Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/944/2025 du 02.09.2025 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/476/2025-EXPLOI ATA/944/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 1er septembre 2025 2ème section |
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dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Michel BUSSARD, avocat
contre
OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé
A. a. A______ (ci-après : A______) est active dans le sertissage et la mécanique de précision dans le domaine de la bijouterie, de la joaillerie et de produits horlogers.
b. Le 5 août 2024, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci‑après : OCIRT) a initié un contrôle des conditions de travail au sein de A______.
c. Le 30 août 2024, A______ a fait parvenir les renseignements demandés, sous réserve de ceux relatifs à B______ qui avait été stagiaire.
d. Par courrier du 29 octobre 2024, l’OCIRT a constaté la sous-enchère salariale de CHF 668.85 concernant C______ pour la période du 11 octobre au 31 décembre 2021, de CHF 470.60 concernant D______ pour la période du 2 février au 17 juillet 2022 et de CHF 894.70 de E______ pour la période de juin à octobre 2024. L’employeur était invité à procéder au rattrapage salarial et, en sus, à transmettre les informations manquantes concernant B______ et F______ ainsi que le soldes de vacances de l’ensemble des employés au 31 octobre 2024, les indications sur la manière dont la prise de vacances était organisée et comment les pauses de 5 minutes étaient décomptées du temps de travail. Il était rappelé que l’employeur devait tenir un registre des heures de début et de fin de travail et des pauses de plus de 30 minutes.
e. A______ a procédé aux rattrapages salariaux précités. Elle a reconnu que certains décomptes de vacances étaient erronés et que, dorénavant, les pauses de plus de 30 minutes seraient indiquées. Elle a persisté à considérer que B______ était stagiaire, dont le salaire n’était pas soumis au salaire minimum cantonal.
f. Par décision du 10 janvier 2025, l’OCIRT a infligé à A______ une amende de CHF 12'500.- pour le non-respect du salaire cantonal minimal commis au détriment de C______, D______, E______ et B______. Le rattrapage salarial n’avait été que partiel, celui concernant B______, de CHF 68'182.-, n’ayant pas eu lieu.
B. a. Par acte du 12 février 2025, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation. Elle a, préalablement, sollicité la suspension de la procédure jusqu’à droit connu dans celle l’opposant devant la juridiction des prud’hommes à B______ ainsi que l’audition de témoins.
B______ avait suivi une formation auprès d’elle, entre septembre 2019 et décembre 2021, et avait été « sous contrat » en janvier et février 2022. Le salaire que lui attribuait l’OCIRT était erroné. L’amende était arbitraire. Elle avait collaboré, toujours agi de bonne foi et immédiatement effectué les rattrapages salariaux justifiés. L’amende était excessive.
b. Le 27 mars 2025, l’OCIRT a conclu au rejet du recours.
B______ ne pouvait être considérée comme ayant été stagiaire, compte tenu de l’absence de pièces établissant cette qualité. La quotité de l’amende était justifiée au regard de la durée de l’infraction au salaire minimum concernant cette employée, du pourcentage de travailleurs concernés, de l’absence d’antécédents et de la mise en conformité demeurée partielle.
c. A______ a répliqué en sollicitant l’audition de six témoins pouvant attester du statut de B______ au sein de l’entreprise.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Se pose en premier lieu la question de savoir si les manquements reprochés sont prescrits.
2.1 La LIRT ne contient pas de disposition réglant la question de la prescription.
Il s’agit d’une lacune proprement dite, dès lors que le législateur s’est abstenu de régler un point qu’il aurait dû fixer et qu’aucune solution ne se dégage du texte ou de l’interprétation de la loi, laquelle doit être comblée par le juge (ATA/1308/2020 précité). Il y a lieu de faire application, par analogie, de l’art. 109 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), à teneur duquel la prescription de l'action pénale est de trois ans pour les contraventions, soit les infractions passibles d’une amende (art. 103 CP ; ATA/917/2021 précité et les références citées).
2.2 Selon l’art. 98 CP, la prescription court, alternativement, dès le jour où l'auteur a exercé son activité coupable (let. a), dès le jour du dernier acte si cette activité s'est exercée à plusieurs reprises (let. b) ou encore dès le jour où les agissements coupables ont cessé s'ils ont eu une certaine durée (let. c).
2.3 L'art. 98 let. c CP règle le début de la prescription pour les délits continus (Robert ROTH/Gilbert KOLLY, in Alain MACALUSO/Nicolas QUELOZ/ Laurent MOREILLON/Robert ROTH [éd.], Commentaire romand du code pénal I, 2e éd., 2021, n. 28 ad. art. 98 CP). Le délit continu se caractérise par le fait que la situation illicite créée par un état de fait ou un comportement contraire au droit se poursuit. Il y a infraction continue lorsque les actes qui créent la situation illégale forment une unité avec les actes qui la perpétuent ou avec l'omission de la faire cesser, pour autant que le comportement visant au maintien de l'état de fait délictueux soit expressément ou implicitement contenu dans les éléments constitutifs de l'infraction. L'infraction est consommée dès que tous ses éléments constitutifs sont réalisés, mais n'est achevée qu'avec la cessation de l'état de fait ou du comportement contraire au droit (ATF 135 IV 6 consid. 3.2 ; 132 IV 49 consid. 3.1.2.2). Le délit continu ne se prescrit pas tant qu'il dure (Robert ROTH/Gilbert KOLLY, op. cit., n. 29 ad art. 98 CP).
2.4 En l’espèce, les contraventions reprochées à la recourante consistent en des versements inférieurs aux salaires minimaux à quatre employés. La sous-enchère salariale concernant C______ a pris fin en décembre 2021. Le délai de prescription de trois ans a donc commencé à courir à cette date. Il était atteint au moment où la décision querellée a été rendue.
La sous-enchère (reconnue) concernant D______ a pris fin le 17 juillet 2022 et celle (contestée) concernant B______ en janvier 2022. La prescription de la sous-enchère salariale concernant ces deux employés est ainsi à ce jour également atteinte.
Il n’y a donc ni lieu d’instruire les faits concernant la nature de l’emploi exercé par B______ auprès de la recourante – seul point développé par les parties dans leurs écritures devant la chambre de céans – ni d’attendre l’issue de la procédure prud’homale concernant cette ancienne employée, les faits la concernant ne pouvant plus être pris en compte.
Seule demeure non atteinte par la prescription la sous-enchère salariale concernant E______. Elle se monte à CHF 894.70.
3. La recourante conteste la quotité de l'amende qui lui a été infligée.
3.1 Selon l’art. 39N al. 1 LIRT, lorsqu'un employeur ne respecte pas le salaire minimum prévu à l'art. 39K, l'office peut prononcer une amende administrative de CHF 30'000.- au plus. Selon l’al. 3 de la même disposition, lorsque l'employeur est une entreprise visée par l'art. 25 LIRT, les autres sanctions prévues à l'art. 45 LORT peuvent également être prononcées.
3.2 L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/131/2023 du 7 février 2023 consid. 5d ; ATA/1253/2022 du 13 décembre 2022 consid. 3b). Il doit être également tenu compte, en application de l'art. 106 al. 3 CP, de la capacité financière de la personne sanctionnée (ATA/651/2022 précité consid. 14f et la référence citée).
3.3 L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès (ATA/464/2024 du 10 avril 2024 consid. 2; ATA/131/2023 du 7 février 2023 consid. 5d ; ATA/1253/20 du 13 décembre 2022 consid. 3b). Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.).
3.4 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé une amende de CHF 1'300.- pour une sous-enchère salariale de CHF 24'051.-, commise pendant dix mois, par un employeur dont la collaboration à l’instruction avait été excellente, qui avait procédé au rattrapage salarial et n’avait pas d’antécédents (ATA/1071/2023 du 28 septembre 2023 consid. 3.2). Elle a confirmé une amende de CHF 8'000.- portant sur une sous-enchère salariale de CHF 42'668.-, ayant duré plus d'un an et demi, dans le contexte d’une mauvaise collaboration de l’employeuse et de l’absence de rattrapage salarial (ATA/521/2023 du 22 mai 2023 consid. 4.2). Dans une autre affaire de sous-enchère salariale de CHF 20'000.- concernant cinq employés et ayant eu lieu pendant une durée allant de juillet à début novembre 2022, une entreprise à qui était reprochée une faible collaboration s'est vue infliger une amende de CHF 5'900.- (ATA/117/2024 du 30 janvier 2024 consid. 7.6). En raison de la durée de la sous-enchère (de novembre 2020 à décembre 2022), de son l’ampleur (CHF 565'537.54 au minimum de rattrapage salarial) et du nombre (43) de travailleurs touchés, soit plus de la moitié de l’effectif de l’entreprise, à l'encontre de laquelle une faute lourde a été retenue, une amende maximale de CHF 30'000.- a été prononcée à l'encontre de l'entreprise coupable (ATA/349/2024 du 7 mars 2024 consid. 9.3).
3.5 En l’espèce, les manquements pouvant être retenus à l’encontre de la recourante concernent un seul employé. Ils ont duré de juin à octobre 2024. La sous-enchère salariale s’est montée à CHF 894.70. La collaboration de la recourante, qui n’a pas d’antécédents, a été bonne.
Au vu de ces éléments, l’amende de CHF 12'500.- paraît largement excessive. Elle sera ainsi réduite à CHF 200.-. Ce montant tient davantage compte du faible montant de la sous-enchère, de sa relative courte durée et de la très bonne collaboration de la recourante, qui a procédé au rattrapage salarial.
Le recours sera ainsi admis dans cette mesure.
4. Vu l’issue du litige, un émolument, réduit, de CHF 200.- sera mis à la charge de la recourante, qui se verra allouer une indemnité de procédure – réduite du fait qu’elle obtient en grande partie gain de cause uniquement en raison de l’écoulement du temps – de CHF 500.- (art. 87 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 12 février 2025 par A______ contre la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 10 janvier 2025 ;
au fond :
l’admet partiellement en tant que l’amende de CHF 12'500.- est ramenée à CHF 200.- ;
confirme la décision précitée pour le surplus ;
met un émolument de CHF 200.- à la charge de A______ ;
alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à A______, à la charge de l’État de Genève ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Michel BUSSARD, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.
Au nom de la chambre administrative :
| la greffière :
N. DESCHAMPS
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| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
| Genève, le
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| la greffière :
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