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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2420/2022

JTAPI/514/2023 du 08.05.2023 ( ICCIFD ) , REJETÉ

Descripteurs : LETTRE DE CHANGE;PRESTATION APPRÉCIABLE EN ARGENT;DISTRIBUTION DISSIMULÉE DE BÉNÉFICES;PRÊT DE CONSOMMATION;ACTIONNAIRE
Normes : LIFD.58.al1; LIPM.12
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2420/2022 ICCIFD

JTAPI/514/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 mai 2023

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par BEAU HLB (GENEVE) SA, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne l’impôt cantonal et communal (ICC) et l’impôt fédéral direct (IFD) 2020.

2.             Selon le registre du commerce de Genève, A______ SA (ci-après : la contribuable ou la recourante), inscrite le ______ 2015, a pour but : « négoce international de matières premières et de produits finis, ainsi que le stockage, le transport et la distribution de tels produits ou matières premières, de même que toutes opérations portant sur des instruments financiers ou des contrats liés à de tels produits ou matières premières, toutes activités et services y relatifs; acquérir, détenir, gérer et aliéner des participations directes et indirectes dans tous types de sociétés, notamment commerciales, industrielles, financières et immobilières, à l'exclusion d'opérations prohibées par la LFAIE, ainsi que le financement de sociétés affiliées ».

3.             Le 6 février 2020, la contribuable a conclu un contrat de prêt avec la société B______ SA (ci-après : B______), dont le siège est à ______ (Togo), représentée par son directeur général et actionnaire, Monsieur C______, lequel est également actionnaire de la contribuable.

Cette dernière a accordé un prêt de EUR 36'300'000.- à B______, pour le financement d’un contrat avec la société de droit suisse D______, sise dans le canton de Zoug, pour l’achat de nouveaux équipements et la fourniture de services pour le stockage, le transport et le broyage de ciment. Le prêt portait un intérêt au taux de 0.75%, conformément à la lettre-circulaire de l'administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) relative aux « taux d’intérêt 2019 admis fiscalement sur les avances ou les prêts en monnaies étrangères » (ci-après : la lettre-circulaire). Le prêt était accordé pour une durée maximum de vingt-quatre mois à compter de son entrée en vigueur. Il était garanti par la mise en gage de la créance en compte-courant de M. C______ à l’égard de la contribuable. Il était prévu que la contribuable procède à quatre versements directement à D______ aux échéances suivantes : EUR 18'300'000.- le 5 février 2020, EUR 8'000'000.- le 20 avril 2020, EUR 6'000'000.- le 20 juillet 2020 et EUR 4'000'000.- le 20 octobre 2020. Cet accord était soumis au droit suisse.

4.             Dans son bilan au 31 décembre 2020 tenu dans sa monnaie fonctionnelle, soit en euros (EUR), la contribuable a comptabilisé à l’actif un montant de EUR 32'442'503.- dans le poste « Long term receivables, due from other related parties » (prêts à long terme en faveur de proches). Au passif du bilan, le compte « Other long-term liabilities » (autres dettes à long terme) mentionnait un montant de EUR 12'155'212.-, composé des postes « Loan from shareholder » (prêt d’un actionnaire) de EUR 10'022'800.- et « Payable to other related party » (dette à l’égard d’autres personnes proches) de EUR 2'132'412.-. Le total des dettes en cours (« Total current liabilities ») s’élevait à de EUR 9'837'833.-.

5.             Le compte de pertes et profits au 31 décembre 2020 faisait quant à lui état d’un total de charges financières (financial expenses) de EUR 809'222.- décomposé comme suit :

Interest expenses

-EUR 532'903

Bank fees

-EUR 154'178

Foreign exchange loss

-EUR 250'521

Interest income

EUR 128'380

Total financial expenses

-EUR 809'222

6.             Le poste « Interest expenses » comprenait les charges d’intérêts sur lettres de change escomptées de EUR 513'295.29 et d’autres charges d’intérêts de EUR 19'607.95, soit un total de EUR 532'903.23.

7.             Dans sa déclaration fiscale 2020, la contribuable a mentionné un bénéfice net et un capital propre imposables de respectivement EUR 10'334'061.- (soit CHF 11'062'137.-) et EUR 30'452'374.- (soit CHF 32'935'765.-). L’état des titres faisait notamment état d’une créance vis-à-vis de B______ (« C/C B______ ») de EUR 32'420'244.- et des intérêts de EUR 120'244.-.

8.             Par bordereaux de taxation du 1er février 2022, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a fixé l’ICC et l’IFD 2020 à respectivement CHF 1'010'097.95 et CHF 979'650.50 sur la base d’un bénéfice net et d’un capital propre imposables de respectivement CHF 11'525'336.- et CHF 32'935'765.-.

Ce faisant, elle a ajouté au bénéfice imposable un montant de CHF 463'199.- (soit EUR 432'713.-) au titre de « prestations à un prix de faveur (prélèvement anticipé de bénéfices) faites aux actionnaires, aux associés ou à des personnes proches (physiques ou morales) ».

9.             Par courrier de son mandataire du 4 mars 2022 et son complément du 30 mars 2022, la contribuable a élevé réclamation à l’encontre de ces bordereaux de taxation ICC/IFD 2020 en contestant la reprise de EUR 432'713.- et le calcul du capital propre dissimulé.

Concernant la prestation à un prix de faveur pour intérêts insuffisants de EUR 432'713.-, les intérêts sur les dettes moyennes envers les tiers de EUR 532'903.- devaient être réduits à EUR 19'607.95, la différence de EUR 513'295.29 correspondant à des charges bancaires liées uniquement à l’activité de trading.

Elle a remis à cet effet un extrait de compte détaillant les charges d’intérêts de EUR 19'607.95.

10.         Par deux décisions du 20 juin 2022, l’AFC-GE a admis partiellement la réclamation et remis à la contribuable des bordereaux rectificatifs fixant l’ICC et l’IFD 2020 à respectivement CHF 1'009'246.15 et CHF 978'715.50 sur la base d’un bénéfice net et d’un capital propre imposables de respectivement CHF 11'514'391.- et CHF 32'935'765.-.

Concernant la reprise des intérêts insuffisants sur le prêt à B______, l’AFC-GE a rejeté la réclamation, mais l’a recalculée à EUR 422'488.- (soit CHF 452'254.-), afin de tenir compte de la diminution du montant de la tranche supérieure de la créance envers les personnes proches, résultant de ladite rectification.

11.         Par acte du 20 juillet 2022, la contribuable a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de ces décisions sur réclamation, concluant, sous suite de dépens, à leur annulation et à celle des bordereaux rectificatifs y relatifs et à ce que le tribunal dise que la reprise litigieuse de CHF 422'488.- [recte : EUR 422'488.-] sur le bénéfice imposable est infondée.

Le prêt de EUR 36'600'000.- avait été financé par ses fonds propres, lesquels s’élevaient à EUR 42'607'587.-. En 2020, elle avait effectué quatre versements pour un total de EUR 32'300'000.-. Le taux d’intérêt appliqué était de 0.5% conformément à la lettre-circulaire 2020 publiée quelques jours après la signature du contrat de prêt (au lieu de 0.75% en 2019), ce qui correspondait à un montant total d’intérêts de EUR 120'244.-, calculé sur les tranches de paiement.

La recourante avait en outre perçu des intérêts au taux minimum de 0.5% sur des avances en compte courant à des sociétés proches, de sorte que, selon les comptes audités pour l’exercice 2020, elle avait encaissé CHF 124'542.- pour le financement d’investissements du groupe. Le bilan ne contenait aucuns fonds étrangers portant intérêts.

Des sociétés africaines clientes l’ayant payée au moyen de traites bancaires qu’elle avait fait escompter avant leur échéance, moyennant une commission et une charge d’intérêts comptabilisés en CHF 532'903.- [recte : EUR 532'903.-], l’AFC-GE les avait pris en considération de manière erronée comme des intérêts sur capitaux étrangers. Or, l’intérêt sur escompte ne correspondant pas à un intérêt sur des fonds étrangers empruntés, la recourante était légitimée à appliquer le taux minimal applicable aux financements par des fonds propres.

Le prêt octroyé ne constituait pas un simple crédit à une société affiliée, mais un investissement lié à son activité commerciale, dès lors qu’elle achetait et vendait du clinker - soit un des composants du ciment - aux sociétés africaines détenues par son actionnaire, notamment B______, avec une marge bénéficiaire confortable. Ce retour sur investissement justifiait pleinement le taux de 0.5%.

En tout état de cause, on ne pouvait pas considérer que ses organes auraient dû se rendre compte qu’elle octroyait un avantage disproportionné ne respectant pas le principe de pleine concurrence. Partant, les conditions d’une prestation appréciable en argent n’étaient pas réalisées.

12.         Sur demande de l’AFC-GE, la recourante lui a remis, par courriel du 22 septembre 2022, des copies de contrats de vente et d’achat de clinker conclus par elle avec des sociétés liées, des justificatifs bancaires relatifs à ses escomptes de traites effectués en 2022, ainsi que le rapport d’audit et ses comptes de l’exercice 2021.

13.         Dans sa réponse du 20 octobre 2022, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours. La recourante ne contestait pas le principe de l’application de la lettre-circulaire, mais uniquement les modalités du calcul du fisc. La recourante avait notamment comptabilisé dans son compte de résultat des « Interest expenses » payés par elle de EUR 532'903.-. Cela suffisait à justifier l’application du taux d’intérêt minimal applicable aux prêts financés par des capitaux étrangers, même si la recourante disposait de fonds propres suffisants. Le taux moyen payé par la recourante pour ses propres dettes en 2020 étant de 2.923%, l’AFC-GE avait ajouté à ce taux 0.5% pour la tranche inférieure du prêt de EUR 9'341'831.- accordé à la société proche et 0.25% pour la tranche supérieure dudit prêt de EUR 7'283'810.-, conformément au troisième paragraphe du chiffre 1 de la lettre-circulaire 2020, mais sans appliquer la marge de 0.5% à la totalité du prêt.

La recourante n’avait pas démontré que le taux d’intérêts de 0.5% appliqué au prêt consenti à B______ respectait le principe de pleine concurrence.

Les intérêts sur escompte comptabilisés en 2020 devaient être considérés comme rémunérant des prêts à court terme, car cela permettait à la recourante d’obtenir en avance le paiement des lettres de change en escomptant celles-ci auprès d’une banque. Cet intérêt sur escompte, représentait le « loyer de l’argent » prêté, car il rémunérait le fait qu’une banque avait mis à disposition de la recourante des fonds, dont ladite banque ne pourrait obtenir le remboursement qu’ultérieurement.

Les intérêts sur escompte ne constituaient pas des charges commerciales, car ils n’avaient pas servi à l’achat ou à la vente du clinker, mais avaient pour but d’obtenir des prêts à court terme de la part des banques.

Contrairement à ce qu’elle alléguait, la recourante n’avait pas accordé de rabais sur ses factures commerciales. Si elle avait accepté de diminuer le montant de ses factures commerciales, cela se serait traduit par une diminution correspondante de ses produits dans son compte de résultat 2020. Or, ce n’était pas le cas, puisque la recourante avait comptabilisé les EUR 532'903.- en tant qu’intérêts débiteurs.

Les organes de la recourante savaient que cette dernière était financée notamment par des prêts, puisque des intérêts débiteurs de EUR 532'903.- étaient comptabilisés dans son compte de résultat 2020. Dès lors, ses organes ne pouvaient pas ignorer que le prêt accordé à B______ n’avait pas été exclusivement financé par ses fonds propres et, partant, que le taux d’intérêt était insuffisant.

14.         Par réplique du 21 novembre 2022, la recourante a persisté intégralement dans les conclusions de son recours. Les escomptes bancaires constituaient des capitaux étrangers à court terme au sens de l’art. 959a al. 2 ch. 1 du code des obligations du 30 mars 1911 (CO – RS 220). Or, la lettre-circulaire ne concernait pas les capitaux étrangers à court terme, mais uniquement ceux à long terme portant sur un taux d’intérêt déterminé. Le contrat de prêt du 6 février 2020 ne lui donnait pas le droit de réévaluer son taux d’intérêts en fin d’exercice en tenant compte de ses charges d’escomptes cumulés durant celui-ci. En outre, elle n’avait aucune dette comptabilisée au bilan pouvant porter des charges d’intérêts. Le présent cas d’espèce différait nettement de celui ayant donné lieu à la jurisprudence du Tribunal fédéral citée par l’autorité intimée, soit l’ATF 140 II 88.

15.         Dans sa duplique du 14 décembre 2022, l’AFC-GE a persisté intégralement dans les considérants et conclusions de sa réponse du 26 octobre 2022.

En vertu du principe de déterminance, la recourante était liée par le fait qu’elle avait comptabilisé les intérêts sur escompte comme des charges d’intérêts et non pas comme des charges justifiées par l’usage commercial. La lettre-circulaire incluait indifféremment les engagements à court terme et ceux à long terme. La recourante avait comptabilisé au passif de son bilan des engagements courants (Total current liabilities) et des engagements à long terme (Other long-term liabilities), de sorte qu’il était inexact de prétendre qu’elle n’avait aucun engagement en 2020. Le taux d’intérêt effectif sur les dettes moyennes totales admises était obtenu en divisant les intérêts payés de EUR 532'903.- par le total des dettes moyennes admises représentant EUR 18'233'816.- et en multipliant le résultat obtenu par 100, soit un taux effectif de 2.923%. En faisant escompter les lettres de change, la recourante avait bénéficié d’avances de trésorerie de la part de banques tierces, qui constituaient des capitaux étrangers. L'AFC-GE a ensuite présenté la méthode de calcul du taux d’intérêt sur escompte à partir des justificatifs bancaires produits par la recourante le 22 septembre 2022. Enfin, les organes de la recourante devaient se rendre compte qu’ils appliquaient un taux d’intérêt insuffisant au prêt accordé à la société proche.

16.         La recourante a encore remis des observations, datées du 11 janvier 2023, dans lesquelles elle souligne que la détermination du taux d’intérêt d’un prêt, selon la lettre-circulaire, doit se faire à la date de la conclusion du contrat de prêt, soit pour B______ le 6 février 2020. Or, à cette date, la recourante ne rémunérait aucun engagement. Elle n’avait d’ailleurs que des charges d’escompte négligeables, à savoir EUR 56'509.81. Elle était ainsi pleinement légitimée à appliquer audit prêt le taux de 0.5%.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             La recourante soutient que le prêt accordé à une société proche de son actionnaire a été exclusivement financé par des fonds propres, de sorte que le taux d’intérêt de 0.5% appliqué en conformité à la lettre-circulaire était justifié.

4.             Selon l'art. 57 LIFD, l'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net. Celui-ci comprend - outre le bénéfice net résultant du solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l'exercice précédent (art. 58 al. 1 let. a LIFD) – tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat qui ne servent pas à couvrir les dépenses justifiées par l'usage commercial, tels que notamment les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l'usage commercial, ainsi que les produits qui n'ont pas été comptabilisés dans le compte de résultat (art. 58 al. 1 let. b et c LIFD).

5.             Aux termes de l'art. 12 let. a de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15), constitue le bénéfice net imposable celui qui résulte du compte de pertes et profits augmenté de certains prélèvements énoncés aux art. 12 let. b à j LIPM, notamment les tantièmes, ainsi que les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l'usage commercial (art. 12 let. h LIPM).

6.             Les art. 12 LIPM et 58 al. 1 LIFD étant de portée similaire (ATA/869/2015 du 25 août 2015 ; ATA/337/2013 du 28 mai 2013 et les arrêts cités), la jurisprudence et la doctrine relatives à l’IFD valent également pour l’ICC.

7.             Ces dispositions légales énoncent le principe de l'autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance), selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal. Les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices spécifiques. Ce principe déploie aussi un effet contraignant pour le contribuable. En effet, celui-ci est lié par son mode de comptabilisation et seules les écritures ressortant des comptes sont décisives (cf. Robert DANON, Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2017, p. 1074 n. 74 ad art. 57,58). En revanche, si la comptabilisation se fait de manière contraire au droit commercial, une correction de bilan est possible jusqu'à l'entrée en force de la déclaration d'impôt. La correction de bilan peut intervenir en faveur ou en défaveur du contribuable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_857/2020 du 11 février 2021 consid. 4.1 et les références).

8.             De jurisprudence constante, il y a avantage appréciable en argent si la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante, que cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le ou la touchant de près, qu'elle n'aurait pas été accordée à de telles conditions à un tiers et que la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que les organes de la société savaient ou auraient pu se rendre compte de l'avantage qu'ils accordaient (ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; 138 II 57 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_605/2014 précité consid. 6).

9.             L'évaluation de la prestation s'effectue par comparaison avec une transaction qui aurait été effectuée entre des parties non liées entre elles et en tenant compte de toutes les circonstances concrètes du cas d'espèce, soit si elle a respecté le principe de pleine concurrence (« dealing at arm’s length ») (ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; 138 II 545 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_605/2014 précité consid. 6). En application de l'approche économique qui prévaut en la matière, les faits doivent être appréciés non seulement du point de vue de leur forme de droit civil, mais également du point de vue de leur contenu réel, en particulier économique (arrêts du Tribunal fédéral 2C_898/2015 et 2C_899/2015 du 12 octobre 2016 consid. 3.3 et les références citées).

10.         Les formes d'apparition des prestations appréciables en argent sont multiples : elles peuvent être réalisées notamment par un accroissement injustifié des frais généraux (salaire excessif, paiement d'intérêts disproportionnés pour un prêt de l'actionnaire, rémunération trop importante d'un service rendu par l'actionnaire), ou par une comptabilisation insuffisante d'un produit (la société n'exige pas une contre-prestation appropriée pour un service rendu à l'actionnaire, p. ex : octroi d’un prêt à l’actionnaire à un taux inférieur à celui du marché ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5ème éd., 2021, p. 276 n. 52 et 54).

11.         L'AFC-CH édicte chaque année des directives sur les taux d'intérêts déterminants pour le calcul des prestations appréciables en argent, publiées sous la forme de lettres-circulaires, destinées à simplifier la mise en œuvre du principe de pleine concurrence en relation avec les taux d'intérêts de prêts conclus en francs suisses et en monnaies étrangères entre des sociétés et leurs actionnaires ou associés - ou leurs proches (ATF 140 II 88 consid. 5.1).

12.         La lettre-circulaire applicable à l’année en cause, soit celle de l’année 2020, prévoit à son chiffre 1 (avances ou prêts aux porteurs de parts ou à des tiers qui leur sont proches) que « lorsque le taux d’intérêt pour la monnaie étrangère est plus bas que le taux d’intérêt fixé selon la lettre-circulaire AFC-CH taux d’intérêt 2020 admis fiscalement sur les avances ou les prêts en francs suisses du 3 février 2020, c’est au minimum le taux d’intérêt applicable pour les francs suisses qui doit être pris en compte. Ces taux d’intérêt sont valables pour les prêts et avances aux porteurs de parts ou de tiers qui leur sont proches pour autant qu’ils soient financés au moyen de fonds propres. Si la société ou la société coopérative rémunère les engagements qu’elle a pris, les taux applicables aux avances et aux prêts aux porteurs de parts, associés ou à des tiers qui leur sont proches, doivent correspondre à ceux servis sur ces engagements y compris des charges éventuelles (propres charges) augmentés d’une marge de ½ %. Les taux appliqués doivent cependant correspondre au minimum à ceux publiés dans la présente circulaire ».

13.         Faisant partie des instructions et directives internes à l'administration, la lettre-circulaire de l'AFC-CH sur les taux d'intérêts déterminants pour le calcul des prestations appréciables en argent n'appartient pas au droit fédéral. Elle ne lie donc ni le contribuable, ni l'autorité de taxation, ni les tribunaux (ATF 138 II 536 consid. 5.4.3 ; 133 II 305 consid. 8.1). Toutefois, dès lors qu'elle tend à une application uniforme et égale du droit, il ne convient de s'en écarter que dans la mesure où elle ne traduit pas une concrétisation convaincante des dispositions légales applicables (arrêt du Tribunal fédéral 2C_95/2011 du 11 octobre 2011 consid. 2.3 = RDAF 2012 II p. 72).

Selon le Tribunal fédéral, les susdites lettres-circulaires de l’AFC-CH proposent une solution appropriée pour déterminer le taux d’intérêt conforme au principe de pleine concurrence, tout en précisant que ces taux ne constituaient que des « safe harbour rules » dont le contribuable pouvait s’écarter en apportant les preuves déterminantes (ATF 140 II 88 consid. 7 ; Robert DANON, op. cit., p. 1119 n. 225 ad art. 57, 58 LIFD).

14.         Concernant la condition du caractère reconnaissable de la disproportion entre la prestation et la contre-prestation par les organes de la société, l’intention d’octroyer une distribution dissimulée de bénéfice n’est plus nécessairement déterminante. Cet élément subjectif est de fait objectivé par le caractère reconnaissable de la disproportion. Selon Robert DANON (op. cit., p. 1113 n. 210 ad art. 58 LIFD), cette condition de reconnaissabilité devient toutefois superflue lorsqu’une distribution dissimulée de bénéfice est constatée en présence d’une « safe harbour rule ». En effet, lorsque le contribuable s’écarte par exemple de la méthode de calcul – ne serait-ce que légèrement – de la lettre-circulaire de l’AFC-CH sur les taux d’intérêt admissibles sans pour autant être en mesure de prouver d’une autre manière que le taux d’intérêt devait être différent, la disproportion est dans tous les cas reconnaissable pour les organes, dès lors que la société s’écarte sans raison d’un taux d’intérêt calculé selon une méthode disponible et désormais reconnue par notre Haute Cour (Jérôme BÜRGISSER, La jurisprudence fiscale du Tribunal fédéral en 2014, in RDAF 2015 II p. 46).

15.         Le Tribunal fédéral a jugé que les avances ou prêts aux actionnaires ou associés financés au moyen des fonds propres supposaient la réalisation de deux conditions cumulatives, à savoir : que le prêt ait été financé au moyen de fonds propres et qu'aucun intérêt ne soit dû par la société prêteuse sur des capitaux étrangers. « Il suffit qu'il existe des capitaux étrangers portant charge d'intérêt au bilan de la société prêteuse pour que le taux d'intérêt minimum se calcule conformément au chiffre 1.2 [de la lettre-circulaire concernant les taux admis fiscalement sur les avances ou les prêts en CHF : « financés au moyen de capitaux étrangers »], indépendamment de la question de savoir si ces capitaux étrangers ont effectivement servi à mobiliser les fonds nécessaires à l'octroi du prêt » (ATF 140 II 88 consid. 6).

16.         Selon le droit suisse (art. 991 à 1095 CO), la lettre de change (ou traite) est un papier-valeur par lequel un tireur - celui qui émet la lettre de change - donne l’ordre au tiré de payer au preneur ou à son ordre la somme mentionnée sur le papier-valeur (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 5A_868/2020 du 20 janvier 2021 consid. 4.1.2.1).

Par exemple, X achète à Y des marchandises, mais comme X momentanément ne dispose pas de liquidités suffisantes, Y (le vendeur) accepte de lui faire un crédit pendant trois mois. Y désirant néanmoins pouvoir disposer de son argent immédiatement, une banque (le preneur) est d’accord de reprendre sa créance et de lui avancer la somme découlant de la vente sous déduction d’un escompte. Y rédige alors une lettre de change invitant X (l’acheteur) à payer à la banque le prix de vente à l’échéance des trois mois. La lettre de change est essentiellement un instrument de crédit. Elle permet de mobiliser une créance en remettant immédiatement la lettre de change au banquier qui l’escompte, tandis que le débiteur (tiré) a le temps de réunir les fonds nécessaires jusqu’à l’échéance (François CHAUDET, Juan Carlos LANDROVE, Valérie JUNOD, Alain MACALUSO et Florian CHAUDET, Droit suisse des affaires, 2023, p. 851-852 n. 3644 et 3647).

Le paiement par le tiré de la lettre de change au preneur permet d’éteindre simultanément deux dettes : le tiré éteint par son paiement non seulement sa propre dette envers le tireur, mais également la dette du tireur envers le preneur. Le preneur ne dispose d’un droit direct contre le tiré qu’à partir du moment où celui-ci a accepté la promesse de paiement du tireur. Toutefois, même en cas d’acceptation du tiré, le tireur demeure obligé envers le preneur en vertu de la lettre de change (Antoine EIGENMANN, Commentaire romand, Code des obligations II, p. 2558 n. 2 et 4 ad art. 991 CO).

17.         En matière de fardeau de la preuve, il appartient au fisc de prouver que la prestation de la société est disproportionnée car effectuée sans contrepartie. Si cette preuve est apportée, il revient à la société de renverser cette présomption et de prouver que les prestations en question sont justifiées par l'usage commercial afin que les autorités fiscales puissent s'assurer que seules des raisons commerciales, et non les étroites relations personnelles et économiques entre la société et les bénéficiaires de la prestation, ont conduit à l'octroi d'une prestation insolite (arrêts du Tribunal fédéral 2C_275/2010 du 24 août 2010 ; 2C_30/2010 du 19 mai 2010 ; ATA/979/2015 du 22 septembre 2015).

18.         En l’espèce, les parties divergent sur le financement du contrat de prêt en faveur de B______, la recourante soutenant qu’il s’agissait exclusivement de ses fonds propres, alors que l’AFC-GE estime qu’ils provenaient aussi de prêts à court terme obtenus auprès de banques.

19.         Comme le relève l’autorité intimée, la recourante ne conteste pas l’application de la lettre-circulaire applicable aux avances et prêts en monnaies étrangères. Sa comptabilité est tenue en euros et il s’agit là de sa monnaie fonctionnelle.

Le compte de pertes et profits de la recourante au 31 décembre 2020 fait état d’intérêts payés par elle de EUR 532'903.-. Au vu de l’extrait de compte fourni par la recourante, cette dernière s’est acquittée d’un montant de EUR 513'295.- correspondant à des intérêts bancaires en lien avec les lettres de change escomptées sur ses créances découlant de la vente de clinker. La différence de EUR 19'608.- (soit EUR 532'903.- ./. EUR 513'295.-) représente d’autres intérêts financiers comptabilisés par la recourante en 2020.

Le bilan au 31 décembre 2020 mentionne quant à lui, au passif, divers engagements en cours pour un total de EUR 9'837'833.-.

Dès lors qu’elle a comptabilisé des intérêts bancaires correspondant aux lettres de change escomptées, il y a lieu de considérer que la recourante a reçu avant l’échéance de celles-ci l’intégralité des sommes facturées à ses clients. Elle a ainsi bénéficié de prêts de la part des banques, qui constituent des dettes du tireur à l’égard de ces dernières, remboursables par les tirés à l’échéance des lettres de change.

Contrairement à ce que soutient la recourante au sujet des fonds étrangers, la lettre-circulaire ne traite pas différemment les engagements à court et à long terme. Comme l’a jugé le Tribunal fédéral (cf. supra p. 10 ch. 15), il suffit qu’il existe dans la comptabilité de la contribuable des capitaux étrangers portant charge d’intérêt, indépendamment de la question de savoir si ces capitaux étrangers ont effectivement servi à mobiliser les fonds nécessaires à l’octroi du prêt.

Par ailleurs, en vertu du principe de l’autorité du bilan, la recourante est liée par sa comptabilité. Rien n’indique que celle-ci aurait été tenue de manière contraire au droit commercial, qui justifierait une correction du bilan.

Dans ces conditions, attendu que la recourante a comptabilisé des intérêts à sa charge sur des dettes vis-à-vis de tiers (banques), le prêt qu’elle a accordé à B______ aurait dû prendre en compte un taux d’intérêt correspondant à ses engagements augmenté d’une marge de ½ %, conformément à la lettre-circulaire 2020.

Ainsi, en ne procédant pas de la sorte, la recourante a fourni une prestation à une personne morale proche de son actionnaire, sans obtenir de contre-prestation correspondante. Il est dès lors vraisemblable que cette prestation n’aurait pas été accordée à de telles conditions à un tiers. Enfin, étant donné que celle-ci s’écartait de la méthode de calcul de la lettre-circulaire, il y a lieu de considérer que la disproportion devait être reconnaissable pour les organes de la société recourante.

20.         En conséquence, et dès lors que le calcul du taux d’intérêt appliqué par l’AFC-GE n’est en soi pas contesté, il y a lieu de confirmer la reprise litigieuse.

21.         Le recours sera donc rejeté.

22.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1'000.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 20 juillet 2022 par A______ SA contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 20 juin 2022 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'000.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Laurence DEMATRAZ et Nicole FRAGNIÈRE MEYER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

 

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière