Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/667/2025 du 21.08.2025 sur ONMMP/2575/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/8362/2025 ACPR/667/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 21 août 2025 |
Entre
A______, représentée par Me Nina SCHNEIDER, avocate, PETER MOREAU SA, rue des Pavillons 17, case postale 90, 1211 Genève 4,
recourante,
contre les ordonnances de non-entrée en matière et de refus d'octroi de l'assistance judiciaire rendues le 2 juin 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par un seul acte expédié le 16 juin 2025, A______ recourt, d'une part, contre l'ordonnance du 2 juin 2025, notifiée le 4 suivant, aux termes de laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte, et, d'autre part, contre l'ordonnance du même jour, communiquée par pli simple, par laquelle cette même autorité a refusé de lui accorder l'assistance judiciaire gratuite.
La recourante conclut, sous suite de frais, préalablement à l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours et à la dispense du paiement des sûretés; principalement, au constat d'une violation du droit à une enquête effective en cas de traitements inhumains et dégradants (art. 3 CEDH) ainsi qu'au constat d'une violation de l'art. 14 CEDH "combiné avec les art. 3 et 8 CEDH". Elle conclut également principalement à l'annulation des décisions querellées, à l'octroi de l'assistance judiciaire gratuite avec effet au 20 novembre 2024 et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public d'ouvrir une instruction.
b. La recourante a été dispensée de verser les sûretés (art. 383 CPP).
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 20 novembre 2024, A______ s'est présentée, assistée de son conseil, à la Brigade des mœurs pour dénoncer l'agression sexuelle dont elle affirmait avoir été victime, dans la nuit du 14 au 15 février 2022, de la part de son ancien compagnon, B______.
Le soir des faits, elle avait d'abord célébré son anniversaire chez ses parents, lors d'un dîner au cours duquel il était possible qu'elle ait consommé une coupe de champagne. Vers 22h00, elle s'était rendue avec le prénommé à l'hôtel C______, à Genève, où ils avaient réservé une chambre pour la nuit. Après avoir eu un rapport sexuel consenti, ils avaient consommé de l'alcool. Elle avait bu deux verres de vodka mélangée à du Red Bull, préparés par B______, lequel avait consommé plusieurs verres, sans qu'elle puisse en préciser la quantité. Prise d'une très grande fatigue, qu'elle n'était pas parvenue à surmonter, elle s'était endormie, vêtue d'un simple "slip", après s'être déshabillée et mise au lit. Elle s'était ensuite réveillée en constatant qu'B______ était allongé sur elle et la pénétrait vaginalement. Il ne l'avait pas immobilisée au cours du rapport. Elle n'avait pas le souvenir qu'il lui eût adressé la parole, mais il avait remarqué qu'elle était réveillée. Bien que ce moment lui fût très flou, elle se souvenait ne lui avoir rien dit.
Elle se rappelait également qu'il avait éjaculé et qu'il n'avait pas utilisé de préservatif. À l'issue du rapport, l'intéressé, qui avait besoin d'être "rassuré" quant à la réaction qu'elle pourrait avoir, lui avait déclaré que "ce n'était pas bien ce qu'il lui avait fait car [elle] dormait", ce à quoi elle avait répondu que ce n'était "pas grave". Par la suite, B______ avait envisagé de reprendre le volant pour se rendre au restaurant D______. Bien qu'elle ait tenté de l'en dissuader, son état de fatigue extrême l'avait empêchée d'insister, de sorte qu'il s'y était tout de même rendu. À son retour, ils avaient discuté, puis s'étaient endormis jusqu'au lendemain matin, avant de quitter l'hôtel pour se rendre au domicile de l'intéressé, où ils avaient encore passé un moment.
Elle n'avait pas effectué d'examens médicaux à la suite des évènements. Le soir des faits, B______ avait pris une photographie sur laquelle ils se tenaient la main.
De manière générale, ce dernier était "toujours en demande" de rapports sexuels, et même lorsqu'elle n'en avait pas envie, elle y consentait pour lui faire plaisir. Une nuit, postérieure aux faits dénoncés, il avait pris ses mains pour se caresser le pénis, alors qu'elle faisait semblant de dormir. Lors d'une discussion le lendemain, elle l'avait confronté sur ce comportement et avait évoqué les faits survenus dans la nuit du 14 au 15 février 2022, afin de lui rappeler que ce n'était "pas bien ce qu'il lui avait fait", mais il n'avait rien répondu.
Elle s'était confiée sur les faits à sa meilleure amie, E______, ainsi qu'à F______, qu'elle avait fréquenté après sa relation avec B______. Elle en avait également fait part à sa mère. Elle souhaitait aujourd'hui se reconstruire, que les faits soient reconnus et que B______ ait un "déclic". Après leur rupture, survenue en août 2023, elle avait éprouvé des difficultés à dormir, des images des faits lui revenant constamment en mémoire, suscitant des crises d'angoisse.
À l'issue de son audition, elle a déposé plainte.
À l'appui, A______ a produit cinq certificats médicaux attestant de son incapacité totale de travailler pour cause de maladie du 23 janvier au 24 mars 2024, ainsi que des échanges de messages avec E______, intervenus entre les 13 mars et 17 septembre 2024, dans lesquels toutes deux évoquent tant les faits dénoncés que le ressenti de la plaignante à leur égard.
b. Réentendue par la police le 28 novembre suivant, A______ a précisé qu'elle n'avait manifesté aucune opposition au rapport sexuel dénoncé lorsqu'elle s'était réveillée. Par ailleurs, elle avait nourri des doutes quant à la possibilité que B______ eût introduit une substance dans son verre le soir des faits litigieux, tout en estimant peu probable qu'il fût allé jusque-là.
c. Auditionné par la police le 31 mars 2025 en qualité de prévenu, B______ a contesté les faits reprochés. Le soir en question, A______ et lui avaient célébré à la fois l'anniversaire de cette dernière et la Saint-Valentin. Selon ses souvenirs, ils avaient eu entre cinq et huit rapports sexuels durant la soirée, ce qui les avait fait rire. Ils avaient consommé de la vodka mélangée à du Red Bull, sans toutefois terminer la bouteille. Tous deux étaient ivres mais étaient demeurés conscients, puisqu'ils avaient discuté et que la soirée s'était déroulée normalement. Il ne se souvenait pas que A______ fût endormie durant un rapport sexuel. Elle avait, "comme d'habitude", "participé" et n'avait manifesté aucun signe de refus, étant précisé que, si cela avait été le cas, il y aurait immédiatement mis un terme. Il ne se souvenait pas non plus d'une discussion postérieure aux faits, au cours de laquelle l'intéressée lui aurait reproché un quelconque comportement.
B______ a remis à la police la photographie mentionnée par A______, sur laquelle celle-ci apparaît endormie sous une couverture, tenant la main de B______, qui réalise le cliché.
C. a. Dans l'ordonnance de non-entrée en matière querellée, le Ministère public relève que les faits dénoncés par A______ s'étaient déroulés à huis clos, en l'absence de tout témoin, et que les versions des parties étaient contradictoires.
A______ indiquait avoir eu un premier rapport sexuel consenti avec B______, puis avoir été à nouveau pénétrée vaginalement, alors qu'elle était endormie. Ce dernier, pour sa part, reconnaissait avoir eu plusieurs relations sexuelles avec l'intéressée au cours de la nuit concernée, tout en niant avoir agi alors que celle-ci était endormie, incapable de résister, et sans avoir obtenu son consentement.
Au vu des éléments au dossier, rien ne permettait d'établir que le mis en cause ait eu conscience du fait que la plaignante fût endormie lors du rapport sexuel litigieux et, partant, dans l'incapacité d'opposer une résistance. Cette dernière avait indiqué ne pas avoir manifesté de désaccord lorsqu'elle s'était réveillée, de sorte que le mis en cause avait poursuivi son comportement. Quand bien même eût-elle été surprise par la situation au moment de son réveil, il demeurait difficilement compréhensible qu'elle n'eût pas expressément demandé au mis en cause de cesser ses agissements et de quitter les lieux.
Par ailleurs, il n'était pas possible d'établir que la plaignante se fût trouvée dans un état d'alcoolisation tel qu'elle aurait été privée de sa capacité de réagir. Ainsi, quand bien même elle aurait été sous l'influence de l'alcool, il n'était pas démontré qu'elle eût été incapable de résister, ni que le mis en cause eût sciemment provoqué et exploité un tel état, ou, à tout le moins, qu'il en eût accepté la possibilité. En tout état, l'élément subjectif de l'infraction visée à l'art. 191 aCP faisait défaut, dès lors qu'il n'était pas établi que le mis en cause eût connaissance, au moment des faits, de l'incapacité de la plaignante à consentir à un acte d'ordre sexuel ou à s'y opposer en raison de son état, ni qu'il eût délibérément choisi de tirer profit de cette situation.
Pour le surplus, aucun élément probant ne venait corroborer les accusations formulées par la plaignante.
Dans ces conditions, les éléments constitutifs de l'infraction à l'art. 191 aCP n'étaient pas réunis. En l'absence de contrainte, aucune autre infraction ne pouvait être retenue, de sorte qu'il était décidé de ne pas entrer en matière sur la plainte (art. 310 al. 1 let. a CPP).
b. Parallèlement, le Ministère public a refusé de mettre A______ au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite, l'action civile paraissant vouée à l'échec, au vu de l'ordonnance de non-entrée en matière prononcée.
D. a. Dans son recours, A______ considère que l'ordonnance lui refusant l'assistance judiciaire gratuite devait être annulée, dès lors qu'elle ne disposait pas des ressources nécessaires pour faire face aux frais de procédure, et que ni sa plainte ni son recours ne paraissaient voués à l'échec.
Concernant l'ordonnance de non-entrée en matière querellée, elle estime que son droit à une enquête effective, garanti par l'art. 3 CEDH, avait été violé. Elle reprochait au mis en cause, de manière crédible, de l'avoir pénétrée vaginalement alors qu'elle était endormie ou inconsciente, en raison d'un état d'ivresse avancé ou de l'administration à son insu d'une substance illicite. Elle dénonçait également un second épisode, au cours duquel l'intéressé avait saisi ses mains pour se toucher le sexe. Face à ces allégations vraisemblables d'atteintes à son intégrité sexuelle, le Ministère public ne pouvait se dispenser d'ouvrir une instruction, une condamnation ne paraissant pas d'emblée "improbable".
L'ordonnance de non-entrée en matière entreprise contrevenait par ailleurs au principe "in dubio pro duriore". Le Ministère public aurait dû retenir que sa version des faits était plus vraisemblable que celle du mis en cause et que des moyens de preuve complémentaires pouvaient encore être recueillis afin d'établir les faits. Elle avait livré un récit cohérent et crédible, sans chercher à charger le mis en cause. Elle avait par ailleurs rapporté des détails relatifs à sa tenue vestimentaire le soir des faits. La chronologie de ses déclarations était claire, exempte de contradictions. Elle n'avait exprimé aucun désir de vengeance, se contentant d'évoquer son besoin de reconstruction et son espoir de provoquer un "déclic" chez le mis en cause. Elle avait également décrit les souffrances survenues après sa rupture avec l'intéressé. Ses déclarations n'étaient contredites par aucun élément probant. Au contraire, elle avait produit un extrait de ses échanges avec E______, dans lesquels elle relatait les faits et exprimait ses émotions. Elle avait également versé au dossier des certificats médicaux attestant de sa déscolarisation, consécutive à sa rupture. En outre, une photographie d'elle endormie, prise le soir des faits, avait été retrouvée dans le téléphone portable du mis en cause, alors qu'elle n'avait pu consentir à cette prise de vue, puisqu'elle dormait.
Le mis en cause, quant à lui, s'était contenté d'affirmer qu'il ne se souvenait pas d'avoir eu une relation sexuelle avec elle alors qu'elle était inconsciente.
À ce stade de la procédure, ses propres déclarations pouvaient donc être considérées comme plus crédibles que celles du précité. Il était dès lors prématuré pour le Ministère public de se prononcer sur l'origine de son inconscience alléguée, alors qu'aucune instruction n'avait été menée. Que cet état fût dû à une grande fatigue, à l'alcool ou à l'ingestion involontaire d'une substance psychotrope, elle avait expliqué de manière convaincante qu'elle n'était pas éveillée et, partant, se trouvait dans l'impossibilité d'opposer une quelconque résistance au mis en cause lorsqu'il l'avait pénétrée vaginalement. Le Ministère public ne pouvait ainsi retenir d'emblée que le précité n'avait ni créé ni exploité son état, ni qu'il n'en avait accepté la possibilité, dans la mesure où il avait soit profité de son sommeil pour lui imposer un rapport sexuel, soit intentionnellement provoqué son inconscience.
Divers actes d'instruction s'imposaient afin de garantir une enquête effective. Une confrontation apparaissait indispensable et permettrait de mettre en évidence des éléments utiles en vue d'éclaircir les faits. Des témoins devaient également être entendus, notamment sa mère et sa meilleure amie, E______, à qui elle s'était confiée. Le cas échéant, le personnel médical l'ayant suivie pouvait produire des attestations ou être entendu.
Enfin, l'ordonnance de non-entrée en matière revêtait une dimension "moralisatrice" et "culpabilisante". En affirmant qu'il était "difficilement compréhensible qu'elle n'ait pas demandé au [mis en cause] d'arrêter et de quitter la chambre", le Ministère public avait implicitement exigé d'elle une réaction particulière. Une telle attente constituait une injonction discriminatoire fondée sur son sexe, contraire à l'art. 14 CEDH, combiné avec les art. 3 et 8 CEDH.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner deux ordonnances sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation des décisions querellées (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. La recourante estime qu'il existe une prévention suffisante, contre B______, d'infractions aux art. 190a et 191a CP.
3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, une ordonnance de non-entrée en matière est immédiatement rendue s’il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs d’une infraction ou les conditions à l’ouverture de l’action pénale ne sont manifestement pas réunis.
Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1; 137 IV 219 consid. 7; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 précité).
3.2. Une configuration dans laquelle l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, exclut en principe une décision de non-entrée en matière, lorsqu'il n'est pas possible d'estimer que certaines dépositions sont plus crédibles que d'autres (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.2; arrêts du Tribunal fédéral 6B_766/2018 du 28 septembre 2018 consid. 3.1; 6B_1177/2017 du 16 avril 2018 consid. 2.1). Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis typiquement "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective. Il peut toutefois exceptionnellement être renoncé à une mise en accusation lorsque la partie plaignante fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles, qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve, ou encore lorsqu'une condamnation apparaît au vu de l'ensemble des circonstances a priori improbable pour d'autres motifs (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.2; arrêts du Tribunal fédéral 6B_174/2019 du 21 février 2019 consid. 2.2 et 6B_874/2017 du 18 avril 2018 consid. 5.1).
3.3.1. L'ancien art. 190 aCP, en vigueur jusqu'au 30 juin 2024, entre en considération au vu de la date des faits dénoncés et en application du principe de la lex mitior (art. 2 al. 2 CP).
Se rend coupable de viol au sens de cette disposition, celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel.
Cette disposition tend à protéger la libre détermination en matière sexuelle, en réprimant l'usage de la contrainte aux fins d'amener une personne de sexe féminin à subir l'acte sexuel (art. 190 aCP), par lequel on entend l'union naturelle des parties génitales d'un homme et d'une femme (ATF 148 IV 234 consid. 3.3).
3.3.2. Pour qu'il y ait contrainte en matière sexuelle, il faut que la victime ne soit pas consentante, que l'auteur le sache ou accepte cette éventualité et qu'il passe outre en profitant de la situation ou en utilisant un moyen efficace (ATF 148 IV 234 consid. 3.3; ATF 122 IV 97 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 6B_802/2021 du 10 février 2022 consid. 1.2; 6B_488/2021 du 22 décembre 2021 consid. 5.4.1).
Le viol suppose ainsi l'emploi d'un moyen de contrainte. Il s'agit notamment de l'usage de la violence. La violence désigne l'emploi volontaire de la force physique sur la personne de la victime dans le but de la faire céder (ATF 148 IV 234 consid. 3.3; ATF 122 IV 97 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 6B_367/2021 du 14 décembre 2021 consid. 2.2.1; 6B_995/2020 du 5 mai 2021 consid. 2.1). Il n'est pas nécessaire que la victime soit mise hors d'état de résister ou que l'auteur la maltraite physiquement. Une certaine intensité est néanmoins requise. La violence suppose non pas n'importe quel emploi de la force physique, mais une application de cette force plus intense que ne l'exige l'accomplissement de l'acte dans les circonstances ordinaires de la vie. Selon le degré de résistance de la victime ou encore en raison de la surprise ou de l'effroi qu'elle ressent, un effort simplement inhabituel de l'auteur peut la contraindre à se soumettre contre son gré (ATF 148 IV 234 consid. 3.3; arrêts du Tribunal fédéral 6B_367/2021 précité consid. 2.1; 6B_995/2020 précité consid. 2.1). Selon les circonstances, un déploiement de force relativement faible peut suffire. Ainsi, peut déjà suffire le fait de maintenir la victime avec la force de son corps, de la renverser à terre, de lui arracher ses habits ou de lui tordre un bras derrière le dos (ATF 148 IV 234 consid. 3.3; arrêts du Tribunal fédéral 6B_367/2021 précité consid. 2.2.1; 6B_995/2020 précité consid. 2.1; 6B_326/2019 du 14 mai 2019 consid. 3.2.1).
Par la notion de "pressions psychiques", le législateur a voulu viser les cas où la victime se trouve dans une situation sans espoir, sans pour autant que l'auteur ait recouru à la force physique ou à la violence. Les pressions d'ordre psychique concernent les cas où l'auteur provoque chez la victime des effets d'ordre psychique, tels que la surprise, la frayeur ou le sentiment d'une situation sans espoir, propres à la faire céder (ATF 148 IV 234 consid. 3.3; ATF 128 IV 106 consid. 3a/bb). En cas de pressions d'ordre psychique, il n'est pas nécessaire que la victime ait été mise hors d'état de résister. La pression psychique générée par l'auteur et son effet sur la victime doivent néanmoins atteindre une intensité particulière. Pour déterminer si l'on se trouve en présence d'une contrainte sexuelle, il faut procéder à une appréciation globale des circonstances concrètes déterminantes (ATF 148 IV 234 consid. 3.3).
3.3.3. Sur le plan subjectif, le viol est une infraction intentionnelle, étant précisé que le dol éventuel suffit. Agit intentionnellement celui qui sait ou accepte l'éventualité que la victime ne soit pas consentante, qu'il exerce ou emploie un moyen de contrainte sur elle et qu'elle se soumette à l'acte sexuel sous l'effet de cette contrainte (ATF 87 IV 66 consid. 3; arrêts du Tribunal fédéral 6B_995/2020 du 5 mai 2021 consid. 2.1; 6B_159/2020 du 20 avril 2020 consid. 2.4.3). L'élément subjectif se déduit d'une analyse des circonstances permettant de tirer, sur la base des éléments extérieurs, des déductions sur les dispositions intérieures de l'auteur. S'agissant de la contrainte en matière sexuelle, l'élément subjectif est réalisé lorsque la victime donne des signes évidents et déchiffrables de son opposition, reconnaissables pour l'auteur, tels des pleurs, des demandes d'être laissée tranquille, le fait de se débattre, de refuser des tentatives d'amadouement ou d'essayer de fuir (ATF 148 IV 234 consid. 3.4).
3.4.1. Enfreint l'art. 191 aCP, dans sa version en vigueur au moment des faits (art. 2 al. 2 CP a contrario), celui qui, sachant qu'une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l'acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d’ordre sexuel.
Le but de l'art. 191 aCP est de protéger les personnes qui ne sont pas en état d'exprimer ou de manifester physiquement leur opposition à l'acte sexuel. L'art. 191 aCP vise une incapacité de discernement totale, qui peut se concrétiser par l'impossibilité pour la victime de se déterminer en raison d'une incapacité psychique, durable (p. ex. maladie mentale) ou passagère (p. ex. perte de connaissance, alcoolisation importante, etc.), ou encore par une incapacité de résistance parce que, entravée dans l'exercice de ses sens, elle n'est pas en mesure de percevoir l'acte qui lui est imposé avant qu'il ne soit accompli et, partant, de porter jugement sur celui-ci et, cas échéant, le refuser (ATF 133 IV 49 consid. 7.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).
Il faut que la victime soit, au moment de l'acte, totalement incapable de discernement ou de résistance. Si l’inaptitude n’est que partielle, par exemple en raison d’un simple état d'ivresse, et non d'une intoxication grave, la victime n'est pas incapable de résistance (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bale 2017, n. 11 ad art. 191 et les références citées).
3.4.2. Sur le plan subjectif, l'art. 191 aCP est une infraction intentionnelle. Il appartient au juge d'examiner avec soin si l'auteur avait vraiment conscience de l'état d'incapacité de la victime. Le dol éventuel suffit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_762/2018 du 14 décembre 2018, consid. 2.2).
3.5.1. En l'espèce, les parties s'accordent à dire qu'elles ont eu deux rapports intimes, mais livrent chacune une version différente des évènements. Leurs déclarations sont en particulier contradictoires sur la question décisive du consentement de la recourante lors du second rapport et sur son état physique au moment des faits.
La recourante soutient avoir eu un premier rapport sexuel consenti avec le mis en cause. Elle affirme ensuite s'être endormie – en raison d'une profonde fatigue imputable soit à l'alcool, soit à l'ingestion, à son insu, d'une substance psychotrope –, puis s'être réveillée en constatant que l'intéressé la pénétrait vaginalement sans son consentement. Cette version est contestée par le mis en cause, lequel affirme qu'elle était consciente et consentante durant leurs relations sexuelles.
Tout d'abord, il convient de relever que l'art. 190 aCP – invoqué dans le recours – n'a pas vocation à s'appliquer au cas d'espèce. En effet, rien ne permet d'établir que la recourante aurait, au moment où elle affirme s'être réveillée, manifesté une forme quelconque d'opposition à la poursuite de l'acte litigieux. Au contraire, elle a déclaré n'avoir formulé aucune objection. Par ailleurs, elle ne fait état d'aucune menace ni d'aucun acte de violence de la part du mis en cause, qui aurait été de nature à annihiler sa résistance. L'usage de la force physique n'est pas allégué, la recourante ayant déclaré que l'intéressé ne l'avait pas immobilisée. Elle ne se plaint pas non plus d'une pression d'ordre psychique, ni d'un comportement du mis en cause susceptible de lui faire craindre un préjudice sérieux ou propre à la faire céder. Ainsi, quand bien même elle ne souhaitait pas entretenir un second rapport sexuel avec le mis en cause, les éléments constitutifs exigés par l'art. 190 aCP, dans sa teneur en vigueur au moment des faits – notamment la contrainte –, ne sont pas réunis.
3.5.2. En ce qui concerne l'infraction prévue à l'art. 191 aCP, il n'est pas contesté que la recourante a consommé, de sa propre initiative, de l'alcool durant la soirée des faits litigieux. Elle n'a cependant fait l'objet d'aucun examen médical ou toxicologique à la suite des faits dénoncés, lesquels auraient été susceptibles d'évaluer une intoxication éventuelle et d'établir l'ingestion de possibles substances psychotropes. Cela étant, aucun élément objectif ne permet de conclure qu'elle se serait trouvée dans un état d'incapacité totale de résistance, que le mis en cause aurait sciemment mis à profit pour lui imposer un rapport sexuel. Rien au dossier ne permet de retenir que la recourante – qui a déclaré avoir consommé deux verres de vodka mélangée à du Red Bull et possiblement une coupe de champagne –, présentait des signes d'ébriété aigüe. Selon les déclarations du mis en cause, elle était certes alcoolisée, mais était demeurée consciente et active durant leurs rapports sexuels. Il a ajouté qu'ils avaient échangé tout au long de la soirée, qui s'était déroulée sans évènement notable, et qu'il aurait interrompu l'acte litigieux s'il avait constaté son inconscience.
Ainsi, même à supposer que la recourante se soit effectivement trouvée dans un état d'incapacité totale de discernement et de résistance et, partant, que la première condition de l'art. 191 aCP soit réalisée, encore faudrait-il que le mis en cause en ait eu conscience et qu'il en ait sciemment profité, ce qui ne paraît pas être le cas.
Par ailleurs, la recourante a été en mesure de relater avec précision plusieurs éléments de la soirée, près de deux ans après les faits, notamment ses échanges verbaux avec le mis en cause ainsi que la description de sa propre tenue vestimentaire. Ces éléments tendent à infirmer la thèse selon laquelle elle se serait trouvée en état d'incapacité totale de résistance en raison de son endormissement et/ou d'une consommation excessive d'alcool, qui plus est de manière apparente pour le mis en cause. Aucun élément concret ne vient non plus étayer la thèse selon laquelle une substance psychotrope aurait été introduite à son insu dans son verre, étant précisé qu'elle admet elle-même que cette éventualité paraît peu plausible.
Ainsi, hormis certaines déclarations contraires de la recourante, le dossier ne recèle aucun indice concret laissant à penser que le mis en cause se serait livré sur elle à un acte d'ordre sexuel alors qu'elle aurait été inconsciente. Une incapacité de résistance, de surcroît, perceptible par le mis en cause, au sens de l'art. 191 aCP, n'apparaît dès lors pas vraisemblable.
Les certificats médicaux produits, datant de 2024, ne permettent pas davantage de l’établir, dans la mesure où ils ne font qu'attester de la déscolarisation de la recourante à la suite de sa rupture avec le mis en cause. Quant à la photographie de la recourante prise par le mis en cause, elle n'est pas davantage de nature à fonder une prévention suffisante contre lui.
Enfin, les accusations selon lesquelles ce dernier aurait, à une date indéterminée, saisi les mains de la recourante pour se caresser le sexe sont contredites par le mis en cause et ne sont objectivées par aucun élément du dossier.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, la prévention pénale pour viol et actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance est insuffisante.
Aucun acte d'instruction ne paraît susceptible de modifier cette appréciation. Rien n'indique qu'une confrontation permettrait de faire avancer l'instruction, car il y a tout lieu de penser que les parties maintiendraient leurs versions. De même, on ne voit pas quel élément pertinent pourrait être obtenu de l'audition de la meilleure amie de la recourante, de sa mère ou des professionnels de la santé qu'elle aurait consultés. Ces personnes n'ont pas assisté aux faits et n'ont fait que recueillir la version des évènements fournie par la recourante. L'ordonnance de non-entrée en matière querellée ne prête ainsi pas le flanc à la critique.
3.5.3. Ce qui précède permet enfin de rejeter le grief de la recourante, tiré d'une violation du devoir d'instruction et du droit à une enquête effective, faute de soupçons suffisants justifiant précisément l'ouverture d'une instruction. Pour le surplus, l'on ne voit pas qu'une violation de l'art. 14 CEDH, combiné aux art. 3 et 8 CEDH, ait été commise, dès lors que les propos que la recourante reproche au Ministère public [à savoir qu'il était "difficilement compréhensible qu'elle n'ait pas demandé au mis en cause d'arrêter et de quitter la chambre"] relèvent d'une simple appréciation des éléments du dossier, sans qu'elle puisse être qualifiée de discriminatoire.
4. La recourante reproche au Ministère public de ne pas lui avoir accordé l'assistance judiciaire gratuite.
4.1. À teneur de l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante, pour faire valoir ses prétentions civiles, si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et que l’action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. a) et à la victime, pour lui permettre de faire aboutir sa plainte pénale, si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et que l’action pénale ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).
4.2. Cette norme concrétise les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire dans un procès pénal et reprend ainsi les trois conditions cumulatives découlant de l'art. 29 al. 3 Cst., à savoir l'indigence, les chances de succès et le besoin d'être assisté (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_317/2021 du 9 décembre 2021 consid. 4.1 et 6B_1321/2019 du 15 janvier 2020 consid. 3.5.1).
La cause du plaignant ne doit pas être dénuée de toute chance de succès. La demande d'assistance judiciaire gratuite doit être rejetée d'emblée, notamment lorsqu'une ordonnance de non-entrée en matière ou de classement doit être rendue (arrêt du Tribunal fédéral 1B_254/2013 du 27 septembre 2013 consid. 2.1.1).
4.3. En l'espèce, quand bien même la recourante est indigente, il a été jugé supra que ses griefs étaient juridiquement infondés et que c'était à juste titre que le Ministère public avait rendu une ordonnance de non-entrée en matière. Il en découle que les conditions pour lui octroyer l'assistance judiciaire ne sont manifestement pas réalisées. Partant, c'est à bon droit que le Ministère public a rejeté sa demande d'assistance judiciaire gratuite.
Au vu de l'issue du recours, la demande sera également rejetée pour la procédure devant la Chambre de céans.
5. Justifiées, les ordonnances querellées seront donc confirmées.
6. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), pour tenir compte de sa situation financière qui n'apparaît pas favorable.
Le refus d'octroi de l'assistance juridique gratuite est, quant à lui, rendu sans frais (art. 20 RAJ).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Rejette la demande d'assistance judiciaire gratuite pour la procédure de recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/8362/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 515.00 |
Total | CHF | 600.00 |