. Or, s’il est exact que la recourante n’a pas démontré ses compétences linguistiques, il n’en va pas de même du recourant qui a produit un passeport des langues, réceptionné par l’OCPM le 1er mars 2024, attestant, d’un niveau A2 en français oral. Il convient de rappeler à cet égard que, dans le mesure où les recourants ont initié la procédure ayant abouti à la décision litigieuse, il leur appartenait, conformément aux principes précités, de transmettre à l'appui de leur demande l'ensemble des éléments utiles. Or, l’attestation de participation aux cours de G______, établie au nom de la recourante, ne suffit pas à démontrer qu’elle dispose du niveau de français requis. De plus, la valeur probante de ce document pourrait être questionnée, dès lors qu’il est daté du 11 décembre 2023, alors que l’OCPM l’a reçu le 10 novembre 2023.

Cela étant, dans la décision litigieuse, l’autorité intimée a rappelé les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour pour cas individuelle d’une extrême gravité, considérant que les recourants ne les remplissait pas, les compétences linguistiques n’étant qu’un critère parmi d’autres. Ces éléments ont d’ailleurs permis aux recourants de dûment motiver leur recours. L’autorité intimée a ensuite pris connaissance du recours et des griefs des recourants et y a répondu dans ses observations du 18 juillet 2024. Même si elle ne s’est pas expressément déterminée sur chacun des arguments développés par les recourants, elle en a manifestement eu connaissance et, selon toute vraisemblance, en a tenu compte dans la décision litigieuse.

Quoi qu’il en soit, une éventuelle violation du droit d’être entendu a pu être réparée devant le tribunal et le renvoi de la cause à l’autorité intimée constituerait une vaine formalité, les recourants ayant, pour le surplus, eu la possibilité de faire valoir leurs arguments pendant l'instruction du recours aussi efficacement qu’avant le prononcé de la décision entreprise.

Ce grief sera donc écarté.

13.         La loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas en l'espèce.

14.         Selon l'art. 30 al. 1 let. b LEI, il est possible de déroger aux conditions d'admission d'un étranger en Suisse pour tenir compte d'un cas individuel d'extrême gravité.

15.         L'art. 31 al. 1 OASA prévoit que pour apprécier l'existence d'une telle situation, il convient de tenir compte, notamment, de l'intégration du requérant sur la base des critères d'intégration définis à l'art. 58a al. 1 LEI (let. a), de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de la situation financière (let. d), de la durée de la présence en Suisse (let. e), de l'état de santé (let. f), ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Selon l'art. 58a al. 1 LEI, les critères d'intégration sont le respect de la sécurité et de l'ordre publics (let. a), le respect des valeurs de la Constitution (let. b), les compétences linguistiques (let. c), ainsi que la participation à la vie économique ou l'acquisition d'une formation (let. d).

Ces critères, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs (ATF 137 II 345 consid. 3.2.3 ; 137 II 1 consid. 1 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral F-3986/2015 du 22 mai 2017 consid. 9.3 ; ATA/465/2017 du 25 avril 2017), d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (cf. ATA/1669/2019 du 12 novembre 2019 consid. 7b).

Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, de sorte que les conditions pour la reconnaissance de la situation qu'ils visent doivent être appréciées de manière restrictive et ne confèrent pas un droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1 ; ATA/667/2021 du 29 juin 2021 consid. 6a ; ATA/121/2021 du 2 février 2021 consid. 7c ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1020/2017 du 27 juin 2017 consid. 5b ; cf. aussi arrêts du Tribunal fédéral 2C_602/2019 du 25 juin 2019 consid. 3.3 ; 2C_222/2017 du 29 novembre 2017 consid. 1.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (cf. ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/667/2021 du 29 juin 2021 consid. 6a ; ATA/121/2021 du 2 février 2021 consid. 7c ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c).

16.         Selon l'art. 58a al. 1 LEI, les critères d'intégration sont le respect de la sécurité et de l'ordre publics (let. a), le respect des valeurs de la Constitution (let. b), les compétences linguistiques (let. c), ainsi que la participation à la vie économique ou l'acquisition d'une formation (let. d).

17.         L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire le requérant aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique qu'il se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'il tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question, et auxquelles le requérant serait également exposé à son retour ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par le requérant à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1131/2017 du 2 août 2017 consid. 5e).

La reconnaissance de l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité implique que les conditions de vie et d'existence de l'étranger doivent être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des étrangers. En d'autres termes, le refus de le soustraire à la réglementation ordinaire en matière d'admission doit comporter à son endroit de graves conséquences. Le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'il y soit bien intégré, tant socialement et professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité. Encore faut-il que sa relation avec la Suisse soit si étroite que l'on ne puisse exiger qu'il vive dans un autre pays, notamment celui dont il est originaire. À cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage qu'il a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exception (ATF 130 II 39 consid. 3 ; 124 II 110 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C 754/2018 du 28 janvier 2019 consid. 7.2 ; 2A 718/2006 du 21 mars 2007 consid. 3 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral C-6956/2014 du 17 juillet 2015 consid. 6.1 ; C_5414/2013 du 30 juin 2015 consid. 5.1.3 ; C_6726/2013 du 24 juillet 2014 consid. 5.3 ; ATA/181/2019 du 26 février 2019 consid. 13d ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8).

Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'une telle situation, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse et la situation des enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d'études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l'aide sociale ou des liens conservés avec le pays d'origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral F-2584/2019 du 11 décembre 2019 consid. 5.3 ; F-6510/2017 du 6 juin 2019 consid. 5.6 ; F-736/2017 du 18 février 2019 consid. 5.6 et les références citées ; ATA/667/2021 du 29 juin 2021 consid. 6b ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1130/2017 du 2 août 2017 consid. 5b).

La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d’origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l’intéressé, seraient gravement compromises (arrêt du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; ATA/577/2021 du 1er juin 2021 consid. 2c).

18.         Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2 ; 2A.166/2001 du 21 juin 2001 consid. 2b/bb ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-912/2015 du 23 novembre 2015 consid. 4.3.2 ; ATA/847/2021 du 24 août 2021 consid. 7e ; ATA/895/2018 du 4 septembre 2018 consid. 8 ; ATA/1538/2017 du 28 novembre 2017 ; ATA/465/2017 du 25 avril 2017 ; ATA/287/2016 du 5 avril 2016).

La durée du séjour (légal ou non) est ainsi un critère nécessaire, mais pas suffisant, à lui seul, pour la reconnaissance d'un cas de rigueur (ATA/847/2021 du 24 août 2021 consid. 7e ; ATA/1538/2017 du 28 novembre 2017 ; Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. II : LEtr, 2017, p. 269 et les références citées). Le simple fait, pour un étranger, de séjourner en Suisse pendant de longues années, y compris à titre légal, ne permet donc pas d'admettre un cas personnel d'extrême gravité sans que n'existent d'autres circonstances tout à fait exceptionnelles (cf. ATAF 2007/16 consid. 7 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral E-643/2016 du 24 juillet 2017 consid. 5.1 et les références citées ; cf. ég., sous l'ancien droit, ATF 124 II 110 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.540/2005 du 11 novembre 2005 consid. 3.2.1).

La jurisprudence requiert, de manière générale, une très longue durée de séjour en Suisse, soit une période de sept à huit ans (ATA/667/2021 du 29 juin 2021 consid. 6c ; ATA/1306/2020 du 15 décembre 2020 consid. 5b ; ATA/1538/2017 du 28 novembre 2017 ; Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, op. cit., p. 269 et les références citées). Le caractère continu ou non du séjour peut avoir une influence (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5048/2010 du 7 mai 2012 ; ATA/847/2021 du 24 août 2021 consid. 7f ; Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, op. cit., p. 269).

19.         L'intégration professionnelle de l'intéressé doit en principe revêtir un caractère exceptionnel au point de justifier, à elle seule, l'octroi d'une autorisation de séjour en dérogation aux conditions d'admission. Le requérant doit posséder des connaissances professionnelles si spécifiques qu'il ne pourrait les utiliser dans son pays d'origine ou doit avoir réalisé une ascension professionnelle remarquable, circonstances susceptibles de justifier à certaines conditions l'octroi d'un permis humanitaire (arrêt du Tribunal fédéral 2A543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral F-3298/2017 du 12 mars 2019 consid. 7.4 et les références citées ; ATA/775/2018 du 24 juillet 2018 consid. 4d ; ATA/882/2014 du 11 novembre 2014 consid. 6d et les arrêts cités). À titre d'exemple, le Tribunal fédéral a notamment retenu en faveur d'un étranger installé depuis plus de onze ans en Suisse qu'il y avait développé des liens particulièrement intenses dans les domaines professionnel (création d'une société à responsabilité limitée, emploi à la délégation permanente de l'Union africaine auprès de l'ONU) et social (cumul de diverses charges auprès de l'Eglise catholique) (arrêt 2C_457/2014 du 3 juin 2014 consid. 4 et les références citées).

20.         Lorsqu'une personne a passé toute son enfance, son adolescence et le début de sa vie d'adulte dans son pays d'origine, il y reste encore attaché dans une large mesure. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet. Il convient de tenir compte de l'âge du recourant lors de son arrivée en Suisse, et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, de la situation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter ses connaissances professionnelles dans le pays d'origine (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-646/2015 du 20 décembre 2016 consid. 5.3).

Il est parfaitement normal qu'une personne, ayant effectué un séjour prolongé dans un pays tiers, s'y soit créé des attaches, se soit familiarisée avec le mode de vie de ce pays et maîtrise au moins l'une des langues nationales. Aussi, les relations d'amitié ou de voisinage, de même que les relations de travail que l'étranger a nouées durant son séjour sur le territoire helvétique, si elles sont certes prises en considération, ne sauraient constituer des éléments déterminants pour la reconnaissance d'une situation d'extrême gravité (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral F-3298/2017 du 12 mars 2019 consid. 7.3 ; F-1714/2016 du 24 février 2017 consid. 5.3 ; C-7467/2014 du 19 février 2016 consid. 6.2.3 in fine ; C-2379/2013 du 14 décembre 2015 consid. 9.2 ; C-5235/2013 du 10 décembre 2015 consid. 8.3 in fine).

L'intégration socio-culturelle n'est donc en principe pas susceptible de justifier à elle seule l'octroi d'une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Néanmoins, cet aspect peut revêtir une importance dans la pesée générale des intérêts (cf. not. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-541/2015 du 5 octobre 2015 consid. 7.3 et 7.6 ; C-384/2013 du 15 juillet 2015 consid. 6.2 et 7 ; Actualité du droit des étrangers, 2016, vol. I, p. 10), les lettres de soutien, la participation à des associations locales ou l'engagement bénévole pouvant représenter des éléments en faveur d'une intégration réussie, voire remarquable (cf. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-74672014 du 19 février 2016 consid. 6.2.3 in fine ; C-2379/2013 du 14 décembre 2015 consid. 9.2 ; C-5235/2013 du 10 décembre 2015 consid. 8.3 in fine ; cf. aussi Actualité du droit des étrangers, 2016, vol. I, p. 10).

21.         Dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration (art. 96 al. 1 LEI).

22.         Lorsque les conditions légales pour se prévaloir d'un droit à l'autorisation de séjour ne sont pas remplies, les autorités ne jouissent pas d'un pouvoir d'appréciation dans le cadre duquel il y aurait lieu de procéder, conformément à cette disposition, à un examen de la proportionnalité. Admettre l'inverse aurait pour effet de déduire de l'art. 96 LEI un droit à l'obtention ou au renouvellement de l'autorisation, ce qui ne correspond pas à la lettre de cette disposition, qui prévoit uniquement que les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son intégration (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_30/2020 du 14 janvier 2020 consid. 3.2).

23.         L'octroi d'une autorisation de séjour dans un cas individuel d'une extrême gravité et l’octroi d’une autorisation de courte durée ou d’une autorisation de séjour en vue de préserver des intérêts publics majeurs sont soumis au SEM pour approbation (art. 99 LEI ; art. 85 al. 1 et 2 et 86 al. 5 OASA ; art. 5 let. d et e de l'ordonnance du DFJP relative aux autorisations soumises à la procédure d'approbation et aux décisions préalables dans le domaine du droit des étrangers du 13 août 2015 - RS 142.201.1).

24.         En l’espèce, après un examen circonstancié du dossier et des pièces versées à la procédure, il y a lieu de constater que l'OCPM n'a pas mésusé de son pouvoir d'appréciation en considérant que les recourants ne satisfaisaient pas aux conditions strictes requises pour la reconnaissance d'un cas de rigueur.

À titre liminaire, le tribunal relèvera que certaines allégations des recourants sont contredites par certaines pièces produites.

Le recourant allègue séjourner de manière continue à Genève depuis le 22 août 2019, mais il n’en a pas apporté la preuve. Si le document établi le 26 août 2019 par Unireso démontre sa présence en Suisse à cette date, il ne prouve pas la continuité du séjour qui ne peut être retenue à compter de cette date, en l’absence d’autres justificatifs. Dans l’hypothèse qui lui serait la plus favorable, il y a lieu de retenir qu’il séjourne en Suisse depuis le 7 janvier 2020, comme cela semble ressortir du relevé établi par F______ Sàrl. Il ne peut ainsi se prévaloir d’une longue durée de séjour en Suisse, ce d’autant qu’il a été effectué illégalement dans sa quasi-totalité et à la faveur d’une tolérance des autorités depuis le dépôt de la demande du 10 novembre 2023. Ce constat vaut a fortiori s’agissant de son épouse qui serait également arrivée en Suisse le 22 août 2019, sans que cela n’ait toutefois été démontré. L’acquisition d’un SwissPass à cette date ne suffit en effet pas à démontrer la continuité de son séjour depuis cette date, contrairement à ce que semble avoir admis l'autorité intimée. Il ressort au contraire du relevé établi par F______ Sàrl que la recourante se trouvait aux Philippines, à tout le moins jusqu’au 14 mars 2022, date à laquelle son époux a encore effectué un transfert d’argent en sa faveur. Dans ces circonstances, le contrat de travail daté du 1er décembre 2021 ne suffit pas non plus, en l’absence d’autres justificatifs, tels que des certificats ou des fiches de salaires, à prouver qu’elle séjourne en Suisse de manière continue depuis cette date. Dans l’hypothèse qui lui serait la plus favorable, il y aurait lieu de retenir un séjour en Suisse depuis le 6 janvier 2023, soit la date d’achat de son abonnement annuel Unireso.

Cela étant, la durée du séjour n’est qu’un critère parmi d’autres et le simple fait de séjourner en Suisse pendant de longues années, même légalement, ne permet pas d'admettre un cas personnel d'extrême gravité sans que n'existent d'autres circonstances tout à fait exceptionnelles qui font ici défaut.

Le recourant ne peut en effet pas se prévaloir d’une intégration socio-professionnelle exceptionnelle. L’emploi qu’il exerce dans le domaine de l’économie domestique ne témoigne pas d’une ascension professionnelle remarquable et il n’a pas acquis des qualifications spécifiques susceptibles de justifier l'admission d'un cas de rigueur au sens de l'art. 30 al. 1 let. b LEI. Il ne peut pas non plus se prévaloir d’un comportement irréprochable. Il a non seulement séjourné et travaillé illégalement en Suisse durant plusieurs années, ce qui est en soi déjà répréhensible (arrêts du Tribunal fédéral administratif F-989/2022 du 17 mai 2023 consid. 8.6 ; F- 5341/2020 du 7 février 2022 consid. 6.5), mais il a également fait venir son épouse, sans l'aval des autorités helvétiques. Or, il existe un intérêt public évident à éviter la politique du fait accompli et à ne pas discréditer gravement les conditions posées par la Suisse à l'admission et au séjour des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_634/2017 du 14 août 2018 consid. 3.8 et 2C_616/2012 du 1er avril 2013 consid. 1.4.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral du 18 novembre 2022 consid. 7.7).

Sur le plan social, il a certes appris le français (niveau A2), mais il ne ressort pas du dossier qu’il aurait noué avec la Suisse des liens dépassant en intensité ce qui peut être raisonnablement attendu d’un étranger ayant passé un nombre d'années équivalent dans le pays.

Les considérations qui précèdent valent a fortiori en ce qui concerne l’intégration socio-professionnelle de la recourante qui n’a pas justifié de son niveau de français.

De plus, les recourants sont nés aux Philippines où ils ont passé leur enfance et adolescence, soit les périodes cruciales pour l’intégration socio-culturelle, et la majeure partie de leur vie d’adulte. Ils ont donc nécessairement conservé de fortes attaches avec leur pays d’origine où vivent par ailleurs leur fille mineure et leurs mères respectives et très certainement d’autres membres de leur famille.

Quoi qu’il en soit, le fait de travailler pour ne pas dépendre de l'aide sociale, d'éviter de commettre des actes répréhensibles et de s'efforcer d'apprendre au moins la langue nationale parlée au lieu du domicile constitue un comportement ordinaire qui peut être attendu de tout étranger souhaitant obtenir la régularisation de ses conditions de séjour. Il ne s'agit pas là de circonstances exceptionnelles permettant à elles seules de retenir l'existence d'une intégration particulièrement marquée, susceptible de justifier la reconnaissance d'un cas de rigueur. Or, il ne ressort pas du dossier que les liens qu’ils ont pu se créer en Suisse dépasseraient en intensité ce qui peut être raisonnablement attendu d’étrangers ayant passé un nombre d'années équivalent dans le pays. Ils ne peuvent en tous cas pas se prévaloir d’une intégration sociale remarquable.

Ni l'âge des recourants, ni la durée de leur séjour sur le territoire, ni encore les inconvénients pratiques auxquels ils pourront éventuellement se heurter en cas de retour dans leur pays ne constituent des circonstances si singulières qu'il faille considérer qu'ils se trouveraient dans une situation de détresse personnelle devant justifier l'octroi d'une exception aux mesures de limitation. Une telle exception n'a pas pour but de soustraire des étrangers aux conditions de vie de leur pays d'origine, mais implique que ceux-ci se trouvent personnellement dans une situation si rigoureuse qu'on ne saurait exiger d'eux qu'ils tentent de se réadapter à leur existence passée, ce que les recourants n'ont pas établi en l'espèce. Après un temps d’adaptation, ils pourront vraisemblablement se réintégrer sans difficultés insurmontables dans leur patrie, leur expérience acquise en Suisse constituant un atout sur le plan professionnel. En tout état, celui qui place l'autorité devant le fait accompli doit s'attendre à ce que celle-ci se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit que d'éviter les inconvénients qui en découlent pour lui (cf. ATF 123 II 248 consid. 4a ; 111 Ibb 213 consid. 6b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_33/2014 du 18 septembre 2014 consid. 4.1 ; 1C_269/2013 du 10 décembre 2013 consid. 4.1 et les références citées).

Quant aux difficultés liées à la situation de la fille des recourants et à celle de leur famille aux Philippines, il convient de relever, sans nullement les minimiser, qu’elles ne sont d’aucune pertinence dans le cadre de la présente procédure, le cas d'extrême gravité devant être réalisé en la personne du requérant et non pas en la personne d'un tiers, quand bien même celui-ci dépend du requérant.

25.         Dans ces circonstances, l'OCPM n'a violé ni le droit conventionnel, ni le droit fédéral, ni encore excédé ou abusé de son pouvoir d'appréciation (art. 96 LEI) en refusant de délivrer les autorisations de séjour sollicitées.

26.         Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, les autorités compétentes rendent une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel une autorisation est refusée ou dont l'autorisation, bien que requise, est révoquée ou n'est pas prolongée après un séjour autorisé.

Le renvoi constitue la conséquence logique et inéluctable du rejet d'une demande tendant à la délivrance ou la prolongation d'une autorisation de séjour, l'autorité ne disposant à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation (ATA/631/2023 du 13 juin 2023 consid. 3.1).

27.         Les recourants n'obtenant pas d'autorisations de séjour, c'est à bon droit que l'autorité intimée a prononcé leur renvoi de Suisse.

28.         Au surplus, l’exécution de cette mesure paraît possible, licite et raisonnablement exigible (art. 83 al. 1 LEI), étant relevé que les « conseils aux voyageurs » du DFAE, dont font état les recourants pour s'opposer à leur renvoi, s'adressent aux ressortissants helvétiques en voyage et ne fournissent que de manière abstraite des renseignements sur les risques que peuvent encourir les ressortissants d’une région concernée. La situation décrite par le DFAE ne permet ainsi pas de conclure à une réintégration fortement compromise (arrêts 2C_677/2018 du 4 décembre 2018 consid. 5.2 ; 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.2 ; 2C_956/2013 du 11 avril 2014 consid. 3.3).

S’agissant enfin des risques de « séquestration et d’autres formes de criminalité économique » auxquels les recourants seraient exposés en raison de leur situation économique, ils pourront, cas échéant, demander la protection des autorités locales (cf. arrêt du Tribunal administratif fédéral C-6255/2013 du 13 mai 2015 consid. 7.2.3).

29.         Infondé, le recours sera rejeté et la décision contestée confirmée.

30.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais de même montant versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

31.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 25 mai 2024 par Monsieur B______ et Madame A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 22 avril 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière