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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1604/2024

ATA/949/2024 du 14.08.2024 ( EXPLOI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1604/2024-EXPLOI ATA/949/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 août 2024

1re section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Mike HORNUNG, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ est la nièce de feu B______, né le ______ 1918 et décédé le ______ 2021.

b. B______ était marié à C______, née le ______ 1924, et décédée le ______ 2020. Le couple avait un fils unique, D______, qui réside en République dominicaine. Il avait également quatre nièces : A______, E______, F______ et G______.

B. a. En juillet 2022, H______ s’est présentée au guichet de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci‑après : OCIRT) indiquant avoir travaillé pour le compte de A______ en qualité d’employée de maison et aide-soignante auprès de son oncle et de son épouse, pour une rémunération inférieure au salaire minimum légal.

b. Le 21 juillet 2022, l’OCIRT a demandé à A______ de lui transmettre la liste de l’ensemble de son personnel ayant travaillé au sein du ménage de son oncle entre janvier 2017 et septembre 2021, le montant du salaire et tout autre renseignement en lien avec la rémunération, les copies des contrats de travail, les copies des fiches de salaire et la liste des salaires déclarés à l’AVS pour les années 2017 à 2021.

c. Par courrier du 12 août 2022, A______ a indiqué avoir uniquement aidé son oncle et sa tante pour la préparation de certains documents administratifs. Ces derniers avaient directement recruté et engagé le personnel. Elle n’a produit aucun des documents demandés, faisant valoir que la documentation était en possession de D______, fils de feu B______. Elle a fourni les noms et prénoms de six employées, ainsi que des informations sur le taux d’activité et la période des rapports de travail de chacune d’entre elles.

d. Le 17 août 2022, I______, inspectrice du travail à l’OCIRT, a établi un rapport concernant un entretien du même jour avec H______.

L’intéressée avait travaillé en tant qu’employée de maison affectée au ménage et à l’assistance auprès de feus C______ et B______ du 13 septembre 2017 au 8 septembre 2021, soit jusqu’au décès de ce dernier. Travaillant en tournus avec plusieurs autres employées, elles se relayaient pour couvrir 24h sur 24 et sept jours sur sept. A______ l’avait recrutée et reçue pour un entretien d’embauche, en présence de ses oncle et tante. Elle avait cinq ans d’expérience professionnelle utile au poste. Les conditions de travail, les horaires et le salaire étaient souvent modifiés au fil du temps. A______ établissait les contrats, avenants, plannings et décomptes de salaire. Elle donnait les instructions et les ordres aux employées. D______ lui avait d’ailleurs demandé de s’adresser à A______ lorsqu’elle s’était approchée de lui pour se plaindre de ses conditions de travail. A______ lui demandait de ne pas discuter des horaires ou des congés avec les époux B______ et C______ ou leur infirmière, mais avec elle uniquement. En plus de l’organisation du travail et des instructions aux employées, A______ assumait toute l’administration en lien avec ces dernières : assurances sociales, impôts, décomptes de salaire, documents « RH ». Au début de son engagement, elle travaillait les week-ends, 48 heures d’affilée par semaine pour un salaire forfaitaire de CHF 450.- par semaine, ainsi que les soirs plus encore 15 heures par semaine, payées CHF 25.- de l’heure. Au fil du temps, ses horaires et salaires avaient été modifiés à de nombreuses reprises. À la fin des rapports de travail, la durée convenue était de 42 heures de travail par semaine, pour un salaire mensuel fixe de CHF 4'186.- et chaque nuit travaillée en sus était payée forfaitairement à CHF 140.-.

Elle avait produit ses contrats et avenants, fiches de salaire, plannings et échanges Whatsapp.

e. Le 18 août 2022, l’inspectrice du travail de l’OCIRT a établi un rapport concernant l’entretien du même jour avec J______.

L’intéressée avait travaillé auprès de feus C______ et B______ du 1er juillet 2019 au 8 septembre 2021. Elle avait remplacé une connaissance moldave qui y avait travaillé auparavant. Au moment de son engagement, elle avait douze ans d’expérience professionnelle utile au poste. Son entretien d’embauche avait eu lieu en présence de D______, qui se trouvait en vacances en Suisse. Toutes les conditions d’engagement avaient été discutées uniquement avec A______. C’était avec elle qu’elle avait négocié son salaire. A______ lui avait soumis son contrat de travail, décidait de son planning et c’était à elle qu’elle demandait ses vacances. Quels que soient le problème ou la demande, les employées avaient pour instruction de ne s’adresser qu’à elle. Elle préparait les décomptes de salaire et procédait aux versements. Ses horaires et salaires avaient été modifiés au fil du temps. Au début, elle effectuait des gardes de nuit de 19h à 9h, soit 14 heures par nuit pour un salaire forfaitaire de CHF 150.- par nuit. Les heures de jour, soit de 9h à 19h30 étaient payées à CHF 20.68 par heure. À la fin des rapports de travail, elle effectuait deux nuits par semaine de 18h30 à 8h soit 27 heures par semaine payées à CHF 1'120.- (soit CHF 140.- par nuit) ; ainsi que trois jours par semaine de 9h00 à 19h30, soit encore 31.5 heures par semaine, le tout pour un salaire mensuel brut de CHF 4'259.50, en application de l’avenant au contrat du 6 avril 2021. Elle avait toujours travaillé activement toute la nuit, car l’état de santé et le grand âge des époux B______ et C______ nécessitaient sa présence constante.

Elle avait produit deux avenants au contrat, les décomptes de salaire, la lettre de congé et le certificat de travail.

f. Le 2 septembre 2022, l’inspectrice du travail de l’OCIRT a établi un rapport concernant l’entretien du même jour avec K______.

L’intéressée avait travaillé auprès de feus C______ et B______ du 13 décembre 2017 au 8 septembre 2021. Au moment de son engagement, elle avait onze ans d’expérience professionnelle utile au poste. Elle avait été engagée par A______ et c’était elle qui s’était occupée de ses conditions de travail, oralement dans un premier temps. Au début, elle effectuait six nuits par semaine de 19h30 à 9h, soit 13.5 heures par nuit et donc 81 heures par semaine, pour un salaire forfaitaire de CHF 140.- par nuit. Après quelques mois, la durée hebdomadaire avait été réduite à 67.5 heures (cinq nuit de 13.5 heures par semaine). Les heures travaillées la journée étaient payées à CHF 20.68 par heure. À partir de septembre 2018, le forfait de nuit avait été augmenté à CHF 160.- bruts. Les employées restaient actives pendant la nuit, au vu des besoins des époux B______ et C______. Après la fin des rapports de travail, D______, en sa qualité d’héritier, lui avait versé un montant de CHF 13'000.- pour solde de tout compte. A______ s’occupait de tout pendant la durée des rapports de travail : elle décidait des horaires, des salaires, des vacances, des remplacements, elle établissait les fiches de salaire et rédigeait les documents et courriers divers.

Elle avait produit le contrat de travail, les plannings, les décomptes de salaire, les échanges de courriers avec A______ et l’accord transactionnel avec D______.

g. Le 12 septembre 2022, l’inspectrice du travail de l’OCIRT a établi un rapport concernant l’entretien du même jour avec L______.

L’intéressée avait travaillé auprès de feus C______ et B______ de mars à août 2021. Elle avait été engagée par A______ en qualité de remplaçante des employées fixes. Ses conditions de travail avaient été convenues oralement avec cette dernière. Elle n’avait jamais rencontré D______.

Les horaires de nuit étaient de 18h30 à 8h, soit 13.5 heures travaillées pour un salaire forfaitaire de CHF 140.- par nuit. Les heures travaillées la journée étaient rémunérées à CHF 20.68 de l’heure en mars 2021 et à CHF 23.- de l’heure en juillet 2021. Le travail de nuit était difficile, dans la mesure où B______ se réveillait toutes les nuits et nécessitait une assistance active.

Elle avait produit des copies de ses fiches de salaire, de ses plannings de travail et de son certificat de travail.

h. Par courrier du 13 septembre 2022, l’OCIRT a transmis les auditions des quatre travailleuses à A______.

Il ressortait de ces auditions que l’intéressée n’avait pas seulement aidé son oncle pour la préparation des documents administratifs mais qu’elle organisait la rotation des équipes et donnait les instructions aux employées. C’était elle qui décidait du salaire, qui le calculait, qui transmettait les décomptes de salaire aux travailleuses et qui répondait à leurs demandes et réclamations. Il apparaissait donc qu’elle endossait le rôle d’employeuse de ces personnes.

Elle était à nouveau invitée à lui faire parvenir l’ensemble des documents et renseignements nécessaires au contrôle, concernant toute personne qui avait travaillé au sein du ménage de son oncle. Un nouveau délai lui était imparti à cet effet.

i. Par courrier du 30 septembre 2022, A______ a contesté les allégations des employées, maintenant qu’elle n’était pas leur employeuse. Elle ne voyait que rarement les personnes qui s’étaient occupées de ses oncle et tante. Elles recevaient les instructions de la part de B______, voire des infirmières. Elle ne faisait que les démarches administratives pour soulager son oncle, comme si elle était une fiduciaire.

Elle n’a transmis aucun justificatif, rappelant qu’elle n’en disposait pas et invitant l’OCIRT à s’adresser à D______ ou « aux autorités ». Elle a demandé à ce que le dossier soit classé sans suite.

j. Par courrier du 25 novembre 2022, l’OCIRT a informé A______ avoir déduit, sur la base des éléments en sa possession, que les travailleuses étaient placées dans sa dépendance sous l’angle professionnel, fonctionnel, temporel et dans une certaine mesure économique, ce qui la désignait en qualité d’employeuse. Il a transmis dix pages d’échanges Whatsapp entre elle et les travailleuses démontrant les rapports de subordination. Il a résumé la teneur des déclarations des employées et reconstitué les différentes périodes d’activité, la durée du travail et les rémunérations de chacune d’entre elles. Les pièces au dossier faisaient mention d’autres travailleuses ayant été actives, qui n’étaient pas mentionnées dans sa réponse du 12 août 2022. Il lui a rappelé les salaires minimum impératifs et a sollicité toute pièce utile, telle que contrats de travail, plannings, décomptes de salaire et déclarations de salaire.

k. Par courrier du 16 décembre 2022, A______ a exercé son droit d’être entendue. Elle n’était pas employeuse des personnes engagées pour s’occuper de ses oncle et tante. Elle n’était qu’une intermédiaire entre feus les époux B______ et C______, leur fils, D______, les infirmières et les employées. Son rôle ne consistait qu’à aider son oncle avec les tâches administratives et à gérer les tensions entre les employées, afin de permettre une meilleure communication entre elles. M______, infirmière, donnait aussi des instructions au personnel et devait être entendue à ce sujet.

Elle contestait les allégations des employées concernant le travail de nuit. Aucun travail de nuit n’était effectué auprès de ses oncle et tante. Tous les documents avaient été emportés par D______ en République dominicaine. Les employées pouvaient s’adresser à lui, il faisait partie du groupe Whatsapp et était donc au courant de tous les échanges.

l. Par courrier du 24 avril 2023, l’OCIRT a maintenu que A______ était employeuse de fait. Le montant de la sous-enchère totale à l’égard des quatre employées s’élevait à CHF 200'836.68 bruts (CHF 20'867.31 bruts s’agissant de H______ ; CHF 30'965.36 bruts s’agissant de J______ ; CHF 139'172.5 s’agissant de K______ ; CHF 9'831.46 bruts s’agissant de L______). Il lui était impossible de connaître les salaires d’au moins huit autres travailleuses concernées par le contrôle et pour lesquelles elle n’avait pas transmis de renseignements.

L’intéressée était invitée à régulariser sa situation et à faire valoir son droit d’être entendue avant le prononcé d’une sanction administrative en application de
l’art. 9 de loi fédérale sur les conditions minimales de travail et de salaire applicables aux travailleurs détachés en Suisse et sur les mesures d'accompagnement du 8 octobre 1999 (Ldét - RS 823.20). Il était précisé qu’il tiendrait compte, dans le prononcé de la sanction, des éventuels rattrapages salariaux effectués en cours de procédure administrative. Un délai au 15 mai 2023 lui était imparti à cet effet.

m. Le 12 mai 2023, H______ a formé une requête en conciliation devant le Tribunal des prud’hommes à l’encontre de A______. Elle a conclu au paiement de CHF 20'867.30 à titre de différence salariale, CHF 33'138.30 à titre de supplément pour les heures de nuit, CHF 53'461.45 à titre de supplément pour le travail le dimanche, CHF 29'028.30 à titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié et CHF 23'796.20 à titre d’indemnité supplémentaire pour licenciement immédiat injustifié.

n. Par courrier du 15 mai 2023 adressé à l’OCIRT, A______ a répété qu’elle n’était pas employeuse et qu’elle ne détenait aucun document y relatif. Elle a sollicité l’audition de M______. Son cousin était parti avec « tous les documents ». Elle a produit trois attestations confirmant que B______ avait gardé sa capacité de discernement jusqu’à la date de son décès et qu’il était capable de gérer ses affaires administratives et son personnel.

o. Le 5 juin 2023, M______, infirmière, a été entendue par deux inspectrices du travail de l’OCIRT.

Selon le procès-verbal établi le même jour, elle avait commencé son mandat pour les époux B______ et C______ au printemps 2017, après avoir constaté que les époux ne pouvaient plus rester seuls, du fait de leur grand âge et des atteintes à leur santé. Selon son évaluation, il fallait soit un placement des époux dans un EMS, soit une présence d’aide à domicile 24h sur 24. Elle avait fait les démarches pour qu’ils aient droit à la rente d’impotence et avait recommandé deux premières aides-soignantes dès mars 2017. Il y avait donc à partir de cette date toujours une personne à domicile, tous les jours, 24h sur 24.

Elle n’intervenait pas dans l’organisation du travail de l’équipe et donnait uniquement des instructions relatives aux questions médicales ou diététiques. À sa connaissance, c’était B______ qui était le « patron ». Il décidait qui engager et qui licencier et « se plaignait de la cherté de ses employées, qui lui coûtaient entre CHF 15'000.- et CHF 20'000.- par mois ». Les employées s’organisaient entre elles pour le planning, et ne faisaient qu’en informer A______, en sa qualité de proche aidante. Ce n’était pas cette dernière qui s’occupait de l’engagement des aides-soignantes, mais B______. A______ gérait les horaires, les différends entre elles et leur remettait les enveloppes avec le salaire. B______ payait les employées et elle n’avait jamais entendu de plaintes concernant la rémunération.

p. Le 5 juin 2023, les inspectrices du travail ont cherché à joindre D______ aux deux numéros de téléphone transmis par A______. Plusieurs tentatives avaient été faites, sans succès, car personne ne répondait.

q. Le 31 août 2023, A______ a demandé la suspension de la procédure jusqu’à droit connu sur la question préjudicielle de l’employeur par la juridiction des prud’hommes. Elle a également sollicité l’audition des quatre employées déjà entendues, de D______ et des trois autres nièces de B______ et de sa voisine.

Elle a joint des documents désignant D______ comme unique héritier légal de son père, les lettres de congé et certificats de travail signés par ce dernier, l’accord transactionnel du 24 juin 2022 entre D______ et K______ et l’autorisation de procéder relative à la procédure prud’homale.

r. Le 12 décembre 2023, l’OCIRT a infligé un avertissement à A______. L’appréciation des éléments au dossier, en particulier les échanges Whatsapp, avait forgé sa conviction qu’elle revêtait la qualité d’employeuse. Il n’entendait pas procéder aux actes d’instruction complémentaires et sa demande en suspension était rejetée. Un délai lui était accordé pour procéder notamment aux rattrapages salariaux, avant le prononcé de sanctions administratives et pénales.

s. Par courrier du 12 janvier 2024, A______ a répondu par la négative à la demande de mise en conformité de l’OCIRT, réitérant ne pas être employeuse. Elle sollicitait la reconsidération de sa position, la suspension de la procédure et la mise en œuvre des mesures d’instruction sollicitées.

t. Par décision du 8 avril 2024, l’OCIRT a prononcé, à l’encontre de A______, une amende de CHF 30'000.- en application de l’art. 9 al. 2 let. f LDét.

L’intéressée revêtait la qualité d’employeuse. Il ressortait des déclarations concordantes des travailleuses entendues et des pièces qu’elles avaient versées au dossier qu’elles avaient été recrutées par l’intéressée. Cette dernière convenait avec elle des conditions de travail, leur donnait des ordres et les instructions sur l’exécution du travail, organisait leur emploi du temps, leur versait la rétribution pour le travail fourni et tenait la comptabilité des salaires, tout cela sans que ses oncle et tante n’interviennent dans ces larges attributions de subordination. Elle décidait seule de leurs congés, de leurs vacances et de leurs remplacements. Elle les réprimandait quand elle n’était pas satisfaite de leur comportement ou de la rapidité de leur réponse à ses sollicitations. Les nombreux messages Whatsapp versés au dossier corroboraient leurs dires à ce sujet. Les faits établissaient également qu’elle avait décidé d’instaurer une prise en charge personnelle, l’entretien du ménage et la veille de nuit, au profit de ses proches âgés et de santé fragile, lesquels nécessitaient une assistance au quotidien et durant la nuit. Ses oncle et tante n’étaient que bénéficiaires de ces prestations, les quatre employées travaillant à son service et sous ses ordres exclusifs.

Elle n’avait jamais indiqué aux employées, ni lors de leur recrutement, ni durant les rapports de travail, qu’elle représentait B______, ni que les instructions provenaient de lui. Au contraire, tout indiquait que les instructions données aux employées étaient les siennes et non celles de B______. Les employées la considéraient de bonne foi comme leur employeuse. Elle s’était d’ailleurs comportée comme telle envers elles, en assumant seule toutes les prérogatives d’employeur susmentionnées, sans y émettre de réserves et sans jamais se référer à une éventuelle consultation préalable avec son oncle. Au contraire, elle leur interdisait de s’adresser à lui pour des questions d’argent notamment.

Certes, les justificatifs en lien avec les contrats de travail, tels les fiches de salaire, les contrats de travail, les formulaires de prise d’emploi ou encore les déclarations aux assurances sociales donnaient l’apparence que B______ était employeur du personnel occupé à son domicile, puisque son nom figurait sur ces documents. Néanmoins, son oncle, décédé à l’âge de 103 ans, était une personne âgée, malvoyante et en situation de dépendance. Il était bénéficiaire des prestations d’impotence et de contribution d’assistance puisqu’il avait besoin d’une aide régulière et importante pour exécuter les actes ordinaires de la vie. Son état de santé, et dans un premier temps celui de son épouse, requéraient une surveillance personnelle permanente sans laquelle leur maintien au domicile n’aurait pas été possible. Dès lors, et quand bien même il aurait gardé sa capacité de discernement, il n’était pas crédible qu’il ait pu endosser la responsabilité de l’employeur
vis-à-vis des personnes dont il dépendait 24h sur 24 et sept jours sur sept en raison de son incapacité à effectuer les actes de la vie quotidienne. Et même à supposer qu’il était capable de gérer ses affaires administratives et son personnel, comme cela était précisé dans les attestations versées au dossier, les éléments du dossier démontraient qu’en réalité il ne le faisait pas, puisqu’il était avéré que c’était elle qui gérait seule le personnel, tant sur le plan administratif qu’organisationnel.

Quant à D______, le seul fait d’être héritier n’était en rien un critère relevant, pas plus que le fait qu’après le décès de son père, il ait apposé sa signature sur les documents de fin des rapports de travail ou qu’il ait donné des instructions en début de la pandémie du Covid pour s’assurer que les employées fassent le nécessaire pour protéger la santé de ses parents vulnérables. Une action isolée dans un contexte particulier n’était pas en soi suffisante pour en déduire la qualité d’employeur. De la même manière, le fait que neuf mois après le décès de son père, il ait mis fin au litige salarial avec K______ en lui offrant CHF 13'000.- net pour solde de tout compte, ne faisait pas de lui son employeur. Dans le cadre de ce litige, c’était A______ qui avait expliqué au syndicat qu’il n’y avait eu aucune irrégularité dans la rémunération de la travailleuse, contestant l’application du contrat-type de travail avec salaires minimaux impératifs de l’économie domestique du 13 décembre 2011
(CTT-EDom - J 1 50.03) et le coût excessif du travail de nuit qu’entrainait son application. Cette dernière était d’ailleurs citée dans l’accord. Enfin, L______ avait précisé n’avoir jamais eu l’occasion de rencontrer ni d’échanger avec D______. H______ avait, pour sa part, expliqué avoir essayé de négocier ses conditions de travail avec lui pendant un de ses séjours à Genève, sans succès, puisqu’il lui avait demandé de s’adresser à A______.

S’agissant de la quotité de l’amende, elle avait employé treize personnes pendant quatre ans et demi, en les affectant à des activités domestiques traditionnelles soumises au contrat-type de travail avec salaires minimaux impératifs de l’économie domestique du 13 décembre 2011 (CCT-Edom - J 1 50.03). Elle n’avait pas respecté les salaires minimaux à l’égard d’au moins quatre d’entre elles, dans la mesure où les salaires versés étaient inférieurs au minimum impératif. Pour établir le montant de la sous-enchère, il s’était basé sur les contrats de travail, avenants et les décomptes de salaire remis par les employées. Seules les heures de travail et les salaires figurant sur les justificatifs avaient été pris en compte. Au vu des pièces produites, elle payait les salaires horaires à CHF 20.68 bruts + 8.33% de vacances, soit CHF 22.40 bruts au lieu de CHF 22.38 bruts de l’heure (en vigueur en 2017), de CHF 22.65 bruts (en vigueur de 2018 à octobre 2020), CHF 24.92 bruts (en vigueur novembre et décembre 2020) et de CHF 25.07 bruts (en vigueur en 2021). De plus, en payant les nuits entières travaillées entre 13.5 heures et 15 heures d’affilée au forfait de CHF 140.- à CHF 160.- par nuit travaillée, leur rémunération pour le travail de nuit n’était que de CHF 10.- bruts par heure environ. Le montant de la sous-enchère totale à l’égard des quatre employées s’élevait à CHF 200'836.68 bruts (CHF 20'867.31 bruts s’agissant de H______ ; CHF 30'965.36 bruts s’agissant de J______ ; CHF 139'172.55 s’agissant de K______ ; CHF 9'831.46 bruts s’agissant de L______). Elle n’avait procédé à aucun rattrapage salarial aux fins de mise en conformité, pas même partiel. Il convenait également de prendre en compte les circonstances particulièrement déplorables dans lesquelles la sous-enchère salariale avait été pratiquée. Elle avait engagé treize travailleuses au statut de séjour précaire, dont elle n’ignorait pas la situation administrative et la vulnérabilité économique lors de leur embauche. Ces personnes avaient accepté de mettre en péril leur santé en travaillant de longues heures, notamment le week-end, ou la nuit, y compris lorsqu’elles étaient malades, sans suffisamment de repos, le tout pour un salaire nettement inférieur au minimum légal. Il convenait également de tenir compte de la mauvaise collaboration dont elle avait fait preuve dans le cadre de l’établissement des faits, dans la mesure où elle n’avait répondu que partiellement à ses demandes de renseignements. L’instruction complète du dossier était impossible en l’absence de collaboration de sa part, en particulier s’agissant des neuf autres travailleuses concernées par le contrôle, qui, selon toute vraisemblance, travaillaient aux même conditions que les quatre travailleuses précitées. Il se justifiait ainsi de prononcer l’amende maximale, quand bien même il s’agissait d’une première infraction, étant relevé que ce montant correspondait à la sévérité voulue par le législateur lors du durcissement du dispositif de sanctions entré en vigueur au 1er avril 2017.

C. a. Par acte du 10 mai 2024, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation. À titre préalable, elle a sollicité la suspension de la procédure jusqu’à droit connu sur la question de l’identité de l’employeur dans la cause n° C/9878/2023, ainsi que l’audition de E______, F______, G______, N______, D______, « Monsieur », l’Abbé P______, la docteure Q______ et de la voisine de feus les époux B______ et C______, ainsi qu’une nouvelle audition, en sa présence, d’H______, de J______, d’K______, de L______ et de M______.

L’autorité intimée avait violé les art. 319ss de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) et constaté les faits pertinents de manière inexacte et incomplète en retenant qu’elle avait été l’employeuse de tout le personnel de maison. En ce qui concernait la prestation de travail, elle ne s’était jamais quotidiennement occupée de ses oncle et tante ou du ménage de ces derniers. Les prestations de travail du personnel de maison n’étaient profitables qu’aux époux B______ et C______, et non à la recourante. S’agissant de la rémunération, tous les salaires étaient versés depuis les comptes bancaires de B______. Elle n’avait jamais effectué de versement de salaire en faveur d’une employée et ne disposait d’aucune procuration sur les comptes bancaires de ce dernier. D______ avait, quant à lui, une maîtrise sur les avoirs de son père. Pour ce qui était de la durée, tous les contrats avaient pris fin au décès de B______. Enfin, il existait un rapport de subordination indéniable entre le personnel de maison et B______. Les contrats de travail d’H______ des 12 octobre et 19 décembre 2017 avaient été signés par ce dernier. Le fait qu’elle ait été présente aux entretiens d’embauche ne suffisait pas à la qualifier d’employeuse. Sa présence avait uniquement pour but d’aider ses oncle et tante administrativement, étant rappelé que B______ souffrait de malvoyance, ce qui rendait la lecture de certains documents difficile. Ce dernier avait sa capacité de discernement pleine et entière et cela jusqu’à son décès, ce qui était confirmé par les attestations de l’Abbé P______, la Dre Q______ et M______. B______ avait décidé de déléguer une partie de la gestion administrative de ses employées à sa nièce, non seulement en raison de sa malvoyance attestée mais également en raison de certains comportements problématiques de ses employées. C’était uniquement dans ce cadre qu’elle était intervenue par le biais du groupe Whatsapp. Elle avait d’ailleurs toujours signé par procuration, et jamais directement en son nom. Toutes les modifications importantes du contrat de travail notamment toutes les questions en lien avec le tarif horaire de base ou avec l’horaire de base étaient soumises à son oncle, qui prenait les décisions.

L’autorité intimée l’avait privée de son droit au contradictoire, violant ainsi l’art. 42 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). La manière dont l’OCIRT avait instruit cette affaire était contraire au principe de la bonne foi. Subsidiairement, si l’amende devait être confirmée, il conviendrait d’en réduire considérablement le montant. Elle avait toujours de bonne foi soutenu qu’elle n’était pas employeuse.

Enfin, la question de savoir qui était l’employeur du personnel de maison concerné par la présente procédure constituait manifestement une question préjudicielle relevant du droit civil. Il convenait donc de suspendre la procédure en application de l’art. 14 LPA.

b. Par réponse du 19 juin 2024, l’OCIRT a conclu au rejet du recours.

Le droit d’être entendu de la recourante avait été respecté. Les employées n’ayant pas été entendues par une autorité au sens de l’art. 28 al. 1 LPA, elles ne pouvaient être considérées comme des témoins au sens de l’art. 42 al. 1 LPA.

Il n’y avait pas lieu de suspendre la procédure. La décision se fondait sur une enquête longue et largement documentée. La procédure prud’homale n’était qu’à son début. Il était en conséquence peu probable qu’une issue intervienne à bref délai. Enfin, la prescription serait prochainement atteinte.

Il n’était pas pertinent que l’oncle et la tante soient les seuls bénéficiaires des prestations de travail. Les employées travaillaient bien à son service et sous ses ordres quasi exclusifs. Quand bien même certains documents contenaient la signature de B______ et qu’il aurait été présent lors de l’engagement du personnel, la recourante n’avait jamais démontré que c’était lui qui avait engagé ou avait donné les ordres au personnel en activité à son domicile. Le personnel était en réalité soumis à l’autorité de la recourante pour l’exécution du travail. Les échanges de messages attestaient plutôt de ce qu’elle planifiait, organisait, assurait un contrôle de la bonne exécution des tâches au domicile de son oncle et de sa tante. Ni son oncle ni sa tante n’avaient de pouvoir de décision. S’agissant du versement des salaires, il importait en réalité peu qu’ils aient été payés avec l’argent de son oncle, le lien de dépendance des employées envers la recourante, sous l’angle personnel, temporel, organisationnel mais aussi économique étant établi. Les employées demandaient souvent à la recourante d’obtenir plus d’heures de travail et elle décidait seule de les attribuer à l’une ou l’autre employée. La subordination économique résidait plus dans l’idée que les employées avaient exercé leur activité exclusivement pour un employeur unique, la recourante, que de la provenance du salaire versé. Elles ne disposaient ainsi pas d’indépendance dans la gestion de leur force de travail, se rendant économiquement dépendantes d’elle.

La recourante n’avait jamais démontré qu’il existait en l’espèce une délégation de pouvoir à son égard.

La violation de la loi avait duré 47 mois en la défaveur de quatre employées, pour un montant établi de sous-enchère atteignant CHF 200'836.68, étant précisé que seule la qualité d’employeuse était remise en cause et non la détermination des horaires de travail retenue par l’OCIRT. Les conditions dans lesquelles la
sous-enchère avait été pratiquée pouvaient être qualifiées de « déplorables », dans la mesure où les employées avaient régulièrement travaillé de longues heures notamment les week-ends plus de 48 heures d’affilée, ou la nuit entre 13.5 et 15 heures d’affilée. La collaboration de la recourante devait être qualifiée de « mauvaise » puisque, vu les tentatives échouées de l’OCIRT d’atteindre D______, elle était la seule à pouvoir transmettre les documents en la possession de son cousin, qu’elle avait elle-même créés, puis effacés de ses supports informatiques comme elle l’avait déclaré à l’OCIRT.

c. Dans sa réplique du 15 juillet 2024, A______ a persisté dans ses conclusions. Elle a produit les procès-verbaux des auditions des 25 juin, 9 et 10 juillet 2024 devant le Tribunal des prud’hommes, lors desquelles I______, inspectrice du travail auprès de l’OCIRT, J______, K______, L______, F______, l’Abbé P______, M______ et E______ avaient été entendus. La procédure prud’homale avait révélé que l’enquêtrice de l’OCIRT n’avait procédé qu’à une rencontre « rapide » des employées et qu’elle n’avait pas jugé utile de faire appel à un interprète alors qu’elles ne maîtrisaient pas le français. Les auditions des employées par l’OCIRT avaient donné lieu à de simples rapports sans relecture par les personnes concernées et sans leur signature. Devant le Tribunal des prud’hommes, J______, K______ et L______ avaient toutes déclaré avoir été engagées par B______. C’était bien lui qui prenait toutes les décisions fondamentales en lien avec le personnel. Le rôle de la recourante se limitait à l’établissement des plannings ainsi que des fiches de salaire.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2.             La recourante sollicite la suspension de la présence dans l’attente de l’issue de la procédure prud’homale.

2.1 Aux termes de l’art. 14 al. 1 LPA, lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions.

Cette disposition est une norme potestative et que son texte clair ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu’une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/206/2015 du 24 février 2015 consid. 2c).

2.2 En l’espèce, il ressort du dossier qu’une procédure en conciliation a été introduite devant le Tribunal des prud’hommes le 12 mai 2023 par H______ à l’encontre de la recourante. Des témoins ont été entendus les 25 juin et 9 juillet 2024 et les plaidoiries finales ont eu lieu le 10 juillet 2024. S’il apparaît ainsi vraisemblable que la procédure prud’homale arrivera prochainement à terme en première instance, un recours reste possible. La suspension de la présente procédure jusqu’à droit connu dans la procédure C/9878/2023 risque ainsi d’entraîner la prescription de la procédure administrative, celle-ci n’étant que de trois ans (ATA/806/2018 du 7 août 2018 ; ATA/647/2016 du 26 juillet 2016 consid. 5a). S’ajoute à cela que la recourante a transmis les procès-verbaux du Tribunal des prud’hommes des 25 juin, 9 et 10 juillet 2024. La chambre administrative dispose ainsi d’un dossier complet, comprenant les déclarations des employées et de l’infirmière, ainsi que de nombreuses pièces, y compris des contrats de travail, certificats de salaire et échanges Whatsapp entre la recourante et les employées. Il ne sera dès lors pas donné suite à la demande de suspension de la présente procédure.

3.             La prescription est une question de droit matériel qu’il y a lieu d’examiner d'office lorsqu'elle joue en faveur de l’administré (ATF 138 II 169 consid. 3.2 ; ATA/917/2021 du 7 septembre 2021).

3.1 Ni la LDét ni la LPA ni la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05) ne contiennent de disposition réglant la question de la prescription.

Il s’agit d’une lacune proprement dite, dès lors que le législateur s’est abstenu de régler un point qu’il aurait dû fixer et qu’aucune solution ne se dégage du texte ou de l’interprétation de la loi, laquelle doit être comblée par le juge (ATA/1308/2020 précité). Il y a lieu de faire application, par analogie, de l’art. 109 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), à teneur duquel la prescription de l'action pénale est de trois ans pour les contraventions, soit les infractions passibles d’une amende (art. 103 CP ; ATA/917/2021 précité et les références citées).

3.2 Selon l’art. 98 CP, la prescription court, alternativement, dès le jour où l'auteur a exercé son activité coupable (let. a), dès le jour du dernier acte si cette activité s'est exercée à plusieurs reprises (let. b) ou encore dès le jour où les agissements coupables ont cessé s'ils ont eu une certaine durée (let. c).

L'art. 98 let. c CP règle le début de la prescription pour les délits continus (Robert ROTH/Gilbert KOLLY, in Alain MACALUSO/Nicolas QUELOZ/ Laurent MOREILLON/Robert ROTH [éd.], Commentaire romand du code pénal I, 2e éd., 2021, n. 28 ad. art. 98 CP). Le délit continu se caractérise par le fait que la situation illicite créée par un état de fait ou un comportement contraire au droit se poursuit. Il y a infraction continue lorsque les actes qui créent la situation illégale forment une unité avec les actes qui la perpétuent ou avec l'omission de la faire cesser, pour autant que le comportement visant au maintien de l'état de fait délictueux soit expressément ou implicitement contenu dans les éléments constitutifs de l'infraction. L'infraction est consommée dès que tous ses éléments constitutifs sont réalisés, mais n'est achevée qu'avec la cessation de l'état de fait ou du comportement contraire au droit (ATF 135 IV 6 consid. 3.2 ; 132 IV 49 consid. 3.1.2.2). Le délit continu ne se prescrit pas tant qu'il dure (Robert ROTH/Gilbert KOLLY, op. cit., n. 29 ad. art. 98 CP).

3.3 En l’espèce, les contraventions reprochées à la recourante, consistant en des versements inférieurs aux salaires minimaux à quatre employées entre le 13 septembre 2017 et le 8 septembre 2021 doivent être considérés comme ayant cessé à cette dernière date. C'est dès lors à partir de cette date que la prescription a commencé à courir, de sorte que celle-ci n'est pas encore acquise et la poursuite administrative pas éteinte.

4.             La recourante sollicite l'audition de neuf témoins, soit son fils, les trois autres nièces de feu B______, le fils de ce dernier, « Monsieur O______ », l’Abbé P______, la Dre Q______ et la voisine de feus C______ et B______, ainsi qu’une nouvelle audition, en sa présence, des quatre employées entendues par l’OCIRT et de l’infirmière.

4.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). La procédure administrative est en principe écrite, toutefois si le règlement et la nature de l’affaire le requièrent, l’autorité peut procéder oralement (art. 18 LPA). Le droit d’être entendu n'implique pas le droit à l’audition orale ni à celle de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

4.2 En l'espèce, la recourante s’est vu offrir l’occasion d’exposer son argumentation et de faire valoir toute pièce utile à de nombreuses reprises devant l’OCIRT puis la chambre de céans. Elle n’indique pas quels éléments supplémentaires utiles à la solution du litige qu’elle n’aurait pu produire par écrit son audition serait susceptible d’apporter.

Ce même constat vaut s’agissant de sa demande d’audition de témoins. Il n’est en particulier pas contesté que, malgré la distance qui les séparait, le couple B______ et C______ avait conservé des liens avec son fils, D______, et qu’il leur téléphonait et rendait visite régulièrement. La recourante admet d’ailleurs elle-même que ce dernier ne gérait pas les aspects organisationnels du travail des employées. Il n’est pas davantage contesté qu’il a donné des instructions en lien avec le Covid et qu’il prenait régulièrement contact avec le personnel pour s’informer de l’état de santé de son père. Ce dernier a, par ailleurs, apposé sa signature sur plusieurs documents versés au dossier, en particulier des lettres de congé et certificats de travail. La recourante a également produit des échanges Whatsapp, tant sur le groupe « Personnel tonton » dont il faisait partie que des discussions individuelles entre ce dernier et H______, ainsi qu’une attestation datée du 7 mai 2024 sur son implication, ainsi que celle de la recourante, dans les affaires administratives de son père. Elle a ainsi apporté de nombreuses pièces permettant d’établir le rôle que jouait ce dernier dans la relation avec les employées, si bien que son audition n’apparaît pas nécessaire.

Il en va de même des auditions des membres de sa famille, en particulier des trois autres nièces du couple B______ et C______, soit E______, F______ et G______, et de son propre fils, N______, étant précisé qu’il n’est pas contesté qu’ils rendaient régulièrement visite au couple B______ et C______. La recourante a du reste produit les procès-verbaux d’audition devant le Tribunal des prud’hommes de E______ et F______, lesquels révèlent que les autres membres de la famille étaient peu impliqués dans les questions contractuelles des employées.

S’agissant des demandes d’audition de l’Abbé P______ et de la Dre Q______, la recourante a versé des attestations au dossier au sujet des facultés mentales et de la capacité de discernement de B______ jusqu’au moment de son décès. Elle n’indique pas ce que leur déposition pourrait apporter de plus que ce qui figure déjà dans leurs déclarations écrites. Il en va de même de la témoin M______ dont les procès-verbaux d’audition devant l’OCIRT et le Tribunal des prud’hommes, ainsi qu’une attestation datée du 5 mai 2023, figurent au dossier. Quant aux demandes d’audition d’H______, de J______, d’K______ et de L______, qui ont été entendues par l’OCIRT, des résumés de leurs déclarations figurent au dossier. La recourante a en outre produit les procès-verbaux des auditions de J______, K______ et L______ devant le Tribunal des prud’hommes, ainsi que de nombreux échanges Whatsapp sur le groupe « Personnel tonton », dont faisaient partie H______, J______ et K______. La recourante s’est ainsi déjà exprimée sur le contenu de ces nombreuses pièces versées au dossier, si bien que la chambre de céans dispose à cet égard d’un dossier complet permettant de statuer en pleine connaissance de cause. Enfin, la recourante ne donne aucune explication quant à l’identité de « Monsieur O______ » et sa relation avec feus les époux B______ et C______, si bien que l’utilité de son témoignage n’est pas établie. Il en va de même de leur « voisine » dont le nom n’a pas été mentionné.

Il ne sera par conséquent pas donné suite à la demande d'actes d'instruction.

5.             La recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendue, dès lors qu’elle n’a pas été conviée à participer aux auditions par l’OCIRT des quatre employées, H______, J______, K______ et L______ et de l’infirmière, M______.

5.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1).

5.2 Selon l’art. 28 al. 1 LPA, lorsque les faits ne peuvent être éclaircis autrement, les autorités suivantes peuvent au besoin procéder à l’audition de témoins : le Conseil d’État, les chefs de départements et le chancelier (let. a) ; les autorités administratives qui sont chargées d’instruire des procédures disciplinaires (let. b) ou les juridictions administratives (let. c). L’art. 42 al. 1 LPA prévoit que les parties ont le droit de participer à l’audition des témoins, à la comparution des personnes ordonnées par l’autorité ainsi qu’aux examens auxquels celle-ci procède.

Selon la jurisprudence de la chambre administrative, dans la mesure où l’OCIRT ne figure pas parmi les autorités pouvant procéder à l’audition de témoins au sens de l’art. 28 al. 1 LPA, le droit de participer aux auditions, consacré à l'art. 42 LPA, ne s'applique pas (ATA/349/2024 du 7 mars 2024 consid. 3.5 ; ATA/1335/2023 du 12 décembre 2023 ATA/1151/2020 du 17 novembre 2020  consid. 4b). Le Tribunal fédéral a certes précisé que l'argument tiré de l'absence de la qualité de témoin n'était pas forcément décisif, dès lors qu’un droit de participer à l'audition de personnes appelées à fournir des renseignements pouvait, par exemple, exister. Il a toutefois rappelé qu’il n'y avait pas de violation du droit d'être entendu lorsque la partie avait eu la possibilité de prendre connaissance du procès-verbal des auditions et de se déterminer à ce sujet (arrêts du Tribunal fédéral 2C_34/2021 du 30 mai 2022 consid. 4.2.2 ; 1C_534/2010 du 1er mars 2011 consid. 3.2 et les références citées).

5.3 En l’occurrence, par courrier du 25 novembre 2022, l’intimé a transmis à la recourante un résumé de chacun des entretiens menés par l’autorité, accompagné d’annexes (échanges téléphoniques). La recourante s’est déterminée sur ces déclarations par observations du 16 décembre 2022. Elle a ensuite pu consulter l’intégralité du dossier le 25 août 2023 et a pu se déterminer à ce sujet par observations du 31 août 2023. Elle a donc pu se prononcer sur l’ensemble des rapports établis par l’OCIRT, ainsi que sur toutes les pièces versées au dossier, avant que la décision litigieuse ne soit rendue. Elle disposait ainsi de toutes les informations utiles pour se déterminer sur le fond de l’affaire. Cette façon de procéder a été admise par le Tribunal fédéral dans la jurisprudence précitée. Par ailleurs, et comme déjà exposé, dans le cadre de son recours devant la chambre de céans, elle a pu se déterminer sur l’ensemble des pièces et fournir tout document utile à l’appui de ses allégations. Dans ces conditions, son droit d'être entendue a été respecté.

La recourante relève que les rapports de l’OCIRT ne constituent pas de réels
procès-verbaux, puisqu’ils contiennent les propos retranscrits par l’office plutôt que ceux reportés par les personnes entendues. Ils n’ont par ailleurs pas été signés par les personnes concernées, qui n’avaient pas été assistées d’un interprète. La question de savoir si les éléments figurant dans ces rapports doivent être tenus pour établis, compte tenu notamment des arguments invoqués par la recourante, relève toutefois de l’appréciation des preuves et sera traitée ci-dessous.

6.             Le litige porte sur la conformité au droit de l'amende de CHF 30’000.- infligée à la recourante pour avoir versé à quatre employées domestiques des salaires inférieurs aux salaires minimaux prévus par le CTT-EDom.

6.1 La LDét règle le contrôle des employeurs qui engagent des travailleurs en Suisse et les sanctions qui leur sont applicables en cas de non‑respect des dispositions relatives aux salaires minimaux prévus par les contrats-types de travail au sens de l’art. 360a CO ; (art. 1 al. 2 LDét).

Le contrôle du respect des conditions fixées dans la LDét incombe, pour les dispositions prévues par une convention collective de travail étendue, aux organes paritaires chargés de l’application de la convention (let. a), pour les dispositions relatives aux salaires minimaux au sens de l’art. 360a CO prévues par un contrat‑type de travail, aux commissions tripartites instituées par les cantons ou la Confédération (art. 360b CO ; let. b), pour les dispositions prévues par des actes législatifs fédéraux, aux autorités compétentes en vertu de ces actes (let. c), pour les autres dispositions : aux autorités désignées par les cantons (let. d ; art. 7 al. 1 LDét). Sur demande, l’employeur remet aux organes visés à l'art. 7 al. 1 LDét tous les documents attestant que les conditions de travail et de salaire des travailleurs sont respectées (art. 7 al. 2 LDét). Si les documents nécessaires ne sont pas ou plus disponibles, l’employeur doit établir le respect des dispositions légales à moins qu’il ne puisse démontrer qu’il n’a commis aucune faute dans la perte des pièces justificatives (art. 7 al. 3 LDét).

Les organes de contrôle annoncent à l’autorité cantonale compétente toute infraction à la LDét (art. 9 al. 1 LDét). L'autorité cantonale visée à l'art. 7 al. 1 let. d LDét peut, en cas d’infraction aux dispositions relatives au salaire minimal d’un contrat-type de travail au sens de l’art. 360a CO par l’employeur qui engage des travailleurs en Suisse, prononcer une sanction administrative prévoyant le paiement d’un montant de CHF 30'000.- au plus (art. 9 al. 2 let. f LDét).

6.2 La LIRT précise la mise en œuvre, dans le canton de Genève, de la LDét
(art. 1 al. 2 LIRT).

Le contrôle des salaires minimaux prescrits par un contrat-type de travail, au sens de l’art. 360a CO, relève de la compétence du conseil de surveillance, conformément à la LDét. L'OCIRT procède aux contrôles auprès des entreprises. et est l’autorité compétente pour prononcer les mesures et sanctions administratives prévues à l'art. 9 LDét (art. 34B al. 1 LIRT).

Sont considérés comme travailleurs de l'économie domestique, au sens du
CTT-EDom, les travailleuses et travailleurs occupés dans un ménage privé
(art. 1 al. 1 let. a CTT-EDom, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022). Le CTT-EDom s’applique à tout le personnel affecté aux activités domestiques traditionnelles ou nouvelles, notamment aux maîtres d'hôtel, gouvernantes, cuisiniers, cuisinières, valets de chambre, femmes de chambre, chauffeurs, jardiniers, jardinières, ainsi qu’aux autres employées de maison affectés notamment au nettoyage, à l’entretien du linge, aux commissions, à la prise en charge d’enfants, de personnes âgées, de personnes handicapées et de malades, à l’assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées et aux malades dans la vie quotidienne (art. 1 al. 2 CTT-EDom, dans sa teneur jusqu’au 31 décembre 2022).

Le salaire minimum pour un employé non qualifié avec au moins quatre ans d’expérience professionnelle utile au poste était de CHF 4’029.- en 2017 (art. 10 al. 1 let. e CTT-EDom, dans sa teneur depuis le 1er janvier 2016), de CHF 4'077.- en 2018, 2019 et 2020 (art. 10 al. 1 let. e CTT-EDom, dans sa teneur depuis le 1er janvier 2018) et de CHF 4'512.- en 2021 (art. 10 al. 1 let. e CTT-EDom, dans sa teneur depuis le 1er janvier 2021). Le salaire horaire minimum brut, sans les suppléments pour vacances et jours fériés payés, respectivement pour veilles de nuit, s’obtient en divisant le salaire mensuel minimum brut par les 195 heures travaillées par mois correspondant à un horaire hebdomadaire de 45 heures, soit 20.66/heure en 2017 (CHF 4'029.-/ 195 heures = 20.66/heure), CHF 20.90 en 2018, 2019 et 2020 et CHF 23.14 en 2021.

Lorsque le travailleur accomplit des veilles de nuit, les salaires minimaux sont majorés d’une indemnité de CHF 7.55 par heure de veille, pour les heures entre 20h00 et 7h00 (art. 10 al. 1bis CTT-EDom, dans sa teneur jusqu’au 31 décembre 2020). Depuis le 1er janvier 2021, l’art. 10 al. 1bis CTT-Edom prévoit qu’entre 20 h 00 et 07 h 00, le travailleur perçoit du salaire minimum visé à l'al. 1 : 60%, pour les veilles de nuit accomplies sans interruption (let. a) ; 80%, pour chaque nuit de veille nécessitant une intervention de sa part (let. b) ; 125%, pour les nuits de veille nécessitant plus d'une intervention de sa part (let. c) ; 125%, pour le travail de nuit (let. d).

Il est recommandé d’établir le contrat de travail par écrit avant l’entrée en fonction (art. 10bis al. 1 CCT-EDom). Le travailleur peut exiger la confirmation écrite du contrat de travail (art. 330b CO ; art. 10bis al. 2 CTT-EDom). L’employeur tient un registre des heures de travail et des jours de repos effectifs. Le travailleur peut s’informer en tout temps sur ses heures de travail, jours de repos, jours fériés et vacances qui lui restent à prendre (art. 10bis al. 3 CTT-EDom). Si l'employeur faillit à son obligation de tenir un registre, l'enregistrement de la durée du travail fait par le travailleur vaut moyen de preuve en cas de litige (art. 10bis al. 4 CTT‑Edom).

L'OCIRT est l'organe de surveillance (art. 24 al. 1 CTT-EDom). Il est chargé notamment de contrôler le respect des salaires minimaux, les conditions de travail des jeunes gens et des personnes en formation ainsi que la sécurité des installations (art. 24 al. 2 CTT-EDom).

6.3 Selon l'art. 1 al. 3 LDét, la notion de travailleur est définie par renvoi aux art. 319 ss CO (arrêt du Tribunal fédéral 2C_714/2010 du 14 décembre 2010 consid. 3.2 in fine ; ATA/894/2022 du 6 septembre 2022, consid. 6).

À teneur de l'art. 319 al. 1 CO, par le contrat individuel de travail, le travailleur s'engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l'employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d'après le temps ou le travail fourni. Les éléments caractéristiques de ce contrat sont donc une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération (arrêts du Tribunal fédéral 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3 ; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.1 ; 4A_10/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.1).

Le rapport de subordination revêt une importance primordiale dans la qualification du contrat de travail. Il s'agit de l'élément caractéristique essentiel du contrat de travail. Il présuppose que le travailleur est soumis à l'autorité de l'employeur pour l'exécution du contrat et cela au triple point de vue personnel, fonctionnel (organisation et contrôle), temporel (horaire de travail) et, dans une certaine mesure, économique (ATF 125 III 78 consid. 4, SJ 1999 I p. 385 ; 121 I 259 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_553/2008 du 9 février 2009 consid. 4.1).

Le travailleur est assujetti à la surveillance, aux ordres et instructions de l'employeur ; il est intégré dans l'organisation de travail d'autrui et y reçoit une place déterminée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_53/2021 précité consid. 5.1.3.1 ; 4A_64/2020 précité consid. 6.3.1 ; 4A_10/2017 précité consid. 3.1).

Dans le domaine du travail domestique, la jurisprudence tant en matière administrative que civile a retenu la qualité d'employeuse d'une recourante qui donnait régulièrement à l'employée de maison de sa mère des instructions sur la manière d'effectuer son travail (ATA/894/2022 du 6 septembre 2022 consid. 6 ; CAPH/37/2024 du 15 avril 2024 consid. 3.2).

Plus récemment, la chambre administrative a considéré que la recourante, qui avait recruté deux employés de maison pour s’occuper de feu son père revêtait la qualité d’employeuse. Il ressortait notamment des échanges de la messagerie Whatsapp et des déclarations concordantes des employées que la recourante planifiait, organisait et assurait un contrôle strict de la bonne exécution des tâches quotidiennes. Elle avait même réprimandé un employé qui s'était adressé à feu son père et non à elle pour entamer une négociation à la hausse de son salaire. Quand bien même il convenait de retenir un lien de subordination des employés à l'égard du défunt, il apparaissait que ledit lien était tout aussi voire plus important avec la recourante qu’avec feu son père. Peu importait, conformément à la jurisprudence précitée, que les salaires des employés aient été essentiellement payés avec les deniers du père de la recourante (ATA/555/2024 du 3 mars 2024 consid. 2.7).

6.4 La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA), sans être limité par les allégués et les offres de preuves des parties. Dans la mesure où l'on peut raisonnablement exiger de l’autorité qu’elle les recueille, elle réunit ainsi les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties et recourt s’il y a lieu à d'autres moyens de preuve (art. 20 LPA). Mais ce principe n’est pas absolu, sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 128 II 139 consid. 2b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du 16 mai 2018 consid. 4.1 ; 2C_524/2017 du 26 janvier 2018 consid. 4.2 ; ATA/880/2021 du 31 août 2021 consid. 3a et les références citées).

En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction, en analysant la force probante des preuves administrées, dont ni le genre, ni le nombre n'est déterminant, mais uniquement la force de persuasion (art. 20 al. 1 LPA ; ATA/382/2023 du 18 avril 2023 consid. 5b ; ATA/109/2021 du 2 février 2021 consid. 12b).

De jurisprudence constante, en présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l'intéressé a données en premier lieu, alors qu'il en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (arrêt du Tribunal fédéral 9C_728/2013 du 16 janvier 2014 consid. 4.1.2 ; ATA/184/2023 du 28 février 2023 consid. 3.3).

6.5 En l’espèce, la recourante conteste sa qualité d’employeuse des quatre
aides-soignantes de feus ses oncle et tante.

Dans la décision entreprise, l'OCIRT retient la qualité d’employeuse de la recourante à la lumière de ses propres constatations. Il s’est en particulier fondé sur les rapports établis par l’inspectrice du travail suite aux entretiens menés avec les quatre employées. Il en ressortait que les employées avaient toutes été recrutées par la recourante. Celle-ci leur donnait les ordres et les instructions sur l’exécution de leur travail au domicile de son oncle, organisait leur emploi du temps, versait leurs salaires et tenait les comptabilités, sans que son oncle ou son cousin n’interviennent dans ces rapports de travail. Elle décidait seule de leurs congés, de leurs vacances et de leurs remplacements. Ainsi, les employées pouvaient de bonne foi penser que la recourante agissait en tant qu’employeuse à leur égard. Elle s’était d’ailleurs comportée comme telle envers elles, en procédant à leur recrutement, en leur donnant toutes les instructions pour l’exécution de leur travail au domicile de son oncle et en planifiant les horaires et en versant leurs salaires.

La valeur probante de ces rapports doit toutefois être appréciée avec circonspection. Ainsi que le relève la recourante, ces documents ne constituent pas des
procès-verbaux, mais des résumés d’entretien rédigés par l’inspectrice du travail, qui n’ont été ni relus, ni signés par les personnes concernées. Celles-ci n’ont au demeurant pas été assistées d’un interprète, alors que devant le Tribunal des prud’hommes, tant K______ que L______ ont indiqué qu’elles préféraient parler en espagnol, K______ précisant qu’elle parlait « un peu le français ». Les propos recueillis par l’OCIRT ont par ailleurs été largement contredits par les employées
elles-mêmes devant le Tribunal des prud’hommes. K______, L______ et J______ ont en effet toutes affirmé en audience que leur employeur était B______. K______ avait été engagée par D______, L______ par B______ et J______ par D______ et B______. Cette dernière a notamment expliqué qu’elle travaillait déjà depuis une ou deux semaines lorsqu’elle a rencontré la recourante. Il ressort également des déclarations recueillies devant le Tribunal des prud’hommes que si la recourante s’occupait des plannings, elle suivait en cela les instructions de B______. En cas de problème administratif, les employées ont déclaré qu’elles s’adressaient en premier lieu à ce dernier. Il prenait les décisions, cas échéant après consultation de son fils.

Ces déclarations ont fait l’objet de procès-verbaux dûment établis par la juridiction prud’homale, qui a exhorté les témoins à répondre conformément à la vérité. Elles ont en outre été recueillies en contradictoire, soit en présence de la recourante, et les employées ont pu s’exprimer à l’aide d’une interprète. Dans ces conditions, et quand bien même les propos résumés par l’OCIRT ont été tenus en premier lieu – soit à un moment plus proche des faits litigieux et alors que les personnes entendues ignoraient les conséquences juridiques de leurs déclarations – il convient d’accorder plus de poids aux déclarations contenues dans les procès-verbaux établis par le Tribunal des prud’hommes qu’à celles résumées dans les rapports de l’OCIRT, sur la base d’entretiens individuels, non relus ni signés par les personnes auditionnées. Cela s’impose à plus forte raison que l’inspectrice du travail a elle-même déclaré en audience devant le Tribunal des prud’hommes qu’elle n’avait « pas fait de procès-verbal d’audition » et qu’elle avait rencontré les employées « rapidement ». Elle n’avait de surcroît pas fait appel à un interprète, puisqu’elle comprenait l’espagnol et les employées parlaient « suffisamment bien le français ».

On ne peut dès lors suivre l’affirmation de l’OCIRT selon laquelle il résulte des déclarations concordantes des employées qu’elles étaient recrutées par la recourante. Il ressort au contraire des témoignages d’K______, L______, J______ et M______ que c’est B______ qui a procédé à l’engagement des
aides-soignantes. Les employées ont toutes confirmé avoir été reçues pour un entretien par ce dernier à son domicile. B______ était partant présent à chacun des entretiens d’embauche, ce qui n’était pas le cas de la recourante qui, selon les déclarations de J______ devant le Tribunal des prud’hommes, n’était pas présente à son entretien. Si la recourante a certes participé aux entretiens des trois autres employées, il ressort des déclarations de L______ et d’K______ que sa présence servait à leur « expliquer le travail » et à leur « faire signer les documents légaux ». Les deux témoins ont toutefois affirmé que c’était B______ qui les avait engagées. Cet élément est d’ailleurs corroboré par le témoignage de l’infirmière, qui, tant devant l’OCIRT que devant le Tribunal des prud’hommes, a déclaré que la décision d’engager des aides-soignantes avait été prise par B______, qui avait suivi sa « proposition ». Elle a précisé avoir entendu ce dernier se concerter par téléphone avec son fils pour les engagements et que le dernier mot revenait toujours à B______.

Ce dernier a gardé sa capacité de discernement jusqu’à son décès. Cet élément a été dûment attesté par la Dre Q______ dans son rapport du 2 mai 2023, qui a précisé que son patient était « capable de gérer ses affaires administratives et son personnel », ainsi que par l’ensemble du personnel, les membres de la famille et les proches du défunt. Sa nièce, E______, a notamment indiqué en audience que lorsqu’elle lui ramenait des courses, il demandait le ticket et vérifiait que cela correspondait à la liste préparée. F______ a ajouté que, vers la fin de sa vie, il avait commencé à enregistrer des cassettes qu’elle lui fournissait et que son discours était tout à fait cohérent. L’Abbé P______ a également relevé n’avoir constaté aucune difficulté mentale ; il aimait beaucoup parler allemand et ils avaient souvent de longues discussions. Ainsi, et contrairement à ce que soutient l’intimé, on ne peut exclure, sur la base de son seul état de santé, qu’il ait pu endosser le rôle d’employeur. S’ajoute à cela que de nombreux documents en lien avec l’emploi du personnel, soit les décomptes de salaire, contrats de travail, permis de travail et affiliation aux assurances sociales, mentionnent en en-tête le nom de B______. L’intimé fait grand cas du fait qu’exception faite des contrats de travail des 12 octobre et 19 décembre 2017 d’H______ – qui ont été signés par B______ lui-même –, la plupart de ces documents comportent la signature de la recourante en « p.o. ». Celle-ci a toutefois dûment expliqué, sans que ce point n’ait été contesté, que son oncle souffrait de malvoyance, ce qui rendait l’écriture difficile. Il avait ainsi délégué les tâches administratives à sa nièce, étant précisé que son fils, domicilié à l’étranger, ne pouvait s’en charger.

Les parties s’accordent sur le fait que la recourante gérait les horaires des employées, soit les demandes de remplacements, les vacances et congés, ainsi que l’établissement des décomptes de salaire. La participation de la recourante à ces différentes tâches ressort en particulier des nombreux échanges Whatsapp versés au dossier. Il ressort toutefois des déclarations des témoins, en particulier de M______, J______ et K______ que ces tâches étaient effectuées sur instructions de B______, voire de son fils D______. Contrairement à ce que soutient l’intimé, le fait que, sur la base des échanges Whatsapp, la recourante apparaît comme l’interlocutrice principale dans l’exercice de ces différentes tâches ne signifie pas encore que les employées la considéraient comme leur employeuse. Ainsi que l’a expliqué la recourante dans ses écritures, les discussions portaient principalement sur des remplacements et changements d’horaires, soit des questions de pure organisation de travail, sur lesquelles B______ ne souhaitait pas intervenir afin de maintenir des relations cordiales avec ses employées. C’est le lieu de rappeler que, devant le Tribunal des prud’hommes, K______, J______ et L______ ont toutes déclaré que leur employeur était B______, J______ et L______ ayant même affirmé qu’en cas de problèmes administratifs, elles se référaient à lui en premier lieu. Selon les propos tenus par l’infirmière devant l’OCIRT, il était « le patron » et « décidait avec qui il voulait rester et qui devait partir ». Il se plaignait de la « cherté de ces employées, qui lui coûtaient entre CHF 15'000.- et CHF 20'000.- par mois » et du fait qu’il devait « également les payer lors de leurs absences maladie, en plus de payer la remplaçante ». On comprend ainsi que les décisions principales étaient prises par B______ et que la recourante se chargeait essentiellement du respect des plannings de travail et des affaires administratives. L’appréciation de l’autorité intimée, selon laquelle les employées travaillaient au service et sous les ordres exclusifs de la recourante ne peut ainsi être suivie. On notera d’ailleurs qu’il ressort des pièces au dossier, en particulier des courriers des 4 juillet 2019 et 5 avril 2021 adressés à H______ et du 6 avril 2021 adressé à J______, que les demandes formelles de modifications d’horaire contractuel et de conditions salariales ont été traitées conjointement par la recourante et le fils de B______.

Il n’est enfin pas contesté que B______ payait les salaires, ce qui est d’ailleurs corroboré par les divers ordres de paiement versés au dossier, la recourante ayant relevé n’avoir jamais eu de procuration sur les comptes bancaires de feu son oncle. Il appert d’ailleurs, sur la base des pièces au dossier, que l’aspect financier était également géré par son fils, D______, comme en attestent les échanges Whatsapp et l’arrangement financier conclu avec K______.

Il convient donc de retenir, sur la base de l’ensemble de ces éléments, en particulier des déclarations des employées devant le Tribunal des prud’hommes, que le rapport de subordination entre celles-ci et la recourante n’est pas établi à satisfaction de droit. C’est partant à tort que l’intimé a considéré que le recourante revêtait la qualité d’employeuse. L’amende prononcée à son encontre pour infraction à la LDét doit ainsi être annulée.

Les considérants qui précèdent conduisent à l’admission du recours et à l’annulation de la décision de l’OCIRT du 8 avril 2024.

6.6 Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à la recourante, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 mai 2024 par A______ contre la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 8 avril 2024 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 8 avril 2024 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de CHF 2'000.- à A______ à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mike HORNUNG, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CARDINAUX

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :