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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/4173/2021

ACPR/459/2024 du 17.06.2024 sur OCL/130/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;VIOL;ACTE D'ORDRE SEXUEL SUR UN INCAPABLE DE DISCERNEMENT
Normes : CPP.319.al1; CP.190; CP.191

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4173/2021 ACPR/459/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 17 juin 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Dimitri TZORTZIS, avocat, NOMOS Avocats, boulevard des Tranchées 4, 1205 Genève,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 7 février 2024 par le Ministère public,

et

B______, représenté par Me Lisa LOCCA, avocate, LOCCA PION & RYSER, promenade du Pin 1, case postale, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 19 février 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 7 février 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé la procédure à l'égard de B______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, en CHF 4'500.-, à l'annulation de ladite ordonnance, à la reprise de l'instruction et à l'administration des preuves qu'elle énumère.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, ressortissante suisse et du Libéria, née le ______ 1971, a déposé plainte pénale le 18 février 2021 à l'encontre de B______, né en ______ 1938.

Elle a exposé qu'elle avait fait sa connaissance au début de l'année 2010, à la fête de fiançailles d'un ami commun. Ils avaient échangé leurs numéros de téléphone et étaient par la suite allés déjeuner ensemble à plusieurs reprises, afin de discuter des mines de diamants, le domaine d'activité de B______. À ces occasions, il l'avait complimentée sur son physique et lui avait fait comprendre qu'il souhaitait faire évoluer leur relation de manière plus intime.

Le 28 mai 2010, B______ l'avait invitée à dîner au restaurant C______ de l'HOTEL D______ (ci-après: C______). Il avait insisté pour qu'elle boive de l'alcool et avait commandé deux bouteilles de vin rouge. Plus la soirée avançait, plus elle se sentait mal physiquement. A la fin de leur dîner, elle ne tenait plus sur ses jambes, de sorte que B______ avait dû l'aider à sortir du restaurant. Elle lui avait demandé de la ramener chez elle, mais ce dernier l'avait conduite chez lui, au no. ______, rue 1______, et avait insisté pour qu'elle monte dans son appartement boire un verre. Il l'avait soutenue pour s'y rendre.

Alors qu'elle s'appuyait sur la table de la salle à manger pour garder son équilibre, B______ l'avait agrippée par les épaules et forcée à s'allonger sur la table. Elle l'avait repoussé mais tout vacillait autour d'elle. B______ s'était alors transformé en "bête sauvage". Il l'avait brutalement "bousculée" sur le canapé, lui avait arraché sa culotte en soulevant sa robe et pénétrée de force sans préservatif. Elle avait essayé de le repousser mais n'avait aucune force. Elle n'avait plus de souvenir de la fin de la soirée, à part qu'il avait éjaculé. Elle ignorait comment elle était rentrée chez elle et s'était réveillée avec les vêtements de la veille, sauf sa culotte.

Le lendemain, alors qu'elle était aux toilettes chez elle, en train de pleurer, sa cousine lui avait fait remarquer qu'une forte odeur se dégageait de ses parties intimes. Elle lui avait répondu avoir été victime d'un viol la veille. Dans la mesure où elle venait de sortir d'un procès très médiatisé, et afin de ne pas perturber son fils, sa cousine l'avait convaincue de ne pas déposer plainte pénale. Elle s'était rendue chez son gynécologue. Les analyses effectuées avaient révélé qu'elle avait contracté une maladie sexuellement transmissible. Elle avait pris contact avec B______, dès lors que son médecin lui avait recommandé que son agresseur prenne le même traitement médicamenteux qu'elle. B______ lui avait dit qu'il avait "précipité les choses". Elle ne l'avait plus revu depuis, hormis lors d'évènements mondains.

À l'appui de sa plainte, elle a produit une copie du rapport d'analyses [du laboratoire] E______ du 1er juin 2010 (date du prélèvement: 31 mai 2010), portant la mention manuscrite "patiente violée il y a deux jours [la suite est illisible]", ainsi qu'une attestation du 28 janvier 2021 du Dr F______, médecin psychiatre, selon laquelle : "[c]e n'est que très dernièrement cependant qu'elle a pu s'ouvrir [...] d'un viol qu'elle dit avoir subi au mois de mai 2010, par une assez proche connaissance qui aurait profité de son état de conscience diminué par l'effet de l'alcool pour obtenir une relation sexuelle sans consentement. Elle aurait alors présenté un état d'amnésie antérograde, se réveillant chez elle dans un état décrit comme semi-confusionnel [...] il me semble incontestable que l'équilibre psychique de Mme A______, son fonctionnement affectif et sexuel, ainsi que sa qualité de vie sont aujourd'hui sévèrement impactés. Par ailleurs, l'anamnèse est compatible avec la possibilité d'un lien chronologique entre son état et l'évènement dont elle dit avoir été victime".

b. Entendu par la police le 6 octobre 2021, B______ a contesté ces faits. Il avait été invité à une pendaison de crémaillère d'une amie des années plus tôt, sans qu'il puisse se souvenir de la date exacte. Il avait à cette occasion parlé avec une femme qui lui avait expliqué que sa famille, qui se trouvait en Afrique, travaillait dans le domaine du diamant. Elle lui avait demandé s'il était intéressé à développer des partenariats avec sa famille et si elle pouvait garder contact avec lui. Elle l'avait appelé à plusieurs reprises alors qu'il était à G______ [Royaume-Uni] et il avait accepté de rencontrer sa famille lors de sa prochaine venue à Genève afin d'explorer la possibilité de faire des affaires ensemble.

À une date dont il ne se souvenait plus, elle avait organisé un dîner au C______. À son arrivée, elle se trouvait seule et lui avait dit que sa famille ne pouvait pas venir. Ils avaient dîné ensemble. A______ lui avait demandé s'il avait des documents, des livres ou des photographies qu'elle pourrait montrer à sa famille. Il lui avait donc proposé de se rendre chez lui pour lui remettre des brochures qu'il conservait en vue de potentielles futures collaborations. À la fin du dîner, ils avaient marché ensemble jusqu'à son domicile, au no. ______, rue 2______. A______ était restée dans la salle à manger, il lui avait remis cette documentation puis elle était partie, ce qui avait duré 15 à 18 minutes en tout.

Il ne se souvenait plus s'il avait commandé du vin lors du dîner. Il ne faisait que goûter le vin et ne buvait jamais d'alcool fort. Il ne se rappelait pas que A______ avait bu. Selon lui, elle était dans le même état au début et à la fin du repas. Le repas avait été très rapide et n'avait d'autre intérêt que celui de parler affaires. Il contestait avoir entretenu une quelconque relation sexuelle avec A______. Il n'avait aucune idée de la date de ce dîner et ignorait qui avait fait la réservation.

Il n'avait plus revu la précitée depuis, excepté à une ou deux occasions, notamment à H______ [France] chez un de ses amis, quelques années plus tard. A______ avait dû l'appeler une ou deux fois, mais il n'était plus intéressé par un partenariat.

Le 20 novembre 2020, il avait reçu un appel d'une femme se présentant comme médiatrice, qui lui avait demandé, en anglais, s'il connaissait "I______", ce à quoi il avait répondu par la négative. Son interlocutrice avait ajouté "you had sex with her" et que cela lui "coûterait beaucoup d'argent" s'il refusait de parler avec elle.

c. Par courrier de son conseil du 19 avril 2022, B______ a transmis au Ministère public des captures d'écran de diverses photographies de A______ publiées sur les réseaux sociaux. On l'y voit, seule, en compagnie de personnalités telles que J______, K______, L______, M______ et N______ et, dans le cadre d'une photo de groupe, de O______.

d. Par courrier de son conseil du 22 septembre 2022, A______ a fourni une attestation de suivi du Dr F______ du 19 septembre 2022, selon laquelle il avait continué à la suivre régulièrement et que ses présentes conclusions restaient valables.

e. Le Ministère public a ordonné le 17 novembre 2022 l'ouverture d'une instruction à l'encontre de B______ pour avoir, à Genève, le 28 mai 2010, à son domicile sis no. ______, rue 1______, profité du fait que A______ était alcoolisée pour la contraindre, par la force, notamment en arrachant sa culotte et en soulevant sa robe, à subir un rapport sexuel.

f. Lors de l'audience devant le Ministère public du 17 novembre 2022, en l'absence de B______, excusé pour des raisons médicales, A______ a confirmé sa plainte. Après sa rencontre avec B______ au début de l'année 2010, ce dernier avait repris contact avec elle par téléphone. Ils s'étaient revus pour déjeuner et parler affaires à deux occasions. Elle avait accepté ces déjeuners pour parler des mines de phosphate. Sa famille n'était pas active dans les mines de diamants ni impliquée dans ses projets professionnels.

Il lui avait dit lors de ces deux déjeuners qu'elle pourrait se mettre en couple avec lui et vivre une belle histoire d'amour. Si elle lui faisait un enfant, elle ne manquerait de rien. Elle avait refusé ses avances car il était beaucoup plus âgé qu'elle. Ce qui l'avait dérangée le plus était qu'alors qu'il était marié, il avait été en couple avec sa secrétaire pendant quatorze ans et avait eu un enfant avec elle.

B______ l'avait invitée pour son anniversaire le 28 mai 2010. L'après-midi, il lui avait offert un parfum d'une valeur de près de CHF 700.- pour qu'elle le porte le soir-même. Ils s'étaient retrouvés dans la soirée afin d'aller diner au C______. B______ voulait commander du champagne mais elle lui avait répondu ne pas boire d'alcool. Il avait insisté pour qu'elle boive du vin rouge, environ deux bouteilles à eux deux, ce qu'elle avait accepté par politesse. Elle n'était pas bien à la fin de la soirée. Il s'agissait d'un dîner privé, qui avait duré deux ou trois heures, sans lien avec une éventuelle collaboration professionnelle. B______ l'avait ensuite invitée à venir boire un verre chez lui. Elle a ensuite dit que c'était pour boire un thé.

Il l'avait pénétrée sans préservatif. Il était sur elle et la tenait, tous deux couchés sur le canapé. Elle se souvenait bien de tout l'acte, très rapide, sans changement de position, jusqu'au moment où il avait éjaculé. Il avait gardé sa chemise mais enlevé son pantalon. Elle ne se souvenait plus de la durée de l'acte sexuel ni de la manière dont elle était rentrée chez elle. Le lendemain, sa cousine, P______, qui vivait au Portugal et était décédée en avril 2022, lui avait conseillé de ne pas déposer plainte car "des gens comme ça sont capables d'organiser la mort". Lors de cette discussion avec sa cousine, son fils était à l'école. Vu l'odeur se dégageant de ses parties intimes, survenue "tout de suite le lendemain des faits", elle avait appelé son gynécologue qui lui avait donné rendez-vous "tout de suite" et avait fait des prélèvements. Elle avait eu ce rendez-vous le "jour-même ou le lendemain". Il lui avait téléphoné pour l'informer qu'elle avait contracté une bactérie, dont elle ne se souvenait plus du nom, et qu'elle devait donner le médicament prescrit à son partenaire. Elle avait alors dit à son médecin que c'était un viol. Elle était allée chercher l'ordonnance, avait acheté le médicament puis pris contact avec B______ afin de lui remettre le traitement. Ce dernier s'était montré froid et lui avait répondu "venez vers le Q______ [hôtel]", n'était pas descendu de sa voiture et lui avait dit qu'il "s'était précipité trop vite". Tous deux se tutoyaient. Après cela, elle ne l'avait jamais rappelé pour des opportunités professionnelles.

Sa cousine, qui travaillait dans la presse, lui avait déconseillé de déposer plainte, car elle-même avait été très visée par les médias à la suite de sa relation avec K______.

Elle avait parlé avec un avocat deux ans après les faits, mais celui-ci lui avait dit que c'était trop tard pour déposer plainte. Elle s'était également confiée, huit ans environ après les faits, à son meilleur ami, R______, vivant à Monaco, alors qu'ils avaient croisé B______ au C______. Elle avait consulté le Dr F______ en 2016 ou 2017. C'était avec l'aide de ce dernier qu'elle avait réussi à déposer plainte; elle avait gagné en confiance et avait commencé à comprendre qu'elle n'était pas la fautive et n'avait pas à avoir honte. Avant cela, elle avait l'espoir que si elle cachait ce qui s'était passé, elle finirait par oublier. Elle avait également suivi des séances d'EMDR en 2020, afin de travailler sur le traumatisme du passage de l'homme gentil à l'homme animal, dont elle souffrait. Elle s'était également confiée à sa meilleure amie la veille de l'audience, car elle ne se sentait pas bien.

Elle avait fait appel à une médiatrice, après que son avocate lui avait dit qu'elle n'était pas assez bien pour aller en procès. La médiatrice avait pris contact avec B______ et elle avait espéré, par cette démarche, que ce dernier s'excuserait. À sa surprise, il avait dit à la médiatrice qu'il ne la connaissait pas. Elle avait donc décidé d'agir en justice. Elle souhaitait que la justice soit faite. Elle avait décidé de déposer plainte car c'était injuste quelle subisse ce traumatisme seule.

g. Par courrier de son conseil du 14 novembre 2022, A______ a produit une attestation du 7 mars 2022 de S______, psychologue. Celle-ci l'avait suivie entre le 11 mars et le 6 mai 2021, dans un contexte de plainte à la suite d'abus sexuels; sa patiente souffrait d'un état de stress post-traumatique.

h. Lors d'une audience de confrontation le 7 juin 2023 :

h.a. B______ a confirmé ses déclarations à la police.

Il avait reçu deux jours plus tôt un message via Whatsapp d'une personne se présentant comme un journaliste et indiquant que l'autre partie souhaitait trouver un arrangement. Était jointe à ce message une capture d'écran de la première page de la plainte de A______. Ces faits étaient constitutifs d'extorsion et de chantage. Selon les recherches effectuées sur son expéditeur, ce message provenait de Guinée-Bissau.

Il contestait intégralement les faits. La pendaison de crémaillère devait avoir eu lieu le 10 mai 2010, disant ensuite qu'il n'en était pas absolument sûr et était désolé de cette erreur. Il n'avait jamais parlé à A______ de sa vie privée. Il ne se souvenait pas qu'il aurait déjeuné deux fois avec elle; il n'y avait pas eu de déjeuner, avant le dîner au C______. La presse anglaise s'était fait l'écho du couple formé pendant 14 ans avec sa secrétaire alors qu'il était marié. Il n'avait jamais proposé à la plaignante de vivre une belle histoire d'amour et d'avoir un enfant avec elle. C'était faux et irréel. Le dîner au C______ n'était pas lié à l'anniversaire de la plaignante mais avait pour objet une rencontre avec des membres de sa famille, actifs dans le secteur du diamant en Afrique. Il avait été naïf de poursuivre le dîner alors qu'elle était venue seule. Il ne lui avait pas offert de parfum et ignorait que cela aurait été son anniversaire. Il était possible qu'il ait commandé du champagne ou du vin, mais il ne s'en souvenait pas. Il n'avait pas insisté pour que A______ boive; il ne le faisait jamais. Cette dernière n'avait pas eu de peine à marcher en sortant du restaurant. Ils avaient marché pendant environ 7 minutes, jusqu'à son bureau qui était aussi l'endroit où il vivait lorsqu'il était à Genève. Elle ne l'attirait pas physiquement et il n'avait pas insisté pour qu'elle vienne chez lui où elle était restée 10 à 15 minutes. Elle n'avait pas pris contact avec lui pour lui remettre des médicaments et il ne lui avait jamais indiqué qu'il "s'était précipité trop vite". Elle avait essayé de prolonger leur relation "d'une manière ou d'une autre" par des appels téléphoniques qu'elle lui avait passés après le dîner.

Il pensait que la plaignante le visait pour le déstabiliser et lui demander de l'argent. À cause du COVID-19, les activités qu'elle avait avec les hommes, quelles qu'elles soient, s'étaient arrêtées et elle avait besoin d'argent. Il faisait l'objet d'un chantage.

Il s'engageait à transmettre le détail de ses déplacements en mai 2010.

h.b. A______ a déclaré avoir vu son gynécologue le 29 ou le 30 mai 2010, en urgence, à son cabinet. Elle connaissait le journaliste, U______, qui avait pris contact avec B______. Elle était en train d'écrire un livre et il s'était engagé à interroger sa famille en Afrique dans ce cadre. Le journaliste avait su par sa famille qu'un procès était en cours à Genève. Elle ignorait pour quelles raisons ce journaliste avait envoyé des messages à B______ et comment il avait obtenu son numéro de téléphone. Elle avait envoyé une copie de sa plainte à son avocat en Afrique, pour savoir ce qu'il en pensait.

i. À l'issue de cette audience, le Ministère public a fait obligation aux parties de garder le secret sur la procédure et les personnes impliquées, au sens de l'art. 73 CPP, jusqu’au 15 août 2023, obligation prolongée jusqu'au 15 novembre 2023.

j. Le 7 juin 2023, B______ a produit le planning quotidien de ses lieux de séjour et de voyages pour la période du 6 avril au 14 juin 2010, document établi par son secrétariat et remis chaque année à l'administration anglaise. Il en ressort qu'il se trouvait à G______ [Royaume-Uni] le 27 mai 2010, s'était envolé pour T______ [France] le 28 mai 2010, où il avait séjourné jusqu'au 30 mai 2010. Il n'avait passé que quelques heures à Genève en mai 2010, soit le 31 mai 2010 entre 00h05 et 08h40. Il a relevé que le 28 mai 2010 était un vendredi et, partant, le 29 un samedi. Les écoles étaient donc fermées tout comme le cabinet du gynécologue de la plaignante.

k. Le 4 juillet 2023, B______ a relevé que le rapport d'analyses [du laboratoire] E______ du 1er juin 2010 indiquait que la patiente avait été testée positive à l'ureaplasma urealyticum au taux de 10'000 ucc/ml. Or, selon la fiche technique du "Journal V______", cette maladie n'était pas sexuellement transmissible. Il s'agissait d'une bactérie normalement présente dans la flore vaginale, chez 40 à 80% des femmes actives sexuellement. Au taux constaté chez A______, il s'agissait d'un déséquilibre de sa flore vaginale et non d'une infection. En outre, cette bactérie pouvait proliférer en raison d'un traitement antibiotique, de toilettes vaginales inadaptées, de la consommation de tabac ou de modifications hormonales, et, plus rarement, lors de rapports sexuels. Dans ce dernier cas, le temps d'incubation était de 10 à 20 jours.

l. Lors de l'audience devant le Ministère public le 15 août 2023:

l.a. A______ a déclaré qu'elle était certaine que les faits s'étaient déroulés le 28 mai 2010. Son fils avait un cours à l'école de danse W______ le lendemain. Confrontée au planning des déplacements de B______, elle a indiqué qu'elle ne savait plus si elle avait passé avec lui l'après-midi du 28 mai 2010 ou la veille. Elle avait pris contact avec son gynécologue, le Dr X______, le 29 mai 2010. Interrogée sur le fait que le 29 mai 2010 était un samedi et que le cabinet était fermé, elle a déclaré avoir appelé et consulté le Dr X______ "quelques jours après". C'est lui qui avait écrit "patiente violée il y a deux jours" sur le rapport d'analyses [du laboratoire] E______. À la question de savoir comment elle expliquait que le Dr X______ avait apposé cette mention sur l'attestation, alors qu'elle lui avait dit qu'elle avait été violée plusieurs jours après le premier rendez-vous qui avait suivi les faits, elle a répondu qu'elle ne pouvait pas dire les jours précis. Elle avait des troubles de mémoire à cause du COVID. Lorsqu'elle avait indiqué au Dr X______ qu'elle avait été violée, ce dernier l'avait prise dans les bras et lui avait demandé si elle voulait déposer plainte. Il ne l'avait pas adressée aux urgences des HUG ni n'avait procédé à un constat. Elle lui avait en effet dit qu'elle avait été violée seulement lorsqu'il lui avait "donné le médicament", dans la semaine qui avait suivi le premier rendez-vous, car elle avait honte. Elle était allée chercher les médicaments le lundi 31 mai 2010, après qu'il lui avait fait un frottis.

Depuis 2013 qu'elle vivait à proximité du domicile de B______, elle revivait l'épisode chaque jour. Plus le temps passait, plus le traumatisme remontait.

m. Par avis de prochaine clôture du 24 octobre 2023, le Ministère public a informé les parties qu'une ordonnance de classement serait rendue.

A______ a sur ce, le 20 novembre 2023, sollicité l'audition de Y______, une amie, R______, son meilleur ami, Z______, sa meilleure amie et son fils, toutes des personnes auxquelles elle s'était confiée. Elle a fourni un certificat médical du Dr F______ daté du 10 novembre 2023, attestant de son suivi et de sa souffrance morale suite aux "évènements subis et décrits à l'époque" et qu'il était important et urgent qu'elle puisse trouver reconnaissance et réparation pour le dommage subi.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu que les personnes dont la recourante sollicitait l'audition étaient des témoins indirects des faits dont elle ne leur avait parlé que plusieurs années plus tard. Selon le certificat médical de son médecin psychiatre du 28 janvier 2021, elle ne lui avait parlé que très récemment d'une agression sexuelle subie en mai 2010. Tous ne pourraient que relater sa version. Son fils n'était quant à lui pas présent lorsqu'elle avait parlé des faits à sa cousine en mai 2010.

Les déclarations des parties étaient contradictoires. Au terme des enquêtes menées, aucun élément du dossier ne permettait de considérer que la version de la plaignante était plus crédible que celle du prévenu. Au contraire, des incohérences et des fluctuations apparaissaient dans les déclarations de A______, à commencer par la date à laquelle elle avait consulté son gynécologue et le moment où elle lui avait dit avoir été violée. Or, selon le rapport [du laboratoire] E______, le prélèvement avait été effectué le 31 mai 2010 et le rapport édité le 1er juin 2010, ce qui n'était pas compatible avec le fait d'avoir confié à son gynécologue avoir subi un viol après avoir récupéré le médicament le 31 mai 2010, moment où celui-ci y aurait écrit sur ce document "patiente violée il y a deux jours".

La bactérie ureaplasma urealyticum, présente chez environ 30% des femmes, telle que diagnostiquée selon ce même document, provoquait une infection urinaire selon les informations qui figuraient notoirement sur Internet, et n'était pas une maladie sexuellement transmissible. Il était relevé l'absence de tout constat établi par le gynécologue de la plaignante, alors même qu'elle lui aurait confié avoir subi un viol quelques jours plus tôt.

Le fait que A______ ait déclaré, à plusieurs reprises, que son fils était à l'école le lendemain des faits, alors que c'était un samedi, affaiblissait aussi la crédibilité de ses déclarations.

Celle-ci avait également varié sur les raisons pour lesquelles elle n'avait pas déposé plainte, expliquant tantôt que sa cousine l'en avait dissuadée, dès lors qu'elle venait de subir un procès très médiatisé pour ensuite déclarer que c'était car des gens comme le prévenu étaient "capables d'organiser la mort".

Il ressortait du planning produit par le prévenu, remis, selon ses déclarations aux autorités anglaises, ce qui venait renforcer sa valeur probante, que ce dernier n'était pas à Genève le 28 mai 2010.

La plaignante avait remis une partie de sa plainte pénale à un tiers en Guinée, qui l'aurait transmis à un journaliste, lequel avait pris contact avec le prévenu pour l'interroger et lui proposer, sur son téléphone dont le numéro n'était pas public, un arrangement avec la partie adverse.

Enfin, les certificats médicaux remis par la plaignante ne faisaient que relater les déclarations qu'elle avait faites en procédure et il n'était pas démontré que l'état de stress post-traumatique diagnostiqué était en lien avec les faits qu'elle disait avoir subis dix ans plus tôt.

Ainsi, en présence de déclarations contradictoires et en l'absence de preuve matérielle ou de témoin direct, les probabilités d'acquittement apparaissaient bien plus vraisemblables qu'une condamnation.

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir que c'était à tort que le Ministère public remettait en doute sa crédibilité en se concentrant sur des inexactitudes d'ordre temporel, de quelques jours, en lien avec des faits datant de presque 15 ans, qui de plus étaient traumatisants. Son fils aurait très bien pu être à l'école de danse le samedi suivant les faits, comme cela résultait du site internet de W______. Les raisons qui pouvaient amener une victime de viol à dénoncer les faits étaient multiples, surtout lorsque les personnes impliquées étaient médiatiquement exposées ou que le prévenu disposait de ressources exceptionnelles qui pouvaient intimider la victime. Il ne faisait aucun doute qu'elle avait pris en compte tous ces éléments, ce qui était d'autant plus évident au vu du nombre d'années dont elle avait eu besoin pour parvenir à déposer plainte. Il ne pouvait être retenu à son encontre le fait de s'être confiée à son avocat en Guinée et à un journaliste en lien avec un projet de livre sur sa vie.

Elle avait consulté le Dr X______ en raison d'une forte odeur émanant de ses parties intimes lors de la miction et ce dernier avait procédé à un prélèvement d'urine. Il était reconnu que la bactérie décelée, constitutive d'une infection urinaire, pouvait se transmettre sexuellement, comme cela ressortait de la fiche technique des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) citée par le Ministère public, ce d'autant plus en cas de rapport sexuel non consenti, faute de lubrification suffisante causant une friction accrue entre les organes génitaux. Les symptômes qu'elle avait présentés lors de la consultation gynécologique attestaient un rapport sexuel récent.

Dans la mesure où elle n'avait à l'époque aucune intention de déposer plainte pénale, il n'y avait pas de raison de demander qu'un constat de viol soit établi. Par ailleurs, les protocoles suivis par les médecins en cas de viol avaient considérablement évolué depuis 2010. Il était facilement possible d'éclaircir cette question, de même que les circonstances dans lesquelles la visite médicale avait eu lieu, la nature de son infection et les raisons ayant amené son gynécologue à noter "patiente violée il y a 2 jours", en interrogeant ce dernier, qu'elle déliait de son secret médical.

Il y avait également lieu d'obtenir du C______ une liste des réservations effectuées en mai 2010, dans la mesure où B______ contestait la date précise d'un repas pris avec elle. Elle avait rencontré B______ dans ce même restaurant environ huit ans après les faits, alors qu'elle se trouvait avec R______. Elle s'était confiée à lui à ce moment-là. L'audition des proches auxquels elle s'était confiée au fil du temps était pertinente, quand bien même ils n'avaient pas été témoins directs des faits.

Quant au planning dressé par le secrétariat du prévenu, quand bien même il serait soumis aux autorités anglaises en lien avec son statut administratif, ne prouvait nullement avec certitude ses déplacements, d'autant moins en l'absence de billets d'avion, pourtant aisément disponibles. D'ailleurs, alors que le prévenu avait déclaré l'avoir rencontrée à une pendaison de crémaillère le 10 mai 2010, ledit planning indiquait qu'il se trouvait alors à New York ainsi que pour une durée prolongée avant et après cette date. Enfin, un laps de temps de 15-18 minutes pour un simple échange de brochures apparaissait disproportionné.

Il importait de statuer en urgence dans le recours vu le délai de prescription de l'action pénale au 28 mai 2025 et des actes d'instructions à effectuer d'ici-là.

b. Le Ministère public a indiqué ne pas avoir d'observations.

c.B______ conclut au rejet du recours, avec suite de frais. Préalablement, obligation devait être faite aux parties de garder le silence sur la procédure.

Il était établi par pièces qu'il ne se trouvait pas à Genève le 28 mai 2010. De plus, dans l'hypothèse, rare, où la prolifération des bactéries identifiées chez la plaignante le 31 mai 2010 étaient la conséquence d'un rapport sexuel, le temps d'incubation serait de 10 à 20 jours à compter dudit rapport. Un éventuel rapport sexuel causal serait donc intervenu entre le 11 et le 21 mai 2010, et non le 28 dudit mois. Il n'était par ailleurs pas à Genève du 1er au 14 juin 2010, ce qui excluait que la plaignante ait pu lui remettre des médicaments, comme elle le soutenait.

Le seul but de la plaignante était d'obtenir de sa part des avantages financiers indus, ce dont les éléments intervenus peu avant l'audience du 7 juin 2023 étaient l'illustration. Il revient au surplus en détail sur les contradictions et incohérences des récits de la plaignante.

Contrairement à ce que celle-ci soutenait, les médecins étaient déjà formés en 2010 à documenter une agression sexuelle ou à tout le moins à adresser leurs patientes aux HUG, étant rappelé que la LAVI était entrée en vigueur le 1er janvier 2009.

Enfin, en 2013, la plaignante, qui devait déménager, avait choisi, parmi plusieurs adresses à Genève, d'emménager à proximité immédiate du lieu où elle disait avoir été victime d'une agression, ce qui n'était pas compatible avec le traumatisme qu'elle disait avoir subi et décrédibilisait totalement ses accusations.

C'était la première fois, en trois ans de procédure, qu'elle sollicitait l'audition de son gynécologue, laquelle devait être refusée, ne l'ayant pas même fait au moment de l'avis de prochaine clôture. En tout état, une telle audition n'amènerait le praticien à s'exprimer que sur ce que sa patiente lui aurait éventuellement confié. De plus, vu les années écoulées, les souvenirs éventuels de ce témoin ne seraient, au mieux, qu'imprécis, au pire, inexistants. Il ne pourrait pas s'appuyer sur son dossier et ses notes, vu l'expiration du délai légal de dix ans de conservation des documents.

La liste des réservations du C______, pour autant qu'encore existante, n'apporterait pas à la procédure d'éléments exploitables, pas plus que les autres auditions sollicitées.

Le planning de ses déplacements était un document officiel et il ne pouvait produire de billets d'avion, puisqu'il se déplaçait en avion privé.

d. Par ordonnance du 16 avril 2024, la direction de la procédure a fait application à toutes les parties, sous menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, de garder le silence sur la procédure et les personnes impliquées, jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Chambre de céans.

e. Dans sa réplique du 8 mai 2024, A______ relève que l'audition du Dr X______ pourrait certainement apporter des éléments importants, puisqu'une affaire de viol dénoncée à son gynécologue n'était pas anodine et que celui-ci devrait, selon toute vraisemblance, s'en rappeler. L'inspecteur de police, dans son rapport du 14 octobre 2021, avait d'ailleurs évoqué l'utilité de cette audition. Il fallait également procéder aux auditions du Dr F______, de la psychologue S______ et de la médiatrice AA_____, qu'elle avait mandatée.

Elle produisait des attestations, l'une de l'école W______, selon laquelle son fils y avait suivi des cours de hip-hop les samedis, de septembre 2009 à juin 2016, et l'autre de l'association AB_____, selon laquelle il y était inscrit pour des cours les samedis, de 9h40 à 11h40, de septembre 2007 à juin 2010.

f. Dans une duplique spontanée du 23 mai 2024, B______ expose que les trois nouvelles auditions sollicitées par la recourante pour la première fois dans sa réplique étaient tardives. La demande d'audition du Dr X______, au stade du recours seulement, était "insolite". Celui-ci ne pourrait que relater ce que la recourante lui avait dit. De plus, celle-ci n'avait jamais allégué avoir communiqué à son gynécologue l'identité de son prétendu agresseur, de sorte que celle-ci ne pourrait être confirmée par cette audition. S'agissant de l'audition de AA_____, la médiation était confidentielle et le médiateur était en droit de refuser de témoigner. Les deux nouvelles attestations produites en lien avec des cours de hip-hop et de chinois que le fils de la recourante aurait suivis les samedis matins n'apportaient aucun élément de preuve irréfutable.

Il conclut derechef au rejet du recours, "avec suite de frais et dépens".

g. Les autres parties, à qui la duplique a été envoyée, n'ayant pas réagi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante reproche au Ministère public de n'avoir pas accédé à ses réquisitions de preuves du 20 novembre 2023, tendant à l'audition de ses amis Y______, R______ et Z______, ainsi que de son fils, à savoir des personnes auxquelles elle s'était confiée au fil du temps.

Dans son recours et sa réplique, elle conclut en outre à l'audition du Dr X______, gynécologue, et, dans sa réplique, à celles du Dr F______, psychiatre, de la psychologue S______ et de la médiatrice AA_____ et à ce qu'il soit ordonné au restaurant C______ de produire le listing des réservations pour le mois de mai 2010.

2.1. À teneur de l'art. 318 al. 2 CPP, le Ministère public ne peut écarter une réquisition de preuves que si celle-ci exige l'administration de preuves sur des faits non pertinents, notoires, connus de l'autorité pénale ou déjà suffisamment prouvés en droit. Ces motifs correspondent à ceux par lesquels le Ministère public peut, de manière générale, renoncer à administrer une preuve en vertu de l'art. 139 al. 2 CPP (Message du Conseil fédéral relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1057, p. 1254). Cette dernière disposition codifie, pour la procédure pénale, la règle jurisprudentielle déduite de l'art. 29 al. 2 Cst. en matière d'appréciation anticipée des preuves (arrêt du Tribunal fédéral 6B_977/2014 du 17 août 2015, consid. 1.2).

2.2. Le législateur a ainsi consacré le droit des autorités pénales de procéder à une appréciation anticipée des preuves. Le magistrat peut renoncer à l'administration de certaines preuves, notamment lorsque les faits dont les parties veulent rapporter l'authenticité ne sont pas importants pour la solution du litige. Ce refus d'instruire ne viole le droit d'être entendu que si l'appréciation de la pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le juge a ainsi procédé, est entachée d'arbitraire (ATF 141 I 60 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_891/2018 du 31 octobre 2018 consid. 2.1).

2.3. En l'espèce, le Ministère public a clairement exposé les motifs pour lesquels il n'entendait pas donner suite aux demandes d'audition sollicitées le 20 novembre 2023. Il s'est prononcé d'une façon précise et motivée, conformément au respect du droit d'être entendu, et peut complètement être suivi dans son analyse de l'appréciation anticipée des preuves s'agissant de l'audition des proches de la recourante, qui n'ont ni été témoins directs des faits dénoncés, ni n'ont recueilli de confidences rapidement après, mais au contraire des années plus tard. En définitive, seule la cousine de la recourante, toutefois décédée en avril 2022, aurait, aux dires de la recourante, pu apporter un éclairage sur ce qu'elle aurait constaté directement et le contenu de leur discussion le lendemain desdits faits. Enfin, les déclarations des proches de la recourante devraient en tout état être appréciées avec une grande circonspection vu les liens les unissant, en particulier son fils.

Ce grief doit donc être rejeté.

3. La recourante conteste le classement des infractions dénoncées.

3.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public classe la procédure lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi (let. a) ou que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition s’interprète à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un certain pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, le principe précité impose, en règle générale, que ce dernier soit mis en accusation. Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation, mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2). L'autorité de recours ne saurait ainsi confirmer un classement au seul motif qu'une condamnation n'apparaît pas plus probable qu'un acquittement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1381/2021 du 24 janvier 2022 consid. 2; 6B_258/2021 du 12 juillet 2021 consid. 2.2). Il peut néanmoins être renoncé à une mise en accusation si la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles, lorsqu'une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs, ou lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_957/2021 du 24 mars 2022 consid. 2.3).

3.2. Selon le Tribunal fédéral, le temps écoulé depuis le déroulement des faits ne suffit pas pour rendre une ordonnance de non-entrée en matière sur une infraction dont la prescription n'a largement pas été atteinte, étant précisé qu'il est fréquent que les victimes d'abus sexuels prolongés n'en parlent pas, ou seulement longtemps après les faits; elles en sont empêchées par des sentiments de souffrance, d'humiliation et de honte (arrêt 6B_488/2021 du 22 décembre 2021 consid. 5.7).

3.3. Enfreint l'art. 190 al. 1 CP celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel.

3.4. L'art. 191 CP vise celui qui, sachant qu’une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l’acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d’ordre sexuel.

3.4.1. Cette disposition protège, indépendamment de leur âge et de leur sexe, les personnes incapables de discernement ou de résistance dont l'auteur, en connaissance de cause, entend profiter pour commettre avec elles un acte d'ordre sexuel
(ATF 120 IV 194 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).

Son but est de protéger les personnes qui ne sont pas en état d'exprimer ou de manifester physiquement leur opposition à l'acte sexuel. À la différence du viol (art. 190 CP), la victime est incapable de discernement ou de résistance, non en raison d'une contrainte exercée par l'auteur, mais pour d'autres causes. L'art. 191 CP vise une incapacité de discernement totale, qui peut se concrétiser par l'impossibilité pour la victime de se déterminer en raison d'une incapacité psychique, durable (p. ex. maladie mentale) ou passagère (p. ex. perte de connaissance, alcoolisation importante, etc.), ou encore par une incapacité de résistance parce que, entravée dans l'exercice de ses sens, elle n'est pas en mesure de percevoir l'acte qui lui est imposé avant qu'il ne soit accompli et, partant, de porter jugement sur celui-ci et, cas échéant, le refuser (ATF 133 IV 49 consid. 7.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).

Une incapacité de résistance peut être retenue lorsqu'une personne, sous l'effet de l'alcool et de fatigue ne peut pas ou que faiblement s'opposer aux actes entrepris (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_238/2019 du 16 avril 2019 consid. 2.1; 6B_232/2016 du 21 décembre 2016 consid. 2.2; 6B_128/2012 du 21 juin 2012 consid. 1.4). L'infraction n'est en revanche pas réalisée si c'est la victime qui a pris l'initiative des actes sexuels ou qu'elle y a librement consenti (arrêt du Tribunal fédéral 6B_762/2018 du 14 décembre 2018 consid. 2.2).

3.4.2. Sur le plan subjectif, l'art. 191 CP est une infraction intentionnelle. Il appartient au juge d'examiner avec soin si l'auteur avait vraiment conscience de l'état d'incapacité de la victime. Le dol éventuel suffit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_762/2018 précité, consid. 2.2). Il n'y a pas d'infraction si l'auteur est convaincu, à tort, que la personne est capable de discernement ou de résistance au moment de l'acte (arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2018 du 20 mars 2019 consid. 2.1; 6B_996/2017 du 7 mars 2018 consid. 1.1; 6B_60/2015 du 25 janvier 2016 consid. 1.2.1).

3.5 En l'espèce, la recourante s'en prend à la motivation du Ministère public qui remettait en doute, selon elle à tort, sa crédibilité en se concentrant sur des inexactitudes d'ordre temporel, de quelques jours, en lien avec des faits datant de "presque 15 ans" et traumatisants.

Le principe jurisprudentiel commandant qu'en cas de doute, particulièrement en cas d'actes perpétrés "entre quatre yeux", la cause devrait être soumise à l'appréciation du juge du fond n'est pas absolu. Même en présence d'infractions graves, notamment en matière sexuelle, le Tribunal fédéral admet qu'un classement puisse se justifier, en particulier lorsque les éléments du dossier permettraient déjà à ce stade de considérer qu'une mise en accusation aboutirait à un acquittement avec une vraisemblance confinant à la certitude (cf. par exemple arrêt du Tribunal fédéral 6B_277/2021 du 10 février 2022).

Tel est le cas en l'occurrence.

Si les faits en cause, à savoir une relation sexuelle que la plaignante dit lui avoir été imposée alors qu'elle se serait trouvée sous l'effet de l'alcool, sont graves, le prononcé d'un classement s'impose néanmoins pour les raisons qui suivent.

La recourante et le prévenu s'accordent à dire qu'ils ont bien dîné un soir ensemble au restaurant C______. C'était le 28 mai 2010 selon la plaignante, qui est formelle sur ce point. Selon le prévenu, qui n'a pas été en mesure de donner la date, il était toutefois exclu que ce fût le 28 mai 2010, car il ne se trouvait alors pas à Genève. Il produit, à cet égard, un tableau de ses voyages, établi par son bureau. La recourante soutient que c'était en lien avec son anniversaire, étant relevé qu'elle est née le ______ 1971 et non le 28 dudit mois, alors que le prévenu soutient que ce dîner avait pour but de lui faire rencontrer des membres de sa famille (à elle) en vue d'une possible collaboration dans le cadre d'exploitation de mines de diamants en Afrique, continent dont la partie plaignante est originaire. Tous deux ont indiqué que du vin rouge leur avait été servi, alors qu'aucun des deux n'entendait en boire, la recourante alléguant qu'elle l'aurait fait sur la seule insistance du prévenu, jusqu'à ne plus tenir sur ses jambes au moment de quitter le restaurant et à devoir prendre appui sur le bras du prévenu. Tous deux enfin ont déclaré de manière constante que la recourante était montée dans l'appartement du prévenu, durant 10 à 18 minutes selon l'appréciation de ce dernier. Le motif de la venue de la plaignante dans cet appartement diffère : selon cette dernière, elle se serait laissée convaincre par le prévenu qui avait insisté, pour boire un verre, disant ensuite que c'était pour un thé; selon le prévenu, il devait remettre à celle-ci de la documentation en lien avec son activité de diamantaire vu l'intérêt qu'elle avait manifesté à ce sujet.

S'agissant de l'agression que la recourante dit avoir subie, elle a déclaré à la police le 18 février 2021, soit près de onze ans plus tard, qu'alors qu'elle s'était tenue à la table de la salle à manger pour garder son équilibre, le prévenu l'avait agrippée par les épaules et forcée à s'allonger sur la table. Elle l'avait repoussé mais celui-ci, "transformé en bête sauvage", l'avait brutalement "bousculée" sur le canapé, lui avait arraché sa culotte en soulevant sa robe et pénétrée de force sans préservatif. Elle n'avait pas réussi à le repousser car elle n'avait aucune force. Elle n'avait plus de souvenir de la suite, jusqu'au moment de son réveil le lendemain dans son lit (à elle), excepté que l'intimé avait éjaculé. Devant le Ministère public, le 17 novembre 2022, elle a ajouté que tous deux s'étaient retrouvés allongés sur le canapé, le recourant placé sur elle "la" tenant, sans autre précision, alors même qu'elle a également dit bien se souvenir de l'acte, qui avait été très rapide et sans changement de position jusqu'à ce que le recourant éjacule. Aussi, alors que la recourante avait prétendu que ses souvenirs de l'acte étaient intacts, elle n'a fourni aucun détail sur la manière dont le recourant l'aurait tenue et aurait réussi à enlever sa culotte. Ce n'est que devant le Ministère public qu'elle a allégué que le prévenu avait gardé sa chemise mais enlevé son pantalon, sans qu'elle ne dise à quel moment il l'aurait fait. Elle n'a pas plus donné de description quant à des éléments périphériques tels la configuration des lieux, en particulier la distance séparant la table du canapé. Elle a ainsi livré un récit exempt de précisions, pauvre en détails, ce qui ne saurait s'expliquer par le seul écoulement du temps.

Au rang des éléments objectifs, seul le rapport d'analyses médicales [du laboratoire] E______, du 1er juin 2010, à la suite d'un prélèvement d'urine la veille, adressé au gynécologue de la recourante, le Dr X______, figure à la procédure pour accréditer sa version. Toutefois, sur cet élément, la recourante a donné au fil de ses auditions des explications contradictoires, à commencer par la manière et le moment où elle aurait contacté son médecin et la date de la consultation, qui aurait été selon elle le lendemain du viol, soit le samedi 29 mai 2010. Elle a fini par concéder qu'elle n'avait pu voir ce thérapeute durant le week-end. En tout état, quand bien même la recourante, au vu du rapport [du laboratoire] E______ précité, a subi un prélèvement le 31 mai 2010, soit trois jours après les faits dénoncés et aurait dit à son gynécologue avoir été violée [" Patiente violée il y a 2 jours " selon l'indication manuscrite figurant sur le rapport [du laboratoire] E______], cela n'accrédite pas qu'elle aurait effectivement subi un viol le 28 mai 2010 au soir, le thérapeute n'ayant fait que retranscrire ce qu'elle lui avait dit. Aussi, l'audition de ce gynécologue, plus de 14 ans après la consultation en cause, demandée pour la première fois par la recourante dans son recours seulement, n'apparait pas susceptible d'apporter d'élément pertinent, étant rappelé que ce médecin ne ferait que rapporter les dires de sa patiente.

S'agissant des autres auditions sollicitées par la recourante aux termes de sa réplique, elles ne s'imposent pas. Il s'agit uniquement de proches auxquels elle dit s'être confiée plusieurs années après les faits, dont son fils qui était âgé de 12 ans en mai 2021, ainsi que des psychiatre et psychologue qu'elle a consultés, lesquels ont d'ores et déjà produit des attestions détaillées et ne feraient que relater ce que leur patiente leur a livré.

Au vu de ces éléments, il importe en définitive peu que le dîner de la recourante et du prévenu se soit déroulé le 28 mai 2010 ou à un autre moment. À cet égard, il ne peut être exclu que l'un ou l'autre des intéressés ait, volontairement ou non, fait une confusion sur la date en question. Le planning des déplacements produit par l'intimé n'est sur ce point pas forcément suffisant pour démontrer avec certitude ses moments de présence/absence à Genève, étant relevé qu'il en ressort qu'il ne se déplace pas seulement en jet privé, mais également par voie terrestre, en train. En tout état, même à retenir que les faits se seraient passés le 28 mai 2010, si l'on suit la version de la plaignante, il n'existe pas de soupçons suffisants à l'encontre du prévenu pour un renvoi en jugement, les déclarations de la partie plaignante n'étant pas plus probantes que celles du prévenu et faute d'éléments objectifs qu'un complément d'instruction serait susceptible d'établir.

En conséquence, vu ce qui précède, c'est à raison que le Ministère public a classé la procédure faute de soupçons suffisants ce, plus de 14 ans après les faits et à environ un an de la prescription de la poursuite pénale.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4. La recourante succombe (art. 428 al. 1 CPP).

Elle supportera, en conséquence, les frais envers l’État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.

5. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).

6. L'intimé, prévenu, qui obtient gain de cause, n'a pas conclu au versement d'une indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP (par renvoi de l'art. 436 al. 1 CPP) dans sa réponse au recours. Dans sa duplique du 23 mai 2024, il a conclu à des dépens qu'il n'a nullement chiffrés ni justifiés.

Partant, il n'y a pas lieu de statuer ex aequo bono sur cette question, étant rappelé que l'exercice du droit à la réplique (ou duplique) ne saurait servir à apporter des éléments qui auraient dû être invoqués dans le délai légal (ou imparti pour les observations; cf. ATF 132 I 42 consid. 3.3.4 et arrêt du Tribunal fédéral 1B_183/2012 du 20 novembre 2012 consid. 2).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, à B______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/4173/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'405.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'500.00