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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/520/2015

ACST/5/2015 du 05.03.2015 ( ELEVOT ) , REJETE

Recours TF déposé le 09.03.2015, rendu le 20.01.2016, REJETE, 1C_130/2015
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/520/2015-ELEVOT ACST/5/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 4 mars 2015

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

CONSEIL D'ÉTAT


EN FAIT

1.                                Le 14 novembre 2012, tout en annonçant qu’il présenterait ultérieurement un projet de révision totale de la loi sur la police, du 26 octobre 1957 (ci-après : LPol – F 1 05), le Conseil d’État de la République et canton de Genève (ci-après : le Conseil d’État) a saisi le Grand Conseil d’un projet de loi (PL 11056) « modifiant la loi sur la police du 26 octobre 1957 (LPol) (F 1 05) (Mesures préalables) », introduisant dans la LPol les articles nouveaux 21A, 21B et 22, intitulés respectivement « Observation préventive », « Recherches préventives secrètes » et « Enquête sous couverture » (ci-après : PL 11056).

2. Le 21 février 2013, le Grand Conseil a adopté la loi L 11056 dans sa teneur issue des travaux de la commission parlementaire chargée de l’étudier, nonobstant les doutes émis par une minorité quant à la compatibilité desdites mesures avec le droit fédéral.

3. À l’issue du délai référendaire, le Conseil d’État a promulgué la L 11056 par arrêté du 17 avril 2013, publié dans la Feuille d’avis officielle du canton de Genève (ci-après : FAO) du 19 avril 2013, avec le texte de la L 11056.

4. Par acte du 21 mai 2013, le Parti socialiste genevois, Les Verts genevois et quatre citoyens genevois ont formé auprès du Tribunal fédéral un recours en matière de droit public contre ces art. 21A, 21B et 22 LPol.

5. Le 19 juin 2013, le Conseil d’État a saisi le Grand Conseil d’un projet de loi sur la police PL 11228, abrogeant la LPol, dont il proposait la refonte complète (ci-après : PL 11228).

Le PL 11228 reprenait quasi textuellement, à ses articles 52 à 54, les articles 21A, 21B et 22 LPol adoptés le 21 février 2013 mais attaqués au Tribunal fédéral.

6. Au cours des travaux parlementaires, tant en commission qu’en séance plénière, une majorité de députés a rejeté les propositions de députés des partis précités de biffer les trois articles en question en considération du recours encore pendant contre la L 11056. Elle a indiqué que si le Tribunal fédéral annulait ces dispositions, l’État n’aurait pas d’autre choix que de modifier la loi. Le Grand Conseil a en revanche accepté l’amendement suivant, présenté à titre subsidiaire par ladite minorité :

2 Compte tenu du recours (1C_518/2013) actuellement pendant contre les articles 21A, 21B et 22 de la loi sur la police du 26 octobre 1957, les articles 56 à 58, s'ils sont frappés de recours, n'entreront en vigueur qu'après vérification de leur constitutionnalité par l'autorité judiciaire compétente. Pendant toute la durée de l'éventuelle procédure de recours contre les articles 56 à 58, les articles 21A, 21B et 22 de la loi sur la police du 26 octobre 1957 resteront applicables, dans la mesure de leur constitutionnalité, y compris au-delà de l'entrée en vigueur de la présente loi.

Le 9 septembre 2014, le Grand Conseil a adopté la L 11228, comportant 68 articles, dont les trois dispositions sur les mesures d’investigations secrètes préventives précitées (devenues les art. 56 à 58 nLPol, ne divergeant des art. 21A, 21B et 22 LPol alors encore contestés devant le Tribunal fédéral que sur l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour les enquêtes sous couverture) ainsi que la disposition transitoire précitée (devenue l’art. 67 al. 2 nLPol).

7. Par arrêté du 17 septembre 2014, le Conseil d’État a publié la nouvelle loi sur la police (ci-après : nLPol ou L 11228), qui l’a été dans la FAO du 19 septembre 2014.

La nLPol était soumise au référendum facultatif. Le nombre de signatures exigé était de 3 % des titulaires des droits politiques. Le délai de référendum expirait le 29 octobre 2014.

8. Un premier référendum a été lancé contre la nLPol par le Mouvement Citoyens Genevois, selon avis paru dans la FAO du 26 septembre 2014.

9. Par arrêt du 1er octobre 2014, le Tribunal fédéral a admis le recours du Parti socialiste genevois, des Verts genevois et de quatre citoyens genevois contre les art. 21A al. 2, 21B et 22 LPol et a annulé ces trois dispositions (arrêt 1C_518/2013), publié depuis au recueil officiel - ATF 140 I 381).

Un communiqué de presse a été diffusé le 1er octobre 2014 par le Tribunal fédéral, et la presse s’est fait l’écho de cet arrêt.

10. Un second référendum a été lancé contre la nLPol par Ensemble à Gauche, selon avis paru dans la FAO du 21 octobre 2014.

11. Par arrêté du 12 novembre 2014, publié dans la FAO du 14 novembre 2014, le Conseil d’État a constaté l’aboutissement du référendum cantonal contre la nLPol.

12. Par arrêté du 19 novembre 2014, publié dans la FAO du 21 novembre 2014, le Conseil d’État a fixé au dimanche 8 mars 2015 la date de la votation cantonale sur la nLPol, représentant l’unique objet cantonal (portant le n° 1) d’un scrutin populaire portant par ailleurs sur deux objets fédéraux (non litigieux en l’espèce).

13. Les considérants de l’arrêt précité du Tribunal fédéral du 1er octobre 2014 dans la cause 1C_518/2013 ont été reçus par le Grand Conseil le 11 décembre 2014.

Les dispositions attaquées ne comportaient, pour les trois mesures considérées, ni une communication a posteriori aux personnes visées des motifs, du mode et de la durée des mesures mises le cas échéant en œuvre, ni un droit de recours. En outre, elles ne prévoyaient pas une autorisation par le Ministère public ou un juge pour les recherches préventives secrètes dépassant une durée de trente jours. Et elles ne subordonnaient pas l’enquête sous couverture à une autorisation judiciaire préalable.

14. Le matériel de vote relatif au scrutin du 8 mars 2015 a été envoyé aux membres du corps électoral par le service des votations et élections (ci-après : SVE) dès le 9 février 2015. Il comprend notamment une brochure explicative, établie par le Conseil d’État, relative à l’objet cantonal n° 1 précité.

La brochure explicative comporte notamment une « Synthèse brève et neutre » (page 5), le texte intégral de la L 11228 (pages 6 à 28), un « Commentaire des autorités » (pages 29 à 31), articulé autour de thèmes brièvement exposés, se poursuivant par le point de vue de la minorité du Grand Conseil, exposant le point de vue du Conseil d’État et comprenant l’invitation du Grand Conseil et du Conseil d’État à voter OUI le 8 mars 2015. Quatre pages (pages 32 à 35) sont ensuite consacrées au « Commentaire des comités référendaires », à savoir celui du Mouvement Citoyens Genevois (2½ pages) et celui de Ensemble à Gauche (1½ pages). À la « Recommandation de vote du Grand Conseil » (page 36) suivent les « Prises de position – Recommandations des partis politiques, autres associations ou groupements » (pages 40 et 41).

15. La Tribune de Genève du 12 février 2015 s’est fait l’écho du mécontentement que suscitait dans les milieux de gauche et du Mouvement Citoyens Genevois le fait que le Conseil d’État n’avait pas fait mention dans la brochure explicative de l’arrêt précité du Tribunal fédéral, annulant les art. 21A al. 2, 21B et 22 LPol repris quasiment textuellement dans la nLPol. Des allusions à cet arrêt ne figuraient que dans le « Commentaire des comités référendaires ».

16. Par acte du 16 février 2015, Monsieur A______ (ci-après : le recourant), citoyen genevois, titulaire des droits politiques dans le canton de Genève, a recouru à la chambre constitutionnelle de la Cour de justice contre l’objet n° 1 de la votation cantonale du 8 mars 2015 portant sur la loi sur la police (F 1 05 – 11228), du 9 septembre 2014, concluant à l’annulation de la votation du 8 mars 2015 en tant qu’elle portait sur cet objet et à la fixation d’une nouvelle date pour un nouveau scrutin.

Le recourant avait appris par l’article précité de la Tribune de Genève qu’un manque d’information planait au sujet des art. 56 à 58 nLPol, mais qu’il lui avait fallu retrouver et lire l’arrêt du Tribunal fédéral pour mieux mesurer l’importance du manque d’information officielle donnée aux citoyens. Ces derniers étaient en effet appelés à se prononcer sur des dispositions non conformes au droit supérieur sans que l’explication officielle ne le dise.

Le recourant avait par ailleurs découvert, en épluchant chaque article de la nLPol, que la brochure explicative ne comportait pas non plus d’information à propos de :

-       l’art. 38 al. 3 nLPol, prévoyant qu’à la fin d’une enquête administrative contre un membre du personnel, « les résultats de celle-ci et la sanction envisagée sont communiqués à l’intéressé » : les citoyens n’étaient pas informés qu’une enquête se solderait automatiquement par une sanction ;

-       l’art. 39 al. 3 phr. 2 nLPol, prévoyant qu’une « décision de révocation avec effet immédiat peut agir rétroactivement au jour de l’ouverture de l’enquête administrative » : les citoyens n’étaient informés ni pourquoi il pourrait être dérogé « au principe de la non-rétroactivité des lois », ni quelle serait la durée maximale possible de la rétroactivité de la révocation ;

-       l’art. 51 nLPol, prévoyant qu’une personne causant du scandale sur la voie publique sous l’emprise d’une autre substance psychotrope que l’alcool « peut être placée dans les locaux de la police (…) pour une brève durée » : les citoyens n’étaient informés ni que celle-ci serait de trois heures selon la pratique indiquée en page 40 du rapport de majorité sur le PL 11228, ni comment la police pourrait savoir qu’une personne est sous l’emprise d’une drogue (alors que, pour l’alcool, on peut utiliser un éthylomètre) ;

-       l’art. 59 al. 1 nLPol, prévoyant que la police facture à un administré les frais d’une intervention que celui-ci aurait justifiée « par un comportement contraire au droit » (al. 1), et qu’elle pourrait le faire pour une intervention résultant « d’une demande particulière » (al. 2) : les citoyens n’étaient informés ni de la base légale sous-entendue exister pour facturer de tels frais, ni de ce qu’étaient un comportement contraire au droit et une demande particulière ;

-       l’art. 61 nLPol, prévoyant que les postes de police « sont équipés de caméras » : les citoyens n’étaient pas informés que cette disposition permettrait de faire filmer les auditions des personnes interrogées par la police, ni que ces dernières ne se verraient pas remettre automatiquement une copie de la vidéo dans le cadre d’une arrestation par exemple, mais seulement sur requête, ce qu’elles ne sauraient pas forcément ; cela occasionnerait une perte de temps préjudiciable à la défense de leurs intérêts notamment pour s’opposer à une mise en détention provisoire, impliquerait un coût supplémentaire pour le justiciable (dont l’avocat serait amené à demander la remise d’une copie de l’audition filmée) et violerait le principe de l’égalité des armes.

Le vote d’une loi ne devait plus se pratiquer tant qu’était pendant au Tribunal fédéral un recours pouvant avoir une influence sur la conformité au droit d’une loi soumise à une votation. Mieux valait que les lacunes exposées soient corrigées « afin que Genève puisse se prononcer sur un projet de loi conforme au droit supérieur et aux droits de la défense ».

Le recourant a demandé à bénéficier de l’assistance juridique limitée à la dispense des frais judiciaires.

17. Par courrier prioritaire du 17 février 2015, la chambre constitutionnelle a indiqué au recourant renoncer dans l’immédiat à lui demander une avance de frais, à charge pour lui de solliciter l’assistance juridique et de lui en apporter la preuve jusqu’au 27 février 2015.

Par courrier recommandé et télécopié du même jour, elle a imparti au Conseil d’État un délai au mardi 24 février 2015 à 15h00 pour lui faire parvenir sa détermination sur le recours.

Par courrier recommandé et prioritaire du 20 février 2015, la chambre constitutionnelle a avisé le recourant qu’il disposerait d’un délai au vendredi 27 février 2015 à 14h30 pour déposer au greffe de ladite chambre ses observations dans l’exercice éventuel de son droit à la réplique, étant précisé que l’écriture du Conseil d’État lui serait envoyée par pli recommandé et prioritaire du 24 février 2015 mais aussi mise à sa disposition auprès du greffe de la chambre constitutionnelle le mardi 24 février 2015 entre 16h00 et 16h45.

18. Le département de la sécurité et de l’économie a fait paraître dans la FAO du 20 février 2015 un avis selon lequel le Tribunal fédéral, par arrêt du 1er octobre 2014 (1C_518/2013), a annulé les art. 21A al. 2, 21B et 22 LPol.

19. Le 24 février 2015, le Conseil d’État s’est déterminé sur le recours de M. A______ contre la votation cantonale du 8 mars 2015.

À la forme, il a conclu à l’irrecevabilité du recours en tant qu’il concerne les art. 38, 39, 51, 59 et 61 nLPol et s’en est rapporté à justice pour le surplus. Au fond, il a conclu au rejet du recours.

Les art. 56 à 58 nLPol différaient sur quelques points des art. 21A à 22 LPol annulés par le Tribunal fédéral, dont l’arrêt n’avait pas de portée directe sur lesdites dispositions de la nLPol. Le texte de la L 11228 figurait intégralement dans la brochure explicative. Le Conseil d’État n’avait pas la compétence d’en supprimer les dispositions considérées, qui faisaient partie intégrante de la nLPol telle qu’elle avait donné lieu à référendum. L’art. 67 al. 2 nLPol mentionnait l’existence du recours interjeté contre les art. 21A, 21B et 22 LPol, avec la précision du numéro de la cause considérée (1C_518/2013), permettant à tout citoyen de trouver l’arrêt y relatif sur Internet. Une explication de cet arrêt du Tribunal fédéral dans la brochure explicative aurait constitué une complication inutile et disproportionnée, sur une question sans réel enjeu, alors que le vote référendaire devait porter sur le texte de la nLPol tel qu’adopté par le Grand Conseil et qu’en cas d’acceptation de la L 11228 le 8 mars 2015, la nLPol devrait être adaptée de façon à tenir compte des considérants de cet arrêt, par le biais d’un projet de loi. Les mesures préventives prévues par les art. 56 à 58 nLPol ne représentaient pas un point central de la L 11228, constituée de 67 articles et modifiant le contenu de huit autres lois. L’objet essentiel de la nLPol était la réforme de la structure de la police. La brochure explicative n’était pas la seule source d’informations pour les citoyens ; en plus du texte même de la L 11228, les commentaires des comités référendaires mentionnaient les critiques du Tribunal fédéral contre certaines des dispositions sur les mesures préventives ; des articles de presse avaient paru à ce propos, comportant l’intention du département de la sécurité de proposer un projet de loi pour ajuster les dispositions considérées aux considérants de l’arrêt du Tribunal fédéral.

Concernant les art. 38, 39, 51, 59 et 61 nLPol, le recourant en contestait le contenu, prématurément, puisque la L 11228 n’a pas été adoptée définitivement ni dès lors été promulguée. En tout état, ces dispositions portaient sur des points secondaires et n’étaient pas nouveaux. Elles n’appelaient pas de commentaires spécifiques dans la brochure explicative, sous réserve de la vidéosurveillance dans les postes de police (art. 61 nLPol), qui était expliquée dans la mesure utile dans la brochure explicative par l’indication qu’elle assurerait une meilleure sécurité des usagers et des policiers. Le recourant interprétait à sa façon les art. 38 et 39 nLPol relatifs à la sanction qu’impliquait une enquête administrative et le caractère rétroactif d’une décision de révocation, et mettait sans raison en exergue ces deux dispositions parmi les art. 35 à 40 nLPol formant la section 5 « Citation et sanctions disciplinaires » du chapitre II « Statut » de la L 11228. L’art. 51 nLPol sur les motifs et la durée d’une rétention policière était assez clair par lui-même ; il était proche de l’art. 21 LPol et pourrait être précisé par voie réglementaire. L’art. 59 nLPol prévoyait la facturation des frais d’intervention de la police en des termes suffisamment clairs, qui seraient complétés par des dispositions réglementaires, comme l’art. 54 al. 1 LPol et le règlement sur les émoluments et frais des services de police du 15 décembre 1982 (F 1 05.15), ainsi que par un projet de loi concernant la facturation des frais de sécurité lors de manifestations, en cours d’examen devant le Grand Conseil (PL 11263).

20. Par réplique du 26 février 2015, le recourant a complété les conclusions de son recours (confirmées en tant qu’elles tendaient à l’annulation de la votation cantonale du 8 mars 2015 sur la nLPol), en demandant à la chambre constitutionnelle d’interdire définitivement toute votation sur la nLPol, afin que les citoyens ne soient pas appelés à voter à nouveau sur des articles inconstitutionnels.

Son recours contre la votation cantonale du 8 mars 2015 portant sur la nLPol ne s’en prenait pas au contenu de ladite loi s’agissant des art. 38 al. 3, 39 al. 3, 51, 59 al. 1 et 2 et 61 nLPol. Le Conseil d’État lui prêtait des intentions qu’il n’éprouvait pas ni n’avait écrites dans son recours. Il ne critiquait qu’un manque d’information à propos de ces dispositions.

S’agissant des art. 56 à 58 nLPol, eu égard à l’ampleur et la structure de la nLPol, l’argument qu’ils constitueraient un point marginal de ladite loi était un argument « passe-partout » qui serait opposable à toute disposition de ladite loi, mais qu’on ne pouvait retenir, la question étant purement subjective de savoir si une disposition d’une loi soumise à référendum était centrale ou marginale. Les citoyens étaient appelés à se prononcer non sur tel ou tel point de la nLPol (comme la réorganisation de la police), mais sur toute la nLPol.

Les art. 56 à 58 nLPol soumis au vote populaire étaient très similaires aux art. 21A, 21B et 22 que la L 11056 avait entendu introduire dans la LPol. N’en différait, sous réserve de modifications de pure forme sans importance, que l’attribution au commandant (plutôt qu’au chef de la police) et au Tribunal administratif de première instance (plutôt qu’au chef du département) respectivement de la décision de doter un agent infiltré d’une identité d’emprunt et de la compétence d’autoriser la mise en œuvre d’une enquête sous couverture.

La disposition transitoire insérée à l’art. 67 al. 2 nLPol ne disait pas ce qui se passerait, en cas d’acceptation de la nLPol en votation référendaire, pour le cas où ni les partis en ayant annoncé l’intention ni un citoyen ne formeraient de recours à la chambre constitutionnelle contre les art. 56 à 58 nLPol. Ces dispositions risqueraient d’entrer en vigueur, alors qu’il serait inadmissible que des dispositions à l’inconstitutionnalité connue soient appliquées, étant souligné que l’inconstitutionnalité résidait notamment dans l’absence de communication a posteriori aux personnes visées que des mesures secrètes ont été mises en œuvre à leur encontre. Or, les citoyens n’en étaient pas informés par la brochure explicative. La publication dans la FAO du 20 février 2015 de l’annulation des art. 21A al. 2, 21B et 22 LPol par arrêt du Tribunal fédéral du 1er octobre 2014 ne remédiait aucunement au manque d’information affectant la brochure explicative. On plaçait le citoyen dans une situation d’incertitude, en le forçant à accepter trois articles ne respectant pas le droit supérieur et en lui disant qu’il suffirait qu’il y ait recours contre ces dispositions en cas d’acceptation de la nLPol ou qu’un projet de loi modifiant lesdites dispositions soit déposé. Cela était contraire à la garantie des droits politiques.

Il était trop facile de qualifier des arguments de trop complexes pour se dispenser d’informer à leur sujet. La possibilité de trouver l’arrêt considéré du Tribunal fédéral sur Internet ne remédiait pas au manque d’information officielle ; le Tribunal fédéral avait lui-même jugé insuffisant que les textes de lois soumises à votation populaire soient à disposition sur le site Internet de l’État.

Contrairement au Conseil fédéral, qui avait coutume de faire des déclarations sur les ondes et à la télévision avant des scrutins fédéraux, en plus de l’envoi de ses explications relatives aux votations fédérales, le Conseil d’État n’avait rien entrepris pour apporter une information complémentaire sur le sujet considéré de la nLPol, quand bien même la brochure explicative, même avec sa partie rédigée par les comités référendaires, était lacunaire sur les mesures préalables.

Le vice affectant la brochure explicative n’était apparu que dès le 9 ou le 12 février 2015. Le débat sur cette question ne pouvait être anticipé.

Le fait que le Conseil d’État ne pouvait modifier le texte soumis à votation référendaire ne l’empêchait pas d’informer. Le gouvernement lui-même ne respectait pas le principe de la séparation des pouvoirs, derrière lequel il prétendait s’abriter, puisqu’il ne tenait pas compte de l’arrêt du Tribunal fédéral. Il n’offrait aucune garantie crédible que les art. 56 à 58 nLPol ne seraient pas appliqués si la nLPol était acceptée, le « coup » de les appliquer ayant même été préparé minutieusement à l’avance.

21. Le matin du 27 février 2015, le recourant a apporté au greffe de la chambre constitutionnelle un courrier corrigeant une erreur de plume contenue dans sa réplique et ajoutant la référence à un arrêt du Tribunal fédéral disant qu’il est essentiel que la publication opérée permette aux citoyens de prendre connaissance de la loi et d’en comprendre la portée et le contenu.

Il a également remis au greffe de la chambre constitutionnelle une pièce attestant du dépôt de sa demande d’assistance juridique.

22. Le 27 février 2015, la chambre constitutionnelle a transmis cette réplique et cette écriture complémentaire au Conseil d’État, pour information, et elle a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. a. Selon l'art. 124 de la Constitution de la République et canton de Genève, du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), la Cour constitutionnelle - à savoir la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (art. 1 let. h ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05) - a pour compétence notamment de traiter les litiges relatifs à l'exercice des droits politiques en matière cantonale et communale (let. b). Lors de la mise en œuvre de cette disposition constitutionnelle, par le biais de la loi 11311 du 11 avril 2014, le législateur cantonal a, pour ces litiges, transféré à la chambre constitutionnelle (art. 180 de la loi sur l'exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982 - LEDP - A 5 05) la compétence qu'avait jusqu'alors la chambre administrative de la Cour de justice de connaître des recours ouverts « contre les violations de la procédure des opérations électorales indépendamment de l’existence d’une décision » (art. 180 aLEDP).

Comme le Tribunal administratif puis la chambre administrative l’ont jugé à maintes reprises, entre dans le cadre des opérations électorales tout acte destiné aux électeurs de nature à influencer la libre formation du droit de vote telle qu’elle est garantie par les art. 34 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 44 Cst-GE ; le matériel de vote en général et la brochure explicative en particulier en font partie, de même que des circulaires et tracts (ATA/715/2012 du 30 octobre 2012 consid. 1 ; ATA/331/2012 du 5 juin 2012 ; ATA/180/2011 du 17 mars 2011 ; ATA/180/2011 du 17 mars 2011 ; ATA/51/2011 du 1er février 2011 consid. 1 ; ATA/118/2010 du 23 février 2010 consid. 1 ; ATA/58/2009 du 3 février 2009 consid. 1 ; ATA/583/2008 du 18 novembre 2008 consid. 1).

b. La chambre constitutionnelle est matériellement compétente pour statuer sur le présent recours, dans la mesure où le recourant fait valoir que la brochure explicative portant sur la votation cantonale du 8 mars 2015 ne contient pas les informations nécessaires à propos de plusieurs dispositions de la nLPol en constituant l’unique objet. C’est bien le grief de violation de la procédure des opérations électorales qu’il soulève, concernant non seulement les art. 56 à 58 nLPol sur les mesures d’investigations secrètes, mais aussi les art. 38 al. 3 et 39 al. 3 sur les enquêtes administratives contre des policiers, 51 sur la rétention policière dans les locaux de la police, 59 al. 1 et 2 sur la facturation de frais d’intervention et 61 sur la vidéosurveillance dans les postes de police. Si, pour ce faire, il évoque le contenu de ces dispositions et se fonde sur la compréhension personnelle qu’il en a, il ne saisit pas pour autant la chambre constitutionnelle d’une requête en contrôle de conformité de ces dispositions au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE ; art. 130B al. 1 let. a LOJ), contrairement à ce qu’estime l’autorité intimée pour conclure à l’irrecevabilité partielle du recours.

2.                                En matière de droits politiques, la qualité pour recourir appartient à toute personne disposant du droit de vote dans l'affaire en cause, indépendamment d'un intérêt juridique ou digne de protection à l'annulation de l'acte attaqué (art. 89 al. 3 et 111 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110 ; ATF 138 I 171 consid. 1.3 ; 134 I 172 consid. 1.2 ; 128 I 190 consid. 1.1 ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3).

Domicilié dans le canton de Genève, où il est titulaire des droits politiques, le recourant a qualité pour recourir.

3.                                Sur le plan cantonal, le délai de recours en matière de votations et d’élections est de six jours (art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 05), à compter du jour où, en faisant montre à cet égard de la diligence commandée par les circonstances, le recourant a pris connaissance de l’irrégularité entachant selon lui les opérations électorales.

Le manque d’information affectant selon le recourant la brochure explicative sur les points qu’il soulève ne pouvait se constater d’emblée en parcourant ladite brochure, du moins pour une personne qui - comme lui - n’était pas censée avoir suivi les travaux législatifs et la chronique judiciaire relatifs à la L 11056 et à la L 11228. Peu importe dès lors que la date exacte à laquelle le recourant a reçu le matériel de vote soit inconnue, mais possiblement déjà celle du 9 février 2015. Il doit être retenu que c’est par l’article paru dans la Tribune de Genève du 12 février 2015 qu’il a, au plus tôt, pris connaissance de ce prétendu manque d’information (ATA/201/2013 du 26 mars 2013 consid. 6). Il a donc agi en temps utile en déposant son recours le 16 février 2015.

4.                                Le présent recours satisfait aux exigences de forme et de contenu prescrites par les art. 64 al. 1 et 65 LPA.

Les conclusions d’un recours doivent être contenues dans l’acte de recours, sous peine d’irrecevabilité (art. 65 al. 1 LPA). La conclusion complémentaire que le recourant a présentée dans sa réplique, en demandant que la chambre constitutionnelle interdise définitivement toute votation sur le « projet de loi sur la police (LPol) (F 1 05 - 11228), du 9 septembre 2014 », est donc irrecevable. Elle est en tout état manifestement mal fondée, et pourrait donc, à titre subsidiaire, être écartée sans instruction préalable (art. 72 LPA), tant il est évident que si la votation cantonale du 8 mars 2015 sur la nLPol était annulée par la chambre constitutionnelle en raison d’une information officielle lacunaire, un nouveau scrutin devrait être fixé par le Conseil d’État, sur le même texte de loi. Vu l’issue du recours, cette conclusion complémentaire est de toute façon sans objet.

5.                                Le présent recours est donc recevable, à l’exception de la conclusion complémentaire contenue dans la réplique.

6. a. La liberté de vote est garantie par l’art. 34 al. 2 Cst. et l’art. 44 Cst-GE.

Elle postule que les procédures électorales soient menées de manière à garantir la libre formation de la volonté des électeurs, condition pour que le résultat d’une votation ou d’une élection soit l’expression fidèle et sûre d’une volonté librement exprimée par le corps électoral (ATF 131 I 126 consid. 5.1 ; 130 I 290 consid. 3 ; 121 I 252 consid. 2 et les références citées ; ATA/181/2011 du 17 mars 2011 consid. 5 ; ATA/163/2009 du 31 mars 2009 consid. 9 et 10).

Selon la doctrine, la liberté de vote se décompose en plusieurs maximes, au nombre desquelles figure l’intervention de l’autorité dans les campagnes référendaires et électorales (Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse vol. I, 3ème éd., 2013, n. 925 ss). D’après ces auteurs, de la liberté de vote se déduit pour l’État une obligation d’informer, une faculté de prendre position et une interdiction de fausser le résultat du scrutin. Dans les campagnes précédant une votation ou une élection, résume Pascal MAHON (Droit constitutionnel, vol. I, 3ème éd., 2014, n. 151), les diverses règles résultant de la liberté de vote imposent aux autorités un devoir à la fois d’exactitude et de réserve, à savoir un devoir d’informer le corps électoral au sujet du vote ou de l’élection mais aussi, de façon très stricte en matière d’élections, un devoir de s’abstenir de toute intervention illicite.

L’autorité doit fournir au corps électoral toutes les informations dont il a besoin pour voter et élire en connaissance de cause. Cela implique qu’elle lui fasse parvenir à temps le matériel de vote, comprenant un rapport explicatif sur la question posée. L’autorité doit y expliquer l’objet et les enjeux du vote de façon objective, mais pas nécessairement neutre (en ce sens qu’elle peut exprimer son opinion) ; elle n’a pas à y exposer tous les détails de la mesure soumise au vote, ni à répondre à toutes les objections que celle-ci peut soulever. Il lui faut cependant fournir des explications complètes et objectives, indiquer les avantages et les inconvénients de la mesure et mentionner l’avis de ceux qui ne défendent pas son point de vue. L’autorité a la possibilité d’assumer un rôle plus actif dans la campagne référendaire, en adressant une recommandation de vote et au besoin en répondant à des prises de position unilatérales de groupes de pression s’il s’avère nécessaire de rétablir une certaine objectivité du débat politique. L’intervention de l’État doit être objective (en particulier ne pas omettre des éléments importants), transparente et proportionnée. Si l’intervention de l’autorité ne respecte pas ces exigences, elle porte atteinte au droit de vote et est illicite. L’autorité doit s’abstenir de donner au corps électoral des informations susceptibles d’exercer une influence illicite sur le résultat du scrutin, notamment par le biais de messages explicatifs donnant une image subjective ou inexacte du but et de la portée de ce dernier (Stéphane GRODECKI, L’initiative populaire cantonale et municipale à Genève, 2008, p. 369 n. 1323 ; Étienne GRISEL, Initiative et référendum populaires, 3ème éd., 2004, p. 117 ss, not. p. 120 n. 268 s ; Michel BESSON, Behördliche Information vor Volksabstimmungen, 2003, not. p. 113 ss et 241 ss ; Yvo HANGARTNER / Andreas KLEY, Die demokratischen Rechte in Bund und Kantonen der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2000, p. 1025 ss ; Andreas AUER, L'intervention des collectivités publiques dans les campagnes référendaires, RDAF 1985, p. 184 ss).

b. Le droit cantonal définit la manière dont l’information des citoyens doit intervenir, par le biais de dispositions qui concrétisent la liberté de vote garantie par l’ordre constitutionnel et qu’il importe dès lors d’observer scrupuleusement, lesdites dispositions n’ayant pas valeur de simples prescriptions d’ordre (Stéphane GRODECKI, op. cit., n. 1323).

Selon l’art. 53 al. 1 et 2 LEDP, les électeurs reçoivent de l’État pour les votations cantonales et des communes pour les votations communales, au plus tôt quatre semaines avant le jour de la votation mais au plus tard trois semaines avant cette date, le bulletin de vote, les textes soumis à la votation, des explications qui comportent s'il y a lieu un commentaire des autorités d'une part et des auteurs du référendum ou de l’initiative d'autre part, et les recommandations du Grand Conseil ou du Conseil municipal. En matière cantonale, le commentaire des autorités est rédigé par le Conseil d'État. Il comprend une synthèse brève et neutre de chaque objet soumis à votation, défend de façon objective le point de vue du Grand Conseil et indique le résultat du vote en mentionnant, le cas échéant, l’avis du Conseil d’État et d’importantes minorités. Le Conseil d'État soumet son projet de commentaire au bureau du Grand Conseil, dont il recueille les observations.

7. Une irrégularité dans l’organisation ou le déroulement du scrutin, dont par exemple une présentation inobjective ou lacunaire de l’objet et des enjeux du vote, ne justifie l’annulation du scrutin que si elle atteint une certaine importance et est propre, avec une certaine vraisemblance, à influencer de manière déterminante le résultat du scrutin (ATF 132 I 104 consid. 3.3 ; ATA/201/2013 du 26 mars 2013 consid. 8 ; ATA/181/2011 du 17 mars 2011 consid. 6 ; ATA/51/2011 du 1er février 2011 consid. 10 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., n. 940 ss. ; Pascal MAHON, op. cit. vol. I, n. 154).

Une irrégularité constatée (comme un manque d’information) peut avoir un certain degré de gravité pour le point sur lequel elle porte, considéré isolément, sans pour autant que sa portée ne soit déterminante sur le résultat du vote, compte tenu de la place et du poids dudit point au sein et dans le contexte de l’objet soumis à votation. Par ailleurs, si l’écart des voix peut représenter un critère d’appréciation de l’influence d’une irrégularité constatée, il doit en tout état être mis en perspective avec l’importance et la portée de cette dernière ; une appréciation de l’influence qu’une irrégularité est susceptible d’exercer sur le vote des électeurs peut intervenir sur la base de ces deux critères principaux ; il n’y a pas lieu de différer de statuer jusqu’à ce que le résultat du scrutin soit connu, afin de disposer de ce critère d’appréciation supplémentaire, à lui seul non décisif. Il faut en outre prendre en compte que, pour se forger une opinion, l’électeur dispose d’autres sources d’information que celles qui émanent de l’autorité ; lui sont en effet également remis, intégrés à la brochure explicative, le texte de la loi soumise à votation, des commentaires des référendaires ou des initiants, et les prises de position et recommandations des partis politiques, autres associations ou groupements ; il lui est loisible d’accéder en outre aux travaux préparatoires des textes soumis à votation (accessibles sur Internet), aux débats publics et aux articles de presse, émissions radiophoniques et télévisées et autres produits des médias (ATF 130 I 290 consid. 3.2 ; ATA/583/2008 du 18 novembre 2008 consid. 9c in initio).

8. a. En l’espèce, le recourant fait grief au Conseil d’État de n’avoir pas fait mention dans la brochure explicative, que ce soit dans la « Synthèse brève et neutre » ou dans le « Commentaire des autorités », de l’annulation par le Tribunal fédéral, par arrêt du 1er octobre 2014, des art. 21A al. 2, 21B et 22 introduits dans la LPol par modification du 21 février 2013, alors que ces dispositions ont été reprises quasiment telles quelles dans la nLPol soumise à votation référendaire, adoptée le 9 septembre 2014, avant que le Tribunal fédéral ne statue.

b. Les art. 21A, 21B et 22 LPol annulés par le Tribunal fédéral et les art. 56 à 58 nLPol sont effectivement des dispositions très similaires (sous la réserve que l’art. 58 al. 4 nLPol subordonne la mise en œuvre d’actes d’enquête sous couverture à l’autorisation du Tribunal administratif de première instance, et non du chef du département, comme le prévoyait l’art. 22 al. 4 LPol). La reprise de ces dispositions dans la nLPol et, au travers de cette dernière, leur soumission au vote référendaire s’expliquent par la chronologie des événements ayant jalonné la préparation et l’adoption des deux textes législatifs considérés. L’un - la L 11056 - était limité à un sujet spécifique destiné à trouver place rapidement dans la LPol en vigueur, et l’autre - la L 11228 - était une révision complète de cette dernière, parachevant, quelques semaines avant que l’arrêt considéré du Tribunal fédéral ne soit rendu, une réforme de longue haleine ayant vocation naturelle à intégrer notamment cette récente révision très sectorielle. Le référendum lancé à l’encontre de la nLPol ayant abouti, une modification de cette dernière pour en compléter les dispositions concernées compte tenu de l’arrêt du Tribunal fédéral n’était pas possible avant la votation populaire, tant pratiquement que surtout juridiquement, le texte à soumettre au vote du corps électoral devant être identique à celui contre lequel le référendum avait abouti.

La question n’en est pas moins de savoir si l’information officielle sur la nLPol soumise à votation référendaire ne devait pas comporter une explication à ce propos, d’autant plus que lesdites normes relèvent d’un domaine sensible (puisque les mesures d’investigations préventives qu’elles instituent sont de celles qui portent atteinte à la sphère privée, protégée par l’art. 13 Cst.), et qu’une annulation prononcée en la matière par le Tribunal fédéral n’est pas une péripétie judiciaire anodine. Cette question ne se pose qu’en termes de violation du droit devant la chambre constitutionnelle, qui n’a pas compétence pour apprécier l’opportunité des actes attaqués devant elle (art. 61 al. 2 LPA).

9. a. Pour sensible qu’il puisse être, le sujet abordé par les art. 56 à 58 nLPol l’est davantage par le manque de garde-fous entourant les mesures d’investigations secrètes considérées que par le principe même que la police, avant toute ouverture d’une procédure pénale et donc à des fins préventives, puisse procéder à des observations, des recherches et des enquêtes sous couverture.

Or, par son arrêt du 1er octobre 2014, le Tribunal fédéral a reconnu la compétence des cantons de réglementer lesdites mesures dans leur législation policière. Il a admis que, toutes trois, ces mesures reposaient sur une base légale suffisante (y compris en termes de densité normative), étaient justifiées par un intérêt public (le maintien de l’ordre et la prévention d’infractions), étaient aptes à produire le résultat escompté et, vu leur subsidiarité, répondaient à l’exigence de nécessité. Les dispositions attaquées ne satisfaisaient en revanche pas à la règle de proportionnalité au sens étroit ; elles ne comportaient, pour les trois mesures considérées, ni une communication a posteriori aux personnes visées des motifs, du mode et de la durée des mesures mises le cas échéant en œuvre, ni un droit de recours ; en outre, elles ne prévoyaient pas une autorisation par le ministère public ou un juge pour les recherches préventives secrètes dépassant une durée de trente jours, et elles ne subordonnaient pas l’enquête sous couverture à une autorisation judiciaire préalable. Ainsi, le Tribunal fédéral a annulé les art. 21A al. 2, 21B et 22 LPol en raison de ces quelques lacunes affectant leur constitutionnalité. Il a toutefois non seulement admis que ces lacunes pourraient être comblées par la voie législative, mais a aussi indiqué comment elles pourraient l’être. L’une de ces lacunes (la dernière citée) ne se retrouve pas dans la nLPol (ce que le Tribunal fédéral a lui-même relevé dans son arrêt, rendu alors que la nLPol était en phase référendaire).

La commission parlementaire en charge d’étudier le PL 11228 puis le Grand Conseil lui-même ont admis majoritairement qu’en cas d’admission du recours pendant contre la L 11056, il y aurait lieu d’adapter les dispositions correspondantes reprises dans la nLPol pour les rendre conformes au droit, mais que cela ne justifiait ni de différer l’adoption de la nLPol ni d’en biffer lesdites dispositions dans l’attente de l’arrêt du Tribunal fédéral (PL 11228-A, p. 124-129, publié sur http://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010110/67/8 ; MGC [En ligne] http://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010110/67/8). Le département concerné (d’après un article paru dans la Tribune de Genève du 12 février 2015, p. 17) comme le Conseil d’État (selon sa réponse au présent recours, p. 8 ch. 33) ont déclaré, eux aussi, qu’en cas d’acceptation de la nLPol en votation populaire, il faudra adapter lesdites dispositions. Ils n’imaginent pas les appliquer telles quelles.

Ces dispositions devront donc être complétées, non supprimées.

b. La mention dans la brochure explicative de l’inconstitutionnalité et, partant, de la nécessité d’adapter les trois normes considérées se trouve moins impérative que cela peut paraître de prime abord, compte tenu de la clarification résultant de l’arrêt du Tribunal fédéral quant aux conditions d’admissibilité des mesures en question et du fait qu’une pleine réalisation de ces conditions apparaît à la fois voulue par les acteurs du processus législatif et possible à court terme. Ces mesures ne font en effet débat ni sur le plan du principe, ni sur celui de la nécessité de les compléter pour les rendre conformes aux exigences posées par le Tribunal fédéral.

10. a. La brochure explicative n’est pas muette à propos d’une contestation possible des art. 56 à 58 nLPol sous l’angle de leur constitutionnalité. Elle reproduit le texte intégral de la nLPol, donc non seulement les art. 56 à 58 mais aussi l’art. 67 al. 2. Or, cette clause transitoire fait mention explicitement d’un recours pendant contre les art. 21A, 21B et 22 LPol et d’une non-entrée en vigueur des art. 56 à 58 nLPol tant que ces dispositions-ci n’auraient pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire, pour peu qu’un recours soit formé contre ces normes.

Certes, interprétée littéralement, cette disposition transitoire prévoit qu’en cas d’acceptation de la nLPol en votation référendaire, les dispositions de la nLPol sur les mesures préalables n’entreraient pas en vigueur tant qu’elles seraient contestées par la voie judiciaire, mais elle ne dit pas ce qui se passerait à défaut de recours contre ces dispositions, et - contrairement à ce que sa lettre laisse supposer - une application même réduite des art. 21A (al. 2), 21B et 22 LPol ne pourrait intervenir du fait de leur annulation dans l’intervalle par le Tribunal fédéral. Interprétée en tenant compte, ainsi qu’il se doit, de la volonté du législateur, de la finalité de cette norme, des considérants de l’arrêt en question du Tribunal fédéral (nonobstant le fait que ce dernier, en particulier son dispositif, ne porte pas sur les art. 56 à 58 nLPol), cette disposition transitoire signifie que lesdites dispositions ne sauraient être appliquées, sinon même entrer en vigueur, avant d’avoir été rendues conformes aux exigences émises par le Tribunal fédéral.

En tout état, cette disposition transitoire fournit à l’électeur des indices de la problématique soulevée par ces mesures d’investigations secrètes, indices à partir desquels l’électeur a la possibilité d’en savoir davantage, en consultant l’arrêt considéré du Tribunal fédéral (dont la référence est donnée et qui est donc aisément accessible sur Internet), le communiqué de presse du Tribunal fédéral et les articles de presse relatifs à cet arrêt. Et surtout, sur le fond, elle réduit encore davantage, voire écarte le risque que des atteintes inconstitutionnelles à la sphère privée ne soient portées en raison de l’adoption de la nLPol. Il ne peut être prêté au Conseil d’État, auquel reviendrait la compétence de fixer la date d’entrée en vigueur de la nLPol (art. 66 nLPol), l’intention de vouloir faire appliquer les art. 56 à 58 nLPol avant qu’ils ne soient complétés de façon à respecter les exigences émises en la matière par le Tribunal fédéral ; cela serait inconcevable dans le contexte considéré.

b. La nécessité de mentionner dans la brochure explicative les mesures préalables et leur future modification diminue du fait de cette sensible réduction supplémentaire des risques d’atteintes inconstitutionnelles à la sphère privée par le biais des mesures considérées. Or, c’est l’absence ou la réalité de tels risques qui influe sur l’acceptabilité ou non de telles mesures par l’électeur, bien davantage que le fait que le texte des normes considérées sera encore complété pour tenir compte de critiques émises par le Tribunal fédéral postérieurement à leur adoption.

11. a. Dans la partie leur étant réservée, occupant au total quatre pages (contre trois pour les commentaires des autorités), les deux comités référendaires ont fait allusion au sujet considéré. Le texte du Mouvement Citoyens Genevois indique que la L 11228 avait « même été désavouée partiellement par le Tribunal fédéral » et qu’elle permettait des « écoutes téléphoniques sans contrôle », le « contrôle actuel du Ministère public (étant) supprimé pour les écoutes téléphoniques, qui seraient laissées à l’appréciation d’un haut gradé de la police ». Le texte de Ensemble à Gauche mentionne que ladite loi prévoit la « récolte du renseignement » en vue d’un « flicage préventif de la population déjà rejeté par le Tribunal fédéral ».

Le constat s’impose donc que l’électeur peut découvrir dans la brochure officielle des indications supplémentaires sur les dispositions considérées, émanant des comités référendaires, qui n’ont pas entendu être plus explicites à cet égard. C’est d’ailleurs le lieu de relever que le premier cité des deux comités référendaires a travesti le sens et la portée des mesures considérées (qui n’autorisent pas les écoutes téléphoniques dans le sens usuel de l’expression), profitant du fait que les devoirs d’exactitude et de réserve de comités référendaires sont moindres que ceux qui s’imposent à l’autorité, y compris pour leur texte reproduit dans la brochure explicative (cf. ATA/163/2009 du 31 mars 2009 consid. 10 à propos d’adjonctions apportées par les auteurs d’un référendum sur la formule de demande de référendum soumise à l’approbation du SVE).

b. Lesdites mesures reprises aux art. 56 à 58 nLPol n’ont pas fourbi les armes de l’un ou l’autre des comités référendaires, ni pour la collecte des signatures, ni dans le cadre de la campagne avant la votation du 8 mars 2015, quand bien même le Tribunal fédéral avait rendu son arrêt, largement relayé par les médias, quelques jours seulement après le lancement du premier référendum contre la nLPol. Ces mesures n’avaient d’ailleurs pas non plus été invoquées après le vote de la loi en vue du lancement d’un référendum, alors que, au su des référendaires, leur constitutionnalité était encore contestée devant le Tribunal fédéral.

Les nombreux articles de presse versés au dossier par l’autorité intimée (portant sur l’adoption de la nLPol, le lancement envisagé puis effectif de référendums à son encontre, l’arrêt du Tribunal fédéral, le scrutin du 8 mars 2015) sont à cet égard révélateurs de l’absence d’importance des mesures préalables et de leur constitutionnalité aux yeux mêmes des référendaires dans la perspective du vote référendaire sur la nLPol. Il en va de même de la non-production par le recourant de documents infirmant ou expliquant leur silence sur ce point.

Il sied de préciser que, dans ces articles de presse, le caractère « liberticide » que les référendaires attribuent à la nLPol ne vise pas les mesures d’investigations secrètes, mais la mesure d’éloignement prévue par l’art. 53 nLPol et des restrictions susceptibles d’être liées au statut de policier (art. 23).

c. Quant aux partis politiques qui avaient recouru au Tribunal fédéral contre la L 11056 et obtenu la reconnaissance du bien-fondé d’une partie de leurs griefs par le biais dudit arrêt, ils ont voté l’adoption de la nLPol le 9 septembre 2014 au Grand Conseil, n’ont par la suite pas soutenu les référendums, et recommandent de voter « oui » à la nLPol.

12. a. Les trois dispositions en question ne doivent pas être considérées seulement pour elles-mêmes pour déterminer si et dans quelle mesure une information à leur propos devait figurer dans la brochure explicative. Ce ne sont pas spécifiquement elles qui sont frappées d’un référendum, mais la nLPol dans son intégralité, qui les contient pour les avoir reprises logiquement, sans préjudice de leur adaptation future en fonction de l’arrêt que rendrait le Tribunal fédéral (consid. 8b), comme d’ailleurs la nLPol a repris d’autres dispositions de la LPol en vigueur. Il faut mettre ces trois normes en perspective avec le nombre d’articles de la nLPol, l’architecture de cette loi et les thématiques abordées dans cette loi, et se souvenir que dans la brochure explicative, la partie réservée aux explications officielles doit être claire et concise, relativement brève, synthétique, axée sur l’essentiel, ainsi que défendre le point de vue du Grand Conseil, indiquer le résultat du vote, en mentionnant le cas échéant l’avis du Conseil d’État et d’importantes minorités (art. 53 al. 2 LEDP).

b. Or, la nLPol comporte soixante-huit articles de loi, dont le dernier modifie huit autres lois. Elle est structurée en cinq chapitres, traitant respectivement des missions et de l’organisation de la police (chap. I, constitué de 17 articles), du statut du personnel de la police (chap. II, constitué de 27 articles), des modes et frais d’intervention (chap. III, constitué de 15 articles), de la protection juridique, de la médiation et de l’inspection générale des services (chap. IV, constitué de 4 articles), et de dispositions finales et transitoires (chap. V, constitué de 5 articles).

Les art. 56 à 58 nLPol sur les mesures préalables forment l’une des dix sections composant le chap. III, à savoir sa section 9, précédée de sections consacrées aux principes fondamentaux de la légalité, de la proportionnalité et de l’intérêt public (section 1), à la légitimation des policiers par l’uniforme (avec en principe le numéro de matricule), exception faite du personnel en civil, se légitimant par une carte de police (section 2), aux mesures d’identification des personnes (section 3), à la fouille de personnes et de choses mobilières (section 4), à la rétention policière (section 5), à la mesure d’éloignement de personnes (section 6), à la compétence pour ordonner des mesures de contrainte (section 7, renvoyant à l’art. 26 de la loi d’application du code pénal suisse et d’autres lois fédérales en matière pénale, du 27 août 2009 – LaCP - E 4 10), au recours aux armes (section 8). Ladite section 9 est suivie d’une section 10, traitant des frais d’intervention.

c. Il appert, au regard de cette seule considération, que le gouvernement ne pouvait jamais insérer qu’un très bref passage sur les mesures d’investigations secrètes dans la brochure explicative relative à la nLPol. Il devait se concentrer sur les points centraux et les nouveautés de la nLPol.

Tel est bien l’objet tant de la « Synthèse brève et neutre » que des « Commentaires des autorités » de la brochure explicative. Dans la première de ces deux parties, le Conseil d’État a exposé succinctement les nouveautés structurelles et fonctionnelles proposées par la nLPol, à savoir la constitution de cinq services opérationnels principaux (police-secours, la police judiciaire, la police de proximité, la police internationale et la police routière) et la redéfinition des missions de ces services, notamment en matière de proximité et de transparence de l’action de la police. Il y a aussi indiqué les nouveautés introduites, soit la création d’un conseil consultatif de la sécurité, l’introduction de la vidéosurveillance dans les postes de police, des effectifs corrélés au bassin de population, le port obligatoire du numéro de matricule, une progression hiérarchique basée sur les compétences et les états de service et non plus sur la seule ancienneté, l’ouverture des postes à responsabilités aux employé-e-s à temps partiel et la création d’une distinction pour honorer les policiers méritants. Dans la seconde de ces deux parties, le Conseil d’État a repris certains de ces points, pour en développer brièvement l’objet et les enjeux, en indiquant la position majoritaire du Grand Conseil se confondant en l’espèce avec la sienne, sans se départir de son devoir d’objectivité et sans entrer dans des détails.

13. a. Pour juger si le Conseil d’État ne devait pas consacrer en outre un bref passage aux mesures d’investigations secrètes, il y a encore lieu d’ajouter à cette approche s’attachant au volume, à la structure et aux thématiques de la loi, une approche fondée sur les principaux points ayant suscité débat et les points restant contestés.

L’art. 53 LEDP prévoit à cette fin d’une part, s’agissant d’un reflet des débats et divergences ayant marqué l’adoption de la loi, que le commentaire des autorités indique le résultat du vote et le cas échéant l’avis d’importantes minorités, et d’autre part, s’agissant des sujets restant contestés, que le Conseil d’État, sans préjudice de l’objectivité dont il doit faire montre aussi dans la présentation des enjeux du vote, réserve une place pour les commentaires des référendaires ou initiants, en principe rédigés par eux-mêmes.

b. Il a déjà été relevé que les comités référendaires ont fait usage de ce droit, sans insister sur lesdites mesures (consid. 11a et 11b). C’est cependant manifestement sur d’autres points de la nLPol que les comités référendaires ont fondé leur combat, tant pour la collecte des signatures que pour mener campagne en vue de la votation du 8 mars 2015. De façon partiellement convergente entre les deux comités référendaires, ils ont attaqué essentiellement la nouvelle organisation de la police en cinq services opérationnels (qui, selon eux, impliquerait la disparition de la gendarmerie et créerait des doublons, des cloisonnements et des coûts excessifs), la création d’une commission du personnel (qui viserait à affaiblir les syndicats), la délégation de tâches d’autorité à des « polices privées », un nouveau mode de gestion des carrières des policiers (qui ouvrirait la voie à la subjectivité), l’absence de la condition de la nationalité suisse (qui augurerait de l’engagement de frontaliers), le maintien des mesures d’éloignement et des restrictions liées au statut de policier.

Ainsi, pour les référendaires, le sujet des mesures préalables ne constituait pas un cheval de bataille en vue et dans le cadre de la votation cantonale portant sur la nLPol. Il ne revêtait par ailleurs guère qu’une importance marginale au regard des autres sujets traités par la nLPol.

c. Il faut aussi examiner si ce sujet constituait un point sur lequel une importante minorité n’avait pas été suivie au Grand Conseil, au point que sa mention dans la brochure officielle était nécessaire.

Dans son « Commentaire des autorités », le Conseil d’État a fait mention des principaux points sur lesquels des décisions n’ont été prises qu’à de relatives majorités. Il s’agit logiquement, pour l’essentiel, de points repris par les référendaires, dans la mesure où ces derniers sont issus des milieux dont les représentants au Grand Conseil ont été minorisés. L’autorité intimée a donc indiqué, au titre du point de vue de la minorité du Grand Conseil, que, selon une minorité, l’exigence de la nationalité suisse, de niveau réglementaire, devrait être inscrite dans la loi, l’organisation en cinq services opérationnels créerait des lourdeurs et une explosion des coûts, et les acquis sociaux seraient menacés, et que pour une autre minorité, partageant une partie de ces arguments, la création d’une commission du personnel serait un acte antisyndical, la police serait organisée militairement et la nLPol serait liberticide. Le gouvernement a également mentionné, après avoir fait part de son point de vue, que la nLPol avait été adoptée par le Grand Conseil lors de sa séance du 9 septembre 2014 par 57 oui contre 36 non et 0 abstention. Il n’a en revanche pas mentionné les mesures d’investigations secrètes.

Or, la minorité constituée des deux partis ayant recouru au Tribunal fédéral contre les art. 21A, 21B et 22 LPol adoptés le 21 février 2013 a certes fini par voter, le 9 septembre 2014, l’adoption d’une nLPol comportant trois dispositions très semblables. Toutefois, force est de relever à la lecture des travaux préparatoires de la nLPol, qu’elle a tenté avec insistance mais en vain, tant en commission qu’en séance plénière, d’obtenir que les trois normes considérées soient biffées, en soulignant l’importance qu’avait un tel sujet alors en cours de contrôle de constitutionnalité auprès du Tribunal fédéral ; elle n’a obtenu d’être suivie, subsidiairement, que pour l’adoption de la disposition transitoire formant l’art. 67 al. 2 nLPol, déjà évoquée (PL 11228-A, p. 124-129, p. 195 ss, et 200 ss, http://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010110/67/8 ; séance du 28 août 2014 à 14h, MGC [En ligne] http://ge.ch/grandconseil/ memorial/seances/010110/67/8 ; séance du 9 septembre 2014 à 17h, MGC [En ligne] http://ge.ch/grandconseil/ memorial/seances/010110/69/2).

Il y avait donc, à ce titre, motif de mentionner cet avis d’une importante minorité dans la brochure explicative.

14. a. Une telle mention ne constituait pas une complication inutile. Au demeurant, si la technicité d’un sujet peut en justifier une présentation simplifiée, comportant au besoin des renvois à d’autres sources, elle ne justifie pas de passer sous silence le sujet en question sous prétexte que quasiment personne ne serait à même de comprendre les explications à fournir, alors que ledit sujet serait important dans le contexte de la votation considérée.

En l’espèce, une information sur le sujet litigieux pouvait consister à indiquer simplement qu’une application des art. 56 à 58 nLPol n’interviendrait pas avant que ces dispositions n’aient été complétées de façon à satisfaire aux exigences posées par l’arrêt 1C_518/2013 rendu le 1er octobre 2014 par le Tribunal fédéral à propos de dispositions quasiment similaires de l’actuelle LPol.

b. La chambre constitutionnelle estime qu’une telle mention - possible, simple et suffisante - était nécessaire en l’espèce, au regard de l’exigence légale que l’avis d’importantes minorités soit mentionné dans l’information officielle (art. 53 al. 2 LEDP), conjuguée à la sensibilité de la matière considérée et à la portée jurisprudentielle de l’arrêt en question de l’autorité judiciaire suprême. L’omission d’une telle mention constitue une irrégularité affectant la brochure explicative de la votation cantonale du 8 mars 2015.

c. L’avis que le département concerné a fait publier dans la FAO du 20 février 2015, pour informer de l’annulation des art. 21A al. 2, 21B et 22 LPol par arrêt du Tribunal fédéral du 1er octobre 2014, ne remédie pas à l’absence d’une telle mention dans la brochure explicative, déjà parce qu’il n’indique aucunement que de semblables normes figurent dans la nLPol soumise à la votation populaire du 8 mars 2015, et aussi parce qu’il est intervenu tardivement par rapport au début des opérations électorales. Cet avis est simplement celui qui devait intervenir en application de l'art. 9 du règlement d’exécution de la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels, du 15 janvier 1957 (B 2 05.01), voulant que les décisions du Tribunal fédéral ou du Conseil fédéral entraînant la suspension, l’annulation ou la remise en vigueur d’un texte déjà publié dans la FAO y soient également mentionnées (ACST/1/2015 précité consid. 13).

15. Il ne s’ensuit pas que l’irrégularité considérée doive entraîner l’annulation de cette dernière.

En effet, cette irrégularité ne saurait être qualifiée d’importante. Le sujet considéré revêt un caractère marginal, déjà objectivement au regard de la place et du poids des trois dispositions en question dans le contexte de la nLPol et du fait que ces normes doivent être non abrogées mais complétées dans un sens connu, mais aussi subjectivement en considération des enjeux du scrutin considéré et des arguments des référendaires très largement étrangers à ce sujet.

Ladite irrégularité n’apparaît en tout état pas propre à exercer une influence un tant soit peu déterminante sur le résultat dudit scrutin, indépendamment même du fait que l’électeur dispose d’autres sources d’information que l’information officielle, en particulier sur le sujet considéré, largement relayé par les médias dès les premiers jours du scrutin.

À elle seule, cette irrégularité ne justifie pas l’annulation de la votation cantonale du 8 mars 2015 portant sur la nLPol.

16. Le recourant fait par ailleurs grief au Conseil d’État de n’avoir pas inséré dans la brochure explicative d’information sur plusieurs autres dispositions de la nLPol, à savoir les art. 38 al. 3 et 39 al. 3 sur les enquêtes administratives contre des policiers, 51 sur la rétention policière dans les locaux de la police, 59 al. 1 et 2 sur la facturation de frais d’intervention et l’art. 61 sur la vidéosurveillance dans les postes de police.

Avant d’examiner ce grief pour chacune de ces dispositions, il sied de rappeler que la vocation de la brochure explicative n’est nullement de constituer un commentaire article par article de la loi soumise à votation référendaire. C’est l’objet soumis au vote, donc la loi en tant que telle dans son ensemble, qui doit y faire l’objet d’une brève présentation synthétique et de commentaires dans la mesure nécessaire à la compréhension des principaux enjeux du vote (consid. 6).

17. L’art. 38 al. 3 nLPol prévoit qu’à la fin d’une enquête administrative contre un membre du personnel, « les résultats de celle-ci et la sanction envisagée sont communiqués à l’intéressé ». Cette disposition ne signifie à l’évidence pas que toute enquête se solderait automatiquement par une sanction. La question ne revêt de toute façon pas un niveau d’importance suffisant pour justifier l’insertion d’un commentaire dans la brochure explicative.

18. L’art. 39 al. 3 phr. 2 nLPol prévoit qu’une « décision de révocation avec effet immédiat peut agir rétroactivement au jour de l’ouverture de l’enquête administrative ». La question ne relève d’aucune façon du principe de la non-rétroactivité des lois, dès lors que ce ne serait pas une loi, mais le cas échéant une décision de révocation avec effet immédiat qui serait susceptible de déployer un effet rétroactif au jour de l’ouverture de l’enquête administrative. La brochure explicative n’a pas à entrer dans le détail des dispositions traitant de l’enquête administrative, en particulier pas sur la justification d’une rétroactivité d’une décision de révocation avec effet immédiat et sur la durée que peut prendre une telle enquête.

19. L’art. 51 nLPol prévoit qu’une personne causant du scandale sur la voie publique sous l’emprise de l’alcool ou d’une autre substance psychotrope « peut être placée dans les locaux de la police (…) pour une brève durée ». Cette disposition n’est pas fondamentalement nouvelle, puisqu’elle se rapproche fort de l’art. 21 LPol en vigueur adopté le 26 avril 1996. Elle se comprend de façon suffisante à la lecture du texte de la loi. Dans la perspective d’une votation populaire portant sur une loi de l’ampleur de la nLPol, issue d’une refonte complète de ce domaine législatif, la durée maximale de la rétention fondée sur cette disposition et les moyens d’établir qu’une personne est sous l’emprise de la drogue ne doivent pas faire l’objet de précisions dans la brochure explicative.

20. L’art. 59 al. 1 nLPol prévoit que la police facture à un administré les frais d’une intervention que celui-ci aurait justifiée « par un comportement contraire au droit » (al. 1), et qu’elle pourrait le faire pour une intervention résultant « d’une demande particulière » (al. 2). L’explicitation de ce que peut être un comportement contraire au droit et une demande particulière au sens de cette disposition ne relève pas d’une brochure explicative relative à une votation populaire portant non sur un sujet spécifique relevant de la législation policière, mais sur une nouvelle loi sur la police dans son ensemble.

C’est d’autant moins nécessaire qu’à son al. 3 ladite disposition renvoie à un règlement appelé à fournir des indications détaillées sur les frais d’intervention de la police susceptibles d’être mis à la charge d’une personne qui cause, de par son comportement enfreignant l’ordre juridique, une intervention de la police ou qui requiert une prestation particulière de la part de la police. Est bien illustratif de la question le règlement que le Conseil d’État a édicté le 15 décembre 1982 sur les émoluments et frais des services de police (F 1 05.15), sur la base de l’art. 54 al. 1 LPol.

Comme le relève l’autorité intimée dans sa réponse au recours, il est prévu que, dans le domaine des manifestations, la matière donne lieu à l’adoption de normes de rang légal (cf. le projet de loi concernant la facturation des frais de sécurité lors de manifestations, dont le Conseil d’État a saisi le Grand Conseil le 22 août 2013 - PL 11263 -, ayant donné lieu, le 15 janvier 2015, au dépôt du rapport de la commission parlementaire chargée de son étude, sous la forme d’un rapport de majorité, proposant l’acceptation du PL 11263 amendé, et de deux rapports de minorité, proposant l’un la non-entrée en matière sur le PL 11263 et l’autre des amendements audit projet de loi - PL 11263-A -, publiés in MGC [En ligne] sur http://ge.ch/grandconseil/search?search=11263).

Le sujet n’appelle pas d’information spécifique dans la brochure explicative relative à la nLPol.

21. L’art. 61 nLPol prévoit que les postes de police « sont équipés de caméras ». À raison eu égard au sujet considéré et à sa nouveauté, la brochure explicative comporte une information à ce propos ; elle signale la nouveauté dans la partie « Synthèse brève et neutre » et en explique la finalité dans la partie « Commentaire des autorités ». L’électeur est ainsi informé tant du principe de l’installation de la vidéosurveillance dans les postes de police que de son double but de renforcer la protection et l’exemplarité des policiers, en tant qu’une telle vidéosurveillance est propre à fournir aux policiers les moyens de se défendre contre des dénonciations abusives de prétendus mauvais traitements et de prévenir de tels écarts de conduite. De plus, il sait, par la lecture du texte de la loi reproduit dans la brochure, que les images filmées seront conservées durant 100 jours avant d’être détruites, sauf prolongation sur décision d’une autorité compétente (art. 61 al. 2 nLPol). Les exigences d’une information officielle objective, concise, claire sont remplies, sans que des compléments ne doivent être fournis sur la remise automatique ou sur requête seulement des images filmées aux personnes intéressées.

22. Le grief d’une information insuffisante dans la brochure explicative, qui serait constitutive d’une violation des droits politiques, n’est pas fondé pour ces diverses dispositions.

23. Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

24. Compte tenu de la demande d’assistance judiciaire limitée à la dispense des frais judiciaires, que le recourant a présentée dans son recours, à la suite de laquelle il a été dispensé d’une avance de frais, la chambre constitutionnelle renoncera à mettre les frais de la procédure à sa charge (art. 87 al. 1 LPA).

Vu l’issue du litige, il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure au recourant (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours de Monsieur A______ contre l’objet n° 1 de la votation cantonale du 8 mars 2015 portant sur la loi sur la police (F 1 05 – 11228), du 9 septembre 2014 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ et au Conseil d’État.

Siégeants : M. Verniory, président, Mmes Baldé et Cramer, MM. Dumartheray et Martin, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

Le greffier-juriste

 

Le président siégeant

 

 

 

I. Semuhire

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le