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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24541/2020

ACPR/601/2024 du 19.08.2024 sur OMP/11488/2024 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ
Normes : CPP.382; CPP.105.al1.letf

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24541/2020 ACPR/601/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 19 août 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Maxime STAUB, avocat, Budin & Associés, rue de Candolle 17, 1205 Genève,

B______, représenté par Me Olivier NICOD, avocat, Walder Wyss, avenue du Théâtre 1, case postale, 1001 Lausanne,

C______/1______ SA et C______/2______ AG, représentées par Me Olivier NICOD, avocat, Walder Wyss, avenue du Théâtre 1, case postale, 1001 Lausanne,

recourants,

 

contre l'ordonnance de constat de qualité de partie plaignante rendue le 31 mai 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 

 

 

EN FAIT :

A. a. Par trois actes expédiés le 14, respectivement le 17 juin 2024, B______, C______/1______ SA (ci-après : C______/1______) et C______/2______ AG (ci-après : C______/2______), ainsi que A______ recourent contre l'ordonnance du 31 mai 2024, notifiée le 4 juin suivant à B______ et le lendemain à A______, par laquelle le Ministère public a constaté que D______ avait qualité de partie plaignante dans la présente procédure et, partant, les droits y relatifs, notamment celui de consulter le dossier.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance. Subsidiairement, il devait être fait interdiction à D______ et à son conseil de lever copies des pièces de la procédure. En tout état, "aucune pièce du dossier de recours" ne devait être communiquée à D______.

b. Par ordonnance du 20 juin 2024, la Direction de la procédure de la Chambre de céans a rejeté la demande d'effet suspensif assortissant les trois recours (OCPR/33/2024).

c. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 800.- (par recours) qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 18 décembre 2020, D______ a déposé plainte pénale contre A______ et B______ pour gestion déloyale aggravée, escroquerie, tentative de contrainte et violation de l'Ordonnance fédérale sur l'octroi de crédits et de cautionnement solidaire à la suite du coronavirus (ci-après : OcaS-COVID-19). Le 22 mars 2021, il a déposé une plainte complémentaire pour dénonciation calomnieuse, subsidiairement calomnie, voire diffamation à l'encontre des précités.

b. En l'état, A______ a eu accès au dossier de la présente procédure et donc aux plaintes susvisées. Les autres recourants en ont également eu connaissance pour citer des passages de la première dans leurs recours et mentionner la seconde.

c.a. En substance, D______ a exposé avoir fondé et détenu la totalité des actions des sociétés C______/1______ et C______/2______, actives dans le conseil pharmaceutique, l'enregistrement et la mise sur le marché de produits pharmaceutiques. Le 23 janvier 2019, il avait vendu ces deux sociétés (ainsi que C______ LTD) à E______ SA (ci-après : E______) – devenue ensuite F______ SA – dont B______ et son fils A______ sont président, respectivement vice-président, du conseil d'administration. Le prix convenu était de CHF 5 millions, composé d'un prix de base de CHF 2,5 millions, dont une partie était payable de manière échelonnée en trois tranches annuelles à condition que les résultats annuels des sociétés en 2019, 2020 et 2021, en particulier leur EBITDA (soit bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement), atteigne au minimum CHF 500'000.- par an; s'il était inférieur, le versement était différé voire supprimé; s'il était supérieur, la tranche annuelle du prix de base était due, mais également la part variable calculée en fonction de l'EBITDA.

Afin d'assurer une transition harmonieuse et de maximiser les revenus et l'EBITDA des sociétés C______, le contrat de vente prévoyait qu'il resterait employé de C______/2______ comme "Chief Operating Officer" jusqu'au 30 novembre 2020 et demeurerait au conseil d'administration de C______/1______ et de C______/2______ jusqu'au 30 novembre 2021. En cas de résiliation de son contrat de travail pour justes motifs, confirmée par un jugement définitif, les montants restant à payer par E______, tant au titre du prix de base que de la part variable, ne seraient pas dus.

Il avait cependant été victime d'un stratagème de A______ et B______ visant à le priver des montants qui devaient lui revenir au titre de la vente, leur comportement consistant en substance à :

-          placer leurs proches au conseil d'administration des sociétés C______ et les rémunérer de manière disproportionnée ainsi qu'effectuer des dépenses dispendieuses (location coûteuse de locaux, achat d'une Lamborghini utilisée à des fins personnelles par B______) aux fins de réduire l'EBITDA;

-          ne pas le convoquer ni le consulter alors qu'il était toujours membre du conseil d'administration des sociétés C______;

-          prétexter des retards dans l'établissement des comptes 2019, qu'ils ne lui remettront qu'en mai 2020 et qui feront apparaître que l'une des sociétés C______ était progressivement vidée de sa substance;

-          user de pressions psychologiques sur lui en l'accusant, entre mai et juillet 2020, de surfacturation et de destruction de données, puis en résiliant son contrat pour justes motifs le 6 juillet 2020;

-          le menacer de dénonciation fiscale s'il n'acceptait pas de leur restituer la somme déjà versée au titre du prix de base (CHF 1'500'000.-) et d'abandonner ses prétentions à leur encontre (plusieurs millions), ce qu'il avait refusé.

c.b. Dans sa plainte complémentaire, il reproche à B______ et A______ d'avoir, au nom de C______/2______ et C______/1______, déposé plainte pénale contre lui le 2 octobre 2020 pour destruction de données [dite plainte a été enregistrée sous la P/3______/2021], ce qui était faux.

d. Outre le fait que les protagonistes s'accusent mutuellement de procédés répréhensibles également par le biais de dénonciations fiscales, plusieurs procédures civiles les opposent actuellement.

e. Par pli du 31 janvier 2022, B______ a, par l'intermédiaire de son conseil, contesté auprès du Ministère public la qualité de partie plaignante de D______, invoquant en substance que celui-ci n'était plus ni actionnaire ni administrateur de C______/1______ et C______/2______.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public considère que quand bien même D______ ne serait plus ni administrateur ni actionnaire de C______/1______ et C______/2______, il demeurait titulaire du patrimoine résultant de la vente de ses actions et, partant, pouvait prétendre à la qualité de partie plaignante pour les infractions d'escroquerie et de contrainte. Les autres faits dénoncés étaient en lien avec ces infractions, respectivement protégeaient les droits de la personnalité de l'intéressé, de sorte qu'il pouvait également prétendre à la qualité de partie plaignante en ce qui concernait les infractions contre l'honneur dénoncées.

D. a. Les recourants excipent, à l'appui de leurs recours respectifs, que les actes de gestion déloyale prétendument reprochés avaient été commis au détriment de C______/1______ et C______/2______, de sorte que le patrimoine du plaignant n'avait pas été atteint. Les conditions de l'escroquerie n'étaient pas réalisées, faute d'astuce; partant, le plaignant ne disposait pas de la qualité de partie sous cet angle également. Il n'avait pas davantage cette qualité sous l'angle de l'OcaS-COVID-19, faute d'être une organisation de cautionnement reconnue. Le plaignant ne démontrait pas non plus avoir été victime de pressions, soit d'une tentative de contrainte, de sorte qu'il n'était pas lésé. Enfin, les éléments constitutifs des infractions contre l'honneur et de dénonciation calomnieuse n'étaient pas remplis, la plainte pénale ayant donné lieu à la P/3______/2021 ayant "justifié l'ouverture d'une instruction"; en outre, ni B______ ni A______ n'avaient dépassé le cadre nécessaire et légitime pour faire valoir leurs droits en justice. La plainte pénale de D______ et son complément étaient ainsi dépourvus de tout fondement.

En tant que la qualité de partie garantissait le droit d'accès au dossier, il y avait lieu d'interdire au plaignant et à son conseil de lever copies des pièces de la présente procédure. D______ pourrait en effet : exploiter de façon indue des secrets d'affaires relatifs aux sociétés de A______ et B______ – en particulier la documentation bancaire et les pièces comptables – ou les concernant personnellement, ainsi que s'en prévaloir dans les procédures civiles en cours; prendre des conclusions infondées, tant civiles que pénales, contre eux, les obligeant à se défendre.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Interjetés contre la même décision et ayant dès lors trait au même complexe de faits, les trois recours seront joints et traités dans un seul et même arrêt.

2.             2.1. Les recours ont été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concernent une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

2.2. À teneur de l'art. 382 al. 1 CPP, la qualité pour recourir est subordonnée, pour toute partie (art. 104 CPP) ou tout tiers touché (art. 105 CPP), à l'existence d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision querellée.

Cette question doit être examinée d’office par l’autorité pénale, toute partie recourante devant s’attendre à ce que son recours soit examiné sous cet angle, sans qu’il en résulte pour autant de violation de son droit d’être entendue (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1207/2013 du 14 mai 2014 consid. 2.2).

2.2.1. Ainsi, le recourant est tenu d'établir (cf. art. 385 CPP) l'existence d'un tel intérêt, en particulier lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (arrêt du Tribunal fédéral 1B_304/2020 du 3 décembre 2020 consid. 2.1).

2.2.2. Un tel intérêt doit être actuel et pratique (arrêt du Tribunal fédéral 1B_304/2020 précité consid. 2.1). L'existence d'un intérêt de pur fait ou la simple perspective d'un intérêt juridique futur ne suffit pas. Une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision ne possède donc pas la qualité pour recourir et son recours est irrecevable (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1).

La Chambre de céans se prononce au cas par cas sur la recevabilité du recours exercé par un prévenu contre l'admission d'une partie plaignante (ACPR/817/2022 du 21 novembre 2022 consid. 2.2.2). Ainsi entre-t-elle en matière lorsque des inconvénients juridiques pourraient en résulter pour le prévenu, par exemple lorsqu'il s'agit de protéger des secrets d'affaires (ACPR/190/2020 du 11 mars 2020; ACPR/462/2019 du 20 juin 2019; ACPR/174/2019 du 6 mars 2019).

Le prévenu se doit de démontrer que, si la partie plaignante était écartée de la procédure, celle-ci s'en trouverait considérablement simplifiée, dans son intérêt (juridiquement protégé). Si on admet que la situation du prévenu puisse être péjorée par la présence d'une partie plaignante autorisée à exercer ses droits procéduraux, à prendre des conclusions, tant civiles que pénales, contre lui et à faire appel d'un éventuel acquittement, il n'en demeure pas moins que de simples inconvénients de fait, tels que l'allongement de la procédure et/ou l'augmentation de son degré de complexité, ne suffisent pas (ACPR/369/2016 du 16 juin 2016).

Les circonstances pouvant néanmoins entrer en ligne de compte sont, notamment, la présence à la procédure d'autres parties plaignantes dont le statut n'est pas ou plus remis en question, voire le mode de poursuite – d'office ou sur plainte – des infractions dont la partie plaignante se prévaut (ACPR/258/2021 du 20 avril 2021; ACPR/302/2018 du 31 mai 2018, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_317/2018 du 12 décembre 2018; ACPR/407/2019 du 4 juin 2019, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_334/2019 du 6 janvier 2020).

2.2.3. Le recours d'une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision est irrecevable (ATF 143 IV 81 consid. 2.3.1 p. 85).

2.3.1. En l'espèce, on ne discerne pas en quoi l'ordonnance attaquée lèserait C______/1______ et C______/2______ – qui revêtent la qualité de tiers (art. 105 al. 1 let. f CPP) – dans leurs intérêts juridiquement protégés, ces entités n'étant nullement visées par la plainte pénale et son complément.

Partant, leur recours est irrecevable.

2.3.2. Les recourants A______ et B______ n'expliquent quant à eux pas quel intérêt juridiquement protégé serait atteint par la décision attaquée et comment la participation du plaignant, dont ils contestent la qualité, serait de nature à influencer le sort de la cause.

Tout d'abord, les infractions de gestion déloyale, escroquerie, tentative de contrainte et dénonciation calomnieuse se poursuivent d'office, ce qui atténue sensiblement le rôle d'accusateur privé que pourrait jouer l'intéressé.

Ensuite, les recourants font valoir que la qualité de partie octroyée au plaignant lui confère le droit de consulter le dossier et de lever copies de pièces couvertes par le secret d'affaires, soit en particulier la documentation bancaire et les pièces comptables de C______/1______ et C______/2______, qu'il pourrait ensuite exploiter de manière indue ou dont il pourrait se prévaloir dans les procédures civiles les opposant. Or, cette question relève exclusivement de l'accès au dossier et n'a pas fait l'objet d'une décision spécifique de l'autorité intimée dans son ordonnance, de sorte qu'elle apparaît exorbitante au présent litige.

Enfin, le fait que le plaignant puisse éventuellement prendre des conclusions "tant civiles que pénales" contre eux ne constitue qu'un inconvénient inhérent au système du CPP.

Il s'ensuit que la qualité pour agir, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, leur sera déniée.

Leurs recours seront donc déclarés irrecevables également.

3. Vu l'issue des recours, la Chambre de céans pouvait statuer d'emblée, sans échange d'écritures (art. 390 al. 2, 1ère phrase, et al. 5 a contrario CPP).

4. Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), à répartir comme suit, eu égard au travail généré par le présent arrêt en ce qui les concerne : CHF 800.- à la charge de A______, CHF 800.- à la charge de B______ et CHF 400.- à la charge de C______/1______ et C______/2______ (le solde de CHF 400.- versé à titre de sûretés leur étant restitué).

5. La qualité de partie de D______ étant confirmée, il y a lieu de lui communiquer le présent arrêt.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Joint les recours.

Les déclare irrecevables.

Arrête les frais de la procédure de recours à CHF 2'000.-.

Condamne C______/1______ SA et C______/2______ AG à la prise en charge de ces frais à hauteur de CHF 400.- et dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées par elles, le solde (CHF 400.-) leur étant restitué.

Condamne A______ à la prise en charge de ces frais à hauteur de CHF 800.- et dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées par lui.

Condamne B______ à la prise en charge de ces frais à hauteur de CHF 800.- et dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées par lui.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leurs conseils respectifs, et au Ministère public.

Le communique, pour information, à D______, soit pour lui son conseil.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/24541/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

40.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'885.00

Total

CHF

2'000.00