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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/7877/2020

AARP/344/2022 du 08.11.2022 sur JTDP/1326/2021 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 16.01.2023, 7B_118/2023
Descripteurs : USAGE AUTORISÉ DE LA FORCE;APPRÉCIATION ANTICIPÉE DES PREUVES
Normes : CP.312; CPP.10
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7877/2020 AARP/344/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 8 novembre 2022

 

Entre

A______, p.a. Police, case postale 236, 1211 Genève 8, comparant par
Me B______, avocat,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

appelants et intimés,

 

contre le jugement JTDP/1326/2021 rendu le 22 octobre 2021 par le Tribunal de police.

 


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ et le Ministère public (MP) appellent du jugement du 22 octobre 2021, par lequel le Tribunal de police (TP) a reconnu A______ coupable d'abus d'autorité (art. 312 du code pénal [CP]) et l’a condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 170.- l’unité, assortie du sursis et d’un délai d'épreuve de trois ans.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement avec suite de frais et indemnités.

Le MP entreprend partiellement ce jugement et conclut au prononcé d’une peine pécuniaire de 150 jours-amende à CHF 170.-, assortie du sursis et d’une amende à titre de sanction immédiate de CHF 5'100.-.

b. Selon l'ordonnance pénale du 11 mai 2021, il est reproché à A______ d'avoir, à Genève, le 18 mars 2018, entre 5h et 05h17, devant l'établissement C______, exploité par D______ à la rue 1______ no. ______, agressé physiquement un inconnu en lui portant, avec sa main, deux coups au visage ainsi que deux coups de pied aux jambes avant de l'amener au sol.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Dans la nuit du 17 au 18 mars 2018, A______, appointé de la gendarmerie, était en service dans le quartier des Pâquis avec ses collègues policiers E______, F______ et G______. Ils étaient accompagnés d’un photographe de presse, H______, en immersion validée par la direction de la police, au poste des Pâquis.

Les faits objets de la présente procédure se sont déroulés vers 5h du matin, mais aucune mention de cet événement ne figure au journal des événements I______ de la police et aucun rapport n'a été établi. En particulier, la personne frappée et amenée au sol par A______ n’a pas été identifiée.

Les services de nuit de la police genevoise commencent à 19h. Au moment des faits, les intéressés étaient donc à pied d’œuvre depuis dix heures.

b. Dans le cadre de la procédure P/4______/2018, la brigade financière de la police judiciaire a exploité un téléphone appartenant à D______. Elle a notamment extrait une conversation WhatsApp entre D______ et A______ intervenue les 19 et 20 mars 2018, dont la teneur est la suivante :


 

Le 19 mars 2018, dès 21h34 :

A______ : 18 mars entre 5h et 5h17

D______ : Ok demain je regarde L______ bonne nuit bisous

A______ : Merci N'en parle pas et montre à personne

D______ : Ok

Le 20 mars 2018, dès 23h06 :

A______ : T’as pu regarder ?

D______ : Je regarde maintenant

A______ : Tu peux me l'envoyer sur ce numéro. Et surtout la montrer a personne ou l'effacer si t'arrive

D______ : Ok mais pour le moment je vois rien

A______ : En tout cas c'est sûr qu'on nous voit

Le 20 mars 2018 à 23h18, dans la suite de ce fil de conversation, D______ a envoyé à A______ une séquence vidéo, extraite du système de vidéosurveillance du salon C______.

c. Au début de cette vidéo, de mauvaise qualité et qui dure 37 secondes, A______ est adossé à un véhicule de service, en compagnie de deux de ses collègues (E______ et F______) ; G______ se trouve en face d’eux, contre le mur. Trois badauds figurent sur les images. L’individu inconnu se trouve en face des trois policiers, très proche de F______. Il semble tenir son poing droit fermé ; sa main gauche est ouverte. Après huit secondes A______ se redresse et s'avance de deux ou trois pas en direction de l’individu inconnu, qui recule de deux petits pas (9s) et fait face à A______, avec lequel il semble échanger quelques mots. Rapidement (13s), A______ pousse fortement l’individu au niveau du visage avec sa main ouverte ; l’inconnu, déséquilibré, fait deux pas de côté et revient immédiatement en face de A______, qui fait un pas sur le côté et lui porte un coup de pied à la jambe (16-17s). L’individu fait à nouveau deux pas de côté avant de revenir, tout en reculant (20s), se positionner face à A______ qui continue d’avancer (quatre ou cinq petits pas) dans sa direction et le saisit à nouveau à la tête, en cherchant cette fois à amener celle-ci en direction du sol (22s). L’individu se dégage, se redresse (23s) et A______, sans plus avancer, lui porte alors un coup de pied à la jambe gauche, à hauteur du genou (24s). Ils semblent échanger quelques mots, et disparaissent du champ de vision ; on devine toutefois que l’inconnu est amené au sol. Les autres policiers n'interviennent pas au début de l’altercation. E______ fait même un pas pour s’éloigner (16s) tout en restant à proximité en se retournant. F______ et G______ se redressent et suivent l’altercation. Sur la fin de la vidéo, ils se dirigent vers les protagonistes.

d. Tous les protagonistes identifiés ont été entendus. A______ a été entendu par l’inspection générale des services (IGS) le 26 septembre 2019, suite à une convocation orale effectuée deux jours auparavant et dont la teneur est inconnue. E______ a été auditionné en parallèle, G______ et F______ ont été entendus par la suite. Ils ont ensuite été auditionnés à nouveau au MP, après que celui-ci ait rendu une ordonnance de non-entrée en matière concernant E______, G______ et F______ et ouvert l’instruction à l’encontre de A______. Ils ont expliqué ce qui suit.

d.a. Selon A______, ses collègues et lui avaient précédemment eu affaire à l'individu en question qui, aviné, vociférait et importunait des travailleuses du sexe. Peu après, alors qu’ils se trouvaient devant l'établissement de D______, l'individu était revenu à la charge. Il avait le poing serré. A______ lui avait demandé de garder la distance et d'ouvrir sa main, ce qu'il avait refusé de faire. Il l'avait alors repoussé, avec sa main droite, au visage, tandis que sa main gauche reposait sur son bâton tactique. Dès lors que l'individu refusait toujours d'ouvrir sa main et de garder la distance de sécurité, A______ avait maintenu cette distance au moyen de sa main et de son pied. Il l’avait ensuite ceinturé en lui tenant les bras et l'avait amené au sol. G______ et F______ étaient alors venus lui prêter main forte. Au moment des faits, A______ était le seul à s'être aperçu du danger, ses collègues n'ayant pas remarqué que l'individu avait le poing fermé.

Un de ses collègues avait été agressé par un individu qui avait tenté de le tuer au moyen d’un morceau de canette en métal, dissimulé dans sa main. Il avait agi en se remémorant ces faits.

Après la palpation de sécurité, A______ avait vu la carte d'identité roumaine de l'individu, mais n'avait pas relevé ses coordonnées. Ce dernier s’était excusé à plusieurs reprises. A______ l'avait libéré et n'avait pas fait d'inscription dans le journal de police I______, par oubli.

A______ avait demandé les images à D______ pour se prémunir en cas de plainte quant à ces événements. Il lui avait demandé d'effacer la séquence vidéo de son téléphone portable et non du disque dur de son arcade. Les images d'une intervention de police n'avaient pas à être diffusées et A______ ne voulait pas qu'elles soient conservées ou montrées et on ne savait pas ce qui pourrait advenir de ce téléphone. Il aurait sans doute mieux fait de passer par la voie officielle pour obtenir ces images. Il avait l’habitude de solliciter la production d’images de vidéosurveillance lorsqu’il devait en venir aux mains dans son activité car il s’agissait pour lui d’un moyen de se prémunir contre toute accusation d’usage excessif de la force.

Dans le cas d’espèce, il avait effacé la vidéo après son audition par l’IGS puisqu’ils avaient la vidéo et qu’il n’avait donc pas besoin de la conserver.

Il considérait n’avoir fait que son travail. Il contestait le qualificatif de coups retenu dans l’ordonnance pénale ; il n’avait fait que repousser un adversaire, selon le tableau d’utilisation de la force enseigné aux policiers (aujourd’hui intégré dans l’ordre de service PRS.16.01, dans sa teneur mise à jour le 19 novembre 2021, consultable sur le site internet de la police : https://www.ge.ch/document/directive-police-os-prs1601-usage-force-moyens-contrainte-fouille).

d.b. E______ ne pouvait pas indiquer pour quelle raison son collègue A______ avait agi de la sorte mais pensait que sa réaction était due au comportement ou aux propos de l'individu. S'il n'avait lui-même pas réagi, c'est qu'il avait alors décidé que ses collègues n'avaient pas besoin de lui ; au MP, il a précisé que s’il s’était levé, c’était peut-être pour sécuriser la zone si des badauds devaient arriver. Il ne s'était souvenu de sa présence qu’en regardant la vidéo. Il ne pouvait pas se prononcer sur la réaction de A______.

d.c. Selon F______, après avoir discuté avec A______, suite à l'audition de celui-ci à l'IGS, et en visionnant la vidéo des faits, il constatait en effet que l'individu avait le poing fermé et comprenait la réaction de son collègue. Sur le moment, rien de particulier ne l'avait frappé s'agissant du comportement de l'individu et il n'était pas intervenu car cela n'était pas nécessaire. S'il s'était écarté, c'était peut-être pour que les badauds ne s'approchent pas. Il se souvenait d’une agression dont un autre policier avait été victime quelques années auparavant de la part d’un individu qui tenait un morceau de canette dans son poing fermé et d’une autre situation (dite de la rue 3______) dans laquelle une personne avait sorti une arme à feu de sa poche pour tirer sur des policiers, lui-même et A______ s’étant trouvés sur place. Il ne souhaitait pas faire d'hypothèse sur le comportement qu'il aurait adopté s'il avait vu que l'homme avait la main droite fermée.

d.d. Selon G______, sans se souvenir de ce que l'individu avait dit en s'approchant, il ne s'était en tout cas pas adressé à eux de manière aimable. Il ne savait toujours pas pourquoi A______ avait fait face à cet homme, mais son collègue F______ avait ultérieurement attiré son attention sur le fait que l'individu tenait un poing fermé. Il pensait avoir « raté » le début de l'action, avant de constater sur la vidéo que les choses se passaient aussi près de lui. Il avait vu A______ repousser l’individu mais ignorait pourquoi il était intervenu : il était parti du principe qu'il avait une raison de le faire. Lui-même avait suivi l’action et exercé une clé au bras de l’homme au sol, qui n’exerçait plus de résistance. Il ne se souvenait plus s’ils avaient fait usage des menottes mais ils avaient effectué une palpation de sécurité avant de le libérer.

d.e. D______ a également été auditionné ; il n’avait aucun souvenir de ses échanges avec A______ évoqués ci-dessus (consid. b.) et ne pouvait expliquer pourquoi il avait conservé les images en cause.

e. H______ a été entendu uniquement au TP. Il avait pris une de ses meilleures photo le soir des faits et se souvenait donc de la situation. L’individu avait nargué les policiers auparavant et était revenu vers eux. Il avait senti qu’il allait y avoir un problème et s’était écarté. A______ avait dit à l’individu de partir, mais celui-ci ne voulait pas. Le témoin s’était alors éloigné car il n’avait pas de gilet pare-balles. Il avait vu une altercation, en fait une interpellation et avait changé de trottoir pour prendre la photo produite, sur laquelle on aperçoit trois policiers, dont A______, autour d’une personne sur le ventre au sol tandis qu’un quatrième (E______) regarde la scène.

H______ n’avait pas reparlé de cet événement avec les policiers concernés et n’avait pas vu la scène figurant sur les images vidéos, s’étant éloigné pour prendre une photo. Il ne se souvenait pas avoir entendu A______ dire à l’individu d’ouvrir le poing, seulement qu’ils étaient très proches. L’impression générale était celle d’une menace de cet individu. Il n’avait pas eu peur pour lui-même, s’étant éloigné, mais avait vu que c’était dangereux.

Il avait eu un très bon « feeling » avec ce groupe de policiers qui avaient été exemplaires dans leur façon de travailler ; il n’avait jamais vu un geste déplacé qu’ils ne se seraient d’ailleurs pas permis vu sa présence. Ils étaient toujours respectueux et avaient la vocation. Il y avait souvent eu des interventions avec des gens comme l’individu en question, très dangereux et très menaçant ; il s’approchait des policiers, très agressif, et A______ lui criait « pars, ça suffit ».

f. Le rapport de l’IGS relatif à la présente cause comporte une copie de l’ordre de service 1 1.08 relatif à l’usage de la contrainte du 1er mars 2010, qui prévoit le respect du principe de proportionnalité, l’obligation de mentionner l’usage de la contrainte sans utilisation de la force (par exemple passage des menottes) dans le rapport ou à tout le moins, si aucun rapport n’est établi, dans l’inscription au journal I______, et l’obligation, en cas d’usage de la contrainte avec utilisation de la force, d’établir dans tous les cas un rapport avec la description détaillée de l’attitude de la personne interpellée ainsi que l’usage de la force employée en cette occasion.

C. a. Les débats d’appel se sont tenus en deux temps, un témoin – à l’audition duquel le prévenu a finalement renoncé – ayant fait défaut lors de la première audience.

b. La Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) a versé au dossier de la cause, à la demande de A______, qui indique que ces images sont utilisées à des fins de formation à la police, une vidéo figurant une agression survenue le 6 décembre 2014 dans le quartier des Pâquis, qui a fait l’objet de la procédure P/5______/2014. On y voit un individu, la main dans le dos, s’approcher d’un gendarme en uniforme, s’entretenir quelques instants avec lui avant de tenter de le frapper avec son poing. L’intéressé y dissimulait une canette de boisson écrasée. Il a été maîtrisé, interpellé, poursuivi et condamné pour tentative de meurtre, tentative de lésions corporelles simples aggravées et de violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (JTCO/93/2016).

Le MP, sur question préjudicielle aux débats, s’est opposé à ce que cette vidéo reste au dossier ; au bénéfice dune brève délibération orale, qui sera complétée ci-après, la Cour l’a rejetée.

c. La CPAR a auditionné J______ (ci-après : le témoin ou l’instructeur), sergent-chef à la formation continue de la police et chargé de lenseignement de la sécurité personnelle et de la mise en place de la formation continue pour tout ce qui concerne le recours aux moyens de contrainte, appelé la sécurité personnelle, moyens de contrainte, tactiques et premiers secours tactique. Il n’avait pas connaissance des images du 6 décembre 2014 sans exclure qu’elles soient utilisées par d’autres formateurs.

Il a expliqué le tableau d’utilisation de la force ; l'instruction de base du policier était davoir les mains ouvertes sans fermer les poings demblée pour éviter de donner de fausses indications. Il distinguait la frappe et le fait de repousser, la première impliquant une notion de contrôler et d’immobilisation rapide, le seconde consistant à garder quelquun à distance, ce qu’il a mimé avec les deux mains au niveau du visage pour protéger la tête, précisant, sur question, qu’il fallait sadapter et essayer de viser le tronc. Lobjectif en repoussant était de garder une distance et pas de frapper ou contre-attaquer ; cela pouvait se faire à deux mains, d’une main ou avec les jambes.

L’enseignement primordial était de garder une distance aussi grande que possible par rapport à quiconque, en général de garder la distance du bras faible, plus une main. Lexpérience enseignait toutefois que lorsque lon rentre dans une interaction, que le contrôle verbal ne suffit pas, le policier se rapproche quasi systématiquement de la personne, à cause de leffet tunnel qui le fait se préparer à une interaction.

La main de la personne face au policier était importante ; le danger vient des mains. Le policier doit voir les mains ouvertes pour sassurer de ne pas être confronté à un objet coupant ou tranchant et avoir un comportement tel quil fasse comprendre, aussi par son langage corporel, à la partie adverse qu’il est un professionnel et quil est prêt à agir. Il doit voir les mains de la personne et si elles sont dans la poche, on linvite à les sortir ; si elles sont fermées, on linvite à les ouvrir.

Confronté aux images du 18 mars 2018, le témoin a indiqué y voir un individu qui avait clairement franchi la zone de sécurité et se trouvait à moins dun mètre du groupe. Un policier se levait et se rapprochait, ce qui venait réduire la distance de sécurité ; il y avait là une volonté de faire reculer la personne. Dans cette volonté de faire reculer, il y avait utilisation du pied et de la main et le policer voulait déstabiliser ladversaire en venant le chercher sur le flanc, le haut du corps et la tête, tout en voulant faire reculer la personne. Certes, le collaborateur restait dans cette zone proche de lindividu mais il imaginait aussi que lindividu ne réagissait pas et restait en face de lui tout au long de laction. Laction du policer n’était pas une action de contre-attaque mais plutôt une action de déstabilisation de la personne. Le premier geste [de A______] n’était pas académique mais ne constituait pas une frappe ; il cherchait à déstabiliser la personne. Il avait de la peine à analyser son second geste car il ne voyait pas les mains de l’individu, qui ne respectait en tout cas pas la distance et qui, ensuite, restait et campait ses positions face au collaborateur et lui tenait tête, sans qu’il puisse voir ses mains, ce qui rendait lanalyse difficile.

A______ était dans une dynamique daller vers la personne et de la faire dégager et, par son action, il était aspiré vers lavant. Le geste n’était pas enseigné comme cela et lui seul pouvait savoir à quoi il servait ; l’enseignement donné était que léquilibre passe par la tête. Lorsquon cherche à faire basculer quelquun, cest la tête qui va décliner tout le mouvement.

Au vu de leur mauvaise qualité, il ne pouvait pas qualifier les images en rapport au tableau d’utilisation de la force, la frontière entre la résistance passive et la résistance active étant toujours très légère. Si l’individu n’avait pas obtempéré à une sommation, il se situait dans une résistance active qui permettait de mettre en place certaines techniques de protection et de contrainte.

Une main fermée devait donner un signal fort au policier, et constituait un niveau dalarme important pour être prêt à réagir. Subjectivement, il considérait que le comportement des autres policiers entraînait la suite des choses : sils avaient fait le nécessaire pour que la personne comprenne quelle navait rien à faire là, les choses se seraient peut-être passées autrement.

d. Entre les deux audiences, A______ a produit une décision rendue par le Département de la sécurité, de la population et de la santé (DDPS) le 16 juin 2021, le sanctionnant d’une réduction de traitement de 5% pour une période de deux ans à partir du 1er juillet 2021 pour divers manquements liés à sa relation avec D______. Cette décision, consécutive à une enquête administrative menée par K______, juge suppléant à la Cour de justice et juge à la retraite ayant exercé sa fonction notamment à la Chambre pénale de recours pendant de nombreuses années, retient notamment que le 18 mars 2018 A______ a agi de façon disproportionnée.

A______ a également produit une attestation de sa hiérarchie aux termes de laquelle il a formé 17 demandes de blocage d’images de vidéo-surveillance entre le 4 août 2016 et le 9 octobre 2021, rendant sans objet une question préjudicielle qu’il avait soulevée aux débats et qui ne sera donc plus évoquée.

e. Le Ministère public persiste dans ses conclusions. Le prévenu avait fait tout son possible pour faire en sorte que son comportement ne soit connu de personne et passe « sous les radars », en vain. Aucun motif ne justifiait de ne pas respecter l’ordre de service prévoyant de documenter tout recours à la force, sinon la volonté de dissimuler ses actes. Le comportement de l’individu avant qu’il ne se présente devant les policiers en pause ne constituait aucune infraction, ne suscitait aucune crainte et ne justifiait aucune mesure à son encontre : la police se trouvait souvent face à un individu qui n’était pas un adversaire et on pouvait accepter que des gens s’approchent d’un policier. Le prévenu s’était approché nonchalamment de lui pour lui porter quatre coups en quelques secondes. L’instructeur avait une vision biaisée, il ne savait pas ce qui se passait et s’imaginait une confrontation qui n’existait pas : il ne s’agissait que d’un poivrot qui errait par là. Les autres policiers ne bougeaient pas alors qu’ils suivaient la scène qui se passait sous leurs yeux – E______ se levait et partait avec la gestuelle de celui qui ne voulait pas y être associé. Le prévenu aurait pu avertir ses collègues plutôt que d’aller seul au contact ; ceux-ci avaient déclaré qu’ils n’avaient pas compris pourquoi il était intervenu, ce qui voulait déjà beaucoup dire de la part de policiers s’exprimant au sujet d’un collègue. L’individu était sans doute aviné et désagréable, la réaction du prévenu n’était pas celle qu’on attend d’un policier, il s’était rué sur l’individu, s’était défoulé et avait donné une série de coups sans but ni raison. La vraie question était celle de la proportionnalité de l’usage de la force, qui devait être niée car l’individu reculait à chaque frappe. La décision administrative ne liait pas l’autorité pénale mais démontrait que le geste n’avait pas été validé par l’autorité hiérarchique de l’intéressé. L’abus d’autorité était caractérisé.

f. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions. Il était faux de retenir que l’individu ne présentait pas une menace, comme l’avait souligné l’instructeur. Les faits s’étaient déroulés à 5h du matin : l’individu était revenu auprès de quatre policiers rencontrés peu auparavant, dont l’un lui avait alors demandé de passer son chemin. Il avait le poing droit fermé, la main gauche ouverte dans une posture plutôt menaçante, ce dont le prévenu avait immédiatement fait état dès sa première audition. L’instructeur qui contrairement à l’IGS était un spécialiste du terrain avait confirmé l’existence d’une menace de niveau important. L’individu se faisait repousser de manière à le déséquilibrer, mais à chaque fois il revenait vers le prévenu avec son poing fermé et se remettait face à lui. Une personne sans mauvaise intention ne se remettait pas face à un policier, poing fermé, après que celui-ci l’ait repoussé d’une main dans la figure. Les images choquaient parce que le prévenu continuait à repousser l’individu, mais celui-ci, après chaque touche, se remettait droit, dans l’axe, sans ouvrir son poing. Le policier agissait sous l’effet « tunnel » d’une personne perçue non comme en train de reculer mais de le confronter, qui ne reculait pas de sa propre volonté mais sous la poussée du policier. Les gestes n’étaient pas des coups mais des frappes de déstabilisation, à but non pas de maîtriser mais d’éloigner l’individu ; il n’avait pas fermé les poings et tout son comportement visait à faire comprendre à celui-ci qu’il devait respecter l’injonction de s’éloigner.

L’instructeur, sans connaître le contexte, avait immédiatement expliqué que l’individu se trouvait dans l’espace de sécurité des policiers, ce qui n’était pas acceptable. Le prévenu avait dû réagir dans l’immédiat et n’avait pas le temps de réfléchir. L’IGS en revanche n’avait pas interprété correctement la situation dans la mesure où elle reprochait au prévenu de ne pas avoir fermé les poings alors que c’était justement un geste agressif à éviter.

Il était contraire au principe de la présomption d’innocence de systématiquement interpréter toutes les déclarations des intervenants en défaveur du prévenu. Les autres policiers n’avaient pas de souvenir de cette affaire car aux Pâquis, des années plus tard, c’était un non-événement, ils n’avaient aucun souvenir spécifique car ce genre d’incident était fréquent et sans gravité. E______ ne se détournait pas pour ne pas voir, il avait au contraire expliqué qu’il avait pu vouloir écarter d’éventuels badauds, sans avoir de souvenir spécifique.

La plupart des gens obéissaient face à l’injonction d’ouvrir les mains ou de reculer ; le prévenu avait dû, à 5h du matin, avec son propre vécu, notamment de la fusillade de la rue 3______ et d’autres incidents violents, affronter un individu qui n’obtempérait pas. En tant que policier il n’avait pas à reculer face au danger de l’intéressé qui se trouvait au sein du groupe de policiers et avait donc pris la décision de le repousser, adéquate au vu de l’ensemble des circonstances.

Les conditions d’application de l’art. 312 CP n’étaient pas réalisées ; le but poursuivi n’était pas de causer un préjudice mais d’éloigner l’intéressé. Aucun dommage n’avait été créé, cette personne ne s’était jamais manifestée et il n’y avait pas eu de plainte ni de rapport de quiconque parmi les autres personnes présentes. Le prévenu n’avait pas eu la moindre intention de nuire à l’intéressé. Le fait de ne pas avoir approfondi les contrôles était une juste appréciation de la situation et une sage application du principe de proportionnalité.

Il n’y avait pas de dol éventuel ni de dessein spécial, le prévenu n’avait jamais agi dans le but de nuire. Au cours de sa carrière il avait souvent fait recours à la force, à plus de 400 reprises, et n’avait jamais été condamné. Il avait l’habitude de solliciter la saisie d’images pour se protéger contre des allégations de violence excessive, ce qu’il avait aussi fait dans le cas d’espèce, sans volonté de dissimuler mais au contraire de pouvoir démontrer la réalité de la situation.

L’enquête administrative n’avait pas été menée par une personne connaissant les tactiques policières et n’était pas policier. Le prévenu n’avait pas contesté la sanction administrative, qui portait aussi sur d’autres faits, par volonté de tourner la page.

Une appréciation objective devait conduire à son acquittement.

D. A______ conclut à son indemnisation pour l’ensemble des frais d’avocat encourus ; il a précisé que jusqu’à l’audience du Tribunal de police, il avait bénéficié d’une prise en charge par le département conformément à l’art. 9A du règlement général sur le personnel de la police (RGPPol) et qu’il n’avait pas payé à son avocat la différence entre le tarif convenu avec le département (CHF 300.-/heure) et celui de CHF 400.-/ heure figurant sur la note dhonoraires produite aux débats. Il était en train d’examiner si son assurance de protection juridique entrait en matière.

Selon ce relevé, il fait valoir 73 heures et 55 minutes d’activité, dont 22 heures d’activité d’associé (CHF 400.-), 2h d’activité de collaborateur (apparemment principalement consacrée à la rédaction de la note d’honoraires produite aux débats CHF 300.-) et 15 minutes d’activité du stagiaire, postérieures à l’audience du TP, auxquelles s’ajoutent la durée de la seconde audience devant la Cour de céans (2h10 d’activité d’associé).

EN DROIT :

1. Les appels sont recevables pour avoir été interjetés et motivés selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. Le MP s’oppose à l’apport au dossier d’une vidéo extraite d’une procédure pénale qu’il a conduite contre un prévenu pour tentative de meurtre sur un policier, faisant valoir que les faits sont anciens, qu’il s’agit d’une scène de rue et qu’il n’y a pas de bande son, et que cette vidéo n’est ainsi qu’un aspect des faits en cause. Il conclut subsidiairement à ce que les déclarations du policier impliqué soient versées en sus au dossier de la procédure.

2.1. Selon l'art. 10 al. 2 CPP, le tribunal apprécie librement les preuves recueillies selon l'intime conviction qu'il retire de l'ensemble de la procédure. À teneur de l'art. 139 al. 1 CPP, les autorités pénales mettent en œuvre tous les moyens de preuves licites qui, selon l’état des connaissances scientifiques et l’expérience, sont propres à établir la vérité.

2.2. En l’espèce, le prévenu a dès sa première audition fait référence à l’incident figurant sur la vidéo en question, dont il connaissait l’existence par l’exercice de sa profession et dont le MP, agissant par le même représentant dans la présente cause que dans celle dont la vidéo est extraite, a également connaissance. Un autre policier entendu a également évoqué ces faits. Il est dès lors justifié que la Cour et le conseil du prévenu aient le même niveau de connaissance que les parties, étant relevé que le MP ne conteste ni que cette vidéo ait été partagée au sein des forces de police, ni qu’elle puisse avoir été utilisée, comme l’allègue le prévenu, pour mettre certains policiers en garde sur des agressions telles que celle figurant sur ces images.

2.3. Les faits en question datent de décembre 2014, alors que ceux de la présente cause se sont produits en mars 2018, soit un peu plus de trois ans plus tard. Il ne s’agit pas là d’un décalage temporel important ; le MP n’allègue notamment pas que les règles et techniques d’engagement de la police auraient été profondément modifiées et le cadre légal, lui, n’a pas changé.

2.4. Cette vidéo est certes muette, mais il en va de même de celle visée dans la présente procédure dont le MP a néanmoins fait usage et qui constitue d’ailleurs la pièce essentielle de l’accusation. Le MP ne peut être suivi lorsqu’il soutient qu’une telle vidéo ne permettrait pas de constater les faits qui se produisent sur ces images tout en retenant que les images de moins bonne qualité figurant au dossier de la présente cause sont probantes. Cet argument ne fait en tout cas pas obstacle à l’apport d’une pièce dont le prévenu se prévaut pour sa défense.

2.5. Il n’y a pas lieu d’ordonner l’apport des déclarations du policier en cause dans ladite procédure ; le fait que celui-ci ait procédé à des mises en demeure n’est pas contesté puisqu’il n’est pas allégué que les policiers auraient contrevenu à leurs obligations professionnelles.

La vidéo en question est dès lors maintenue au dossier.

3. 3.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF
127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 40) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

3.2.1. L'art. 312 CP réprime le fait pour un membre d'une autorité ou un fonctionnaire d'abuser des pouvoirs de sa charge dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite ou de nuire à autrui. L'abus d'autorité est l'emploi de pouvoirs officiels dans un but contraire à celui recherché. Cette disposition protège, d'une part, l'intérêt de l'État à disposer de fonctionnaires loyaux qui utilisent les pouvoirs qui leur ont été conférés en ayant conscience de leur devoir et, d'autre part, l'intérêt des citoyens à ne pas être exposés à un déploiement de puissance étatique incontrôlé et arbitraire (ATF 127 IV 209 consid. 1b p. 212).

Sur le plan objectif, l'infraction réprimée par cette disposition suppose que l'auteur soit un membre d'une autorité ou un fonctionnaire au sens de l'art. 110 al. 3 CP, qu'il ait agi dans l'accomplissement de sa tâche officielle et qu'il ait abusé des pouvoirs inhérents à cette tâche. Cette dernière condition est réalisée lorsque l'auteur use illicitement des pouvoirs qu'il détient de sa charge, c'est-à-dire lorsqu'il décide ou contraint en vertu de sa charge officielle dans un cas où il ne lui était pas permis de le faire (ATF 127 IV 209 consid. 1a/aa p. 211 ; 114 IV 41 consid. 2 p. 43 ; 113 IV 29 consid. 1 p. 30). L'infraction peut aussi être réalisée lorsque l'auteur poursuit un but légitime, mais recourt, pour l'atteindre, à des moyens disproportionnés (ATF
113 IV 29 consid. 1 p. 30 ; 104 IV 22 consid. 2 p. 23). La jurisprudence a précisé qu'on ne peut généralement limiter, en matière de violence physique ou de contrainte exercée par un fonctionnaire, le champ d'application de l'art. 312 CP aux cas où l'utilisation des pouvoirs officiels a pour but d'atteindre un objectif officiel. En effet, cette disposition protège également les citoyens d'atteintes totalement injustifiées ou du moins non motivées par l'exécution d'une tâche officielle, lorsque celles-ci sont commises par des fonctionnaires dans l'accomplissement de leur travail. Ainsi, au moins en matière de violence et de contrainte exercées par un fonctionnaire, l'application de l'art. 312 CP dépend uniquement de savoir si l'auteur a utilisé ses pouvoirs spécifiques, s'il a commis l'acte qui lui est reproché sous le couvert de son activité officielle et s'il a ainsi violé les devoirs qui lui incombent. L'utilisation de la force ou de la contrainte doit apparaître comme l'exercice de la puissance qui échoit au fonctionnaire en vertu de sa position officielle (ATF 127 IV 209 consid. 1b p. 213).

Du point de vue subjectif, l'infraction suppose un comportement intentionnel, au moins sous la forme du dol éventuel, ainsi qu'un dessein spécial, qui peut se présenter sous deux formes alternatives, soit le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite ou le dessein de nuire à autrui (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1012/2017 du 23 mars 2018 consid. 1.1 ; 6B_138/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.2). Ce dessein ne vise pas le but ultime de l'auteur, mais tous les effets de son attitude qu'il a voulus ou acceptés (cf. ATF 113 IV 29 consid. 1 p. 30). Il faut admettre que l'auteur nuit à autrui dès qu'il utilise des moyens excessifs, même s'il poursuit un but légitime. Le motif pour lequel l'auteur agit est ainsi sans pertinence sur l'intention, mais a trait à l'examen de la culpabilité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_579/2015 du 7 septembre 2015 consid. 2.2.1 et 6B_699/2011 du 26 janvier 2012 consid. 1.3.3). La jurisprudence retient un dessein de nuire dès que l'auteur cause par dol ou dol éventuel un préjudice non négligeable (ATF 99 IV 13 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_987/2015 du 7 mars 2016 consid. 2.6 ; 6B_831/2011 du 14 février 2012 consid. 1.4.2).

3.2.2. En ce qui concerne l’usage de la contrainte, les textes légaux cantonaux régissant l’activité de la police sont peu diserts, contenant essentiellement des dispositions rappelant le principe de la légalité et la proportionnalité (art. 45 de la loi sur la police [LPol]) et renvoyant pour les mesures de contrainte aux dispositions du CPP (art. 54 LPol renvoyant à l’art. 26 de la loi d’application du code pénal suisse [LaCP] et à l’art. 198 al. 2 CPP). L’ordre de service PRS.16.01 (ci-après : OS) évoqué ci-dessus (consid. B.d.b.), dans une version certes postérieure aux faits de la cause (quand bien même le texte original remonterait, à teneur de ce document, à 1955), concrétise néanmoins la mise en œuvre de ces principes de façon utile et pertinente pour apprécier concrètement l’usage de la force par un policier et il y sera, en tant que de besoin, fait référence.

Ainsi, le principe qui doit présider à l’analyse de l'usage de la force et de la contrainte par un policier est qu’un tel usage n’entre en ligne de compte qu’en cas de légitime défense pour soi ou pour autrui (article 15 CP) et, le cas échéant, dans le cadre d'actes autorisés par la loi (article 14 CP), si les principes de proportionnalité, de légalité et d'opportunité sont respectés (ch. 1 OS).

Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit; ATF 147 IV 145 consid. 2.4.1 p. 163).

3.3. En l’espèce, les versions des parties divergent sur l’interprétation de la vidéo et des échanges intervenus entre le prévenu et le tenancier de l’établissement par lequel les images ont été filmées.

3.3.1. En ce qui concerne tout d’abord les messages échangés (supra B.b.), le MP soutient que la volonté du prévenu de faire effacer la vidéo portait sur l’original, tandis que le prévenu soutient qu’il faisait référence à la séquence se trouvant dans le téléphone de son interlocuteur. Compte tenu de la chronologie – le prévenu demandant l’effacement avant même d’avoir reçu les images en cause – la Cour retient que le prévenu a sollicité de son interlocuteur la suppression de toutes les versions des images, et non uniquement de celle figurant sur le téléphone de son interlocuteur. L’explication qu’il donne – éviter la diffusion de ces images à des tiers – est confortée par les termes « surtout la montrer à personne » et s’applique d’ailleurs aux deux interprétations. En tout état de cause, il est établi que les images originales ont été effacées mais que tant le prévenu que son interlocuteur ont conservé la séquence sur leur téléphone pendant plus d’une année, le prévenu l’ayant, selon ses dires, détruite après son audition par l’IGS.

Comme le concède à demi-mots le prévenu, la manière dont ces images ont été recueillies auprès de l’exploitant, sans recourir à la voie officielle, a contribué à créer, dans la présente cause, l’impression d’une volonté d’éviter d’informer la hiérarchie, impression renforcée par l’absence de tout rapport ou mention dans la main courante (cf. infra 3.3.2.1.).

3.3.2. En ce qui concerne les faits filmés par ces images, le MP soutient que le prévenu a gratuitement agressé un passant, tandis que le prévenu soutient avoir repoussé un individu menaçant.

À cet égard, le recours à la force n’est justifié en l’espèce que si la personne ainsi repoussée puis maîtrisée (puisque l’intéressé a été amené au sol, sans qu’il ne puisse être retenu qu’il a été menotté) a donné motif au prévenu d’y recourir.

3.3.2.1. L’individu en question n’a jamais été identifié et a fortiori auditionné. L’absence de toute trace de son identité résulte clairement d’une violation des obligations des policiers impliqués, dont le prévenu, qui ne se sont pas conformés à l’ordre de service imposant, en cas d’utilisation de la force, l’établissement d’un rapport comportant une description complète des événements. Plusieurs des policiers intervenants ont expliqué que l’absence de mention au journal I______ résultait d’un oubli. Compte tenu de l’intensité de la force utilisée – avec mise au sol de l’intéressé – il s’agissait vraisemblablement d’une situation nécessitant non seulement une journalisation mais surtout un rapport détaillant les circonstances. Cette obligation incombait en priorité au prévenu, qui a principalement fait usage de la force, mais également aux autres intervenants qui ont ensuite participé à la maîtrise de l’intéressé.

L’identité de l’intéressé n’a pas été établie de façon complète puisqu’aucun contrôle des bases de données de la police n’a été effectué, lequel aurait permis de retrouver son identité. Il n’a ainsi jamais été retrouvé et sa version des faits n’a pas pu être recueillie.

3.3.2.2. L’absence de plainte ou autre manifestation de l’intéressé est un élément neutre. En effet, il ne peut s’interpréter ni à charge, ni à décharge, dans la mesure où certes l’absence de plainte peut signifier que l’intéressé ne s’est pas senti victime d’un mauvais traitement ; cela étant, il est notoire qu’il est difficile, pour quiconque et d’autant plus pour une personne étrangère peu familière des institutions suisses, de déposer plainte auprès de la police contre les agissements de policiers.

3.3.2.3. En l’absence de toute information provenant de l’individu concerné, les faits doivent être établis sur la base des éléments du dossier, soit essentiellement les images muettes et les déclarations des différents protagonistes. À l’exception du prévenu et du photographe, les participants n’ont toutefois gardé que peu de souvenir des événements. Il n’y a pas lieu, à cet égard, de mettre en doute la parole des trois autres policiers, qui ont été entendus séparément, dont l’un en même temps que le prévenu avec lequel il n’a donc pas pu se concerter. Deux d’entre eux ont indiqué n’avoir gardé aucun souvenir de ces faits ; le troisième (G______) a précisé n’avoir pas compris ce qui se passait ni saisi quel avait été l’élément déclencheur et avoir ensuite constaté que le prévenu repoussait l’individu et contribué à le maîtriser.

L’absence de souvenir des autres participants tend à indiquer que les faits ne les ont pas marqués, alors qu’il entre dans l’expérience générale de la vie que des événements qui sortent de l’ordinaire marquent en général l’esprit et restent en mémoire.

3.3.2.4. L’attitude de l’individu sur la vidéo est difficile à comprendre et interpréter ; la séquence ne comprend notamment pas la manière dont il arrive au sein du groupe de policiers. L’absence de réaction de trois des quatre policiers indique plutôt qu’il ne présente pas de danger ; toutefois, le photographe a clairement expliqué qu’il s’était éloigné avant même le début de la séquence car il avait senti qu’il allait y avoir un problème, ajoutant qu’il s’est ensuite éloigné parce qu’il ne portait pas de gilet pare-balle, ce qui ne peut que se comprendre comme un réflexe de protection contre un danger. L’instructeur, pour sa part, a déclaré sans hésitation, tout comme le prévenu, que l’individu se trouvait trop proche des policiers, ajoutant qu’un poing fermé devait constituer un signal fort pour tout policier.

Le photographe a confirmé avoir entendu le prévenu enjoindre l’individu de s’écarter, et il n’y a pas de raison de mettre en doute ce témoignage, qui confirme les déclarations constantes du prévenu et que rien ne contredit, notamment pas les déclarations des autres policiers, leur absence de tout souvenir ne pouvant être comprise comme l’affirmation d’une absence d’injonction de la part du prévenu. La question de l’existence ou non d’une injonction du prévenu à l’intéressé d’ouvrir la main – que personne ne confirme ni n’infirme – peut demeurer indécise. L’homme n’a clairement pas obtempéré à l’ordre de s’éloigner, puisqu’il est resté immédiatement à proximité des gendarmes ; il s’écoule un certain temps (une dizaine de secondes sur les images, et on ignore combien de temps avant le début de la séquence) pendant lesquelles l’individu reste debout sans reculer. Le poing droit de l’intéressé est fermé, ce qui constitue, aux dires de l’instructeur, un signal devant alarmer les policiers. Il n’est pas possible de déterminer si l’intéressé ouvre ensuite la main, et rien ne permet de douter des explications du prévenu qui indique que cela n’a pas été le cas.

Il faut ainsi retenir, en application du principe in dubio pro reo, que le prévenu a perçu, dans cette situation, une menace provenant de l’individu, laquelle n’a pas été ressentie avec la même intensité par ses collègues. Il est possible, et même vraisemblable, que les événements de décembre 2014, dont il avait vu les images qui l’avaient manifestement marqué, aient joué un rôle et influencé sa perception d’un danger. Cela étant, au vu des explications du prévenu, corroborées par celles de l’instructeur, la menace perçue était fondée sur des éléments objectifs et concrets.

3.3.2.5. L’absence de réaction de l’intéressé à l’injonction de s’éloigner, alors qu’il se trouvait immédiatement devant les policiers, peut ainsi être comprise comme une résistance à tout le moins passive au sens du chiffre 3.2 de l’OS, laquelle autorise le recours à des clés ainsi qu’à des techniques ou des frappes de déstabilisation peu appuyées, notamment avec les mains, paume ouverte, qui peuvent être admises lorsque le comportement de la personne provoque un danger pour elle-même ou pour autrui.

3.3.2.6. Les gestes que le prévenu adopte sur les images figurant à la procédure ne sont, aux dires de l’instructeur, « pas académiques ». Cela étant, ce témoin, tout comme au demeurant le témoin G______, seul autre policier à se souvenir des faits, décrivent clairement l’action du prévenu comme consistant à repousser l’individu et non comme une (contre-)attaque. Le premier geste est porté au visage avec la paume ouverte ; l’individu est déséquilibré mais revient immédiatement se positionner face au prévenu qui lui porte un coup au niveau des jambes, cherche à nouveau à le saisir au niveau du visage (son geste n’est pas un coup puisqu’il cherche à accompagner la tête de l’intéressé vers le sol) avant de lui porter un coup de pied au niveau des jambes puis de l’amener au sol.

Ces gestes, qui se succèdent en quelques secondes visent ainsi principalement, non pas à frapper l’individu, mais à le repousser, à le faire reculer voire à le déséquilibrer, tandis que l’intéressé certes recule mais revient se positionner face au policier, ce qui est notamment manifeste après le premier geste en direction du cou. L’individu adopte ainsi une attitude qui confirme une volonté de confrontation et de défi.

Il apparaît certes que le prévenu avance en direction de l’intéressé, ce qui peut paraître contradictoire avec le fait de vouloir le faire reculer ; cela étant, d’une part, l’individu se trouve à proximité immédiate des policiers et, d’autre part, l’instructeur a clairement décrit comment l’expérience démontre qu’en cas d’intervention le policier se rapproche quasi systématiquement de la personne visée. Au surplus, les pas du prévenu ne sont pas précipités, mais relativement mesurés et il s’arrête à plusieurs reprises, les deux derniers gestes visibles à l’encontre de l’individu se succédant sans qu’il ne s’avance plus vers lui.

Il ne peut rien être déduit de l’attitude des autres policiers présents, et notamment pas de celui qui se lève et semble se détourner : en effet, il ne se détourne qu’un instant et reste dans le périmètre. Ce policier a d’ailleurs expliqué son attitude par la volonté d’écarter d’éventuels badauds, ce qui est parfaitement concevable et a d’ailleurs même été évoqué par un autre policier.

3.3.2.7. Après avoir maîtrisé l’individu, le prévenu et ses collègues n’ont pas poursuivi leur intervention, acceptant ses explications et le laissant partir. Le MP y voit un aveu de culpabilité, le prévenu étant tenu de procéder à l’interpellation d’une personne qui aurait contrevenu à une injonction de la police puisqu’elle aurait alors commis une infraction, tandis que la défense expose qu’il s’agit d’une saine application du principe de proportionnalité.

L’intéressé n’a pas obtempéré à l’injonction du prévenu de reculer ; il aurait pu faire l’objet d’une contravention (cf. art. 11F de la loi pénale genevoise qui sanctionne le refus d’obtempérer) voire d’une poursuite au sens de l’art. 286 CP, ce qui aurait d’ailleurs permis de l’identifier.

Les explications du prévenu rejoignent celles des autres policiers. L’absence d’interpellation formelle de l’intéressé procède selon eux d’une volonté d’apaisement et de conciliation ; il s’agirait à les comprendre d’une application, par les policiers, des dispositions permettant de renoncer à toute poursuite pénale. Cette décision, certes compréhensible, n’appartient toutefois pas aux forces de police, seul le MP et les tribunaux pouvant faire application de l’art. 8 CPP.

Le MP, qui a renoncé à poursuivre les autres policiers, n’a toutefois retenu aucune infraction y relative dans l’ordonnance pénale qui constitue le cadre de la présente procédure ; il n’y a dès lors pas lieu d’examiner plus avant cette question, étant relevé qu’au vu du contexte, il n’y a de toute manière pas dans ce comportement de violation grave des devoirs de la charge des policiers concernés.

3.3.2.8. Dans l’appréciation du comportement du prévenu, il faut également prendre en considération certains éléments de la situation concrète.

Ainsi, les faits se sont déroulés à 5h du matin, alors que le prévenu et ses collègues étaient en service depuis dix heures ; quand bien même ils avaient certainement anticipé une nuit de travail et s’étaient préparés en fonction, la fatigue d’un long service n’a pu qu’émousser les réflexes de tous les policiers concernés. Cela explique tant l’absence de réaction des autres policiers présents que le fait que les gestes du prévenu n’aient pas été « académiques ».

Par ailleurs, la présence d’un photographe le soir des faits, certes familier avec les policiers présents, n’a pu que peser sur eux dans un sens positif et faire obstacle, par l’œil et la caméra de ce témoin extérieur, à un recours immodéré à la force. Les propos de ce photographe à l’audience de jugement confirment d’ailleurs cet état de fait puisqu’il a souligné à cette occasion que les policiers présents la nuit des faits n’avaient jamais eu de geste déplacé en sa présence, ce qui discrédite un peu plus la thèse d’une agression gratuite et sans fondement.

A cela s’ajoutent les bons états de service du prévenu, qui travaillait depuis plusieurs années dans le quartier réputé difficile des Pâquis sans avoir fait l’objet, avant la présente procédure, d’un quelconque blâme ou reproche et rend incongru un dérapage violent soudain tel que celui décrit par le MP.

C’est le lieu de relever, au surplus, que le MP se contredit quelque peu en décrivant l’attitude du prévenu comme nonchalante pour ensuite la qualifier de déchaînement de violence.

3.3.2.9. En définitive, dans la mesure où le prévenu avait perçu la présence de l’intéressé comme une menace, perception confirmée par les éléments recueillis en procédure, sa décision initiale de recourir à l’usage de la force pour écarter cette menace s’inscrit dans un usage légitime de la contrainte. La mise en œuvre de cette décision, par l’usage de frappes paume ouverte et de coups de pied visant à déstabiliser l’individu, compte tenu du contexte, de l’heure et du lieu, ne procède pas d’un usage excessif de la force.

L’appel du prévenu sera partant admis et il sera acquitté des faits reprochés. Par voie de conséquence, l’appel du MP sera rejeté.

4. 4.1. Selon l'art. 428 al. 1, première phrase, CPP, les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé. Selon l'al. 3, si l'autorité de recours rend elle-même une nouvelle décision, elle se prononce également sur les frais fixés par l'autorité inférieure. Pour déterminer si une partie succombe ou obtient gain de cause, il faut examiner dans quelle mesure ses conclusions sont admises en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_369/2018 du 7 février 2019 consid. 4.1 non publié aux ATF 145 IV 90).

4.2. Selon l'art. 426 al. 1 CPP, le prévenu supporte les frais de procédure s'il est condamné. Selon l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais ne constitue pas la sanction d'un comportement contraire au droit pénal mais plutôt la réparation d'un dommage consécutif à un comportement fautif, en d'autres termes une responsabilité proche de celle qui découle du droit civil en cas de comportement illicite (ATF 119 Ia 332 consid. 1b p. 334 ; 116 Ia 162 consid. 2c p. 168 ss). Le but est d'éviter que l'Etat doive assumer les frais d'une enquête ouverte en raison d'un comportement fautif d'un justiciable, ce qui serait insatisfaisant et même choquant (ATF 116 Ia 162 consid. 2d/bb p. 173). Le fardeau de la preuve incombe à l'Etat (arrêt du Tribunal fédéral 6B_380/2016 du 16 novembre 2016 consid. 6 et les références).

La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. A cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 et les références citées).

4.3. En l’espèce, l’appel du prévenu est admis et l'appel du MP rejeté. Les frais de la procédure d’appel seront en conséquence laissés à la charge de l’Etat.

4.4. La situation est différente s’agissant des frais de première instance.

En effet, plusieurs manquements successifs du prévenu (et dans une moindre mesure de ses collègues) à ses obligations professionnelles ont contribué à la mise en œuvre de la procédure pénale à son encontre. Il en va ainsi de l’absence de rapport sur l’usage de la contrainte (supra consid. 3.3.2.1.), de la manière dont il s’est procuré les images litigieuses sans passer par la voie de service (supra consid. 3.3.1.), voire du fait d’avoir laissé l’individu concerné s’éloigner sans autre forme de procès (supra consid. 3.3.2.7.). L’ensemble de ces éléments a motivé l’ouverture de la procédure pénale, ce qui justifie de mettre les frais de la procédure préliminaire et de première instance à sa charge, à raison de 80 %, dans la mesure où une partie des frais aurait également pu être mise à la charge des autres policiers concernés.

Le solde des frais de la procédure de première instance, y compris l’émolument complémentaire de jugement, sera laissé à la charge de l’Etat.

5. 5.1. A teneur de l'art. 429 al. 1 CPP, le prévenu a droit, s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (let. a) à une indemnité pour le dommage économique subi au titre de sa participation obligatoire à la procédure pénale (let. b) ainsi qu'à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté (let. c).

Cette disposition fonde un droit à des dommages et intérêts et à une réparation du tort moral dans le sens d’une responsabilité causale. Le mode et l'étendue de l'indemnisation fondée sur les articles 429 ss CPP peuvent être déterminés en s’inspirant des règles générales des articles 41 ss CO (ATF 142 IV 245 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1015/2016 du 27 octobre 2017 consid. 7.1.1 ; 6B_976/2016 du 12 octobre 2017 consid. 3.4.2 ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 20 ad art. 429). L’Etat doit réparer la totalité du dommage qui présente un lien de causalité avec la procédure pénale au sens du droit de la responsabilité civile. Les dépenses à rembourser au sens de la let. a sont essentiellement les frais de la défense (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale in FF 2006 1057, p. 1313). Il s’agit d’une responsabilité causale de l’Etat (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 6 ad art. 429 CPP). L’indemnité est aussi due lorsque les frais de défense sont assumés par un tiers, qu'il s'agisse d'une assurance de protection juridique, d'un syndicat, d'un employeur ou de tout autre intervenant (ATF 142 IV IV 42 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_816/2013 du 22 janvier 2014 consid. 3.2.4 et les jurisprudences citées). En revanche, s’agissant d’une indemnisation purement causale, elle ne saurait dédommager le prévenu acquitté au-delà des frais effectivement encourus, étant relevé que le montant des honoraires d’avocat peut par ailleurs être limité par un tarif ou la pratique de la juridiction concernée, sans qu’une convention contraire entre le prévenu et son conseil ne soit opposable à l’Etat (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.2.).

L'autorité pénale amenée à fixer une indemnité sur le fondement de l'art. 429 al. 1 let. a CPP n'a pas à avaliser purement et simplement les notes d'honoraires d'avocats qui lui sont soumises : elle doit, au contraire, examiner, tout d'abord, si l'assistance d'un conseil était nécessaire, puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire. Lorsque plusieurs prévenus sont poursuivis dans une même procédure, il est possible de comparer les notes d’honoraires présentées par les différents avocats de plusieurs coprévenus afin de s’assurer qu’aucune prétention abusive n’est émise (arrêt du Tribunal fédéral 6B_528/2010 du 16 septembre 2010 consid. 2.1, cité in M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op.cit., n. 19a ad art. 429 CPP).

A Genève, la Cour de justice applique au chef d'étude un tarif horaire de CHF 400.- ou CHF 450.-, un tarif horaire de CHF 350.- pour les collaborateurs et de CHF 150.- pour les avocats stagiaires.

5.2. En vertu de l'art. 430 al. 1 let. a CPP, l'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP) lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci. La question de l'indemnisation du prévenu (art. 429 CPP) doit être traitée en relation avec celle des frais (art. 426 CPP). Si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue (ATF 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357). Lorsque la condamnation aux frais n'est que partielle, la réduction de l'indemnité devrait s'opérer dans la même mesure (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1065/2015 du 15 septembre 2016 consid. 2.2 ; 6B_256/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.3).

Il appartient au prévenu (totalement ou partiellement) acquitté de prouver le bien-fondé de ses prétentions, conformément à la règle générale du droit de la responsabilité civile selon laquelle la preuve du dommage incombe au demandeur (art. 42 al. 1 CO ; ATF 142 IV 237 consid. 1.3.1 p. 240). Il doit ainsi prouver non seulement l'existence et l'étendue du dommage, mais également le lien de causalité entre celui-ci et l'événement à la base de son action (arrêts du Tribunal fédéral 6B_814/2017 du 9 mars 2018 consid. 1.1.2 ; 6B_118/2016 du 20 mars 2017 consid. 5.1 ; 6B_1026/2013 du 10 juin 2014 consid. 3.1).

5.3. L'art. 436 CPP règle les prétentions en indemnités et en réparation du tort moral pour la procédure de recours. Il vise la procédure de recours en général, à savoir les procédures d'appel et de recours (au sens des art. 393 ss CPP). Le renvoi de l'art. 436 al. 1 CPP aux art. 429 à 434 CPP ne signifie pas que les indemnités doivent se déterminer par rapport à l'issue de la procédure de première instance. Au contraire, elles doivent être fixées séparément pour chaque phase de la procédure, indépendamment de la procédure de première instance. Le résultat de la procédure de recours est déterminant (ATF 142 IV 163 consid. 3.2.2 p. 169 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_620/2016 du 17 mai 2017 consid. 2.2.3 ; 6B_118/2016 du 20 mars 2017 consid. 4.5.1).

5.4.1. En l’espèce, le prévenu devra supporter les frais de la procédure préliminaire et de première instance à raison de la totalité de sa part ; il ne saurait donc prétendre à l’indemnisation de ses frais d’avocat. En effet, la part de frais laissée à la charge de l’Etat est celle relative aux erreurs commises par d’autres protagonistes, qui n’a pas à être supportée par l’appelant ; elle ne modifie toutefois en rien la charge de ses propres frais de défense, qui n’auraient pas été moindre si d’autres policiers avaient également été poursuivis.

5.4.2. Au bénéfice d’une défense privée pour la procédure d’appel, le prévenu fait valoir des prétentions en indemnisation pour les honoraires de son conseil, alors que ses frais de défense avaient jusqu’alors été intégralement pris en charge par son employeur, en application de l’art. 9A RGPPol, dont l’art. 9B prévoit notamment que la prise en charge comprend les honoraires d'avocat jusqu'à un tarif horaire de maximum 300 francs de l'heure.

La note d’honoraires présentée retient en partie un tarif supérieur de CHF 400.- . Or, même si l’employeur du prévenu n’a pas pris en charge ses honoraires d’avocat pour la procédure d’appel, il n’allègue pas avoir payé un tarif horaire supérieur pour celle-ci, ni n’avoir convenu de le faire. Son avocat fait ainsi valoir pour le compte de son client des prétentions en indemnisation pour un dommage que celui-ci n’a pas subi, et dont la destination est inconnue puisqu’il s’agit d’honoraires d’avocats non exigibles.

L’art. 429 al. 1 let. a CPP n’ayant pas vocation à indemniser un prévenu pour des frais non-existants, il n’y a pas lieu d’indemniser les frais de défense de l’appelant à un tarif horaire supérieur à celui convenu et accepté par son avocat. L’application des dispositions sur les actes illicites (art. 41 ss CO) ne conduit pas à un autre résultat, puisque ces dispositions comprennent une obligation de limiter le dommage (art. 44 CO). Le fait que la pratique de la CPAR admette une indemnisation plus généreuse lorsque l’avocat concerné pratique à un tarif horaire correspondant ne permet pas au prévenu de prétendre percevoir une indemnisation supérieure à son dommage effectif, ni à son avocat de prétendre à un tarif supérieur à celui auquel il a accepté d’exercer son mandat.

5.5. Le prévenu fait valoir, pour la procédure d’appel, une indemnisation pour 24h10 heures d’activité d’associé, incluant les audiences (d’une durée totale de 5h40), deux heures d’activité de collaborateur (essentiellement consacrée à la rédaction de la note d’honoraires produite aux débats) et 15 minutes d’activité de stagiaire. A l’exception du temps de collaborateur consacré à la note d’honoraires, ces durées apparaissent adéquates et proportionnées, notamment compte tenu des échanges intervenus entre les parties pendant la durée de la procédure d’appel.

Le prévenu se verra donc allouer pour la procédure d’appel une indemnité de CHF 7'848.65, correspondant à 24h10 heures d’activité à CHF 300.- et 0h15 d’activité à CHF 150.-, à laquelle s’ajoute la TVA en CHF 561.15.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit les appels formés par A______ et par le Ministère public contre le jugement JTDP/1326/2021 rendu le 22 octobre 2021 par le Tribunal de police dans la procédure P/7877/2020.

Admet l’appel formé par A______ et rejette celui du Ministère public.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ d'abus d'autorité (art. 312 CP).

Condamne A______ au paiement de CHF 1'172.80 correspondant au 80% des frais de la procédure préliminaire et de première instance, qui s'élèvent en tout à CHF 1'466.- (art. 426 al. 1 CPP).

Laisse le solde de ces frais ainsi que l’émolument complémentaire de jugement de première instance de CHF 1'200.- et l’intégralité des frais de la procédure d’appel, qui s’élèvent à CHF 3'075.- et incluent un émolument de jugement de CHF 2'500.-, à la charge de l’Etat.

Alloue à A______ CHF 7'848.65 à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure en appel.

Compense à due concurrence cette indemnité avec les frais de procédure mis à sa charge.

Déboute pour le surplus A______ de ses conclusions en indemnisation.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Melina CHODYNIECKI

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

2'666.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

300.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

200.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

2'500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

3'075.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

5'741.00