Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/514/2025 du 15.05.2025 ( MC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 15 mai 2025
| ||||
dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Charles ARCHINARD, avocat
contre
COMMISSAIRE DE POLICE
1. Monsieur A______, né le ______ 1999, est ressortissant du Nigéria.
2. Selon l'extrait de son casier judiciaire, il a été condamné à cinq reprises entre le 15 août 2021 et le 23 janvier 2025, essentiellement pour des infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121). Il fait également l'objet de deux procédures en cours pour infractions à la LEI.
3. Le 7 décembre 2021, il s’est vu notifier une interdiction d’entrée en Suisse prononcée à son encontre par le Secrétariat d’État aux migrations
(ci-après : SEM), valable du 2 novembre 2021 au 1er novembre 2024.
4. M. A______ a violé cette interdiction les 16 janvier et 7 avril 2023, ce qui a fait l'objet de condamnations pénales mentionnées ci-dessus.
5. Revenu en Suisse le 20 mai 2024, en violation de l’interdiction précitée, M. A______ a été incarcéré afin de purger deux peines privatives de liberté entrées en force.
6. Le 5 juillet 2024, M. A______, alors en détention, a été auditionné par la police internationale en vue de sa reprise en charge par un pays Dublin, soit la France.
7. Conformément à l’art. 18 al. 1 let. b du Règlement Dublin, le 23 juillet suivant, le SEM a soumis une requête aux fins de son admission aux autorités françaises, acceptée le même jour.
8. Le 23 juillet 2024 également, le SEM a notifié à l'intéressé une décision de renvoi au sens de l'art. 64a al. 1 LEI et chargé le canton de Genève d’exécuter cette décision.
9. Le 10 août 2025, M. A______ s’est vu notifier une interdiction d’entrée en Suisse prononcée à son encontre par le SEM le 8 août 2024 prolongeant celle dont il faisait l’objet jusqu’au 7 août 2026 (« valable du 02 novembre 2024 au 07 août 2026 »).
10. Libéré conditionnellement le 17 août 2024, l’intéressé a été placé en détention administrative par le commissaire de police et renvoyé en France sur le vol Genève-B______(FR) le 20 août 2024.
11. Le 8 mai 2025, M. A______, revenu en Suisse en violation de l’interdiction précitée, a été arrêté par les services de police genevois, à la promenade du Prieuré-de-Saint-Jean. Auditionné dans la foulée, il a déclaré être arrivé en Suisse le jour même en provenance d'C______(France) où il avait déposé une demande d'asile et travaillait au noir. Il ne souhaitait pas rester en Suisse car c'était illégal.
12. Le 9 mai 2025, M. A______ a été condamné pour ces faits par ordonnance pénale du Ministère public avant d’être remis en mains des services de police.
13. Le 9 mai 2025, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l’encontre de M. A______ pour une durée de sept semaines sur la base de l’art. 76a al. 1 let a LEI.
14. Par requête du 12 mai 2025, reçue par le tribunal le 14 mai 2025, M. A______ a sollicité du tribunal l’examen de la légalité et de l’adéquation de sa détention administrative.
15. Le 14 mai 2025, le commissaire de police, sur demande du tribunal, a transmis son dossier d'où il ressort (décision querellée p. 2), que les démarches en vue de la reprise en charge par un État Dublin étaient en cours.
16. Dans le délai imparti pour sa détermination, le conseil de M. A______ s'est opposé à son maintien en détention et a conclu à sa mise en liberté immédiate avec obligation de quitter le territoire dans un délai de 24 heures et l'obligation d'annoncer son départ à un poste de frontière.
Vivant à C______(France), il acceptait d'être renvoyé en France et souhaitait y retourner. Il avait été arrêté en possession de CHF 180.- et EUR 20,16, sommes d'argent qui lui permettait de regagner C______(France) puis D______(France) seul, aisément. Le principe de proportionnalité imposait qu'il soit remis en liberté.
1. Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. Selon l'art. 80a al. 3 LEI, la légalité et l'adéquation de la détention ordonnée dans le cadre d'une procédure Dublin sont examinées, sur demande de la personne détenue, par une autorité judiciaire au terme d'une procédure écrite. Cet examen pouvant être demandé à tout moment.
3. La LaLEtr, qui n'a pas été mise à jour suite à l'adoption et l'entrée en vigueur des art. 76a et 80a LEI, ne définit pas la compétence et ne détermine pas la procédure applicable dans les cas de figure envisagés par ces dispositions. Il ne fait néanmoins pas de doute que la compétence du tribunal est donnée s'agissant des demandes formées par les personnes détenues sur la base de l'art. 76a LEI (cf. not. JTAPI/817/2021 du 20 août 2021 confirmé par ATA/903/2021 du 3 septembre 2021; JTAPI/1004/2020 du 19 novembre 2020 confirmé par ATA/1252/2020 du 8 décembre 2020 ; JTAPI/803/2019 du 6 septembre 2019).
4. En l’espèce, M. A______ a demandé par acte motivé du 12 mai 2025, reçu par le tribunal le 14 mai 2025, que ce dernier contrôle la légalité et l'adéquation de sa détention.
5. Le tribunal peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire de police ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger (art. 9 al. 3 LaLEtr).
6. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.1 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.1).
7. Selon l’art. 28 ch. 2 du Règlement Dublin III, les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément audit règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. À teneur du ch. 3 du même article, le placement en rétention est d’une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu’à l’exécution du transfert au titre du présent règlement.
8. Lorsqu’une personne est placée en rétention en vertu du présent article, le délai de présentation d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge ne dépasse pas un mois à compter de l’introduction de la demande. L’État membre qui mène la procédure conformément au présent règlement demande dans ce cas une réponse urgente. Cette réponse est donnée dans un délai de deux semaines à partir de la réception de la requête. L’absence de réponse à l’expiration de ce délai de deux semaines équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre ou de reprendre en charge la personne, y compris l’obligation d’assurer la bonne organisation de son arrivée.
9. Lorsqu’une personne est placée en rétention en vertu du présent article, son transfert de l’État membre requérant vers l’État membre responsable est effectué dès qu’il est matériellement possible et au plus tard dans un délai de six semaines à compter de l’acceptation implicite ou explicite par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou à compter du moment où le recours ou la révision n’a plus d’effet suspensif conformément à l’art. 27, paragraphe 3 (ch.3).
10. À teneur de l'art. 76a al. 1 LEI, afin d'assurer son renvoi dans l'État Dublin responsable, l'autorité compétente peut mettre l'étranger en détention sur la base d'une évaluation individuelle lorsque les conditions suivantes sont remplies : des éléments concrets font craindre que l'étranger concerné n'entende se soustraire au renvoi (let. a), la détention est proportionnée (let. b) et d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées de manière efficace (art. 28 par. 2 du règlement [UE] n° 604/2013) (let. c).
11. Selon l'art. 76a al. 2 LEI, les éléments concrets suivants font craindre que l'étranger entende se soustraire à l'exécution du renvoi : son comportement en Suisse ou à l'étranger permet de conclure qu'il refuse d'obtempérer aux instructions des autorités (let. b), il quitte la région qui lui est assignée ou pénètre dans une zone qui lui est interdite en vertu de l'art. 74 (let d), qu’il a été condamné pour crime (let. h).
12. Les motifs énumérés, de manière exhaustive, à l'art. 76a al. 2 LEI correspondent en principe à ceux déjà retenus aux art. 75 et 76 LEI (Gregor CHATTON/ Laurent MERZ in Code annoté de droit des migrations, volume II : loi sur les étrangers, n° 2.5 ad art. 76a, p. 808).
13. Par crime, au sens de l'art. 76a al. 2 let. h LEI, il faut entendre une infraction passible d'une peine privative de liberté de plus de trois ans (cf. art. 10 al. 2 CP; ATA/295/2011 du 12 mai 2011 consid. 4 relatif à l'art. 75 al. 1 let. h LEI, dont la teneur est identique).
14. Comme toute mesure étatique, la détention administrative en matière de droit des étrangers doit dans tous les cas respecter le principe de la proportionnalité
(cf. art. 5 al. 2 et 36 Cst. et art. 76a al. 1 let. b et c LEtr ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées). Il convient en particulier d'examiner, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi constitue une mesure appropriée et nécessaire (cf. art. 5 par. 1 let. f CEDH ; ATF 134 I 92 consid. 2.3 et 133 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_624/2011 du 12 septembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 et 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1) et ne viole pas la règle de la proportionnalité au sens étroit, qui requiert l'existence d'un rapport adéquat et raisonnable entre la mesure choisie et le but poursuivi, à savoir l'exécution du renvoi de la personne concernée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées ; cf. ATF 130 II 425 consid. 5.2).
15. Selon l'art. 76a al. 3 let. a LEI, à compter du moment où la détention a été ordonnée, l'étranger peut être placé ou maintenu en détention pour une durée maximale de sept semaines pendant la préparation de la décision relative à la responsabilité du traitement de la demande d'asile ; les démarches y afférentes comprennent l'établissement de la demande de reprise en charge adressée à un autre État Dublin, le délai d'attente de la réponse à la demande ou de son acceptation tacite, la rédaction de la décision et sa notification.
16. En l'occurrence, M. A______, sous le coup d’une décision de renvoi de Suisse et d’une interdiction d'entrée, est entré illégalement sur le territoire helvétique, à réitérées reprises. Il a été condamné à plusieurs reprises pour ce motif.
17. L’assurance de son départ de Suisse répond à un intérêt public certain et le risque qu’il se soustraie à son renvoi en cas de remise en liberté ne peut être écarté, M. A______ n'ayant pas de domicile en Suisse ni moyens de subsistance et ayant démontré, par son comportement, qu'il faisait fi des décisions prises par l'autorité.
18. Par ailleurs, la détention ordonnée respecte le principe de proportionnalité, aucune autre mesure moins incisive ne permettant de s’assurer de la présence de l’intéressé au moment où son renvoi devra être exécuté et, notamment, pas une simple remise en liberté comme il le requiert.
19. Les conditions pour une détention fondée sur l’art. 76 a al. 2 let. d LEI sont dès lors remplies.
20. Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).
21. En l'espèce, l'autorité chargée du renvoi a agi avec diligence et célérité, dès lors que les démarches en vue de la reprise en charge sont en cours d’organisation, l’intéressé ayant d’ores et déjà été entendu en vue de son renvoi.
22. Enfin, la durée de la détention décidée par le commissaire de police respecte le cadre légal fixé par l'art. 76a al. 3 let. a LEI. Elle n’apparaît en outre pas disproportionnée au vu des circonstances concrètes.
23. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative litigieux dont les conditions sont remplies.
24. Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. confirme l’ordre de mise en détention administrative émis par le commissaire de police le 9 mai 2025 à 18h50 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de sept semaines, soit jusqu'au 26 juin 2025 ;
2. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.
| Genève, le |
| Le greffier |