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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/207/2025

ATA/1086/2025 du 07.10.2025 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/207/2025-PRISON ATA/1086/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 octobre 2025

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 30 mars 2024, en détention avant jugement.

b. De cette date et jusqu'au 17 décembre 2024, il n'a fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire.

B. a. Selon rapport d'incident du 16 décembre 2024, deux agents de détention ont dû intervenir à cette date, vers 8h36, dans une cellule d'attente du service médical afin de mettre un terme à une bagarre opposant A______ et un autre détenu. À leur arrivée, ils ont ordonné aux détenus de se séparer, sans effet. Voyant que l'autre détenu impliqué était en train d'étrangler A______, ils ont décidé d'intervenir. L'un d'eux a alors maîtrisé l'autre détenu en l'amenant au sol afin de lui faire lâcher prise, ce qui a permis au second agent de détention de maîtriser A______ par une clé de bras et de le faire sortir de la cellule en l'amenant dans le couloir. Des renforts sont alors arrivés.

À la suite de cette bagarre, les deux détenus ont été vus par un médecin, l'autre détenu en raison d'une douleur à la main et A______ pour un œil au beurre noir et une douleur au pied.

b. Entendu le lendemain par la directrice adjointe de la prison, l'autre détenu impliqué a admis les faits, tout en les minimisant et en alléguant avoir agi défensivement, en lien avec un litige l'opposant à A______ relatif à un collier en or que celui-ci aurait dérobé.

Il a été sanctionné de cinq jours de cellule forte pour trouble à l'ordre de l'établissement et violence physique sur un autre détenu, en récidive, la directrice adjointe de la prison ayant pris en compte la transgression régulière du cadre avec augmentation de la gravité des actes commis, l'absence manifeste de remise en question et les lésions constatées sur A______.

c. Également entendu le lendemain par la directrice adjointe, ce dernier a admis une altercation physique, due à une accusation de vol d'un collier proférée par l'autre détenu. Il a toutefois indiqué avoir été agressé physiquement et ne pas avoir porté de coup, même pour se défendre. Il se réservait de déposer une plainte pénale.

d. Immédiatement après les faits, A______ a été vu par un médecin. Selon constat de lésions traumatiques du 20 décembre 2024, il a indiqué à cette occasion que l'autre détenu l'avait agressé sans aucune parole préalable, lui infligeant une vingtaine de coups de poing au niveau du visage et du crâne et lui tordant les poignets pour lui faire baisser sa garde. Pour attirer l'attention des gardiens, il avait frappé à plusieurs reprises la porte de la cellule d'attente avec son pied. Les examens médicaux ont révélé, notamment, un hématome palpébral gauche en monocle important avec clôture de l'œil ainsi qu'une fracture de la première phalange de l'hallux droit.

e. Les images de surveillance communiquées par la prison ne montrent pas l'intérieur de la cellule d'attente. Sur celles montrant le couloir, on voit l'arrivée sur place de deux agents de détention alertés par un membre du personnel médical, lesquels, après une pause à l'entrée de la cellule d'attente, y pénètrent. Quelques instants plus tard, l'un d'entre eux en ressort en tirant A______, qu'il maîtrise par une clé de bras. Il est manifeste que A______ résiste physiquement à l'agent de détention. Pendant un court instant, il échappe à ce dernier et tente de rentrer dans la cellule avant d'être à nouveau maîtrisé.

f. Par décision du 17 décembre 2024 notifiée le même jour à 9h25 à A______, la directrice adjointe de la prison l'a sanctionné de trois jours de cellule forte pour trouble à l'ordre de l'établissement, violence physique exercée sur un détenu et refus d'obtempérer. Elle a tenu compte de l'absence d'antécédent disciplinaire de ce dernier.

C. a. Selon rapport d'incident du 6 janvier 2025, un agent de détention a été informé ce jour-là par un détenu que A______ détiendrait un téléphone portable, qu'il mettrait à disposition d'autres détenus en échange d'argent. Le dénonciateur a par ailleurs indiqué où le téléphone serait dissimulé. Sur la base de ces informations, une fouille approfondie de la cellule que A______ partageait avec trois autres détenus a été effectuée le même jour, qui a permis de découvrir, notamment, un téléphone portable de marque NOKIA, un pendentif, et, dans les affaires de celui-ci, plusieurs médicaments. Alors que les trois autres détenus occupant la cellule déclaraient avoir ignoré l'existence du téléphone portable, A______ a admis qu'il la connaissait mais a expliqué ne jamais l'avoir utilisé. Il s'est déclaré étonné de la présence du pendentif.

Entendu le lendemain par le gardien chef adjoint, A______ a reconnu les faits qui lui étaient reprochés.

b. Par décision du 7 janvier 2025 notifiée le même jour à 8h10 à A______, le gardien chef adjoint l'a sanctionné de trois jours de cellule forte pour possession d'un objet prohibé. Il a tenu compte de la sanction prononcée le 17 décembre 2024.

D. a. Par acte expédié le 21 janvier 2025 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a contesté les sanctions infligées les 17 décembre 2024 et 7 janvier 2025.

S'agissant de la bagarre du 16 décembre 2024, c'était l'autre détenu, déjà connu pour des problèmes de conflits et insultes, qui s'était jeté sur lui sans raison. Contrairement à ce qui lui avait été reproché, il n'avait pas refusé qu'on lui mette les menottes, un problème physique ne lui permettant pas d'avoir les mains dans le dos.

Le téléphone découvert le 6 janvier 2025 lors de la fouille de sa cellule appartenait à d'autres occupants de la cellule. Il n'avait toutefois rien dit car lui et sa famille avaient fait l'objet de menaces s'il « balançait » et aucune assurance de protection ne lui avait été fournie par la prison s'il disait la vérité.

b. La prison a conclu au rejet du recours.

c. Le recourant n'ayant pas répliqué, les parties ont été informées le 2 avril 2025 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant conteste les deux sanctions, de trois jours de cellule forte chacune, qui lui ont été infligées les 17 décembre 2024 et 7 janvier 2025.

2.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

2.2 Les détenus doivent observer les dispositions du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), les instructions du directeur général de l'office cantonal de la détention ainsi que les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire
(art. 42 RRIP). En toute circonstance, ils doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus de détenir d'autres objets que ceux qui leur sont remis et d'introduire ou de faire introduire dans l'établissement d'autres objets que ceux autorisés par le directeur (art. 45 let. e et f RRIP) ; d’une façon générale, il leur est interdit de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).

2.3 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP).

À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, les sanctions peuvent être la suppression de visite pour quinze jours au plus (let. a), la suppression des promenades collectives, des activités sportives, d’achat pour quinze jours au plus ou la suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus (let. c à e), la privation de travail (let. f) ou encore le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g).

2.4 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s’en écarter (ATA/487/2025 du 29 avril 2025 consid. 2.4 ; ATA/719/2021 du 6 juillet 2021 consid. 2d ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 consid. 3b et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/487/2025 précité ; ATA/738/2022 du 14 juillet 2022 consid. 3d ; ATA/36/2019 du 15 janvier 2019).

2.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/439/2024 du 27 mars 2024 consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

2.6 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/439/2024 précité consid. 3.7 ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).

2.7 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé des sanctions de trois jours de cellule forte pour violence physique exercée sur un détenu, trouble à l'ordre de l'établissement et détention d'un objet prohibé, respectivement pour trouble à l'ordre de l'établissement et détention d'un objet prohibé (ATA/1139/2024 du 30 septembre 2024 ; ATA/946/2024 du 19 août 2024). Elle a également confirmé des sanctions de deux jours de cellule forte pour violence physique exercée sur un détenu et trouble à l'ordre de l'établissement (ATA/765/2023 du 13 juillet 2023 ; ATA/669/2023 du 21 juin 2023).

3.             En l'occurrence, et s'agissant en premier lieu de l'incident du 6 décembre 2024, le recourant dénonce un établissement inexact des faits, faisant valoir qu'il s'était cantonné dans une posture exclusivement défensive, ne portant lui-même aucun coup à l'autre détenu, qui l'avait agressé sans raison.

Cette version est toutefois contredite par celle des agents de détention intervenus pour séparer les protagonistes, dont les constatations revêtent une valeur probante. Il résulte à cet égard du rapport d'incident que les agents de détention ont commencé par intimer au recourant et à l'autre détenu impliqué l'ordre de cesser de se battre, mais qu'aucun d'entre eux ne s'est exécuté. Les agents ont alors dû avoir recours à la force physique pour séparer les protagonistes. Ces constatations sont confortées par les images de vidéosurveillance, qui montrent que le recourant a dû être traîné de force hors de la cellule d'attente où la bagarre avait pris place, et a même tenté d'y retourner après s'être brièvement libéré, ce qui n'est pas compatible avec une attitude purement passive. Il faut ainsi retenir que, même si les circonstances du début de la bagarre, et la personne l'ayant commencée, n'ont pu être déterminées, le recourant y a participé activement, refusant d'arrêter de se battre lorsque les agents le lui ont ordonné et tentant même de rentrer dans la cellule d'attente, manifestement pour reprendre la bagarre, alors qu'il en était extrait par la contrainte.

Un tel comportement doit être considéré comme constitutif des infractions de trouble à l'ordre de l'établissement, violence physique exercée sur un détenu et refus d'obtempérer retenues par la prison. Le prononcé d'une sanction était donc justifié.

Reste à examiner la proportionnalité du type de sanction et sa quotité, étant précisé que ceux-ci ne sont pas critiqués par le recourant.

Il doit être retenu à cet égard que les infractions commises revêtent une gravité certaine, dans la mesure où elles concernent un acte de violence contre un autre détenu et, par le refus de donner suite aux injonctions des gardiens, le maintien de l'ordre et de la sécurité au sein de la prison. Bien qu'il n'ait pas été établi que le recourant ait été à l'origine de la bagarre, il n'y a pas mis fin lorsqu'il en a reçu l'ordre et a même tenté de la poursuivre après qu'elle ait été interrompue par les agents de détention. Une certaine sévérité était donc justifiée au vu des intérêts publics compromis, et il ne peut être considéré que l'autorité intimée aurait violé son large pouvoir d'appréciation en prononçant un placement en cellule forte, la quotité se situant par ailleurs dans la partie inférieure de l'échelle prévue par la loi. Elle a par ailleurs tenu compte de ce qu'il s'agissait pour le recourant d'une première infraction disciplinaire.

Le recours est donc infondé en tant qu'il est dirigé contre la sanction infligée le 17 décembre 2024.

4.             S'agissant en second lieu de la sanction infligée le 7 janvier 2025, le recourant, revenant sur ses déclarations au gardien chef adjoint du même jour, soutient que le téléphone portable retrouvé la veille dans la cellule qu'il partageait avec trois autres détenus ne lui appartenait pas. Le fait qu'il ait dans un premier temps admis le contraire serait dû aux menaces dont il aurait fait l'objet de la part de tiers et au refus de la prison d'assurer sa protection.

Ces dénégations tardives n'emportent pas la conviction. Il résulte en effet du rapport d'incident que la fouille de la cellule a fait suite à une information précise de la part d'un détenu, impliquant spécifiquement le recourant en qualité de détenteur du téléphone portable litigieux et indiquant de manière précise et exacte le lieu où ledit téléphone était dissimulé. Entendu le lendemain par le gardien chef adjoint, le recourant a admis les faits qui lui étaient reprochés, parmi lesquels la détention du téléphone portable, et il ne résulte pas du compte rendu de son audition qu'il aurait indiqué à cette occasion avoir fait l'objet de menaces ni qu'il aurait sollicité des mesures de protection. C'est donc à juste titre que la prison a retenu que le recourant avait possédé un objet prohibé, étant par ailleurs rappelé que, outre le téléphone portable, de nombreux médicaments non autorisés ont été retrouvés dans ses affaires.

Sous l'angle de la proportionnalité, l'infraction revêt là également une gravité certaine au vu de l'intérêt de la prison à conserver le contrôle des objets en possession des détenus ainsi que, s'agissant d'un téléphone portable, d'empêcher les communications non autorisées avec l'extérieur (art. 45 let. b RRIP). Le fait que le recourant ait également conservé, sans y être autorisé, de nombreux médicaments, devait également être pris en considération, de même que le fait qu'il s'agissait de la seconde infraction disciplinaire en moins d'un mois. Au regard de ces éléments, l'autorité intimée n'a, là encore, pas abusé de son large pouvoir d'appréciation en sanctionnant le recourant de trois jours de cellule forte.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 janvier 2025 par A______ contre les décisions de la prison de Champ-Dollon des 17 décembre 2024 et 7 janvier 2025 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Michèle PERNET, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MEYER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

M. PERNET

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :