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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2426/2016

ATA/1135/2017 du 02.08.2017 ( PRISON ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2426/2016-PRISON ATA/1135/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 août 2017

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Hikmat Maleh, avocat

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ LA BRENAZ



EN FAIT

1) Monsieur A______ est incarcéré à l’établissement fermé La Brenaz (ci-après : la Brenaz ou l'établissement) depuis le 31 mai 2016.

2) Le 25 juin 2016, M. A______ a fait l’objet d’une sanction, à savoir
la suppression de toutes les activités communes, y compris loisirs et repas en commun, pour une durée de dix jours, soit du 25 juin 2016 à 12h30 au 5 juillet 2016 à 12h30, la promenade quotidienne et la possibilité de téléphoner étant maintenues.

Il lui était reproché, dans le cadre d'une bagarre, d'avoir exercé une violence physique ou verbale à l'égard d'une autre personne détenue, d'avoir adopté un comportement contraire au but de l'établissement, d'avoir troublé l'ordre public et la tranquillité de l'établissement et d'avoir brisé du matériel appartenant à l'établissement.

Il était mentionné que l’intéressé avait été entendu oralement le 25 juin 2016 à 14h15 par « le sous-chef ».

La sanction avait été signifiée le 25 juin 2016 à 17h, également par « le sous-chef ». Elle était signée par un surveillant sous-chef et le détenu.

Un rapport à l'attention du directeur de la Brenaz a été établi et signé le jour même par un surveillant sous-chef. Il relatait les propos tenus par M. A______ lors de son audition du même jour.

3) Par courrier manuscrit non daté, reçu le 5 juillet 2016 par le greffe de la chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (ci-après : la chambre pénale d'appel et de révision), M. A______ a annoncé former recours contre la décision précitée, sans autre indication.

4) Le 12 juillet 2016, M. A______ a complété son recours.

Il concluait principalement à l'annulation de la décision de la Brenaz du
25 juin 2016. La sanction infligée était en lien avec une bagarre. Or, il avait en réalité été agressé par un autre détenu, lequel l'avait notamment frappé avec une poubelle. On ne pouvait dès lors lui reprocher d'avoir adopté un comportement de bagarreur ou d'avoir commis des actes de vandalisme.

5) Le 15 juillet 2016, la chambre pénale d'appel et de révision a transmis pour raison de compétence les courriers de M. A______ au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

6) Par courrier du 22 juillet 2017, M. A______ a produit copie de la décision de la Brenaz du 25 juin 2016.

Était également joint un courrier du 7 juillet 2016 de Monsieur B______, détenu à la Brenaz, affirmant qu'il avait agressé M. A______ en jetant une poubelle sur lui et que ce dernier n'avait rien fait de mal.

7) Le 26 août 2016, la Brenaz a conclu au rejet du recours et a produit son dossier.

Il résultait du dossier que M. A______ avait participé, ainsi que deux autres détenus, à une bagarre. Seule l'identité de l'initiateur de la bagarre était litigieuse et ce doute ne suffisait pas à excuser le comportement de l'intéressé.

Sous l’angle disciplinaire, l'intéressé avait participé à une bagarre au sein d'une cellule et il existait un intérêt public à punir un tel comportement. La sanction litigieuse était proportionnée.

8) Par courrier du 2 novembre 2016, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger, le recourant n'ayant pas formulé d'observations complémentaires dans le délai imparti.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile auprès d’une autre juridiction et régulièrement acheminé devant la chambre de céans, le recours est recevable de ce point de vue
(art. 62 al. 1 let. a et 64 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le 29 mars 2017, le Grand Conseil a adopté plusieurs modifications des dispositions du règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d’exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 (ci-après : REPSD), lesquelles sont entrées en vigueur le 8 mai 2017.

La décision litigieuse ayant été rendue le 25 juin 2016, il convient dans un premier temps d'examiner le droit applicable au présent litige.

3) a. Conformément aux principes généraux du droit intertemporel, lorsqu’un changement de droit intervient au cours d’une procédure administrative contentieuse ou non contentieuse, la question de savoir si le cas doit être tranché sous l’angle du nouveau ou de l’ancien droit se pose. En l’absence de dispositions transitoires, s’il s’agit de tirer les conséquences juridiques d’un événement passé constituant le fondement de la naissance d’un droit ou d’une obligation, le droit applicable est en principe celui en vigueur au moment dudit événement. Dès lors, en cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste en principe celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques (arrêt du Tribunal fédéral 2C_195/2016 du 26 septembre 2016 consid. 2.2.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 403 ss).

b. Pour les règles de procédure, et en l'absence de dispositions transitoires, la jurisprudence admet que le nouveau droit s'applique immédiatement dans son ensemble à toutes les affaires pendantes, pour autant cependant qu'il reste dans une certaine continuité avec le système antérieur, sans en bouleverser les fondements (ATF 130 V 560 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 406).

c. En l'espèce, le REPSD ne contient pas de dispositions transitoires relatives aux modifications entrées en vigueur le 8 mai 2017. Dès lors, le droit matériel applicable au présent litige sera celui de l'ancien REPSD (ci-après : aREPSD), dans sa teneur en juin 2016, tandis que les éventuelles règles de procédure y relatives seront régies par le REPSD, pour autant qu'elles ne bouleversent pas les fondements du système actuel.

4) La chambre administrative est compétente pour connaître du présent litige tant sous l'aREPSD (ATA/288/2017 du 14 mars 2017 ; ATA/245/2017 du 28 février 2017 ; ATA/244/2017 du 28 février 2017) que sous le REPSD (art. 49 REPSD ; 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du
26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Le recours est donc également recevable de ce point de vue.

5) a. Aux termes de l’art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.

Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162
consid. 2.1.2).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2). Si l’intérêt actuel fait défaut lors du dépôt du recours, ce dernier est déclaré irrecevable (ATF 139 I 206 consid. 1.1) ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 137 I 23 consid. 1.3.1).

Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1).

b. En l’occurrence, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité de celle-ci doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée, dans la mesure où cette situation pourrait encore se présenter (ATA/288/2017 précité consid. 2 et la jurisprudence citée ; ATA/245/2017 précité consid. 2), dès lors que rien dans le dossier ne laisse à penser qu'il ait quitté l’établissement à ce jour.

Le recours est donc recevable à tous points de vue.

6) La Brenaz reçoit les personnes condamnées à une ou plusieurs peines privatives de liberté ainsi que les personnes détenues au bénéfice d'une décision d'exécution anticipée pour une durée maximum, en principe, d'une année
(art. 5 al. 1 aREPSD).

Les personnes détenues ont l'obligation de respecter les dispositions du REPSD, les instructions du directeur général de l’OCD, ainsi que les ordres du directeur de l'établissement et du personnel (art. 42 aREPSD).

Aux termes de l’art. 46 aREPSD, si une personne détenue enfreint le présent règlement ou contrevient au plan d'exécution de la sanction pénale, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (al. 1). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (al. 2).

Selon l’art. 46 al. 3 aREPSD, le directeur de l'établissement est compétent pour prononcer : un avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximum de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources
financières (let. b) ; l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) ; les arrêts pour dix jours au plus (let. d).

Les sanctions prévues à l'al. 3 peuvent être cumulées (art. 46 al. 4 aREPSD). Lorsqu'il existe un cas de récusation du directeur de l'établissement au sens de l'art. 15 LPA, le directeur général de l'OCD est compétent (art. 46 al. 5 aREPSD).

7) En l'espèce, la décision litigieuse du 25 juin 2016, supprimant toutes les activités communes du recourant, y compris loisirs et repas en commun, pour une durée de dix jours, a été rendue par un surveillant sous-chef de la Brenaz, lequel a signé seul celle-ci. Ce dernier a d'ailleurs entendu oralement le recourant et lui a signifié ladite décision.

À teneur de l’art. 46 al. 3 let. b aREPSD, la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximum de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières est de la compétence du directeur de l’établissement. L'aREPSD ne prévoit pas la possibilité pour le directeur de l’établissement de déléguer la compétence précitée à une tierce personne, subalterne. Au contraire, la seule exception prévue, à
l’art. 46 aREPSD, consiste dans le cas de récusation du directeur. Dans cette hypothèse, le directeur général de l’OCD est compétent.

Par conséquent, le surveillant sous-chef de la Brenaz n’était pas compétent pour prendre la décision litigieuse. Dans l’hypothèse où le directeur aurait été absent, le surveillant-chef aurait dû attendre le retour de celui-là ou solliciter le directeur général de l’OCD.

8) Il est des cas où les vices affectant une décision sont si graves et si évidents qu'ils empêchent celle-ci d'avoir une existence – et donc des effets – quelconques. La décision nulle est censée n'avoir jamais existé. L'écoulement des délais de recours non utilisés n'a aucun effet guérisseur. Une décision nulle n'a que l'apparence de la décision. La nullité renverse ainsi la présomption de validité des décisions formellement en force. La possibilité de la nullité d'une décision crée une grande insécurité juridique. La nullité ne peut être admise qu'exceptionnellement. Elle n'est reconnue que si le vice dont la décision est entachée est particulièrement grave, s'il est manifeste ou du moins facilement décelable, et si en outre, la constatation de la nullité ne met pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Ces conditions sont cumulatives et elles ont pour conséquence que la nullité n'est que très rarement admise. Par ailleurs, des vices de fond n'entraînent que très exceptionnellement la nullité d'une décision alors que de graves vices de procédure, ainsi que l'incompétence qualifiée, fonctionnelle ou matérielle, de l'autorité qui a rendu la décision sont des motifs de nullité
(ATF 132 II 21 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_270/2011 du 29 août 2011 consid. 5.1 ; ATA/107/2013 du 19 février 2013 consid. 7 ; ATA/773/2011 du 20 décembre 2011 consid. 2 et les références citées ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 908 ss). Enfin, la nullité d'une décision peut être constatée en tout temps et d'office par n'importe quelle autorité, y compris en instance de recours (ATF 136 II 415 consid. 1.2 ; 132 II 342 consid. 2.1).

9) En l’occurrence, la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente, ce qui constitue un vice particulièrement grave au sens de la jurisprudence précitée.

La nullité de la décision querellée sera donc constatée.

La nullité est conforme à la jurisprudence constante de la chambre administrative en matière de compétence des autorités disciplinaires, à l’instar de cas survenus tant à Champ-Dollon (ATA/818/2014 du 28 octobre 2014 ; ATA/236/2014 du 8 avril 2014 ; ATA/525/2013 du 27 août 2013), qu’à Curabilis (ATA/953/2014 du 2 décembre 2014) et à la Brenaz (ATA/288/2017 précité), lesdites jurisprudences ayant entraîné des modifications des règlements concernés.

10) Étant donné cette issue, il n'est pas nécessaire de trancher les griefs soulevés par le recourant.

11) En cas de constat de nullité, le recours n'a pas ou plus d'objet, ce qui conduit en principe à son irrecevabilité (ATF 136 II 415 ; ATA/752/2016 du 6 septembre 2016 consid. 10).

Le recours sera dès lors déclaré irrecevable.

12) Vu la nature du litige et son issue, aucun émolument ne sera perçu
(art. 87 al. 1 LPA ; art 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure au recourant, celui-ci n'y ayant pas conclu
(art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

constate la nullité de la décision du surveillant sous-chef de l’établissement fermé
La Brenaz du 25 juin 2016 ;

déclare irrecevable le recours interjeté le 5 juillet 2016 par Monsieur A______ contre la décision du surveillant sous-chef de l’établissement fermé La Brenaz du
25 juin 2016 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Hikmat Maleh, avocat du recourant, ainsi qu'à l'établissement fermé La Brenaz.

Siégeant : Mme Junod, présidente, MM. Dumartheray et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :