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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3149/2023

JTAPI/642/2024 du 26.06.2024 ( LCI ) , IRRECEVABLE

ATTAQUE

Descripteurs : QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;LOCATAIRE
Normes : LPA.60.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3149/2023 LCI

JTAPI/642/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 26 juin 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Mes Yves JEANRENAUD et Amanda BURNAND SULMONI, avocats, avec élection de domicile

 

contre

 

B______ SA, représentée par Me Olivier CARRARD, avocat, avec élection de domicile

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             B______ SA (ci-après : B______), société active dans l’immobilier, est propriétaire des parcelles nos 1______, 2______, 3______ (en copropriété avec la Ville de C______) et 4______, 5______ et 6______.

2.             Ces parcelles, sise sur la commune de C______ et situées en première zone, abrite un centre commercial exploité sous l’enseigne « D______ », situé entre E______ 7______ et F______ 8______ et qui donne sur G______ 9______.

3.             Depuis 1999, A______ SA (ci-après : A_____) loue une surface commerciale au _____ème étage de ce centre, à l’adresse 10_____ F______, dans laquelle elle exploite un centre de fitness et de mise en forme.

A______ a conclu un contrat de bail avec B______ pour une durée de 25 ans, soit jusqu’au 31 décembre 2024, ayant pour objet une surface de 1’925 m2, avec terrasse de 267 m2. Divers avenants ont ensuite été convenus au fil du temps, lesquels ont augmenté la surface locative, réglé la date du paiement des loyers ainsi que des acomptes de chauffage et de frais accessoires, fixé un nouveau loyer de base indexé dès le 1er février 2018 et enfin prolongé la durée du bail de 5 ans, soit jusqu’au 31 janvier 2029, avec une option de prolongation du bail de 10 ans, soit jusqu’au 31 janvier 2039.

4.             Le 20 janvier 2021, B______ a notifié à A______ la résiliation du bail de ses locaux.

Le 19 février 2021, A______ a saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers (ci-après : CCBL) d’une requête en contestation de congé, en réduction de loyer, en remboursement du trop-perçu et, subsidiairement, en prolongation de bail.

Suite à cette requête enregistrée sous deux numéros de cause distincts (C/11_____ - contestation du congé - et C/12_____ - réduction de loyer), B______ et A______ ont été citées à comparaître à de très nombreuses reprises.

5.             Le 1er octobre 2021, par le biais d’un architecte, B______ a requis une autorisation de construire pour transformer et rénover le centre commercial.

Le projet, estimé à CHF 150 millions, concerne une surface brute de plancher de 40’514 m2 ; chaque étage du centre commercial devant être entièrement rénové.

6.             Lors de l’instruction de cette demande, enregistrée sous la référence DD 13_____, les préavis usuels ont été requis et émis.

7.             Par décision du ______2023, publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève du même jour, le département du territoire (ci-après : le département) a délivré l’autorisation de construire sollicitée au vu notamment des préavis favorables émis par les instances consultées, avec ou sans conditions et/ou dérogations.

8.             Par acte du 29 septembre 2023, par le biais de ses conseils, A______ a interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens.

En sa qualité de locataire des locaux objets de l’autorisation de construire litigieuse, elle avait manifestement la qualité pour recourir à l’encontre de cette dernière, l’exécution des travaux autorisés rendant impossible la poursuite de l’exploitation de son fitness. La résiliation de bail que B______ lui avait notifiée était contestée par devant les autorités en matière de baux et loyers. À ce stade, la prochaine échéance du bail demeurait ainsi le 31 janvier 2029, l’exercice de son option de prolongation de 10 ans étant par ailleurs expressément réservée.

La décision querellée violait l’art. 9 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05). La façade du centre commercial côté E______, jugée « digne de protection » et ainsi inscrite à l’inventaire selon un arrêté du ______ 2018, devait être préservée. Toutefois, il ressortait des préavis de la commission des monuments, de la nature et des sites des 6 février 2023 et 30 mai 2023 que celle-ci ignorait tout des détails d’exécution envisagés sur cette façade, n’ayant pas obtenu ces informations alors même que les détails d’exécutions initialement projetés avaient été jugés non conformes au « guide des bonnes pratiques ».

Son droit d’être entendue n’avait pas été respecté, la décision n’étant pas motivée à satisfaction de droit. Le département s’était notamment fondé sur le préavis de la direction des autorisations de construire du 22 juin 2023, laquelle avait accordé une dérogation pour dépassement du gabarit sans autre précision qu’une référence à l’art. 11 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), indication manifestement insuffisante pour un projet d’une telle ampleur.

L’art. 11 LCI était violé, la commission d’architecture (ci-après : CA) ayant certes délivré plusieurs préavis, mais sans se prononcer sur une possible dérogation aux gabarits légaux.

Il en était de même de l’art. 14 al. 1 LCI, les travaux projetés restreignant fortement la fréquentation et l’attractivité générale du fitness, puis empêchant par la suite totalement son exploitation. Il en résulterait un impact gigantesque sur son chiffre d’affaire et sa survie était en jeu.

9.             Par observations du 1er décembre 2023, le département a conclu au rejet du recours, s’en rapportant à justice s’agissant de sa recevabilité. Il a produit son dossier.

La recevabilité du recours n’était pas acquise comme l’affirmait péremptoirement la recourante, mais douteuse. Par ailleurs, celle-ci ne démontrait pas l’existence d’un intérêt digne de protection.

Au surplus, les quatre griefs invoqués étaient mal fondés, le premier étant même irrecevable.

10.         Dans ses observations du 4 décembre 2023, l’intimée a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais et dépens.

Après avoir exposé la nécessité d’une rénovation énergétique du centre commercial et le besoin d’une mise aux normes de sécurité incendie, B______ a exposé que le projet comportait, dans les grandes lignes, les éléments suivants : rénovation énergétique ; mise aux normes sismique et statique ; réfection des façades E______ (rez-de-chaussée), F______ et cour intérieure ; démolition d’une partie de bâtiment dans la cour intérieure n° 14_____ F______ ; aménagement de la cour intérieure ; centralisation des patios à l’intérieur du bâtiment F______ ; réfection de la toiture du bâtiment F______.

La recourante, locataire d’une toute petite partie des locaux - environ 2’300 m2 sur un total de plus de 42’000 m2 -, n’avait pas la qualité pour recourir puisque les droits des locataires étaient, de jurisprudence constante, protégés par le droit privé du bail et non par le droit public des constructions. La recourante faisait d’ailleurs valoir des prétentions devant la CCBL. À l’inverse, elle n’avait aucun intérêt digne de protection, et encore moins un intérêt concret de droit public, à s’opposer à la délivrance de l’autorisation de construire querellée.

Concrètement, la recourante était locataire de locaux commerciaux, de sorte que la protection découlant de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l’emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR- L 5 20) ne s’appliquait pas.

Son contrat de bail avait été résilié, même si elle contestait ce congé. Au demeurant, la recourante avait saisi la CCBL d’une requête en contestation de congé. Sa protection juridique était donc garantie par les juridictions civiles.

De plus, elle faisait valoir l’intérêt patrimonial de la façade côté E______ alors qu’elle occupait des locaux côté F______ et que l’entrée du fitness se trouvait uniquement sur cette rue. Elle avait pour but d’exploiter des fitness - son groupe en comptait plus de 90 dans le monde - et non pas de protéger le patrimoine. Elle n’était donc nullement concernée par la façade d’un côté opposé à celui qu’elle occupait. La recourante critiquait également le préavis « non motivé » de la CA s’agissant de la dérogation pour le dépassement du gabarit, mais n’expliquait pas en quoi cela la concernait. Elle formulait une critique liée au rapport de hauteur entre la cour et la façade de l’immeuble, sans expliquer en quoi elle serait concernée par la cour et/ou la façade de l’immeuble. Elle ne disposait d’aucun intérêt digne de protection pour ces griefs. Enfin, la recourante faisait valoir une violation de l’art. 14 LCI liée aux inconvénients grave, mais cette disposition ne visait pas à protéger l’activité économique en général, et encore moins à empêcher des travaux. La motivation de ce grief était fort faible, de sorte que la recourante ne faisait pas valoir un intérêt digne de protection.

Au surplus, ses griefs étaient infondés.

11.         Par réplique du 22 janvier 2024, A______ a persisté dans les termes de son recours.

S’agissant de sa qualité pour recourir, elle a renvoyé le tribunal au jugement JTAPI/391/2023 du 6 avril 2023 aux termes duquel il avait déclaré recevable le recours d’un locataire d’un immeuble concerné par des travaux autorisés et se prévalant de violations de dispositions légales en lien avec le droit de la construction susceptibles d’avoir une incidence concrète sur sa situation de fait, comme l’art. 14 LCI.

Son contrat de bail - dont elle était est titulaire depuis 1999 et dont la prochaine échéance était le 31 janvier 2039 - faisait actuellement l’objet d’une procédure judiciaire visant l’annulation du congé notifié de façon abusive par l’intimée le 20 janvier 2021, soit pour un retard de quelques jours dans le paiement d’un seul mois de loyer, en pleine pandémie de COVID-19, alors que les parties étaient en pourparlers au sujet des loyers et que les autorités avaient ordonné la fermeture de tous les fitness. À l’heure actuelle, la procédure était au stade de la conciliation. Tant que cette procédure judiciaire était en cours, son contrat de bail continuait à déployer tous ses effets. Elle poursuivait l’exploitation de son fitness et s’acquittait du loyer correspondant à satisfaction de l’intimée.

La réalisation du projet impliquait la suppression totale de la surface destinée à l’exploitation de son fitness, qui était vouée à être totalement remaniée. Elle perdrait ainsi la jouissance des locaux qu’elle occupait depuis plus de 20 ans. Il était ainsi évident que bien qu’elle exploitait une relativement « petite » surface par rapport à l’ensemble des surfaces et locaux concernés par le projet, elle était touchée plus que quiconque par l’octroi de l’autorisation de construire litigieuse dès lors qu’elle se trouvait lésée de façon directe et spéciale par le projet. Son recours ne pouvait donc en aucun cas être assimilé à une action populaire.

La recourante s’est encore prononcée sur la violation de l’art. 14 LCI et a, dans ce cadre, sollicité un transport sur place.

12.         Par duplique du 7 février 2024, le département a indiqué que les arguments avancés par la recourante pour tenter d’expliquer que la recevabilité de son recours n’était pas douteuse peinaient à convaincre. On ne voyait pas en quoi la disparition des surfaces qu’elle louait, la privation de la jouissance de celles-ci ou la perte de clientèle concerneraient le droit de la construction. Au contraire, cela démontrait que la recourante ne soulevait aucune violation des prescriptions en matière de construction à l’encontre de la décision litigieuse.

S’agissant de la prétendue violation de l’art. 14 LCI, la recourante se prévalait des inconvénients liés aux travaux alors que la disposition précitée ne couvrait pas cet aspect. De surcroît, lorsqu’elle se plaignait desdits inconvénients sur l’accès à ses locaux, elle n’expliquait pas en quoi le projet violerait les prescriptions du droit de la construction. Ainsi, ce grief demeurait irrecevable et ce d’autant plus qu’il portait manifestement sur les obligations contractuelles afférentes au droit du bail. Partant, la mesure d’instruction sollicitée n’apparaissait ni pertinente ni utile à la solution du litige.

13.         Par duplique du 13 février 2024, l’intimée a persisté dans les conclusions de sa réponse du 4 décembre 2023.

La jurisprudence citée par la recourante concernait un cas où les baux des locataires n’avaient pas été résiliés, contrairement au cas d’espèce. La recourante avait saisi la CCBL pour contester une résiliation fondée sur un retard de paiement.

La notion d’inconvénients graves au sens de l’art. 14 LCI ne comprenait pas le droit de rester dans des locaux rénovés. Un transport sur place ne serait d’aucune utilité dans le cadre de la procédure et ne ferait que retarder le traitement du dossier.

14.         Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la partie « en droit », dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 62 à 65 LPA.

3.             La recevabilité d’un recours suppose encore que son auteur dispose de la qualité pour recourir.

4.             La qualité pour recourir est reconnue à toute personne atteinte par la décision attaquée et qui dispose d’un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (art. 60 let. b LPA).

Le recourant doit se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d’être prise en considération avec l’objet de la contestation et retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision attaquée, qui permette d’admettre qu’il est touché dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général, de manière à exclure l’action populaire. Cet intérêt digne de protection ne doit pas nécessairement être de nature juridique, un intérêt de fait étant suffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 143 II 506 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1). Un recours dont le seul but est de garantir l’application correcte du droit demeure irrecevable, parce qu’assimilable à l’action populaire (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/ 2023 du 14 juin 2023 consid. 6.3 ; ATA/665/2023 du 20 juin 2023 consid. 5.3).

5.             En matière de droit des constructions, le voisin direct de la construction ou de l’installation litigieuse a en principe la qualité pour recourir (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_164/2019 du 20 janvier 2021 consid. 1). Outre les propriétaires voisins, les propriétaires par étage, les superficiaires, les locataires et les preneurs à ferme sont également susceptibles de bénéficier de cette qualité (arrêt du Tribunal fédéral 1C_390/2021 du 3 septembre 2022 consid. 1.1 ; ATA/ 1075/2020 du 27 octobre 2020 consid. 2d).

La proximité avec l’objet du litige ne suffit cependant pas à elle seule à conférer au voisin la qualité pour recourir contre la délivrance d’une autorisation de construire. Les tiers doivent en outre retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision contestée, qui permette d’admettre qu’ils sont touchés dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l’intérêt général des autres habitants de la collectivité concernée (ATF 139 II 499 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_727/2016 du 17 juillet 2017 consid. 4.2.3 ; ATA/17/2023 du 10 janvier 2023 consid. 11b). Le recourant doit rendre vraisemblables les nuisances qu’il allègue et sur la réalisation desquelles il fonde une relation spéciale et étroite avec l’objet de la contestation (ATF 125 I 173 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_469/2014 du 24 avril 2015 consid. 2.2 ; 1C_453/ 2014 du 23 février 2015 consid. 4.2 et 4.3).

En particulier, l’intérêt digne de protection des voisins est admis lorsqu’ils se prévalent de normes ayant des effets concrets ou juridiques sur leur situation (ATF 133 II 249 consid. 1.3.2). Tel est notamment le cas des règles régissant la densité et le volume des constructions ainsi que de celles relatives aux distances entre les constructions (ATF 127 I 44 consid. 2d).

6.             S’agissant d’un recourant tiers locataire, le Tribunal fédéral a jugé que s’il existait un moyen de droit privé, même moins commode, à sa disposition pour écarter le préjudice dont il se plaignait, la qualité pour agir fondée sur l’intérêt digne de protection devait lui être niée (ATF 101 1b 212 ; 100 Ib 119 ; arrêt 1P.70/2005 du 22 avril 2005). Les intérêts du locataire dans ses rapports avec le bailleur sont plus spécifiquement protégés par les dispositions spéciales du droit du bail complétées, le cas échéant, par certaines règles de droit public cantonal (ATF 131 II 649 consid 3.4). Dans cette dernière cause, le Tribunal fédéral a dénié la qualité pour recourir à un locataire, dont la résiliation de bail venait pourtant d’être annulée par le bailleur, dans le cadre d’un recours contre la vente de son appartement selon la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger du 16 décembre 1983 (LFAIE - RS 211.412.41). L’intérêt du recourant, quoiqu’actuel, ne pouvait être considéré comme direct ni concret au motif que le succès de son recours en matière administrative lui permettait de retirer l’avantage convoité, à savoir le prononcé de la nullité de son contrat de bail, seulement de manière indirecte. De plus, le but recherché par le recourant, soit se prémunir contre une prochaine résiliation du bail, sortait manifestement des objectifs de la LFAIE. L’intérêt invoqué par le recourant n’était ainsi pas dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d’être pris en considération, avec l’objet de la contestation (ATF 131 II 649 consid. 3.4). Dans ces cas, l’intérêt du recourant est considéré insuffisant, voire inexistant, lorsqu’il a à sa disposition un autre moyen de droit pour régler le fond de l’affaire (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, Vol. II, 3ème éd., 2011, p. 730).

Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative ; cf. ATA/950/2022 du 20 septembre 2022 consid. 2e et les références citées), en matière de qualité pour recourir des locataires, lorsque la décision litigieuse implique la démolition de locaux qui font l’objet d’un bail à loyer, le locataire ne peut plus se prévaloir d’un intérêt digne de protection à l’annulation de l’autorisation de démolition, dès lors qu’il a reçu son congé. En effet, quand bien même il conteste ce dernier, la procédure ouverte à ce sujet ne peut aboutir qu’à deux solutions alternatives : si la résiliation du bail est annulée, la démolition ne peut plus avoir lieu et le locataire perd son intérêt au recours ; si, au contraire, le congé est confirmé, le locataire, qui doit quitter les lieux, n’est plus concerné par le projet de démolition et n’a ainsi plus d’intérêt pratique à recourir.

En revanche, la qualité pour recourir contre une autorisation de construire des locataires dont les baux n’avaient pas été résiliés a été admise lorsque elle les priverait de la jouissance de locaux situés dans les combles de l’immeuble dont la transformation était projetée. Certains des griefs invoqués portaient sur le gabarit de l’immeuble après travaux et sur les vices de forme ayant affecté la procédure qui, s’ils devaient se révéler bien fondés, pourraient aboutir à un refus de l’autorisation de construire litigieuse, à l’abandon du projet, voire à un remaniement substantiel de celui-ci, et à la mise en œuvre d’une nouvelle enquête.

De même, se sont vu reconnaître la qualité pour recourir les locataires d’immeubles d’habitation soumis à la LDTR ou dans les causes où l’application même de la LDTR était litigieuse. Cette loi prévoit notamment l’obligation d’informer au préalable et par écrit les locataires et de les consulter en dehors de toute résiliation de bail, lorsque le bailleur a l’intention d’exécuter des travaux (art. 43 al. 1 LDTR). Elle subordonne également l’ouverture du chantier au relogement des locataires touchés par l’autorisation définitive (art. 42 al. 4 LDTR).

7.             En l’occurrence, force est pour le tribunal de constater que la recourante ne dispose pas de la qualité pour recourir à l’encontre de l’autorisation de construire litigieuse dans la mesure où son bail à loyer a été résilié avant même le dépôt - et donc a fortiori l’octroi - de l’autorisation de construire litigieuse. Au surplus, à la lumière des circonstances du cas d’espèce, le tribunal partage et fait ainsi sienne l’analyse de l’intimée, effectuée dans le cadre de ses observations du 4 décembre 2023, quant à l’absence d’un intérêt digne de protection de la recourante en lien avec les griefs qu’elle a invoqués. Il sied encore de relever que le jugement du tribunal de céans cité par la recourante ne lui est d’aucune utilité puisque la cause en question concernait un cas où le contrat de bail n’avait pas été résilié, mais faisait l’objet d’une procédure arbitrale visant à sa requalification, soit, subsidiairement, à sa prolongation. En outre, le fait que des procédures soient pendantes par devant la CCBL renforce aussi l’opinion que le litige opposant la recourante à l’intimée est essentiellement de nature civile.

Par ailleurs, la recourante est titulaire d’un bail à loyer portant sur des locaux commerciaux et les travaux autorisés ne sont pas soumis à la LDTR, laquelle s’applique uniquement aux immeubles servant à l’habitat (art. 1 al. 1 LDTR).

Au vu de ce qui précède, l’intérêt de la recourante à quereller la décision entreprise ne peut être considéré comme étant dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d’être pris en considération avec l’objet de la contestation. En l’absence de qualité pour recourir, le recours sera dès lors déclaré irrecevable.

8.             Compte tenu de l’issue du litige, la mesure d’instruction sollicitée par la recourante, soit un transport sur place, n’a plus d’objet.

9.             En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 1’200.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1’300.-, à la charge de la recourante, sera allouée à B______ (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 29 septembre 2023 par A______ SA contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;

2.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1’200.-, lequel est partiellement couvert par l’avance de frais ;

3.             condamne A______ SA à verser à B______ SA une indemnité de procédure de CHF 1’300.- ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Gwénaëlle GATTONI, présidente, Oleg CALAME et Aurèle MULLER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

La greffière