Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/4028/2022

JTAPI/132/2024 du 15.02.2024 ( LCI ) , ADMIS

ATTAQUE

Descripteurs : DROIT DE RECOURS DES ASSOCIATIONS;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : LCI.145.al3; Cst..29.al2; LCI.106; LCI.32.al3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4028/2022 LCI

JTAPI/132/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 15 février 2024

 

dans la cause

 

A______, Mesdames et Messieurs B______ et C______, D______, E______, F______ et G______, représentés par Me Damien TOURNAIRE, avocat, avec élection de domicile

 

contre

 

Monsieur H______, I______ SA, J______ RL et K______ SA, représentés par Me François BELLANGER, avocat, avec élection de domicile

 

Monsieur L______ et Madame M______

N______ SA

COMMUNE D’O______

P______ SÀRL

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             J______ SÀRL et K______SA sont copropriétaires de la parcelle n° 1______ de la commune d’O______ (ci-après : la commune) depuis avril 2023 ; elle appartenait auparavant à Q______ SA.

2.             Elles sont aussi copropriétaires, avec I______SA, de la parcelle n° 2______ de la commune, laquelle présente une forte déclivité en direction du lac et se situe au centre du village, entre la Route d’______[GE] (en aval), la rue de l’______[GE] (en amont) et la rue ______[GE] (perpendiculaire aux deux voies précitées). Une villa individuelle, un garage ainsi que diverses annexes y sont érigés.

3.             Madame M______ et Monsieur L______, Monsieur H______, la commune, P______ SÀRL, N______SA sont copropriétaires de la parcelles n° 3______ de la commune.

4.             Ces trois parcelles, qui ont pour adresse route d’______[GE], sont situées en zone 4B protégée.

5.             Le 27 août 2019, par l’intermédiaire d’un bureau d’architectes, M. H______, J______ SÀRL et K______SA ont déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département) une demande d’autorisation de construire (DD 4______) portant sur la « construction de trois immeubles de logements avec bureaux - parking souterrain - sondes géothermiques - abattage d’arbres » sur les parcelles précitées.

6.             Parallèlement, une demande d’autorisation de démolir (M 5______) relative aux constructions présentes sur la parcelle n° 5______ a été déposée auprès du département.

7.             Dans le cadre de l’instruction de la demande DD 6______, qui a conduit à plusieurs modifications du projet (cinq versions au final), les préavis suivants ont notamment été délivrés :

-       le 1er octobre 2019, l’office de l’urbanisme (ci-après : OU, à l’époque direction de la planification directrice cantonale et régionale, SPI) a émis un préavis favorable, sans observations ;

-       le 15 octobre 2019, s’exprimant sur la première version du projet, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci‑après : CMNS) a requis sa modification.

En 2014, dans le cadre d’une consultation, la commune l’avait sollicitée pour préaviser quant aux possibilités de densification de la parcelle concernée. Ce dossier avait fait l’objet d’une longue mise au point, puis le développement de la parcelle avait fait l’objet d’une demande préalable (DP 7______) et d’une demande de démolition (M 8______).

En regard de ce contexte particulièrement sensible, l’examen du nouveau dossier déposé montrait que la densité du projet générait une morphologie inadaptée à l’échelle du tissu environnant et problématique par l’impact de sa volumétrie dans le site. Les objectifs du programme cadraient mal avec les caractéristiques du site et elle demandait ainsi de développer un projet modifié en tenant compte notamment de diverses remarques. Le projet tel que développé ne respectait pas les lois et règlements en vigueur et sa faisabilité était subordonnée à l’octroi d’une « dérogation 106 LCI ». Elle demandait un projet modifié qui s’inscrive intégralement dans le gabarit légal de construction. Il conviendrait de revoir le projet dans le sens d’une diminution générale du programme et de la volumétrie difficilement compatible avec les caractéristiques du site. Une solution plus respectueuse de la topographie existante devait être étudiée quant à la réalisation du sous-sol. Il convenait de reconsidérer l’accroche du bâtiment avec le terrain naturel, limiter au maximum l’emprise du sous-sol en profondeur, supprimer les espaces extérieurs encaissés, éviter la création de talus inadaptés au périmètre protégé et renoncer à la réalisation de l’ensemble des logements implantés sous le niveau du terrain naturel. En outre, l’ensemble du projet était réglé sur un niveau d’étage unique générant une hauteur de façade sur la route d’______[GE] trop importante (R+3+attique). La forte déclivité de la parcelle devait être prise en considération et le projet adapté au profil du terrain naturel en réalisant le ou les décrochements nécessaires. Afin de réduire l’impact du bâtiment dans la perspective de la route d’______[GE] et assurer le retrait nécessaire à la bonne intégration du projet dans le site, il fallait reculer la façade sur rue, aligner précisément le nu extérieur des balcons dans le prolongement du mur de soutènement formant un socle le long de la parcelle adjacente. L’interstice entre le futur bâtiment et les immeubles existants devait être réalisé par une articulation permettant de régler en hauteur et en profondeur la relation entre les volumes. II convenait donc de diminuer d’un étage la hauteur du volume de l’articulation, afin de supprimer le dépassement entrant en conflit avec la toiture en pente du bâtiment voisin ;

-       Le 11 mai 2020, se prononçant sur la deuxième version du projet, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) a requis sa modification.

Après analyse du dossier, les modifications apportées au projet ne répondaient pas aux directives émises par la CMNS dans son préavis du 15 septembre [recte : octobre] 2019. Le projet demeurait résolument problématique par l’impact de sa volumétrie dans le site protégé et la densité du programme générait une morphologie et un gabarit inadaptés à l’échelle du tissu bâti environnant. Il ne pouvait par conséquent que réitérer les termes du préavis de la CMNS et demander un projet modifié répondant notamment à diverses remarques. En particulier, tel qu’il était développé, le projet ne respectait toujours pas les lois et règlements en vigueur (gabarit théorique du bâtiment non respecté, distance à la limite de parcelle non respectée, vues droites non respectées) et sa faisabilité était subordonnée à l’octroi d’une « dérogation 106. LCI ». Il demandait ainsi un projet modifié s’inscrivant intégralement dans le gabarit légal de construction (pas de dérogation) ;

-       le 19 mai 2020, l’office cantonal de l’environnement, en plus particulièrement le service de géologie, sols et déchets (ci-après : GESDEC), s’est prononcé favorablement, sous conditions et avec souhaits ;

-       le 16 février 2021, la CMNS a requis la modification du projet. Elle avait pris connaissance de la troisième version du projet qui ne répondait que partiellement aux remarques de son premier préavis. Le projet demeurait problématique par l’impact de sa volumétrie dans le site et la densité du programme restait trop dense.

Dès lors, afin de faire évoluer le projet dans une voie positive, elle demandait un projet modifié, précisant d’ores et déjà qu’elle était favorable à l’octroi d’une dérogation selon l’art. 106 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) concernant uniquement les distances entre bâtiments projetés ; le gabarit théorique du bâtiment, les distances aux limites de parcelles et les vues droites devront être respectés (pas de tiers lésés). Elle a relevé que le nouveau bâtiment implanté perpendiculairement à la pente n’avait toujours pas été réduit dans sa longueur, comme demandé, mais simplement déplacé vers le haut de la parcelle. Afin d’assurer une bonne intégration dans le site et améliorer la relation des logements avec le domaine public et le tissu ancien présent sur le haut de la parcelle, elle demandait de réduire sensiblement la longueur du bâtiment, de reculer la façade et de rétablir précisément la distance initiale entre le projet et la rue de l’______[GE]. Elle rappelait que l’intérêt patrimonial de la zone protégée d’O______ résidait notamment dans la qualité de la relation que les bâtiments entretiennent avec les rues du village, notamment à travers leur cour ou leur jardinet et relevait que la configuration du projet, induisait toujours une modification importante du profil du terrain naturel. Si le projet modifié tendait à éviter les espaces extérieurs encaissés, elle réitérait sa demande de développer un projet respectueux de la topographie existante et de renoncer à la réalisation de l’ensemble des logements implantés sous le niveau du terrain naturel et de supprimer la création de hauts talus. Concernant la création d’un niveau de parking supplémentaire en sous-sol, elle pourrait admettre cette proposition à titre tout à fait exceptionnel, uniquement si elle contribuait à la réalisation de places de stationnement destinés au public et aux visiteurs de la commune. Par ailleurs il conviendrait de fournir un plan d’aménagement paysager détaillé, afin de pouvoir se prononcer de manière circonstanciée sur l’ensemble des propositions concernant les aménagements extérieurs : revêtements de sol, cheminements, arborisation, mobilier, éclairage extérieur, etc. Dans la zone 4B protégée, une mise en œuvre de matériaux traditionnels adaptés aux caractéristiques esthétiques des villages genevois était requise. L’ensemble des choix de teintes et de matériaux concernant le bâtiment et les aménagements extérieurs devrait être soumis au SMS pour approbation avant commande ;

-       le 25 février 2021, la commune a préavisé favorablement, appréciant l’attention apportée au rapport avec l’espace public et aux questions énergétiques et de développement durable. Ce préavis faisait suite à un premier préavis favorable du 17 octobre 2019, lequel mentionnait que le projet était conforme puisque les aménagements extérieurs correspondaient à ses souhaits émis dans le cadre de son plan directeur communal (ci-après : PDCom) ;

-       le 26 juillet 2021, le SMS a émis un préavis favorable, sous conditions. Après analyse des modifications apportées au projet (quatrième version), les solutions adoptées répondaient dans une large mesure aux directives émises par la CMNS. « [L]’octroi d’une dérogation selon l’article 106 LCI [avait] fait l’objet d’un avis favorable de la CMNS dans son préavis du 16 février 2021 (pas de tiers lésés ; distance entre bâtiments projetés sans entre liaison hormis socle selon préavis de la [direction des autorisations de construire
(ci-après : DAC)]) » et il n’avait plus d’objection quant au principe de l’intervention sous réserve des conditions, qu’il détaillait, concernant l’exécution ;

-       le 28 janvier 2022, la DAC, qui a émis un préavis pour chacune des versions du projet, s’est prononcée favorablement, sous conditions et avec dérogations de l’art. 106 LCI concernant la distance entre bâtiments et les jours croisés en attique. Elle a relevé que les distances limite de parcelles, vues droites, pente de toiture, vide d’étage étaient respectés. Elle ne s’est pas prononcée sur le respect ou non du gabarit théorique du bâtiment.

Dans son premier préavis du 16 septembre 2019, elle s’était prononcée de manière favorable quant à l’octroi d’une dérogation selon l’art. 106 LCI quant au gabarit théorique du bâtiment, non respecté, et avait requis la production de pièces complémentaires. Dans son second préavis du 21 avril 2020, elle avait noté que le gabarit théorique du bâtiment n’était pas respecté mais n’avait pas préavisé favorablement à une dérogation pour ce motif et avait requis que l’accord du propriétaire de la parcelle n° 9______ concernant le projet soit produit. Dans son troisième préavis du 12 janvier 2021, elle ne s’était pas prononcée sur le respect ou non du gabarit théorique du bâtiment, préavisant favorablement à une dérogation selon l’art. 106 LCI pour la distance entre bâtiments. Dans son quatrième préavis du 1er juillet 2021, elle ne s’était pas non plus prononcée sur le respect ou non du gabarit théorique du bâtiment, préavisant favorablement à une dérogation selon l’art. 106 LCI concernant la distance entre bâtiments et les jours croisés en attique ;

-       le 22 février 2022, l’office cantonal des transports (ci-après : OCT) a émis un préavis favorable, sous conditions et avec souhaits, rappelant que son préavis était conditionné aux engagements pris par la commune de mettre en œuvre une discussion avec l’office cantonal du génie civil (ci-après : OCGC) et lui-même en faveur du réaménagement de l’espace public cantonal et privé communal le long de la route d’______[GE] à proximité du projet et à la mise à disposition de trente-six places de stationnement pour automobiles, actuellement situées en surface, dans le parking souterrain à réaliser. Ce préavis faisait suite à des préavis des 1er mars et 17 août 2021 demandant la modification du projet et des pièces complémentaires.

8.             Par décisions du 17 octobre 2022, considérant que l’ensemble des préavis rendus était favorables, avec ou sans réserve au projet, le département a délivré l’autorisation de construire sollicitée ainsi que l’autorisation de démolir liée à cette dernière, lesquelles ont été publiées le même jour dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO).

En son point 5, la décision d’autorisation de construire stipulait que les conditions figurant dans les préavis de la police du feu du 6 juillet 2022, de l’office cantonal de l’eau du 5 juillet 2022, du service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants du 3 mars 2022, de la DAC du 28 janvier 2022, de l’OCT du 22 février 2022, de l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) du 8 février 2022, du SMS du 26 juillet 2021, des services industriels genevois du 8 juin 2020, de l’OCGC du 28 mai 2020, du GESDEC du 19 mai 2020, de l’office cantonal de l’énergie du 14 octobre 2019, de la direction de la mensuration officielle du 18 septembre 2019, de l’office cantonal de la protection de la population et des affaires militaires du 5 septembre 2022 et du préavis liant de l’OCAN du 29 septembre 2022 relatif à l’abattage d’arbres.

9.             Par acte du 16 novembre 2022, A______ (ci-après : l’Association) et Mesdames et Messieurs B______ et C______, D______, E______, F______ et G______ (ci-après : les consorts), sous la plume d’un conseil, ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de ces deux décisions, concluant, sous suite de frais et dépens, à leur annulation, subsidiairement au renvoi de la cause au département pour instruction. Préalablement, un transport sur place devait être ordonné.

Les consorts étaient copropriétaires des parcelles nos10______, 11______ et 12______ de la commune, ayant pour adresses rue ______[GE], rue de l’______[GE], et se trouvant à proximité directe de la parcelle n° 2______. En tant que copropriétaires de parcelles adjacentes ou situées à proximité directe de la parcelle n° 2______, dont ils étaient par ailleurs voisins, ils avaient qualité pour recourir. Il en allait de même de l’Association, fondée en 2004 et à but non lucratif, dont le but social était la maîtrise du développement du village d’O______, notamment par le suivi des projets de construction importants sur la commune, le suivi du respect des projets de construction d’une architecture en harmonie avec le caractère villageois.

Ils rappelaient la situation de la parcelle n° 2______ et la stratégie retenue par la municipalité concernant l’évolution du village d’O______, selon le PDCom 16______ et le rapport final du PDCom 17______ en cours d’adoption.

Au fond, le département avait abusé de son pouvoir d’appréciation en s’écartant sans motif des préavis émis par la CMNS et la DAC. En effet, aucun des préavis rendus par la CMNS n’était favorable au projet. Si elle avait énoncé, dans son préavis du 16 février 2021, qu’elle serait favorable à l’octroi d’une dérogation selon l’art. 106 LCI, celle-ci portait exclusivement sur la distance entre les bâtiments. Or, la DD 4______ accordait explicitement une seconde dérogation concernant les jours croisés en attique. De plus, la CMNS conditionnait la dérogation à de nombreuses modifications du projet au sujet desquelles elle n’avait toutefois plus été consultée, respectivement qui n’avaient pas été réalisées. Ainsi, non seulement la CMNS n’avait pas favorablement préavisé le projet, mais encore elle ne s’était pas prononcée sur la DD 4______ autorisant une version n° 5 du projet. Le préavis du SMS du 26 juillet 2021 n’était à cet égard d’aucun secours, la compétence de la CMNS en la matière ne pouvant être déléguée. Le préavis du SMS était au demeurant basé sur une fausse appréciation des faits puisqu’il partait du principe que la CMNS avait préavisé favorablement la dérogation selon l’art. 106 LCI. La commune n’avait pas plus favorablement préavisé la dérogation selon
l’art. 106 LCI, ses préavis portant exclusivement sur les aménagements extérieurs, la relation avec l’espace public et le développement durable. Quant au département, il n’avait pas motivé le fondement des dérogations accordées selon l’art. 106 LCI. Or, il était manifeste que les immeubles autorisés ne s’inscrivaient pas dans une démarche de sauvegarde du caractère villageois au vu du traitement des droits à bâtir, des vides d’étages, des attiques, des gabarits, des emplacements et orientations choisis. À cet égard, le projet était contraire à la loi en ce sens que sa hauteur excédait le gabarit maximal autorisé en 4ème zone et que son implantation était contraire à la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10). Ils s’étonnaient pour le surplus des vides d’étages du bâtiment principal et relevaient plusieurs problèmes s’agissant de l’accessibilité des constructions et installations. La DD 4______ laissait par ailleurs l’impression d’avoir traité la problématique de l’excavation liée au chantier comme si on se trouvait dans une zone de développement dont la seule vocation était d’absorber la pénurie de logements par une densification maximum, alors que la zone 4B nécessitait une attention particulière, sauf à voir son patrimoine bâti gravement endommagé. Le département avait enfin fait un mauvais usage de son pouvoir d’appréciation en ne subordonnant pas l’octroi de l’autorisation de démolir M 5______ à celui d’une autorisation de construire, contrairement à la condition clairement formulée de la CMNS.

Ils ont joint un chargé de pièces, dont les statuts de l’Association.

10.         Le 5 décembre 2022, à la demande du tribunal, les recourants ont notamment transmis la liste des membres de l’Association, ses rapports d’activité 2020 et 2021, le procès-verbal de l’assemblée générale du 27 février 2020 ainsi que celui du comité du 6 novembre 2022.

11.         Invités à se déterminer sur le recours par le tribunal en date du 7 décembre 2022, Q______ SA, M. et Mme M______, la commune, P______ SÀRL et N______SA n’ont pas donné suite.

12.         Dans leurs observations du 6 février 2023, M. H______, I______SA, J______ SÀRL et K______SA, sous la plume d’un conseil, ont conclu au rejet du recours sous suite de frais et dépens, s’en rapportant à l’appréciation du tribunal quant à la recevabilité de ce dernier.

Les griefs de violation des art. 14, 49, 61, 106, 109 LCI et 11 LRoutes étaient infondés et la mesure d’instruction requise inutile.

En substance, en lien avec l’art. 106 LCI, la CMNS avait été consultée, directement ou par délégation au SMS de l’office du patrimoine et du site (ci-après : OPS), comme le prévoyait l’art. 47 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), à quatre reprises. L’ensemble des préavis rendus était particulièrement motivé et chaque nouveau préavis se référait au précédent, ce qui démontrait que tous les enjeux avaient bien été pris en compte. Ils étaient au demeurant tous rédigés par la même personne, soit Madame R______ qui avait siégé auprès de la CMNS et était également chargée du suivi de la procédure pour le SMS, et il n’y avait aucune modification majeure du projet entre la version examinée par le SMS (quatrième version) et celle des plans autorisés et signés ne varietur. Enfin le dernier préavis du SMS, par délégation de la CMNS, était favorable au projet sous conditions et faisait partie intégrante de l’autorisation querellée. Quant à la commune, elle s’était prononcée favorablement à deux reprises sur le projet. Dès lors que ses préavis reposaient sur les plans soumis, ils comportaient, au moins implicitement, son accord à la dérogation de l’art. 106 LCI. Le tribunal pourrait, au besoin, l’interpeller à ce sujet. Cette dérogation permettait pour le surplus de déroger au gabarit de l’art. 61 LCI.

Les recourants erraient en soutenant que le département n’avait pas motivé sa dérogation, respectivement qu’elle ne pouvait pas être accordée, ne visant pas à sauvegarder le caractère du village. Ils renvoyaient au préavis du 26 juillet 2021 du SMS, tout en relevant que les recourants ne démontraient pas de quelle manière ils seraient atteints spécialement, ni leur intérêt pratique à l’admission de ce dernier grief. En particulier, le fait que certaines pièces ne seraient pas habitables ou difficilement accessibles (art. 109 LCI), que les vides d’étages seraient inférieurs à la norme (art. 49 LCI), que le bâtiment serait particulièrement exposé au bruit de la route ou encore que de nombreux appartements seraient orientés au nord, réduisant leur confort, relevait exclusivement de l’aménagement intérieur des constructions, respectivement du bien-être des futurs locataires, de sorte qu’ils ne seraient nullement touchés. Ces aspects avaient en tout état été dûment examinés par les instances de préavis. Ni le bâtiment projeté ni la parcelle ne se trouvaient pour le surplus dans la zone de protection des rives du Lac. Les recourants ne faisaient enfin que substituer leur appréciation à celle des instances spécialisées s’agissant des différents arguments esthétiques, notamment la toiture, la hauteur du bâtiment ou des garde-corps des balcons. De fait, la toiture du bâtiment projeté en limite de propriété était alignée sur celle des bâtiments contigus existants. Le faîte de la toiture du bâtiment projeté au centre de la parcelle était également à la même altitude que celui des bâtiments précités, soit 417,60 m. Les bâtiments projetés s’inscrivaient ainsi parfaitement dans la continuité des bâtiments existants et contigus, dont ils respectaient la hauteur. Au surplus, l’esthétique des toitures dans la zone était très hétéroclite, nombre de toitures (dont celle de Mmes et MM. D______, F______ et G______) étaient perpendiculaires aux rives du lac ; des toits plats ou de formes et couleurs différentes, ainsi celle des époux B______ et C______, étaient également visibles.

Concernant l’art. 11 LRoutes, le département pouvait, après consultation de la commune, déroger aux distances prescrites à l’alinéa 2 si les conditions locales faisaient apparaître que l’interdiction de construire qui en découlait ne reposait sur aucun motif pertinent d’aménagement du territoire ou d’environnement
(al. 3 LRoutes). Or, en l’occurrence, tant l’OCT, que la commune et l’OCGC s’étaient prononcés favorablement sur le projet, considérant, en d’autres termes, qu’il n’entravait aucunement le réaménagement futur de cette section de la route d’______[GE], ni la route de l’______[GE]. Ainsi, même si le projet contreviendrait à l’art. 11 LRoutes, il faudrait considérer qu’une dérogation avait été accordée au sens de son aliéna 3. On ne voyait d’ailleurs pas - et les recourants ne l’expliquaient pas - quel inconvénient engendrerait cette dérogation.

Les recourants ne pouvaient se plaindre d’une éventuelle violation de l’art. 49 LCI, ne pouvant se prévaloir d’un intérêt pratique à l’admission d’un grief concernant la question du vide d’étage. En tout état, ce grief était infondé. Il en allait de même pour l’art. 109 LCI, relatif à l’accès des constructions aux personnes à mobilité réduite.

Enfin, l’art. 14 LCI ne visait pas au premier chef à protéger l’intérêt des voisins et n’avait pas pour but d’empêcher toute construction dans une zone à bâtir qui aurait des effets sur leur situation ou bien-être. En outre, la législation genevoise en matière de police des constructions avait pour seul but d’assurer la conformité des projets présentés aux prescriptions en matière de constructions, la question de la sécurité des chantiers étant réglée dans le règlement sur les chantiers du 30 juillet 1958 (RChant - L 5 05.03). Cela étant, les recourants ne faisaient que formuler des allégations générales sur le risque d’une atteinte à la nappe phréatique ou aux bâtiments voisins, sans apporter un quelconque début de preuve ou démontrer leur grief d’une quelconque manière. Ils renvoyaient dès lors au préavis favorable sous conditions et avec souhaits du GESDEC, au RChant et au droit privé. Il n’y avait enfin pas de dérogation au sens de l’art. 26 al. 1 LaLAT en l’espèce, le projet portant sur l’édification de deux petits immeubles de logements conforme à la 4ème zone (art. 19 al. 2 LaLAT), comme le démontrait le préavis favorable sans observations de l’OU.

Ils ont joint un chargé de pièces.

13.         Le même jour, le département a transmis son dossier ainsi que ses observations, concluant au rejet du recours sous suite de frais et dépens. Il s’en rapportait à justice s’agissant de sa recevabilité. La mesure d’instruction sollicitée n’avait pas lieu d’être, le dossier, les écritures et pièces fournies permettant au tribunal de statuer.

À titre liminaire et contrairement à ce qu’affirmaient les recourants, la parcelle n° 9______ n’était pas située dans le périmètre de protection des rives du lac, de sorte que la loi sur la protection générale des rives du lac du 4 décembre 1992
(LPRLac - L 4 10) n’était pas applicable.

Pour le surplus, en lien avec l’art. 106 LCI, il ressortait de l’art. 47 al. 1 LPMNS que la CMNS pouvait, lorsqu’elle était amenée à devoir se prononcer sur un objet de sa compétence, le faire en principe une seule fois sur chaque demande d’autorisation, les éventuels préavis complémentaires étant donnés par l’OPS par délégation. Or, en date du 26 juillet 2021, le SMS avait affirmé que les solutions adoptées répondaient « dans une large mesure » aux directives émises par la CMNS, ce qui l’avait amené à préaviser favorablement ce dossier avec la mise en œuvre de la dérogation de l’art. 106 LCI.

La commune avait toujours soutenu le projet, sans émettre aucune réserve, ce qui permettait très clairement de considérer qu’elle n’était pas opposée à l’application de l’art. 106 LCI. Du point de vue de la motivation de la dérogation accordée, il suffisait enfin que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause, ce qui était manifestement le cas en l’espèce. Les préavis rendus permettaient en tout état également de comprendre la manière dont l’art. 106 LCI avait été appréhendé. Les recourants ne faisaient pour leur part que substituer leur appréciation à celle des autorités composées de spécialistes.

Les griefs relatifs aux gabarits, à l’implantation du bâtiment et aux vides d’étages, si tant était qu’ils soient recevables, tombaient à faux. L’art. 30 al. 3 LCI réservait en effet expressément l’application de l’art. 106 LCI. Si la hauteur de la ligne verticale du gabarit avait ainsi été dépassée, c’était parce que, sur la base des préavis rendus par la CMNS, le SMS et la commune, il avait été considéré qu’une dérogation pouvait être accordée. Il pouvait au surplus, après consultation de la commune et à certaines conditions, être dérogé aux distances prescrites à l’art. 11 al. 1 LRoutes. Or, en l’occurrence, non seulement l’OCGC, l’OCT et la commune avaient préavisé favorablement le projet, mais ce dernier permettrait le déplacement de trente-six places de stationnement pour automobiles situées en surface et d’entamer des discussions en vue « du réaménagement de l’espace public cantonal et privé communal le long de la route d’______[GE] à proximité du projet ». Il apparaissait ainsi clairement qu’aucune contraire urbanistique ou environnementale ne s’opposait à ce que cette distance légale ne soit pas mise en œuvre dans le cadre de la présente demande. De même, l’art. 49 al. 5 LCI permettait de réduire le vide d’étage jusqu’à 2,40 m aux fins de construction de logements, lorsqu’il en résultait un avantage prépondérant pour la construction et que le caractère architectural d’une rue n’en était pas affecté, notamment par une rupture de l’harmonie d’une série de bâtiments contigus. En l’espèce, la problématique des vides des étages avait été attentivement prise en considération et, sur la base des préavis rendus, il avait été considéré que ceux-ci permettaient un gabarit offrant une belle intégration plus particulièrement au niveau des façades avec l’environnement bâti existant, notamment pour ce qui concernait les immeubles directement voisins, situés sur les parcelles nos 13______, 14______ et 15______. S’agissant de l’accessibilité des constructions et installations, la DAC avait veillé à ce que l’art. 109 LCI soit respecté, ce qui ressortait nettement des préavis rendus. Les recourants ne démontraient pas que tel ne serait pas le cas, si tant était qu’ils disposaient d’un intérêt digne de protection pour se prévaloir de ce grief.

Invoquant l’art. 14 LCI, ils faisaient enfin valoir de manière très générale que l’excavation nécessaire pour réaliser le projet autorisé provoquerait d’importants mouvements de terrains, préjudiciables à l’environnement bâti existant et plus particulièrement aux constructions présentant un intérêt patrimonial important. Or, cette disposition n’avait pas pour but d’empêcher toute construction dans une zone à bâtir qui aurait des effets sur la situation ou le bien-être des voisins et, en principe, la construction d’un bâtiment conforme aux normes ordinaires applicables au régime de la zone ne pouvait être source d’inconvénients graves. Le problème devait être examiné par rapport aux caractéristiques du quartier ou des rues en cause. Il n’avait ainsi à examiner que le respect des dispositions en relation avec le droit de la construction, les aspects liés, par exemple, à la stabilité d’un terrain ou à la réalisation, conformément aux normes applicables, d’une construction ou d’une installation ne relevant pas de sa compétence et aucune disposition légale ne mettant cette responsabilité à sa charge. Quant à la production de calcul statique, en application de l’art. 13 al. 4 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01), le Tribunal fédéral avait précisé qu’il ne pouvait ressortir de cette disposition une quelconque obligation d’agir opposable aux autorités cantonales. Les problématiques de stabilité du terrain et des constructions avoisinantes relevaient dès lors du droit privé et ne sauraient remettre en cause la licéité de l’autorisation de construire délivrée. En tout état, à aucun moment il n’était fait la démonstration de ce qui était allégué alors que le GESDEC avait, de son côté, préavisé favorablement le projet.

Les recourants ne faisaient enfin valoir aucun grief lié à l’autorisation de démolir, si ce n’était celui en relation avec l’autorisation de construire, laquelle devait être, contrairement à ce qu’ils affirmaient, confirmée.

14.         Par réplique du 2 mars 2023, les recourants ont persisté dans leurs motifs, conclusions et requête de mesure d’instruction, relevant que le recours avait été interjeté en temps utile et motivant leur qualité pour recourir. Le transport sur place permettrait au tribunal de constater la proximité entre les habitations des recourants et les bâtiments projetés ainsi que l’atteinte à l’harmonie architecturale de la zone protégée du village d’O______ que causerait leur construction.

Au fond, ils admettaient que la parcelle n° 2______ n’était pas située dans la zone de protection des rives du lac. L’irrecevabilité de certains griefs ne pouvait être soulevée, le tribunal appliquant le droit d’office. Contrairement aux allégués des intimés, le SMS n’avait pas compétence pour émettre le préavis du 26 juillet 2021, subsidiairement, la compétence nécessaire ne lui avait pas été déléguée par la CMNS. En tout état, il aurait manifestement mésusé du pouvoir d’appréciation et de la latitude de jugement que lui aurait délégués la CMNS, au vu de son préavis défavorable du 16 février 2021. En effet, les modifications essentielles y requises n’avaient tout simplement pas été apportées au projet. Ainsi, les bâtiments projetés n’avaient pas été sensiblement réduits dans leur longueur, leur assiette n’avait pas été modifiée, il n’avait pas été renoncé à la création des logements en dessous du niveau du sol et, outre la distance dérogatoire entre les bâtiments projetés, ceux-ci dérogeaient aux normes relatives à la hauteur des gabarits, aux vides d’étage, aux jours croisés, à la LRoutes et à l’accessibilité des bâtiments.

Ils persistaient à soutenir que les dérogations accordées en vertu de l’art. 106 LCI, non motivées et injustifiables, ne contribuaient en aucun cas à sauvegarder le caractère architectural du village d’O______, ce que le tribunal pourrait constater en se référant à la modélisation 3D des bâtiments projetés qu’ils versaient à la procédure.

Aucune des conditions impératives à l’octroi d’une dérogation à teneur de
l’art. 11 al. 1 let. a ou b LCI n’était satisfaite et les gabarits des bâtiments projetés consacraient une violation de l’art. 32 LCI.

L’autorisation DD 4______ violait enfin les art. 11 al. 2 LRoutes, 49 al. 1 et 109 LCI. La dérogation selon l’art. 11 al. 3 LRoutes n’était en effet mentionnée ni dans l’autorisation ni dans les préavis, pas plus d’ailleurs que celles aux art. 49 al. 1 (vides d’étage) et 109 LCI (accessibilité des constructions). Qualifier a posteriori ces violations de la loi de dérogations implicites ne guérissait pas les vices juridiques dont l’autorisation était affectée.

15.         Dans leur duplique du 24 mars 2023, M. H______, I______SA, J______ SÀRL et K______SA, sous la plume de leur conseil, ont persisté dans leurs développements et conclusions, relevant encore, en substance, que les recourants n’étaient pas libres d’invoquer n’importe quel grief et que si la juridiction administrative arrivait à la conclusion que l’administré ne disposait pas d’un avantage pratique à le soulever, les règles de procédure imposaient à celle-ci de ne pas entrer en matière ct de le déclarer irrecevable. Ainsi avaient été déclarés irrecevables des griefs de voisins relatifs à l’aménagement intérieur de projets. De même, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) avait expressément précisé que l’art. 106 LCI donnait au département la faculté de s’écarter des normes prévues aux art. 32 à 34 et 48 LCI qui n’avaient alors plus de portée propre. Quant aux prétendues autres violations à la loi (art. 49, 109 LCI et 11 LRoutes), les griefs y relatifs étaient infondés respectivement irrecevables. Le transport sur place n’apparaissait enfin ni nécessaire ni même utile.

16.         Par duplique du 27 mars 2023, le département a persisté dans ses conclusions.

17.         Par écritures spontanées du 27 avril 2023, les recourants ont persisté dans leurs griefs et demande de transport sur place, soulignant encore qu’il ne pouvait être sérieusement allégué que les dérogations auraient pour but d’intégrer les bâtiments projetés à ceux, massifs, réalisés sur les parcelles nos 13______ à 15______, suite à la construction desquels la zone protégée avait été adoptée le ______ 1962. C’était d’autant plus vrai que le bâtiment projeté contigu à celui érigé sur la parcelle n° 8______ n’aurait ni la même altitude ni une toiture de pente identique. Ils rappelaient enfin l’une des caractéristiques de la zone protégée du village d’O______, à savoir l’aspect « en escalier » des toitures qui, calquées sur la topographie naturelle, présentaient des altitudes inférieures à celles des constructions en amont. Or, les bâtiments projetés rompraient cette harmonie lorsqu’on les contemplerait depuis la Rue ______[GE] et la route ______[GE]. Le décrochement des toitures briserait l’harmonie du tissu architectural, ce qui n’avait pas échappé à la CMNS.

Ils ont joint un chargé de pièces complémentaires, dont un cliché daté d’août 2013 des bâtiments érigés sur les parcelles n° 13______ à 14______, route d’______[GE], et une copie de la loi modifiant les limites de zones de construction sur le territoire de la commune du 6 avril 1962.

18.         Le 8 mai 2023, M. H______, I______SA, J______ SÀRL et K______SA, sous la plume de leur conseil, se sont déterminés sur ces écritures le 8 mai 2023.

19.         Le 26 mai 2023, les recourants, sous la plume de leur conseil, ont encore relevé que les écritures précitées n’apportaient aucun élément nouveau et considérer que la cause était dès lors en état d’être jugée.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             La recevabilité du recours suppose également que son auteur dispose de la qualité pour recourir.

4.             La qualité pour recourir est reconnue à toute personne atteinte par la décision attaquée et qui dispose d’un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (art. 60 let. b LPA).

Le recourant doit se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d’être prise en considération avec l’objet de la contestation et retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision en cause, qui permette d’admettre qu’il est touché dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général, de manière à exclure l’action populaire. Cet intérêt digne de protection ne doit pas nécessairement être de nature juridique, un intérêt de fait étant suffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 143 II 506 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1). Un recours dont le seul but est de garantir l’application correcte du droit demeure irrecevable, parce qu’assimilable à l’action populaire (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/ 2023 du 14 juin 2023 consid. 6.3 ; ATA/665/2023 du 20 juin 2023 consid. 5.3).

En matière de droit des constructions, le voisin direct de la construction ou de l’installation litigieuse a en principe la qualité pour recourir (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_164/2019 du 20 janvier 2021 consid. 1).

La proximité avec l’objet du litige ne suffit cependant pas à elle seule à conférer au voisin la qualité pour recourir contre la délivrance d’une autorisation de construire. Les tiers doivent en outre retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision contestée, qui permette d’admettre qu’ils sont touchés dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général des autres habitants de la collectivité concernée (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_727/2016 du 17 juillet 2017 consid. 4.2.3 ; ATA/17/2023 du 10 janvier 2023 consid. 11b). Le recourant doit rendre vraisemblables les nuisances qu’il allègue et sur la réalisation desquelles il fonde une relation spéciale et étroite avec l’objet de la contestation (cf. ATF 125 I 173 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_469/ 2014 du 24 avril 2015 consid. 2.2 ; 1C_453/2014 du 23 février 2015 consid. 4.2 et 4.3).

5.             Une association a qualité pour recourir à titre personnel lorsqu’elle remplit les conditions usuelles pour que celle-ci soit admise, à savoir lorsqu’elle est touchée dans ses (propres) intérêts dignes de protection, étant rappelé que, de même que pour de simples particuliers, il ne lui est pas possible de recourir pour des motifs d’intérêt général, alors même que, selon ses statuts, elle aurait un but idéal (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 2011, ch. 5.7.2.4 p. 750). En outre, sans être elle-même touchée par la décision entreprise, elle peut être admise à agir par le biais d’un recours - nommé alors recours corporatif ou égoïste - pour autant qu’elle ait pour but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d’entre eux et, enfin, que chacun de ceux-ci ait qualité pour s’en prévaloir à titre individuel. Ces conditions doivent être remplies cumulativement ; elles doivent exclure tout recours populaire. Celui qui ne fait pas valoir ses intérêts propres, mais uniquement l’intérêt général ou l’intérêt public, n’est pas autorisé à recourir. Par conséquent, le droit de recours n’appartient pas à toute association qui s’occupe, d’une manière générale, du domaine considéré. Il doit au contraire exister un lien étroit et direct entre le but statutaire de l’association et le domaine dans lequel la décision litigieuse a été prise. En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l’un de ses membres ou pour une minorité d’entre eux (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; 142 II 80 consid. 1.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_749/2021 du 16 mars 2022 consid. 1.2.1 ; ATA/1077/2023 du 3 octobre 2023 consid. 3.3).

La possibilité d’un recours corporatif répond avant tout à un objectif d’économie et de simplification de la procédure, dès lors qu’il est plus rationnel d’accueillir un recours lorsque celui-ci remplace un recours formé individuellement par de multiples parties. Il est vrai que cette solution tend également, dans une certaine mesure, à rétablir un certain équilibre dans l’accès à la justice, en faveur de parties qui, prises individuellement, craindraient une telle démarche. Ces objectifs ne sauraient toutefois être invoqués pour suppléer au défaut des conditions requises de recevabilité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_91/2015 du 16 décembre 2015 consid. 6.4.2 ; ATA/986/2018 du 25 septembre 2018 consid. 3b).

6.             Selon l’art. 60 al. 1 let. e LPA, ont aussi qualité pour recourir les autorités, personnes et organisations auxquelles la loi reconnaît le droit de recourir.

7.             En particulier, l’art. 145 al. 3 LCI prévoit que les associations d’importance cantonale ou actives depuis plus de trois ans, qui, aux termes de leurs statuts, se vouent par pur idéal à l’étude de questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environnement ou à la protection des monuments, de la nature ou des sites, ont qualité pour recourir. Il s’agit des personnes morales dont les buts en matière d’aménagement du territoire, de protection de l’environnement ou de protection des monuments, de la nature ou des sites atteignent un certain degré de généralité en relation avec le canton de Genève, respectivement ne se limitent matériellement pas à la préservation d’un seul objet (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_38/2015 du 13 mai 2015 consid. 4.3). La qualité pour recourir se détermine précisément, selon cette disposition, sur la base d’un examen des buts statuaires de l’association concernée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_382/2020 du 16 novembre 2020 consid. 5 ; 1C_38/2015 du 13 mai 2015 consid. 4.3 ; ATA/85/2022 du 1er février 2022 consid. 5g).

8.             La jurisprudence tant fédérale que cantonale a précisé qu’une association dont les statuts poursuivent la défense des intérêts de ses membres sans se vouer exclusivement à l’étude, par pur idéal, de questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environnement ou à la protection des monuments et des sites ne peut revendiquer le bénéfice de la qualité pour recourir prévue à l’art. 145 al. 3 LCI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_382/2020 du 16 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1062/2023 du 26 septembre 2023 consid. 2.2.2).

9.             La qualité pour agir d’une association ne saurait être appréciée une fois pour toutes. Il convient notamment de vérifier, périodiquement au moins, si les conditions d’existence des associations sont réalisées, si les buts statutaires sont en rapport avec la cause litigieuse et si la décision d’ester en justice a bien été prise par l’organe compétent (ATA/1062/2023 du 26 septembre 2023 consid. 2.3).

10.         En l’espèce, s’agissant tout d’abord des consorts, ils sont voisins et copropriétaires de parcelles adjacentes ou situées à proximité directe de la parcelle n° 2______. Ils se prévalent par ailleurs de dispositions de droit public des constructions susceptibles d’avoir une incidence concrète sur leur situation de fait, en particulier l’art. 106 LCI. Ils ont donc un intérêt personnel digne de protection à ce que la décision entreprise soit annulée. Partant, leur qualité pour recourir contre l’autorisation de construire doit être admise.

Il en va de même de l’Association, constituée en 2004, dont le but social est la maîtrise du développement du village d’O______, notamment par le suivi des projets de construction importants sur la commune, le suivi du respect des projets de construction d’une architecture en harmonie avec le caractère villageois. Au terme de l’art. 2 de ses statuts, celle-ci se donne la mission de veiller à la maîtrise du développement du village d’O______, de ses hameaux et de l’ensemble du territoire communal. Il s’ensuit que la qualité pour recourir contre l’autorisation de construire doit lui être reconnue au sens de l’art. 145 al. 3 LCI précité, comme l’avait d’ailleurs déjà reconnu le tribunal par jugement du ______ 2016 (JTAPI/18______ consid. 3 et ss) s’agissant d’un recours contre une autorisation de construire un bâtiment avec neuf logements et la pose de panneaux solaires en toitures, rue de l’______[GE].

En revanche, le tribunal considère que les recourants ne disposent pas de la qualité pour recourir à l’encontre de l’autorisation de démolir. On voit en effet mal quel avantage de fait ou de droit leur procurerait le maintien des bâtiments dont l’autorisation prévoit la démolition, respectivement, on peine à imaginer quel préjudice ils subiraient du fait de leur disparition. Certes, les travaux de démolition entraîneront selon toute vraisemblance des nuisances en matière de bruit et de poussière, mais celles-ci seront limitées dans le temps et ne sauraient à elles seules fonder un intérêt pratique à recourir, ce que les recourants ne prétendent du reste pas. Au contraire, bien que leur recours soit dirigé contre les deux décisions du département, ils ne font état de griefs qu’en rapport avec l’autorisation de construire.

En conséquence, les recourants ne pouvant retirer d’avantage pratique et concret de l’annulation de l’autorisation de démolir, la qualité pour recourir doit leur être déniée. Le recours contre l’autorisation de démolir M 5_____ sera déclaré irrecevable.

11.         Les recourants concluent préalablement à la tenue d’un transport sur place afin que le tribunal puisse constater la proximité entre les habitations des consorts et les bâtiments projetés ainsi que l’atteinte à l’harmonie architecturale de la zone protégée du village d’O______ que causerait la construction du projet litigieux.

12.         Le droit d’être entendu, garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit, pour l’intéressé, de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 149 I 91 consid. 3.2 ; 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3).

Ce droit ne s’étend toutefois qu’aux éléments pertinents pour décider de l’issue du litige et le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_159/2020 du 5 octobre 2020 consid. 2.2.1).

Ces principes s’appliquent notamment à la tenue d’une inspection locale en l’absence d’une disposition cantonale qui imposerait une telle mesure d’instruction, étant précisé qu’une telle disposition n’existe pas en droit genevois (ATF 120 Ib 224 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_243/2013 du 27 septembre 2013 consid. 3.2.1 ; ATA/285/2021 du 2 mars 2021 consid. 2b).

13.         En l’espèce, le tribunal estime que le dossier contient les éléments nécessaires et suffisants à l’examen des griefs et arguments mis en avant par les parties. Les reportages photographiques ainsi que les informations et les outils disponibles sur le SITG permettent en particulier de visualiser la parcelle ainsi que les éléments litigieux. Le transport sur place sollicité aurait pour objet ces mêmes éléments d’appréciation, de sorte que cette mesure d’instruction, en soi non-obligatoire, ne fournirait pas d’informations pertinentes supplémentaires. Partant, le tribunal disposant des éléments nécessaires pour statuer en toute connaissance de cause, il ne sera pas donné suite à la mesure d’instruction sollicitée.

14.         Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

Commet un excès positif de son pouvoir d’appréciation l’autorité qui exerce son appréciation alors que la loi l’exclut, ou qui, au lieu de choisir entre les deux solutions possibles, en adopte une troisième. Il y a également excès du pouvoir d’appréciation dans le cas où l’excès de pouvoir est négatif, soit lorsque l’autorité considère être liée, alors que la loi l’autorise à statuer selon son appréciation, ou qu’elle renonce d’emblée, en tout ou partie, à exercer son pouvoir d’appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_472/2016 du 14 février 2017 consid. 5.1.2), par exemple en appliquant des solutions trop schématiques ne tenant pas compte des particularités des cas d’espèce, que l’octroi du pouvoir d’appréciation avait justement pour but de prendre en considération ; on peut alors estimer qu’en refusant d’appliquer les critères de décision prévus explicitement ou implicitement par la loi, l’autorité viole directement celle-ci (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 514 p. 179).

15.         Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (ATF 145 IV 99 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_136/2021 du 13 janvier 2022 consid. 2.1 et les références citées), étant rappelé que, saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office et que s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/84/2022 du 1er février 2022 consid. 3).

16.         Les recourants contestent l’octroi de l’autorisation de construire querellée, faisant valoir que le département aurait abusé de son pouvoir d’appréciation, ce que ce dernier conteste.

17.         Aux termes de l’art. 14 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), les plans d’affectation règlent le mode d’utilisation du sol (al. 1). Ils délimitent en premier lieu les zones à bâtir, les zones agricoles, les zones à protéger et les autres zones et territoires, prévus par le droit cantonal (al. 2).

L’art. 17 LAT prévoit que les zones à protéger comprennent notamment les localités typiques, les lieux historiques, les monuments naturels ou culturels (let. c).

18.         À Genève, les zones protégées et les zones à protéger sont définies par la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30).

Selon l’art. 19 al. 2 LaLAT, parmi les zones à bâtir, la quatrième zone est destinée principalement aux maisons d’habitation, comportant en principe plusieurs logements ; lorsqu’elles ne sont pas susceptibles de provoquer des nuisances ou des inconvénients graves pour le voisinage ou le public, des activités peuvent également y être autorisées. Elle est divisée en deux classes, la 4ème zone urbaine (zone 4A) et la 4ème zone rurale (zone 4B), applicable aux villages et aux hameaux.

Ces zones protégées constituent des périmètres délimités à l’intérieur d’une zone à bâtir ordinaire ou de développement et qui ont pour but la protection de l’aménagement et du caractère architectural des quartiers et localités considérés (art. 12 al. 5 LaLAT). Sont notamment désignées comme zones à protéger, au sens de l’art. 17 LAT, les villages protégés, selon les art. 105 à 107 LCI (art. 29 al. 1 let. f LaLAT). La LCI définit le régime concret applicable à ces zones, dont le but est la conservation de l’harmonie et de l’identité du secteur, notamment par le biais de règles sur les alignements, les gabarits et les couleurs (cf. Lucien LAZZAROTTO, La protection du patrimoine, in : Bénédict FOËX/Michel HOTTELIER [éd.], La garantie de la propriété à l’aube du XXIème siècle, 2009, p. 113).

19.         Dans la zone 4B protégée, le département, sur préavis de la commune et de la CMNS, fixe dans chaque cas particulier l’implantation, le gabarit, le volume et le style des constructions à édifier, de manière à sauvegarder le caractère architectural et l’échelle de ces agglomérations ainsi que le site environnant. Le département peut en conséquence, à titre exceptionnel, déroger aux dispositions régissant les distances entre bâtiments, les distances aux limites de propriétés et les vues droites (art. 106 al. 1 LCI). Les préavis sont motivés (art. 106 al. 3 LCI).

Dans la mesure où il n’y est pas dérogé par l’art. 106 LCI, les dispositions applicables à la 4ème zone rurale sont applicables aux constructions édifiées dans la zone des villages protégés (art. 107 LCI). À ce sujet, l’art. 32 al. 3 LCI, qui traite des dimensions du gabarit en 4ème zone, stipule que la hauteur de la ligne verticale du gabarit ne peut dépasser nulle part 15 m en zone urbaine et 10 m en zone rurale ; restent toutefois réservées les dispositions des art. 10 et 11 et celles des plans localisés de quartier au sens de la loi sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LExt - L 1 40) et de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35)
(H ≤ 15 ou H ≤ 10).

20.         De manière générale, l’art. 106 LCI confère un large pouvoir d’appréciation au département compétent. Celui-ci peut fixer lui-même les règles applicables aux constructions dans le but de sauvegarder le caractère d’un village et le site environnant, et déroger aux dispositions ordinaires (arrêts du Tribunal fédéral 1C_579/2015 du 4 juillet 2016 consid. 3.2). Cette disposition renferme une clause d’esthétique particulière, plus précise que l’art. 15 LCI, soit une notion qui varie selon les conceptions de celui qui l’interprète et selon les circonstances de chaque cas d’espèce. Cette notion juridique indéterminée laisse donc un certain pouvoir d’appréciation à l’administration, celle-ci n’étant limitée que par l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1358/2020 du 22 décembre 2020 consid. 18b et les références citées). Le département compétent peut fixer lui-même les règles applicables aux constructions dans le but de sauvegarder le caractère d’un village et le site environnant, et déroger aux dispositions ordinaires (arrêt du Tribunal fédéral 1C_579/2015 du 4 juillet 2016 consid. 3.2 ; ATA/537/2017 du 9 mai 2017).

21.         Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). Ils n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste ainsi libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. Toutefois, lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/1205/2023 du 7 novembre 2023 consid. 4.3 et les références citées).

La loi ne prévoit aucune hiérarchie entre les différents préavis requis. Néanmoins, dans le cadre de l’application de l’art. 106 al. 1 LCI où la commune et la CMNS doivent être consultées, la chambre administrative a toujours jugé qu’en cas de préavis divergents, une prééminence était reconnue à celui de la CMNS (ATA/435/2023 du 25 avril 2023 consid. 5g ; ATA/146/2021 du 9 février 2021 consid. 10a).

22.         Selon une jurisprudence bien établie, les autorités de recours observent une certaine retenue pour éviter de substituer leur propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l’autorité inférieure suive l’avis de celles-ci. Elles se limitent à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/1205/2023 du 7 novembre 2023 consid. 4.3 et les références citées).

23.         Lorsque la loi autorise l’autorité administrative à déroger à l’une de ses dispositions, notamment en ce qui concerne les constructions admises dans une zone, elle confère à cette dernière un pouvoir d’appréciation qui n’est limité que par l’excès ou l’abus, les juridictions de recours n’ayant pas compétence pour apprécier l’opportunité des décisions prises (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1101/2022 du 1er novembre 2022 consid. 5e et la référence citée).

L’autorité administrative jouit ainsi d’un large pouvoir d’appréciation dans l’octroi de dérogations qui ne peuvent être accordées ni refusées d’une manière arbitraire. Tel est le cas lorsque la décision repose sur une appréciation insoutenable des circonstances et inconciliable avec les règles du droit et de l’équité et se fonde sur des éléments dépourvus de pertinence ou néglige des facteurs décisifs. Quant aux autorités de recours, elles doivent examiner avec retenue les décisions par lesquelles l’administration accorde ou refuse une dérogation. L’intervention des autorités de recours n’est admissible que dans les cas où le département s’est laissé guider par des considérations non fondées objectivement, étrangères au but prévu par la loi ou en contradiction avec elle. Les autorités de recours sont toutefois tenues de contrôler si une situation exceptionnelle justifie l’octroi de ladite dérogation, notamment si celle-ci répond aux buts généraux poursuivis par la loi, qu’elle est commandée par l’intérêt public ou d’autres intérêts privés prépondérants ou encore lorsqu’elle est exigée par le principe de l’égalité de traitement, sans être contraire à un intérêt public (ATA/639/2020 du 30 juin 2020 consid. 4d ; ATA/1600/2019 du 29 octobre 2019 consid 6a ; ATA/1529/2019 du 15 octobre 2019 consid. 5f ; ATA/45/2019 du 15 janvier 2019 consid. 5d).

24.         En vertu de l’art. 3 al. 1 LCI, toutes les demandes d’autorisation sont rendues publiques par une insertion dans la FAO. Il est fait mention, le cas échéant, des dérogations nécessaires.

La jurisprudence a toutefois précisé que le défaut de publication des dérogations n’entraîne pas la nullité de l’autorisation délivrée. Tout au plus empêche-t-il le délai de recours de courir, pour autant que des tiers aient subi un préjudice et il doit être analysé au regard des règles régissant la notification des décisions (ATA/439/2022 du 26 avril 2022 consid. 7a).

25.         La LPMNS institue la CMNS, composée de spécialistes en matière d’architecture, d’urbanisme et de conservation du patrimoine (cf. art. 46 al. 2 LPMNS ; ATA/1059/2017 du 4 juillet 2017 consid. 6d), qui comporte trois sous-commissions (architecture, monuments et antiquités, nature et sites) et dont la compétence est codifiée dans le règlement d’application de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 mars 2023 (RPMNS - L 4 05.01) (cf. art. 3 al. 1 RPMNS).

La CMNS, qui participe à l’élaboration des plans de site (cf. art. 39 LPMNS), donne son préavis sur tous les objets qui, en raison de la matière, sont de son ressort. Elle se prononce en principe une seule fois sur chaque demande d’autorisation, les éventuels préavis complémentaires étant donnés par l’office du patrimoine et des sites par délégation de la commission (art. 47 al. 1 LPMNS), étant noté que le SMS est une subdivision de cet office à teneur de l’organigramme du département. La CMNS peut proposer toutes mesures propres à concourir aux buts de la présente loi (art. 47 al. 2 LPMNS).

Il a déjà été admis par la chambre administrative qu’une nouvelle consultation formelle de la CMNS ne s’imposait pas dans les cas où le SMS pouvait constater que le projet répondait aux demandes de la CMNS telles qu’exposées dans son préavis (ATA/1371/2018 du 18 décembre 2018; ATA/1187/2017 du 22 août 2017 ; ATA/455/2016 du 31 mai 2016).

26.         En l’espèce, il convient en premier lieu d’effectuer divers constats.

La CMNS n’a pas préavisé favorablement le projet, en sa troisième version, dans la mesure où elle a formellement requis en date du 16 février 2021 que celui-ci soit modifié. Elle a certes indiqué à cette occasion être favorable, à certaines conditions, à l’octroi d’une dérogation selon l’art. 106 LCI, mais a précisé que cette dérogation ne concernerait que les distances entre bâtiments projetés et non le gabarit théorique du bâtiment, les distances aux limites de parcelles et les vues droites, ceux-ci devant être respectés afin qu’aucun tiers ne soit lésé.

Par la suite, le 26 juillet 2021, le SMS a préavisé favorablement le projet, dans sa quatrième version, en considérant que les modifications apportées répondaient dans une large mesure aux directives émises par la CMNS. À cet égard, les recourants errent en alléguant que ce préavis n’était d’aucun secours puisque la compétence de la CMNS en la matière ne pouvait être déléguée. En effet, les dispositions légales et la jurisprudence rappelées ci-dessus laissent apparaître qu’il est expressément prévu que la CMNS ne se prononce en principe qu’une fois par projet et que le SMS rend les éventuels préavis complémentaires. Ce dernier était donc parfaitement justifié à se prononcer sur la quatrième version du projet. De fait, ce n’est que de cas en cas, selon les circonstances, qu’une violation de l’obligation de préavis de la CMNS peut être constatée, à savoir lorsque le projet préavisé par le SMS s’écarte manifestement des demandes et exigences formulées par la CMNS. Or, les recourants échouent à démontrer un tel écart. Au contraire, le SMS ne s’est nullement détourné en l’espèce des exigences formulées par la CMNS. En effet, il a rappelé que l’octroi d’une dérogation selon l’art. 106 LCI avait fait l’objet d’un avis favorable de la CMNS le 16 février 2021 et a précisé « pas de tiers lésés ; distance entre bâtiments projetés sans entre liaison hormis socle selon préavis de la DAC », réitérant ainsi, de manière certes laconique, que la dérogation selon l’art. 106 LCI ne concernait pas le gabarit théorique du bâtiment, les distances aux limites de parcelles et les vues droites. Le fait que Mme R______ avait siégé auprès de la CMNS et était chargée du suivi de la procédure pour le SMS, ce qui a assuré un continuum dans le suivi du dossier, renforce l’idée qu’il n’y a aucune modification majeure d’analyse entre la CMNS et le SMS. Il en va de même du fait que chaque nouveau préavis se réfère au précédent. Dans ces circonstances, force est de retenir que la dérogation selon l’art. 106 LCI ne portait, pour la CMNS, représentée ensuite par le SMS, que sur la distance entre bâtiments et pas sur le gabarit théorique du bâtiment.

Dans ses deux préavis favorables, la commune ne s’est pas prononcée sur une quelconque dérogation selon l’art. 106 LCI, indiquant uniquement être favorable au projet dans sa première version, du fait que les aménagements extérieurs correspondaient aux souhaits qu’elle avait émis dans son PDCom, respectivement, dans sa troisième version, car elle avait apprécié l’attention apportée au rapport avec l’espace public et aux questions énergétiques et de développement durable. Dans ces circonstances, il ne saurait être retenu qu’elle a préavisé favorablement une dérogation selon l’art. 106 LCI.

La DAC, dont le préavis n’est pas obligatoire au sens de l’art. 106 al. 1 LCI, s’est déterminée sur les dérogations selon l’art. 106 LCI. Dans un premier temps, elle a constaté que le projet, première version, ne respectait pas le gabarit théorique du bâtiment et s’est prononcée favorablement quant à une dérogation à ce sujet. Dans son second préavis du 21 avril 2020, postérieur au préavis de la CMNS du 15 octobre 2019, elle a constaté à nouveau que le projet, seconde version, ne respectait pas le gabarit théorique du bâtiment. Elle n’a, cette fois, pas préavisé favorablement une dérogation selon l’art. 106 LCI, tenant vraisemblablement compte de la position exprimée par la CMNS dans son premier préavis, mais a enjoint de requérir l’accord du propriétaire de la parcelle n° 8______. Il sied de relever qu’un tel accord n’a jamais été produit ; au contraire, les propriétaires de la parcelle précitée ont recouru contre la décision querellée. Par la suite, la DAC ne s’est plus déterminée sur la question du respect ou non du gabarit théorique du bâtiment, se déclarant favorable à des dérogations selon l’art. 106 LCI pour d’autres points. Dans ces circonstances, force est de constater que la DAC n’a pas non plus préavisé favorablement une dérogation selon l’art. 106 LCI en ce qui concerne le gabarit théorique du bâtiment.

Au surplus, il ne résulte d’aucun préavis au dossier ni de la décision entreprise qu’une dérogation au sens des art. 10 et 11 LCI ait été octroyé au projet autorisé. En outre, les parcelles en cause ne se situent pas dans le périmètre d’un plan localisé de quartier.

Au vu de ce qui précède, le tribunal de céans doit constater qu’aucune dérogation n’a été délivrée s’agissant du gabarit des bâtiments projetés alors que ces derniers ne respectent pas l’art. 32 al. 3 LCI. Il ressort en effet des quatre plans de coupes A-A’, B-B’, C-C’ et D-D’ visés ne varietur que les deux bâtiments dépassent une hauteur de 10 m. Le département l’a d’ailleurs reconnu dans ses observations du 6 février 2023, mais a affirmé qu’il avait été considéré qu’une dérogation pouvait être accordée sur la base des préavis rendus par la CMNS, le SMS et la commune.

Le tribunal ne peut toutefois le suivre sur ce dernier point, lequel constitue un excès de son pouvoir d’appréciation. En effet, comme rappelé ci-dessus, la CMNS et le SMS se sont tous deux prononcés pour un respect strict du gabarit légal, tandis que la commune n’a pas traité de cette thématique, de sorte qu’il ne peut être admis qu’elle se soit déterminée positivement sur l’octroi d’une dérogation en ce sens, étant d’ailleurs rappelé qu’un préavis doit être motivé selon l’art. 106 al. 3 LCI. En tout état, même à considérer que tel serait le cas, le département aurait été confronté à deux préavis divergents et aurait alors dû, conformément à la jurisprudence précitée, donner la prééminence à celui de la CMNS. En dernier lieu, il faut encore relever que la DAC avait initialement retenu qu’une dérogation selon l’art. 106 LCI était nécessaire, avant de passer sous silence cette problématique dans ses trois derniers préavis. À ce sujet, son dernier préavis du 28 janvier 2022 étant postérieur au préavis favorable du SMS du 26 juillet 2021, le tribunal en déduit que la DAC avait compris que la dérogation selon l’art. 106 LCI accordée par le SMS ne concernait que la distance entre bâtiments projetés, raison pour laquelle elle ne s’est pas à nouveau prononcée favorablement à une telle dérogation comme elle l’avait fait dans son tout premier préavis.

Les préavis n’ont certes qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi non réalisées en l’espèce, et le département demeure libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. Or, en l’occurrence, si le département s’est écarté des préavis de la CMNS et du SMS, il ne résulte pas du dossier qu’il se soit fondé pour ce faire sur des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. En effet, il a exposé dans ses observations que si la hauteur de la ligne verticale du gabarit avait été dépassée, c’était parce qu’il avait été considéré, sur la base des préavis de la CMNS, du SMS et de la commune, qu’une dérogation pouvait être accordée. Pourtant, ainsi que relevé précédemment, aucune de ces instances de préavis ne s’est prononcée en faveur d’une telle dérogation ; au contraire, la CMNS respectivement le SMS s’y sont opposés.

En définitive, en refusant de suivre les préavis des diverses instances composées de spécialistes sans exposer les motifs pertinents et l’intérêt public supérieur l’ayant conduit à s’en écarter, le département a excédé de son pouvoir d’appréciation en accordant l’autorisation de construire sollicitée.

Il n’apparait enfin pas que l’on serait dans un cas où il pourrait être renoncé à sanctionner l’absence de dérogation fondée sur l’art. 106 al. 1 LCI dès lors qu’il n’est nullement évident et manifeste que les conditions d’octroi d’une telle dérogation sont ici réalisées hors de tout doute raisonnable.

27.         Au vu de ce qui précède, le recours est admis en tant qu’il concerne l’autorisation DD 4______, laquelle sera annulée.

Il n’est par conséquent pas utile d’examiner les autres griefs formulés par les recourants.

28.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, qui obtiennent gain de cause, sont exonérés de tout émolument. Leur avance de frais de CHF 900.- leur sera restituée.

Monsieur H______, I______SA, J______ SÀRL et K______SA, qui succombent, sont condamnés, pris conjointement et solidairement, au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1’500.-.

Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1’500.-, à la charge de Monsieur H______, I______SA, J______ SÀRL et K______SA, pris conjointement et solidairement, sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 16 novembre 2022 par A______, Mesdames et Messieurs F______, G______, D______, E______, B______ et C______ en tant qu’il est dirigé contre la décision M 5______ du département du territoire du 17 octobre 2022 ;

2.             le déclare recevable contre la décision DD 4______ du département du territoire du 17 octobre 2022 ;

3.             l’admet ;

4.             annule l’autorisation de construire DD 4______ du 17 octobre 2022;

5.             met à la charge de Monsieur H______, I______SA, J______ SÀRL et K______SA, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1’500.- ;

6.             ordonne la restitution aux recourants de l’avance de frais de CHF 900.- ;

7.             condamne Monsieur H______, I______SA, J______ SÀRL et K______SA, pris conjointement et solidairement, à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 1’500.- ;

8.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, Diane SCHASCA et Carmelo STENDARDO, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier