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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1745/2008

ATA/415/2008 du 26.08.2008 ( CM ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1745/2008-CM ATA/415/2008

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 26 août 2008

 

dans la cause

 

Monsieur X______
représenté par Me Bastien Geiger, avocat

contre

COMMUNE DE V______
représentée par Me David Lachat, avocat


 


EN FAIT

1. Monsieur X______ est responsable du service de la sécurité municipale de la commune de V______ (ci-après : la commune) depuis le 12 janvier 1999. Ce service comprend celui des agents de sécurité municipaux (ci-après : ASM).

2. Le 27 décembre 2007, M. X______ a établi une note interne à l’attention du maire de la commune (ci-après : le maire), dans laquelle il faisait état d’une fronde au sein des ASM.

3. Le 15 avril 2008, Monsieur K______, secrétaire communal et Monsieur O______, responsable du service du personnel et du service financier de la commune ont rendu au conseil administratif leur rapport final établi « dans le cadre de la mission qui [nous] a été confiée sur le service des ASM ».

Selon ce document, les origines et les objectifs dudit mandat peuvent être résumés comme suit :

Le maire étant absent de Genève lors de la séance hebdomadaire de sécurité du 16 janvier 2008, la discussion du document du 27 décembre 2007 que lui avait adressé M. X______, avait été reportée à une date ultérieure.

Ce même 7 janvier 2008, M. O______ avait croisé Mesdames G______ et W______ appointées ASM dans la mairie. Ces deux femmes étaient visiblement en proie à des difficultés. Il les avait invitées à venir discuter dans son bureau. Celles-ci avaient évoqué un certain nombre de dysfonctionnements au sein des ASM, notamment des inégalités de traitement, des discriminations de leur encadrement dues au fait qu’elles étaient des femmes. Elles étaient dans un état tel qu’elles songeaient à quitter leur emploi au service de la commune.

Le 9 janvier 2008, MM. O______ et K______ ont informé le maire des événements précités et ce dernier a souhaité donner la possibilité à chaque ASM d’être entendu afin de mettre en relation la note de M. X______ sur la « dissidence » au sein des ASM et les témoignages des appointées G______ et W______.

Un entretien préalable avec M. X______ a été agendé au 18 janvier 2008. A cette occasion, M. X______ a donné son accord à ce que l’ensemble des ASM soit entendu. Le maire a alors chargé M. K______ de procéder à ces auditions et de lui rendre un rapport.

Le 22 janvier 2008, le maire a informé le conseil administratif de ce qui précède.

Devant l’ampleur de la tâche (treize entretiens individuels) et compte tenu du côté sensible de la mission confiée, M. K______ a demandé à M. O______ de le seconder dans ces auditions. D’un commun accord, ils ont décidé d’entendre l’ensemble des collaborateurs du service de la sécurité.

4. L’audition des membres du service de la sécurité a donné lieu à un procès-verbal. Certaines des personnes entendues ont déposé un dossier de pièces.

Dans leur rapport final, MM. K______ et O______ ont consigné - outre le malaise et ses origines - la position de chacun des groupes, les critiques émises à l’encontre du maréchal X______, du brigadier P______ et du sous-brigadier Y______.

Ils ont conclu que les reproches formulés contre les trois personnes précitées étaient graves. Le plus petit d’entre eux, pour autant qu’il soit avéré, était déjà constitutif d’une sanction de la compétence du conseil administratif aux termes du statut du personnel. Les assertions faites dans le cadre des auditions devraient faire l’objet de confirmation - ou d’infirmation - dans le cadre d’une ou de plusieurs enquêtes administratives dirigées contre les trois personnes mises en cause.

Ils précisaient les buts que devrait viser chacune des enquêtes administratives proposées.

Pour que le service puisse continuer à fonctionner malgré l’absence de son encadrement désigné, il conviendrait de mettre en place une structure de commandement provisoire apte à pallier les absences des personnes suspendues.

5. Par courrier du 8 mai 2008, le maire a transmis à M. X______ copie du rapport final du 15 avril 2008, des procès-verbaux d’audition et des pièces remises. Il l’a informé de l’ouverture d’une enquête administrative à son encontre en application de l’article 81 du statut du personnel - règlement de l’administration municipale du 28 juin 1998, entré en vigueur le 1er janvier 1999 (ci-après : le statut) confiée à Monsieur Louis Peila, président de la Cour de justice. Pendant la durée de cette procédure, M. X______ était suspendu provisoirement, sans modification de ses conditions salariales.

6. Le 19 mai 2008, M. X______ a saisi le Tribunal administratif d’un recours dirigé contre « les décisions du 8 mai 2008 », assorti d’une requête de mesures provisionnelles ayant pour objet sa réintégration immédiate dans toutes ses fonctions, et sur le fond, l’annulation « des décisions du 8 mai 2008 », avec suite de frais et dépens.

Il a soulevé plusieurs griefs à l’encontre de la décision querellée.

Le recourant a plaidé l’inefficience de la suspension provisoire par rapport au but visé, celle-ci étant infondée d’une part, et disproportionnée, d’autre part.

La procédure diligentée par MM. K______ et O______ devait être qualifiée d’enquête administrative au sens de l’article 81 du statut. D’une part, c’était le conseil administratif qui avait ouvert cette procédure spéciale et d’autre part, elle avait été confiée au secrétaire général de la commune, toutes deux conditions exigées par l’article 81 du statut. Par conséquent, à la suite de cette enquête, le conseil administratif avait l’obligation de rendre une décision, soit en prononçant une des sanctions prévue à l’article 78 du statut, soit en concluant au rejet des griefs soulevés à l’encontre du recourant. En ordonnant une seconde enquête administrative, le conseil administratif s’était abstenu de statuer, ce qui était constitutif de déni de justice.

Le recourant a encore fait valoir la violation de son droit d’être entendu. Il n’avait pas eu la possibilité d’être assisté par un avocat, n’avait pas pu faire entendre certains témoins, ni n’avait pas pu participer aux actes d’enquêtes.

7. Par décision du 4 juin 2008, la présidente du Tribunal administratif a rejeté la demande de mesures provisionnelles (ATA/292/2008).

8. Les griefs liés à la désignation de Monsieur Louis Peila, président de la Cour de justice, en qualité d’enquêteur administratif, ont été purgés par décision du Tribunal administratif du 24 juin 2008 (ATA/347/2008).

9. Dans sa réponse du 3 juillet 2008, la commune s’est opposée au recours.

Le conseil administratif avait chargé M. K______ de « défricher le terrain ». Celui-ci avait été secondé par M. O______. Il s’agissait d’une « pré-enquête », soit d’investigations préliminaires en amont de l’éventuelle enquête administrative. MM. K______ et O______ n’avaient pas l’obligation de tenir des procès-verbaux, ni d’établir un rapport détaillé, mais ils l’avaient fait car, « fonctionnaires de qualité, ils aimaient le travail bien fait et précis ». Le recourant était malvenu de se plaindre de la qualité du travail de MM. K______ et O______, puisqu’il avait désormais un argumentaire précis des soupçons qui justifiaient l’ouverture d’une enquête administrative à son encontre.

Si contrairement à toute attente, le Tribunal administratif devait considérer que le droit d’être entendu du recourant avait été méconnu, ce vice serait immédiatement guéri par le fait que l’enquêteur disposera d’un pouvoir d’examen complet et commencera l’enquête administrative ab ovo. Le rapport de MM. K______ et O______ et les procès-verbaux des auditions auxquelles ils avaient procédé ne serviront que de fil conducteur à l’enquêteur qui pourra, bien entendu, s’en écarter, s’il le juge opportun.

10. Il résulte encore du dossier que le 22 mai 2008, M. X______ a saisi le président du département du territoire du Conseil d’Etat de la République et du canton de Genève, d’une dénonciation à l’encontre du conseil administratif de la commune de V______, pour violation de ses obligations et attributions découlant de l’article 48 de la loi sur l’administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05).

EN DROIT

1. Fonctionnaire de la commune de V______, le recourant est soumis au statut.

2. Le Tribunal administratif est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 56A al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05). Le recours est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives, au sens des articles 4, 5 et 6 alinéa 1 lettre c et 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf exception prévue par la loi (art. 56A al. 2 LOJ). Les décisions concernant le statut et les rapports de service des fonctionnaires et autres membres du personnel de l’Etat, des communes, et des autres corporations et établissements de droit public n’est recevable que si une disposition légale, réglementaire ou statutaire spéciale le prévoit (art. 56B al. 4 litt. a LOJ) (ATA/270/2007 du 22 mai 2007 et les références citées).

3. La décision du 8 mai 2008 prise par la commune et ordonnant l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de M. X______ mentionne l’article 81 du statut, dont la teneur est la suivante :

« Lorsqu’il s’avère qu’un(e) fonctionnaire est passible d’une des sanctions dont le prononcé relève de la compétence du conseil administratif, celui-ci ouvre une enquête administrative qu’il confie au (à la) secrétaire général(e) ou à un(e) fonctionnaire désigné(e) par le conseil administratif (al. 1).

L’ouverture de l’enquête est notifiée par écrit à l’intéressé(e) avec indication des motifs (al. 2).

Celui-ci (celle-ci) est également informé(e) qu’il (elle) peut se faire assister par un conseil de son choix lors de ses auditions dans le cadre de la procédure d’enquête (al. 3) ».

4. L’ouverture d’une enquête administrative doit être qualifiée de décision incidente (ACOM/80/2004 du 27 août 2004).

5. Selon la jurisprudence constante du Tribunal administratif, l’ouverture d’une enquête administrative n’est pas susceptible de recours (ATA/225/2006 du 25 avril 2006 et les références citées).

Cela étant, le recours contre une décision incidente n’est ouvert que si ladite décision, à supposer qu’elle soit exécutée, cause un préjudice irréparable à son destinataire (art. 57 let. c LPA ; ACOM/80/2004 du 27 août 2004 précitée).

En revanche, le recours au Tribunal administratif est ouvert contre une décision de suspension provisoire pendant la durée d’une enquête administrative (ATA/151/2008 du 1er avril 2008).

6. En l’espèce, le recourant invoque au nombre de ses griefs, la violation de son droit d’être entendu, de sorte qu’il convient, in limine litis, d’examiner la validité formelle de la décision dont est recours.

a. Tel qu’il est garanti par l’article 29 alinéa 2 de la Constitution fédérale de la Confédération Suisse du 18 avril 1999 (Cst. RS 101), le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influencer sur les décisions, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (Arrêt du Tribunal fédéral 2B.77/2003 du 9 juillet 2003 consid. 2.1 et les arrêts cités ; ATA/544/2007 du 30 octobre 2007).

b. Le droit d’être entendu est une garantie à caractère formel dont la violation doit en principe entraîner l’annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond (ATF 119 Ia 136 consid. 2.b). Cette violation peut être réparée devant l’instance de recours si celle-ci jouit du même pouvoir d’examen des questions litigieuses que l’autorité intimée et si l’examen de ces questions ne relève pas de l’opportunité, car l’autorité de recours peut alors substituer son pouvoir d’examen à celui de l’autorité de première instance (Arrêt du Tribunal fédéral 2.P30/2003 du 2 juin 2003 consid. 2.4 et les arrêts cités ; ATA/544/2007 du 30 octobre 2007).

7. Il résulte du déroulement des faits que, quoiqu’elle en dise, la commune a bel et bien procédé à une enquête administrative au sens de l’article 81 du statut. Si telle n’était pas forcément l’intention du maire lorsqu’il a pris, le 9 janvier 2008, la décision d’entendre les collaborateurs du service des ASM, et que, le 22 janvier 2008, il en a informé le conseil administratif, force est de constater que cette mesure a pris la forme d’une véritable enquête administrative.

En effet, la personne chargée de procéder à ces auditions n’était autre que le secrétaire général de la commune, lequel s’est adjoint l’assistance d’un autre fonctionnaire de l’administration communale, à savoir le chef du personnel et des services financiers.

Alors qu’au départ il n’était question que d’entendre les collaborateurs du service des ASM, ce sont finalement tous les collaborateurs du service de la sécurité municipale qui ont été entendus.

Ces auditions ont donné lieu à l’établissement de procès-verbaux.

Les deux enquêteurs ont rédigé un volumineux rapport final. Celui-ci est au demeurant émaillé d’extraits des déclarations des personnes entendues, regroupés en chapitre, ce qui rend l’objectivité des propos difficiles à cerner.

S’il est par ailleurs établi que le recourant a été informé par le maire de l’intention de ce dernier d’entendre les ASM, il a été mis devant le fait accompli de la décision des enquêteurs d’entendre finalement tous les membres du service de la sécurité municipale. Il a été entendu comme les autres collaborateurs, et ce n’est qu’à la lecture du rapport final établi par les enquêteurs qu’il a appris les critiques qui étaient dirigées contre lui et les conclusions qu’en tiraient les auteurs du rapport, à savoir l’ouverture d’une enquête administrative à son encontre, avec suspension provisoire.

Vu l’ampleur et le soin qu’ont mis les enquêteurs à procéder à la mission qui leur avait été confiée, l’on ne peut que constater que c’est en réalité à une enquête administrative qu’ils ont procédé et non pas à de simples investigations préliminaires.

Or, le recourant aurait dû avoir le droit d’être assisté d’un avocat, de se déterminer sur les questions posées aux collaborateurs du service de la sécurité municipale et être invité à se déterminer sur le rapport final avant toute décision du conseil administratif.

Ce faisant, la commune a procédé à une véritable enquête administrative sans respecter les termes clairs de l’article 81 du statut. Dans ce contexte, le droit d’être entendu du recourant a été violé.

Cette violation peut être réparée devant l’autorité de recours si celle-ci jouit du même pouvoir d’examen que l’autorité intimée et si l’examen de ces questions ne relève pas de l’opportunité, car l’autorité de recours ne peut alors substituer son pouvoir d’examen à celui de l’autorité de première instance (ATA/384/2005 du 24 mai 2008). In casu, le Tribunal administratif ne dispose pas du même pouvoir d’examen que le conseil administratif, les éléments d’une décision d’ouverture d’enquête administrative relevant de l’opportunité et échappant à son contrôle (art. 61 al. 2 LPA).

Ainsi, la violation manifeste du droit d’être entendu du recourant ne peut elle être réparée dans le cadre de la procédure devant le Tribunal administratif.

8. Pour qu’un acte puisse être déclaré nul, le Tribunal fédéral requiert un vice grave et évident et l’absence d’atteinte à la sécurité juridique en cas de constatation de cette nullité (ATF 104 Ia 172). Une telle atteinte n’étant nullement alléguée, ces deux conditions sont remplies en l’espèce et rien ne s’oppose à la nullité de cette décision.

9. La constatation de la nullité d’une décision a un effet rétroactif, en ce sens que l’acte est censé ne jamais avoir existé (P. MOOR, Droit administratif, volume II 2002, n° 2.3.1.2.). Cette constatation de la nullité de la décision du 8 mai 2008 emporte, ipso facto, celle de la suspension provisoire du recourant.

10. En conséquence, le recours sera admis et la nullité de la décision dont est recours constatée.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la commune de V______ et une indemnité de procédure de CHF 2'500.- sera allouée au recourant, à charge de l’intimée (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 mai 2008 par Monsieur X______ contre la décision du 8 mai 2008 de la commune de V______ ;

au fond :

l’admet ;

constate la nullité de la décision du 8 mai 2008 de la commune de V______ ;

met à la charge de la commune de V______ un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'500.- à Monsieur X______, à charge de la commune de V______ ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Bastien Geiger, avocat du recourant ainsi qu'à Me David Lachat, avocat de la commune de V______.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mmes Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges, M. Torello, juge suppléant.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :