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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2385/2024

ATA/1434/2024 du 10.12.2024 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2385/2024-PRISON ATA/1434/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 décembre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Pietro FOLINO, avocat

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ DE LA BRENAZ intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ est incarcéré en exécution de peine depuis le 12 avril 2022 à l’Établissement fermé de La Brenaz (ci-après : La Brenaz).

b. Il ressort d’un premier rapport d’incident du 12 juin 2024 que lors de la fouille de la cellule de A______, l’appointé en charge a trouvé 20 gélules blanches non identifiées dans une boîte de vitamines, qu’il a saisies. Une première mention manuscrite précisait : « Gélules n’étaient pas distribuées par le service médical. Remis à la direction ». Une seconde mention ajoutait : « Vu avec le Service Médical, les gélules ne sont pas distribuées par ce service. Positif aux Amphétamines ».

c. Il ressort d’un second rapport, complémentaire, du 12 juin 2024, les précisions suivantes : « Lors de la fouille de la cellule du détenu A______, je retire 20 gélules blanches non identifiées dans une boîte de vitamines. Je me rends au service médical pour demander de quoi il s’agit. Je vois en premier l’infirmière [caviardé] qui me dit je cite : "Je ne sais pas ce que c’est, mais ça ne vient pas de chez nous". Ensuite, je vois la doctoresse [caviardé] et je lui demande si elle connaît ces gélules, elle me dit je cite "Non je ne sais pas ce que c’est". Elle demande ensuite à l’infirmier [caviardé] s’il sait de quoi il s’agit. Ce dernier répond, non je ne sais pas, ça ne vient pas de chez nous ». Une mention manuscrite ajoute : « [illisible] Transmis à la direction ». Une seconde mention indique : « Vu avec le Service Médical et plusieurs Infirmiers. les pilules ne proviennent pas du Service Médical et suite au test élaboré elles sont positives aux amphétamines ».

d. Il ressort d’un troisième rapport, complémentaire, du 12 juin 2024 qu’après son audition pour son placement en cellule forte, A______ avait refusé de se soumettre à la fouille et affirmé qu’il n’irait pas en cellule forte. Les agents de détention avaient dû l’immobiliser et le contraindre pour l’amener en cellule forte et le soumettre à la fouille en deux temps, après l’avoir mis au sol.

e. Interrogé le même jour à 18h05, A______ a indiqué que c’était le service médical qui lui avait donné les pilules pour l’appétit (« la peti ») et que ce n’était pas de la drogue.

f. Par décision du 12 juin 2024, A______ s’est vu infliger une amende de CHF 500.-, un placement en cellule forte et la suppression complète des visites, formations, loisirs et repas pour une durée de dix jours, pour détention de produits stupéfiants (amphétamines), pour avoir adopté un comportement contraire au but de l’établissement, troublé l’ordre et la tranquillité de celui-ci ou de ses environs immédiats.

La sanction a été exécutée du 12 juin 2024 à 18h15 au 22 juin 2024 à 18h15.

B. a. Par acte remis au greffe le 12 juillet 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette sanction, concluant au constat de son illicéité et à son annulation. Préalablement, l’examen des substances saisies devait être ordonné, l’intégralité de son dossier médical devait être produite, sa comparution personnelle ainsi que l’audition des agents qui étaient intervenus et des médecins qui l’avaient suivi devaient être ordonnées.

Il avait fait l’objet d’un traitement médical depuis l’automne 2023 à tout le moins jusqu’au mois de décembre 2023. En raison de problèmes de malnutrition, il avait dû prendre des compléments alimentaires sur prescription médicale. Ceux-ci lui étaient remis une fois par semaine, aux doses prescrites. Il avait interrompu son traitement vers le mois de décembre 2023. Lors de la fouille de sa cellule en juin 2024, il avait expliqué que les gélules étaient celles qui lui avaient été remises et qu’il n’avait pas prises, et il avait demandé que des vérifications soient faites notamment auprès du service médical, mais on lui avait répondu que celui-là n’était pas disponible. Il s’était opposé en vain à la sanction.

Aucune investigation n’avait été conduite pour vérifier la véracité de ses déclarations. Les actes d’instruction sollicités montreraient que la sanction était infondée.

b. Le 14 août 2024, La Brenaz a conclu au rejet du recours.

Interpellé après la fouille, le service médical avait indiqué que les gélules ne venaient pas de lui. Celles-ci avaient alors été testées au « Marquis Reagent », un procédé utilisé lorsqu’un produit ne provenait pas du service médical. Les gélules avaient été révélées positives aux amphétamines.

La demande d’analyse des gélules n’avait plus d’objet, l’analyse ayant déjà été effectuée. Le service médical avait été consulté. L’audition des médecins et des agents de détention n’était pas non plus nécessaire.

Les faits avaient été constatés de manière exacte. L’infraction était établie et la sanction proportionnée.

c. Le 28 août 2024, La Brenaz a informé la chambre de céans qu’elle avait annulé la sanction.

Le 21 août 2024, la brigade des stupéfiants de la police judiciaire l’avait informé que les 20 gélules trouvées dans la cellule du recourant correspondaient en réalité à de l’acide ascorbique, soit de la vitamine C, et non à des produits stupéfiants.

Aucune faute ne pouvait être attribuée au recourant, si bien que la sanction devait être reconsidérée et annulée, et la procédure devait être close.

Était produite la décision du 27 août 2024 annulant la sanction.

d. Le 23 septembre 2024, le recourant a demandé que le caractère illicite de la sanction soit constaté pour lui permettre de faire valoir ses droits pour une compensation économique du tort subi.

Une indemnité devait en outre lui être allouée et il produisait la note d’honoraires et de frais de son avocat pour un montant de CHF 3'648.38.

e. Le 25 septembre 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             L’intimé a annulé en cours de procédure la décision litigieuse et demande que la procédure soit close. Le recourant demande que l’illicéité de la décision litigieuse soit constatée. Il y ainsi lieu de déterminer si le recours a toujours un objet.

2.1 Aux termes de l’art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; ATA/1272/2017 du 12 septembre 2017 consid. 2b).

2.2 Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1) ; si l’intérêt s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4).

2.3 Il est toutefois exceptionnellement renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 140 IV 74 consid. 1.3 ; 139 I 206 consid. 1.1) ou lorsqu’une décision n’est pas susceptible de se renouveler mais que les intérêts des recourants sont particulièrement touchés avec des effets qui vont perdurer (ATF 136 II 101 ; 135 I 79). Cela étant, l’obligation d’entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l’absence d’un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3).

2.4 La jurisprudence a admis que l’autorité de recours doit entrer en matière même s’il n’existe plus d’intérêt actuel et pratique au recours lorsque la partie recourante invoque de manière défendable un grief fondé sur la CEDH (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; 139 I 206 consid. 1.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1028/2021 du 16 novembre 2022 consid. 1.2 ; ATA/460/2023 du 2 mai 2023 consid. 3.2).

2.5 À teneur de l'art. 67 LPA, dès le dépôt du recours, le pouvoir de traiter l'affaire qui en est l'objet passe à l'autorité de recours (effet dévolutif du recours ; al. 1). Toutefois, l’autorité de première instance peut, en cours de procédure, reconsidérer ou retirer sa décision. En pareil cas, elle notifie, sans délai, sa nouvelle décision aux parties et en donne connaissance à l’autorité de recours (al. 2). S'il s'agit là d'une nouvelle décision au sens de l'art. 4 LPA, celle-ci ne fait pas courir un nouveau délai de recours puisque l'autorité de seconde instance est déjà saisie du litige et continue à traiter le recours, sauf si la nouvelle décision l'a rendu sans objet (art. 67 al. 3 LPA ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 861 ad art. 67 LPA et la référence citée). L'art. 67 al. 2 LPA donne à l'autorité inférieure, pendant la procédure de recours, le pouvoir de procéder à un nouvel examen de la décision attaquée sans limite de temps (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 935).

2.6 L'autorité de recours admettra que le recours est devenu sans objet lorsque la nouvelle décision crée un état de droit tel que l'intérêt juridique du recourant à ce qu'il soit statué sur le recours a disparu, ce qui arrive lorsque la nouvelle décision fait entièrement droit aux conclusions du recourant. Lors de cet examen, l'autorité de recours est ainsi liée par la nouvelle décision dans la mesure où elle correspond aux conclusions du recourant. Lorsque la nouvelle décision ne donne que partiellement gain de cause au recourant, le recours n'est privé de son objet que dans la même mesure. L'instruction se poursuit pour les points encore litigieux. Si la nouvelle décision aggrave la situation du recourant (reformatio in pejus), elle ne remplace pas la première, mais est considérée comme constituant le chef de conclusions de l'autorité intimée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_653/2012 du 28 août 2012 consid. 4.3.1 et les références citées).

2.7 Lorsqu’une sanction infondée a été exécutée, il n’est matériellement plus possible de l’annuler. En pareille hypothèse, la chambre de céans se borne à constater son caractère illicite (ATA/718/2024 du 14 juin 2024 consid. 5).

2.8 En l’espèce, l’intimé a annulé la sanction disciplinaire objet du litige. Il a certes indiqué dans le courrier par lequel il a communiqué la nouvelle décision à la chambre de céans que des examens avaient révélé que les produits saisis n’étaient pas des stupéfiants – ce dont il peut être inféré que la sanction était illégale.

Cela étant, la décision du 27 août 2024 elle-même ne constate pas l’illicéité de la décision du 12 juin 2024.

À cela s’ajoute que la sanction, à tout le moins le placement en cellule forte durant 10 jours, a été subie par le recourant.

Le recourant conserve ainsi un intérêt à ce que l’illicéité de la décision du 12 juin 2024 soit constatée.

La chambre de céans retiendra qu’en se fondant sur une constatation erronée des faits, c’est à tort que l’intimé a infligé une sanction au recourant. La chambre de céans constatera ainsi le caractère illicite de la sanction (ATA/718/2024 du 14 juin 2024 consid. 5 ; ATA/63/2021 du 19 janvier 2021).

3.             Vu l'issue du litige, la procédure étant par ailleurs gratuite, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Le recours étant fondé et ayant entraîné l’annulation en cours de procédure de la décision attaquée, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant, qui y a conclu et a bénéficié des services d'un avocat (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 juillet 2024 par A______ contre la décision de l’Établissement fermé de La Brenaz du 12 juin 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

constate le caractère illicite de la sanction de dix jours de cellule forte et d’amende de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______ à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pietro FOLINO, avocat du recourant, ainsi qu'à l'Établissement fermé de La Brenaz.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

Le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :