Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1187/2024 du 03.12.2024 ( MC ) , ADMIS PARTIELLEMENT
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 3 décembre 2024
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dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate
contre
OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS
1. Monsieur A______, né le ______ 1982, ressortissant du Nigéria, est titulaire d'une autorisation de séjour italienne de type "Prot. Sussidiaria", jusqu'au 3 juin 2026.
2. Entre le 14 septembre 2014 et le 12 juin 2020, il a été condamné à seize reprises par les instances pénales vaudoises, valaisannes et genevoises, principalement pour des délits contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; art. 19 al. 1), séjour et entrée illégaux en application de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; art. 115).
3. M. A______ a fait l'objet de trois interdictions d'entrée en Suisse. La première valable du 21 octobre 2014 au 20 octobre 2019, notifiée le 13 novembre 2014, la deuxième valable du 21 octobre 2019 au 15 février 2021, notifiée le 16 juin 2016, et la troisième valable du 16 février 2021 au 19 février 2025, notifiée le 7 juillet 2020.
4. Il a été réadmis en Italie à sept reprises, respectivement les 21 octobre 2014, 11 février 2016, 1er juin 2017, 10 mai 2018, 18 octobre 2018, 5 juin 2019 et 11 décembre 2020.
5. Le 5 octobre 2018, le commissaire de police a prononcé à l'égard de M. A______ une interdiction de pénétrer sur le territoire cantonal pour une durée de douze mois.
6. Le 23 septembre 2024, les forces de l'ordre ont interpellé M. A______ à la rue de Neuchâtel, à Genève, après qu'il eut vendu deux boulettes de cocaïne à un policier en civil en échange de CHF 120.-. Entendu dans les locaux de la police, M. A______ a déclaré vivre à ______ (Italie). Il était venu à Genève deux ou trois mois auparavant, en train, en provenance de l'Italie, pour visiter une amie. Il n'avait pas de liens particuliers avec Genève.
7. Par décision déclarée exécutoire nonobstant recours du 24 septembre 2024, dûment notifiée, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a prononcé le renvoi de Suisse de M. A______, en application de l'art. 64 LEI.
8. Le même jour, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès dans le canton de Genève) pour une durée de 18 mois, durée réduite à douze mois, par jugement du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal) du 22 octobre 2024 (JTAPI/1031/2024).
Il ressort dudit jugement que lors de l'audience du même jour par-devant le tribunal,
ce dernier avait entendu Madame B______, née en 1947 et domiciliée à Genève, à titre de témoin. Celle-ci avait, en substance, indiqué connaitre M. A______ depuis 2017, qu’elle considérait comme un membre de sa famille, comme un petit-fils. Depuis qu'il était de retour à Genève, il venait la voir trois ou quatre fois par semaine depuis Lausanne où il dormait dans un abri de la protection civile. Du fait de son interdiction d'entrée en Suisse, elle ne l'avait plus vu depuis quatre ans jusqu'à son retour vers la fin du mois de mai 2024. Ils avaient néanmoins maintenu des liens téléphoniques ou par l’intermédiaire de tiers.
9. Le 6 novembre 2024, M. A______ a été appréhendé à la rue de Neuchâtel, à Genève et mis à disposition du Ministère public de Genève, pour infractions à la LEI (séjour illégal ; conditions d’entrée en Suisse non respectées ; défaut de passeport valable indiquant la nationalité ; ne pas s’être conformé à une interdiction d’entrée en Suisse ; non-respect d’une interdiction de pénétrer dans une région déterminée).
10. Par décision déclarée exécutoire nonobstant recours du 7 novembre 2024, dûment notifiée, annulant et remplaçant la précédente, l’OCPM a prononcé le renvoi de Suisse de M. A______, en application de l'art. 64 LEI, et a chargé les services de police de son exécution.
11. Le même jour, M. A______, après avoir été entendu par le Ministère public, a été remis en mains des services de police en vue de sa réadmission en Italie, demande envoyée au SEM à 10h39 au secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM).
12. Le 7 novembre 2024, à 15h51, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de deux mois en application de l'art. 76 al. 1 let b ch. 1, 3 et 4 LEI.
Entendu par la police, M. A______ a déclaré ne pas se trouver en bonne santé car il devait aller au petit coin fréquemment et souffrait de maux d'estomac. Il poursuivait un traitement médical prescrit par un médecin italien, il s'agissait de pastilles pour la toux. Il était d'accord de retourner en Italie, c'était son pays.
13. Entendu le 8 novembre 2024 par le tribunal, la représentante du commissaire de police a indiqué qu'ils n'avaient pas encore eu de réponse suite à leur demande de réadmission effectuée la veille auprès des autorités italiennes. L'accord ne prévoyait pas de délai pour répondre. Généralement, une réponse était obtenue entre deux semaines à deux mois après la demande. Cela dépendait du nombre de demandes à traiter par les autorités italiennes.
M. A______ a en substance déclaré qu'il avait un permis de séjour en Italie. Lorsqu'il était en Italie, il ne faisait rien. Il ne travaillait pas et dormait dans la rue. Lorsqu'il était en Suisse, il restait avec sa famille, soit avec Mme B______, ou chez des amis. Il ne travaillait pas. S'il était venu en Suisse et à Genève, alors qu'il faisait l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse et une interdiction d'entrée dans le canton de Genève, c'était car sa famille lui avait demandé de rester ici. B______ lui avait demandé de rester en Suisse pour se présenter auprès des autorités de poursuites pénales. Il s'engageait à rentrer par ses propres moyens en Italie. Il ne voulait pas être forcé d'y retourner par la police. Il avait bien compris qu'il ne pouvait pas se trouver en Suisse ni à Genève, ce que le Juge lui avait rappelé lors de l'audience du 22 octobre 2024. Cependant, B______ lui avait expliqué qu'ils allaient former appel et c'est à ce moment que la police l'avait arrêté.
La représentante du commissaire de police a plaidé et conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de deux mois.
M. A______, par la voix de son conseil, a plaidé et conclu à sa mise en liberté immédiate.
14. Par jugement du 8 novembre 2024 (JTAPI/1105/2024) le tribunal a confirmé l’ordre de mise en détention administrative du commissaire de police pour une durée réduite à un mois, soit jusqu'au 6 décembre 2024 inclus.
15. Par requête motivée du 25 novembre 2024, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a sollicité la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de deux mois.
Une demande de réadmission était actuellement en cours et un transfert serait organisé dès l'obtention de l'accord de la part des autorités italiennes.
16. Par courriel du 26 novembre 2024, le commissaire de police a transmis au tribunal l’accord des autorités italiennes à la réadmission de M. A______ le 5 décembre 2024, avec un départ de Genève la veille.
17. Lors de l’audience de ce jour devant le tribunal, M. A______ a déclaré qu'il était d’accord de retourner en Italie le 5 décembre 2024, avec un départ de Genève la veille. Il voulait rentrer au plus vite en Italie et serait même d’accord de partir aujourd’hui si cela était possible.
La représentante de l'OCPM a plaidé et conclu à la confirmation de la demande de prolongation de la détention administrative pour une durée de deux mois.
Le conseil de M. A______ a plaidé et conclu au rejet de la demande de prolongation de la détention administrative et à la mise en liberté immédiate de son client. Sa détention à Favra même pour un jour supplémentaire était illégale et disproportionnée.
1. Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour prolonger la détention administrative en vue de renvoi ou d'expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ;
art. 7 al. 4 let. e de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. S'il entend demander la prolongation de la détention en vue du renvoi, l'OCPM doit saisir le tribunal d'une requête écrite et motivée dans ce sens au plus tard huit jours ouvrables avant l’expiration de la détention (art. 7 al. 1 let. d et 8 al. 4 LaLEtr).
3. En l'occurrence, le 25 novembre 2024, le tribunal a été valablement saisi, dans le délai légal précité, d'une requête de l'OCPM tendant à la prolongation de la détention administrative de M. A______ pour une durée de deux mois.
4. Statuant ce jour, le tribunal respecte le délai fixé par l'art. 9 al. 4 LaLEtr, qui stipule qu'il lui incombe de statuer dans les huit jours ouvrables qui suivent sa saisine, étant précisé que, le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger.
5. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) (cf. ATF 135 II 105 consid. 2.2.1) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.1 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.1).
6. Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l’accord de l’autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l’autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l’obtention des documents nécessaires au départ auprès d’un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI). Concrètement, dans ces deux circonstances, la détention administrative peut donc atteindre dix-huit mois
(cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 2C_560/2021 du 3 août 2021 consid. 8.1).
7. La détention administrative doit respecter le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., qui se compose des règles d'aptitude - exigeant que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/189/2015 du 18 février 2015 consid. 7a).
8. Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi ou de l'expulsion doivent être entreprises sans tarder (art. 76 al. 4 LEI ; « principe de célérité ou de diligence »). Il s'agit d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).
9. Selon la jurisprudence, le devoir de célérité est en principe violé lorsque, pendant plus de deux mois, aucune démarche n'est accomplie en vue de l'exécution du refoulement par les autorités compétentes, sans que cette inaction soit en première ligne causée par le comportement des autorités étrangères ou celui de l'intéressé lui-même (ATF 139 I 206 consid. 2.1 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_18/2016 du 2 février 2016 consid. 4.2 ; ATA/567/2016 du 1er juillet 2016 consid. 7a).
10. Dans l'appréciation de la diligence des autorités, il faut notamment tenir compte de la complexité du cas, en particulier sous l'angle de l'exécutabilité du renvoi. Il faut en tous les cas se demander si la détention prononcée dans le cas d'espèce et sa durée demeurent nécessaires et restent dans une mesure proportionnée par rapport au but poursuivi (arrêts du Tribunal fédéral 2C_18/2016 du 2 février 2016 consid. 4.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 2.3).
11. En l'espèce, il n'y a pas lieu d'examiner à nouveau la légalité de la détention administrative de M. A______, cette question ayant été tranchée par le tribunal dans son jugement JTAPI/1105/2024 précité et les circonstances n'ayant pas changé sous cet angle.
S'agissant de la proportionnalité de la prolongation requise par l'OCPM, la détention en elle-même demeure nécessaire aussi longtemps que M. A______ n'aura pas quitté le territoire suisse, pour les raisons qui ont déjà été exposées par le tribunal dans son jugement susmentionné.
Les autorités ont par ailleurs continué d’agir avec diligence et célérité en vue d’exécuter le renvoi de M. A______, puisque son transfert en Italie est désormais prévu le 5 décembre 2024, soit encore dans le délai jusqu’auquel sa détention avait été confirmée par le tribunal (JTAPI/1105/2024 précité).
Reste la question de savoir s'il se justifie que la détention soit prolongée, alors que le renvoi de M. A______ devrait pouvoir avoir lieu à l'intérieur de la durée de détention confirmée par jugement du tribunal du 8 novembre 2024, soit jusqu'au 6 décembre 2024 inclus.
Il doit y être répondu par l’affirmative dès lors qu’à ce jour, il demeure encore en Suisse et que l'effectivité de son renvoi en Italie n'est pas garantie de manière absolue, la survenance d'un impondérable empêchant le transport prévu le 5 novembre 2024 restant possible. Or, dans un tel cas, sa détention prendrait fin le 6 décembre 2024, ce qui n'est pas souhaitable compte tenu de l'intérêt public à ce que son renvoi puisse avoir lieu. Il est donc nécessaire de s'assurer que les autorités compétentes disposent encore du temps nécessaire pour organiser à nouveau son renvoi au-delà de cette date si le transport prévu à cette date devait échouer, tout en offrant à M. A______ la garantie d'un examen judiciaire qui n'intervienne pas non plus dans un délai trop long.
12. Au vu de ce qui précède, la demande de prolongation de la détention administrative de M. A______ sera admise mais pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 6 janvier 2025 inclus.
13. Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et à l’OCPM. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable la demande de prolongation de la détention administrative de Monsieur A______ formée le 25 novembre 2024 par l’office cantonal de la population et des migrations ;
2. prolonge la détention administrative de Monsieur A______ pour une durée d’un mois, soit jusqu'au 6 janvier 2025, inclus ;
3. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Marielle TONOSSI
Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, à l’office cantonal de la population et des migrations et au secrétariat d'État aux migrations.
Genève, le |
| Le greffier |