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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/923/2015

ACST/6/2015 du 26.03.2015 ( ELEVOT ) , IRRECEVABLE

Rectification d'erreur matérielle : dispositif, page 7
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/923/2015-ELEVOT ACST/6/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 26 mars 2015

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______

et

Monsieur B______

et

Monsieur C______

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 



EN FAIT

1) Le 19 juin 2013, le Conseil d’État a saisi le Grand Conseil d’un projet de loi sur la police PL 11228, abrogeant la loi sur la police du 26 octobre 1957 (LPol - F 1 05), dont il proposait la refonte complète (ci-après : PL 11228).

2) Le 9 septembre 2014, le Grand Conseil a adopté la L 11228, comportant soixante-huit articles.

3) Par arrêté du 17 septembre 2014, le Conseil d’État a publié la nouvelle loi sur la police (ci-après : nLPol ou L 11228), qui l’a été dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 19 septembre 2014.

La nLPol était soumise au référendum facultatif. Le nombre de signatures exigé était de 3 % des titulaires des droits politiques. Le délai de référendum expirait le 29 octobre 2014.

4) Un premier référendum a été lancé contre la nLPol par le Mouvement Citoyens Genevois, selon avis paru dans la FAO du 26 septembre 2014.

5) Un second référendum a été lancé contre la nLPol par Ensemble à Gauche, selon avis paru dans la FAO du 21 octobre 2014.

6) Par arrêté du 12 novembre 2014, publié dans la FAO du 14 novembre 2014, le Conseil d’État a constaté l’aboutissement du référendum cantonal contre la nLPol.

7) Par arrêté du 19 novembre 2014, publié dans la FAO du 21 novembre 2014, le Conseil d’État a fixé au dimanche 8 mars 2015 la date de la votation cantonale sur la nLPol, représentant l’unique objet cantonal (portant le n° 1) d’un scrutin populaire portant par ailleurs sur deux objets fédéraux (non litigieux en l’espèce).

8) À une date indéterminée mais se situant au cours de la première moitié du mois de janvier 2015, un carton d'invitation tiré en quadrichromie et sur papier, sans nom d'éditeur responsable, a été diffusé à large échelle dans le canton de Genève. Au recto figurait un cliché du chef du département de la sécurité et de l'économie (ci-après : DSE), Monsieur D______, avec en-dessous le titre suivant : « Missions et activités de la police : quelle évolution de la sécurité dans votre commune avec la nouvelle loi sur la police – Votation cantonale du 8 mars 2015 ».

Au verso étaient recensées huit dates de conférences ayant lieu en différentes communes du canton entre le vendredi 16 janvier et le mardi 24 février 2015, sans indication du nom de l'orateur.

9) Le matériel de vote relatif au scrutin du 8 mars 2015 a été envoyé aux membres du corps électoral par le service des votations et élections (ci-après : SVE) dès le 9 février 2015.

10) Le 20 février 2015, la Tribune de Genève a publié en page 19, avec un appel en une, une interview de Madame E______, cheffe de la police.

11) Le même jour, soit le 20 février 2015, est paru sur le site Intranet du DSE (« IntraDSE ») un article-interview intitulé « Et si on en parlait avec…? », le sujet du jour étant plus spécifiquement : « la nouvelle loi sur la police, et si on en parlait avec D______, Conseiller d'État ? ».

12) Le dimanche 8 mars 2015 s’est déroulé le scrutin sur la nLPol.

Les résultats, annoncés le jour même, faisaient état de 55'758 votes en faveur du « oui » contre 55'716 votes en faveur du « non », soit 42 voix d'écart, de 4'631 bulletins blancs et de 55 bulletins nuls.

13) Le 9 mars 2015, après consultation avec le président de la commission électorale centrale, la chancellerie d'État a décidé de procéder à un recomptage des bulletins.

Les résultats définitifs à l'issue de cette opération faisaient état de 55'763 votes en faveur du « oui », 55'709 voix en faveur du « non », soit 54 voix d'écart, de 4'633 bulletins blancs et de 55 bulletins nuls.

14) Par arrêté du 11 mars 2015, publié dans la FAO du vendredi 13 mars 2015, le Conseil d'État a validé ce dernier résultat.

Il était également indiqué dans l'arrêté que « les recours contre la procédure des opérations électorales doivent être adressés à la chambre constitutionnelle de la Cour de justice [ci-après : la chambre constitutionnelle] dans les 6 jours qui suivent la publication des résultats dans la FAO ».

15) Par acte posté le 18 mars 2015, Madame A______ et Messieurs B______ et C______, tous trois citoyens suisses enregistrés comme électeurs dans le canton de Genève, ont interjeté recours par-devant la chambre constitutionnelle contre l'arrêté précité, concluant principalement à l'annulation du scrutin cantonal du 8 mars 2015, et subsidiairement au constat du caractère illicite des actes de campagne « mis en œuvre à l'appui de la [n]LPol et décrits dans [le] recours ».

Mme A______, représentante du parti Ensemble à gauche au sein de la commission électorale centrale, n'avait pas pu prendre part aux travaux de celle-ci concernant le scrutin du 8 mars 2015, et avait pris connaissance des résultats de celui-ci par la FAO du 13 mars 2015. Elle était en effet absente de Genève du 20 février au 13 mars 2015.

Le recours devait être considéré comme recevable tant au plan de la qualité pour agir des recourants qu'en ce qui concernait « le délai de son dépôt conforme aux dispositions légales en la matière ».

Le « tous ménages » du mois de janvier 2015, l'interview de la cheffe de la police dans la Tribune de Genève du 20 février et celle du chef du DSE dans l'« IntraDSE » du même jour constituaient des interventions abusives des autorités publiques dans la campagne électorales. En l'espèce, l'issue du scrutin avait pu être influencée par ces trois éléments, eu égard tant à l'importance des règles en jeu que du résultat très serré du scrutin.

16) Sur ce, le recours a été transmis au Conseil d'État pour information et la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) a. Selon l'art. 124 de la Constitution de la République et canton de Genève, du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), la Cour constitutionnelle - à savoir la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (art. 1 let. h ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05) - a pour compétence notamment de traiter les litiges relatifs à l'exercice des droits politiques en matière cantonale et communale (let. b). Lors de la mise en œuvre de cette disposition constitutionnelle, par le biais de la loi 11311 du 11 avril 2014, le législateur cantonal a, pour ces litiges, transféré à la chambre constitutionnelle (art. 180 de la loi sur l'exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982 - LEDP - A 5 05) la compétence qu'avait jusqu'alors la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) de connaître des recours ouverts « contre les violations de la procédure des opérations électorales indépendamment de l’existence d’une décision » (art. 180 aLEDP).

Comme le Tribunal administratif puis la chambre administrative l’ont jugé à maintes reprises, entre dans le cadre des opérations électorales tout acte destiné aux électeurs de nature à influencer la libre formation du droit de vote telle qu’elle est garantie par les art. 34 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 44 Cst-GE ; le matériel de vote en général et la brochure explicative en particulier en font partie, de même que des circulaires et tracts (ACST/5/2015 du 4 mars 2015 consid. 1a ; ATA/715/2012 du 30 octobre 2012 consid. 1 ; ATA/331/2012 du 5 juin 2012 ; ATA/180/2011 du 17 mars 2011 ; ATA/51/2011 du 1er février 2011 consid. 1 ; ATA/118/2010 du 23 février 2010 consid. 1 ; ATA/58/2009 du 3 février 2009 consid. 1 ; ATA/583/2008 du 18 novembre 2008 consid. 1).

b. La chambre de céans est donc compétente pour traiter du présent recours.

2) En matière de droits politiques, la qualité pour recourir appartient à toute personne disposant du droit de vote dans l'affaire en cause, indépendamment d'un intérêt juridique ou digne de protection à l'annulation de l'acte attaqué (art. 89 al. 3 et 111 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110 ; ATF 138 I 171 consid. 1.3 ; 134 I 172 consid. 1.2 ; 128 I 190 consid. 1.1 ; ACST/5/2015 du 4 mars 2015 consid. 2 ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3).

Domiciliés dans le canton de Genève, où ils sont titulaires des droits politiques, les recourants ont qualité pour recourir.

3) a. Les délais de réclamation et de recours fixés par la loi sont des dispositions impératives de droit public. Ils ne sont, en principe, pas susceptibles d’être prolongés (art. 16 al. 1 1ère phrase LPA), restitués ou suspendus, si ce n’est par le législateur lui-même. Ainsi, celui qui n’agit pas dans le délai prescrit est forclos et la décision en cause acquiert force obligatoire (ATA/244/2015 du 3 mars 2015 consid. 8 ; ATA/143/2015 du 3 février 2015 et les arrêts cités).

b. Les cas de force majeure restent réservés (art. 16 al. 1 2ème phrase LPA). Tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d’activité de l’intéressé et qui s’imposent à lui de l’extérieur de façon irrésistible (ATA/244/2015 et ATA/143/2015 précités ; ATA/280/2012 du 8 mai 2012 ; ATA/105/2012 du 21 février 2012 ; ATA/586/2010 du 31 août 2010 et les références citées).

4) Sur le plan cantonal, le délai de recours en matière de votations et d’élections est de six jours (art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 05), à compter du jour où, en faisant montre à cet égard de la diligence commandée par les circonstances, le recourant a pris connaissance de l’irrégularité entachant selon lui les opérations électorales (ACST/5/2015 précité consid. 3).

Selon la jurisprudence constante, en matière d'élections et de votations, le citoyen qui veut s'en prendre aux dispositions de l'autorité fixant les modalités du vote doit en principe former son recours immédiatement, sans attendre le résultat du scrutin ; s'il omet de le faire alors qu'il en a la possibilité, il s'expose aux risques de la péremption de son droit de recourir. Dans de tels cas, le délai commence à courir au moment où l'intéressé a connaissance de l'acte préparatoire qu'il critique. Il serait contraire au principe de la bonne foi et à celui de l'économie de procédure démocratique que le recourant attende le résultat du vote pour attaquer les actes antérieurs dont il pourrait, encore avant le vote, faire corriger l'irrégularité alléguée (ATA/201/2013 du 26 mars 2013 consid. 5). Si le délai de recours contre l'acte préparatoire n'est pas encore échu au moment du vote, le citoyen peut encore déposer son recours après le vote, mais avant l'expiration du délai (ATF 118 Ia 415 = JdT 1994 I 20). Le Tribunal administratif avait ainsi déclaré irrecevable un recours dirigé par un citoyen contre un arrêté du Conseil d’État constatant les résultats d’une votation parce que tous ses griefs étaient dirigés contre l’organisation du scrutin et le principe même de la consultation municipale (ATA/680/2000 du 7 novembre 2000, confirmé par un arrêt du Tribunal fédéral 1P.733/2000 du 14 mai 2001 ; dans le même sens, ATA/456/2011 du 26 juillet 2011 ; ATA/303/2011 du 17 mai 2011).

5) En l'espèce, les recours ont été interjetés après la votation et dans le délai de six jours suivant la validation des résultats par le Conseil d'État. Toutefois, les griefs invoqués par les recourants ne portent pas sur le déroulement du vote durant la journée du 8 mars 2015 ou sur la façon dont les votes ont été décomptés. Ils se rapportent à des irrégularités intervenues antérieurement, pendant la campagne de votation. En tant qu’ils sont dirigés contre l’arrêté du Conseil d’État du 11 mars 2015 – dont les recourants ne réclament au demeurant pas l'annulation –, ces griefs sont irrecevables. Il s’agit donc de déterminer si ces recours respectent le délai de l’art. 62 al. 1 let.c LPA au regard des exigences jurisprudentielles précitées.

6) Le carton d'invitation critiqué par les recourants a été largement diffusé (les recourants eux-mêmes le qualifiant de « tous ménages »), et ce nécessairement avant la date de la première conférence, qui avait lieu le 16 janvier 2015.

Quant aux interviews de la cheffe de la police et du chef du DSE, elles ont été publiées le 20 février 2015.

Pour que le délai de recours de six jours soit respecté, il aurait fallu que les recourants n'aient connaissance de ces trois éléments que le jeudi 12 mars 2015 ou postérieurement, ce qu'ils n'allèguent – et a fortiori ne démontrent – nullement. À cet égard, le fait que Mme A______ ait été absente de Genève – fait du reste allégué mais aucunement étayé – du 20 février au 13 mars 2015 ne permet pas de déduire qu'elle n'aurait eu pendant ce temps aucune connaissance du déroulement de la campagne, et en particulier des interviews du 20 février 2015.

Les recourants n'allèguent pas davantage un quelconque cas de force majeure qui les aurait empêchés de recourir dans les délais.

7) Le recours est dès lors manifestement irrecevable, ce que la chambre de céans constatera sans autre acte d'instruction, conformément à l'art. 72 LPA.

8) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge conjointe et solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

déclare irrecevable le recours de Madame A______ et de Messieurs B______ et C______ interjeté le 18 mars 2015 contre l'arrêté du Conseil d'État du 11 mars 2015 constatant les résultats de la votation cantonale du 8 mars 2015 ;

met à la charge de Madame A______ et de Messieurs B______ et C______, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ et à Messieurs B______ et C______, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Cramer, M. Dumartheray, MM. Pagan et Martin, juges

Au nom de la chambre constitutionnelle :

La greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

Le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :