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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/161/2025

JTAPI/74/2025 du 21.01.2025 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION
Normes : LEI.75.al1.letc; LEI.76.al1.letb.ch1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/161/2025 MC

JTAPI/74/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 21 janvier 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Sophie BOBILLIER, avocate

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1966, est originaire de Pologne.

2.             Le 9 octobre 2013, le Secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) a prononcé à son encontre une interdiction d'entrée en Suisse valable jusqu'au 8 octobre 2015. Cette mesure administrative a été régulièrement prolongée, la dernière fois le 4 septembre 2021, et cela jusqu'au 12 mai 2024.

3.             De 2014 à 2024, l'intéressé a été condamné par les instance pénales suisses à 25 reprises, principalement pour des violations de domicile (art 186 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0)), vol d'importance mineur (art 139 cum 172ter CP), rupture de ban (art 291 al. 1 CP), entrée illégale (art 115 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20)) et séjour illégal (art 115 al. 1 LEI).

4.             Par jugements du 19 janvier 2022 et 7 novembre 2023, le Tribunal de police du canton de Genève a ordonné l'expulsion de Suisse de M. A______ pour des durées respectivement de 3 ans (art 66a bis CP) et 5 ans (art 66a bis CP).

5.             De 2014 à 2024, en exécution des interdictions d'entrées et expulsions judiciaires de Suisse, les autorités helvétiques ont renvoyé M. A______ dans son pays d'origine à seize reprises, la dernière fois le 7 avril 2024.

6.             Pendant cette période, il a été placé en détention administrative (art 76 LEI) par les autorités helvétiques à sept reprises, la dernière fois du 14 septembre 2023 jusqu'au 20 septembre 2023, et le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève (ci-après : le tribunal) a régulièrement examiné la légalité de sa détention administrative, la dernière fois le 15 septembre 2023 (JTAPI/998/2023).

7.             Le 20 juin 2024, deux mois et demi après son dernier renvoi en Pologne (le 7 avril 2024), l'intéressé a été interpellé à Genève par les services de police dans le magasin B______, sis ______[GE], et prévenu de violation de domicile (art 186 CP) et rupture de ban (art 291 CP). M. A______ a refusé de répondre aux questions de la police. Le lendemain, il a été placé en arrestation provisoire par le Ministère public à la prison de Champ-Dollon.

8.             Le 3 décembre 2024, le Service d'application des peines et des mesures a informé les services de police que le Tribunal d'application des peines et des mesures avait refusé la libération conditionnelle de l'intéressé le 30 octobre 2024 et qu'il serait libéré de Champ-Dollon le 19 janvier 2025.

9.             La demande de réservation de vol faite par les services de police le 15 janvier 2025 a été refusée par swissREPAT au motif que le passeport temporaire de M. A______ était échu, et qu'un nouveau document de remplacement devait être obtenu auprès d'une représentation polonaise.

10.         Le 19 janvier 2025, M. A______ a été libéré de la prison de Champ-Dollon et remis aux services de police.

11.         Le 19 janvier 2025, à 14h30, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée d'un mois, retenant comme motif de sa détention, entre autres, le fait qu'il avait violé une interdiction d'entrer en Suisse. Il était par ailleurs précisé que les démarches relatives à l'obtention d'un document de voyage en faveur de l'intéressé se poursuivaient auprès de l'ambassade de Pologne à Berne.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il ne s'opposait pas à son renvoi en Pologne.

12.         Par courriel du 20 janvier 2025, le commissaire de police a transmis au tribunal copie de l’accord de réadmission des autorités polonaises délivré en date du 17 janvier 2025, ainsi que d'une réservation pour un vol à destination de la Pologne au départ de Genève le 31 janvier 2025.

13.         Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a déclaré qu’il était d’accord de retourner en Pologne par le vol prévu le 31 janvier 2025.

Le représentant du commissaire de police a précisé que, suite à l’accord de principe des autorités polonaises, un laissez-passer devait encore être délivré par l’Ambassade de Pologne en Suisse, raison pour laquelle le SEM avait demandé aux autorités cantonales de prévoir un vol avec un délai suffisant pour permettre la délivrance dudit laissez-passer. Sur question du conseil de M. A______ relative à l’écoulement du temps entre la fin de détention de ce dernier et le moment où avait été faite une demande de réadmission aux autorités polonaises, cela s’expliquait par une erreur concernant la possibilité pour M. A______ de retourner en Pologne avec son passeport échu. Sur la base de cette appréciation erronée, le commissaire de police avait demandé le 15 janvier 2025 la réservation d’un vol et c’était en réponse à cette demande que les autorités s'étaient rendues compte que le passeport échu ne permettait pas une telle démarche.

Le représentant du commissaire de police a conclu à la confirmation de l'ordre de mise en détention administrative pour une durée d'un mois.

L'intéressé, par l'intermédiaire de son conseil, a conclu à la réduction de la durée de sa détention administrative à une durée n’excédant pas douze jours.

 

 

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

Il doit y procéder dans les nonante-six heures qui suivent l'ordre de mise en détention (art. 80 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 - LEI - RS 142.20 ; 9 al. 3 LaLEtr).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi et respecte le délai précité en statuant ce jour, la détention administrative ayant débuté le 19 janvier 2025 à 14h00.

3.            À teneur de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI (cum art. 75 al. 1 let. c LEI), après notification d'une décision de première instance de renvoi ou d'une décision de première instance d'expulsion au sens des art. 66a ou 66abis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée notamment si elle a franchi la frontière malgré une interdiction d’entrer en Suisse et n'a pu être renvoyée immédiatement. Il découle de la jurisprudence qu'une décision d'expulsion pénale au sens des art. 66a ou 66abis CP vaut comme interdiction d'entrée pour la durée prononcée par le juge pénal (ATA/615/2022 du 9 juin 2022 consid. 2a ; ATA/730/2021 du 8 juillet 2021 consid. 4 ; ATA/179/2018 du 27 février 2018 consid. 4).

4.            En l'espèce, M. A______ fait l'objet d'une mesure d'expulsion judiciaire du territoire Suisse prononcée par le Tribunal de police le 7 novembre 2023 pour une durée de cinq ans. Il a par ailleurs violé cette mesure, qui valait également interdiction d'entrée au sens de la jurisprudence susmentionnée, en revenant en Suisse postérieurement à sa dernière expulsion en Pologne le 7 avril 2024. Par conséquent, sur le principe, les conditions de sa détention sont réalisées au sens des dispositions légales rappelées ci-dessus. Il n'est dès lors pas nécessaire d'examiner si cette détention pourrait encore se fonder sur d'autres motifs.

5.             Selon le texte de l'art. 76 al. 1 LEI, l'autorité "peut" prononcer la détention administrative lorsque les conditions légales sont réunies. L'utilisation de la forme potestative signifie qu'elle n'en a pas l'obligation et que, dans la marge d'appréciation dont elle dispose dans l'application de la loi, elle se doit d'examiner la proportionnalité de la mesure qu'elle envisage de prendre.

Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).

Par ailleurs, les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

6.            En l'espèce, M. A______ fait principalement grief à la décision litigieuse d'avoir été prise malgré que les autorités chargées de son expulsion auraient, selon lui, violé leur devoir de diligence. A cet égard, il souligne que ces autorités disposaient largement du temps nécessaire, avant sa sortie de détention pénale, pour préparer son départ à destination de la Pologne, qui aurait ainsi pu avoir lieu pratiquement sans un jour de détention administrative à l'issue de sa détention pénale. Il se réfère à ce sujet à l'arrêt du Tribunal fédéral 124 II 49 cons. 3a, lequel impose en effet aux autorités compétentes, lorsque c'est possible, d'entreprendre, en amont de la date à laquelle doit prendre fin la détention pénale, les démarches utiles au renvoi.

7.            Dans le cas d'espèce, le tribunal doit convenir avec M. A______ que les autorités chargées de son expulsion ont violé leur devoir de diligence, non pas tant en tardant à organiser un vol, puisqu'elles ont fait cette démarche quatre jours avant sa sortie de détention pénale, mais en omettant de vérifier qu'un passeport polonais échu permettrait malgré tout à M. A______ de retourner dans son pays. Cette regrettable erreur d'appréciation a pour conséquence que le précité est censé demeurer en détention jusqu'au prochain vol disponible pour lui, soit jusqu'au 31 janvier 2025.

8.            Toute violation du principe de diligence n'a cependant pas nécessairement pour conséquence la levée de la détention administrative. Dans une telle situation, il convient de mettre en balance l'importance de cette violation et ses conséquences sur les droits de la personne détenue, de même que les intérêts publics et privés en jeu. En l'occurrence, la violation du devoir de diligence doit être relativisée, car elle ne résulte pas d'une inaction pure et simple des autorités, mais d'une erreur d'appréciation sur un aspect juridique du dossier, à savoir les droits conférés à M. A______ par son passeport échu. Par ailleurs, les intérêts publics en jeu paraissent d'emblée l'emporter sur l'intérêt privé de M. A______. En effet, celui-ci endosse une lourde responsabilité vis-à-vis de la Suisse, où il a été condamné pénalement pas moins de 25 fois durant la période de 2014 à 2024 et dont il a été expulsé à seize reprises durant la même période. Face à l'importance du trouble qu'il a causé à l'ordre public durant toutes ces années, son intérêt privé à ne pas devoir subir environ trois semaines de détention administrative (du 19 au 31 janvier 2025) doit à l'évidence céder le pas, nonobstant la violation du devoir de diligence (d'importance relative) dont il a été question plus haut.

9.            Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée d'un mois.

10.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 19 janvier 2025 à 14h30 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 18 février 2025 inclus ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière