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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2933/2015

ATA/310/2017 du 21.03.2017 ( PRISON ) , REJETE

Descripteurs : QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR ; RÉCUSATION ; COMPOSITION DE L'AUTORITÉ ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; DÉNONCIATION(EN GÉNÉRAL) ; INSULTE ; PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPA.10A ; LPA.60.letb ; LPA.15.al1.letd ; Cst.29.al1 ; Cst.29.al2 ; LPA.41 ; RCurabilis.67 ; RCurabilis.68 ; RCurabilis.69 ; RCurabilis.70 ; RCurabilis.71; Cst.5.al2 ; Cst.36 ; LREC.7.al1
Résumé : Pas d'élément donnant l'apparence de prévention concernant le directeur de l'établissement pénitentiaire. Pas de violation du droit d'être entendu du recourant. L'insulte « fils de pute » constitue un acte inadmissible contrevenant aux règles de la discipline carcérale et justifiant le prononcé d'une sanction disciplinaire contre l'intéressé. Un arrêt d'un jour est compatible avec le principe de la proportionnalité vu les circonstances du cas d'espèce. Recours rejeté en tant qu'il est recevable.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2933/2015-PRISON ATA/310/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 mars 2017

1ère section

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Madame Chrystel Nabor, curatrice

contre

OFFICE CANTONAL DE LA DÉTENTION

et

ÉTABLISSEMENT DE B______

 



EN FAIT

1. M. A______ a été incarcéré au sein de l’établissement de B______ (ci-après : B______ ou l’établissement) depuis le _______ 2014, une mesure de traitement thérapeutique institutionnel ayant été prononcée par la chambre d’accusation de la Cour de justice le 26 mai 2009 et prolongée par le Tribunal d’application des peines et des mesures le 21 mars 2013.

2. En date du 24 août 2015, à 16h20, selon rapport du soir même de deux agents de détention (ci-après : agents) – dont seuls les prénoms apparaissent –,
M. A______ a « [pris] en grippe l’agent C______ sur une tonalité élevée en disant : « qui a effacé mon message sur le tableau ? ».

Ledit agent lui a répondu que c’était bien lui et suite au contentieux avec un infirmier la veille, et que ce message était sur le tableau depuis plus de 24h réglementaires et que certains détenus réclamaient son effacement.

M. A______ a refusé de baisser le ton malgré de multiples sommations qui entraîneraient une remontée en cellule. Il s’est montré insultant en disant « fils de pute », a déclaré que cela lui était égal de remonter en cellule et a poursuivi sur le même ton élevé.

Il a décidé que les agents le remonteraient par la contrainte, ce que l’agent C______ et son collègue ont fait. Pendant le transport, M. A______ a énoncé des insultes (« malhonnête ») et menaces (« si vous me faites du mal, je vais … »), puis, devant sa cellule, il s’est levé et est rentré dans celle-ci, que les agents ont refermée « sans autre ».

Cette intervention a pris fin à 16h35 et, à 18h00, M. A______ était présent au repas et calme.

En bas du rapport était écrit à la main : « Images sauvegardées sous : Extraction – A______ – Remontée sous contrainte 24.08.15 ».

3. Par écrit daté du 24 août 2015 mais reçu le lendemain par la direction de l’établissement, M. A______ a demandé la sauvegarde des images de vidéosurveillance prises le jour même entre 16h20 et 16h30, car il allait déposer plainte pénale contre les gardiens qui l’avaient monté de force dans sa cellule.

4. Par courrier du 27 août 2015, le responsable de l’exécution des mesures au sein de B______ a fait savoir à M. A______ qu’il lui avait été reporté que celui-ci avait, le 24 août 2015 à 16h20, insulté des agents en prononçant les mots suivants : « fils de pute ».

Une procédure disciplinaire était ouverte à son encontre et, dans le cadre de son droit d’être entendu, un délai au 28 août 2015 à 12h00 lui était imparti pour se prononcer par écrit sur cette allégation.

5. Par écriture du 27 août 2015 et reçue le lendemain à 8h45 par la direction, M. A______ a sollicité la récusation au sens de l’art. 15 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) du responsable de l’exécution des mesures ainsi que celle du directeur de l’établissement, la nomination d’un avocat en application de l’art. 10 LPA, l’audition comme témoins d’un infirmier et de la cheffe des infirmiers relativement à l’effacement de son message du tableau et à l’insulte qu’il aurait proférée contre l’agent C______, enfin le respect de l’art. 10A LPA vu l’absence d’indication de l’identité de ses accusateurs. La procédure n’était pas correcte, compte tenu du peu de temps qu’il avait eu pour se déterminer, ainsi que du non-accès au dossier complet en violation de l’art. 44 LPA.

Le 24 août 2015, le personnel l’avait provoqué par des actes à considérer comme des « voies de fait » avec hématomes et douleurs qui duraient jusqu’à ce jour, d’où la nécessité de la sauvegarde de la vidéosurveillance.

Sous « P.S. » était reproché à la direction de ne pas avoir répondu à sa plainte à l’encontre de l’agent C______, qui l’avait couvert de bleus au bras en date du 30 juin 2015, ce qui était attesté par un « constat médical de lésions traumatiques » du 3 juillet 2015 et des images de vidéosurveillance.

6. Par décision du 28 août 2015, déclarée exécutoire immédiatement nonobstant recours, le directeur de l’établissement a infligé à M. A______ un jour d’arrêt sans sursis, pour « insultes », en application des art. 69 let. c et 70 al. 4
let. d du règlement de l’établissement de B______ du 19 mars 2014 (RB______ - F 1 50.15).

7. Par acte daté du 30 août 2015 mais expédié le 1er septembre 2015 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a formé recours contre cette décision, concluant à son annulation ainsi qu’à l’envoi par ladite chambre d’un message fort et ferme à la direction de B______ selon lequel des « sanctions disciplinaires » illégales de sa part ne seraient plus tolérées.

Tout d’abord, conformément à l’art. 10A 2ème phr. LPA, aucune suite n’aurait dû être donnée aux dénonciations anonymes des agents, l’accusé devant connaître leur identité.

Ensuite, le recourant avait été privé de son droit d’accès à l’intégralité du dossier.

Enfin, son droit d’être jugé par une autorité compétente avait été violé. En effet, le directeur de l’établissement n’en était pas une, étant donné qu’il avait prouvé sa partialité à l’encontre de M. A______ en laissant passer, sans agir d’une quelconque façon, deux menaces contre lui de la part d’un détenu et deux agressions commises par trois gardiens différents.

À cet égard, l’intéressé a produit une page de l’arrêt de la chambre pénale de recours de la Cour de justice du 12 juin 2015 dans la cause P/______/2014 (ACPR/_______/2015). Il ressort de cet arrêt – consulté par le juge délégué dans le site intranet du Pouvoir judiciaire – que ladite chambre a rejeté un recours formé par M. A______ contre une ordonnance du Ministère public du 3 mars 2015 refusant d’entrer en matière sur la plainte pénale qu’il avait déposée contre un autre détenu et l’ancien directeur de B______, faute de présomption suffisante en faveur d’infractions de menace grave au sens de l’art. 180 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et de voies de fait au sens de l’art. 126 al. 1 CP, les griefs du recourant à l’encontre du directeur ne revêtant quant à eux aucun caractère pénal.

Étaient en outre produites une plainte pénale adressée le 26 août 2015 au Ministère public contre le directeur actuel de B______ pour lui avoir confirmé qu’il n’allait rien faire contre l’autre détenu (pas celui visé par la procédure P/______/2014) qui avait menacé M. A______ à deux reprises, ainsi qu’une plainte du même jour, au sens de l’art. 73 RB______, à l’intention de l’office cantonal de la détention (ci-après : OCD) contre ledit directeur, reprochant à
celui-ci de ne pas avoir réagi à la suite de deux menaces émises contre le recourant par un autre détenu le 6 août 2015.

8. Dans sa réponse du 6 octobre 2015 signée par son directeur, l’établissement a conclu au rejet du recours de M. A______ pour autant qu’il soit recevable et à la mise à la charge de celui-ci des éventuels frais et émoluments de procédure.

De la détermination écrite de l’intéressé, en réponse au courrier du 27 août 2015 du responsable de l’exécution des mesures, ne ressortait aucun élément permettant de déduire que les informations rapportées par les agents assermentés étaient erronées. Tout au plus, et en déduction de l’entier de l’écriture, il était possible de déduire qu’aucune insulte n’avait été prononcée avant l’utilisation de la contrainte – ce que confirmait le rapport des agents –, mais que les mots « fils de pute » avaient été prononcés en opposition à l’exercice de la contrainte que l’intéressé jugeait illégale.

Le grief concernant les accusations anonymes devait être rejeté, les noms des agents étant connus de la direction. Le recourant ayant à plusieurs reprises exprimé des menaces de mort à l’encontre du personnel, la direction était attentive à la protection des intérêts privés prépondérants des employés de l’État. Les noms des agents n’étaient donc pas transmis lors des procédures disciplinaires.

L’accès complet au dossier (y compris le visionnement des images) n’était pas pertinent en l’espèce, les faits reprochés étant de nature orale (insulte).

En définitive, le droit d’être entendu de M. A______ avait été respecté et aucun élément pertinent ne pouvait justifier la récusation du directeur de l’intimé.

9. Par lettre du 14 octobre 2015, M. A______ s’est plaint de ce que les pièces annexées à la réponse de B______ ne lui avaient pas été transmises.

10. Par pli du 19 octobre 2015, la chambre administrative a transmis au recourant la copie intégrale des pièces reçues de l’établissement.

11. Le 9 novembre 2015, M. A______ a répliqué, complétant ses conclusions en demandant une indemnité non seulement pour la procédure, mais surtout pour le temps passé en étant privé de sa liberté de par une décision injuste et illégale.

Ses précédents griefs étaient maintenus.

Le directeur de l’établissement oubliait que l’acte de contrainte des agents à son endroit l’avait conduit à recevoir une « attention médicale » et à ce que le médecin réalise un « constat médical de lésions traumatiques », constatant des lésions sur sa personne, provoquées par la brutalité des agents. Il oubliait aussi qu’il avait reçu copie dudit constat et que son personnel ne lui avait en aucun cas dit qu’il avait brutalisé et frappé le recourant.

L’agent C______ avait déjà par le passé été coupable de lésion à son encontre, de sorte que le directeur aurait dû remettre en cause la valeur probante de ses déclarations.

L’égalité de traitement devant la loi était violée, dès lors que qu’il avait été sanctionné pour insultes alors que les autres détenus qui l’insultaient et le menaçaient ne l’étaient pas.

12. Par lettre du 17 novembre 2015, la chambre administrative a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

13. Par écrit du 11 février 2016 faisant suite à une demande de la chambre administrative, la curatrice de M. A______, intervenante au sein du service de protection de l’adulte, a ratifié le recours de celui-ci, qui n’entrait selon elle pas dans l’exercice d’un droit strictement personnel et était sujet à représentation, et a ajouté ne pas souhaiter se déterminer à son sujet et s’en rapporter à justice.

14. Par courrier du 15 juillet 2016, l’OCD a informé la chambre administrative du transfert de M. A______ à la prison de D______.

15. Pour le reste, les arguments des parties seront, en tant que de besoin, repris dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous ces angles (art. 74 al. 1 et 2 RB______ ; art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1
let. a LPA).

2. a. Aux termes de l’art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.

Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162
consid. 2.1.2).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2). Si l’intérêt actuel fait défaut lors du dépôt du recours, ce dernier est déclaré irrecevable (ATF 139 I 206 consid. 1.1) ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 137 I 23 consid. 1.3.1).

Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1).

b. En l’occurrence, le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité de celle-ci doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée, dans la mesure où il est actuellement incarcéré dans un autre établissement pénitentiaire et qu’une situation semblable pourrait encore se présenter s’il devait être retransféré vers B______ (ATA/1007/2016 du
29 novembre 2016 consid. 2e et la jurisprudence citée).

Le recours est donc recevable à tous points de vue.

3. a. À teneur de l’art. 15 al. 1 let. d LPA, les membres des autorités administratives appelés à rendre ou à préparer une décision doivent se récuser s’il existe des circonstances de nature à faire suspecter leur partialité.

L’obligation d’impartialité de l’autorité découlant de l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) permet – indépendamment du droit cantonal – d’exiger la récusation des membres d’une autorité administrative dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur leur impartialité. Cette protection tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à l’affaire ne puissent influencer une décision en faveur ou au détriment de la personne concernée. Elle n’impose pas la récusation seulement lorsqu’une prévention effective du membre de l’autorité est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Cependant, seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération ; les impressions purement individuelles des personnes impliquées ne sont pas décisives (arrêt du Tribunal fédéral 1C_389/2009 du 19 janvier 2010 ; ATF 142 III 521 consid. 3.1.1 ; 131 I 24 consid. 1.1 ; 127 I 196 consid. 2b ; 125 I 209 consid. 8a ; 125 I 119 consid. 3b).

b. À l’appui de sa demande de récusation contre le directeur de l’établissement, le recourant se prévaut de l’absence de la protection qu’il aurait dû lui offrir à la suite de deux menaces d’un détenu et de deux agressions commises par trois agents contre lui.

Cela étant, les reproches de l’intéressé contre le directeur de l’établissement ne reposent pas sur des faits établis, ni même sur des indices sérieux, mais seulement sur ses propres allégations. Pour ce qui est de la plainte objet de la P/17689/2014, les autorités pénales ne sont pas entrées en matières, et s’agissant des plaintes du 26 août 2015, il n’est nullement démontré qu’elles auraient donné lieu à une sanction contre le directeur.

En définitive, aucun élément ne donne l’apparence de la prévention, ni fait redouter une activité partiale de la part du directeur de B______. Aucun motif de récusation ne peut donc être retenu à l’encontre de celui-ci.

4. a. Le droit d’être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 Cst. et 41 LPA, sert non seulement à établir correctement les faits, mais constitue également un droit indissociable de la personnalité garantissant à un particulier de participer à la prise d’une décision qui touche sa position juridique. Il comprend, en particulier, le droit pour la personne concernée de s’expliquer avant qu’une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d’avoir accès au dossier, celui de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos. En tant que droit de participation, le droit d’être entendu englobe donc tous les droits qui doivent être attribués à une partie pour qu’elle puisse faire valoir efficacement son point de vue dans une procédure (ATF 132 II 485
consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2 et les références citées). L’étendue du droit de s’exprimer ne peut pas être déterminée de manière générale, mais doit être définie au regard des intérêts concrètement en jeu. L’idée maîtresse est qu’il faut permettre à une partie de pouvoir mettre en évidence son point de vue de manière efficace (ATF 111 Ia 273 consid. 2b ; 105 Ia 193 consid. 2b/cc).

Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation doit en principe entraîner l’annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond (ATF 135 I 279 consid. 2.6.1). Une réparation devant l’instance de recours est toutefois possible si celle-ci jouit du même pouvoir d’examen que l’autorité intimée (ATF 138 I 97 consid. 4.16.1). La réparation dépend cependant de la gravité et de l’étendue de l’atteinte portée au droit d’être entendu et doit rester l’exception (ATF 126 I 68 consid. 2). Elle peut se justifier même en présence d’un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure
(ATF 137 I 195 consid. 2.3.2). Enfin, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de la violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir eu le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/52/2017 du 24 janvier 2017 consid. 4b ; ATA/304/2013 du
14 mai 2013 consid. 4 c).

b. En l’espèce, le recourant a, dans son écriture du 27 août 2015, pu se déterminer sur le reproche central invoqué à l’appui de la sanction litigieuse, à savoir l’insulte « fils de pute » envers deux agents, dont l’agent C______. Il s’y est également exprimé sur l’effacement par celui-ci du message qu’il avait écrit sur le tableau et sur des voies de faits qu’il a accusé les gardiens l’ayant amené à sa cellule par la contrainte d’avoir commis contre lui.

Certes, il semble que le rapport établi le soir du 24 août 2015 par les deux agents qui étaient intervenus le jour même n’ait pas été transmis à l’intéressé avant le courrier de la chambre de céans du 19 octobre 2015, ce qui est regrettable.

Cela étant, le non-accès à cette seule pièce ne saurait constituer, dans les présentes circonstances, une violation grave du droit d’être entendu du recourant, dans la mesure où celui-ci a pu, déjà devant la direction de B______, s’exprimer sur la plupart des points également visés par le rapport des deux agents du soir du 24 août 2015.

En tout état de cause, la chambre administrative, seule autorité de recours au niveau cantonal, connaît du présent contentieux avec un plein pouvoir de cognition. Dès lors, toute éventuelle violation du droit être entendu peut être réparée par l’instruction de la cause qui se déroule devant elle. Dans le présent cas, le recourant a pu expliquer sa position, après l’accès à l’intégralité du dossier, dans sa réplique. Une éventuelle violation du droit être entendu a été réparée devant la chambre de céans (dans ce sens ATA/244/2017 du 28 février 2017 consid. 4 ; ATA/1007/2016 précité consid. 6b ; ATA/734/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4).

Le rapport du 24 août 2015 des deux agents, dont les prénoms mais non les noms y sont mentionnés, ne saurait être considéré comme une dénonciation anonyme au sens de l’art. 10A 2ème phr. LPA, la direction connaissant leur identité. Au demeurant, il ressort des diverses écritures du recourant tant devant la direction que devant la chambre de céans que celui-ci sait qui est notamment l’agent C______, même s’il ne connaît pas son nom de famille.

Les griefs de violation du droit d’être entendu sont ainsi infondés.

5. a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, sont l’objet d’une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs – la faute étant une condition de la répression – qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/309/2016 du 12 avril 2016 consid. 5b ; ATA/972/2015 du 22 septembre 2015 consid. 2 ; ATA/785/2012 du 20 novembre 2012 ; ATA/238/2012 du 24 avril 2012 et les références citées).

b. En l’occurrence, aucun élément de fait ne permet de penser que l’état psychique du recourant au moment des faits reprochés l’ait empêché d’agir avec conscience et volonté, de sorte que celui-ci sera reconnu entièrement responsable des actes à l’origine de la sanction disciplinaire présentement litigieuse (à ce sujet et concernant le recourant lui-même, ATA/454/2016 du 31 mai 2016).

c. Aux termes de l’art. 67 RB______, la personne détenue a l’obligation de respecter les dispositions dudit règlement, les directives du directeur général de l’OCD, du directeur de B______, du personnel pénitentiaire ainsi que les instructions du personnel médico-soignant.

Conformément à l’art. 68 RB______, la personne détenue doit observer une attitude correcte à l’égard des différents personnels, des autres personnes détenues et des tiers.

Selon l’art. 69 al. 1 RB______, sont notamment interdits : b) l’insubordination et les incivilités à l’encontre des personnels de B______ ; c) les menaces dirigées contre les différents personnels de B______, les intervenants extérieurs ou des personnes codétenues et les atteintes portées à leur intégrité corporelle ou à leur honneur ; n) d’une façon générale, le fait d’adopter un comportement contraire au but de B______.

En vertu de l’art. 70 RB______, si une personne détenue enfreint le RB______ ou contrevient au plan d’exécution de la sanction pénale, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (al. 1) ; il est tenu compte de l’état de santé de la personne détenue au moment de l’infraction disciplinaire (al. 2) ; avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue ; elle peut s’exprimer oralement ou par écrit (al. 3) ; les sanctions sont : a) l’avertissement écrit ; b) la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières ; c) l’amende jusqu’à
CHF 1’000.- ; d) les arrêts pour une durée maximale de dix jours (al. 4) ; les sanctions prévues à l’al. 4 peuvent être cumulées (al. 5) ; l’exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (al. 6) ; le sursis à l’exécution peut être révoqué lorsque la personne détenue fait l’objet d’une nouvelle sanction durant le délai d’épreuve (al. 7) ; après son prononcé, la sanction peut être suspendue ou la personne détenue en être dispensée pour justes motifs ou en opportunité (al. 8) ; le directeur de B______, sous sa responsabilité, fait tenir à jour un registre des sanctions infligées (al. 9) ; les sanctions sous forme d’arrêts sont exécutées dans les cellules prévues à cet effet ; ces dernières se trouvent dans les unités, à l’exception de l’unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire (al. 10).

À teneur de l’art. 71 RB______, le directeur de B______ et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer les sanctions (al. 1) ; lorsqu’il existe un cas de récusation au sens de l’art. 15 LPA, le directeur général de l’OCD est compétent (al. 2).

d. Traditionnellement, le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 2 et 3 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/634/2016 du
26 juillet 2016 consid. 5d ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

Dans l’ATA/972/2015 du 22 septembre 2015, concernant le recourant
lui-même, celui-ci avait reconnu avoir, le 17 septembre 2014, proféré contre un gardien l’insulte « Va te faire foutre, sale fils de pute », qui avait conduit le directeur de l’établissement à prononcer la sanction de trois jours d’arrêts disciplinaires, « sans sursis ». Il n’avait en outre pas contesté avoir prononcé des menaces de mort contre un agent de détention devant une infirmière, mais tenté de se réfugier derrière le secret médical. Même si seule l’insulte susmentionnée était retenue, la sanction querellée respectait, selon la chambre administrative, le principe de la proportionnalité, dans la mesure où le comportement du recourant avait troublé l’ordre de la prison et contrevenu aux règles de la discipline carcérale de manière non négligeable, en violation notamment de l’art. 68 RB______ et des let. b, c et n de l’art. 69 al. 1 RB______ appliqués ensemble, ce à quoi s’ajoutait l’absence de regrets et de remise en question de l’intéressé. La faute de celui-ci n’était pas négligeable.

e. Le cas présent présente plusieurs similarités avec l’ATA/972/2015 précité.

L’intéressé n’a en tout état de cause pas contesté avoir, dans l’après-midi du 24 octobre 2015, dit « fils de pute » à deux agents alors qu’il lui avait été demandé à plusieurs reprises de baisser le ton, après quoi ceux-ci l’avaient conduit en cellule. L’audition de témoins de la scène n’apparaît donc pas nécessaire.

Ne sont en revanche pas établis, pas même par un début de preuve, les actes de brutalité qu’auraient commis contre le recourant ces deux agents, que ce soit le 24 août 2015 ou avant.

Le grief d’inégalité de traitement ne repose pas sur des faits établis. Rien ne permet en effet de retenir que d’autres détenus n’auraient pas été sanctionnés par le directeur de l’établissement pour des actes similaires à ceux du recourant, étant relevé que pour chaque cas, il y a lieu de tenir compte des circonstances particulières qui peuvent le cas échéant justifier des sanctions différenciées.

L’insulte – « fils de pute » – contre les agents constitue un acte inadmissible contrevenant aux règles de la discipline carcérale, notamment aux art. 68 et 69
let. b, c et n RB______, et justifiant le prononcé d’une sanction disciplinaire contre l’intéressé.

Au regard du manque de respect patent, découlant de l’insulte en cause, envers le personnel, de l’absence de regrets et de remise en question, des antécédents du recourant, ainsi que de l’arrêt cité ci-dessus relativement à un cas comparable, un arrêt d’un jour apparaît compatible avec le principe de la proportionnalité.

La décision querellée est donc conforme au droit.

6. Quant aux conclusions du recourant tendant à l’allocation d’une indemnité pour ce motif comme pour le motif de l’illégalité invoquée de la décision du
28 août 2015, outre qu’elles sont tardives pour avoir été formulées nouvellement dans la réplique, après l’acte de recours et donc en tout état de cause hors du délai légal de trente jours (ATA/972/2015 précité consid. 5 et les arrêts cités), ne sont pas de la compétence de la chambre administrative. En effet, une éventuelle indemnisation peut être fondée sur la loi sur la responsabilité de l’État et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40 ; ATA/972/2015 précité consid. 5 et les arrêts cités), pour laquelle le Tribunal de première instance est compétent (art. 7 al. 1 LREC). Partant, ces conclusions sont irrecevables.

Vu ce qui précède, le recours sera rejeté, en tant qu’il est recevable.

7. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), et aucune indemnité de procédure allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 1er septembre 2015 par M. A______ contre la décision de l’établissement de B______ du
28 août 2015 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame Chrystel Nabor, curatrice de M. A______, à l’office cantonal de la détention, à l’établissement de B______, ainsi qu’à M. A______, pour information.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :