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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/616/2013

ATA/276/2013 du 30.04.2013 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/616/2013-PRISON ATA/276/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 avril 2013

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur B______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

Monsieur B______ est détenu à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 4 juillet 2012.

Le 21 janvier 2013, Monsieur U______, gardien, a établi à l’adresse du directeur de l’établissement pénitentiaire un rapport d’incident impliquant M. B______. Le même jour, alors qu’il devait procéder à la fouille de M. B______, après le parloir de 15h30, celui-ci était devenu agressif après avoir constaté que les gardiens n’avaient pas transmis à sa compagne une procuration bancaire qu’il avait établie à l’intention de celle-ci. Il avait forcé le passage pour se diriger vers le sous-chef qui se trouvait à proximité, Monsieur F______, afin de lui demander des explications. Il avait ignoré les rappels à l’ordre de M. U______ et n’était pas retourné dans le local de fouille. Il avait proféré à l’encontre de M. F______ les propos suivants : « Sale fils de pute je vais pas t’oublier ». Pendant la fouille, il avait continué à proférer des insultes et menaces à l’encontre de M. F______. Il avait notamment ajouté « Fils de pute, je me souviens de toi je vais te crever sale fils de pute ». Après avoir été fouillé, il était revenu à la charge auprès de M. F______ en ajoutant encore « Tu fais ça pour me casser les couilles ! T’inquiète, je t’oublie pas, je te retrouve ».

Le jour même, M. B______ a été entendu à 17h05 par un membre de la direction de la prison, sur délégation du directeur de l’institution, qui l’a puni par trois jours de mise en cellule forte et par une mesure de suppression du travail. Le même jour, le directeur de la prison lui a notifié une décision formalisant cette punition qui était immédiatement exécutoire.

M. B______ a été placé en cellule forte entre le 21 et le 24 janvier 2013.

Le 19 février 2013, M. B______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du 21 janvier 2013 précitée, concluant à son annulation. Il avait eu une altercation avec un gardien le 21 janvier 2013. Il s’était effectivement mis en colère, mais n’avait absolument pas injurié ni menacé le gardien-chef. Il n’avait pas pu s’expliquer auprès de celui-ci. Il avait passé trois jours en cellule forte et avait perdu son travail. Il avait déjà été mis en cellule forte en septembre 2012 et c’était la deuxième fois qu’il était puni sans justification. Il faisait la grève de la faim.

Le 8 février 2013, M. B______ a demandé un entretien au chef des gardiens. Il a été reçu le 10 février 2013 par le sous-chef, Monsieur O______. Selon la note figurant au dossier, il s’était excusé auprès du surveillant pour les insultes proférées.

Le 12 mars 2013, la direction de la prison a conclu au rejet du recours. La punition infligée était conforme au droit. Elle était fondée sur le rapport du personnel de surveillance du parloir présent au moment des faits. M. B______ avait déjà été sanctionné par un placement de deux jours en cellule forte en septembre 2012 pour avoir détenu sans droit une clé USB et du haschich. Il n’avait pas recouru contre cette décision.

Le 4 avril 2013, M. B______ a écrit au juge délégué. Le 21 janvier 2013, il avait voulu remettre une procuration bancaire à sa compagne à la fin de son parloir car elle en avait besoin. Il avait obtenu une autorisation préalable du chef de parloir pour effectuer cette démarche, mais celui-ci avait gardé le document. Il avait protesté, mais n’avait pas insulté celui-ci. Il n’avait jamais proféré les insultes figurant dans le rapport sur lequel se fondait la sanction. Il confirmait être en grève de la faim et sollicitait un entretien pour pouvoir s’expliquer.

Le juge délégué a procédé le 22 avril 2013 à l’audition de M. B______ et de la direction de la prison, représentée par Monsieur X_______, ainsi qu’à celle, à titre de témoin, de M. U______ qui avait rédigé le rapport du 21 janvier 2013.

a. Selon M. B______, il s’était énervé le jour des faits mais n’avait proféré aucune insulte ni menace à l’encontre de M. F______. Celui-ci avait refusé de transmettre à sa compagne une procuration manuscrite qui aurait dû lui permettre de prélever de l’argent sur son compte bancaire. Lui-même pensait que cette transmission était possible en se fondant sur les indications qu’un autre gardien lui avait fournies la veille. M. F______ n’avait rien voulu savoir même s’il lui avait expliqué l’urgence de la démarche.

b. M. U______ en a confirmé les termes. Il était chargé de la fouille des détenus après le parloir. M. B______, à l’issue d’une entrevue avec sa compagne, avait cherché à obtenir de M. F______ l’autorisation de transmettre à cette dernière une procuration. Il avait indiqué au détenu que cette transmission n’était pas possible mais celui-ci avait quitté sans autorisation la salle de fouille pour se rendre à la place où se trouvait M. F______. Il avait essayé de le rappeler, mais en vain. M. F______ avait refusé la transmission requise. En revenant vers lui, pour être fouillé, M. B______ avait insulté une première fois le sous-chef et avait menacé celui-ci, tenant les propos qu’il avait retranscris dans son rapport du 21 janvier 2013. Le détenu avait ensuite accepté de se soumettre à la fouille, mais il avait recommencé à proférer insultes et menaces à l’encontre du sous-chef. Après la fouille, il avait recommencé après être retourné à nouveau vers M. F______.

Selon la direction de la prison, la règle était qu’aucun document ne sortait sans passer par la censure. Cette règle était expliquée dans le règlement et M. B______ aurait dû la connaître. La sanction avait été choisie en fonction des faits sans que les antécédents, soit la sanction de septembre 2012, aient été pris en considération. La suppression du travail impliquait également que M. B______ ne puisse plus travailler, mais il avait eu la possibilité de se réinscrire, ce qu’il avait fait, au demeurant.

A l’issue de l’audience, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

a. Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa p. 43 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002, consid. 3 ; ATA/759/2012 du 6 novembre 2012 ; ATA/188/2011 du 22 mars 2011 ; ATA/146/2009 du 24 mars 2009).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 p. 81 ; 128 II 34 consid. 1b p. 36 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3 ; H. SEILER, Handkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], Berne 2007, n. 33 ad art. 89 LTF p. 365 ; K. SPUHLER/A. DOLGE/D. VOCK, Kurzkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], Zurich/St-Gall 2006, n. 5 ad art. 89 LTF p. 167). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 p. 374 ; 118 Ib 1 consid. 2 p. 7 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2 ; ATA/175/2007 du 17 avril 2007 consid. 2a ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 consid. 2b) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 p. 286 ss ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3 ; ATA/192/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/640/2005 du 27 septembre 2005).

d. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 précité ; 131 II 361 consid. 1.2 p. 365 ; 128 II 34 précité ; Arrêt du Tribunal fédéral 6B_34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/418/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2d ; ATA/365/2009 du 28 juillet 2009). Cela étant, l’obligation d’entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l’absence d’un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 précité ; 128 II 34 précité ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 précité ; ATA/759/2012 précité).

e. Quand bien même le recourant a exécuté la mesure contestée relative à la mise en cellule forte, la situation pourrait se présenter à nouveau. Dès lors, la chambre administrative renoncera à l'exigence de l'intérêt actuel pour statuer (ATA/183/2013 du 19 mars 2013 ; ATA/759/2012 précité consid. 2e ; ATA/418/2012 précité ; ATA/266/2009 du 26 mai 2009). Ainsi, le recourant a un intérêt digne de protection à recourir contre l’entier de la sanction et une pleine qualité pour recourir au sens de l’art. 60 let. b LPA.

Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, sont l'objet d'une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs - la faute étant une condition de la répression - qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions qui vont du blâme, en passant par l'amende, à la suspension du travail. Le choix à opérer dans un cas particulier obéit au principe de la proportionnalité ; il n'est pas gouverné seulement par des motifs tenant aux circonstances subjectives de la violation incriminée ou à la prévention générale, mais aussi par l'intérêt, objectif, de l'administration à restaurer le rapport de confiance que l'indiscipline a ébranlé : en quelque sorte, le maintien des conditions d'intégrité dans le fonctionnement de l'appareil étatique (P. MOOR/ E. POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, pp. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire, et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP). Il doit observer une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison (art. 44 RRIP). Il n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

A teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer les sanctions suivantes :

a)  suppression de visite pour quinze jours au plus ;

b)  suppression des promenades collectives ;

c)  suppression d’achat pour quinze jours au plus ;

d)  suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus ;

e)  privation de travail ;

f)  placement en cellule forte pour cinq jours au plus.

Ces sanctions peuvent se cumuler (art. 47 al. 4 RRIP).

b. Selon les directives internes relatives à la discipline dans les ateliers, les rapports de gardiens relatifs à des comportements troublant l'ordre ou la tranquillité peuvent conduire au prononcé d'une mesure de privation de travail. Celle-ci peut consister pour ce type de comportement en une décision de suspension temporaire ou de suppression immédiate, mais avec la possibilité de se réinscrire (ATA/536/2009 du 27 octobre 2009 consid. 9b).

En l'espèce, la décision de sanctionner le recourant est fondée sur les propos « fils de pute » constitutifs d’insultes et les menaces « je te retrouverai » que le recourant a tenus, à sa sortie de parloir et à trois reprises au moins devant le gardien chargé de sa fouille, à l’encontre du sous-chef des gardiens qui se trouvait à proximité.

Le recourant conteste avoir tenu de tels propos. Néanmoins, il ne fournit aucune explication ou élément permettant de mettre en doute le rapport d’incident, que le gardien a établi sur le champ ainsi que le lui imposait l’art. 20 al. 2 du règlement sur l’organisation et le personnel de la prison du 30 septembre 1985 (ROPP - F 1 50.01), après l’avoir entendu les proférer alors qu’il se trouvait à proximité de lui au moment des faits et n'avait aucun intérêt particulier à l'accuser sans raison. Les faits seront donc considérés comme établis. Or de tels propos, tenus à l'encontre d'un membre du personnel de la prison, contreviennent aux art. 44 et 45 let. h RRIP, si bien qu’ils doivent être sanctionnés en application de l’art. 47 RRIP.

Le principe d’une sanction pour le comportement adopté par le recourant étant acquis, reste à examiner si celle-ci respecte le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exigence encore rappelée expressément à l’art. 47 al. 1 RRIP.

A l’encontre du recourant, la chambre administrative retiendra que les insultes et menaces qu’il a proférées à l’encontre du gardien sont inadmissibles. Le refus de celui-ci de déférer à sa demande de remettre immédiatement au parloir un document à sa compagne ne constituait qu’une application des règles interdisant que des documents ne sortent de la prison sans être contrôlés. La faute du recourant est donc avérée. En fonction de celle-ci, une mise en cellule forte de trois jours est proportionnée.

La mesure de suppression du travail accompagnant cette mise au cachot est prévue à l’art. 47 let. e RRIP et elle peut être couplée à un placement en cellule forte. Elle se justifie dans la mesure où les possibilités de travailler au sein de la prison doivent être réservées à des détenus capables de garder leur calme, ce qui n’est pas le cas du recourant au vu de son emportement injustifié du 21 janvier 2013.

Même sans indication de durée, cette mesure respecte le principe de la proportionnalité dès lors que, dans le cas de la sanction prononcée à l’encontre du recourant, elle n’est pas sans limite dans le temps. En effet, le détenu a pu se réinscrire et conserve ainsi la possibilité de travailler à nouveau en atelier en fonction des disponibilités et de l’ordre de son inscription.

Le recours sera rejeté. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03) ni aucune indemnité de procédure allouée.

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 février 2013 par Monsieur B______ contre la décision du directeur de la prison de Champ-Dollon du 21 janvier 2013 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur B______, à la prison de Champ-Dollon ainsi qu’à l’office pénitentiaire, pour information.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste:

 

 

S. Hüsler Enz

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :