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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18396/2023

ACPR/560/2024 du 29.07.2024 sur OPMP/11289/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : PREUVE;VIDÉOSURVEILLANCE;PROTECTION DES DONNÉES;PRÉSOMPTION D'INNOCENCE;PRODUIT CHIMIQUE;LÉGUME;ILLICÉITÉ
Normes : CPP.140; CPP.141; CP.179quater; CPP.269; CPP.10; LPD.4

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18396/2023 ACPR/560/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 29 juillet 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Gaétan DROZ, avocat, MBLD Associés,
rue Joseph-Girard 20 – case postale 1611, 1227 Carouge,

recourant,

 

contre l'ordonnance en constatation de l'illégalité et de l'inexploitabilité d'une preuve rendue le 14 mars 2024 par le Ministère public,

et

B______, représentée par Me Vincent GUIGNET, avocat, Borel & Barbey,
rue de Jargonnant 2 – case postale 6045, 1211 Genève 6,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 28 mars 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 mars 2024, notifiée le 18 suivant, par laquelle le Ministère public a constaté l'illégalité et l'inexploitabilité des enregistrements vidéo produits par le prénommé à l'appui de sa plainte déposée à l'encontre de B______ et les a retirés du dossier, ainsi que des mentions de ces enregistrements dans le rapport de police, et déclaré inexploitables toutes les références au contenu desdits enregistrements.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce qu'il soit dit qu'il appartiendrait au juge du fond de se déterminer sur la licéité, cas échéant l'exploitabilité du moyen de preuve, sous suite de frais et dépens.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 5 juillet 2023, A______ s'est rendu au poste de police pour déposer plainte pénale.

Jardinier amateur, il aimait à faire pousser des légumes dans son potager, qui jouxtait le jardin de sa voisine, B______, avec qui il était en conflit depuis plusieurs années.

Entre les 5 et 19 juin 2023, la voisine susmentionnée avait pulvérisé à plusieurs reprises du désherbant sur son potager : ses légumes et autres végétaux avaient été endommagés. Il supputait, en raison de l'odeur émanant du produit, que sa voisine avait utilisé du C______ un herbicide interdit d'usage aux particuliers. Il craignait pour sa santé ainsi que celle de sa famille.

Il a produit une clé USB contenant des photographies et une vidéo. Celle-ci émane d'une caméra de vidéosurveillance que le plaignant a déclaré avoir installée après avoir subi des dommages dans sa propriété. Sur la vidéo, l'image montre, dans sa partie inférieure, le potager du plaignant qu'une barrière sépare du jardin de la mise en cause, visible sur l'autre moitié de l'image. On y voit la mise en cause déambuler dans son jardin et pulvériser un liquide en direction de la barrière susévoquée.

b. Selon un rapport du 8 août 2023, la police a relaté s'être rendue au domicile de B______ pour examiner les produits de jardinage qu'elle détenait. Le seul produit phytosanitaire était de la soude caustique (dont l'usage normal est de décaper, dégraisser ou déboucher).

Entendue par la police, B______ a contesté avoir aspergé volontairement un quelconque produit dans le jardin de A______. Elle avait seulement utilisé de la soude caustique mélangée à du vinaigre et de l'eau pour traiter la bordure de sa parcelle, soit du lierre qui envahissait sa barrière depuis le jardin du prénommé. Elle n'en avait pas projeté sur le jardin de son voisin, mais il était clair pour elle que le produit avait fait effet le long des racines. Si le potager avait été atteint, c'était par mégarde : jamais elle n'aurait volontairement aspergé un potager.

Les policiers ont relevé que la soude caustique (hydroxyde de sodium) n'était pas autorisée pour l'usage phytosanitaire.

B______ a, elle aussi, produit diverses photographies et enregistrements vidéo. Elle avait elle-même installé une caméra de vidéosurveillance dans son jardin. Cet appareil est dirigé essentiellement sur son propre terrain et filme marginalement les parcelles voisines, y compris celle de A______. Le reste des enregistrements vidéo résulte manifestement du téléphone de B______ tenu au vu et au su de A______ pour le filmer dans son jardin.

c. Par ordonnance pénale du 4 décembre 2023, le Ministère public a reconnu B______ coupable de dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP) et d'infraction à l'art. 49 al. 3 let. b de la loi fédérale sur les produits chimiques (LChim) et l'a condamnée à une peine pécuniaire de 50 jours-amendes, à CHF 40.- le jour, avec sursis, ainsi qu'à une amende immédiate de CHF 500.-. Le Ministère public s'est notamment fondé sur l'enregistrement de vidéosurveillance produit par A______.

Opposition a été formée par B______.

d. Le 5 mars 2024, B______, assistée de son conseil, a considéré que l'enregistrement vidéo produit par A______ était illicite. Ces images devaient donc être retranchées du dossier.

e. Lors de l'audience du 7 mars 2024, le Ministère public a mis B______ en prévention pour avoir, en substance, manqué à son devoir de diligence lors de l'utilisation d'un produit phytosanitaire, mettant ainsi en danger la vie ou la santé de A______ et de sa famille, ainsi qu'avoir endommagé le potager de celui-ci. Il a annoncé qu'une décision ultérieure serait rendue sur la question de l'exploitabilité de l'enregistrement vidéo susmentionné.

Les parties ont été entendues et ont précisé leurs déclarations. A______ a informé le Ministère public qu'une analyse toxicologique était en cours. Il a notamment souligné ne pas avoir demandé l'accord de ses voisins pour l'installation de la vidéosurveillance, mais qu'ils l'avaient vu la mettre en place.

B______ a contesté avoir déclaré aux policiers qu'elle avait utilisé de la soude caustique pour traiter le lierre poussant sur sa parcelle, car elle ne disposait pas de l'équipement spécial nécessaire. Elle n'utilisait la soude caustique que dans son jardin, sous forme de cristaux. Elle a réfuté avoir déclaré au policier qu'elle l'utilisait mélangée à de l'eau et du vinaigre et qu'elle aurait pu en vaporiser sur la parcelle de son voisin, par mégarde.

C. a. À teneur de l'ordonnance querellée, le Ministère public, après s'être référé à l'art. 179quater CP (violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise de vues), a constaté que B______ ignorait avoir été filmée dans son propre jardin par son voisin. Elle n'y avait donc pas consenti. Ledit jardin relevant du domaine privé, les images avaient été recueillies de manière illégale. Il n'était pas envisageable que les autorités aient pu collecter elles-mêmes ces images.

b. Postérieurement à cette ordonnance, A______ a produit un rapport d'analyse de la terre de son potager. Ce rapport contient des termes techniques difficilement compréhensibles pour un non-spécialiste.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir statué en excédant son domaine de compétence : il appartenait en effet au juge du fond de trancher la question de la licéité du moyen de preuve. Les images de vidéosurveillance n'étaient donc pas illicites; subsidiairement, il existait un motif justificatif. Enfin, il n'était pas manifeste que le moyen de preuve était inexploitable, notamment eu égard à la gravité des infractions entrant en considération et en raison de l'existence d'images de vidéosurveillance émanant de la mise en cause elle-même.

b. Le Ministère public a renoncé à formuler des observations et s'en est remis à l'appréciation de la Chambre de céans.

c. B______ conclut au rejet du recours, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Pour le surplus, elle conteste avoir donné son consentement à la surveillance opérée par le recourant, car elle n'avait connaissance ni de l'étendue du champ des caméras posées, ni de la finalité du traitement de données personnelles. Le fait qu'elle ait elle-même versé au dossier des images était sans pertinence, car elle n'avait pas filmé la parcelle du recourant.

d. A______ et B______ ont répliqué à plusieurs reprises et persisté dans leurs conclusions.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance portant sur l'exploitabilité d'un moyen de preuve sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP; ATF 143 IV 475 consid. 2.9; arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.3).

2.             Le recourant conteste la décision du Ministère public d'écarter un enregistrement vidéo.

2.1. La procédure pénale contient des dispositions sur les méthodes d'administration des preuves interdites (art. 140 CPP) et sur l'exploitation des moyens de preuves obtenus illégalement (art. 141 CPP). Ainsi, les moyens de contrainte, le recours à la force, les menaces, les promesses, la tromperie et les moyens susceptibles de restreindre les facultés intellectuelles ou le libre arbitre sont interdits dans l'administration des preuves (art. 140 al. 1 CPP) et les preuves administrées en violation de cette disposition ne sont en aucun cas exploitables (art. 141 al. 1 CPP).

Les preuves qui ont été administrées d'une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves (art. 141 al. 2 CPP). Plus l'infraction est grave, plus l'intérêt public à la découverte de la vérité l'emporte sur l'intérêt privé du prévenu à ce que la preuve soit écartée (ATF 147 IV 9 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_821/2021 du 6 septembre 2023 consid. 1.5.1).

Peuvent notamment être qualifiées d'illicites les preuves résultant d'une violation de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD; RS 235.1) ou du Code civil (cf. ATF 147 IV 16 consid. 1.2; 147 IV 9 consid. 1.3.2; 146 IV 226 consid. 3) ou obtenues par la commission d'une infraction pénale (arrêt du Tribunal fédéral 6B_630/2017 du 16 février 2018 consid. 1).

2.2. La procédure pénale ne règle en revanche pas de manière explicite dans quelle mesure ces dispositions s'appliquent quand les moyens de preuve sont récoltés, non pas par les autorités, mais par des personnes privées. Dans une telle situation, il n'existe donc pas d'interdiction de principe de les exploiter (arrêt du Tribunal fédéral 1B_91/2020 du 4 mars 2020 consid. 2.2).

De tels moyens de preuve sont uniquement exploitables si, cumulativement, ils auraient pu être obtenus par les autorités de poursuite pénale conformément à la loi et si une pesée des intérêts en présence justifie leur exploitation. Dans le cadre de cette pesée d'intérêts, il convient d'appliquer les mêmes critères que ceux prévalant en matière d'administration des preuves par les autorités. Les moyens de preuve ne sont ainsi exploitables que s'ils sont indispensables pour élucider des infractions graves (ATF 147 IV 16 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_862/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.1). En tout état de cause, au stade de l'instruction, il convient de ne constater l'inexploitabilité de ce genre de moyen de preuve que dans des cas manifestes (arrêts du Tribunal fédéral 1B_91/2020 précité consid. 2.2; 1B_234/2018 du 27 juillet 2018 consid. 3.1).

Cet examen a lieu notamment lorsqu'une preuve a été recueillie en violation de l'art. 179quater CP qui proscrit la violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise du vues (arrêt du Tribunal fédéral 6B_53/2020 du 14 juillet 2020 consid. 1 : en l'occurrence il s'agissait d'un policier filmé à son insu par l'un de ses collègues, alors qu'il molestait un prévenu).

2.3. Le ministère public peut utiliser des dispositifs techniques de surveillance aux fins de, notamment, observer ou enregistrer des actions se déroulant dans des lieux qui ne sont pas publics ou qui ne sont pas librement accessibles (art. 280 let. b CPP). L'utilisation de dispositifs techniques de surveillance est régie par les art. 269 à 279 CPP (art. 281 al. 4 CPP).

Selon l'art. 269 al. 1 CPP, le ministère public peut ordonner la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication aux conditions suivantes : de graves soupçons laissent présumer que l'une des infractions visées à l'alinéa 2 a été commise (let. a) ; cette mesure se justifie au regard de la gravité de l'infraction (let. b) ; les mesures prises jusqu'alors dans le cadre de l'instruction sont restées sans succès ou les recherches n'auraient aucune chance d'aboutir ou seraient excessivement difficiles en l'absence de surveillance (let. c). Seules les infractions visées par le catalogue exhaustif de l'art. 269 al. 2 CPP peuvent justifier une surveillance. Au nombre de ces infractions figurent notamment les lésions corporelles graves (art. 122 CP) et la mise en danger de la vie d'autrui (art. 129 CP).

2.4. À teneur de l'art. 179quater al. 1 CP, quiconque, sans le consentement de la personne intéressée, observe avec un appareil de prise de vues ou fixe sur un porteur d'images un fait qui relève du domaine secret de cette personne ou un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé de celle-ci.

2.5. L'utilisation, par des particuliers, de caméras à des fins de protection des personnes ou de prévention d'actes de vandalisme tombe sous la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD; RS 235.1) lorsque les images tournées montrent des personnes qui peuvent être identifiées. Selon l'art. 4 al. 2 LPD, le traitement de données doit être effectué conformément aux principes de la bonne foi et de la proportionnalité. La collecte de données personnelles et en particulier les finalités du traitement doivent être reconnaissables pour la personne concernée (art. 4 al. 4 LPD). La violation de ces principes constitue une atteinte à la personnalité (art. 12 al. 2 let. a LPD).

En principe, les particuliers ne peuvent installer des systèmes de vidéosurveillance que pour surveiller les biens-fonds dont ils sont propriétaires (Fiche informative du préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) "Vidéosurveillance effectuée par des particuliers", consultable sur le site https://www.edoeb.admin.ch/edoeb/fr/home/datenschutz/ueberwachung_sicherheit/videoueberwachung-private.html).

L'art. 13 al. 1 LPD prévoit qu'une atteinte à la personnalité au sens de l'art. 12 LPD est illicite s'il n'existe pas de motif justificatif, à savoir le consentement de la victime ou un intérêt prépondérant privé ou public. Ces motifs justificatifs, dans le cadre pénal, doivent toutefois être retenus avec une grande prudence, notamment lorsque les atteintes à la personnalité concernent un grand nombre de personnes ou un nombre indéterminé de personnes (ATF 147 IV 16 consid. 2.3; 138 II 346 consid. 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.3).

Il s'agit ainsi de procéder à une pesée des intérêts entre l'intérêt privé au traitement des données et l'intérêt à la protection des données de la personne visée. L'intérêt de la personne qui traite les données englobe aussi celui des tiers et dépend du but du traitement des données. Le traitement de données pour assurer sa propre sécurité ou pour éviter la commission d'infractions peut représenter un intérêt digne de protection (arrêt du Tribunal fédéral 6B_536/2009 du 12 novembre 2009 consid. 3.7). Un but sécuritaire est donné lorsqu'il tend à la protection de personnes ou de biens (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1133/2021 du 1er février 2023 consid. 2.4.2 non publié aux ATF 149 IV 153).

2.6. Aux termes de l'art. 10 al. 1 CPP, toute personne est présumée innocente tant qu'elle n'est pas condamnée par un jugement entré en force. Selon l'art. 6 par. 2 CEDH, toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

Considérée comme une garantie procédurale dans le cadre du procès pénal lui-même, la présomption d'innocence impose des conditions concernant notamment la formulation par le juge du fond ou toute autre autorité publique de déclarations prématurées quant à la culpabilité d'un prévenu La présomption d'innocence se trouve méconnue si, sans établissement légal préalable de la culpabilité d'un prévenu et, notamment, sans que ce dernier ait eu l'occasion d'exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu'il est coupable. Il peut en

aller ainsi même en l'absence de constat formel; il suffit d'une motivation donnant à penser que le juge ou l'agent d'Etat considère l'intéressé comme coupable (ATF
147 I 386 consid. 1.2).

La CourEDH insiste sur l'importance du choix des mots utilisés par les agents publics dans leurs déclarations relatives à une personne qui n'a pas encore été jugée et reconnue coupable d'une infraction pénale donnée. Elle considère ainsi que ce qui importe aux fins d'application de la disposition précitée, c'est le sens réel des déclarations en question, et non leur forme littérale. Toutefois, le point de savoir si la déclaration d'un agent public constitue une violation du principe de la présomption d'innocence doit être tranché dans le contexte des circonstances particulières dans lesquelles la déclaration litigieuse a été formulée (voir les références citées à l'ATF 147 I 386 consid. 1.2).

2.7. En l'espèce, il est fait grief au recourant d'avoir filmé sa voisine à son insu dans son jardin au moyen d'une caméra de surveillance, ce qui constituerait une preuve illicite et inexploitable selon l'ordonnance querellée.

Il n'est pas contesté par le recourant que le Ministère public était formellement compétent pour rendre la décision entreprise, mais il soutient que l'illicéité du moyen de preuve devait être manifeste pour que la preuve soit écartée à ce stade de la procédure. La preuve filmée n'avait pas été recueillie illicitement : le jardin de la mise en cause était visible depuis la rue et n'était donc pas privé, elle avait consenti à la prise de vue en assistant à l'installation de la caméra et en filmant elle-même son jardin et une partie de celui du recourant au moyen d'une vidéosurveillance et il existait des motifs justificatifs.

La mise en cause soutient quant à elle que l'enregistrement avait été réalisé par une infraction à l'art. 179quater CPP et qu'aucune justification n'existait. Cet enregistrement était aussi contraire à la LPD.

2.8. En l'occurrence, plusieurs éléments amènent à la conclusion qu'il n'est pas manifeste à ce stade que la preuve aurait été recueillie illicitement.

Tout d'abord, le Ministère public retient dans l'ordonnance querellée que le comportement du recourant réalise les éléments constitutifs de l'infraction réprimée à l'art. 179quater al. 1 CP, qui est d'ailleurs cité. Certes, l'ordonnance querellée ne déclare pas expressément que le recourant est coupable de la commission de cette infraction, mais il n'en reste pas moins qu'il est clairement compréhensible que le Ministère public considère qu'il a agi en contravention à la disposition précitée. Cette approche n'est pas soutenable eu égard au principe de la présomption d'innocence. Sans avoir enquêté de manière suffisante, ni d'ailleurs entendu les parties sur ce point, il ne peut être admis de suggérer, voire implicitement constater, la culpabilité du recourant dans une ordonnance portant sur une autre question. Il est donc exclu de retenir l'illégalité de la preuve sur cette seule base.

En tout état, la vidéosurveillance exercée par le recourant est certes discutable sous l'angle de la protection des données, mais cela ne revient pas à admettre qu'elle est manifestement illicite. Il ressort du dossier une propension des parties à se filmer mutuellement, que ce soit au moyen d'un téléphone portable, voire de systèmes de vidéosurveillance qu'elles ont toutes deux installés. Quoi qu'en dise la mise en cause, elle a, elle aussi, mis en place une caméra fixe qu'elle utilise in fine pour observer certains comportements du recourant et, même partiellement, sa parcelle. Preuve en est qu'elle les a produits dans la présente procédure. Ainsi, il ne peut être exclu à ce stade une forme de consentement implicite mutuel, eu égard à la surveillance que les parties exercent l'une sur l'autre.

Le recourant a par ailleurs fait valoir des soupçons de déprédation qui l'ont conduit à vouloir surveiller ses récoltes et son jardin. Un but sécuritaire de protection des biens est donc invoqué qui peut justifier une vidéosurveillance.

Il s'ensuit que, sans que la Chambre de céans ne puisse et ne doive définitivement trancher la licéité du moyen de preuve, l'illicéité de celui-ci n'est pas suffisamment manifeste à ce stade pour qu'il soit écarté de la procédure, ainsi que toutes les mentions qui en sont faites dans le dossier.

2.9. Même à retenir que la preuve avait été obtenue illicitement, il n'est pas non plus manifeste qu'elle était inexploitable.

Il est ainsi constant qu'il est reproché à la mise en cause d'avoir aspergé les légumes du recourant d'un produit qui doit encore être déterminé précisément et qui aurait été de nature à mettre en danger la vie et / ou la santé du recourant et de ses proches. Ainsi, à ce stade, l'infraction par hypothèse commise par la mise en cause n'a pas encore été arrêtée avec précision. Il n'est donc pas exclu qu'il puisse s'agir d'une infraction grave, soit notamment une de celles figurant au catalogue de l'art. 269 al. 2 CPP.

De plus, si le recourant pouvait soupçonner sa voisine - ou tout tiers - de pulvériser une substance endommageant ses légumes, il n'est pas exclu que, nantie des mêmes soupçons, les autorités pénales aient pu décider de mettre en place une surveillance technique au sens du CPP.

Il s'ensuit qu'il n'est pas évident que la vidéosurveillance n'aurait pas pu être autorisée.

D'ailleurs, le caractère manifestement inexploitable du moyen de preuve est d'autant moins évident que le Ministère public s'était fondé sur cet enregistrement pour rendre une ordonnance pénale et que les parties ont consacré à ce sujet des écritures de recours de plusieurs dizaines de pages au total.

2.10. Par conséquence, l'ordonnance entreprise sera annulée et il sera laissé au tribunal éventuellement nanti du fond, ou au Ministère public s'il entend rendre une ordonnance de classement, de se prononcer de manière complète sur la licéité de ce moyen de preuve.

3.             Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par le recourant (CHF 1'000.-) lui seront restituées.

5.             Le recourant, partie plaignante, assistée d'un avocat, n'ayant ni chiffré ni a fortiori justifié l'indemnité requise pour ses frais de procédure, il n'y a pas lieu d'entrer en matière (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ la somme de CHF 1'000.- versée à titre de sûretés.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et à l'intimée, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).