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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/13703/2021

AARP/268/2023 du 28.07.2023 sur JTDP/1344/2022 ( PENAL ) , REJETE

Descripteurs : VIOLENCE CONTRE LES AUTORITÉS
Normes : aCP.285
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13703/2021 AARP/268/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 17 juillet 2023

 

Entre

A______, domicilié c/o C______, ______, Genève, comparant par Me B______, avocate,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/1344/2022 rendu le 7 novembre 2022 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 7 novembre 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de tentative de violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 22 al. 1 cum 285 ch. 1 al. 1 du Code pénal [CP]), l'a condamné à une peine pécuniaire de 120 jours-amende, à CHF 30.- le jour, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, frais de la procédure à sa charge en CHF 1'626.-.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement.

b. Selon l'ordonnance pénale du 8 octobre 2021, il est reproché à A______ ce qui suit :

Le 5 juillet 2021, à Genève, il a fait usage de menaces à l'encontre de la juge du Tribunal civil de première instance, D______, afin qu'elle revienne sur le jugement de divorce qu'elle avait rendu et qui venait de lui être notifié, mais sans y parvenir, en particulier en disant à sa greffière : "Dites à la juge que je sais qu'elle a deux garçons, et que je sais où elle habite", avant d'ajouter qu'il ne fallait pas qu'il la croise.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Le 7 juillet 2021, la Présidente du Tribunal civil du canton de Genève a informé le Ministère public (MP) du fait que E______, greffière de la juge D______, avait reçu un appel téléphonique émanant de A______ qui avait tenu des propos menaçants envers la juge et ses deux fils.

b.a. Entendue en qualité de témoin par la police, la greffière a confirmé avoir reçu, le 5 juillet 2021 entre 11h15 et 11h30, un appel téléphonique d'une personne qui lui avait communiqué le numéro de la procédure civile concernée. En voyant le nom du justiciable sur la procédure, elle avait reconnu la personne comme étant A______, ce que ce dernier lui avait confirmé. Il avait demandé à pouvoir parler à la juge. Elle lui avait répondu que ce n'était pas possible et que s'il avait des questions, il devait passer par elle. Il lui avait alors indiqué qu'il venait de recevoir le jugement de divorce et qu'il n'était pas satisfait. Elle lui avait expliqué qu'il pouvait faire appel. Sans pouvoir se souvenir de la transition, elle se rappelait qu'il lui avait alors dit : "Dites à la juge que je sais qu'elle a deux garçons, et que je sais où elle habite", avant d'ajouter qu'il ne fallait pas qu'il la croise. À la question de savoir s'il s'agissait de menaces, il lui avait répondu qu'elle pouvait le prendre comme elle l'entendait, mais qu'il ne fallait surtout pas qu'il croise la juge. Elle ignorait comment l'intéressé pouvait savoir que la juge avait deux enfants, ce qui l'avait alertée. Durant toute la conversation, il était resté très calme et n'avait jamais haussé le ton. Après cet échange téléphonique, elle en avait immédiatement informé sa hiérarchie directe, laquelle lui avait demandé d'informer la Présidente du Tribunal civil. Elle avait eu à traiter de la procédure de divorce, lors de laquelle elle avait trouvé A______ très hautain mais pas agressif. Il disait au Tribunal qu'il ne comprenait rien, qu'il souhaitait divorcer et qu'il compliquait les choses.

b.b. Devant le MP, la greffière a répété les propos tenus par A______ et précisé qu'elle était certaine de les avoir bien compris. Son interlocuteur se plaignait du contenu du jugement et du temps pris pour le rendre, mais il n'avait pas été question d'un problème de notification. Au cours de leur discussion, elle avait été interpellée par le fait que A______ avait parlé de deux garçons et elle savait que la juge en charge de la procédure en avait effectivement deux. Au vu de la conversation, elle ne voyait pas pour quelle raison son interlocuteur aurait évoqué ses propres enfants, puisqu'il n'avait pas mentionné le droit de visite ou de garde sur ses enfants.

c. A______ a contesté les faits reprochés, affirmant n'avoir jamais menacé personne.

Il avait contacté le Tribunal civil, le 5 juillet 2021, alors qu'il venait de recevoir le jugement sus-évoqué, notifié tardivement, en raison d'une erreur d'adressage. Il était inquiet, pensant que le délai pour faire appel commençait à courir dès la date du jugement. Il avait demandé à pouvoir parler à la juge, mais la greffière lui avait répondu que cela était impossible. Il avait tout d'abord parlé de l'erreur dans l'adresse et en avait profité pour se plaindre du jugement en tant que tel, considérant que les éléments qu'il avait exposés durant la procédure en lien avec ses enfants n'avaient pas été pris en compte. Il voulait également comprendre pourquoi ses enfants n'avaient pas été entendus. La greffière lui avait expliqué qu'elle ne pouvait rien faire à son niveau et qu'il devait faire appel du jugement. Il lui avait répondu que c'était très grave puisque le jugement concernait ses deux filles et son fils. Toute la discussion s'était déroulée en français et il n'avait pas compris tout ce que lui disait son interlocutrice. Il avait saisi qu'elle avait dit le mot "menace", interprétant alors que la greffière pensait qu'il menaçait ses propres enfants. Il avait réagi en lui disant qu'il n'y avait pas de menaces, car il voyait ses enfants tout le temps, en public. Il ne connaissait ni l'adresse ni la famille de la juge. La greffière avait dû mal comprendre, ou il s'était mal exprimé, car il avait reformulé plusieurs fois qu'il croisait souvent ses enfants, soit les siens. Il n'avait jamais dit qu'il ne fallait pas qu'il croise la juge.

Il n'avait finalement pas fait appel de ce jugement de divorce. Depuis lors, il voyait ses enfants régulièrement, soit chaque week-end et parfois la semaine.

Devant le MP, A______ a indiqué qu'il comprenait le français mais avait de la peine à s'exprimer dans cette langue. Selon une note du Procureur au procès-verbal du 9 juillet 2021, l'intéressé a néanmoins répondu en français à une question avant même que celle ne lui soit traduite. Devant le TP, il a indiqué qu'il vivait en Suisse depuis 22 ans, mais n'avait jamais fait d'études formelles en français. Requis de se présenter brièvement en français, A______ a déclaré : "J'ai été marié avec deux fils et un garçon et maintenant je suis marié avec un garçon", précisant au Tribunal qu'il avait dit "fils" et non "fille" car il en avait deux.

d. Il ressort des pages produites par A______ du jugement du Tribunal de première instance du 22 juin 2021 que la garde sur les trois enfants du couple a été attribuée à leur mère et qu'il a été renoncé à fixer les modalités du droit de visite du père.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

Il avait été condamné sur la seule base du témoignage de la greffière, alors qu'il s'agissait à l'évidence d'une incompréhension. Il attendait le jugement de divorce depuis plusieurs mois, et avait souhaité s'assurer que la notification tardive du jugement ne l'empêchait pas de faire appel contre celui-ci. Il était particulièrement préoccupé par la situation de ses deux enfants aînés. Cet entretien n'avait duré que quelques minutes et il s'était exprimé au téléphone dans une langue qu'il ne maîtrisait pas, après avoir tout d'abord cherché à dialoguer en anglais, ce que la greffière avait décliné. Si la greffière avait cru entendre des menaces à l'encontre des enfants de la juge, il n'avait en réalité parlé que de ses propres enfants, dans son français approximatif, en répétant à plusieurs reprises qu'il voyait toujours ses enfants. Il n'avait aucunement pu savoir que la juge avait deux enfants et qu'il s'agissait de garçons. Par ailleurs, selon le témoignage de la greffière, il était resté très calme et n'avait pas haussé la voix, de sorte qu'il était peu probable qu'il ait, dans le même temps, proféré des menaces contre la juge et ses enfants.

c. Le MP conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

Les arguments de l'appelant étaient contredits par le témoignage de la greffière dont il n'y avait pas lieu de s'écarter. L'appelant avait continué la conversation téléphonique alors que la greffière lui avait signifié ne pas parler anglais, ce qui tendait à démontrer qu'il maîtrisait mieux la langue française que ce qu'il prétendait. Il n'était pas crédible qu'il ait parlé uniquement de ses propres enfants, alors que ses aînés étaient une fille et un garçon, dans la mesure où le témoin avait fait clairement référence au fait que l'appelant avait parlé des deux garçons. L'appelant ne se déterminait pas sur les autres paroles qui lui étaient reprochées, soit de savoir où habitait la juge et qu'il ne fallait pas qu'il la croise.

D. A______, ressortissant suisse, est né le ______ 1976 au Nigéria. Il est marié et a quatre enfants, dont trois issus de sa précédente union avec F______. Il est fonctionnaire de mission auprès de C______. Son revenu mensuel brut s'élève à CHF 2'720.26. Son loyer est de CHF 1'500.- et il verse CHF 100.- au Service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires. Il déclare des dettes à hauteur d'environ CHF 50'000.-.

Selon l'extrait de son casier judiciaire, il n'a pas d'antécédent.

E. Me B______, défenseure d'office de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, 11 heures et 30 minutes d'activité de collaboratrice, dont 1 heure et 20 minutes pour la prise de connaissance du jugement de première instance et la rédaction de la déclaration d'appel, 15 minutes pour la prise de connaissance du mémoire du MP et 35 minutes pour la rédaction de la réplique. En première instance, elle a été indemnisée à hauteur de 8 heures et 35 minutes.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 Cst. et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large.

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3 ; 138 V 74 consid. 7).

2.2. Le juge du fait dispose d'un large pouvoir dans l'appréciation des preuves (ATF 120 Ia 31 consid. 4b). Confronté à des versions contradictoires, il forge sa conviction sur la base d'un ensemble d'éléments ou d'indices convergents. Les preuves doivent être examinées dans leur ensemble et l'état de fait déduit du rapprochement de divers éléments ou indices. Un ou plusieurs arguments corroboratifs peuvent demeurer fragiles si la solution retenue peut être justifiée de façon soutenable par un ou plusieurs arguments de nature à emporter la conviction (ATF 129 I 8 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_324/2017 du 8 mars 2018 consid. 1.1 ; 6B_1183/2016 du 24 août 2017 consid. 1.1 ; 6B_445/2016 du 5 juillet 2017 consid. 5.1).

Les cas de "parole contre parole", dans lesquels les déclarations de la victime en tant que principal élément à charge et les déclarations contradictoires de la personne accusée s'opposent, ne doivent pas nécessairement conduire à un acquittement sur la base du principe in dubio pro reo. L'appréciation définitive de ces déclarations incombe au tribunal du fond (ATF 137 IV 122 consid. 3.3).

3. 3.1.1. L'art. 285 ch. 1 CP (dans sa teneur en vigueur au jour des faits, applicable à titre de lex mitior en vertu de l'art. 2 al. 2 CP) réprime le comportement de celui qui, en usant de violence ou de menace, empêche une autorité, un membre d'une autorité ou un fonctionnaire de faire un acte entrant dans ses fonctions, les contraint à faire un tel acte ou se livre à des voies de fait sur eux pendant qu'ils y procèdent.

3.1.2. Le comportement typique envisagé consiste notamment à contraindre une autorité, un membre d'une autorité ou un fonctionnaire à faire un acte contre son gré. C'est le cas lorsque l'auteur force une personne à accomplir un acte officiel. Il faut que l'acte ait été complètement accompli. La contrainte peut aussi consister à obliger de manière illicite l'autorité ou le fonctionnaire à accomplir un acte même s'il aurait été accompli de toute manière. La contrainte doit cependant revêtir un caractère illicite et il ne suffirait pas qu'un justiciable ait menacé de faire recours ou de se plaindre à l'autorité supérieure (ATF 94 IV 118 ; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3ème éd. 2010, n. 10 ad art. 285). L'acte officiel au sens de l'art. 285 CP est celui qui est entrepris par l'autorité compétente dans le cadre de ses attributions (arrêt du Tribunal fédéral 6B_366/2021 du 26 janvier 2022 consid. 3.1.3).

La menace correspond à celle visée par l'art. 181 CP. La menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l'auteur, sans toutefois qu'il soit nécessaire que cette dépendance soit effective (ATF 117 IV 445 consid. 2b ; 106 IV 125 consid. 2a) ni que l'auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace (ATF 105 IV 120 consid. 2a). La loi exige un dommage sérieux, c'est-à-dire que la perspective de l'inconvénient présenté comme dépendant de la volonté de l'auteur soit propre à entraver le destinataire dans sa liberté de décision ou d'action (ATF 120 IV 17 consid. 2a/aa). La question doit être tranchée en fonction de critères objectifs, en se plaçant du point de vue d'une personne de sensibilité moyenne (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1216/2019 du 28 novembre 2019 consid. 2.1 ; ATF 122 IV 322 consid. 1a ; 120 IV 17 consid. 2a/aa).

Contrairement à ce que prévoit l'art. 180 CP, la menace évoquée à l'art. 181 CP n'a pas à être grave. Il n'est donc pas nécessaire qu'elle suscite la peur chez son destinataire et il suffit qu'elle soit propre à l'entraver dans sa liberté d'action (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 15 ad art. 181). La menace doit toutefois atteindre une certaine intensité afin d'emporter les effets évoqués dans le paragraphe précédent (A. MACALUSO et al. (éds), op. cit, n. 24 s. ad art. 285).

L'infraction à l'art. 285 CP est une infraction de résultat : le moyen de contrainte illicite doit amener l'autorité ou le fonctionnaire à adopter un comportement qu'il n'aurait pas eu s'il avait eu toute sa liberté de décision ; le comportement peut consister à faire, ne pas faire ou laisser faire (M. DUPUIS/ L. MOREILLON/ C. PIGUET/ S. BERGER/ M. MAZOU/ V. RODIGARI [éds.], Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 16 ad art. 285; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, Volume II, 3ème éd., Berne 2010, n. 11 ad art. 285).

3.1.3. Il y a tentative lorsque l'auteur a réalisé tous les éléments subjectifs de l'infraction et manifesté sa décision de la commettre, alors que les éléments objectifs font, en tout ou en partie, défaut (art. 22 al. 1 CP ; ATF 140 IV 150 consid. 3.4 ; 137 IV 113 consid. 1.4.2 ; 131 IV 100 consid. 7.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1035/2020 du 20 mai 2021 consid. 2.1.1). La tentative suppose toujours un comportement intentionnel, le dol éventuel étant toutefois suffisant (arrêt du Tribunal fédéral 6B_995/2020 du 5 mai 2021 consid. 2.1).

3.2.1. En l'espèce, il est établi que l'appelant a eu, le 5 juillet 2019, une conversation téléphonique avec la greffière de la juge au Tribunal civil ayant eu à traiter sa procédure de divorce, la première revêtant la qualité de fonctionnaire, la seconde d'autorité. L'appelant admet également avoir passé cet appel téléphonique dans le but de s'entretenir avec la magistrate du jugement qu'il venait de recevoir, et dont il n'était pas satisfait, rappelant que la procédure de divorce avait été difficile, que le jugement était sévère et allait réduire ses possibilités de voir ses enfants.

L'appelant conteste en revanche avoir tenu les propos qui lui sont reprochés, alléguant une incompréhension de la part de la greffière en raison de son faible niveau en langue française.

Avec le premier juge, la CPAR considère pourtant que les déclarations constantes de la greffière sont particulièrement crédibles. Elle a confirmé à deux reprises les propos exacts que l'appelant avait tenus au téléphone, sans que ceux-ci ne lui soient rappelés lors de sa seconde audition devant le MP. Elle a expliqué n'avoir eu aucun doute sur ce que lui avait dit l'appelant, indiquant par ailleurs que celui-ci était resté relativement calme durant toute la conversation, ce qui tend à montrer qu'elle n'avait pas pour intention de l'accabler. De fait, elle a jugé ses propos suffisamment inquiétants pour en informer immédiatement sa hiérarchie, ce qui a conduit à la dénonciation au MP deux jours plus tard.

À l'inverse, les incompréhensions dont se prévaut l'appelant ne sont pas cohérentes. On peine à comprendre comment la greffière aurait pu prêter à l'appelant des propos selon lesquels il savait où la juge habitait et qu'il ne fallait pas qu'il la croise, alors qu'il aurait seulement dit qu'il connaissait l'adresse de ses propres enfants et les voyait régulièrement, tant ces deux allégations sont distinctes. Il est également fort improbable que la greffière ait pu confondre ce qu'indique avoir exposé l'appelant au sujet de ses propres enfants aînés (un garçon et une fille), qu'il voyait régulièrement malgré le jugement de divorce, avec les propos rapportés au sujet du fait qu'il savait que la juge avait deux fils.

Enfin, que le niveau de français de l'appelant ne soit pas assez satisfaisant pour être entendu par les autorités pénales sans interprète ne suffit pas à retenir qu'il n'a pas tenu les propos reprochés. Il a d'ailleurs été relevé par le Procureur qu'il a pu répondre à ses questions, certes simples, sans attendre leur traduction. Surtout, il admet avoir été mécontent du jugement de divorce qui venait de lui être notifié, en français, et a appelé le greffe du Tribunal civil pour en discuter, sans aucune garantie de pouvoir s'entretenir avec la juge dans une autre langue. Lorsque la greffière lui a annoncé qu'il ne pourrait joindre la magistrate et qu'elle-même ne parlait pas l'anglais, il n'a pas mis fin à la conversation, mais s'est plaint de l'erreur d'adressage et du fond du jugement, montrant ainsi qu'il acceptait de s'exprimer dans un français suffisant pour aborder de tels sujets. La confusion de l'appelant, entre "fils" et le pluriel de "filles", révélée lors de l'audience de jugement, n'explique pas pourquoi il aurait parlé de deux fils, alors qu'il prétend qu'il critiquait le droit de visite accordé sur son fils et sa fille, étant précisé en tout état qu'il a trois enfants. Enfin, les mots qui lui sont prêtés ne requièrent pas une maîtrise parfaite de la langue de Molière et sont assez clairs pour que la greffière ait pu les appréhender sans ambiguïté.

Dans ces circonstances, la CPAR s'estime fondée, au vu des indices convergents, à privilégier la version du témoin direct des faits, récipiendaire des propos menaçants, par rapport à la version de l'appelant et les faits reprochés seront tenus pour établis.

3.2.2. Ces propos sont constitutifs de tentative de menace contre les autorités ou les fonctionnaires.

En disant qu'il savait où la juge habitait et qu'elle avait deux garçons, et qu'il ne fallait pas qu'il la croise, l'appelant a menacé l'intéressée d'un dommage sérieux pour elle et sa famille. Le but de l'appelant était bien que le tribunal revienne sur le jugement de divorce dont il n'était pas satisfait, de sorte que c'est consciemment et volontairement qu'il a adressé ses paroles à son attention.

Le résultat escompté ne s'est toutefois pas réalisé, la magistrate n'ayant même pas été atteinte, de sorte que l'infraction en est restée au stade de la tentative (art. 22 al. 1 CP).

Partant, le verdict de culpabilité prononcé sera confirmé et l'appel rejeté.

4. 4.1.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1).

4.1.2. Selon l'art. 34 al. 1 CP, la peine pécuniaire est de trois jours-amende au moins et ne peut excéder 180 jours-amende, le juge fixant leur nombre en fonction de la culpabilité de l'auteur. En règle générale, le jour-amende est de CHF 30.- au moins et de CHF 3'000.- au plus. Le juge en arrête le montant selon la situation personnelle et économique de l'auteur au moment du jugement, notamment en tenant compte de son revenu et de sa fortune, de son mode de vie, de ses obligations d'assistance, en particulier familiales, et du minimum vital (art. 34 al. 2 CP).

4.2.1. L'appelant ne conteste la peine ni dans sa nature, ni dans sa quotité dans l'hypothèse d'une confirmation du verdict de culpabilité. Il peut néanmoins être relevé que la sanction de 120 jours-amende à CHF 30.- l'unité, consacre une application correcte des critères de l'art. 47 CP.

Sa faute n'est pas négligeable. Il n'a pas hésité à tenir des propos menaçants à l'égard d'une magistrate ayant rendu un jugement dans le cadre de sa charge, mais également à l'égard de sa famille. Il a agi sous l'emprise d'une frustration mal maîtrisée, à réception d'un jugement de divorce dont il n'acceptait pas l'issue. S'agissant néanmoins d'un acte unique.

Le prévenu n'a pas d'antécédent, ce qui est un facteur neutre dans le cadre de la fixation de la peine. Sa collaboration n'a pas été exemplaire, dès lors qu'il a tenté tout au long de la procédure de se dédouaner par des explications qui n'emportent pas la conviction. Il n'a pas pris conscience de ses actes.

L'octroi du sursis, acquis à l'appelant (art. 391 al. 2 CPP), et la fixation du délai d'épreuve à trois ans ne sont pas critiquables.

4.2.2. Le jugement entrepris sera ainsi intégralement confirmé.

5. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de la procédure d'appel envers l'État, y compris un émolument de jugement de CHF 1'500.- (art. 428 CPP). Sa culpabilité étant acquise, la mise à sa charge des frais de première instance sera confirmée (art. 426 al. 1 CPP a contrario).

6. 6.1. Selon l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. S'agissant d'une affaire soumise à la juridiction cantonale genevoise, l'art. 16 du règlement sur l'assistance juridique (RAJ) s'applique. Conformément à l'art. 16 al. 2 RAJ, seules les heures nécessaires sont retenues. Elles sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu.

On exige de l'avocat qu'il soit expéditif et efficace dans son travail et qu'il concentre son attention sur les points essentiels. Des démarches superflues ou excessives n'ont pas à être indemnisées (M. VALTICOS / C. M. REISER / B. CHAPPUIS / F. BOHNET (éds), Commentaire romand, Loi sur les avocats : commentaire de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats (Loi sur les avocats, LLCA), 2ème éd. Bâle 2022, n. 257 ad art. 12). Le temps consacré à la rédaction d'écritures inutiles ou reprenant une argumentation déjà développée, fût-ce devant une autorité précédente, ne saurait donner lieu à indemnisation ou à indemnisation supplémentaire (AARP/295/2015 du 12 juillet 2015 consid. 8.2.2.3, 8.2.2.6, 8.3.1.1 et 8.3.2.1).

L'activité consacrée aux conférences, audiences et autres actes de la procédure est majorée de 20% jusqu'à 30 heures de travail, décomptées depuis l'ouverture de la procédure, pour couvrir les démarches diverses, telles la rédaction de courriers ou notes, les entretiens téléphoniques et la lecture de communications, pièces et décisions (arrêt du Tribunal fédéral 6B_838/2015 du 25 juillet 2016 consid. 3.5.2 ; voir aussi les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2016.34 du 21 octobre 2016 consid. 4.1 et 4.2 et BB.2015.85 du 12 avril 2016 consid. 3.5.2 et 3.5.3). Des exceptions demeurent possibles, charge à l'avocat de justifier l'ampleur d'opérations dont la couverture ne serait pas assurée par le forfait.

6.2. En application de ces principes, il convient de retrancher de l'état de frais de Me B______ la prise de connaissance des décisions et courriers ainsi que la rédaction de la déclaration d'appel, activités couvertes par le forfait. La rédaction du mémoire d'appel motivé et de la réplique sera ramenée à 7 heures, durée devant suffire à la collaboratrice pour un dossier connu et dont les écritures reprennent pour l'essentiel les arguments développés depuis le début de la procédure.

Sa rémunération sera donc arrêtée à CHF 1'357.- correspondant à 7 heures d'activité au tarif horaire de CHF 150.- (CHF 1'050.-), plus la majoration forfaitaire de 20 % (CHF 210.-), et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% (CHF 97.-).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1344/2022 rendu le 7 novembre 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/13703/2021.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 1'615.-, qui comprennent un émolument de CHF 1'500.-.

Arrête à CHF 1'357.-, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me B______, défenseure d'office de A______.

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

"Déclare A______ coupable de tentative de violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 22 al. 1 cum 285 ch. 1 al. 1 CP).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 120 jours-amende, sous déduction de 2 jours-amende, correspondant à 2 jours de détention avant jugement (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 30.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Condamne A______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 1'026.- y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP).

Fixe à CHF 1'257.95 l'indemnité de procédure due à Me B______, défenseur d'office de A______ (art. 135 CPP).

Fixe l'émolument complémentaire de jugement à CHF 600.-.

Met cet émolument complémentaire à la charge de A______."

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La présidente :

Catherine GAVIN

e.r. Gaëlle VAN HOVE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'626.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

40.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'615.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'241.00