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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1739/2025

ATA/894/2025 du 19.08.2025 ( PROC ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1739/2025-PROC ATA/894/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 août 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ Sàrl demanderesse
représentée par Jérôme PICOT, mandataire

contre

DIRECTION DE LA POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR défenderesse

 



EN FAIT

A. a. A______ Sàrl (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce du canton de Genève le 18 juin 2019, a pour but d'effectuer tous travaux de carrelage, revêtement, maçonnerie, démolition, nettoyage, plâtrerie, moquette, parquet, peinture, sanitaire ainsi que tous travaux d'une entreprise générale de construction. Elle a pour seul associé-gérant avec signature individuelle B______.

b. Par ordonnance pénale du 26 juin 2023, le Ministère public (ci-après : MP) a condamné B______ à une peine pécuniaire de 180 jours-amende à CHF 50.- pour violation de l’art. 117 al. 1 et 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), pour avoir employé en sa qualité d'associé-gérant d'A______, entre le 26 février 2021 et le 31 juillet 2022, C______, un travailleur étranger d'origine kosovare dépourvu d’autorisation de travail. La peine a été fixée sans sursis au vu des antécédents spécifiques du précité qui avait déjà été condamné à deux reprises par le MP en date des 1er mars 2018 et 29 janvier 2019 pour emploi d'étrangers sans autorisation au sens de la LEI.

Entendu par la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) le 3 février 2023, B______ avait reconnu les faits reprochés tout en précisant qu'il avait engagé C______ sur la base de sa pièce d'identité italienne présentée lors de son engagement. Il avait également contacté par téléphone l'office cantonal de la population et des migrations
(ci-après : OCPM) qui lui avait confirmé qu'aucune autorisation n'était nécessaire pour l'engagement de travailleurs européens.

c. Par décision du 22 août 2024, la PCTN a exclu A______ des marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour une durée de 24 mois.

La condamnation pénale était définitive et exécutoire. La société avait employé un travailleur kosovar sans autorisation pendant 17 mois. Les faits présentaient une gravité certaine, la peine prononcée par le MP étant lourde et B______ ayant déjà été condamné par deux fois pour des faits similaires. Le fait que les cotisations sociales avaient été payées n’était pas pertinent. La durée de la sanction, fixée à 24 mois pour un maximum légal de 60 mois, était proportionnée.

Les explications d’B______ ne convainquaient pas. C______ ne possédait qu'un titre de séjour italien et non la nationalité italienne. Il appartenait à A______ de se renseigner sur ses obligations d'annonce.

d. Par arrêt du 20 décembre 2024, entré en force, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) a partiellement admis le recours formé par A______ contre cette décision et réduit la durée – jugée disproportionnée – de l’exclusion des marchés publics à 18 mois.

A______ ne pouvait ignorer être dans l'obligation de s’assurer du respect des dispositions légales en matière de droit des étrangers. Il lui appartenait en particulier de faire la différence entre un simple permis de séjour et un document attestant de la nationalité. Au vu des deux précédentes condamnations de son associé-gérant B______, elle devait porter une attention spéciale aux questions relatives aux autorisations de travail afin d'éviter tout malentendu ou récidive et, dans le cas d’espèce, se renseigner sur la nature du document d'identité présenté afin de s'assurer des démarches à entreprendre. Après ses condamnations, l'associé-gérant B______ devait avoir mesuré le risque auquel son impéritie l’exposait et devait corriger sa pratique. En ne le faisant pas et en embauchant un troisième travailleur sans autorisation, il avait accru l’importance du non-respect de ses obligations au sens de l’art. 13 al. 1 de la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du 17 juin 2005 (LTN - RS 822.41).

B. a. Par acte remis à la poste le 5 mai 2025, adressé à la PCTN et transmis par cette dernière le 19 mai 2025 à la chambre administrative pour raison de compétence, A______ a conclu à la reconsidération de la décision de la PCTN, à ce qu’il soit renoncé à toute mesure d’exclusion des marchés public et à ce qu’un avertissement soit prononcé à son encontre.

Il n’était pas question de remettre en cause les décisions judiciaires. Toutefois, son associé-gérant B______ avait été délibérément trompé et induit en erreur par son employé C______, même s’il n’était pas contesté qu’il aurait dû procéder aux « vérifications nécessaires (élément de négligence) ».

Or, C______ n’avait jamais été entendu dans le cadre des procédures. Il avait déclaré sur l’honneur devant notaire le 1er avril 2025 qu’il avait effectivement induit A______ en erreur en lui faisant croire qu’il était de nationalité italienne et qu’il était en droit de travailler pour elle sans obtenir d’autorisation de séjour.

Elle produisait une déclaration écrite de C______ datée du 1er avril 2025 et authentifiée par un notaire à D______ au Kosovo, par laquelle celui-ci attestait sur l’honneur avoir été engagé par A______ du 26 février 2021 au 31 juillet 2022, et que « ledit engagement a[vait] été fait sur la base a) de la présentation/remise de [s]a pièce d’identité italienne et b) sur la base de déclarations ayant induit en erreur [s]on employeur s’agissant de son droit d’exercer une activité lucrative en Suisse sans obtenir une autorisation de séjour/travail préalable. »

Il s’agissait sans conteste d’un fait nouveau qui n’avait jamais été porté devant les différentes autorités, tant administratives que judiciaires, qui avaient connu de la cause.

Si la décision n’était pas revue, les conséquences économiques pour elle et son associé-gérant seraient catastrophiques, pour ne pas dire irrémédiables. Une exclusion des marchés publics aurait pour conséquence sa faillite, ce qui paraissait excessivement sévère au vu de la faute commise, dès lors qu’B______ avait fait preuve de négligence, mais sans conscience ni intention de violer la législation, étant précisé qu’il avait été induit en erreur par son employé. Elle dépendait par exemple des mandats de la ville de Genève et ses offres étaient « bloquées » par la décision.

Elle n’avait jamais été assistée par un homme de loi dans les procédures et n’avait pas pu valablement faire valoir ses moyens de défense.

Elle produisait à nouveau, entre autres pièces, le « permesso di soggiorno » n° 111122596 délivré à C______ par les autorités italiennes le 1er juin 2016 pour une durée illimitée.

b. Le 17 juin 2025, la PCTN s’en est rapportée à justice.

c. A______ n’a pas répliqué dans le délai imparti au 21 juillet 2025.

d. Le 7 août 2025, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             La PCTN a transmis la demande d’A______ à la chambre administrative pour motif de compétence.

1.1 La compétence de la chambre administrative est acquise, dès lors que la procédure vise de fait la révision de l’un de ses arrêts (art. 81 al. 1 in fine de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

1.2 Selon l’art. 81 LPA, la demande de révision doit être adressée par écrit à la juridiction qui a rendu la décision dans les trois mois dès la découverte du motif de révision (al. 1) et au plus tard dans les dix ans à compter de la notification de la décision (al. 2, 1re phrase). Les art. 64 et 65 LPA sont applicables par analogie. La demande doit, en particulier, indiquer le motif de révision et contenir les conclusions du requérant pour le cas où la révision serait admise et une nouvelle décision prise (al. 3).

1.3 En l’espèce, en déposant la demande de révision le 5 mai 2025, la demanderesse a agi dans le délai de trois mois après la découverte des déclarations sur lesquelles elle se fonde, consignées le 1er avril 2025 par C______. La demande satisfait par ailleurs aux autres conditions des art. 64 et 65 LPA.

Par ailleurs, c’est à bon droit que l’OCIRT l’a traitée comme une demande de révision dès lors qu’elle invoquait des faits nouveaux « anciens ».

2.             La demanderesse fonde sa demande en révision sur les déclarations de C______ du 1er avril 2025.

2.1 Selon l’art. 80 let. b LPA, il y a lieu à révision lorsque, dans une affaire réglée par une décision définitive, il apparaît que des faits ou des moyens de preuve nouveaux et importants existent, que le recourant ne pouvait connaître ou invoquer dans la procédure précédente.

Cette disposition vise uniquement les faits et moyens de preuve qui existaient au moment de la première procédure, mais n'avaient alors pas été soumis au juge (faits nouveaux « anciens » ; ATA/839/2023 du 9 août 2023 consid. 2.2 ; ATA/627/2020 du 30 juin 2020 consid. 1b et 1c). Sont « nouveaux », au sens de cette disposition, les faits qui, survenus à un moment où ils pouvaient encore être allégués dans la procédure principale, n'étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence. Ces faits nouveaux doivent en outre être importants, c'est-à-dire de nature à modifier l'état de fait qui est à la base de l'arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d'une appréciation juridique correcte (ATF 134 III 669 consid. 2.2 ; 134 IV 48 consid. 1.2 ; 118 II 199 consid. 5).

Les preuves nouvelles, quant à elles, doivent servir à prouver soit des faits nouveaux importants qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente mais qui n'avaient pas pu être prouvés, au détriment du requérant. Si les nouveaux moyens sont destinés à prouver des faits allégués antérieurement, le requérant doit aussi démontrer qu’il ne pouvait pas les invoquer dans la précédente procédure. Une preuve est considérée comme concluante lorsqu’il faut admettre qu’elle aurait conduit l’autorité administrative ou judiciaire à statuer autrement, si elle en avait eu connaissance, dans la procédure principale (ATF 134 IV 48 consid. 1.2).

La révision ne permet pas de supprimer une erreur de droit, de bénéficier d'une nouvelle interprétation, d'une nouvelle pratique, d'obtenir une nouvelle appréciation de faits connus lors de la décision dont la révision est demandée ou de faire valoir des faits ou des moyens de preuve qui auraient pu ou dû être invoqués dans la procédure ordinaire (ATA/478/2021 du 4 mai 2021 consid. 2b ; ATA/362/2018 précité consid. 1d et les références citées).

2.2 Lorsqu'aucune condition de l'art. 80 LPA n'est remplie, la demande est déclarée irrecevable (ATA/839/2023 précité consid. 2.5 ; ATA/232/2022 du 1er mars 2022 ; ATA/1748/2019 du 3 décembre 2019 ; ATA/1149/2019 du 19 juillet 2019 consid. 2).

2.3 En l’espèce, la demanderesse fait valoir que les déclarations de C______ du 1er avril 2025 constitueraient un fait nouveau.

Tel n’est toutefois pas le cas.

Contrairement à ce qu’affirme C______ dans son affidavit, c’est un titre de séjour italien et non une carte d’identité italienne qu’il a présenté à la demanderesse lors de son embauche. Le premier, qui ne peut être délivré qu’à un étranger, exclut que son titulaire puisse avoir la nationalité italienne.

Le titre de séjour de C______ était connu de la PCTN, du MP et de la chambre de céans dans la procédure objet de la demande de révision. La demanderesse l’avait produit et s’en était elle-même prévalue pour établir la bonne foi de son associé-gérant lorsqu’il avait engagé C______.

Les déclarations fallacieuses que C______ rapporte dans son affidavit étaient également connues, et avaient été invoquées à l’époque par la demanderesse pour établir qu’elle avait été trompée.

La demanderesse admet pour le surplus qu’elle a été négligente dans la vérification du statut en droit des étrangers de C______. Or, c’est précisément ce qui a été retenu par la PCTN et la chambre de céans pour établir qu’elle avait manqué aux obligations que lui imposaient la LEI et la LTN.

Ainsi, la demanderesse n’établit pas de fait nouveau, de sorte que sa demande devra être déclarée irrecevable, et que ses arguments au fond (bonne foi, conséquences de la décision, absence d’assistance d’un conseil) ne seront pas examinés.

2.4 Vu l’issue de la procédure, la question de savoir si Jérôme PICOT remplit les conditions – pour être reconnu comme mandataire professionnellement qualifié – pourra demeurer indécise au sens de l’art. 9 LPA.

3.             Vu l’issue de la procédure, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la demanderesse (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable la demande de révision formée le 5 mai 2025 par A______ Sàrl contre l’arrêt ATA/1497/2024 du 20 décembre 2024  ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge d’A______ Sàrl ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Jérôme PICOT, mandataire d’A______ Sàrl, ainsi qu'à la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :