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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24473/2015

ACPR/369/2016 (3) du 16.06.2016 sur OMP/2804/2016 ( MP ) , IRRECEVABLE

*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ; PLAIGNANT; PARTIE À LA PROCÉDURE; BANQUE
Normes : CPP.382; CPP.115; CPP.118; LTF.93

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24473/2015ACPR/369/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 16 juin 2016

 

Entre

A______, sise ______, Zürich, comparant par Me Vincent JEANNERET, avocat, Étude Schellenberg & Wittmer, rue des Alpes 15 bis, case postale 2088, 1211 Genève 1,

recourante,

 

contre l'ordonnance rendue le 2 mars 2016 par Ministère public,

 

et

B______ et C______, tous deux comparant par Me Marc HENZELIN, avocat, rue de la Mairie 35, case postale 6569, 1211 Genève 6,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.            a. Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le 8 mars 2016, A______ (ci-après : la Banque ou la recourante) recourt contre l'ordonnance du 2 mars 2016, notifiée le lendemain, dans la cause P/24473/2015, par laquelle le Ministère public a admis la qualité de partie plaignante de B______ et C______.

La recourante conclut, préalablement, à l'attribution de l'effet suspensif au recours et à la suspension de l'accès au dossier pour C______, D______, E______ et F______ ainsi qu'G______ et B______ jusqu'à droit jugé sur la procédure de recours et, au fond, à l'annulation de la décision du Ministère public du 2 mars 2016.

b. Par ordonnance du 10 mars 2016 (OCPR/24/2016), le Président de la Chambre pénale de recours a, à titre provisionnel, fait interdiction au Ministère public d'accorder l'accès à la procédure P/24473/2015 à B______ et C______ jusqu'à droit connu sur le recours et a enjoint ces derniers à restituer les pièces déjà en leur possession.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. C______, D______, E______ et F______ ainsi qu'G______, pour défendre les intérêts de B______, ont déposé plainte pénale contre H______ ainsi que toute autre personne impliquée, pour abus de confiance et/ou gestion déloyale, faux dans les titres et/ou toute autre infraction pénale, et se sont constitués parties plaignantes. B______, domiciliée dans les Îles Vierges britanniques, avait ouvert, en 2006, un compte bancaire auprès de la Banque, à Genève. Le bénéficiaire économique des avoirs détenus sur ce compte, C______, citoyen géorgien, y avait transféré des centaines de millions de dollars, placés via différentes structures, dont B______. Une part importante des fonds confiés à la Banque avait été transférée à des sociétés offshore détenues par deux trusts, dont les bénéficiaires étaient C______ et des membres de sa famille, soit son épouse, G______, ainsi que ses enfants, D______, E______ et F______. Les comptes bancaires de B______ et des sociétés offshore ainsi qu'un compte personnel de C______ étaient gérés par la Banque, à Genève. Les portfolios liés directement ou indirectement à C______ avaient subi des pertes colossales en quelques mois, estimées à plusieurs centaines de millions de dollars. À teneur des pièces dont disposaient les plaignants, des irrégularités à caractère pénal avaient été commises dans le cadre de la gestion de leurs portefeuilles. Des documents falsifiés leur avaient été remis à réitérées reprises par H______ et/ou d'autres employés de la Banque. Cette dernière et/ou ses employés avaient, aux dires des experts externes consultés par les plaignants, procédé à un grand nombre de transactions dans le but de percevoir des commissions de courtage et de change très importantes à leur détriment. La Banque n'avait pas donné suite à leurs demandes de copie de l'ensemble de la documentation liée à la relation bancaire. De nombreuses zones d'ombre demeuraient. Dans la mesure où les plaignants pourraient ne pas être les victimes directes de certaines infractions dénoncées, ils devraient être considérés comme dénonciateurs des infractions.

b. Le 29 février 2016, la Banque a demandé au Ministère public de refuser la qualité de partie plaignante à C______ et consorts.

c. Le 5 février 2016, les plaignants ont sollicité l'accès au dossier.

d. Le 8 février 2016, le Ministère public les a informés que seuls les plaintes et le procès-verbal d'audition par la police étaient pour le moment consultables, car H______ n'avait pas encore été entendu de manière détaillée sur les faits qui lui étaient reprochés.

e. Le 23 février 2016, C______ et B______ ont communiqué au Ministère public des éléments complémentaires. Ils relevaient que le gestionnaire avait le plus souvent multiplié des opérations sur options. La Banque avait choisi, de manière délibérée et intentionnelle, de travailler massivement avec leurs actifs, dans le but manifeste de générer des commissions élevées. Un tel choix permettait, en outre, à la Banque de masquer de nombreux prélèvements. Il convenait d'ordonner la perquisition des systèmes informatiques de la Banque ainsi que le séquestre des documents électroniques qui y étaient stockés, en relation avec leurs portefeuilles, et le séquestre des notes internes de tous les départements impliqués dans leur gestion. Il fallait également procéder à l'audition de toute l'équipe ayant participé à la gestion des comptes en cause.

f. Le 29 février 2016, C______ et B______ ont demandé au Ministère public de les considérer comme parties plaignantes et de donner suite aux mesures d'instruction requises.

g. Le Ministère public a informé C______ et B______, par courriel du 3 mars 2016, que le dossier serait à leur disposition dès le lendemain.

h. Les plaignants ont requis, le 4 mars 2016, une copie intégrale de la procédure.

i. Le 15 mars 2016, ils ont demandé au Ministère public pour quel motif ils n'avaient pas été convoqués à l'audience du 19 janvier 2016, consacrée à l'audition du prévenu, alors que la Banque l'avait été. Ils relevaient encore qu'ils ne disposaient de la copie du dossier que depuis le 8 mars 2016, alors que le prévenu et la Banque l'avaient déjà obtenue en février. Ils se réservaient le droit de solliciter la répétition de certaines, voire de l'intégralité, des auditions effectuées afin que leur droit d'être entendu soit respecté.

j. Le 15 mars 2016, C______ et B______ ont déposé plainte pénale pour blanchiment d'argent contre la Banque et H______ ainsi que toute autre personne impliquée. La consultation du dossier les amenait à considérer que les employés, voire les organes de la Banque, avaient commis des opérations de blanchiment d'argent en toute liberté et que cette dernière n'avait pas mis en place des mesures d'organisation susceptibles d'empêcher la commission de telles infractions.

k. A teneur des procès-verbaux des audiences des 21, 22, 24 mars, 4 avril 2016, le Ministère public a constaté la présence aux audiences de la Banque, partie plaignante.

C.            A teneur de l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu qu'il ressortait de la procédure que H______ avait procédé à des prélèvements indus, pour un montant supérieur à CHF 100 millions, sur les comptes de B______ et C______, notamment au moyen de faux dans les titres, et à des actes de gestion déloyale, en effectuant des investissements risqués non autorisés, qui avaient causé des pertes dont l'ampleur restait encore à établir. B______ et C______ n'avaient pas été indemnisés par la Banque et devaient, par conséquent, être considérés comme lésés par les actes de H______ et admis en qualité de partie plaignante, ce d'autant plus qu'ils avaient également déposé plainte pénale contre la Banque.

D.           a. A l'appui de son recours, la Banque a fait valoir que les avoirs déposés sur les comptes bancaires étaient devenus sa propriété. Ainsi, les transferts effectués depuis les comptes de C______ et consorts avaient eu pour effet d'atteindre son patrimoine et pas celui de ses clients. Ces derniers avaient une créance contre elle, qui répondait des agissements de ses employés, ce qui excluait toute notion de dommage. Le dommage des clients ne pouvait être qu'indirect et, partant, ils n'avaient pas la qualité de partie plaignante.

b. Le Ministère public a conclu au rejet du recours, persistant intégralement dans les termes de son ordonnance. Les agissements de H______ au préjudice de B______ avaient été commis aussi bien au sein de la Banque qu'en dehors de celle-ci, notamment via des fonds créés et gérés par le Groupe I______. Dans la mesure où B______ n'avait pas été indemnisée à ce jour pour les agissements commis par le prévenu au sein de la Banque, ni pour ceux commis en dehors d'elle, la qualité de partie plaignante devait lui être reconnue.

c. B______ et C______ ont conclu à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet, du recours interjeté par la Banque, avec suite de frais et dépens à la charge de la recourante. Le recours était irrecevable, car la Banque n'avait pas d'intérêt juridiquement protégé à recourir. La décision de ne pas exclure la partie plaignante n'avait aucun effet immédiat sur ses droits procéduraux et ne lui causait aucun préjudice irréparable qu'une décision finale ne pourrait pas faire disparaître totalement. Si ces intérêts étaient la préservation de la confidentialité et du secret bancaire, ils ne permettaient pas de justifier la qualité pour recourir. L'intérêt à la confidentialité était un intérêt de fait, purement économique, et non un intérêt juridiquement protégé. L'art. 47 LB avait pour but de protéger les intérêts du client, qui seul pouvait se prévaloir d'une violation du secret bancaire. Cette disposition ne fondait par conséquent pas d'intérêt juridiquement protégé qui légitimerait la Banque à recourir. En outre, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le fait que la partie plaignante prenne connaissance, au cours de la procédure, de nombreuses pièces, notamment bancaires, faisait partie des inconvénients ordinaires, inhérents à toute procédure pénale, et ne suffisait pas à constituer un préjudice irréparable. La recourante cherchait en réalité à dissimuler les faits qui s'étaient déroulés en son sein et un tel intérêt n'avait pas à être protégé.

S'il était retenu que la recourante avait un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de l'ordonnance entreprise, cet intérêt n'était pas actuel, dès lors qu'à la suite de l'admission de la qualité de partie plaignante, les intimés avaient pris connaissance du dossier pénal, de sorte que l'annulation de l'ordonnance du 2 mars 2016 serait dépourvue de réelle efficacité.

Le recours était sans objet en tant qu'il requérait l'annulation de la décision du Ministère public pour d'autres parties plaignantes que celles visées par l'ordonnance du 2 mars 2016, laquelle s'était prononcée uniquement sur la qualité de partie plaignante de B______ et C______.

Le recours était enfin infondé. Selon la jurisprudence fédérale, le client dont les avoirs confiés à une banque avaient fait l'objet de malversations était lésé au sens de l'art. 115 CPP. Dans un tel cas, le client subissait un dommage patrimonial qui correspondait à la mise en danger de sa créance contre la banque, puisqu'il était empêché de disposer de la totalité de son avoir "réel", à tout le moins passagèrement, jusqu'à ce que ses prétentions aient été intégralement reconnues, respectivement indemnisées par la banque. B______ et C______ devaient se voir reconnaître la qualité de partie plaignante. Ils avaient subi un dommage direct et considérable à la suite des actes commis par H______ et la recourante ne leur avait toujours pas recrédité les montants transférés sans droit, ni compensé les pertes résultant des malversations.

d. La Banque a répliqué, le 6 avril 2016. Elle avait un intérêt juridique actuel et prépondérant à ce que la qualité de partie plaignante ne soit pas reconnue à B______ et C______, en raison des prérogatives que ceux-ci pourraient exercer dans le cadre des étapes futures de la procédure notamment dans le cas de l'exécution d'une procédure simplifiée, lors de laquelle toutes les parties plaignantes devaient non seulement consentir au principe de l'exécution d'une procédure simplifiée, mais également aux prétentions des autres parties plaignantes, chacune ayant ainsi une sorte de droit de veto sur la hauteur des prétentions des autres. Dans le cas d'un renvoi en jugement, les prétentions civiles des parties plaignantes seraient examinées. Celles-ci pourraient s'opposer et l'une des parties plaignantes pourrait se retrouver alors lésée. Par ailleurs, il existait encore un intérêt particulier à ce que les plaignants ne puissent pas bénéficier de la confiscation qui serait vraisemblablement ordonnée, sous forme d'allocation au lésé. Dans tous les cas précités, il existait un intérêt concret pour la Banque, à ne pas voir ses droits de partie plaignante contestés, contredits ou limités par des tiers qui ne rempliraient pas les conditions de parties. Les prétentions entre la Banque et ses clients se régleraient sur le plan du droit civil.

e. B______ et C______ ont dupliqué le 26 avril 2016, relevant que A______ n'invoquait aucun argument démontrant qu'elle aurait un intérêt à recourir supérieur à celui d'un prévenu qui n'avait en général pas la qualité pour recourir.

f. La Banque a encore transmis des observations le 29 avril 2016 renvoyant à ses précédentes écritures s'agissant de la recevabilité des recours.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 393 et 396 CPP). Il concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2. B______ et C______ allèguent que la recourante n'a pas d'intérêt juridiquement protégé et actuel à recourir.

1.2.1. Selon l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci. Cet intérêt doit être actuel et pratique (ATF 137 I 296 consid. 4.2 p. 299). De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique (ATF 136 I 274 consid. 1.3 p. 276). Ainsi, l'existence d'un intérêt de pur fait ou la simple perspective d'un intérêt juridique futur ne suffit pas (ATF 127 III 41 consid. 2b p. 42; 120 Ia 165 consid. 1a p. 166; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53, 488 consid. 1a p. 490 et les arrêts cités). Une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision ne possède donc pas la qualité pour recourir et son recours est irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 1B_669/2012 du 12 mars 2013 consid. 2.3.1 et la référence citée). Il n'est en outre renoncé à cette condition que si la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, si sa nature ne permet pas de la soumettre à une autorité judiciaire avant qu'elle ne perde son actualité et s'il existe un intérêt public suffisamment important à la solution des questions litigieuses en raison de leur portée de principe (ATF 139 I 206 consid. 1.1 p. 208; 137 I 296 consid. 4.2 et 4.3 p. 299 ss et les arrêts cités).

Selon l'art 93 al 1 let. a LTF, le recours, au Tribunal fédéral, contre les décisions préjudicielles ou incidentes, n'est recevable que si la décision attaquée peut causer un préjudice irréparable (let. a) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b).

La Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral considère, à la lumière de la jurisprudence du Tribunal fédéral sur la notion de préjudice irréparable de nature juridique, que la qualité pour recourir contre l'admission d'une partie plaignante doit en principe être refusée au prévenu (décisions BB.2014.188 du 24 juin 2015; BB.2013.38 du 29 juillet 2013 consid. 1.2), mais qu'elle doit être admise lorsque la partie plaignante est un État (décisions du Tribunal pénal fédéral BB.2012.48 consid. 1.3.1; BB.2011.107 du 30 avril 2012 consid. 1.5; BB.2012.101 du 22 janvier 2013 consid. 1.3), car le prévenu est alors susceptible d'encourir un préjudice au sens de l'art. 382 al. 1 CPP. En effet, de par leur souveraineté, les États disposent, pour agir - au sens large - contre des individus et leur patrimoine, de moyens autrement supérieurs à ceux d'une partie plaignante ordinaire et qui excèdent le cadre prévisible de la procédure pénale. Aussi, il y a lieu de considérer que, comme la qualité de partie plaignante accorde des droits - notamment relatifs à la connaissance des autres parties et à l'accès au dossier - toutes les cautèles envisageables (restriction d'accès, etc.) ne peuvent suspendre indéfiniment, les prévenus sont susceptibles d'encourir un préjudice irréparable de par l'admission de la partie plaignante (décision du Tribunal pénal fédéral BB.2011.107/108/110/111/112/115/116/117/128 du 30 avril 2012 consid. 1.5). La qualité pour agir a également été reconnue lorsque le sujet de droit en question était de nature "quasi-étatique" (décisions du Tribunal pénal fédéral BB.2012.107 du 15 mai 2013 consid. 1.3; BB.2012.194 du 2 juillet 2013 consid. 2.1).

Selon G. MAZZUCCHELLI et M. POSTIZZI (in : M. NIGGLI / M. HEER /
H. WIPRÄCHTIGER (eds), Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2014, ad art. 118, note 12c), un recours est possible par les autres parties (par exemple, le prévenu ou d'autres plaignants dans la procédure) si elles ont un intérêt juridiquement protégé au sens de l'art. 382 CPP à l'exclusion de la partie plaignante de la procédure pénale. De simples inconvénients de faits résultant de la participation de la partie plaignante à la procédure (par exemple l'allongement de la procédure et l'augmentation de son degré de complexité) ne suffisent pas à justifier un intérêt juridiquement protégé et la possibilité d'un recours contre l'admission d'une partie plaignante doit en principe être niée. Un intérêt juridiquement protégé peut cependant être admis, ainsi que l'a jugé la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, si, par exemple, le statut de partie plaignante permet l'exploitation indue de secrets d'affaires ou si la qualité de partie plaignante est revendiquée par un État (étranger). Si la qualité pour recourir du prévenu est niée, ce dernier pourra mettre en cause la qualité de la partie plaignante dans la procédure.

Dans un arrêt BK 2014 325 du 17 février 2015, la Cour suprême du canton de Berne a relevé que l'opinion des auteurs précités était fondée sur la jurisprudence du Tribunal fédéral qui, en lien avec l'art. 93 al. 1 let. a LTF, avait rappelé dans différents arrêts (ATF 1B_479/2012 du 13 septembre 2012 consid. 2, ATF 1B_529/2012 du 24 janvier 2013 consid. 1.2) que, de jurisprudence constante, une décision qui reconnaissait au prétendu lésé la qualité de partie plaignante dans une procédure pénale ne causait en règle générale au prévenu aucun préjudice irréparable qu'une décision finale ne ferait pas disparaître entièrement. Or, dans aucun de ces arrêts, le Tribunal pénal fédéral n'examinait spécifiquement sous l'angle du CPP la question de la recevabilité du recours du prévenu contre l'admission du statut de partie plaignante. La pratique du Tribunal fédéral avait, du reste, été considérée par A. GARBARSKI comme particulièrement sévère pour le prévenu (in SJ 2013 II, p. 123, Le lésé et la partie plaignante en procédure pénale; état des lieux de la jurisprudence récente). Cet auteur précisait que les décisions récentes de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral - admettant dans certaines circonstances que l'admission d'une partie plaignante était susceptible de causer un préjudice irréparable au prévenu - devaient être mises en perspective avec la jurisprudence que le Tribunal fédéral avait développée à l'époque où la procédure pénale était encore cantonale et offrait d'autres possibilités que le droit actuel pour dissiper le risque que l'accès à des pièces du dossier porte atteinte à la sphère privée ou aux droits de la défense du prévenu. Selon la Cour bernoise, faute d'une jurisprudence du Tribunal fédéral spécifiquement en lien avec le recours selon le CPP, il y avait lieu d'admettre, conformément à la pratique de la Chambre de recours pénale du même canton (cf. BK 13/73 du 30 avril 2013) que le prévenu avait un intérêt juridiquement protégé au sens de l'art. 382 CPP pour recourir contre l'admission d'une partie plaignante, dans la mesure où il alléguait que la participation active celle-ci pourrait influencer le sort de la cause, étant précisé que l'admission d'un appel sur la question du statut de cette dernière aboutirait à une cassation du jugement au fond et, par conséquent, à un allongement considérable de la procédure qui la rendrait particulièrement longue et coûteuse.

La Chambre de céans est, quant à elle, entrée en matière à plusieurs reprises sur le recours d'un prévenu contre l'admission d'une partie plaignante (ACPR/521/2015 du 25 septembre 2015; ACPR/534/2014 du 14 novembre 2014; ACPR/79/2011 du
19 avril 2011; ACPR/544/2012 du 29 novembre 2012; ACPR 563/2012 du
18 décembre 2012; ACPR/297/2015 du 27 mai 2015 et ACPR/637/2015 du
25 novembre 2015). Dans les six premiers arrêts cités, la recevabilité a été admise sans motivation particulière. En revanche, dans le dernier arrêt cité, la Chambre de céans a précisé qu'elle ne ferait pas sienne la jurisprudence de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (référence faite aux arrêts du Tribunal pénal fédéral BB.2014.188 du 24 juin 2015 consid. 2.2; BB.2013.38 du 29 juillet 2013 consid. 1.2; BB.2012.107 (recte : 106) du 15 mai 2013 consid. 1.3; BB.2012.194 du 2 juillet 2013 consid. 2.1; BB.2011.107 du 30 avril 2012 consid. 1.5), car celle-ci avait été rendue sur la question spécifique de la participation à la procédure pénale d'un État étranger et ne pouvait pas être transposée à la question litigieuse du cas d'espèce. Par ailleurs, le Tribunal pénal fédéral s'était référé à la jurisprudence du Tribunal fédéral qui examinait les recours portés devant lui sous l'angle du préjudice irréparable de l'art. 93 LTF. Or, l'art. 382 al. 1 CPP ne posait pas la condition du préjudice irréparable, mais celle de l'existence d'un intérêt juridiquement protégé. La Chambre de céans avait toujours admis un tel intérêt du prévenu, lorsqu'il contestait, en matière d'infraction contre le patrimoine, la constitution de partie plaignante du lésé (ACPR/297/2015 du 27 mai 2015; ACPR/534/2014 du 14 novembre 2014).

Le Tribunal fédéral a admis que le lésé (art. 115 CPP), qui s'est constitué partie plaignante sur le plan pénal (art. 118 al. 1 et 119 al. 2 let. a CPP), est habilité à former appel pour ce qui concerne la culpabilité du prévenu, indépendamment de la prise de conclusions civiles. Elle dispose d'un intérêt à pouvoir recourir au pénal sur la question de la culpabilité, qui peut avoir une influence sur dites prétentions
(R. CALAME, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2011, no 11 ad art. 382 CPP). La voie de l'appel est ouverte à la partie plaignante indépendamment du sort des conclusions civiles. La partie plaignante est habilitée à appeler d'un jugement d'acquittement même si elle n'a pas pris de conclusions civiles. Le CPP reconnaît au lésé une vocation strictement pénale à intervenir dans la procédure pénale. Cette vocation n'est pas limitée à la procédure de première instance. Le droit de demander la poursuite et la condamnation de l'auteur de l'infraction consacré à l'art. 119 al. 2 let. a CPP indépendamment de toute action civile ou de préjudice actuel fonde l'intérêt juridique de la partie plaignante, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, à appeler du jugement, y compris uniquement ses aspects pénaux (A. MACALUSO, L'action civile dans le procès pénal régi par le nouveau CPP, in Le procès en responsabilité civile, 2011, p. 175 ss, spéc. 188; ATF 139 IV 78 consid. 3).

Le Tribunal fédéral a, en revanche, considéré que la partie plaignante ne disposait pas d'un intérêt juridiquement protégé à recourir contre une décision relative à la libération du prévenu de détention provisoire. Le fait que la fuite à l'étranger de celui-ci risquait de compromettre le recouvrement de ses conclusions civiles n'était pas pertinent (arrêt 1B_681/2011 du 8 mars 2012 consid. 2.3.3.).

Selon R. CALAME (op. cit., n° 11 ad. 382), la partie plaignante ne peut guère se prévaloir d'un intérêt juridiquement protégé contre des actes d'instruction sans lien avec d'éventuelles prétentions civiles, ou contre le refus de tels actes.

1.3.1. La première question qui se pose en l'espèce est de déterminer si la Banque, du fait de la plainte déposée contre elle le 15 mars 2016, doit être considérée comme prévenue, et non plus seulement comme partie plaignante - qualité qui n'est pas contestée - dans la procédure, déjà dirigée contre H______.

On entend par prévenu toute personne qui, à la suite d'une dénonciation, d'une plainte ou d'un acte de procédure accompli par une autorité pénale, est soupçonnée, prévenue ou accusée d'une infraction (art. 111 al. 1 CPP).

La qualité de prévenu s'acquiert moins par un acte formel que par le simple fait qu'une procédure est ouverte contre une personne soupçonnée - à la suite d'une dénonciation, d'une plainte ou d'un acte de procédure accompli par une autorité pénale - d'avoir commis une infraction. Il s'agit, en réalité, de la personne contre laquelle le procès pénal est dirigé, et ce statut est déterminé par la situation matérielle de la procédure, à savoir si la personne considérée apparaît comme objectivement soupçonnée, par l'autorité pénale, d'avoir effectivement commis l'infraction (ACPR/230/2011 du 31 août 2011; ACPR/358/2011 du 2 décembre 2011); tel peut être le cas, déjà, lors d'un interrogatoire par la police, que cette dernière soit directement saisie d'une plainte ou qu'elle base ses soupçons sur ses propres constatations (ACPR/364/2011 du 8 décembre 2011). Si c'est le ministère public qui a été saisi, une ordonnance fondée sur l'art. 309 al. 3 CPP suffit, sans qu'il soit nécessaire de passer encore par une "mise en prévention" (arrêt précité; ACRP/56/2012 du 10 février 2012).

En l'espèce, il y a lieu de relever que lors du dépôt de son recours, le 8 mars 2016, la Banque n'avait que la qualité de partie plaignante et qu'en dépit de la plainte déposée contre elle le 15 mars 2016, le Ministère public a continué à la traiter comme telle. Elle n'apparaît ainsi pas soupçonnée, ni prévenue, ni accusée d'une infraction au sens de l'art. 111 al. 1 CPP et il doit être, dès lors, retenu qu'elle a, en l'état, uniquement la qualité de partie plaignante.

La jurisprudence développée au sujet de la qualité pour recourir du prévenu ne peut donc pas s'appliquer à la Banque, qui se trouve dans une position différente.

1.3.2. Reste à déterminer si, en qualité de partie plaignante, la Banque a un intérêt juridiquement protégé à recourir contre l'acceptation de B______ et C______ comme parties plaignantes.

Elle estime en avoir un, en raison des prérogatives que B______ et C______ pourraient exercer dans le cadre des étapes futures de la procédure notamment dans le cas de l'exécution d'une procédure simplifiée et lors du jugement, lorsque les prétentions civiles des parties plaignantes seraient examinées. Celles-ci pourraient s'opposer et l'une des parties plaignantes pourrait se retrouver alors lésée. Par ailleurs, il existait encore un intérêt particulier à ce que les plaignants ne puissent pas bénéficier de la confiscation qui serait vraisemblablement ordonnée, sous forme d'allocation au lésé.

Il s'agit là d'intérêts de pur fait, voire de simple perspective d'un intérêt juridique futur. En effet, si une partie plaignante peut faire obstacle à une procédure simplifiée, cela allonge la procédure, mais n'empêche pas les autres parties plaignantes de faire valoir leurs prétentions lors de l'audience de jugement. Par ailleurs, si la participation de plusieurs parties plaignantes a pour éventuel effet de réduire les chances de recouvrement des conclusions civiles, un tel intérêt ne constitue pas un intérêt juridiquement protégé au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt 1B_681/2011 du 8 mars 2012 consid. 2.3.3.).

Par ailleurs, si la Banque estime être la victime d'une utilisation abusive ou illicite de données confidentielles de la part de l'intimé ou de la diffusion d'une information inexacte relevant de la sphère privée et secrète, la voie choisie n'est pas la bonne. Il lui est en effet loisible d'engager une action en protection de la personnalité devant le juge civil fondée sur l'art. 28 CC et de requérir dans ce cadre des mesures provisionnelles (cf. ATF 129 III 529). Elle pourrait également déposer plainte pénale pour diffamation si les éléments relatés aux médias par l'intimé ou son mandataire ou les articles de presse concernant la procédure pénale en cours devaient contenir des faits inexacts attentatoires à l'honneur (cf. ATF 131 IV 154; 118 IV 248). Enfin, si elle redoute que l'intimé ait accès à des pièces du dossier dont le dévoilement serait de nature à porter atteinte à sa sphère privée ou aux droits de la défense, elle est libre de demander au Procureur de restreindre le droit des parties de consulter le dossier et d'en lever des copies en application de l'art. 102 al. 1 2ème phr. et 108 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_347/2009 du 25 janvier 2010 consid. 2) et de recourir contre un éventuel refus de ce magistrat.

1.4. Il résulte des considérations qui précèdent que la Banque, en sa qualité de partie plaignante, n'a pas d'intérêt juridiquement protégé à recourir contre l'ordonnance querellée. Son recours sera en conséquence déclaré irrecevable.

2. La recourante, qui succombe, supportera les frais de la procédure envers l'État
(art. 428 al. 1 CPP), qui comprennent un émolument de CHF 1'000.- (art. 13 RTFMP).

3. B______ et C______, intimés, ont requis des dépens.

3.1. Selon l'art. 433 CPP, applicable par le renvoi de l'art. 436 al. 1 CPP, la partie plaignante peut obtenir une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure pénale (al. 1); la partie plaignante adresse ses prétentions à l'autorité pénale; elle doit les chiffrer et les justifier; si elle ne s'acquitte pas de cette obligation, l'autorité pénale n'entre pas en matière sur la demande (al. 2).

3.2. Il ne sera pas accordé de dépens aux intimés dès lors qu'ils ne les ont pas chiffrés ni justifiés.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare irrecevable le recours formé par A______ contre l'ordonnance rendue le 2 mars 2016 par Ministère public dans la procédure P/24473/2015.

Condamne A______ au paiement des frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, à B______ et C______, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Catherine TAPPONNIER, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.


 

P/24473/2015

ÉTAT DE FRAIS

ACPR/369/2016

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale
(E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

0.00

- délivrance de copies (let. b)

CHF

0.00

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'000.00

-

CHF

 

Total

CHF

1'105.00