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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24551/2019

ACPR/696/2022 du 07.10.2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;COMMUNAUTÉ HÉRÉDITAIRE;CAPACITÉ D'ESTER EN JUSTICE;POUVOIR DE REPRÉSENTATION;RECONNAISSANCE DE LA DÉCISION
Normes : CPP.115; CPP.382; LDIP.29; LDIP.91; LDIP.92

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24551/2019 ACPR/696/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 7 octobre 2022

Entre

A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______, N______, O______, P______, Q______, R______, S______, T______, U______, V______, W______, X______ et Y______ et Z______,

tous comparant par Me Z______, avocat, ______ Genève,

recourants

contre la décision rendue le 4 février 2022 par le Ministère public

 

et

 

AA_____, domiciliée ______[GE], comparant par Me AB_____, avocat, ______,

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés

 

 

 

 

 

 

 

 

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 17 février 2022, A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______, N______, O______, P______, Q______, R______, S______, T______, U______, V______, W______, X______ et Y______ et Z______ recourent contre la décision du 4 février 2022, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a invité l'avocat précité à produire une procuration en sa faveur signée par chacun des membres de l'hoirie de feu AC_____ et a refusé de prononcer le séquestre que celle-ci sollicitait.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision querellée; à ce qu'il soit constaté que la procédure n'a pas pris fin avec le décès de AC_____ et déploie ses effets; à ce qu'il soit donné acte à Z______ qu'il représente valablement les membres de l'hoirie de AC_____ dans la procédure pénale; et à ce que le séquestre des avoirs déposés sur les comptes bancaires dont AA_____ et AD_____ SA sont titulaires ou ayants droit économiques soit ordonné.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 2'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

c. Ils ont produit en temps utile la traduction officielle en français de trois documents rédigés en langue arabe qu'ils ont joints à leur réplique.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Le 25 mars 2019, à AE_____ (Liban), AC_____, de nationalité saoudienne, a signé une procuration en faveur de l'avocat Z______, par laquelle il lui confiait le mandat de le défendre dans un litige l'opposant à AD_____ SA, à Genève, au sujet de ses avoirs placés en banque ("any dispute in relation with my assets at AF_____ and any dispute in relation with AD_____ SA").

La procuration précise que le mandat ne prend pas fin avec la mort du mandant ("This Power of Attorney shall not be terminated by the Client's death").

b.        Le 20 novembre 2019, AC_____ a déposé une plainte et dénonciation à Genève contre AA_____ pour usure (art. 157 CP), escroquerie (art. 146 CP), gestion déloyale (art. 158 ch. 1 CP) et abus de confiance (art. 138 CP).

Il s'est constitué partie plaignante au pénal et au civil, désignant Z______ comme conseil.

En substance, il reproche à AA_____ d'avoir, en qualité de gestionnaire de fortune, géré ses avoirs de manière non conforme à ses intérêts, provoquant la perte d'environ 25 % de la valeur de son portefeuille chez AF_____ SA, géré par AD_____ SA, dont elle était propriétaire. L'enrichissement de la société précitée, par le prélèvement de frais de gestion abusifs, s'élevait à plus de CHF 8'800'000.-.

Il sollicitait la perquisition des bureaux de AD_____ SA et des deux adresses de AA_____, à Genève, ainsi que le blocage des comptes dont les précitées étaient titulaires.

c.         AA_____, entendue en qualité de prévenue par la police le 13 août 2020 et par le Ministère public le 30 mars 2021, a contesté que les actes visés dans la plainte n'eussent pas été conformes au mandat confié par AC_____.

d.        AC_____ est mort le ______ 2021, au Liban.

Selon le certificat d'héritiers établi le 2 août 2021 par le Ministère de la Justice du royaume d'Arabie Saoudite (dans sa version traduite en français), il laisse pour seuls et uniques héritiers vingt-trois enfants, dont C______, et deux épouses.

e.         Le 5 octobre 2021, Z______ a informé le Ministère public du décès de son mandant.

f.         Le 21 octobre 2021, le Ministère public a sollicité de l'avocat prénommé la remise d'une ou plusieurs procurations justifiant les pouvoirs en vertu desquelles il agirait désormais.

Il a également sollicité la délivrance de certificats d'héritiers.

g.        Le 22 décembre 2021, Z______ a écrit au Ministère public que la procuration signée par feu AC_____ en sa faveur était soumise au droit suisse et perdurait après la mort du mandant.

h.        Le 23 décembre 2021, le Ministère public lui a confirmé la nécessité de produire une ou des procurations des héritiers en sa faveur, s'il entendait représenter ceux-ci dans la procédure pénale.

i.          Le 2 février 2022, Z______ a refusé.

Il expliquait que la succession de feu AC_____, décédé intestat, était soumise au droit successoral islamique saoudien (art. 91 al. 1 LDIP). En Arabie Saoudite, la loi islamique régissait le statut personnel, dont faisait partie le droit successoral. En vertu de ce droit, aucun héritier ne pouvait, avant le partage, disposer de l'héritage sans le consentement des autres héritiers, à l'instar de ce que prévoyait le droit suisse. De plus, l'hoirie comportait essentiellement des proches, au sens de l'art. 121 al. 1 CPP cum l'art. 110 al. 1 CP, impliquant que les héritiers devaient agir en commun pour faire valoir les droits du de cujus dans la procédure.

La succession n'ayant pas été partagée, la procuration en sa faveur restait valable. Il représentait ex lege l'ensemble des héritiers de feu AC_____, mentionnés sur le certificat du 2 août 2021.

Il a derechef sollicité le séquestre des avoirs de la prévenue ainsi que de la société AD_____ SA.

j. Dans l'intervalle, C______, fille de AC_____, a fait valoir son droit de participer à la procédure engagée par son père, en sa qualité de proche de celui-ci (art. 121 al. 1 CPP cum art. 110 al. 1 CP). Elle s'est choisie un autre avocat. Interpellé, cet avocat a expliqué que sa mandante se constituait partie plaignante comme demandeur au pénal, au sens de l'art. 119 al. 2 let. a CPP, indépendamment de toute considération de droit civil matériel et de l'inaction d'autres proches, et qu'elle se réservait de faire valoir des prétentions civiles propres, au sens de l'art. 122 al. 2 CPP.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public invite une nouvelle fois Z______ à fournir une procuration émanant de chacun des membres de l'hoirie qui entendaient participer à la procédure et le mandataient à cet effet, à l'instar de ce que C______ avait fait par l'entremise de son propre conseil.

La situation analysée par Z______ n'était guère différente en droit suisse (art. 602 al. 2 CC). Il convenait de faire une distinction entre les droits de fond (prétentions civiles), que pouvaient faire valoir les personnes qui succédaient à une partie à la procédure en application de l'art. 121 al. 1 CPP, et les droits procéduraux, qui s'acquéraient par les proches du défunt de manière individuelle, ceux-ci ne pouvant être contraints de les exercer.

S'agissant de la demande de séquestre, les hoirs n'étaient pas fondés à requérir de décision sur ce point, dans la mesure où ils n'avaient pas valablement fait valoir leur droit de participer à la procédure.

D. a. À l'appui du recours, Z______ conteste être dépourvu de pouvoir de représentation. La procuration du 25 mars 2019, signée de la main de AC_____, demeurait valable, puisqu'elle prévoyait explicitement que le mandat perdurerait après sa mort, possibilité prévue par l'art. 405 al. 2 CC. Dès lors, en vertu de principes dégagés par la jurisprudence (notamment l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_336/2021 du 27 août 2021 [paru aux ATF 147 IV 465]), ce mandat, tant qu'il n'était pas résilié conjointement par l'ensemble des héritiers, continuait de déployer ses effets.

Les héritiers de feu AC_____ revêtaient la qualité de partie plaignante, au pénal comme au civil, puisqu'ils agissaient conjointement au travers des pouvoirs conférés à leur représentant.

Qu'une cohéritière eût choisi de faire appel à un autre conseil ne suffisait pas à mettre fin à ses pouvoirs de représentation, dès lors qu'elle ne pouvait pas résilier seule le mandat confié par le défunt.

Les héritiers étaient habilités à requérir le séquestre auprès du Ministère public. Les conditions de cette mesure de contrainte étaient par ailleurs réalisées.

Enfin, il jouissait personnellement de la qualité pour recourir – en sus des différents cohéritiers qu'il représentait en application de l'art. 382 al. 3 CPP –, puisque la décision du Ministère public l'empêchait d'exercer son mandat et d'honorer ses obligations contractuelles.

b.        Le Ministère public conclut au rejet du recours. Seule C______ avait déclaré vouloir intervenir dans le cadre de la présente procédure en qualité de demanderesse au pénal et au civil. Elle ne détenait que la qualité de partie plaignante au pénal. Les autres héritiers n'avaient pas manifesté individuellement leur volonté d'exercer leurs droits découlant de l'art. 121 CPP. Partant, ils n'étaient pas plaignants.

c.         Invitée à se déterminer, AA_____ conclut, sous suite de frais et dépens, principalement à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet. Le pli querellé du Ministère public confirmait qu'en l'absence de procuration et d'acte de volonté des héritiers, ceux-ci n'étaient, en l'état, pas fondés à requérir une décision de séquestre. Le Ministère public ne tranchait nullement la capacité de Z______ de représenter qui que ce soit et ne concernait pas les droits de procédure des parties. Partant, Z______ n'avait pas qualité pour recourir personnellement, la décision statuant uniquement sur le séquestre requis. En outre, l'irrecevabilité du recours devait être prononcée sur la base du fait que Z______ ne s'était pas valablement constitué auprès des autorités genevoises, dès lors qu'il ne pouvait se prévaloir d'une procuration des personnes aux noms desquelles il prétendait agir.

Sur le fond, la jurisprudence prévoyait qu'une procuration valable post mortem ne pouvait être utilisée que s'il était question de sauvegarder les droits de héritiers après le décès du défunt et jusqu'à l'établissement du certificat d'héritiers (ATF 110 IV 389 consid. 2c; arrêt du Tribunal fédéral 6B_336/2021 du 27 août 2021 consid. 4.2 et 4.3 [paru aux ATF 147 IV 465]). En l'espèce, dès lors qu'un certificat d'héritiers avait été délivré le 2 août 2021, la procuration de Z______ n'était plus valable, étant relevé qu'elle avait cessé de déployer ses effets au plus tard le 8 novembre 2021, soit dès que l'intimée, héritière, se fut annoncée auprès du Ministère public.

De plus, les héritiers devaient agir conjointement et unanimement s'ils entendaient se constituer parties plaignantes et demandeurs au civil et au pénal (art. 121 CPP), d'autant plus que la procédure visait des infractions contre le patrimoine de feu leur père (ATF 142 IV 82 consid. 3.3.2). Le droit saoudien prévoyait, à l'instar du droit suisse, l'action commune des héritiers.

À cela s'ajoutait le fait que, le 13 septembre 2021, le Tribunal des affaires civiles du district de AH______ (Arabie Saoudite), avait attribué la liquidation et la surveillance du patrimoine du défunt au Centre d'attribution et de liquidation. Les attributions dudit Centre incluaient la capacité de représenter la succession devant les instances judiciaires et étaient comparables à ce que le droit suisse qualifiait d'exécuteur testamentaire ou d'administrateur de la succession. Il ressortait par ailleurs du jugement que ces prérogatives pouvaient être déléguées par l'octroi de procuration en faveur de tiers. Cette décision, immédiatement exécutoire, avait été confirmée en appel, par arrêt du 13 novembre 2021 de la Cour d'appel de AH______.

Partant, les héritiers n'étaient pas parties plaignantes, faute d'action commune et de procuration valable. Ils ne pouvaient de toute manière pas agir unanimement sans l'accord de l'exécuteur testamentaire nommé par les autorités saoudiennes, lequel pouvait se constituer partie plaignante au nom de la communauté héréditaire, ce qui n'était pas advenu à ce stade.

Enfin, les conditions du séquestre n'étaient, en toutes hypothèses, pas réunies, faute de soupçon de commission d'une infraction. C'était donc à bon droit que le Ministère public, qui annonçait une ordonnance de classement, avait refusé d'ordonner la mesure de contrainte sollicitée.

À ces observations, AA_____ a annexé notamment les deux jugements auxquels elle se réfère.

d.        Par acte du 16 mai 2022, Z______ réplique et transmet deux procurations.

L'une a été émise, sous forme notariée, le 08/07/1443 selon le calendrier islamique (9 février 2022) par le directeur d'un "Centre d'attribution et de liquidation" saoudien en faveur de quatre personnes, dont AG______, lesquelles peuvent à leur tour se substituer d'autres représentants, aux fins, notamment, d'agir en justice pour la succession de AC_____.

L'autre procuration, datée du 12 avril 2022 et à l'en-tête de l'Ordre des avocats, est émise en faveur de Z______ et porte la signature de AG_____.

Z______ explique que celui-ci, avocat, avait été mandaté en qualité d'"administrateur d'office" de la succession avec trois confrères, afin de procéder, individuellement ou collectivement avec eux, aux actes décrits dans la procuration du Centre d'attribution et de liquidation. AG_____ détenait notamment le pouvoir de conduire des procès et de faire valoir les droits du défunt, y compris dans le cadre de recours ou d'appels, ainsi que de donner procuration. Ces pouvoirs n'étaient pas conférés aux héritiers, lesquels ne pouvaient les exercer individuellement.

Z______ a aussi annexé les deux jugements dont se prévaut AA_____.

e.              Ces deux jugements saoudiens sont :

·      une décision du Tribunal du statut personnel de AH_____[Arabie Saoudite], rendu le 05/02/1443 selon le calendrier islamique (12 septembre 2021), par suite d'une action intentée par six héritiers de AC_____ contre les dix-neuf autres : le tribunal y charge le Centre d'attribution et de liquidation institué par la loi saoudienne d'administrer et de liquider la succession (p. 12), y compris par le transfert des avoirs détenus par le défunt auprès de AF_____ SA (pp. 3 et 13); ledit Centre peut à son tour déléguer à des tiers la représentation de la succession par-devant toute instance judiciaire (p. 14).

·      un arrêt rendu par la Cour d'appel de AH______ le 07/04/1443 (13 novembre 2021), ensuite de l'appel formé contre ce jugement par deux des héritiers défendeurs, dont C______ : le jugement de première instance y est confirmé.

f.              AA______ n'a pas déposé d'autres déterminations.

E. a. Le 24 février 2022, le Ministère public a refusé d'autoriser Z______ à assister à l'audience d'audition de AA_____ et de C______, prévue pour le 10 mars suivant.

Le lendemain, Z______ a requis, à titre provisionnel (art. 388 CPP), que la Chambre de céans l'autorise à participer à l'administration des preuves et, notamment, à l'audience susmentionnée.

Par ordonnance du 28 février 2022 (OCPR/11/2022), la Chambre de céans a rejeté la requête, au motif que l'octroi de la mesure provisionnelle sollicitée revenait à préjuger de la question de la qualité de partie plaignante des recourants.

b.        Le 29 mars 2022, le Ministère public a rendu l'avis de prochaine clôture de l'instruction, informant les parties de son intention de classer la poursuite.

Par pli posté le 11 avril 2022 à l'attention de la Chambre de céans, Z______, expliquant avoir appris l'existence de cette décision, sans qu'elle ne lui ait été notifiée, a requis le prononcé de mesures provisionnelles tendant à faire interdiction au Ministère public de rendre l'ordonnance de classement annoncée, avant droit connu sur le recours.

Par ordonnance du 13 avril 2022 (OCPR/20/2022), la Chambre de céans a refusé, au motif que donner suite à la requête équivalait à préjuger, une nouvelle fois, de la qualité de partie plaignante des recourants.

EN DROIT :

1.             Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai utiles (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne un refus de séquestre, sujet comme tel à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_34/2014 du 15 avril 2014 consid. 2).

2.             Les faits nouveaux et les pièces nouvelles sont recevables, la jurisprudence admettant leur production en deuxième instance (arrêts du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015, consid. 3.1 et 3.2 et 1B_768/2012 du 15 janvier 2013, consid. 2.1).

3.             Seule une partie à la procédure qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée peut se voir reconnaître la qualité pour recourir (art. 382 al. 1 CPP).

3.1.       La partie plaignante a qualité de partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP). On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP).

La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 143 IV 77 consid. 2.2; 141 IV 454 consid. 2.3.1).

3.2.       Dans la mesure où Z______ recourt à titre individuel, il convient de déterminer s'il a qualité pour ce faire.

3.2.1.           La Chambre de céans admet qu'un avocat possède un intérêt juridiquement protégé (art. 382 al. 1 CPP) à attaquer la décision qui l'évince de la représentation d'une partie par-devant les autorités pénales du canton (ACPR/853/2019 du 7 novembre 2019 consid. 1.1., avec référence à l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_510/2018 du 14 mars 2019 consid. 1, non publié in ATF 145 IV 218, qui retient un intérêt juridiquement protégé, au sens de l'art. 81 al. 1 LTF).

3.2.2.           En l'espèce, il ne saurait être déduit de la décision attaquée qu'elle dénie à Z______ la capacité de représenter une partie dans la procédure pénale. Au contraire, elle invite le prénommé à justifier ses pouvoirs par la production d'une procuration des personnes aux noms desquelles il affirme agir. Le fait qu'il souhaite honorer ses obligations contractuelles ne constitue pas un intérêt juridiquement protégé lui permettant de recourir contre une décision refusant le séquestre aux héritiers de son défunt mandant, décision qui ne le touche pas personnellement dans ses droits.

Partant, la qualité pour recourir lui sera déniée.

3.3.       Le recours est également déposé au nom de tous les héritiers de feu AC_____, dont le Ministère public et l'intimée contestent qu'ils aient valablement fait valoir leurs droits de participer à la procédure.

3.3.1.           À teneur de l'art. 382 al. 3 CPP, si la partie plaignante décède, les proches au sens de l'art. 110 al. 1 CP peuvent, dans l'ordre de succession, interjeter recours ou poursuivre la procédure [de recours] à condition que leurs intérêts juridiquement protégés aient été lésés.

L'art. 382 al. 3 CPP est plus restrictif que l'art. 121 al. 1 CPP, le premier imposant aux héritiers de disposer d'un intérêt propre à agir, contrairement au second (N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxiskommentar, 3e éd. 2018, n. 9 in fine ad art. 382 CPP).

Un tel intérêt doit être admis lorsque la décision contestée a des effets directs sur la situation patrimoniale du de cujus et, partant, sur celle des héritiers (N. SCHMID / D. JOSITSCH, op. cit., n. 9 ad art. 382 CPP; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 5 ad art. 382).

Le droit de recourir présuppose la capacité de partie et d'ester en justice (cf. art. 106 CPP). Une communauté héréditaire comme telle n'a pas la personnalité juridique et tant que la succession n'est pas partagée, tous les biens qu'elle comporte sont la propriété commune des héritiers. Ceux-ci sont donc chacun, personnellement et directement, touchés par une infraction commise à l'encontre du patrimoine de la succession (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_116/2015 du 8 octobre 2015 consid. 2.1, s'agissant d'une société simple). Il convient néanmoins de distinguer, dans ce cas, la qualité de lésé du droit de faire valoir des prétentions en justice. En effet, seul l'ensemble des héritiers ou leur représentant est légitimé à faire valoir les droits appartenant à la communauté. À l'exception des cas où l'auteur de l'infraction est un membre de l'hoirie, les héritiers ne peuvent donc agir en justice que tous ensemble (arrêt du Tribunal fédéral 5A_440/2012 du 1er novembre 2012 consid. 1.2; ACPR/606/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2.1.2; ACPR/85/2012 du 27 février 2012 consid. 2.2.; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op.cit., n. 34 ad art. 115; Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 18a ad art. 115; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2e éd. Bâle 2016, n. 5 ad art. 115;).

3.3.2.           Dans l'arrêt ATF 147 IV 465 auquel se réfèrent recourants et intimée, le Tribunal fédéral a admis le recours d'une avocate qui avait contesté une décision de confiscation rendue après le décès de son mandant et portant sur les valeurs patrimoniales de celui-ci, alors que la juridiction cantonale avait estimé que l'avocate n'était pas autorisée à agir pour le compte des héritiers, inconnus au moment de former recours. Pour le Tribunal fédéral, une procuration avec effet trans mortem continue de pouvoir être utilisée, même après la mort du mandant, à tout le moins jusqu'au moment où la volonté des héritiers est connue (consid. 4.2 p. 468; cf. également ATF 110 V 389 et ATF 132 III 222).

3.3.3.           En l'espèce, AC_____ est mort pendant le cours de la procédure pénale qu'il a engagée en Suisse. Selon la procuration du 25 mars 2019, sa représentation était confiée à Z______, avec la précision que ce mandat ne prendrait pas fin avec la mort du client.

Le certificat d'héritiers du 2 août 2021 – dont la validité n'est pas remise en cause – atteste du fait que le défunt laisse pour seuls et uniques héritiers les vingt-cinq personnes qui y sont mentionnées. On ne se trouve donc pas dans la situation examinée à l'ATF 147 IV 465, puisque les membres de la communauté héréditaire étaient connus au moment de former recours et que l'avocat susmentionné a, précisément, agi en leurs noms à tous. Le mandat confié à Z______ par le de cujus – et la procuration y relative – ne peuvent dès lors plus être invoqués pour continuer la procédure.

Son recours sera rejeté sur ce point.

3.4.       Reste à examiner si Z______ peut se prévaloir de la procuration émanant de l'un des "administrateurs d'office" de la succession et, ainsi, agir au nom de la communauté héréditaire.

3.4.1.           Selon l'art. 91 al. 1 de la Loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP; RS 291), la succession d’une personne qui a eu son dernier domicile à l’étranger est régie par le droit que désignent les règles de droit international privé de l’État dans lequel le défunt était domicilié.

Le droit applicable à la succession détermine en quoi consiste la succession, qui est appelé à succéder, pour quelle part et qui répond des dettes successorales, quelles institutions de droit successoral peuvent être invoquées, quelles mesures peuvent être ordonnées et à quelles conditions (art. 92 al. 1 LDIP). Les modalités d’exécution sont régies par le droit de l’État dont l’autorité est compétente. Ce droit régit notamment les mesures conservatoires et la liquidation, y compris l’exécution testamentaire (art. 92 al. 2 LDIP).

3.4.2.           Selon l'art. 96 al. 1 let. a LDIP, les décisions, les mesures ou les documents relatifs à une succession, de même que les droits qui dérivent d’une succession ouverte à l’étranger, sont reconnus en Suisse, notamment lorsqu’ils ont été rendus, pris, dressés ou constatés dans l’État du dernier domicile du défunt.

Cette disposition définit de manière large les actes étrangers susceptibles d'être reconnus en Suisse (A. BUCHER, Commentaire romand, Loi sur le droit international privé, Convention de Lugano, Bâle 2011, n. 1 ad art. 96 LDIP).

Les décisions étrangères incluent les actions successorales, la prise d'inventaire, l'administration provisoire de la succession, l'ouverture du testament et le prononcé de la liquidation officielle. Constituent des documents les pièces par lesquelles les héritiers et les différents administrateurs, exécuteurs testamentaires et représentants de la succession se légitiment (arrêt du Tribunal fédéral 4A_600/2018 du 1er avril 2019 consid 3.1.1; P. GROLIMUND / L. LOACKER / A. SCHNYDER (éds), Basler Kommentar, Internationales Privatrecht, 4e éd., Bâle 2021, n. 3-4 ad art. 96 LDIP; M. MÜLLER-CHEN / C. WIDMER LÜCHINGER, Zürcher Kommentar zum IPRG, Band I Art. 1-108, 3e éd., Zürich 2018, n. 5-7 ad art. 96 LDIP).

Les conditions de la reconnaissance à titre préalable d'un document sont fixées par l'art. 96 al. 1 let. a LDIP en relation avec l'art. 29 al. 3 LDIP (s'agissant d'un acte notarié autorisant l'exécuteur testamentaire à administrer la succession, cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_83/2012 du 5 décembre 2012 consid. 3, non publié in ATF 139 III 93; en ce qui concerne un certificat d'héritiers selon lequel les héritiers exercent les droits de la succession, arrêt du Tribunal fédéral 5C.25/2005 du 9 mai 2005 consid. 2); il n'est pas nécessaire de passer par une procédure d'exequatur (P. GROLIMUND / L. LOACKER / A. SCHNYDER (éds), op.cit., n. 4 ad art. 97 LDIP; M. MÜLLER-CHEN / C. WIDMER LÜCHINGER, op.cit., n. 8 ad art. 96 LDIP). Si la portée des actes étrangers se détermine selon le droit d'origine, soit le droit appliqué par l'autorité étrangère (ATF 122 III 213 consid. 4b p. 217), cet examen ne doit toutefois pas aller au-delà de la simple détermination de l'objet attribué au document dans l'État d'origine (M. MÜLLER-CHEN / C. WIDMER LÜCHINGER, op.cit., n. 9 ad art. 96 LDIP).

Le juge pénal est compétent pour se prononcer à titre préjudiciel (arrêt du Tribunal fédéral 6S.438/2004 du 8 juin 2005 consid. 1.3. = SJ 2006 I 21).

3.4.3.           En l'espèce, AC_____ est mort le ______ 2021 au Liban. Ni les parties ni le Ministère public ne remettent en cause l'application du droit islamique saoudien à sa succession.

Les recourants et l'intimée ont versé à la procédure les deux décisions prises par les autorités judiciaires civiles saoudiennes qui se sont penchées sur le sort de la succession.

De la traduction officielle produite à la demande de la Direction de la procédure, il ressort, en particulier, que le Tribunal du statut personnel de AH______ a confié l'administration et la liquidation du patrimoine du défunt à un "Centre d'attribution et de liquidation" institué par le droit saoudien. Ce Centre s'est vu conférer le pouvoir de déléguer la représentation de la succession dans toutes les procédures vis-à-vis de tiers, au royaume d'Arabie saoudite comme à l'étranger (ch. I.1. du dispositif), et de déléguer tout ou partie de ses pouvoirs à des tiers, qui peuvent à leur tour mandater autrui (ch. IV. du dispositif). Ce pouvoir leur permet de s'opposer aux jugements et d'interjeter appel (ch. I.15. du dispositif). Z______ a en outre produit une procuration certifiant que le directeur du Centre, sur la base des décisions judiciaires saoudiennes des 13 septembre et 13 novembre 2021, a désigné quatre personnes, dont celle qui lui a formellement donné mandat d'intervenir dans la procédure pénale suisse, le 12 avril 2022.

Les parties admettent que les prérogatives conférées au Centre s'apparentent à celles, en droit suisse, de l'administrateur de la succession (art. 554 CC) ou de l'exécuteur testamentaire (art. 517 CC), voire du liquidateur officiel (art. 593 ss CC). L'intimée, qui a dûment reçu copie des documents susmentionnés, ne prétend pas que les mandataires désignés par le Centre ne pourraient pas se préoccuper du sort d'avoirs du défunt situés à l'étranger. À raison, semble-t-il, puisque la relation bancaire du de cujus auprès de AF______ SA est expressément mentionnée dans ce qui apparaît à tout le moins, en p. 3 du jugement du 12 septembre 2021, comme un premier inventaire (par les demandeurs à l'instance) des biens composant la succession. L'intimée ne conteste pas que ces mandataires ont le droit de se substituer d'autre(s) mandataire(s). Elle ne prétend pas que la décision les nommant ne pourrait pas déployer d'effets en Suisse, faute, par exemple, d'y avoir été reconnue conformément à la LDIP. Elle semble au contraire partir de l'idée qu'une telle décision étrangère était nécessaire et suffisante pour admettre que l'hoirie puisse agir dans la procédure en cours.

À ce stade, rien ne permet donc de mettre en doute la validité de toutes ces décisions.

Il apparaît, ainsi, que, en vertu du droit étranger, quatre mandataires ont été désignés par le Centre d'attribution et de liquidation pour gérer, individuellement ou collectivement, la succession du défunt et qu'elles détiennent le pouvoir de représenter l'hoirie, notamment par-devant des autorités judiciaires, avec faculté de substitution.

Par conséquent, la représentation de la communauté héréditaire dans la procédure pénale suisse a été valablement déléguée par l'un de ces mandataires à Z______, le 12 avril 2022.

Il s'ensuit que l'hoirie est, désormais, valablement constituée partie plaignante. Il importe peu que l'une de ses membres se soit séparément constituée demanderesse au pénal et ait réservé ses conclusions civiles; elle s'est manifestée dans ce sens antérieurement à la procuration qui engage (toute) l'hoirie. Il importe tout aussi peu que l'éventualité de la voie pénale ne ressorte pas spécifiquement des pouvoirs conférés par la justice saoudienne; l'action civile par adhésion à la procédure pénale reste ouverte (art. 122 al. 1 CPP) et n'a pas à être abordée à ce stade (cf. art. 123 al. 2 CPP).

Comme l'hoirie, qui a valablement succédé au défunt dans la procédure, apparaît lésée dans ses intérêts juridiquement protégés par la décision entreprise, sa qualité pour interjeter recours contre celle-ci doit être admise.

4.             Pour le même motif, l'unique raison pour laquelle le Ministère public a rejeté la demande de séquestre n'est plus valable. Le recours s'avère par conséquent bien fondé.

5.             La décision attaquée sera annulée, et la cause sera renvoyée au Ministère public pour qu'il statue sur la mesure de contrainte requise (art. 397 al. 2 CPP). Que l'avis de prochaine clôture ait été émis dans l'intervalle n'y change rien, puisque cette formalité essentielle de fin d'instruction vise, précisément, à permettre aux parties de présenter leurs réquisitions de preuve (art. 318 al. 1, 2e phrase, CPP) et que le Ministère public doit ensuite se prononcer sur celles qui lui sont soumises (art. 318 al. 2 CPP).

6.             Selon l'art. 428 al. 1, 1ère phrase, CPP, les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé.

6.1.       Pour déterminer si une partie succombe ou obtient gain de cause, il faut examiner dans quelle mesure ses conclusions sont admises (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op. cit., n. 6 ad art. 428). L'al. 2 de cette disposition introduit des exceptions à cette règle générale, en donnant la possibilité à l'autorité compétente de condamner au paiement des frais de la procédure une partie recourante qui obtient une décision qui lui est favorable, notamment si les conditions qui lui ont permis d'obtenir gain de cause n'ont été réalisées que dans la procédure de recours (let. a).

6.2.       En l'espèce, le recours est admis en raison de la production, pendant la procédure de recours, de la procuration délivrée à Z______ par un mandataire du Centre saoudien d'attribution et de liquidation. Dès lors, les recourants supporteront, solidairement (art. 418 al. 2 CPP), les frais de l'État. Ces frais, compte tenu des écritures échangées et des mises en conformité demandées, seront fixés en totalité à CHF 2'000.-, émolument compris (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

7.             Les recourants, parties plaignantes, obtiennent gain de cause. Ils n'ont toutefois pas chiffré, ni a fortiori justifié, des frais et dépens auxquels ils concluent, au sens de l'art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP). La Chambre de céans n'entrera par conséquent pas en matière (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7).

8.             L'intimée, qui concluait à l'irrecevabilité du recours, n'a pas droit à l'indemnité qu'elle réclame.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours dans la mesure où il est recevable, annule la décision attaquée et renvoie la cause au Ministère public, au sens des considérants.

Met à la charge des recourants, solidairement, les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux parties, soit pour elles leurs avocats, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24551/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'905.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

2'000.00