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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2265/2024

ATA/1029/2024 du 27.08.2024 ( FPUBL ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2265/2024-FPUBL ATA/1029/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 27 août 2024

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Margaux BROIDO, avocate

contre

B______ intimée
représentée par Me Stéphane GRODECKI, avocat

 



Attendu en fait que :

1.             A______ est sapeur-pompier volontaire au sein de la Compagnie 21 des sapeurs-pompiers volontaires (ci-après : la compagnie) de la B______ (ci-après : la commune). Titulaire du grade de sergent-major, il fait partie, avec quatre autres officiers et sous-officiers supérieurs, dont le capitaine C______ et le premier-lieutenant D______, de l'état-major de la compagnie.

Selon son certificat de salaire 2023, il a reçu au cours de cette année, pour son activité au sein de la compagnie, un salaire de CHF 7'680.- et des indemnités de CHF 6'397.-.

2.             Dans le cadre d'investigations portant sur les flux financiers de la compagnie, la commune a adressé, le 13 juin 2024, à A______, C______ et D______ trois courriers séparés mais de contenu identique les invitant à se déterminer sur leur rôle dans cinq « éléments » jugés problématiques et susceptibles de leur être reprochés.

Les deux premiers éléments (points nos 1 et 2) portaient sur l'achat « aux frais de la compagnie et donc de la commune », pour un montant d'environ CHF 7'800.- au cours des années 2023 et 2024, de bouteilles d'alcool (champagne, alcools forts et bière). Le troisième élément (point n° 3) concernait le remboursement d'un « ticket » d'un montant de CHF 475.- au « E______ ». Le quatrième élément (point n° 4) était relatif à diverses factures de restaurants atteignant, pour les années 2023 et 2024, un montant total de CHF 9'236.-. Enfin, le dernier élément (point n° 5) portait sur la vente, dans des circonstances jugées suspectes, d'un véhicule de la compagnie à un garage exploité par un parent de l'un des membres de l'état-major.

3.             Par courrier commun du 23 juin 2024, A______ et les deux autres membres de l'état-major interpellés ont répondu aux lettres de la commune, donnant des explications sur chacune des cinq éléments mentionnés dans celles-ci. Ils ont notamment relevé, s'agissant des points 1 et 2, que les achats d'alcool incriminés avaient été financés non pas par des fonds communaux mais par le compte de la compagnie, alimenté par une partie de la solde revenant à ses membres et par les recettes de ventes des boissons conservées dans le frigo de la compagnie. Le point 3 concernait un repas ayant réuni les membres de l'état-major et leurs compagnes, pris dans un restaurant se trouvant dans l'enceinte du « E______ » et la demande de remboursement le concernant avait suivi les voies ordinaires. Les points 3 et 4 concernaient tous deux des dépenses traditionnellement prises en charge par la commune. Enfin, la vente du véhicule de la compagnie s'était déroulée selon les directives de la commune, laquelle était pleinement informée de l'opération.

4.             Par décision rendue le 24 juin 2024 en application des art. 21 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 28 de la loi sur la prévention des sinistres, l’organisation et l’intervention des sapeurs-pompiers du 25 janvier 1990 (LPSSP - F 4 05), la commune a prononcé la suspension immédiate de C______, D______ et A______ et leur a fait interdiction de porter l'uniforme. Cette décision, stipulée exécutoire nonobstant recours, demeurait valable « durant la durée des investigations et jusqu'à la prise de la décision finale, mais au maximum 12 mois ».

Selon la motivation de cette décision, les éléments relatifs au point 5 étaient encore « peu clairs » et, s'agissant du point 4, il ne pouvait être exclu à ce stade des investigations que les dépenses incriminées correspondent à une « gestion historique » qui devrait être reprise. Les explications des trois membres de l'état-major interpellés, relatives aux points 1 et 2, fausses, démontraient en revanche un mélange financier dont les intéressés ne semblaient pas conscients. Ils ne s'étaient par ailleurs pas déterminés sur leur responsabilité, en leur qualité de cadres, dans la promulgation au sein de la compagnie d'une « culture de consommation inappropriée d'alcool ». Tant cette mauvaise gestion financière que l'existence au sein de la compagnie d'une culture de consommation d'alcool constituaient des violations des règles de discipline et démontraient que la gestion de la compagnie n'était plus assurée. Seule une suspension immédiate des intéressés pour la suite des investigations permettrait de garantir une gestion adéquate de la compagnie et, ainsi, de sauvegarder la sécurité publique.

5.             Le 4 juillet 2024, A______ a formé auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) un recours contre cette décision, concluant à son annulation et sollicitant, à titre préalable, la restitution de l'effet suspensif.

Reprenant les explications figurant dans le courrier du 23 juin 2024, le recourant a contesté les reproches qui lui étaient adressés, ajoutant, en relation avec les griefs relatifs à la consommation d'alcool, que celle-ci était strictement prohibée pendant le service et que la caserne accueillait également l'amicale des sapeurs-pompiers de la commune, regroupant des sapeurs actifs mais également des sapeurs démissionnaires ou retraités.

La suspension ordonnée causait au recourant un important préjudice financier, de telle sorte qu'il disposait d'un intérêt privé à la restitution de l'effet suspensif. En l'absence de toute urgence ou nécessité à une suspension, cet intérêt devait l'emporter sur un intérêt public contraire. Les chances de succès du recours étaient par ailleurs bonnes.

Dirigé contre une décision incidente, le recours était recevable car la décision contestée lui causait un préjudice irréparable du fait que, même en cas d'issue favorable sur le fond, il ne pourrait « récupérer » les heures non effectuées et donc non indemnisées.

Quant au fond, ni la loi sur la prévention des sinistres, l’organisation et l’intervention des sapeurs-pompiers du 25 janvier 1990 (LPSSP - F 4 05) ni le règlement du personnel communal de la ville de Chêne-Bougeries ne permettaient de suspendre un sapeur-pompier volontaire au titre de mesure provisionnelle. Cette suspension violait par ailleurs le principe de la proportionnalité.

6.             Dans sa réponse sur restitution de l'effet suspensif du 15 juillet 2024, la commune a conclu à l'irrecevabilité du recours et au rejet de la requête.

La décision ne causait aucun préjudice irréparable au recourant, la suspension étant une sanction expressément prévue par l'art. 30 al. 1 du règlement d’application de la loi sur la prévention des sinistres, l’organisation et l’intervention des sapeurs-pompiers du 25 juillet 1990 (RPSSP - F 4 05.01) et, dans la mesure où l'activité de sapeur‑pompier était accessoire et s'exerçait sur une base volontaire, l'absence du versement d'indemnités n'étant pas constitutive d'un tel préjudice.

En l'état de l'instruction, pouvaient à tout le moins être reprochés au recourant et aux deux autres membres de l'état-major concernés un mélange financier, la propagation d'une culture de consommation inappropriée d'alcool et un manque de vision et de prise de conscience de la problématique, ces trois éléments étant incompatibles avec la bonne gestion d'une compagnie de sapeurs-pompiers volontaires.

7.             Par réplique du 5 août 2024, le recourant a persisté dans ses argumentation et conclusions en restitution de l'effet suspensif.

8.             Le 6 août 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant en droit que :

1.             Interjeté en temps utile devant l'autorité compétente, le recours est recevable sous ces angles (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ – E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b LPA ‑ E 5 10).

Les décisions incidentes sont susceptibles de recours, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

La question de savoir si le recours est immédiatement recevable contre la décision incidente querellée souffrira de rester indécise à ce stade au vu des considérants qui suivent.

2.             Les décisions sur effet suspensif et mesures provisionnelles sont prises par le président, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d’empêchement de ceux-ci, par un ou une juge (art. 21 al. 2 LPA ; 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 20 juin 2020).

3.             Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

3.1 L’effet suspensif ne doit être retiré que pour des motifs particuliers suffisants, importants ou impérieux ou encore lorsque des intérêts publics considérables sont en danger. L'exclusion de l'effet suspensif ne doit être décidée dans ces cas que s'il s'agit d'écarter une mise en danger grave et imminente d'intérêts publics importants, par exemple une menace pour des biens essentiels protégés par la police (Pierre MOOR, Droit administratif, vol. I, 2012, n° 5.1.1.3.b ; Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n° 843 ad art. 66, p. 255).

Des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5). Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu'aboutir abusivement à rendre d'emblée illusoire la portée du procès au fond (ATA/666/2020 du 10 juillet 2020 ; ATA/16/2020 du 9 janvier 2020 consid. 6).

Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

Pour effectuer la pesée des intérêts en présence, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

3.2 À teneur de l'art. 30 RPSSP, intitulé « mesures disciplinaires », toute infraction à la LPSSP, au RPSSP et aux règles de discipline peut notamment entraîner la suspension d'activité impliquant une déduction de douze mois sur le temps réglementaire fixé pour l'obtention de la prime d'ancienneté ; le service de remplacement s'effectue obligatoirement après l'âge de 50 ans révolus (let. c).

3.3 Dans la décision contestée, de nature incidente, la commune a retenu à la charge du recourant et de deux autres membres de l'état-major de la compagnie deux manquements qu'elle considérait comme établis, soit une mauvaise gestion financière et une culture de consommation inappropriée d'alcool. Elle a en revanche expressément (points 4 et 5) ou implicitement (point 3) écarté, car insuffisamment instruits à ce stade, d'autres manquements potentiels des intéressés à leurs devoirs de service. Elle a en conséquence prononcé leur suspension pour la durée de la procédure et jusqu'à la décision finale.

En relation avec sa volonté de déclarer sa décision immédiatement exécutoire nonobstant recours, la commune a exposé que l'absence de compréhension du problème par les intéressés permettait de démontrer que la gestion de la compagnie n'était plus assurée, avec pour conséquence que seule leur suspension immédiate pouvait garantir une poursuite de l'activité, et donc sauvegarder la sécurité publique.

De prime abord, et à ce stade précoce de la procédure, il n'apparaît cependant pas que les irrégularités comptables reprochées au recourant et aux autres intéressés seraient de nature, en elles-mêmes et supposées avérées, à mettre en péril le bon fonctionnement de la compagnie, et donc à compromettre la sécurité publique. S'il existe par ailleurs un intérêt public indéniable à une bonne gestion des deniers communaux, sa préservation ne semble pas exiger que la suspension ordonnée s'applique nonobstant recours, d'autres mesures, par exemple une interdiction signifiée aux intéressés d'engager des dépenses pour le compte de la compagnie, paraissant en l'état suffisantes à ces fins.

La propagation ou la tolérance d'une culture de consommation inappropriée d'alcool est, elle, dans la mesure où elle serait avérée, de nature à compromettre le bon fonctionnement de la compagnie. Il ressort cela étant des écritures sur effet suspensif de la commune qu'à ce stade de ses investigations, ses soupçons se fondent sur les quantités d'alcool achetées, respectivement conservées dans les locaux de la caserne, plutôt que sur des consommations « inappropriées » d'alcool effectivement constatées. Or, le recourant a fait valoir dans son recours, sans être formellement contredit par la commune, que l'usage de la caserne était partagé avec d'autres personnes, en particulier l'amicale des sapeurs-pompiers de la commune, et qu'au sein de la compagnie la consommation d'alcool pendant le service était strictement prohibée. Il n'apparaît donc pas au regard des éléments recueillis en l'état que l'exécution immédiate de la suspension ordonnée serait nécessaire aux fins de préserver la sécurité publique.

Pour sa part, le recourant dispose d'un intérêt privé important à conserver ses fonctions de sergent-major de la compagnie jusqu'à l'issue de la procédure de recours, dans la mesure où il en retire des revenus financiers non négligeables qu'une éventuelle décision finale favorable ne lui permettrait pas de recouvrer.

Dans ces conditions, le caractère exécutoire nonobstant recours de la décision querellée apparaît disproportionné à défaut d'une mise en danger grave et imminente d'intérêts publics importants.

Enfin, et sans préjudice de l'examen du fond, le recours ne paraît pas manifestement dénué de chances de succès.

Compte tenu de ces éléments, l'intérêt privé de l'intéressé à ne pas voir la mesure disciplinaire être exécutée avant une décision judicaire définitive et exécutoire prime ici l'intérêt public allégué par l'intimée à son exécution immédiate.

La demande de restitution de l’effet suspensif sera dès lors admise.

4.             Le sort des frais de la procédure sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

réserve la recevabilité du recours formé par A______ ;

restitue l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, avenue du Tribunal-Fédéral 29, 1005 Lausanne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Margaux BROIDO, avocate du recourant, ainsi qu'à Me Stéphane GRODECKI, avocat de la B______.

 

 

 

 

 

 

 

La vice-présidente :

 

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :