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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2687/2021

ATA/903/2021 du 03.09.2021 sur JTAPI/817/2021 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2687/2021-MC ATA/903/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 septembre 2021

en section

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Kaveh Mirfakhraei, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

_________




Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 août 2021 (JTAPI/817/2021)


EN FAIT

1) M. A______, né le ______ 1991 et originaire de B______, a été placé en détention provisoire le 15 mai 2021 à la prison de C______, prévenu d'infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121), en raison de son implication dans un trafic de cocaïne.

2) Le 16 juin 2021, sollicitées par le Secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM), les autorités autrichiennes ont accepté de reprendre en charge l'intéressé en vertu de l’art. 18 al. 1 let. d du Règlement Dublin.

3) Ce même jour, le SEM a rendu à l'encontre de l'intéressé une décision de renvoi au sens de l'art. 64a al. 1 loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), laquelle lui a été notifiée le 6 juillet 2021, alors qu’il était en détention pénale. La décision est aujourd’hui en force.

4) Par jugement du 3 août 2021, le Tribunal de police (ci-après : TP) a déclaré M. A______ coupable d'infraction grave à la LStup (art. 19 al. 1 let. c, d et al. 2 let. a LStup), d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI) et de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et l’a condamné à une peine privative de liberté de dix-huit mois, sous déduction de quatre-vingt-deux jours de détention avant jugement, assortie du sursis.

Le TP a également ordonné l’expulsion de Suisse de l’intéressé pour une durée de cinq ans, selon l’art. 66a al. 1 let. o du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et a ordonné son maintien en détention pour des motifs de sûreté.

5) Le 13 août 2021, M. A______ a été libéré par les autorités pénales et remis entre les mains des services de police en vue de son refoulement.

6) Le même jour, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l’encontre de M. A______ pour une durée de six semaines fondé sur l'art. 76a al. 3 let. c LEI.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il s'opposait à son renvoi en D______.

7) Dans le cadre d’une procédure écrite, le recourant a fait valoir que le délai de six semaines, fixé par l'art. 76a al. 3 let. c LEI, était échu, l'D______ ayant accepté de le reprendre en charge le 16 juin 2021. Il devait être immédiatement libéré.

Dans sa réponse, le commissaire de police a relevé que lorsque l’intéressé était détenu pénalement, l'exécution de son renvoi en D______ n'était pas possible. Le délai de six semaines commençait à courir à partir du moment où il avait été placé en détention administrative et non pas à compter de l'acceptation de l'autre État.

8) M. A______ ayant refusé de se soumettre au test PCR, il n’a pas pu prendre la place qui lui avait été réservée sur le vol du 20 août 2021 à destination de E______.

9) Par jugement du 20 août 2021, le TAPI a confirmé l’ordre de mise en détention administrative pour une durée de six semaines, soit jusqu’au 23 septembre 2021.

M. A______ ayant fait l’objet d’une décision de renvoi à destination de l’D______, ainsi que d’une mesure d’expulsion prononcée par le TP pour une infraction constitutive d’un crime, le motif de sa détention administrative était fondé et le principe de la légalité respecté.

La durée de six semaines de l’art. 76a al. 3 let. c LEI devait être comptée dès le prononcé de la décision d’expulsion et non depuis la date de l’accord de l’État responsable, conformément à l’art. 28 du règlement du Parlement européen et du Conseil européen no 604-2013 du 26 juin 2013 dit « Règlement Dublin III » sur lequel elle était calquée. Dès lors les six semaines n’étaient pas échues. De surcroît, le recourant avait déclaré s’opposer à son refoulement en D______ et à se soumettre à un test PCR avant de monter à bord de l’avion.

10) Par acte du 24 août 2021, M. A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité. Il a conclu à son annulation, ainsi qu’à celle de l’ordre de mise en détention administrative et à sa mise en liberté immédiate.

L’D______ ayant accepté de le reprendre le 16 juin 2021, le délai de six semaines avait commencé à courir à cette date. Il était aujourd’hui échu. Le résultat était identique si l’on considérait que le délai de six semaines commençait à courir dès la notification de la décision de renvoi le 6 juillet 2021. Il citait un arrêt de la chambre administrative.

11) Le commissaire a conclu au rejet du recours en tant qu’il était recevable. La jurisprudence citée par le recourant n’était pas pertinente, les situations étant différentes. M. A______ n’était pas en détention administrative en application de l’art. 76a al. 3 LEI lorsque l’État étranger avait accepté sa réadmission sur son territoire, mais en détention pénale.

L’argumentation du recourant donnait un résultat incohérent. À le suivre, le renvoi de personnes détenues pénalement en Suisse pour plus de six semaines au jour de l’acceptation de leur reprise par un pays tiers deviendrait impossible, sauf à reporter à la libération pénale de la personne concernée les opérations relatives à la demande de l’État tiers de sa reprise et en conséquence prolonger de plusieurs semaines sa privation de liberté.

12) Dans sa réplique, le recourant a persisté dans ses conclusions. La disposition pertinente prévoyait le dies a quo des six semaines dès la notification de la décision de renvoi ou dès l’expiration de l’effet suspensif. M. A______ n’ayant demandé aucune restitution d’effet suspensif, le délai de six semaines avait commencé à courir dès la notification de la décision de renvoi intervenue le 6 juillet 2021. Il devait être libéré immédiatement.

13) Sur ce, les parties ont été informées que la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Selon l’art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 24 août 2021 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

En outre, à teneur dudit art. 10 LaLEtr, elle est compétente pour apprécier l’opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.) ; elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; le cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l’étranger (al. 3 1ère phr.).

3) La détention dans le cadre de la procédure Dublin est réglée de façon exhaustive à l’art. 76a LEI.

a. Selon cet article, afin d’assurer son renvoi dans l’État Dublin responsable, l’autorité compétente peut mettre l’étranger en détention sur la base d’une évaluation individuelle lorsque les conditions suivantes sont remplies : a) des éléments concrets font craindre que l’étranger concerné n’entende se soustraire au renvoi ; b) la détention est proportionnée ; c) d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées de manière efficace.

Parmi les éléments faisant craindre que l’étranger entende se soustraire à l’exécution du renvoi, figure la condamnation pour crime (art. 76a ch. 2 let. h LEI).

b. Le recourant ne remet plus en question, au stade du recours devant la chambre administrative, la légalité de la mesure. Ayant été condamné pour des infractions graves à la LStup, l’art. 76a ch. 2 let h LEI s’applique. En effet, l’art. 19 al. 2 LStup prévoit une peine privative de liberté supérieure à trois ans et constitue donc un crime. Pour le surplus le recourant n’a pas critiqué le raisonnement du TAPI relatif à la proportionnalité de la mesure ni le fait qu’aucune mesure moins coercitive n’est envisageable.

C’est ainsi à juste titre que la détention administrative a été prononcée.

4) Le recourant allègue que sa détention doit être immédiatement levée, le délai de six semaines prévu à l’art. 76a al. 3 let. c LEI étant échu.

5) a. À compter du moment où la détention a été ordonnée, l’étranger peut être placé ou maintenu en détention pour une durée maximale de six semaines pour assurer l’exécution du renvoi entre la notification de la décision de renvoi ou d’expulsion ou après l’expiration de l’effet suspensif d’une éventuelle voie de droit saisie contre une décision de renvoi ou d’expulsion rendue en première instance et le transfert de l’étranger dans l’État Dublin responsable (art. 76a al. 3 let. c LEI).

b. Le texte de l’art. 28 du règlement Dublin III utilise le terme de « placement en rétention ». La rétention au sens de l’art. 28 de ce règlement correspond à la détention au sens de la LEI (Commentaire Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, LEtr, vol. II, 2017, p. 804).

Selon la doctrine, est toutefois litigieuse la question de savoir si après l’acceptation par l’autre État, les autorités suisses peuvent attendre une certaine période avant d’ordonner la mise en détention de six semaines. Le Conseil fédéral admet cette possibilité et le texte de l’art. 76a al. 3 let. c LEI ne s’y oppose pas, tandis qu’une partie de la doctrine admet une détention de six semaines au maximum pendant la période qui suit immédiatement l’acceptation par l’autre État de prendre en charge l’étranger (Commentaire Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, LEtr, vol. II, 2017, p. 813).

c. Selon les directives, si une personne se trouve en détention administrative dans le cadre de la procédure Dublin, elle doit être transférée dans l’État membre compétent dès que le transfert peut être exécuté du point de vue pratique. La durée maximale de la détention en vue du renvoi dans le cadre de la procédure Dublin s’élève à six semaines au plus à compter de la date à laquelle a été ordonnée la détention (SEM, Directives et commentaire, Domaine des étrangers, 2013, état au 1er janvier 2021, ch. 9.9.3).

6) a. L’autorité administrative doit entreprendre rapidement les démarches permettant l’exécution de la décision de renvoi (art. 76 al. 4 LEtr).

L'obligation de diligence est en principe réputée violée lorsque les autorités n'ont plus, deux mois durant, pris de mesures visant spécifiquement à établir l'identité de l'intéressé ainsi qu'à faire activement avancer la procédure de renvoi ; ce, peu importe à quelle autorité (Confédération ou canton) le retard doit être imputé (ATF 139 II 206 consid. 2).

Ne violent en tout cas pas le principe de diligence les autorités qui n'entreprennent rien pendant que l'étranger n'est pas à leur disposition et donc, en règle générale, se trouve toujours en liberté. Par contre, l'obligation d'entreprendre des démarches en vue de l'exécution du renvoi commence non seulement au moment où la mise en détention en vue de refoulement est ordonnée, mais déjà auparavant, soit dès que l'étranger est complètement à disposition des autorités, car privé de sa liberté de mouvement (ATF 124 II 49 consid. 3a et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.116/2003 du 2 avril 2003 consid. 3.4 ; 2A.497/2001 du 4 décembre 2001 consid. 4).

b. Bien que le texte de loi ne le mentionne pas le principe de célérité s’applique aussi dans les détentions Dublin (Directives précitées ch. 9.9.1).

c. À teneur de l’art. l’art. 80 al. 6 let. c LEI, la détention administrative est levée lorsque la personne détenue doit subir une peine ou une mesure privative de liberté. Il en découle que l'exécution de la détention pénale prime en principe celle de la détention administrative (arrêt du Tribunal fédéral 2C_790/2010 du 15 octobre 2010 consid. 2.1 ; ATA/ 976/2016 du 18 novembre 2016 consid. 9).

7) En l’espèce, en application de l’art. 76a al. 3 LEI, le dies a quo du délai de six semaines ne peut intervenir qu’ « à compter du moment où la détention a été ordonnée ». Au vu de la doctrine précitée et des directives, ces termes font référence à la seule détention administrative. Or, le 16 juin 2021, lorsque les autorités autrichiennes ont accepté de reprendre le recourant en vertu du Règlement Dublin, celui-ci était détenu dans le cadre d’une procédure pénale. Ce n’est que lorsque la détention pénale de l’intéressé a pris fin et qu’il a, immédiatement, été placé en détention administrative, que le délai de six semaines a commencé à courir.

Un considérant du jugement du TAPI mentionne toutefois que « la durée de la détention administrative prononcée pour assurer l’exécution du renvoi entre la notification de la décision d’expulsion prononcée par le juge pénal et son transfert doit être comptée dès son prononcé ». Le TAPI ne développe aucune argumentation à l’appui de son résultat, lequel laisse entendre que le délai de six semaines pourrait courir pendant la détention pour des motifs de sûreté, prévue dans la législation pénale, par l’art. 231 al. 1 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0). Le TAPI ne peut être suivi sur ce point.

En conséquence, le délai a commencé à courir le 13 août 2021 et n’est pas échu.

L’ordre de mise en détention et le jugement du TAPI qui se limitent à indiquer la durée sans mettre de date peut toutefois être confirmé, étant précisé qu’en entreprenant les démarches auprès des autorités autrichiennes pendant la détention pénale, les autorités suisses n’ont fait que respecter leur obligation de célérité (art. 76 al. 4 LEI).

Infondé, le recours sera rejeté.

8) La procédure étant gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA- E 5 10.03), aucun émolument de procédure ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 août 2021 par M. A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 août 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Kaveh Mirfakhraei, avocat du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d'État aux migrations, ainsi qu'au centre Frambois LMC, pour information.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Lauber et M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :