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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/4273/2021

JTAPI/986/2022 du 21.09.2022 ( ICC ) , ADMIS

ADMIS par ATA/1143/2023

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;CONSULTATION DU DOSSIER;MOTIVATION DE LA DÉCISION;TAXATION CONSÉCUTIVE À UNE PROCÉDURE;FARDEAU DE LA PREUVE;DOUBLE IMPOSITION INTERCANTONALE;ABUS DE DROIT
Normes : Cst.29.al2; LPFisc.60.al1; LPFisc.76.al1
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4273/2021 ICC

JTAPI/986/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 21 septembre 2022

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représentés par Mes Xavier OBERSON et Frédéric VUILLEUMIER, avocats, avec élection de domicile

 

contre

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le présent litige consiste à déterminer si Monsieur B______ est assujetti de manière illimitée aux impôts cantonaux et communaux (ICC) dans le canton de Genève lors des périodes fiscales 2009 à 2016.

2.             Le contribuable et son épouse, Madame A______, qui se sont mariés civilement en ______ 1990 en France, ont pris domicile dans le canton de Genève en décembre 1999. Ils y ont vécu à C______ (GE) avec leur quatre enfants, D______, née le ______ 1991, E______, née le ______ 1993, ainsi que F______ et G______, nés le ______ 1995.

3.             En septembre 2005, le contribuable a annoncé à l’office cantonal de la population et des migrations qu’il quittait le canton de Genève pour se domicilier à H______ (VD), où il a annoncé son arrivée au contrôle des habitants et où il y avait acquis, deux mois auparavant, un appartement ainsi qu’une place de parc pour un montant de CHF 1’780’000.-.

En septembre 2011, il a officiellement quitté cette localité pour se domicilier à I______ (VS), où il avait acquis un appartement en novembre 2006. Il a entrepris la construction d’un chalet dans cette commune, où il a emménagé en 2018.

4.             Pour sa part, la contribuable n’a quitté officiellement le canton de Genève qu’en décembre 2020, pour s’établir à I______ (VS) ; elle a pris domicile dans l’appartement auparavant occupé par son époux.

5.             Leurs enfants sont restés, dans un premier temps, domiciliés avec leur mère.

D______ a officiellement quitté le canton de Genève en septembre 2010 pour se domicilier à H______ (VD). Elle est revenue à Genève en juin 2017 et est repartie en janvier 2018, à destination des États-Unis d’Amérique.

E______ a officiellement quitté le canton de Genève en août 2018, à destination des États-Unis d’Amérique. Elle a cependant été immatriculée, de l’automne 2010 à l’automne 2013, à l'école J______ (VD) et a étudié, de 2013 à 2015, à K______, sis en Israël. Elle a longtemps séjourné dans ce pays lors des années 2013 à 2016 (respectivement 254, 286, 335 et 131 jours).

F______ et G______ ont officiellement quitté le canton de Genève en décembre 2015, pour se domicilier à I______ (VS). F______ a été élève du L______ (VD) lors des années scolaires 2013-2014 et 2014-2015, son frère uniquement pour 2014-2015. En juin 2015, F______ a obtenu un bachelor of science _____ à l’école J______, son frère un baccalauréat universitaire en sciences en management à M______ (VD).

6.             Par acte notarial des 16 septembre et 7 octobre 2005, les contribuables ont modifié leur régime matrimonial, passant du régime de la participation aux acquêts à celui de la séparation de biens.

Selon ce contrat de mariage, qui stipulait qu’une procédure de divorce serait prochainement introduite, la fortune nette du couple s’élevait à CHF 6’214’787.-, dont une moitié revenait à chaque conjoint. La demeure familiale sise à C______ (GE), estimée à une valeur brute de CHF 8 millions, revenait à la contribuable qui en reprenait seule la totalité de la dette hypothécaire. Les époux contribueraient chacun, selon ses facultés, à l’entretien convenable de la famille, convenant de la façon dont chacun apporterait sa contribution, notamment par des prestations en argent, son travail au foyer, les soins qu’il vouerait aux enfants ou l’aide qu’il prêterait à son conjoint dans sa profession ou son entreprise.

En complément et indépendamment dudit contrat, le contribuable a effectué une donation de CHF 1’002’607.- en faveur de son épouse, soumise au rapport en cas de son décès avant le prononcé du divorce.

7.             Les contribuables ont été imposés au lieu de leur domicile. Ainsi, après avoir été taxée conjointement avec son époux dans le canton de Genève jusqu’en 2004, la contribuable y a été ensuite imposée seule, notamment lors des périodes fiscales en cause. Quant au contribuable, il a été imposé dans le canton de Vaud de 2005 à 2010, puis dans le canton du Valais à partir de l’année fiscale 2011.

8.             L’administration fiscale cantonale du canton de Genève (ci-après : AFC-GE) a adressé, à réitérés reprises, des demandes de renseignements à la contribuable.

Le 6 octobre 2010, dans le cadre de sa taxation 2005, elle l’a invitée à lui remettre copie du jugement de divorce. Le 20 novembre 2010, la contribuable a indiqué ne pas être divorcée, mais séparée de fait, et n’avoir établi aucune convention avec son époux ; l’attribution de la garde de leurs enfants et le montant de la pension alimentaire avaient été déterminés d’un commun accord. Selon le bordereau ICC 2005 du 6 décembre 2010, le revenu de la contribuable était nul.

Le 2 décembre 2010, l’AFC-GE a prié la contribuable de lui remettre les relevés bancaires du compte sur lequel la pension alimentaire était versée ainsi que ceux des comptes lui servant à s’acquitter de ses dépenses courantes, afin de pouvoir procéder à sa taxation 2007. Le 2 février 2011, la contribuable a remis les relevés sollicités, notant que la pension alimentaire versée par son époux n’avait été que de CHF 40’000.- en lieu et place du montant de CHF 108’000.- indiqué dans sa déclaration fiscale. À teneur du bordereau ICC 2007 du 19 octobre 2011, le revenu de la contribuable était nul.

Le 30 avril 2012, l’AFC-GE a requis, au sujet de l’année fiscale 2010, notamment les bordereaux d’acquisitions des actions de N______ SA. Le 15 mai 2012, la contribuable a remis une copie du contrat d’achat de cette société et a exposé que celle-ci avait été acquise, le 30 juin 2010, par ses enfants, lesquels en possédait chacun le quart ; seules vingt-quatre actions, appartenant à ses enfants mineurs au 31 décembre 2010, avaient ainsi été mentionnées dans sa déclaration fiscale 2010. Cet achat avait été financé par le biais d’un prêt accordé par son époux et par deux prêts d’une banque helvétique. Selon le bordereau ICC 2010 du 25 juillet 2012, le revenu de la contribuable s’élevait à CHF 16’956.-.

Le 22 février 2013, l’AFC-GE a invité la contribuable à lui remettre, s’agissant de l’année 2011, les justificatifs des intérêts des dettes, échues durant l’année, envers son époux et la banque ainsi que leur état au 31 décembre, une copie de son jugement de séparation et les justificatifs de la pension alimentaire perçue en 2011. Le 17 avril 2013, la contribuable a remis les pièces sollicitées, a confirmé n’avoir établi aucune convention de séparation avec son époux et a indiqué que ce dernier lui avait versé une pension alimentaire de CHF 72’000.- et CHF 9’000.- pour chacun de leurs fils. À teneur du bordereau ICC 2011 du 1er juillet 2013, le revenu de la contribuable s’élevait à CHF 30’431.-.

Le 11 juin 2015, l’AFC-GE a requis, pour l’année 2012, que la contribuable lui remettre les actes de donation de CHF 1 million et de CHF 100’000.-. Le 8 juillet 2015, la contribuable a produit ces pièces, soit trois actes de donation du 4 juillet 2012 de son époux, l’une en sa faveur (CHF 1 million) et deux pour ses fils (chacune de CHF 50’000.-). Selon le bordereau ICC 2012 du 22 septembre 2015, le revenu de la contribuable était nul.

À teneur des bordereaux ICC 2013 du 22 septembre 2015, ICC 2014 du 6 avril 2016, ICC 2015 du 8 août 2017 et ICC 2016 du 19 mars 2018, le revenu de la contribuable était de respectivement CHF 13’476.-, CHF 13’706.-, nul et nul.

Dans sa déclaration fiscale 2015 du 14 janvier 2017, la contribuable avait indiqué que son époux lui avait fait une donation de CHF 1 million et qu’elle avait versé, grâce à une ligne de crédit pouvant aller jusqu’à CHF 10 millions selon un contrat de prêt conclu avec O______ SA, des acomptes de CHF 6 millions pour les travaux de rénovation de sa demeure sise à C______ (GE). Au vu de ces travaux, elle avait loué une autre résidence à proximité de son domicile. L’AFC-GE n’a pas procédé à des actes d’instruction pour l’année fiscale 2015.

9.             En date du ______ 2014, les contribuables se sont mariés religieusement dans la synagogue P______ (GE).

10.         En novembre 2016, l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) a effectué un contrôle pour déterminer si le contribuable était effectivement domicilié à I______ (VS). Dans ce cadre, diverses pièces ont été produites pour attester de ce domicile, dont notamment un tableau exposant le nombre de jours que le contribuable avait passé dans différents lieux respectivement pays.

Ces pièces ont été préparées après que le service cantonal des contributions du Valais (ci-après : AFC-VS) eut informé le contribuable que l’AFC-GE tentait de contester son domicile valaisan et qu’elle avait interpellé l’AFC-CH à ce sujet.

11.         Le ______ 2016, la fondation Q______ a été constituée (ci-après : Q______) ; son siège est à I______ (VS), à l’appartement du contribuable.

Selon le registre du commerce valaisan, du ______ 2016 au ______ 2022, le contribuable en avait été le président et son épouse vice-présidente, le premier avec signature collective à deux, la seconde avec signature collective à deux avec le président, à l’instar de sa fille aînée qui était membre-secrétaire. À compter du ______ 2022, le contribuable était vice-président, sa fille aînée présidente et la contribuable ne siégeait plus au conseil de la Q______.

12.         En octobre 2017, une biographie regardant le contribuable, non autorisée par ce dernier et intitulée « R______ », a été publiée.

13.         Par courrier recommandé du 13 juin 2019, l’AFC-GE a informé le contribuable de l’ouverture de procédures en rappel d’impôt et soustraction à son encontre pour les années fiscales 2009 à 2016.

À la lumière d’éléments probants en sa possession, elle était d’avis qu’au cours notamment des années en cause, il vivait en ménage commun et que malgré son départ officiellement annoncé dans le courant de l’année 2005, il avait maintenu le centre de ses intérêts vitaux auprès de son épouse. Le domicile fiscal du couple se trouvant à C______ (GE), ils étaient dès lors conjointement et pleinement assujettis dans le canton de Genève pour ces périodes fiscales.

Un délai au 15 juillet 2019 lui était imparti pour produire la liste détaillée et exhaustive de ses éléments de revenus et de fortune mondiaux pour les années fiscales en cause, justificatifs à l’appui.

14.         Le même jour, un courrier de teneur identique a été adressé à la contribuable.

15.         Le 14 juin 2019, l’AFC-GE a informé l’AFC-VS qu’elle revendiquait l’assujettis-sement illimité dans le canton de Genève du contribuable depuis 2009, des indices en sa possession lui permettant de considérer que ce dernier avait maintenu son domicile fiscal à Genève jusqu’à ce jour.

16.         À teneur des pièces du dossier, il ne résulte pas que l’AFC-GE ait envoyé un courrier similaire aux autorités fiscales vaudoises.

17.         Un entretien entre les parties a eu lieu le 13 août 2019. À teneur du rapport d’entretien établi par l’AFC-GE, ces contrôleurs avaient indiqué, à cette occasion, qu’ils ignoraient l’existence du contrôle effectué par l’AFC-CH en 2016, ayant tout au plus été informés de démarches portant sur l’imposition d’après la dépense à l’endroit du contribuable, en Valais.

18.         Le 11 septembre 2019, faisant suite à cet entretien, les contribuables ont transmis à l’AFC-GE copie des pièces produites dans le cadre du contrôle de l’AFC-CH et ont indiqué que le contribuable n’avait plus été sollicité suite à leur transmission, ce qui démontrait que cette autorité avait accepté, vu son absence de réaction, que son domicile était à I______ (VS).

19.         Le 22 octobre 2019, le contribuable a fait valoir que les conditions justifiant une séparation de fait et donc une imposition séparée étaient remplies. Il disposait d’un logement à I______ (VS) alors que son épouse possédait une résidence à C______ (GE). Il n’y avait pas une mise en commun des fonds : ils ne possédaient aucun compte bancaire commun et ne partageaient aucune carte de crédit. Il versait à son épouse une contribution d’entretien annuel de CHF 72’000.- et lui avait fait plusieurs dons pour lui permettre de subvenir à ses besoins. Leurs apparitions en public étaient peu nombreuses, chacun vivant séparé, dans un autre canton, et menant son existence propre de son côté, même s’ils leur arrivaient d’être ensemble lors de manifestations publiques liées à la Q______ ou en raison de leurs enfants. Enfin, le centre de ses intérêts vitaux était à I______ (VS), même s’il se rendait parfois à Genève.

20.         Un second entretien entre les parties a eu lieu le 9 décembre 2019. L’AFC-GE y a manifesté son intention de notifier des bordereaux de rappel d’impôt et amende d’ici la fin du mois de janvier 2020.

21.         Le 28 février 2020, suite à des échanges de courriels des 10 et 16 janvier 2020 où l’AFC-CH avait accepté de suspendre la notification des bordereaux précités, le contribuable lui a remis des pièces supplémentaires destinées à démontrer son domicile fiscal en Valais, dont notamment un tableau récapitulant les jours de présence des contribuables de 2016 à 2019 ainsi que les relevés de leurs cartes de crédit pour ces années.

22.         Les parties ont eu un entretien téléphonique le 9 décembre 2020.

23.         Le 18 février 2021, les contribuables ont soutenu qu’ils pouvaient faire l’objet d’une taxation séparée et indiqué comprendre que l’AFC-GE était d’avis qu’ils n’avaient pas démontré à satisfaction leur séparation. Il ne leur appartenait toutefois pas d’apporter une telle preuve, le maintien de l’union conjugale devant être prouvé par l’AFC-GE.

Ils ont requis de pouvoir consulter le dossier de l’AFC-GE afin de se déterminer sur les pièces sur lesquelles elle entendait s’appuyer pour contester leurs taxations séparées et le domicile fiscal valaisan du contribuable.

24.         Le 24 février 2021, l’AFC-GE a répondu qu’aucune demande d’accès au dossier n’avait été formulée auparavant. En janvier 2020, avant d’accepter de surseoir, à leur demande, à la notification des bordereaux de rappel d’impôt et amende en vue de recevoir des informations complémentaires de leur part, elle était prête à clore l’instruction des procédures en rappel d’impôt et soustraction. Dans ce contexte, elle leur donnerait accès, dans les meilleurs délais, aux éléments démontrant le bien-fondé de sa position.

25.         Les parties ont eu un entretien téléphonique le 30 juin 2021, puis une réunion le 13 juillet 2021.

26.         Le 15 juillet 2021, faisant suite à ces entretien et réunion, le contribuable a affirmé que l’AFC-GE ne pouvait émettre des bordereaux de rappels d’impôts « par estimation » à son encontre en raison de la péremption du droit de taxer, qui était atteinte, et de l’obligation de rendre une décision préjudicielle compte tenu du conflit intercantonal, les cantons du Valais et de Vaud étant directement concernés puisqu’il y avait été taxé - par des décisions en force - pour les périodes fiscales en cause.

27.         Par décision du 20 août 2021 adressés aux contribuables, faisant suite au courrier précité, l’AFC-GE a assujetti le contribuable aux ICC 2009-2016 dans le canton de Genève, de façon illimitée.

Le domicile fiscal genevois de la contribuable était incontesté et incontestable. Malgré la communication d’une supposée séparation de fait intervenue en 2005, aucun élément probant permettant de démontrer une rupture de l’union conjugale des contribuables n’existait. Au contraire, l’ouvrage biographique publié en 2017 dépeignait un couple harmonieux après plus de trente ans de mariage. S’agissant de la mise en commun des moyens d’existence, les ressources déclarées par la contribuable, dont sa pension alimentaire, ne lui permettaient pas de maintenir son niveau de vie : sa dernière pension ne couvrait même pas ses intérêts hypothécai-res. Cette insuffisance de moyens expliquait vraisemblablement les donations déclarées en 2012, 2015, 2016 et 2017 pour un total de CHF 2’989’500.-. Le prêt de CHF 10 millions ayant permis d’entreprendre des travaux sur la demeure de la contribuable avait été financé par son époux, par l’entremise de O______ SA. Les intérêts y relatifs étaient de plus capitalisés au lieu d’être versés et que bien que la contribuable était financièrement incapable de procéder au remboursement dudit prêt, O______ SA avait pourtant indiqué, le 14 mai 2018, que ses « expectatives matrimoniales » lui permettraient de le faire d’ici l’échéance du 15 décembre 2025. Enfin, les informations communiquées le 15 juillet 2021 démontraient le maintien de l’union conjugale, respectivement rendaient vraisemblable le maintien du centre des intérêts personnels du contribuable à Genève aux côtés de son épouse et de leurs enfants jusqu’à ce que ceux-ci quittent le foyer familial.

28.         Le même jour, l’AFC-GE leur a communiqué un chargé de vingt-neuf pièces pour accéder à leur demande du 18 février 2021.

29.         Le 21 septembre 2021, les contribuables ont élevé réclamation à l’encontre de cette décision. En résumé, ils ont fait valoir que les conditions d’une taxation séparée étaient réalisées, se sont plaints d’une violation de leur droit d’être entendus, du fait que l’AFC-GE n’avait pas pris position sur leurs preuves pertinentes, et ont soutenu que les pièces produites par l’AFC-GE - ils se sont prononcées en détail sur chacune d’elles - pour fonder sa position ne démontraient aucunement le maintien de l’union conjugale ou un domicile du contribuable à Genève.

Ils ont aussi invoqué l’exception de la péremption du droit de taxer, exposant que l’AFC-GE aurait dû faire valoir sa prétention dans l’année suivant la période de taxation, donc au plus tard, pour 2016, à fin 2018. Certes, ils ne pouvaient élever eux-mêmes cette exception, mais ils attiraient l’attention de l’AFC-GE sur ce point dans la mesure où l’AFC-VS avait d’ores et déjà indiqué son intention de faire valoir cette exception.

30.         Le 12 octobre 2021, l’AFC-VS a informé l’AFC-GE avoir pris connaissance de la décision du 20 août 2021 et a soulevé l’exception de péremption du droit de taxer. Selon la jurisprudence, dans un rapport de double imposition intercantonale, un canton était déchu de son droit d’imposer s’il ne se manifestait pas dans le délai de deux ans après la fin de la période fiscale considérée (règle du n+2). Assujetti depuis le 1er janvier 2011 de manière illimitée aux impôts cantonal et communal en Valais, le contribuable avait été informé le 13 juin 2019 qu’il serait assujetti dans le canton de Genève pour les années fiscales 2011 à 2016, de sorte que le délai de péremption de deux ans était échu.

31.         Le 16 novembre 2021, l’AFC-GE lui a répondu qu’elle entendait poursuivre son contrôle, n’ayant aucunement tardé à élever ses prétentions fiscales à l’endroit du contribuable. Par ailleurs, à la lumière de la jurisprudence relative à l’abus de droit, dans la mesure où celui-ci avait intentionnellement annoncé sa résidence fiscale en Valais alors même que son assujettissement illimité à Genève devait être maintenu, il n’était pas légitimé à requérir que les bordereaux de taxation en Valais soient annulés sous prétexte d’une double imposition.

32.         Par décision sur réclamation du même jour, l’AFC-GE a maintenu l’assujettis-sement illimité du contribuable aux ICC 2009-2016 dans le canton de Genève.

Cette décision de vingt-cinq pages était accompagnée d’un tableau de cinq pages résumant les indices plaidant en faveur du maintien de l’union conjugale et donc du centre des intérêts vitaux du recourant à Genève au cours des années fiscales en cause.

33.         Par acte du 16 décembre 2021, sous la plume de leurs conseils, les contribuables ont interjeté recours contre cette décision par devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à ce qu’il soit constaté que le recourant n’était pas assujetti de manière illimitée aux ICC dans le canton de Genève lors des périodes fiscales 2009 à 2016, avec suite de frais et dépens.

Les conditions d’un rappel d’impôt n’étaient pas réalisées. L’AFC-GE était déjà informée depuis des années, avant d’ouvrir les procédures en rappel d’impôt et soustraction litigieuses, de la séparation de fait des recourants, de l’absence d’une convention de séparation, du versement d’une contribution d’entretien annuel entre CHF 90’000.- et 99’000.-, du contrat de prêt de O______ SA ainsi que de la capitalisation des intérêts, du contrat de prêt entre le recourant et ses enfants, de ses donations en faveur de son épouse, de l’existence de N______ SA, appartenant aux enfants et destinée à acquérir des biens immobiliers leur étant destinés, ainsi que du contrôle effectué en 2016 par l’AFC-CH, à la demande de l’autorité intimée, et resté sans réaction de sa part. Dans ces circonstances, l’AFC-GE connaissait depuis de nombreuses années les éléments qu’elle présentait comme « nouveaux » pour justifier le rappel d’impôt introduit en 2019. Il n’existait en réalité aucun moyen de preuve ou fait nouveau ouvrant la voie aux procédures de rappel d’impôt en 2019 et il était inadmissible de justifier de telles procédures sur des conjectures et de simples suppositions, en se fondant sur des informations non vérifiées, glanées dans une biographie non autorisée ou encore sur internet.

Leur droit d’être entendus avait été violé. L’AFC-GE alléguait des éléments sans se référer à aucune pièce pour soutenir son appréciation des faits ou son « faisceau d’indices », de sorte que sa décision était insuffisamment motivée. Malgré leurs demandes répétées, elle avait en outre refusé pendant plus d’un an de leur donner accès au dossier.

L’appréciation des preuves effectuée par l’AFC-GE était arbitraire et la décision litigieuse présentait un état de fait erroné. Cette autorité, qui avait diligenté son enquête et toutes les étapes ultérieures de la procédure uniquement à charge et par le biais principalement du même fonctionnaire, se fondait pour l’essentiel sur des informations glanées dans la presse, sur internet ou dans une biographie remplie d’inexactitudes. Elle refusait que de telles informations, sujettes à caution puisque leurs sources n’étaient ni vérifiées ni vérifiables, puissent poser question et tentait de leur conférer une pertinence qu’elles ne pouvaient avoir. Elle refusait aussi de prendre en considération les éléments favorables au recourant, tels les lieux de vie de ses enfants, qui influaient sur le centre de ses intérêts vitaux. Elle ne retenait que les éléments s’accordant à sa présentation des faits et tirait des conclusions insoutenables d’autres éléments, par exemple les lieux de séjour du recourant en 2016 et l’existence de la Q______, et utilisait ses notes internes comme moyen de preuve. Il convenait aussi de retenir que la contribution d’entretien convenue en 2005 correspondait au train de vie de l’époque de la recourante et que l’autorité intimée faisait preuve de mauvaise foi lorsqu’elle était confrontée à ses propres contradictions. Leur mariage religieux avait eu lieu pour permettre à leurs enfants de se marier en Israël, ce qui était impossible si leurs parents n’étaient pas mariés religieusement et leur mère juive ; la recourante s’était d’ailleurs convertie au judaïsme pour cette raison.

Les conditions d’une taxation séparée étaient réalisées. Chacun des recourants bénéficiait d’un logement distinct depuis 2005. Ils n’avaient pas mis en commun des fonds pour le logement et l’entretien, étant relevé, fait non retenu par l’AFC-GE, que le recourant payait directement de nombreux frais relatifs aux enfants, tels les frais d’écolage, leur assurance maladie et leurs vacances et que ceux-ci avaient des cartes de crédit débitées sur son compte. Il n’était pas inhabituel pour un couple séparé ayant gardé des relations non conflictuelles d’utiliser le même family office et on ne pouvait pour autant en conclure qu’ils mettaient en commun leur fonds et menaient une vie commune. De même, les enfants utilisaient encore les services du family office et ne faisaient plus ménage commun avec leur père pour autant. La condition relative à l’absence d’apparition en public du couple était remplie. De son propre aveu, l’AFC-GE avait indiqué, par l’entremise de la directrice du contrôle lors de l’entrevue du 13 juillet 2021, s’intéresser « au cas » du recourant depuis 2016 déjà, moment où elle avait interpellé l’AFC-CH au sujet de son domicile valaisan. Or, malgré cinq ans d’enquête, l’AFC-GE n’avait été capable que de produire trois photos où les recourants apparaissaient ensemble, toutes prises en novembre 2016 lors de la pose de la première pierre du S______ de T______ (Israël) au nom des parents du recourant, événement auquel leurs deux filles étaient également présentes.

L’exception de la péremption du droit de taxer devait être prise en compte ; à ce sujet, l’intérêt d’appeler en cause les cantons de Vaud et Valais dans le cadre de la présente procédure était laissé à l’appréciation du tribunal.

Au surplus, les recourants ont commenté spécifiquement les éléments et indices retenus par l’AFC-GE sous la forme d’annexe à leurs écritures, concluant qu’ils étaient soit inexacts, soit interprétés faussement en dépit du texte, soit sortis de leur contexte ou encore sans lien avec les années fiscales en cause.

À l’appui de leurs écritures, les recourants ont produit de nombreuses pièces, dont notamment des attestations de personnes certifiant avoir fréquenté le recourant à H______ (VD) ou à I______ (VS) et attestant qu’il y vivait de manière stable sans son épouse.

34.         Dans sa réponse du 7 avril 2022, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Divers éléments avaient été recueillis lors de la procédure de contrôle. En 1999, le contribuable avait vendu sa société à un groupe américain, y obtenant des parts et un poste au sein de la société genevoise dudit groupe. Quelques mois plus tard, la vente de ces parts lui avait rapporté environ EUR 30 millions. En 2001, il avait fondé son propre groupe qui s’était développé au cours des années suivantes et qui comprenait diverses sociétés de renom. Il avait notamment acquis une partie d’un groupe et la totalité d’un groupe américains pour USD neuf milliards et USD 17 milliards et sept cent millions ; il les avait ensuite cédés à une société détenue partiellement par une holding luxembourgeoise dont son épouse était actionnaire à 50%, l’autre moitié appartenant à leurs enfants. Pour effectuer ces opérations, le recourant avait contracté, depuis 2002 notamment, des dettes fort importantes et avait risqué de conduire son groupe à la faillite.

Nonobstant ses changements d’adresses officiels, le recourant avait conservé le centre de ses intérêts personnels, familiaux et professionnels à Genève, auprès de son épouse. En 2016, ils avaient passé 322 voire même 332 jours ensemble, tant à Genève qu’à l’étranger, soit environ 90% de leur temps.

La rupture du lien conjugal, prétendument intervenue en 2005, n’avait jamais été reconnaissable pour les tiers. À de nombreuses reprises lors des années fiscales en cause, les recourants s’étaient présentés comme un couple amoureux et uni devant les tiers, ainsi qu’il résultait de multiples articles de presse parus entre septembre 2013 et janvier 2017 - lesquels, rapportant les propos du recourant ou de ses collaborateurs et relations d’affaires, n’étaient pas erronés - et après mai 2020. La constatation du maintien de la vie commune ressortait également de l’ouvrage biographique publié en 2017. En outre, la recourante n’avait été inscrite auprès de l’OCPM, comme personne vivant seule à Genève, séparée de son époux, qu’à partir de janvier 2012. En fait, leur lien conjugal n’avait jamais été rompu, comme le démontrait le fait que la recourante s’est domiciliée officiellement à I______ (VS), en décembre 2020, dans l’appartement de son époux. Les recourants, qui avaient continué à fréquemment voyager ensemble, avec ou sans leurs enfants, comme par exemple pendant les vacances de Noël en 2015, s’étaient mariés religieusement en octobre 2014. Ainsi, les recourants n’avaient pas démontré la rupture de leur lien conjugal en 2005, tandis qu’elle avait recueilli un faisceau d’indices concluants démontrant que ce qui était reconnaissable pour les tiers lors des périodes fiscales en cause, c’était que le centre des intérêts vitaux, familiaux et professionnels du recourant était demeuré à Genève, auprès de son épouse et de leurs enfants.

L’acte notarié des 16 septembre et 7 octobre 2005, qui avait eu pour seul effet de liquider le régime matrimonial de la participation aux acquêts et de le remplacer par celui de la séparation de biens, n’était pas une convention de séparation de corps, mais un contrat de mariage impliquant le maintien de l’union conjugale. Il ne prévoyait aucun domicile séparé des époux et ne se prononçait ni sur l’autorité parentale ou la garde des enfants, ni sur un droit de visite, ni sur une contribution d’entretien en faveur de l’épouse et/ou des enfants, tous mineurs à l’époque. En outre, ce contrat était censé anticiper un divorce qui n’était jamais intervenu.

Les recourants avaient géré leurs actifs de manière commune. Le contrat de séparation de biens n’ayant pas apporté à son épouse, laquelle n’a jamais exercé d’activité lucrative durant son séjour à Genève, des actifs suffisants pour payer les intérêts hypothécaires ou rembourser les prêts garantis par des cédules grevant sa demeure, le recourant lui avait régulièrement effectué des donations. Il lui avait également permis, par le biais de O______ SA, d’effectuer des travaux à hauteur de CHF 10 millions sur la demeure conjugale. La recourante avait géré certains actifs mis en commun, par exemple des parts dans des sociétés civiles immobilières françaises. Elle n’avait démissionné de ses fonctions d’associée-gérante de la SCI U______, constituée en septembre 2000, qu’en juillet 2013, alors que le contrat de séparation de biens attribuait cette société au seul recourant ; les statuts de cette société, mis à jour en 2013, indiquaient d’ailleurs que les recourants étaient tous deux domiciliés à C______ (GE). En août 2009, ceux-ci avaient aussi constitué la SCI V______, dont ils détenaient chacun la moitié des parts (total d’EUR 10’000.-) et que la recourante n’avait jamais déclaré au fisc ; à teneur de l’acte constitutif de cette société, ils étaient tous deux mariés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts. En qualité de principale actionnaire d’une holding luxembourgeoise détenant une participation dans une société gérant les affaires américaines du groupe de son époux, la recourante bénéficiait aussi du rendement d’une partie des intérêts de son époux. Elle avait de plus siégé avec celui-ci au sein de la Q______ et ils avaient continué à faire gérer leurs futures retraites par une seule caisse de compensation AVS, la recourante ayant changé de caisses en se calquant sur les changements de domicile officiels annoncés par son époux. Ainsi, la recourante avait continué à dépendre entièrement de son époux au niveau financier, tant pour son entretien que pour son logement, et ce jusqu’à ce jour : tel n’aurait pas été le cas si les recourants avaient réellement procédé à une séparation de corps en 2005.

Les recourants ne sauraient faire valoir la prétendue péremption du droit de taxer. Sur le plan procédural, l’interdiction de la double imposition intercantonale était restreinte par l’absence de bonne foi du contribuable s’en prévalant. Or, le grief du recourant relevait de l’abus de droit. En créant les apparences d’un nouveau domicile à H______ (VD) puis à I______ (VS), il avait entendu déterminer à sa guise le lieu de son domicile fiscal, en violation des règles légales et de la jurisprudence selon lesquelles ce domicile était déterminé par des critères objectifs et non subjectifs. Il s’était laissé volontairement imposer par les cantons de Vaud et du Valais alors qu’il savait que son domicile fiscal était demeuré à Genève, obtenant ainsi une imposition selon la dépense bien plus avantageuse que celle qui lui aurait été notifiée à Genève. Il ne saurait tirer argument du contrôle effectué par l’AFC-VS sur demande de l’AFC-CH en faisant valoir que l’AFC-GE aurait eu connaissance déjà à cette époque d’un problème en lien avec la réalité du domicile à I______ (VS). En effet, elle n’avait été informée que de démarches portant sur l’analyse des conditions de l’imposition selon la dépense. N’ayant aucun motif de remettre en doute les informations des AFC-CH et AFC-VS, elle n’avait aucune raison de soupçonner que la réalité du domicile à I______ (VS) pouvait être remise en cause.

Elle n’entendait pas se prononcer sur les reproches de partialité formulés par les recourants, mais soulignait que chaque dossier était instruit objectivement et que les nombreux entretiens et discussions ayant eu lieu avant la décision du 20 août 2021 démontraient sa volonté d’effectuer une instruction complète et sans a priori du dossier.

35.         Par réplique du 6 mai 2022, les recourants ont persisté dans leurs conclusions.

L’absence de publication sur internet ou dans la presse relatant une séparation, un divorce ou une aventure extraconjugale ne pouvait pas être considérée comme une preuve que les recourants menaient une vie commune. Le recourant apparaissait dans la presse exclusivement en raison de ses activités entrepreneuriales et sa biographie non-autorisée était également consacrée à sa carrière professionnelle ; sa vie privée étant sans pertinence dans ce contexte, les sources et informations à ce sujet n’étaient manifestement pas vérifiées. Lorsqu’il s’agissait d’examiner la perception de tiers dans la composante intentionnelle du domicile, cela concernait la perception de personnes côtoyant le recourant au quotidien (soit des amis, des relations en affaires ou des employés) et non des journalistes, sachant en outre que le recourant ne contrôlait aucunement l’image que les médias, sans le connaître ou même le consulter, lui donnaient. Il était choquant que l’autorité intimée considère corrects les articles citant Genève comme son domicile et erronés ceux citant d’autre lieux, sans expliquer pourquoi une affirmation serait plus correcte qu’une autre.

L’AFC-GE avait admis avoir été au courant des questionnements de l’AFC-CH en 2016 concernant le domicile valaisan du recourant. Elle aurait donc dû réagir à cette époque si elle entendait faire valoir des prétentions fiscales et revendiquer un domicile genevois pour le recourant.

Les recourants n’avaient nullement adopté un comportement contraire à la bonne foi constitutif d’un abus les empêchant d’être protégés d’une double imposition intercantonale. Le recourant n’avait en particulier pas créé les apparences d’un nouveau domicile dans le canton de Vaud, puis du Valais, et les parallèles que l’AFC-GE essayait de tirer de la jurisprudence qu’elle avait citée (concernant un domicile fictif de type « boîte aux lettres ») tombaient à faux.

Tout en étant conscients qu’ils ne pouvaient formellement soulever l’exception de la péremption du droit de taxer, il était évident qu’à défaut d’avoir agi à temps, l’AFC-GE était déchu de son droit d’imposer le recourant. Conformément à la jurisprudence, si elle voulait procéder à un rappel d’impôt durant la période fiscale 2019, elle ne pouvait faire valoir des prétentions imposables que dès la période 2017, mais pas pour les années antérieures (règle du n+2).

36.         Le 10 juin 2022, l’AFC-VS a informé le tribunal avoir soulevé l’exception de la péremption du droit de taxer pour les périodes fiscales 2011 à 2016 et a affirmé que le domicile fiscal du recourant se situait à I______ (VS) dès la période fiscale 2011. Une personnalité de son ampleur n’aurait raisonnablement pas pu conserver aussi longtemps le centre de ses intérêts dans le canton de Genève, sans que l’AFC-GE ne puisse déceler sa présence et réunir plus tôt les éléments propres à y fonder son assujettissement illimité. Il lui apparaissait important d’attirer l’attention du tribunal sur ce point, ignorant en l’état si celui-ci jugerait pertinent que les cantons du Valais et de Vaud soient formellement appelés en cause.

37.         Par duplique du 30 juin 2022, l’AFC-GE a intégralement persisté dans les considérants et les conclusions de sa réponse du 7 avril 2022.

Elle s’est déterminée sur diverses remarques de la réplique, en particulier sur les lieux où les recourants se trouvaient en 2016 et avant cette année ainsi que sur les articles de presse et autres médias. À cet égard, elle a fait valoir que son dossier n’était pas essentiellement constitué de coupures de pièces et d’une biographie non autorisée, mais il se fondait sur plus de nonante indices recueillis au cours de la procédure (résumés dans un tableau produit sous pièce n° 70).

38.         Le 12 juillet 2022, les recourants se sont déterminés sur la duplique.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l’art. 49 LPFisc.

3.             L’appel en cause des AFC-VS et AFC-VD n’est, compte tenu de l’issue de la présente procédure, pas nécessaire.

4.             Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives et le contenu des pièces qu’elles ont versées au dossier seront repris et discutés dans la mesure utile (arrêts du Tribunal fédéral 1C_159/2020 du 5 octobre 2020 consid. 2.1.1 ; 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 4.1).

5.             De jurisprudence constante, les questions de droit matériel doivent être résolues à l’aune du droit en vigueur lors des périodes fiscales litigieuses ; le rappel d’impôt relevant du droit matériel, le droit applicable obéit aux mêmes règles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_74/2021 du 26 juillet 2021 consid. 3 ; ATA/962/2019 du 28 mai 2019 consid. 3).

La loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), entrée en vigueur le 1er janvier 2010, ne s’applique qu’à partir de 2010 (art. 72 LIPP). Le litige est donc soumis aux cinq lois cantonales que la LIPP a remplacées et qui sont désignées à l’art. 69 LIPP qui les abrogent, ainsi qu’à leur réglementation d’application pour les périodes fiscales 2008 à 2009, et par la LIPP pour les années fiscales 2010 à 2016.

Il est aussi soumis aux dispositions de la LPFisc, entrée en vigueur le 1er janvier 2002. Enfin, la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) est applicable dans la mesure où la LPFisc n’y déroge pas (art. 2 al. 2 LPFisc).

6.             L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. L’objet du litige correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/755/2022 du 26 juillet 2022 consid. 2a). La contestation ne peut excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/85/2022 du 1er février 2022 consid. 3a).

7.             En l’occurrence, l’objet du litige se rapporte exclusivement à l’assujettissement du recourant aux ICC dans le canton de Genève et ne concerne pas l’impôt fédéral direct. Il n’est partant pas nécessaire, au sens de l’art. 108 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), de demander à l’AFC-CH de fixer le for fiscal.

8.             Les recourants se plaignent qu’ils n’ont pas eu accès à leur dossier avant le prononcé de la décision du 20 août 2021, alors qu’ils en avaient fait la demande. Ils soutiennent aussi que la décision entreprise n’est pas suffisamment motivée, l’autorité intimée alléguant des faits sans se référer à aucune pièce. L’AFC-GE n’a pas pris position sur ces griefs de nature formelle qu’il convient d’examiner en premier (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; ATA/573/2022 du 31 mai 2022 consid. 5).

9.             Le droit de consulter le dossier est un aspect du droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; ATF 142 I 86 consid. 2.2). Il s’étend à toutes les pièces décisives figurant au dossier et garantit que les parties puissent prendre connais-sance des éléments fondant la décision et s’exprimer à leur sujet (arrêt du Tribunal fédéral 1C_415/2019 du 27 mars 2020 consid. 2.3.1). Ce droit doit être respecté tant lors de la procédure conduisant à la première décision de l’autorité fiscale que lors de la procédure aboutissant à la décision sur réclamation (Martin ZWEIFEL/ Silvia HUNZIKER, in Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH, Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, 3ème éd. 2017, n. 29b ad art. 48, p. 1380).

Le principe de l’accès au dossier figure également à l’art. 44 LPA, alors que les restrictions sont traitées à l’art. 45 LPA. Ces dispositions n’offrent cependant pas de garantie plus étendue que l’art. 29 al. 2 Cst. Ce droit doit également pouvoir s’exercer lorsque les pièces du dossier ne sont pas de nature à influencer la décision à rendre. Il ne suffit donc pas, pour refuser la consultation d’un acte dans une procédure déterminée, de déclarer que le document en cause est sans importance pour l’issue de la procédure. Il faut plutôt laisser à la partie qui en demande la consultation de juger elle-même de la pertinence de cet acte. Le dossier doit être complet et l’administré dispose du droit d’avoir accès à tous les éléments de celui-ci, même si ceux-ci ne sont visés ni dans la décision dont est recours, ni dans les écritures de l’administration (ATA/118/2021 du 2 février 2021 consid. 5a).

Les art. 17 al. 2 LPFisc et 41 al. 1 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) prévoient aussi que le contribuable peut consulter les pièces du dossier qu’il a produites ou signées. Il peut prendre connaissance des autres pièces une fois les faits établis et à condition que des intérêts publics ou privés ne s’y opposent pas.

10.         Le droit d’être entendu implique aussi l’obligation, pour l’autorité, de motiver sa décision (cf. également art. 41 al. 3 LHID, 43 al. 2 LPFisc) afin que le destinataire puisse la comprendre, l’attaquer utilement s’il y a lieu et afin que l’autorité de recours puisse exercer son contrôle. L’autorité doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidé et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l’attaquer en connaissance de cause. Elle n’est pas tenue de discuter tous les arguments soulevés, mais peut se limiter à l’examen des questions décisives pour l’issue du litige. La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision. Savoir si la motivation présentée est convaincante est une question distincte de celle du droit à une décision motivée. Dès lors que l’on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l’autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_762/2020 du 17 mars 2021 consid. 2.1 et les références citées ; 1C_415/2019 du 27 mars 2020 consid. 2.1 ; ATA/447/2021 du 27 avril 2021 consid. 6b).

Une violation du droit d’être entendu peut cependant être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s’exprimer devant une autorité de recours jouissant d’un plein pouvoir d’examen, pour autant que celle-ci dispose du même pouvoir d’examen que l’autorité inférieure. Si une telle réparation dépend de la gravité et de l’étendue de l’atteinte portée au droit d’être entendu et doit rester l’exception, elle peut cependant se justifier même en présence d’un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure. En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; ATA/782/2022 du 9 août 2022 consid. 2b ; ATA/447/2021 du 27 avril 2021 consid. 6c et les références citées).

Dans la procédure de recours, le tribunal a les mêmes compétences que le département dans la procédure de taxation (art. 48 al. 3 LHID, 50 al. 2 LPFisc).

11.         En l’espèce, il est patent que les recourants n’ont pas bénéficié du droit d’accéder à leur dossier avant le prononcé de la décision d’assujettissement du 20 août 2021, ne recevant en effet les pièces sur lesquelles l’AFC-GE a fondé sa décision, qu’ils avaient réclamées six mois auparavant, le 18 février 2021, qu’avec cette dernière. Cela étant, il convient de constater que les recourants ont pu se prononcer sur ces pièces tant dans leur réclamation que dans le cadre de la présente procédure, étant relevé que le tribunal dispose du même pouvoir d’examen que l’autorité intimée.

S’agissant du défaut de motivation, même en admettant que la décision entreprise n’était pas suffisamment motivée en raison du fait que les allégués de l’autorité intimée n’étaient pas systématiquement étayées par le renvoi à une pièce, question qui peut demeurer ouverte en l’espèce, il faudrait à nouveau constater qu’une telle éventuelle violation du droit d’être entendu aurait été réparée dans le cadre de la présente procédure. En effet, dans sa réponse du 7 avril 2022, l’autorité intimée a exposé un état de fait en mentionnant les pièces soutenant ces allégations et fourni une pièce (n° 70) les résumant. Les parties se sont ensuite encore déterminées, dans leur réplique, duplique et écritures du 12 juillet 2022, sur les points litigieux.

Dans ces circonstances, ces griefs tirés de la violation du droit d’être entendu seront écartés.

12.         Les recourants soutiennent que les conditions pour effectuer un rappel d’impôt ne sont pas réalisées, ce que l’autorité intimée conteste.

13.         Selon les art. 53 al. 1 LHID et 59 al. 1 LPFisc, lorsque des moyens de preuve ou des faits jusque-là inconnus de l’autorité fiscale lui permettent d’établir qu’une taxation n’a pas été effectuée, alors qu’elle aurait dû l’être, ou qu’une taxation entrée en force est incomplète ou qu’une taxation non effectuée ou incomplète est due à un crime ou à un délit commis contre l’autorité fiscale, cette dernière procède au rappel de l’impôt qui n’a pas été perçu, y compris les intérêts.

Le rappel d’impôt est ainsi soumis à des conditions objectives. Il faut d’abord qu’une taxation n’ait, à tort, pas été établie ou soit restée incomplète, de sorte que la collectivité publique a subi une perte fiscale. Le rappel d’impôt suppose ensuite l’existence d’un motif de rappel. A cet égard, l’art. 59 al. 1 LPFisc envisage en premier lieu la découverte de moyens de preuve ou de faits jusque-là inconnus de l’autorité fiscale. Il y a dès lors motif à rappel d’impôt lorsque l’autorité découvre des faits ou des moyens de preuve qui ne ressortaient pas du dossier dont elle disposait au moment de la taxation (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_676/2016 du 5 décembre 2017 consid. 4.1; 2C_1018/2015 du 2 novembre 2017 consid. 6.1, in Archives 86 p. 407, RF 73/2018 p. 255 et RDAF 2017 II 630, tous deux avec les références citées).

Le rappel d’impôt ne peut porter que sur les points pour lesquels l’autorité fiscale dispose de nouveaux éléments (Hugo CASANOVA/Claude-Emmanuel DUBEY, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2ème éd., 2017, n. 8 ad art. 151 LIFD et références citées, p. 1812).

14.         Aux termes des art. 60 al. 1 et 76 al. 1 LPFisc, le contribuable est avisé par écrit de l’ouverture des procédures en rappel et en soustraction d’impôt.

L’art. 60 LPFisc n’oblige pas l’AFC-GE à donner, dans l’avis d’ouverture de la procédure, les raisons détaillées qui l’ont amenée à prendre une telle décision. Elle doit seulement être en mesure de la justifier si elle est contestée (ATA/167/2012 du 27 mars 2012 consid. 5). À cet égard, de simples soupçons quant à l’exactitude de la déclaration fiscale sont suffisants pour justifier l’ouverture d’une procédure en rappel d’impôt (arrêt du Tribunal fédéral 2C_760/2017 du 15 juin 2018 consid. 6.4 ; ATA/1249/2020 du 8 décembre 2020 consid. 6).

En tout état, cet avis d’ouverture n’a qu’un caractère informatif et ne constitue nullement une condition de validité qui empêcherait un rappel d’impôt (Peter LOCHER, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, III. Teil, 2015, n. 5 ad art. 153 et les références citées).

15.         Il convient de ne pas confondre les motifs d’ouverture de la procédure de rappel d’impôt, pour laquelle de simples soupçons sont suffisants nonobstant leur source, avec le bien-fondé matériel des rappels. En effet, il découle des dispositions susmentionnées et de la jurisprudence que l’existence d’éléments nouveaux ne conditionne pas l’ouverture d’une procédure en rappel d’impôt, mais seulement le rappel d’impôt proprement dit, auquel il sera procédé, le cas échéant, au terme de cette procédure. En d’autres termes, l’AFC-GE peut ouvrir une telle procédure même en l’absence de faits nouveaux (JTAPI/956/2016 du 19 septembre 2016 consid. 9, confirmé par ATA/1060/2017 du 4 juillet 2017 consid. 6). En revanche, elle ne peut opérer un rappel d’impôt que sur la base de tels faits, dont l’existence constitue précisément l’un des objets de la procédure.

16.         Le droit d’introduire une procédure de rappel d’impôt s’éteint dix ans après la fin de la période fiscale pour laquelle la taxation n’a pas été effectuée, alors qu’elle aurait dû l’être, ou pour laquelle la taxation entrée en force était incomplète (art. 53 al. 2 LHID et 61 al. 1 LPFisc). Le droit de procéder au rappel de l’impôt s’éteint quinze ans après la fin de la période fiscale à laquelle il se rapporte (art. 53 al. 3 LHID et 61 al. 3 LPFisc).

À teneur de ces dispositions, l’autorité fiscale n’est pas contrainte à introduire une procédure de rappel d’impôt dans un délai donné. Elle est libre d’initier une telle procédure à son bon vouloir, avec la contrepartie que l’écoulement du temps a pour effet que des années fiscales peuvent être prescrites au cours de la procédure subséquente (cf. Martin E. LOOSER, in Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH, op. cit., n. 29 ad. art. 53, p. 1527).

17.         Une exception jurisprudentielle existe toutefois en matière de double imposition, laquelle se réalise en particulier lorsqu’un contribuable est concrètement soumis, par deux cantons, sur le même objet, pendant la même période, à des impôts analogues (double imposition effective ; ATF 140 I 114 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_323/2021 du 8 mars 2022 consid. 2.1 ; C_974/2019 du 17 décembre 2020 consid. 13.1).

Dans un tel cas de figure, la jurisprudence a en effet retenu qu’il y avait lieu de se montrer strict et que le canton devait donc faire valoir sa prétention dès qu’il avait connaissance des faits déterminants pour l’imposition (« umso strenger wird gefordert, dass der berechtigte Kanton den Steueranspruch erhebt, sobald er von den massgebenden Verhältnissen Kenntnis hat »). En effet, dans le cadre d’une procédure de rappel d’impôt, il fallait particulièrement s’attendre à des répercus-sions sur les impôts déjà perçus dans d’autres cantons (arrêts du Tribunal fédéral 2C_428/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.2 ; 2C_604/2013 du 10 février 2014 consid. 4.2). La doctrine partage cet avis (Raphaël GANI, Jurisprudence en matière de double imposition intercantonale durant le premier semestre 2021, ASA 90 / 7 / 2021-2022, p. 364).

Cette exception ne s’applique cependant que dans le cadre d’une péremption du droit d’imposer, laquelle ne peut être élevée que par un canton et non par le contribuable lui-même puisque cette institution a pour but de protéger le ou les autres cantons (ATF 139 I 64 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 2C_428/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.3). À cet égard, le tribunal est en mesure d’examiner cette problématique lorsque l’autorité fiscale du canton impliqué dans la double imposition expose vouloir se prévaloir de cette exception, et ce même si elle n’est pas partie à la présente procédure (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_619/2010 du 22 novembre 2010 consid. 4.3).

18.         En matière fiscale, les règles générales du fardeau de la preuve ont pour effet que l’autorité fiscale doit établir les faits qui justifient l’assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment. Ainsi, si les preuves recueillies par l’autorité fiscale apportent suffisamment d’indices révélant l’existence d’éléments imposables, il appartient au contribuable d’établir l’exactitude de ses allégations et de supporter le fardeau de la preuve du fait qui justifie son exonération. Ces règles s’appliquent également à la procédure devant les autorités de recours en matière fiscale (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_137/ 2019 du 23 janvier 2020 consid. 6.3 ; 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.5 ; ATA/853/2022 du 23 août 2022 consid. 8f).

En particulier, il appartient à l’autorité fiscale de démontrer le domicile fiscal du contribuable, lequel a un devoir de collaboration (arrêt du Tribunal fédéral 2C_ 588/2021 du 2 juin 2022 consid. 3.1.2 ss).

19.         En l’occurrence, il n’est ni contesté ni contestable que si le recourant devait être assujetti aux ICC dans le canton de Genève lors des années fiscales en cause, il ferait l’objet d’une double imposition effective. Il est aussi manifeste que l’AFC-VS s’est prévalue auprès de l’AFC-GE de l’exception de la péremption du droit d’imposer et qu’il convient donc de trancher ce point.

L’AFC-GE n’a jamais explicitement précisé quels étaient les éléments l’ayant fait retenir que l’union conjugale n’avait pas été rompue et que, partant, le recourant était resté domicilié à C______ (GE) auprès de son épouse, ni à quelle époque elle avait eu connaissance de ces faits justifiant, à son sens, l’assujettissement respectivement l’imposition du recourant. Or, le fardeau de prouver qu’elle a fait valoir sa prétention dès qu’elle a eu connaissance de ces faits lui incombe.

En outre, le tribunal constate qu’il ne ressort pas des vingt-neuf pièces transmises aux recourants le 20 août 2021 - soit des éléments ayant mené l’AFC-GE à retenir que le recourant vivait en ménage commun avec son épouse et que son domicile était à C______ (GE) - que l’autorité intimée a agi avec la célérité requise à compter du moment où elle a eu connaissance des faits déterminants pour l’assujettissement du recourant et l’introduction des procédures de rappel d’impôt.

En effet, aucune de ces pièces ne date d’une période proche du 13 juin 2019, date de l’introduction des procédures de rappel d’impôt, hormis peut-être les copies des contrats de mariage des filles des recourants, qui datent cependant du 21 mars 2019 et qui sont en outre sans pertinence pour déterminer le maintien ou non de la vie commune des recourants. Les autres pièces sont soit postérieures au 13 juin 2019 (copie d’une note de travail préparée dans le cadre du contrôle de l’AFC-CH et transmise à l’AFC-GE le 11 septembre 2019, réponse du 27 février 2020 d’une société à une demande de renseignements, extraits d’une base de données des CFF datés des 27 avril et 9 août 2021, observations faites dans les déclarations fiscales 2017 et 2018 des respectivement 3 juillet 2019 et 13 mai 2020), soit en possession de l’autorité intimée depuis de très nombreux mois avant le 13 juin 2019 (contrat de séparation de biens de 2005, contrat de donation du 4 juillet 2012, réponses aux demandes de renseignements pour les années fiscales 2005 et 2011, observations faites dans les déclarations fiscales 2015, extraits du registre de la population de l’OCPM concernant les recourants, réponse du 14 mai 2018 de O______ SA à une demande de renseignements) ou auraient pu l’être (extraits de la biographie publiée en octobre 2017 et articles de presse concernant le recourant de septembre 2013 à janvier 2017, images de presse le montrant alliance au doigt et/ou à côté de son épouse, qui sembleraient avoir été prises de novembre 2016, extrait du magazine W______ (______ 2019) publié par la communauté ______ (GE) communiquant les prochaines Bené et Benot-Mitzvah, dont celle des filles des recourants, extraits du registre du commerce concernant la Q______ et diverses sociétés, dont N______ SA et O______ SA). Enfin, certaines pièces ne peuvent être datées (le récapitulatif des cotisations AVS versées par la recourante dans les cantons de Vaud puis du Valais lors des années litigieuses et les relevés bancaires relatifs à un compte privé et un crédit hypothécaire ouverts au nom de la recourante et portant sur les années 2015 à 2018), mais rien ne permet de retenir que l’AFC-GE en ait pris connaissance peu avant le 13 juin 2019.

Ainsi, faute d’éléments démontrant que l’autorité intimée a initié les procédures en rappel d’impôt dès qu’elle a pris connaissance des faits déterminants pour l’assujettissement, force est de considérer que ces rappels ont été effectués tardivement et qu’ils doivent par conséquent, dans la constellation particulière de la présente procédure, être annulés.

20.         L’autorité intimée fait toutefois valoir que les recourants ne peuvent se prévaloir de l’interdiction de la double imposition, et donc par ricochet des exigences liées à la péremption du droit d’imposer.

21.         À teneur de son comportement, le contribuable peut perdre le droit de se plaindre d’une double imposition intercantonale dont il est victime devant le Tribunal fédéral. À cet égard, trois situations peuvent être distinguées. En premier lieu, le contribuable perd ce droit de se plaindre lorsqu’il reconnaît son obligation fiscale par rapport à un canton alors qu’il connaît la prétention fiscale concurrente d’un autre canton ; une telle reconnaissance de l’obligation fiscale peut avoir lieu expressément ou par actes concluants, par exemple en déposant une déclaration d’impôt sans faire de réserve ou en omettant d’élever réclamation dans les délais prescrits ou encore en acceptant une décision en la contresignant. Deuxièmement, le contribuable qui, bien que connaissant la prétention fiscale concurrente d’un autre canton, paie sans émettre de réserve l’impôt que lui réclame un canton, perd le droit de former un recours en matière de droit public. Enfin, le contribuable est déchu de son droit de recours contre une taxation effectuée par le canton à la souveraineté de laquelle il est à l’évidence soumis - même si l’étendue exacte de son assujettissement n’est pas encore précisément déterminée - dans la mesure où, refusant de remplir son devoir légal de collaboration dans la procédure de taxation, il oblige le canton en cause à procéder à une taxation d’office (arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1444/2018 du 25 mars 2021 consid. 6.3.2 s. et les références citées ; Arthur BRUNNER/Michael BEUSCH, in Martin ZWEIFEL/ Michael BEUSCH/Daniel DE VRIES REILINGH, Kommentar zum Schweize-rischen Steuerrecht, Interkantonales Steuerrecht, 2ème éd., 2021, § 42, n. 5 ss ; Daniel DE VRIES REILINGH, « Le recours au Tribunal fédéral en matière de double imposition intercantonale », IFF Forum für Steuerrecht 2013, p. 217 s.).

22.         En vertu de la jurisprudence, l’interdiction de la double imposition intercantonale est également restreinte, sur le plan de la procédure, par l’absence de bonne foi caractérisant le comportement du contribuable s’en prévalant, et à ce titre son grief devient constitutif d’un abus de droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_663/2019 du 26 mars 2020).

Au-delà du cas de figure où le contribuable reconnaît sans réserve la prétention d’un canton en connaissance de la prétention concurrente d’un autre canton, la déchéance du droit de recours contre une double imposition intercantonale ne doit toutefois être, compte tenu de la nature de l’interdiction de la double imposition en tant que droit constitutionnel, retenue qu’avec réserve, à savoir lorsque le comportement du contribuable se révèle abusif ou alors contraire à la bonne foi (ATF 147 I 325 consid. 4.2.1 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral A-1444/ 2018 du 25 mars 2021 consid. 6.3.3).

La jurisprudence a admis l’existence d’un comportement contraire à la bonne foi lorsqu’un contribuable savait ou devait savoir, en raison de la présence d’un établissement stable dans l’autre canton, que le canton de l’établissement stable ferait valoir une prétention conflictuelle et qu’il ne mentionnait pourtant pas l’existence d’un établissement stable dans l’autre canton dans la déclaration d’impôt du canton du premier (arrêt 2C_655/2016 du 17 juillet 2017 consid. 2.4.2), lorsqu’un contribuable donnait sciemment de fausses indications au premier canton (arrêt 2C_592/2018 du 1er octobre 2019 consid. 6.4 et 6.6) et lorsqu’un contribuable transférait son siège dans un autre canton en y établissement un « Briefkastendomizil », y payait sans réserve des impôts de manière illimitée puis, en cours de procédure, faisait valoir son assujettissement dans le canton où se trouvait l’administration effective (arrêt 2C_539/2017 du 7 février 2019 consid. 5.4).

23.         En l’espèce, il est patent - et la présente procédure le démontre - que le recourant n’a pas reconnu sans réserve la prétention du canton du Valais en connaissant de la prétention concurrente du canton de Genève. Depuis son départ de C______ (GE) en 2005, l’AFC-GE n’a pas entrepris de démarches à son encontre jusqu’en 2016, lorsqu’elle a requis un contrôle de la part de l’AFC-CH, autorité qui semble avoir retenu que le recourant était effectivement domicilié à I______ (VS). Partant, il ne peut lui être reproché d’avoir connu les prétentions genevoises pendant les périodes fiscales en cause.

La situation des recourants n’est en outre pas similaire à celle décrite dans l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_663/2019 précité, où le comportement du contribuable avait été contradictoire et contraire à la loyauté, ayant constitué un domicile boîte aux lettres et s’étant comporté comme si son lieu de l’administration effective se trouvait effectivement dans le canton de Zoug alors que tel n’était pas le cas. Il ne ressort en effet nullement du dossier que le recourant a « simplement » créé les apparences d’un nouveau domicile dans le canton de Vaud puis du Valais. Il y a au contraire acheté des biens immobiliers d’une valeur importante, y a créé des liens à teneur des attestations qu’il a versées à la procédure, ses enfants y ont vécu avec lui et l’AFC-CH a contrôlé sa situation en 2016 sans trouver à y redire. Dans de telles circonstances, on ne peut comparer son changement de domicile à la mise en place d’un domicile fictif de type « boîte aux lettres ». Partant, le tribunal ne peut suivre l’AFC-GE lorsque celle-ci prétend que le recourant a adopté un comportement abusif pour se soustraire à son imposition illimitée aux ICC dans le canton de Genève.

24.         Au vu de ce qui précède, la décision entreprise, mal fondée, doit être annulée.

25.         Vu l’issue du litige, l’avance de frais de CHF 900.-, versée à la suite du dépôt du recours, sera restituée aux recourants (art. 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

Les recourants ayant eu recours aux services d’avocats pour les besoins de la cause et ayant conclu à l’allocation de dépens, il leur sera alloué à chacun d’eux, à la charge de l’autorité intimée (cf. art. 4 LPFisc), une indemnité de procédure de CHF 600.-, comprenant une participation aux honoraires de leur conseils (art. 87 al. 2 à 4 et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 16 décembre 2021 par Madame A______ et Monsieur B______ contre la décision sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 16 novembre 2021 ;

2.             l’admet ;

3.             annule la décision entreprise ;

4.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution aux recourants de l’avance de frais de CHF 900.- ;

5.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à chaque recourant une indemnité de procédure de CHF 600.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Michèle PERNET, présidente, Stéphane TANNER, Alia CHAKER MANGEAT

Au nom du Tribunal :

La présidente

Michèle PERNET

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière