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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/823/2023

ATA/1260/2024 du 29.10.2024 sur JTAPI/1192/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/823/2023-PE ATA/1260/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 octobre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______, agissant pour elle-même et pour son enfant mineure B______ recourantes

représentées par le syndicat SIT, soit pour lui Thierry HORNER, mandataire

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 octobre 2023 (JTAPI/1192/2023)


EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1989, est ressortissante du Kosovo.

b. Sa fille B______ est née le ______ 2016 à Genève.

c. À six reprises depuis mai 2018, elle a sollicité des visas de retour au Kosovo afin de rendre visite à sa famille ou d'y passer des vacances.

B. a. Le 22 mai 2018, elle a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande d’autorisation de séjour sans activité lucrative, en produisant notamment : un formulaire M indiquant qu’elle était arrivée à Genève le 10 avril 2014 ; une attestation de l'Hospice général (ci-après : l'hospice), selon laquelle elle ne bénéficiait pas de prestations d'aide financière ; une attestation émise par les transports publics genevois (ci-après : TPG), selon laquelle elle avait bénéficié d'abonnements mensuels à une reprise en 2014 et deux mois en 2015 ; un certificat de connaissance de la langue française (niveau A2) ; un extrait de casier judiciaire vierge ; une attestation d’absence de poursuites pour dettes et d'actes de défaut de biens.

b. Le 9 mars 2021, l'OCPM a dénoncé son compagnon, C______, au Ministère public pour une suspicion de faux documents.

c. Par courrier du 22 février 2022, A______ a indiqué à l’OCPM s’être séparée du père de sa fille, C______, et souhaiter que sa demande soit traitée séparément de celle déposée par ce dernier.

d. Selon une attestation de l’hospice du 9 novembre 2022, A______ a bénéficié de prestations d'aide financière depuis le 1er juin 2021, percevant à ce titre CHF 7'196.40 en 2021 et CHF 12'757.45 en 2022. Sa dette envers cet organisme s'élevait à CHF 447.35.

e. Par courrier du 6 décembre 2022, l’OCPM a informé A______ de son intention de refuser de préaviser favorablement son dossier auprès du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour et de prononcer son renvoi.

Elle bénéficiait de prestations de l'hospice depuis le 1er juin 2021 et avait une dette envers ce dernier de CHF 447.75. Dans ces circonstances, sa situation ne répondait pas aux critères de l'« opération Papyrus », ni aux critères relatifs à un cas individuel d'extrême gravité. Quand bien même elle était « en mesure de justifier d'un long séjour », elle n'avait pas démontré une intégration socioculturelle particulièrement remarquable. Sans emploi et bénéficiant de l'aide sociale, son intégration ne correspondait pas au comportement ordinaire pouvant être attendu de tout étranger souhaitant obtenir la régularisation de ses conditions de séjour.

En outre, elle n'avait pas démontré qu’une réintégration dans son pays d'origine aurait de graves conséquences sur sa situation personnelle, indépendamment des circonstances générales (économiques, sociales, sanitaires ou scolaires) affectant l'ensemble de la population restée sur place, étant rappelé qu’elle avait obtenu pas moins de quatre visas de retour afin de rendre visite à sa famille au Kosovo.

S’agissant de l’enfant B______, née en Suisse le 19 décembre 2016 et âgée de 5 ans, elle était tout juste scolarisée et n’était pas encore adolescente. Dès lors, son intégration en Suisse n'était pas encore déterminante. Ainsi, son intégration au Kosovo ne devrait pas lui poser des problèmes insurmontables.

Un délai de trente jours était imparti à A______ pour exercer par écrit son droit d’être entendue.

f. La précitée n'a pas donné suite à ce courrier.

g. Par décision du 1er février 2023, reprenant les termes de sa lettre d’intention du 6 décembre 2022, l’OCPM a refusé l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée, a prononcé le renvoi de A______ et lui a imparti un délai au 7 avril 2023 pour quitter la Suisse.

C. a. Par acte du 6 mars 2023, A______, agissant en son nom et celui de sa fille B______, a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce que le TAPI dise qu’elle-même et sa fille se trouvaient dans une situation de détresse personnelle, au sens des art. 30 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et 31 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Préalablement, elle a requis son audition personnelle et celle de D______ de l'OCPM « sur la procédure Papyrus et les critères post-Papyrus ».

Arrivée à Genève le 10 avril 2014, elle avait vécu en concubinage avec le père de son enfant, C______, qui n’était pas non plus au bénéfice d'une autorisation de séjour, ceci jusqu'en septembre 2021, date de leur séparation définitive.

Le fait que lors du dépôt de sa demande, la durée de son séjour n’avait pas encore atteint cinq ans ne devait pas être pris en considération. Était déterminante la date à laquelle l’autorité s’était penchée sur son dossier, soit le 6 décembre 2020. Elles remplissaient ainsi la condition de longue durée de séjour. À cet égard, elle produisait copie d’une décision (de refus) de l’OCPM concernant une autre requérante, qui s’était trouvée dans la même situation et qui avait finalement vu son cas être approuvé par le SEM.

Pour le surplus, elle avait observé un comportement irréprochable depuis son arrivée en Suisse et avait respecté les valeurs de la Constitution fédérale. Elle avait attesté de ses connaissances linguistiques. Elle occupait désormais deux emplois. Après un passage difficile liée à sa vie de couple, qui avait débouché sur une séparation définitive, elle était désormais indépendante financièrement. Elle n'avait aucune poursuite et la dette de CHF 1'547.35, qu'elle reconnaissait devoir à l'hospice, était largement inférieure au montant de CHF 10'000.- toléré dans le cadre de l'« opération Papyrus ». Enfin, elle remplissait le critère de séjour ininterrompu, étant donné qu’elle ne s'était absentée de Suisse depuis 2014 que pour quelques semaines de vacances.

Elle a notamment produit :

-          copie d’un formulaire M daté du 11 janvier 2023, à teneur duquel E______ l’engageait 21 heures par semaine, en qualité d’« employée restauration », pour un salaire mensuel de CHF 2'185.- ;

-          une « attestation » signée par E______ le 21 février 2023, indiquant qu’elle l’employait à mi-temps (50%) depuis le 1er janvier 2023 ;

-          copie d’un formulaire M daté du 17 janvier 2022, aux termes duquel la société F______ SA l’engageait à raison de 4 heures par semaine au minimum ;

-          un « certificat de travail intermédiaire » émis par cette société le 27 février 2023, attestant qu’elle l’employait depuis le 13 décembre 2021, en qualité de « personnel d’entretien E3 », sur la base d’un contrat de durée indéterminée ;

-          ses fiches de salaire émises par ladite société pour les mois de novembre 2022 (CHF 726.40 nets), décembre 2022 (CHF 1'569.65 nets) et janvier 2023 (CHF 747.40 nets) ;

-          une attestation émise par les TPG le 16 décembre 2022, selon laquelle elle avait bénéficié d'abonnements mensuels à une reprise en 2014, durant deux mois en 2015, six mois en 2021, douze mois en 2022 et un mois en 2023 ;

-          quatre copies de son passeport faisant état des entrées et sorties de Genève de 2018 à 2021.

b. Le 8 mai 2023, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Pour les motifs exposés dans la décision entreprise, la situation de la recourante ne satisfaisait pas aux conditions strictes de l'art. 31 OASA, y compris celles relatives à l'« opération Papyrus ». Elle n'avait en effet pas démontré à satisfaction de droit une durée de séjour exigée sous l'angle de l'« opération Papyrus », soit de dix ans au minimum sans interruption, si bien qu'elle ne remplissait pas les conditions y relatives.

Sous l'angle du cas de rigueur ordinaire, même si l’on devait admettre une durée de résidence relativement longue à ce jour, celle-ci ne pouvait à elle seule suffire à admettre qu'elle se trouvait dans un cas d'extrême gravité, au sens où l'entendait la jurisprudence en la matière. Son intégration ne pouvait être qualifiée de remarquable, dès lors qu'elle n'exerçait pas d'activité lucrative et dépendait de l'aide sociale. En l'absence d'attaches importantes et significatives avec la Suisse et la possibilité de sa réintégration au Kosovo, pays dans lequel elle avait vécu toute son enfance, son adolescence et une bonne partie de sa vie d'adulte, il maintenait la décision entreprise.

S’agissant enfin de l’enfant B______, âgée de 6 ans, compte tenu de son jeune âge, son intégration en Suisse n'apparaissait pas encore très avancée, ni importante.

c. Par jugement du 30 octobre 2023, le TAPI a rejeté le recours.

Sur la base des pièces versées au dossier, A______ n'avait pas établi le caractère continu de son séjour depuis la date de son arrivée en Suisse, le 10 avril 2014. Quelle que soit la durée réelle de son séjour en Suisse, celui-ci devait être relativisé, dès lors qu'il s'était déroulé sans autorisation et au bénéfice d'une simple tolérance depuis le dépôt de sa requête, en mai 2018.

Le produit de son activité lucrative, qu’elle exerçait depuis décembre 2021, ne lui permettait manifestement pas d’être indépendante financièrement, ce qui était corroboré par le fait qu’elle percevait l'aide sociale. Dans ces conditions, elle ne pouvait se prévaloir d'une intégration économique réussie. Elle n'avait pas non plus acquis de connaissances ou de qualifications si spécifiques qu'elle ne pourrait pas les mettre en pratique dans sa patrie, ni fait preuve d'une ascension remarquable.

En outre, née au Kosovo en 1989, elle était venue en Suisse après avoir passé non seulement toute son enfance, mais également toute son adolescence ainsi qu'un nombre significatif d'années de sa vie d'adulte dans son pays d'origine. On ne pouvait donc retenir que son séjour en Suisse l'aurait coupée de tout lien avec son pays d'origine et que sa réintégration dans celui-ci serait devenue inenvisageable.

Quant à son enfant B______, âgée de 6 ans, le processus de son intégration en Suisse n'était pas à ce point profond et irréversible qu'un départ ne pourrait pas être envisagé. Elle était en effet encore très jeune et demeurait ainsi essentiellement rattachée, par le biais de sa mère, à son pays d'origine.

D. a. Par acte posté le 30 novembre 2023, A______, agissant en son nom et en celui de sa fille mineure, a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation, à ce qu'il soit dit qu’elle-même et sa fille se trouvaient dans une situation de détresse personnelle, au sens des art. 30 al. 1 let. b LEI et 31 OASA, et au renvoi de la cause à l'OCPM pour nouvel examen et transmission du dossier au SEM pour approbation. À titre préalable, elle a sollicité son audition, sans que l'acte de recours contienne de motivation à cet égard.

Elle-même et sa fille remplissaient les conditions du cas de rigueur. Elle considérait que l'OCPM aurait dû prendre en considération la durée du séjour seulement au moment où il s'était penché sur le dossier, à savoir en décembre 2022. À ce moment‑là, tant elle-même que sa fille séjournaient à Genève depuis plus de cinq ans. La réalité et la continuité de ce séjour ne pouvaient pas être remises en cause. Elle mettait en avant le cas d'une autre personne défendue par le même syndicat, qui s’était trouvée dans la même situation et qui avait finalement vu son autorisation de séjour être approuvée par le SEM.

Elle remplissait le critère de l'emploi dès lors qu'elle en occupait désormais deux et qu'elle était financièrement indépendante, après un passage particulièrement difficile dû à la séparation d'avec le père de son enfant. Elle n'avait aucune poursuite pour dettes.

Sa fille était née à Genève et y était scolarisée.

b. Le 15 janvier 2024, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) avait jugé qu'en raison de la nature particulière de l'« opération Papyrus », il se justifiait d'en restreindre l'application aux étrangers en remplissant la condition temporelle au moment où ce programme était encore en cours, ce qui n'était pas le cas de la recourante et de sa fille.

Le cas mentionné dans les écritures de recours n'était d'aucun secours à la recourante, car la personne en question n'avait jamais recouru à l'aide sociale.

c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 1er mars 2024 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 27 février 2024, l'OCPM a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires.

e. La recourante ne s'est quant à elle pas manifestée.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante sollicite son audition.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). En outre, il n'implique pas le droit à l’audition orale ni à celle de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 En l'espèce, la recourante a pu apporter des pièces au dossier et fournir des explications détaillées tant devant l’OCPM que devant le TAPI et la chambre de céans. Elle n'a par contre aucunement indiqué en quoi son audition serait indispensable à la solution du litige, ou en quoi celle-ci irait au-delà des éléments établis par pièces.

Il ne sera donc pas procédé à l'audition sollicitée.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit du jugement confirmant la décision de l'OCPM de refuser de transmettre au secrétariat d’État aux migrations
(ci-après : SEM) le dossier de la recourante et de sa fille avec un préavis favorable, et prononçant leur renvoi de Suisse. La recourante considère que sa situation remplit tous les critères d’application des dispositions relatives aux cas d’extrême gravité.

3.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la LEtr, devenue la LEI, et de l’OASA. Conformément à l’art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme celle de la recourante, avant le 1er janvier 2019, sont régies par l’ancien droit.

3.2 Selon l’ancien art. 30 al. 1 let. b LEI (dont la teneur correspond à celle de l’actuel art. 30 al. 1 let. b LEI), il est possible de déroger aux conditions d’admission (art. 18 à 29) dans le but de tenir compte des cas individuels d’une extrême gravité ou d’intérêts publics majeurs.

Conformément à l’art. 31 al. 1 OASA (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018), pour apprécier l’existence d’un cas individuel d’extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l’intégration du requérant (let. a), du respect de l’ordre juridique suisse par le requérant (let. b), de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de la situation financière ainsi que de la volonté de prendre part à la vie économique et d’acquérir une formation (let. d), de la durée de la présence en Suisse (let. e), de l’état de santé (let. f) et des possibilités de réintégration dans l’État de provenance (let. g).

3.3 Ces critères, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d’autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (ATA/1087/2022 du 1er novembre 2022 consid. 11a ; ATA/1669/2019 du
12 novembre 2019 consid. 7b).

Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, et les conditions pour la reconnaissance d’une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4 ; ATA/189/2022 du 22 février 2022 consid. 3d). Elles ne confèrent pas de droit à l’obtention d’une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L’autorité doit néanmoins procéder à l’examen de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce pour déterminer l’existence d’un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/16/2024 du 9 janvier 2024 consid. 3.2).

L’art. 30 al. 1 let. b LEI n’a pas pour but de soustraire la personne requérante aux conditions de vie de son pays d’origine, mais implique que la personne concernée se trouve personnellement dans une situation si grave qu’on ne peut exiger de sa part qu’elle tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l’ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question et auxquelles la personne requérante serait également exposée à son retour, ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d’une femme seule dans une société donnée (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1). Au contraire, dans la procédure d’exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n’exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par la personne requérante à son retour dans son pays d’un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid.  3 ; ATA/16/2024 précité consid. 3.3).

3.4 Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d’un cas d’extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu’elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d’origine, une maladie grave ne pouvant être traitée qu’en Suisse, la situation des enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d’études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n’arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l’aide sociale ou des liens conservés avec le pays d’origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 130 II 39 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_754/2018 du 28 janvier 2019 consid. 7.2 et 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral [TAF] F‑1734/2019 du 23 mars 2020 consid. 8.5 et les références citées).

3.5 La reconnaissance de l’existence d’un cas d’extrême gravité implique que la personne étrangère concernée se trouve dans une situation de détresse personnelle. Ses conditions de vie et d’existence doivent ainsi être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des personnes étrangères. En d’autres termes, le refus de la soustraire à la réglementation ordinaire en matière d’admission doit comporter à son endroit de graves conséquences. Le fait que la personne étrangère ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu’elle y soit bien intégrée, tant socialement et professionnellement, et que son comportement n’ait pas fait l’objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d’extrême gravité. Encore faut-il que sa relation avec la Suisse soit si étroite qu’on ne puisse exiger qu’elle vive dans un autre pays, notamment celui dont elle est originaire. À cet égard, les relations de travail, d’amitié ou de voisinage que la personne concernée a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu’ils justifieraient une exception (ATF 130 II 39 consid. 3 ; ATF 124 II 110 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_754/2018 précité consid. 7.2 et 2A_718/2006 du 21 mars 2007 consid. 3).

La jurisprudence requiert, de manière générale, une très longue durée de séjour en Suisse, soit une période de sept à huit ans (ATA/1306/2020 du 15 décembre 2020 consid. 5b), une durée de séjour régulier et légal de dix ans permettant de présumer que les relations sociales entretenues en Suisse par la personne concernée sont devenues si étroites que des raisons particulières sont nécessaires pour mettre fin à son séjour dans ce pays (ATF 144 I 266 consid. 3.8). En règle générale, la durée du séjour illégal en Suisse ne peut être prise en considération dans l’examen d’un cas de rigueur car, si tel était le cas, l’obstination à violer la législation en vigueur serait en quelque sorte récompensée (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2 ; ATA/667/2021 du 29 juin 2021 consid. 6c). Les années passées en Suisse dans l’illégalité ou au bénéfice d’une simple tolérance – par exemple en raison de l’effet suspensif attaché à des procédures de recours – ne sont pas déterminantes (ATF 137 II 1 consid. 4.3 ; ATF 134 II 10 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_603/2019 du 16 décembre 2019 consid. 6.2 ; 2C_436/2018 du 8 novembre 2018 consid. 2.2).

L’indépendance économique est un aspect qui est en principe attendu de tout étranger désireux de s’établir durablement en Suisse et ne constitue donc pas un élément extraordinaire (arrêts du Tribunal fédéral 2C_779/2016 du 13 septembre 2016 consid. 4.2 et 2C_789/2014 du 20 février 2015 consid. 2.2.2).

3.6 Aux termes de l'art. 96 al. 1 LEI, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger ainsi que de son intégration.

Il y a abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

3.7 Dans l’examen d’un cas de rigueur concernant le renvoi d’une famille, il importe de prendre en considération la situation globale de celle-ci. Dans certaines circonstances, le renvoi d’enfants peut engendrer un déracinement susceptible de constituer un cas personnel d’extrême gravité. D’une manière générale, lorsqu’un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse et y a seulement commencé sa scolarité, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d’origine, par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socioculturel suisse n’est alors pas si profonde et irréversible qu’un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet (ATA/365/2024 du 12 mars 2024 consid. 2.5 ; arrêt du TAF F-1700/2022 du 10 janvier 2024 consid. 7.5). Avec la scolarisation, l’intégration au milieu suisse s’accentue. Dans cette perspective, il convient de tenir compte de l’âge de l’enfant lors de son arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, de l’état d’avancement de la formation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d’exploiter, dans le pays d’origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. Un retour dans la patrie peut, en particulier, représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l’école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats. L’adolescence, une période comprise entre 12 et 16 ans, est en effet une période importante du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant souvent une intégration accrue dans un milieu déterminé (ATF 123 II 125 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_75/2011 du 6 avril 2011 consid. 3.4 ; ATA/969/2024 du 20 août 2024 consid. 2.8). Sous l’angle du cas de rigueur, il est considéré que cette pratique différenciée réalise la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, telle qu’elle est prescrite par l’art. 3 al. 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (CDE - RS 0.107 ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.679/2006 du 9 février 2007 consid. 3 et 2A.43/2006 du 31 mai 2006 consid. 3.1 ; ATA/434/2020 du 31 avril 2020 consid. 10).

3.8 En l'espèce, la recourante réside en Suisse de manière continue depuis le mois d'avril 2014 et sa fille depuis sa naissance en décembre 2016. Dans le cadre de l'« opération Papyrus », il était demandé à une personne seule d'avoir séjourné à Genève dix ans avant le dépôt de sa demande, et cinq ans pour les familles avec enfants(s) scolarisé(s). Dès lors, la condition relative au séjour n'est pas réalisée en ce qui concerne la recourante, dès lors qu'au moment du dépôt de sa demande, soit en mai 2018, sa fille n'était pas scolarisée et qu'elle-même totalisait seulement quatre années de séjour en Suisse.

Du point de vue des conditions du cas d'extrême gravité, la durée de son séjour en Suisse depuis son arrivée jusqu'à ce jour est de dix ans et peut être qualifiée de longue. Elle doit toutefois être relativisée, dès lors que l'intégralité du séjour de la recourante a été effectuée dans l'illégalité ou, depuis le dépôt de la demande de régularisation, au bénéfice d'une simple tolérance des autorités de migration.

La recourante ne peut se prévaloir d'une intégration socioprofessionnelle remarquable. Si elle maîtrise la langue française au niveau requis et qu'il est vrai qu’elle travaille désormais en exerçant concurremment deux activités, le cumul de ses deux salaires (qui varie d'un mois à l'autre mais reste inférieur à CHF 3'500.- bruts) ne lui permet probablement pas d'être indépendante financièrement. Elle n'a du reste pas produit dans le cadre de la présente instance d'attestation de l'hospice selon laquelle elle ne bénéficierait plus de l'aide sociale, étant rappelé que tel était le cas en 2021 et 2022.

Par ailleurs, l'activité de la recourante dans le domaine de l'économie domestique et du nettoyage ne répond pas à la définition d’une intégration extraordinaire, conformément à la jurisprudence mentionnée plus haut. La recourante ne fait pas valoir pour le surplus d’attaches particulièrement fortes avec le canton, ni d’engagement dans la vie sportive, culturelle ou associative. Il n'apparaît pas qu'elle ait développé des relations amicales ou affectives particulièrement développées en Suisse, qui ne pourraient être poursuivies depuis son pays d'origine, et ne soutient pas non plus avoir acquis des connaissances ou des qualifications si spécifiques qu’elle ne pourrait les utiliser dans son pays. Au contraire, l'expérience professionnelle acquise en Suisse devrait faciliter son intégration dans son pays d’origine.

La recourante, âgée de presque 35 ans, a vécu toute son enfance, son adolescence et une partie de sa vie d'adulte dans son pays d'origine, où elle est retournée à plusieurs reprises.

S'agissant de la prise en compte de l'intérêt supérieur de son enfant, il faut retenir que sa fille n'a pas encore 8 ans, si bien que vu son jeune âge, son processus d'intégration ne peut pas être qualifié d'avancé et irréversible au point qu'un départ pour le Kosovo ne puisse pas être envisagé. Bien que scolarisée dans l'école primaire genevoise, elle n’est pas encore entrée dans la période de l’adolescence au sens de la jurisprudence susmentionnée, à partir de laquelle elle sera susceptible de s’intégrer de manière qualifiée. La poursuite de sa scolarité au Kosovo ne devrait donc pas présenter d'obstacles insurmontables. En conséquence, la réintégration de la recourante et de sa fille n’apparaît pas gravement compromise.

Dans ces circonstances, aucun des éléments pertinents, aussi bien pris singulièrement que dans leur globalité, ne permet de conclure que la recourante présente une situation de détresse personnelle au sens de l'art. 30 al. 1 let. b LEI. Il ne se justifie en conséquence pas de déroger aux conditions d'admission en Suisse en sa faveur, au vu de la jurisprudence très stricte en la matière. Enfin, il sera rappelé que l’autorité intimée bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation que la chambre de céans ne revoit qu’en cas d’abus ou d’excès, ce qui n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

4.             Dès lors qu’il a, à juste titre, refusé l’octroi d’une autorisation de séjour à la recourante, l’intimé devait prononcer son renvoi. Il convient encore d’examiner si celui-ci est fondé.

4.1 Selon l’art. 64 al. 1 let. c LEI, l’autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l’encontre d’un étranger auquel l’autorisation de séjour est refusée ou dont l’autorisation n’est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d’aucun pouvoir d’appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d’une demande d’autorisation. Le renvoi d’une personne étrangère ne peut être ordonné que si l’exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI). Elle n'est pas licite lorsqu'elle serait contraire aux engagements internationaux de la Suisse (art. 83 al. 3 LEI). Elle n'est pas raisonnablement exigible si elle met concrètement en danger la personne étrangère, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

En l'espèce, la recourante ne fait valoir aucune circonstance qui rendrait l’exécution de son renvoi ou de celui de sa fille illicite, impossible ou inexigible, et le dossier n'en laisse pas non plus apparaître.

Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.

5.             Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 novembre 2023 par A______, agissant pour elle-même et pour son enfant mineure B______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 octobre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt au Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT), soit pour lui Thierry HORNER, mandataire des recourantes, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.