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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/147/2024

ATA/1205/2024 du 15.10.2024 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/147/2024-FORMA ATA/1205/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 octobre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D'ÉTUDES intimé

_________



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1980, a soumis à une date indéterminée au service des bourses et prêts d'études (ci-après : SBPE) une demande de bourse ou de prêt d'études pour l'année académique 2021-2022. Elle souhaitait entamer des études de baccalauréat universitaire (ci-après : BU) en psychologie à l'Université de Genève.

b. Elle vit en ménage commun avec B______et leur enfant commun, âgée de 10 ans. Ils sont tous deux locataires solidairement responsables du bail de leur appartement.

c. Par décision du 24 août 2021, le SBPE a alloué à A______ une bourse d'un montant annuel de CHF 20'000.-, décision qui a été annulée et remplacée le 30 septembre 2021, ce qui a permis à la précitée d'obtenir une bourse d'un montant de CHF 44'000.-.

B. a. Le 19 août 2022, A______ a soumis au SBPE une demande de bourse ou de prêt d'études pour l'année académique 2022-2023. Elle visait, au sein de la même faculté, une maîtrise universitaire en logopédie.

b. Par décision du 6 septembre 2022, le SBPE a alloué à A______ une bourse d'un montant annuel de CHF 33'496.-.

c. À la suite d'un courrier de la précitée demandant pourquoi le montant de sa bourse avait diminué d'environ CHF 10'000.‑, le SBPE lui a alloué une bourse de CHF 41'716.-. Le service avait rectifié le montant des frais de logement ; toutefois, pour les frais d'entretien, il avait pris en compte, pour l'année 2021-2022, un montant de CHF 16'200.- en lieu et place de CHF 10'200.-, qui aurait dû être retenu dès lors qu'elle habitait avec le père de son enfant.

C. a. Le 28 août 2023, A______ a soumis au SBPE une demande de bourse ou de prêt d'études pour l'année académique 2023-2024. Elle était dans le même cursus que l'année précédente, s'apprêtant à entamer sa troisième année sur les cinq prévues.

b. Par décision du 11 octobre 2023, le SBPE a alloué à A______ une bourse d'un montant annuel de CHF 2'394.-.

Les revenus de son concubin avaient été pris en compte dans l'appréciation de sa situation financière, comme le permettait désormais la jurisprudence cantonale.

D. a. Par courriers des 3 et 8 novembre 2023, A______ a formé réclamation contre la décision précitée.

Lors de ses contacts avec le SBPE, elle avait indiqué que sa situation économique était inchangée. Il lui avait été demandé de remplir le formulaire de manière sommaire, sans aucunement lui communiquer que le calcul serait entièrement modifié du fait que le revenu de son compagnon allait être pris en considération dans le calcul, ce qui n'avait pas été fait auparavant et mettait à la charge de son compagnon, aux revenus modestes, la quasi-totalité de son entretien et de sa formation.

Si la décision était confirmée, elle devrait presque immanquablement renoncer à sa formation, ce qui impliquerait que les précédents montants versés par l'État de Genève l'auraient été en pure perte. Elle demandait l'octroi d'une bourse pour reconversion professionnelle d'un montant de CHF 42'000.-.

Dans le second courrier, différents points du procès-verbal étaient contestés (prise en compte à titre de revenus des allocations de logement et des subsides d'assurance‑maladie, omission de compter dans les charges l'entretien de l'enfant de son compagnon, les impôts de celui-ci et le supplément d'intégration pour les deux enfants). Le découvert par rapport au minimum vital était d'au minimum CHF 27'931.-. La décision attaquée ne tenait pas compte de la nature de la bourse, qui concernait une reconversion professionnelle.

b. Par décision du 6 décembre 2023, le SBPE a admis très partiellement la réclamation.

Il ignorait l'existence de l'enfant d'B______au sein du groupe familial et était disposé à revoir son calcul sur ce point.

Le SBPE prenait en compte la situation financière du concubin en s'appuyant sur les recommandations de la Conférence suisse des institutions d'action sociale (ci‑après : CSIAS), tout en étant moins strict. Ce positionnement avait été validé par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après :la chambre administrative) dans trois arrêts rendus en 2023. Le concubinage étant assimilé à une union matrimoniale, il devait être traité comme le mariage, si bien qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer de pondération dans la prise en compte des revenus des concubins.

Conformément à l'art. 13 de la loi sur les bourses et prêts d'études du 17 décembre 2009 (LBPE - C 1 20), les aides financières n'étaient octroyées que pour l'année et en cours et devaient faire l'objet d'une demande chaque année. Une bourse, fût-elle de reconversion professionnelle, ne correspondait pas à une assurance sociale de perte de gain. La prise en compte des allocations logement, des subsides d'assurance-maladie et du 1/15e de la fortune étaient conformes à la loi. Les suppléments d'intégration ne visaient pas les enfants qui suivaient l'école obligatoire. Les impôts du couple avaient été pris en compte dans le procès-verbal de calcul.

E. a. Par acte posté le 15 janvier 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision précitée, concluant à son annulation et à l'octroi d'une bourse annuelle de reconversion professionnelle de CHF 42'000.‑.

Le SBPE ne pouvait pas invoquer les arrêts rendus par la chambre administrative en 2023. Ceux-ci allaient au-delà d'une simple interprétation du texte légal et complétaient ce dernier. L'art. 18 al. 1 LBPE ne mentionnait pas les concubins, ce qui constituait un silence qualifié. Les arrêts en cause s'abstenaient de toute interprétation historique. De plus, ils portaient sur des cas différents du sien, à savoir pas sur des personnes au bénéfice d'une bourse de reconversion professionnelle demandant le renouvellement de leur bourse.

Le SBPE était au courant depuis sa première demande de l'existence du concubinage. En 2022, il avait modifié des postes pour cette raison mais n'avait pas pris en compte les revenus de son concubin. Il ne pouvait pas modifier sa pratique à son égard et ne pouvait pas changer les modalités de calcul d'une année à l'autre. En 2021, le SBPE avait accepté le principe de sa reconversion professionnelle et ne pouvait, deux années plus tard, « porter un coup fatal » à celle‑ci sans violer le principe de la bonne foi.

S'agissant de la prise en compte des revenus de son concubin, elle renouvelait l'argumentation contenue dans son opposition. Le silence de la LBPE à ce sujet était qualifié.

On ignorait quand la nouvelle règle était entrée en vigueur. Elle ne connaissait pas cette nouvelle règle jurisprudentielle au moment du dépôt de sa demande en 2023, si bien que c'était, conformément à l'art. 33 al. 3 LBPE, l'ancien droit qui devait s'appliquer.

Elle fournissait enfin des pièces relatives à l'enfant de son concubin.

b. Le 12 février 2024, le SBPE a conclu au rejet du recours.

Bien que, selon les directives de la CSIAS, un concubinage soit considéré comme stable dès que les partenaires cohabitaient depuis au moins deux ans, il se montrait plus restrictif et ne prenait en compte le concubinage que lorsque les partenaires avaient un enfant commun. Sa pratique avait été avalisée par plusieurs arrêts de la chambre administrative en 2023, lesquels étaient applicables à la situation de la recourante, dès lors que les différences de situation n'étaient pas pertinentes.

S'agissant de la bonne foi, le SBPE n'avait donné aucun renseignement objectivement incorrect au sujet de la bourse de reconversion professionnelle. Le montant de la bourse avait diminué en raison d'une meilleure prise en compte de la situation financière du ménage. Conformément à l'art. 13 LBPE, les bourses n'étaient octroyées que pour une année académique, si bien qu'il n'avait pas été question du financement d'une formation d'un bout à l'autre de celle-ci. Les bourses d'études ne correspondaient pas à des indemnités de perte de gain, mais étaient servies uniquement aux conditions de l'art. 19 al. 2 LBPE, soit en cas de découvert entre les frais engendrés par la formation et les revenus à prendre en compte.

La décision attaquée admettait déjà une possible révision du calcul pour tenir compte de l'enfant du concubin de la recourante, si bien que cet aspect devait désormais être traité hors procédure.

c. Le 19 février 2024, le SBPE, prenant en compte les documents envoyés par la recourante sur ce dernier point, a augmenté le montant de sa bourse annuelle à CHF 5'063.-.

d. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 1er mars 2024 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

e. Le 28 février 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions, revenant notamment sur ses griefs liés au principe de la bonne foi.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Il y lieu d’examiner préalablement l’effet de la décision du SBPE du 19 février 2024 sur l’objet du litige.

2.1 L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/499/2021 du 11 mai 2021 consid. 2a). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/499/2021 du 11 mai 2021 consid. 2a).

2.2 En l’espèce, le SBPE n’a pas – contrairement à ce que prévoit l'art. 67 al. 2 LPA – annulé sa première décision, objet de la présente procédure. La seconde décision a octroyé à la recourante un montant légèrement plus élevé que la décision attaquée, mais nettement inférieur à celui auquel elle conclut dans son recours.

La question de la prise en compte du revenu du concubin de la recourante dans le calcul du budget familial reste ainsi soumise à la chambre de céans, de sorte que le litige n’a pas perdu son objet.

Cela étant, le grief relatif à l’absence de prise en compte de l'enfant du concubin de la recourante dans le calcul avait déjà été admis dans la décision attaquée, quand bien même l'intimé n'a pas réformé sa décision mais prévu d'en rendre une autre, ce qu'il a précisément fait en rendant celle du 19 février 2024. Ledit grief ne sera dès lors pas examiné plus avant dans le présent arrêt.

3.             La recourante se plaint de la prise en compte du revenu de son concubin dans le calcul du budget en vue de l’allocation d’une aide.

3.1 Aux termes de l’art. 1 de la loi sur les bourses et prêts d'études du 17 décembre 2009 (LBPE - C 1 20), la loi règle l'octroi d'aides financières aux personnes en formation (al. 1). Le financement de la formation incombe : (a) aux parents et aux tiers qui y sont légalement tenus et (b) aux personnes en formation elles-mêmes (al. 2). Les aides financières sont accordées à titre subsidiaire (al. 3). L'octroi d'aides financières à la formation doit notamment soutenir les personnes en formation en les aidant à faire face à leurs besoins (art. 2 let. e LBPE).

3.2 La loi 12445 du 28 février 2020, entrée en vigueur le 4 juillet 2020, a introduit le droit à des bourses pour reconversion professionnelle. Peut ainsi donner droit à des bourses la reconversion en lien avec les évolutions structurelles du marché de l’emploi ou la conjoncture économique, ou rendue nécessaire pour des raisons de santé, pour autant qu’elle ne soit pas financée par une assurance sociale (art. 11 al. 1 let. e LBPE). Les deux principales spécificités des bourses de ce type sont la limite d'âge (elles ne peuvent en principe pas être allouées à des personnes de moins de 25 ans, art. 17 LBPE) et le montant (qui peut aller jusqu'à CHF 40'000.- par année, art. 22 al. 1 let. b LBPE). Pour le reste, elles ne se distinguent pas des bourses ordinaires allouées aux personnes poursuivant des études tertiaires.

3.3 L’art. 18 LBPE prévoit que si les revenus de la personne en formation, de ses parents (père et mère), de son conjoint ou partenaire enregistré et des autres personnes qui sont tenus légalement au financement de la formation, ainsi que les prestations fournies par des tiers ne suffisent pas à couvrir les frais de formation, le canton finance, sur demande, les besoins reconnus par le biais de bourses ou de prêts (al. 1). Le revenu déterminant est celui résultant de la loi sur le revenu déterminant unifié du 19 mai 2005 (LRDU - J 4 06 ; al. 2).

3.4 Selon l’art. 19 LBPE, les frais reconnus engendrés par la formation et l'entretien de la personne en formation servent de base de calcul pour les aides financières. Le règlement peut prévoir des exceptions, notamment pour la formation professionnelle non universitaire (al. 1). Une aide financière est versée s'il existe un découvert entre les frais reconnus engendrés par la formation et l'entretien de la personne en formation et les revenus qui peuvent être pris en compte selon l'art. 18 al. 1 et 2 LBPE. Le découvert représente la différence négative entre les revenus de la personne en formation et des personnes légalement tenues de financer les frais de formation et les coûts d'entretien et de formation de ces mêmes personnes (al. 2). Le calcul du découvert est établi à partir du budget des parents ou des personnes légalement tenues au financement de la personne en formation. Ce budget tient compte des revenus et des charges minimales pour couvrir les besoins essentiels (al. 3). Pour le calcul du budget de la personne en formation, il est pris en compte le revenu réalisé durant la formation après déduction d'une franchise dont le montant est fixé par le règlement, la pension alimentaire et les rentes versées par les assurances sociales et la fortune déclarée (al. 4).

3.5 Selon l’art. 20 al. 1 LBPE, sont considérés comme frais résultant de l'entretien : (a) un montant de base défini par le règlement ; (b) les frais de logement sur la base des forfaits par nombre de personnes définis dans le règlement ; (c) les primes d'assurance-maladie obligatoire dans les limites des forfaits définis par le règlement ; (d) le supplément d'intégration par personne suivant une formation dans les limites des forfaits définis par le règlement ; (e) les impôts cantonaux tels qu'ils figurent dans les bordereaux établis par l'administration fiscale cantonale et (f) les frais de déplacement et de repas sur la base des forfaits définis dans le règlement. Selon l’art. 20 al. 2, sont considérés comme frais résultant de la formation les forfaits fixés par le règlement.

3.6 Selon l’art. 9 du règlement d'application de la loi sur les bourses et prêts d'études du 2 mai 2012 (RBPE - C 1 20.01), le budget des parents ou des personnes légalement tenues au financement de la personne en formation sert à déterminer la situation financière de la personne en formation (al. 1). Un budget commun est établi pour les parents qui sont mariés ou vivent en ménage commun sans être mariés (al. 2). Si le budget présente un excédent (a) de ressources, il est divisé par le nombre d'enfants et pris en considération dans le calcul du budget de la personne en formation, (b) de charges, il est divisé par le nombre de personnes qui composent la famille et considéré comme une charge dans le calcul du budget de la personne en formation.

3.7 L’art. 10 RBPE prévoit que le budget de la personne en formation prend en considération la situation : (a) des besoins de la personne en formation, (b) des besoins de son conjoint ou de sa conjointe, (c) des besoins des enfants à charge, (d) des besoins des personnes liées par un partenariat enregistré et (e) des besoins d’autres personnes à charge faisant ménage commun (al. 1). Sont intégrés dans le budget de la personne en formation tous les revenus réalisés par la personne pendant son année de formation, ainsi que ceux des personnes définies à l'al. 1 (al. 2).

3.8 Le Tribunal fédéral reconnaît les normes CSIAS relatives à la conception et au calcul de l’aide sociale. Il s’agit de recommandations à l’intention des autorités sociales des cantons, des communes, de la Confédération et des institutions sociales privées, non contraignantes mais contribuant à harmoniser la notion de besoin dans l’aide sociale (ATF 146 I 1 consid. 5.2). Élaborées en collaboration avec les cantons, les communes, les villes et les organismes d’aide sociale privée, approuvées par la Conférence suisse des directeurs cantonaux des affaires sociales (ci-après : CDAS) et régulièrement révisées, les normes CSIAS visent à garantir la sécurité juridique et l’égalité de droit (https://rl.skos.ch/).

3.9 Selon la norme CSIAS D.4.4, dans sa version du 1er janvier 2021, accessible sur le site Internet précité de la CSIAS, dans un concubinage stable, le revenu et la fortune d’une personne non bénéficiaire sont pris en compte de manière appropriée lorsqu’il s’agit de déterminer le droit à l’aide sociale du ou de la partenaire et des enfants communs (al. 1). Un concubinage est considéré comme stable lorsque les partenaires cohabitent depuis au moins deux ans ou lorsqu’ils vivent ensemble depuis moins longtemps et ont un enfant commun. Une telle présomption peut être réfutée (al. 2). Le revenu et la fortune sont pris en compte dans la contribution de concubinage. Ce montant fait partie des ressources financières de la personne bénéficiaire (al. 3).

3.10 Dans une jurisprudence rendue à partir de l'année 2023, la chambre de céans a admis que le revenu des concubins devait être pris en compte dans les calculs permettant de déterminer si un étudiant avait ou non droit à une aide financière pour sa formation.

Dans l’arrêt A/648/2023 du 20 juin 2023 précité, la chambre de céans a estimé que si, certes, la LBPE ne contenait pas de référence à l’aide financière apportée par le concubin de la personne en formation et qu’il n’existait pas d’obligation légale d’entretien entre concubins, il pouvait, dans le domaine de l'octroi d'aides financières à la formation, être tenu compte des ressources du concubin dans l’appréciation de la situation financière de la personne en formation, en particulier de ses besoins financiers. Prenant en compte le revenu déterminant unifié (ci-après : RDU) de la recourante de CHF 3'341.- et celui de son compagnon, de CHF 104'864.-, ainsi que leurs besoins et ceux de leur fille de CHF 74'203.-, elle a estimé que l’excédent de ressources, en tenant compte de l’intégralité du RDU du compagnon, était de CHF 34'002.-, soit un excédent relativement important, permettant de retenir que les besoins financiers de la recourante sont couverts. Même en ne tenant compte que d’une partie du RDU du concubin, à savoir 70% du RDU, soit CHF 73'405.-, et des ressources de la recourante de CHF 3'341.-, les charges de CHF 74'203.- du ménage que celle-ci forme avec son compagnon et sa fille resteraient entièrement couvertes. Dans ces circonstances, l’autorité intimée, en tant qu’elle était parvenue à la conclusion que les besoins financiers de la recourante étaient couverts et avait ainsi refusé ses prestations, n’avait pas fait une application arbitraire de la LBPE ni ne pouvait se voir reprocher d’avoir violé le principe de l’égalité de traitement, étant relevé que la jurisprudence admettait expressément que le fait de tenir compte de manière appropriée des ressources du concubin de la personne en formation ne violait ni l'égalité de traitement ni l'interdiction de l'arbitraire ou encore le droit au minimum vital d'existence, également par rapport aux couples mariés (A/648/2023 précité consid. 2.10).

Dans un arrêt du 9 août 2023, la chambre de céans a estimé que selon le budget établi par l’autorité intimée, le RDU de la recourante était de CHF 7’468.-, celui de son compagnon de CHF 52'578.- et leurs charges et celles de leur fils se montaient à CHF 64’481.-. Le SBPE n’avait, à juste titre, attribué pour l’examen du droit aux prestations de la recourante que la moitié du découvert du couple, de CHF 4'435.-, à celle-ci, à savoir CHF 2'217.-. Dès lors que le RDU de CHF 58'655.- et les charges de CHF 49'375.- de la mère de la recourante lui laissaient un excédent de CHF 9'280.- et que celle‑ci était tenue de contribuer à son entretien (art. 277 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 ; CC - RS 210), l’autorité intimée avait, à bon droit, retenu que le découvert de CHF 2'217.- de la recourante devait être pris en charge par sa mère (ATA/834/2023 du 9 août 2023 consid. 2.10).

Dans un arrêt du 26 septembre 2023, elle a estimé que selon le budget établi par l’autorité intimée, le RDU du recourant était de CHF 66’104.- et celui de sa compagne de CHF 109’133.-. Les besoins des concubins et de leurs enfants s’élevaient à CHF 90’413.-. L’excédent de ressources, en tenant compte de l’intégralité du RDU de la compagne du recourant, était ainsi de CHF 84’824.-. Il en ressortait un excédent important, permettant de retenir que les besoins financiers du recourant étaient couverts. Même en ne tenant pas compte du RDU de sa concubine, les ressources du recourant de CHF 66’104.- seraient suffisantes pour couvrir ses frais et les frais communs (½ loyer CHF 12'720.-, supplément d’intégration CHF 1'200.-, impôt cantonal CHF 4'675.-, frais de déplacement liés à la formation CHF 500.-, frais de repas liés à la formation CHF 1'200.-, frais de formation CHF 3'000.-, frais d’entretien et LAMal CHF 16'116.-, moitié des frais d’entretien et LAMal des enfants CHF 6'504.-), soit CHF 47'915.- (ATA/1054/2023 du 26 septembre 2023 consid. 2.10).

Dans un arrêt du 5 mars 2024, elle a confirmé la jurisprudence précitée et considéré que le partage par moitié du déficit, sans autre pondération, était justifié lorsque l’aide n’était destinée qu’à un des concubins ; cette pratique correspondait en outre à la législation en matière d'aide sociale (ATA/323/2024 du 5 mars 2024 consid. 3.14).

3.11 En l’espèce, il n’est pas contesté que la recourante vit en concubinage stable.

Elle soutient que la jurisprudence précitée ne lui serait pas applicable, car elle ne concernerait pas une bourse pour reconversion professionnelle, ni une demande relative à une formation pour laquelle une bourse a déjà été accordée lors d'années précédentes.

Un tel raisonnement ne saurait être suivi. Les seules différences entre une bourse ordinaire et une bourse pour reconversion professionnelle sont en effet, comme exposé ci-avant, la limite d'âge et le montant, tandis que la question de savoir si les revenus du concubin doivent être intégrés dans le calcul est commune à tous les types de bourses. Ces dernières font de plus l'objet de décisions annuelles, à l'occasion desquelles un nouveau calcul est effectué, si bien qu'il n'y a pas de raison que la jurisprudence de la chambre de céans décrite ci-dessus ne lui soit pas applicable. Quant au fait que la chambre de céans n'ait pas procédé à une interprétation historique de la norme en cause, force est de constater que l'examen des travaux préparatoires ne permet en tout cas pas d'affirmer que l'absence de mention du concubinage aux art. 18 al. 1 ou 19 al. 3 LBPE constituerait un silence qualifié. La recourante ne donne du reste aucune indication qui permettrait de retenir que tel soit le cas. L'art. 18 al. 1 LBPE inclut du reste les personnes ayant conclu un partenariat cantonal (au sens de la loi sur le partenariat du 15 février 2001 - LPart‑GE - E 1 27) ; or, on ne voit pas ce qui pourrait, à l'aune de l'égalité de traitement, justifier un traitement différent entre les concubins et les partenaires au sens de la loi précitée.

La recourante ne rend pas vraisemblable que la pratique du SBPE la concernant serait contraire à la jurisprudence susmentionnée, si bien que la décision attaquée ne peut qu'être confirmée quant à la prise en compte de principe, dans les calculs, du revenu du concubin, étant précisé qu'elle ne conteste plus à ce stade les calculs effectués à l'exception de l'absence de prise en compte de l'enfant de son concubin.

Le grief sera ainsi écarté.

4.             La recourante se plaint d'une violation du principe de la bonne foi.

4.1 Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale (arrêts du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 ; 1C_173/2017 du 31 mars 2017 consid. 2.3 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. 2, 2018, p. 642 n. 3454). Ce principe est l'émanation d'un principe plus général, celui de la confiance, lequel suppose que les rapports juridiques se fondent et s'organisent sur une base de loyauté et sur le respect de la parole donnée. Le principe de la loyauté impose aux organes de l'État ainsi qu'aux particuliers d'agir conformément aux règles de la bonne foi ; cela implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; ATA/555/2022 du 24 mai 2022 consid. 9).

4.2 Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (2) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) qu’il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (5) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée (ATF 146 I 105 consid. 5.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_204/2022 du 21 mars 2023 consid. 5.1).

4.3 Les demandes de bourses ou de prêts doivent être déposées au plus tard 6 mois après le début de l'année scolaire ou académique ; les aides financières (qui sont allouées sous forme de bourses, de prêts ou de remboursements de taxes, art. 5 al. 1 LBPE) ne sont octroyées que pour l'année de formation en cours (art. 13 LBPE). Les bourses sont octroyées pour la durée minimale de la formation ; lorsque cette durée est de deux ans ou plus et que la formation n’est pas encore achevée, les bourses peuvent être versées pendant deux semestres supplémentaires (art. 14 al. 1 LBPE).

4.4 En l'espèce, la recourante a bien déposé sa demande de bourse relative à sa formation à la faculté de psychologie en 2021, en mentionnant l'existence d'un concubinage avec enfant commun dès ce moment. La règle posée à l'art. 14 al. 1 LBPE ne signifie toutefois pas que l'intimé doit allouer une aide financière sous forme de bourse pour toute la durée de la formation acceptée comme telle, mais uniquement que l'examen du caractère admissible de la formation, au sens de l'art. 11 LBPE, n'a plus à être effectué. Il découle de l'art. 13 LBPE que l'aide financière est octroyée année après année, et recalculée en conséquence, pouvant même changer de nature (prêt plutôt que bourse, p. ex.) à cette occasion.

De plus, le service intimé n'a jamais donné d'assurance à la recourante que le montant de sa bourse ne varierait pas au fil des années, ni que le montant de la bourse pour l'année académique 2023-2024 serait au niveau de celui de l'année précédente. Quant à un comportement contradictoire, le principe d'annualité précité, qui se rapproche de celui d'étanchéité des exercices connu en droit fiscal (à cet égard, voir l'ATF 147 II 155 consid. 10.5.1), s'oppose à ce qu'une éventuelle erreur ou omission de l'administration commise lors d'une ou plusieurs années puisse lui être opposée lors de toutes les années subséquentes.

Dans ces conditions, et quelque dur qu'il ait pu être ressenti par la recourante, le changement de mode de calcul par le service intimé ne consacre pas une violation du principe de la bonne foi.

5.             La recourante soutient qu'il conviendrait de lui appliquer « l'ancien droit ».

5.1 Selon un principe général de droit intertemporel, les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci (ATF 146 V 364 consid. 7.1 ; 140 V 41 consid. 6.3.1). Liée aux principes de sécurité et de prévisibilité du droit (art. 5 al. 1 Cst.), l'interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l'égalité de traitement (art. 8 Cst.), ainsi que de l'interdiction de l'arbitraire et de la protection de la bonne foi (9 Cst.). L'interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1), car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause (ATF 144 I 81 consid. 4.2 ; arrêt 2C_339/2021 du 4 mai 2022 consid. 4.1). Il n'y a pas de rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend réglementer un état de chose qui, bien qu'ayant pris naissance dans le passé, se prolonge au moment de l'entrée en vigueur du nouveau droit ; cette rétroactivité (improprement dite) est en principe admise, sous réserve du respect des droits acquis (ATF 148 V 162 consid. 3.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1 ; 144 I 81 consid. 4.1).

5.2 Selon les dispositions de droit transitoires contenues dans la LBPE, les demandes et les recours en suspens sont traités conformément au nouveau droit, sauf si l'ancien droit est plus favorable (art. 33 al. 3 LBPE). Cette dernière disposition vaut aussi pour les normes procédurales, et correspond sur ce point au principe général de droit intertemporel voulant que les nouvelles règles de procédure s'appliquent pleinement dès leur entrée en vigueur aux causes qui sont encore pendantes, pour autant du moins que l'ancien et le nouveau droit s'inscrivent dans la continuité du système de procédure en place et que les modifications procédurales demeurent ponctuelles (ATF 137 II 409 consid. 7.4.5). Par ailleurs, en ce qui concerne le droit matériel, les règles de droit déterminantes en cas de modification du droit sont celles qui étaient en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement et qui a des conséquences juridiques (ATF 149 II 320 consid. 3; 148 V 174 consid. 4.1 et les références).

5.3 Un changement de jurisprudence ne se justifie, en principe, que lorsque la nouvelle solution procède d'une meilleure compréhension de la ratio legis, repose sur des circonstances de fait modifiées ou répond à l'évolution des conceptions juridiques; sinon, la pratique en cours doit être maintenue. Un changement doit par conséquent reposer sur des motifs sérieux et objectifs qui, dans l'intérêt de la sécurité du droit, doivent être d'autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne (ATF 142 V 112 consid. 4.4 et les arrêts cités). Le droit à la protection de la bonne foi doit néanmoins être pris en considération. Le Tribunal fédéral a par exemple jugé que la modification d'une jurisprudence relative aux conditions de recevabilité d'un recours, notamment à la computation des délais de recours, ne doit pas intervenir sans avertissement, si elle provoque la péremption d'un droit (ATF 140 IV 74 consid. 4.2 ; 122 I 57 consid. 3d). 

5.4 En l'espèce, on ne se trouve pas dans un cas d'application de l'art. 33 al. 3 LBPE, qui ne concerne que l'entrée en vigueur de la LBPE elle-même en 2013. La question ne concerne pas davantage le droit intertemporel en matière de droit matériel, dès lors qu'il ne s'agit pas de l'entrée en vigueur d'une norme légale ou réglementaire mais de l'interprétation du texte légal par voie jurisprudentielle.

Enfin, la prise en compte du concubin dans les revenus du groupe familial à prendre en considération ne procède pas d'un changement de jurisprudence, dès lors que la chambre de céans n'avait pas de pratique contraire ou divergente avant 2023, mais qu'elle a traité la question pour la première fois dans l'ATA/648/2023. Quoi qu'il en soit, au moment où la demande de la recourante pour l'année 2023-2024 a été déposée, soit le 28 août 2023, deux arrêts avaient été rendus dans le même sens, et le premier à tout le moins était déjà publié, de sorte que les administrés pouvaient prévoir que cette nouvelle pratique du SBPE pouvait leur être applicable, sans compter le fait que, comme déjà exposé, la recourante n'avait pas droit à une bourse d'un montant déterminé pendant toute la durée de sa formation.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

6.             Vu la nature du litige, il n’est pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA ; art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 ; RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 janvier 2024 par A______ contre la décision sur opposition du service des bourses et prêts d'études du 6 décembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au service des bourses et prêts d'études.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :