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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1078/2013

ATA/307/2013 du 14.05.2013 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1078/2013-PRISON ATA/307/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 mai 2013

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur N______
représenté par Me Christophe Zellweger, avocat

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

Monsieur N______, ressortissant roumain, est incarcéré préventivement à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 15 octobre 2011, travaillant à la buanderie.

Le 4 mars 2013 à 15h24, une bagarre a éclaté lors de la promenade, à laquelle, outre l'intéressé, ont pris part les détenus S______, M______ et Z______. L'altercation a fait l'objet d'un rapport d'incident établi le même jour par Monsieur R______, gardien. M. Z______ avait été blessé à la main droite et conduit au service médical. Dans le cadre de l'enquête, il avait déclaré que M. N______ était son agresseur.

Monsieur L______, sous-chef, avait ordonné la mise en cellule forte des quatre détenus.

Le même jour à 17h20, Monsieur H______, gardien-chef, a procédé à l'audition de M. N______ à propos des circonstances de l'altercation avant de lui signifier une décision écrite, signée du directeur de la prison, le sanctionnant par un placement en cellule forte pour quatre jours et une mesure de suppression du travail.

Les trois autres protagonistes ont été sanctionnés de manière similaire.

Par acte déposé au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 3 avril 2013, M. N______ a recouru contre la décision précitée, concluant à son annulation et à ce qu'il soit réintégré à son poste de travail. Il avait pris part à la bagarre dans le seul but de prêter assistance à son cousin. La sanction prise à son encontre était disproportionnée car il n'avait pas initié la bagarre entre ce dernier et les deux autres détenus qui l'avaient assailli, mais il était "naturellement venu en aide à un membre de sa famille qui se trouvait dans une situation périlleuse". Compte tenu de son rôle limité, il aurait dû être sanctionné moins sévèrement que les autres participants. Il n'avait pas d'antécédents et avait fait l'objet d'une double sanction, que l'état de surpopulation de la prison ne rendait pas admissible. En particulier, la privation du travail le pénalisait lourdement car le pécule qu'il réalisait à la buanderie lui permettait de faire vivre sa femme et ses enfants en Roumanie.

Le 2 mai 2013, le directeur de la prison a conclu au rejet du recours. L'implication du recourant dans la bagarre était attestée par l'examen des images de la vidéosurveillance. Une altercation physique entre un nombre restreint de détenus pouvait facilement dégénérer en bagarre généralisée, particulièrement dans une prison surpeuplée, et constituait un événement d'une gravité certaine. L'intervention massive des gardiens qu'elle avait nécessité avait troublé l'ordre de la prison. Deux détenus avaient été blessés. Le lien de parenté supposé entre le recourant et un autre détenu participant à la bagarre ne saurait diminuer la responsabilité de l'intéressé. Le prononcé d'une sanction sévère était nécessaire. Contrairement à ce que le recourant soutenait, la suppression du travail n'était pas définitive. En effet, le droit à la réinscription était admis et avait d'ailleurs été mis en œuvre. En contrepartie de la possibilité de travailler, la prison attendait que les détenus adoptent un comportement exemplaire.

Le 6 mai 2013, le juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous cet angle (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

a. Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa p. 43 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002, consid. 3 ; ATA/759/2012 du 6 novembre 2012 ; ATA/188/2011 du 22 mars 2011 ; ATA/146/2009 du 24 mars 2009).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 p. 81 ; 128 II 34 consid. 1b p. 36 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3 ; H. SEILER, Handkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], Berne 2007, n. 33 ad art. 89 LTF p. 365 ; K. SPUHLER / A. DOLGE / D. VOCK, Kurzkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], Zurich/St-Gall 2006, n. 5 ad art. 89 LTF p. 167). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 p. 374 ; 118 Ib 1 consid. 2 p. 7 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2 ; ATA/175/2007 du 17 avril 2007 consid. 2a ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 consid. 2b) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 p. 286 ss ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3 ; ATA/192/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/640/2005 du 27 septembre 2005).

d. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 précité ; 131 II 361 consid. 1.2 p. 365 ; 128 II 34 précité ; Arrêt du Tribunal fédéral 6B_34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/418/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2d ; ATA/365/2009 du 28 juillet 2009).

En l’espèce, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre les deux aspects de la sanction prononcée contre lui. D'une part, contre la suppression du travail en raison de l’intérêt actuel qu’il peut avoir à la contester car elle déploie encore ses effets, et d’autre part, contre le placement en cellule forte dont la légalité doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette partie de la sanction a déjà été exécutée, dans la mesure où cette situation pourrait encore se présenter (ATA/183/2013 du 19 mars 2013 et la jurisprudence citée).

Le recours est donc recevable à tous points de vue.

Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, sont l'objet d'une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs - la faute étant une condition de la répression - qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (P. MOOR / E. POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire, et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard des autres personnes incarcérées (art. 44 RRIP) et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

Le directeur est compétent pour prononcer les sanctions suivantes :

a)  suppression de visite pour quinze jours au plus ;

b)  suppression des promenades collectives ;

c)  suppression d’achat pour quinze jours au plus ;

d)  suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus ;

e)  privation de travail ;

f)  placement en cellule forte pour cinq jours au plus (art. 47 al. 3 RRIP), étant précisé que ces sanctions peuvent se cumuler (art. 47 al. 4 RRIP).

Selon les directives internes relatives à la discipline dans les ateliers, les rapports de gardiens relatifs à des comportements troublant l'ordre ou la tranquillité peuvent conduire au prononcé d'une mesure de privation de travail. Celle-ci peut consister pour ce type de comportement en une décision de suspension temporaire ou de suppression immédiate, mais avec la possibilité de se réinscrire (ATA/536/2009 du 27 octobre 2009 consid. 9b).

Le recourant ne conteste pas avoir participé à une altercation entre détenus lors de laquelle des coups ont été échangés entre les protagonistes, avec une certaine intensité puisque deux d’entre eux ont été blessés.

Une telle altercation correspond à la notion de rixe prohibée par l’art. 133 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), celle-ci étant définie comme une altercation physique réciproque entre au moins trois personnes qui y participent activement.

Le comportement interdit consiste à participer à la bagarre. La notion de participation à une rixe doit être comprise dans un sens large. Il faut ainsi considérer comme un participant celui qui frappe un autre protagoniste, soit toute personne qui prend une part active à la bagarre en se livrant elle-même à un acte de violence (ATF 106 IV 246 consid. 3e p. 252 ; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, ad art. 133, p. 194 n. 5).

Sous l’angle disciplinaire en régime carcéral, un tel comportement contrevient aux art. 44 et 45 let. h RRIP, sans que l’autorité ait besoin de déterminer plus précisément le rôle de chacun lorsque des détenus se mettent à échanger des coups lors d’une bagarre.

En l’espèce, le recourant a participé activement à la bagarre du 4 mars 2013. La direction de la prison était fondée, en application de l’art. 47 RRIP, à le sanctionner pour violation des dispositions précitées, même s'il n'était pas à l’origine de l’altercation, le fait qu’il soit intervenu pour prêter assistance à un cousin ne constituant pas une circonstance atténuante.

Le principe d’une sanction étant acquis, reste à examiner si celle-ci respecte le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exigence encore rappelée expressément à l’art. 47 al. 1 RRIP.

En l’occurrence, que la prison soit surpeuplée ou non, une bagarre entre détenus lors de laquelle certains sont blessés est source de violences inadmissibles et introduit le trouble et le désordre dans un milieu qui requiert d'autant le calme et la sécurité. Il s’agit donc d’une infraction grave à la discipline carcérale, qui doit être réprimée sévèrement. Compte tenu de ces paramètres, une mise en cellule forte de quatre jours, même si le maximum de la sanction est de cinq jours, est proportionnée.

La mesure de suppression du travail accompagnant cette mise au cachot est prévue à l’art. 47 let. e RRIP et elle peut être couplée à un placement en cellule forte (art. 47 al. 4 RRIP). En l’espèce, l’adoption d’une telle mesure à l’encontre du recourant se justifie dans la mesure où les possibilités de travailler au sein de la prison doivent être réservées à des détenus capables de garder leur calme, ce qui n’est pas le cas de celui-ci au vu de sa participation à l’altercation du 4 mars 2013.

Même sans indication de durée, cette mesure respecte le principe de la proportionnalité dès lors que, dans la situation du recourant, même sans indication de durée, elle n’est pas de durée illimitée, celui-ci conservant le droit de s’inscrire à nouveau - faculté qu’il a d’ailleurs exercée - et qu’il aura ainsi la possibilité de travailler à nouveau en atelier en fonction des disponibilités et de l’ordre de son inscription (ATA/276/2013 du 30 avril 2013).

Le recours sera rejeté. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 février 2013 par Monsieur N______ contre la décision du directeur de la prison de Champ-Dollon du 4 mars 2013 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christophe Zellweger, avocat du recourant, à la prison de Champ-Dollon, ainsi qu’à l’office pénitentiaire, pour information

Siégeants : Mme Hurni, présidente, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :