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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/231/2021

ATA/425/2021 du 20.04.2021 ( DELIB ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/231/2021-DELIB ATA/425/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 avril 2021

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Pierre-Yves Bosshard, avocat

contre

FONDATION DE LA VILLE DE GENÈVE POUR LE LOGEMENT SOCIAL
représentée par Me Nicolas Wisard, avocat



EN FAIT

1) La Fondation de la ville de Genève pour le logement social (ci-après : FVGLS), fondation d'utilité publique créée en 1955, a pour mission principale de développer le parc de logements économiques à caractère social à Genève.

2) À ce titre, elle fait partie de l'équipe « Ensemble », société simple à qui l'État de Genève a confié la réalisation du quartier dit « quai des Vernets » (ci-après : projet des Vernets). La FVGLS y réalisera plusieurs allées de logement en HBM, soit les îlots A et B, ce qui représente un investissement de CHF 99 millions.

L'effet suspensif ayant été accordé par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) aux recours formés contre des autorisations de construire concernant, notamment, l'un des îlots précités, le projet de construction est actuellement arrêté dans l'attente du jugement à venir.

3) À la suite des élections municipales de 2020, le conseil de fondation a été renouvelé et Monsieur A______ a été nommé par le Conseil municipal (ci-après : CM), sur proposition d'un groupe politique.

4) Lors de la séance inaugurale du nouveau conseil de fondation, qui s'est tenue le 4 novembre 2020, M. A______ a été élu à la commission des travaux de la FVGLS.

5) Depuis 2017, les membres du conseil de fondation sont invités à signer une déclaration portant sur les devoirs généraux inhérents à leur statut, dont le ch. 3 a la teneur est la suivante :

« 3. Loyauté : Les membres du Conseil sont tenus au respect des intérêts de la FVGLS et doivent s'abstenir de tout ce qui pourrait lui porter préjudice. Tout conflit d'intérêt, pour quelque raison que ce soit, doit être annoncé au Conseil ou au Bureau dès qu'il est identifié. Dans un tel cas, et s'il n'est pas possible d'y remédier, le/la membre fera en sorte de ne pas prendre position sur le point traité. »

6) Lors de la séance inaugurale, M. A______ a refusé de signer cette déclaration. Il entendait pouvoir publiquement prendre la parole contre le projet dit des Vernets.

7) Faisant suite à l'invite de la présidente de la fondation à préciser par écrit son positionnement, M. A______ a exposé, dans un courrier du 6 novembre 2020, qu'il avait été proposé par un groupe politique, dont l'opposition au projet précité était connue. En outre, le CM avait accepté la pétition intitulée « Caserne des Vernets : pour un projet à taille humaine ! », de sorte que sa position critique n'était pas contraire à l'art. 2 al. 2 des statuts de la fondation, selon lequel celle-ci devait respecter dans la mesure du possible les objectifs poursuivis par le CM et le Conseil administratif (ci-après : CA). Son positionnement critique ne justifiait pas de l'exclure des instances de la fondation. Il conservait le droit de prendre part aux décisions de celle-ci relatives au projet des Vernets. Il s'engageait toutefois à ne pas participer aux séances et décisions relatives à ce projet, à recevoir les documents (PV etc.) « dont les informations appropriées auraient été enlevées », à maintenir une stricte confidentialité sur les informations dont il aurait malgré cela connaissance et à ne jamais faire état publiquement de son appartenance à la fondation. Il était ainsi d'accord de signer la déclaration susmentionnée, mais en la complétant en ce qu'il resterait libre d'agir, à l'extérieur de la fondation, à l'encontre du projet des Vernets « dans le respect du but de la fondation, à savoir la construction de logements pour des personnes à revenus modestes ».

8) Se fondant sur un avis de droit qu'elle avait sollicité retenant que l'obligation de fidélité des membres du conseil de fondation était indivisible et n'était pas compatible avec la contestation publique et le recours, directement ou indirectement, contre une autorisation de construire délivrée au bénéfice de la fondation, le bureau de celle-ci a proposé la suspension de M. A______ et d'informer le CM en vue de son remplacement.

9) Lors de sa séance du 2 décembre 2020, le conseil de fondation a décidé, à l'issue d'un débat nourri auquel M. A______ a participé, de le suspendre et d'écrire au CM pour l'informer de la suspension et l'inviter à donner au dossier « la suite qu'il convient ».

10) Par courrier du 7 décembre 2020, signé par la présidente et le vice-président de la fondation, M. A______ a été informé que le conseil de fondation avait pris, le 2 décembre 2020, la décision de le suspendre de ses fonctions de membre du conseil pour justes motifs et d'en informer le CM afin que ce dernier puisse décider de le suspendre, révoquer ou remplacer.

Un courrier dans ce sens a également été adressé au CM et au CA.

11) Par courrier du 15 décembre 2020 adressé au bureau du conseil, M. A______ a indiqué qu'il contestait la décision du 7 décembre 2020. Il a demandé à recevoir le procès-verbal de la séance du 2 décembre 2020 ainsi que toute convocation aux prochaines séances du conseil de fondation. Il a annexé la déclaration d'engagement, signée sans réserve.

12) Par acte déposé le 22 janvier 2021 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a formé recours contre la décision précitée. Il a conclu au constat de la nullité de celle-ci, subsidiairement à son annulation. Préalablement, il a demandé qu'il soit ordonné au conseil de fondation de le convoquer à toute future séance de celui-ci et à lui donner accès à tous les procès-verbaux des séances dudit conseil.

Selon les statuts de la fondation, les membres du conseil pouvaient être suspendus ou révoqués de leurs fonctions internes pour justes motifs. La suspension ou révocation en tant que membre du conseil ne pouvait cependant être prononcée que par l'autorité d'élection, soit in casu le CM. Ayant été rendue par un organe qui n'en avait pas la compétence, la décision querellée était nulle. Subsidiairement, aucun motif ne justifiait sa suspension. Dès lors que le CM avait renvoyé au CA la pétition précitée, le recourant qui avait été entendu comme représentant des pétitionnaires par la commission du CM, n'agissait pas en contradiction avec les intérêts de la fondation, qui devait, dans la mesure du possible, respecter les objectifs poursuivis par le CM et le CA en matière d'aménagement et de construction de logements.

13) Se déterminant sur les mesures provisionnelles sollicitées, la FGVLS a exposé que le recours était intervenu avant qu'elle puisse répondre au courrier de M. A______ du 15 décembre 2020. Celui-ci s'était encore publiquement exprimé, le 19 janvier 2021, sur la chaîne de télévision locale, contre le projet des Vernets, en déclarant qu'il était « catastrophé » et que « c'était un peu une déclaration de guerre ».

Le point central de la décision du 2 décembre 2020 avait été d'interpeler le CM pour l'inviter à désigner un autre membre du groupe politique auquel appartenait M. A______, conformément aux statuts. Dans l'attente d'une telle désignation, le conseil de fondation devait être en état de poursuivre ses travaux, raison pour laquelle il avait pris la décision attaquée. Celle-ci avait manifestement été mal comprise.

Afin de clarifier la situation, la FGVLS avait engagé des démarches en vue de rendre une nouvelle décision destinée à se substituer à la première. Le projet de décision explicitait que la suspension ne portait que sur les fonctions internes au conseil de fondation et que l'interdiction de participer aux séances de la commission des travaux était prise « à titre conservatoire », dans l'attente de la décision du CM. Le projet de décision serait discuté le 3 mars 2021 ; aucune séance n'aurait lieu avant cette date.

En attendant, la FGVLS prenait des conclusions tendant au prononcé de mesures provisionnelles visant à faire interdiction à M. A______ tant qu'il était membre du conseil de fondation de faire usage, dans un cadre privé ou public, de toute information au sujet du projet des Vernets qu'il avait obtenue ou obtiendrait dans le cadre de ses fonctions de membre du conseil de fondation et de mener toute activité destinée à combattre la réalisation dudit projet, ces interdictions devant être assorties de la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP.

La FGVLS a conclu au rejet des mesures provisionnelles requises par M. A______, à ce qu'un délai suffisant lui soit imparti pour produire sa nouvelle décision, qu'un délai soit ensuite fixé à M. A______ pour faire savoir s'il maintenait son recours et que la suite de la procédure soit réservée.

14) M. A______ s'est opposé aux mesures provisionnelles requises par la FGVLS. Il a maintenu ses arguments et relevé que l'avis de droit sur lequel s'était fondé le conseil de fondation émanait de l'avocat du groupe agissant comme entrepreneur total du programme de construction du projet des Vernets. Ses liens d'intérêts et son engagement citoyen pour le logement social de qualité étaient connus de longue date. C'était en cette qualité que le CM l'avait désigné comme membre du conseil de fondation. Enfin, la volonté dudit conseil de le museler violait ses droits politiques.

15) Par décision du 3 mars 2021, la chambre administrative a rejeté la requête de mesures provisionnelles formée par M. A______.

Si la décision du 7 décembre 2020 devait, comme l'expliquait l'intimée, être considérée comme une décision prise à titre provisoire dans l'attente de la décision de révocation du CM, il n'apparaissait pas que le recourant rendait vraisemblable l'existence d'un préjudice irréparable. Par ailleurs, les mesures provisionnelles sollicitées, qui visaient à ce qu'il soit pleinement réintégré dans ses fonctions de membre du conseil de fondation, se confondaient avec ses conclusions au fond. Enfin, l'intimée ayant annoncé qu'elle allait rendre une nouvelle décision annulant celle querellée, la condition de l'urgence à prononcer des mesures provisionnelles faisait défaut.

16) Le 3 mars 2021, le conseil de fondation a rendu une nouvelle décision annulant celle du 7 décembre 2020. M. A______ était révoqué de sa fonction de membre de la commission des travaux, suspendu « à titre conservatoire » de sa participation aux séances du conseil de fondation traitant du projet des Vernets et de ses accès aux informations relatives à ce porjet jusqu'à ce que la décision du CM quant à la suite à donner à la demande de révocation de M. A______ soit entrée en force, a rappelé à M. A______ son devoir de fidélité envers la fondation, lui a fait interdiction « de s'exprimer publiquement pour s'opposer au projet des Vernets » et l'a sommé de cesser toute contestation de ce projet tant qu'il restait formellement membre du conseil de fondation. Il était également décidé de communiquer la décision au CM en soulignant la nécessité d'une décision rapide relative à la révocation de M. A______.

17) Répondant au recours le 8 mars 2021, la FVGLS a conclu à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle révoquait sa décision du 7 décembre 2020, à ce qu'un délai soit imparti à M. A______ pour faire savoir s'il maintenait son recours et à ce que le recours soit rejeté. Elle a, pour le surplus, maintenu ses conclusions sur mesures provisionnelles.

Le recourant persistait à penser que ses démarches et actions publiques dirigées contre le projet des Vernets étaient compatibles avec son devoir de fidélité découlant de son statut de membre du conseil de fondation. La décision du 3 mars 2021 réglait les aspects internes liés à la participation de M. A______ aux travaux du conseil de fondation. Elle n'était pas à même d'empêcher le recourant de se prononcer publiquement contre le projet précité. Il convenait que cette interdiction soit prononcée par une autorité judiciaire dans l'attente de l'arrêt au fond, le conseil de fondation n'étant pas habilité à le faire. Si M. A______ continuait à proclamer publiquement son opposition audit projet, le FVGLS risquait d'engager sa responsabilité contractuelle à l'égard des autres membres du consortium Ensemble.

18) Dans ses déterminations du 30 mars 2021, M. A______ a pris acte de ce que le conseil de fondation n'entendait plus le révoquer. Les mesures conservatoires prononcées à son encontre dans la nouvelle décision ne relevaient pas de la compétence du conseil de fondation. Il ne contestait pas le projet des Vernets, mais exposait ses doutes de professionnel au sujet de la qualité architecturale de l'ensemble. Par ailleurs, la déclaration d'engagement visait les décisions prises par les membres en fonction au moment où celles-ci étaient prises ; il n'avait participé à aucune décision se rapportant audit projet.

Conformément à l'engagement qu'il avait signé, il n'entendait pas faire usage, dans un cadre privé ou public, d'informations au sujet du projet des Vernets obtenues ou qu'il obtiendrait en sa qualité de membre du conseil de fondation. La première partie des mesures provisionnelles était donc sans objet.

Le risque de responsabilité contractuelle brandi par la fondation était nul. Une interdiction générale de s'exprimer serait disproportionnée et contraire à ses droits fondamentaux et politiques.

Pour le surplus, il persistait dans ses conclusions, considérant qu'il n'avait pas violé son devoir de fidélité envers la fondation.

19) Par courrier du 30 mars 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur les mesures provisionnelles requises par l'intimée et sur le fond.

EN DROIT

1) a. Selon l'art. 132 al. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e, et 57 de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Sont réservées les exceptions prévues par la loi.

b. En vertu de l'art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions au sens de l'art. 1 LPA, les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet : de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a) ; de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b) ; de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c).

c. La FVGLS, instituée par la loi 9358 du 18 mars 2005, est une fondation d'utilité publique au sens de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05 ; art. 30 let. t et art. 93 LAC). S'agissant d'une fondation de droit public (ATA/1372/2018 du 18 décembre 2018 consid. 6a ; art. 4 al. 1 let. c de la loi sur l'organisation des institutions de droit public du 22 septembre 2017 - LOIDP - A 2 24), dont le statut est régi par le droit communal dont elle relève  (art. 59 al. 1 CC), elle doit être considérée comme une autorité administrative au sens de l'art. 5 let. e de la loi sur la procédure administrative du  12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

d. En l'espèce, l'acte attaqué affecte les droits du recourant en sa qualité de membre du conseil de fondation de la FVGLS ; il s'agit donc d'une décision au sens de l'art. 4 LPA. Ladite décision ayant été rendue par une autorité administrative au sens de l'art. 5 LPA, la voie du recours devant la chambre administrative est ouverte. Pour le surplus, le recours a été formé dans le délai légal (art. 62 al. 1 let. a LPA).

Le recours est donc recevable.

2) Dans la mesure où l'intimée a, dans le délai de réponse, annulé la décision querellée et rendu une nouvelle décision (art. 67 al. 2 LPA), il convient d'examiner si le recours conserve un objet (art. 67 al. 3 LPA).

La décision du 3 mars 2021 a annulé la suspension du recourant de sa qualité de membre du conseil de fondation décidée le 7 décembre 2020, le recours est donc devenu sans objet à cet égard. La seconde décision révoque cependant le recourant en tant que membre de la commission des travaux, le suspend de sa participation aux séances du conseil de fondation et de son accès aux informations relatives au projet des Vernets jusqu'à ce que le CM se soit définitivement prononcé sur la demande de révocation formée par le conseil de fondation, lui fait interdiction de s'exprimer publiquement pour s'opposer au projet des Vernets et le somme de cesser toute contestation de ce projet tant qu'il est membre du conseil de fondation.

Ces points, bien qu'ils aillent moins loin que la suspension en tant que membre du conseil de fondation prononcée initialement, restreignent le droit de participation du recourant aux travaux du conseil de fondation et lui imposent des interdictions et obligations. La nouvelle décision, bien qu'annulant celle du 7 décembre 2020, ce dont il sera pris acte, n'a donc pas rendu sans objet le recours. Celui-ci portera ainsi sur la nouvelle décision, qui constitue ainsi les conclusions de l'intimée et dont le recourant a également contesté le bien-fondé.

3) Se pose en premier lieu la question de savoir si le conseil de fondation disposait du pouvoir de rendre la décision du 3 mars 2021.

a. Selon l'art. 9 des statuts de la FVGLS du 1er novembre 2019 (PA 552.01 ; ci-après : statuts), la présidente, le vice-président ainsi que les membres des commissions peuvent être suspendus et révoqués en tout temps de leurs fonctions internes, pour justes motifs, par le conseil de fondation. Sont notamment considérés comme de justes motifs les faits suivants : pendant la durée de ses fonctions, un membre du conseil de fondation s'est rendu coupable d'un acte allant à l'encontre des intérêts de la FVGLS, a mis en péril le fonctionnement du conseil ou de la FVGLS, ne participe pas régulièrement aux séances auxquels il ou elle est valablement convoquée ou a manqué à ses devoirs (al. 1). En cas d'absence prolongée, d'empêchement durable ou de démission du parti qui l'a proposé ou si un membre du conseil s'est rendu coupable d'un acte grave allant à l'encontre des intérêts de la FVGLS, en mettant en péril la poursuite des activités de la FVGLS, le conseil de fondation peut solliciter sa suspension, sa révocation et son remplacement auprès de l'autorité (CM ou CA) qui l'a nommé en transmettant un rapport écrit sur les agissements (al. 2).

Aux termes de l'art. 12 des statuts, le conseil de fondation est l'organe suprême de la FVGLS. Il est investi des pouvoirs les plus étendus pour la gestion, le contrôle et la conduite stratégique de la FVGLS (al. 1). Il est chargé, notamment, de suspendre ou révoquer des membres du conseil et des commissions selon l'art. 9 (al. 2 let. l).

b. Dès lors que l'art. 9 al. 1 et 2 des statuts autorise expressément le conseil de fondation à suspendre ou révoquer de ses fonctions internes un membre de celui-ci et demander à l'autorité de nomination dudit membre sa suspension, révocation et son remplacement, le conseil de fondation était compétent pour révoquer le recourant de sa fonction de membre de la commission des travaux et le suspendre, en ce qui concerne le projet des Vernets, de sa participation aux séances du conseil de fondation et de l'accès aux informations relatives audit projet. Ces activités ont, en effet, trait aux fonctions internes du conseil de fondation. Par ailleurs, le conseil de fondation pouvait demander au CM la révocation du recourant de sa fonction de membre dudit conseil.

Le rappel du devoir de fidélité du recourant n'emportant aucune obligation ou modification des droits de ce dernier et n'étant, au demeurant, pas exécutable, il n'y a pas lieu d'examiner s'il entrait dans les compétences du conseil de fondation.

En revanche, en tant que la décision du 3 mars 2021 fait interdiction au recourant de s'opposer publiquement au projet des Vernets et le somme de cesser toute contestation du projet tant qu'il est membre du conseil de fondation, elle ne ressortit pas aux fonctions internes dudit conseil. Ce dernier a justifié ces interdictions et injonctions au regard de la nécessité de pouvoir sereinement continuer à gérer le projet litigieux dans l'attente de la décision de révocation à prendre par le CM. Il n'en demeure pas moins que le conseil de fondation n'avait pas la compétence de se prononcer à cet égard, comme il semble d'ailleurs le reconnaître dans sa requête de mesures provisionnelles. Le fait qu'il estime qu'il y avait urgence à les prononcer, dans l'intérêt de la fondation, n'est pas de nature à créer une compétence dont il ne disposait pas. Sur ces deux points, le conseil de fondation a donc outrepassé ses compétences, de sorte que le recours est fondé à cet égard.

Il convient encore d'examiner si les limitations précitées des fonctions internes, que le conseil de fondation avait la compétence de prononcer, étaient admissibles.

4) a. La suspension ou révocation des fonctions internes d'un membre du conseil de fondation, peut intervenir pour justes motifs. Sont notamment considérés des justes motifs le fait de se rendre coupable d'un acte allant à l'encontre des intérêts de la FVGLS, de mettre en péril le fonctionnement du conseil ou de la FVGLS, de ne pas participer régulièrement aux séances auxquels il ou elle est valablement convoquée ou de manquer à ses devoirs (art. 9 al. 1 des statuts).

La fondation est régie par les statuts, les art. 88 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) étant applicables par analogie en cas de silence des statuts (art. 1 des statuts). Ni ce dernier ni les statuts ne définissent les « justes motifs » de révocation des fonctions internes ; les statuts se limitent à donner des exemples de cette notion juridique indéterminée. Ceux-ci expriment le soutien aux intérêts de la fondation qui est attendu des membres de son conseil et leur engagement en faveur d'un bon fonctionnement de celui-ci.

b. L'interprétation des dispositions statutaires d'une institution de droit public se fait selon les règles applicables à l'interprétation des lois (ATF 133 V 314 consid. 4.1 ; 128 V 116 consid. 3b ; 116 V 218 consid. 2 ; ATA/209/2000 du 4 avril 2000 consid. 5).

Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s'interprète en premier lieu d'après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d'autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 138 II 557 consid. 7.1 ; 138 II 105 consid. 5.2 ; 132 V 321 consid. 6). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d'interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 138 II 217 consid. 4.1 ; 133 III 175 consid. 3.3.1 ; 125 II 206 consid. 4a). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 241 consid. 7a et les arrêts cités), ou plus généralement au droit supérieur.

c. Le juge est, en principe, lié par un texte légal clair et sans équivoque. Ce principe n'est cependant pas absolu. En effet, il est possible que la lettre d'une norme ne corresponde pas à son sens véritable. Ainsi, l'autorité qui applique le droit ne peut s'en écarter que s'il existe des motifs sérieux de penser que le texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée. De tels motifs peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa relation avec d'autres dispositions
(ATF 138 II 557 consid. 7.1 ; 138 V 445 consid. 5.1 ; 131 I 394 consid. 3.2). En dehors du cadre ainsi défini, des considérations fondées sur le droit désirable ne permettent pas de s'écarter du texte clair de la loi, surtout si elle est récente (ATF 118 II 333 consid. 3e ; 117 II 523 consid. 1c).

d. La chambre de céans revoit librement l'interprétation des notions juridiques indéterminées. Si ces notions font appel à des connaissances spécifiques que l'autorité administrative est mieux à même d'apprécier qu'un tribunal, elle s'impose toutefois une certaine retenue. Lorsqu'il résulte de l'interprétation de la loi que le législateur a voulu, par l'utilisation de notions juridiques indéterminées, conférer à l'autorité de décision une marge de manoeuvre, elle limite de même son contrôle à l'excès ou à l'abus de ce pouvoir d'appréciation (ATA/126/2013 du 26 février 2013 consid. 6c ; ATA/513/2009 du 13 octobre 2009 consid. 9 ; voir aussi ATF 132 II 257 consid. 3.2 ; 131 II 13 consid. 3.4).

e. En droit cantonal, l'art. 19 de la loi sur l'organisation des institutions de droit public du 22 septembre 2017 (LOIDP - A 2 24) prévoit que les membres des conseils sont tenus en toutes circonstances au respect de l'intérêt de l'institution concernée ; ils doivent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice, tant dans l'activité qu'ils déploient au sein de l'institution concernée que par leur comportement général (al. 1). Ils se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence, en vue du bon accomplissement des tâches et missions de l'institution (al. 2). Ils doivent éviter tout conflit d'intérêts dans cette activité (al. 3). Ainsi, les membres du conseil, quel que soit leur mode de nomination, ne doivent être, ni directement ni indirectement, fournisseurs de l'institution ou chargés de travaux pour le compte de celle-ci (al. 4).

f. Dans un arrêt du 29 octobre 2013, la chambre de céans a considéré que le fait de changer de parti politique en cours de législature ne constituait pas un juste motif de révocation d'une membre d'une fondation au sens des statuts concernés. Le but qui se dégageait de l'article statutaire visait à garantir que les membres dudit conseil remplissent correctement leurs tâches. Aucun autre motif tenant à la capacité à exercer correctement son mandat n'ayant été invoqué, la délibération querellée était infondée et a été annulée par la chambre de céans (ATA/714/2013).

Dans un autre arrêt concernant un établissement de droit public cantonal, la chambre de céans a retenu qu'accuser un établissement de droit public d'irrégularités ou de malversations pour étayer ses interventions politiques et convaincre son auditoire, alors que l'on désapprouve une décision prise en toute légalité par un organe collégial d'administration auquel l'on appartient, peut justifier à lui seul une révocation tant il contrevient gravement aux devoirs de réserve et de fidélité qu'un administrateur doit à l'institution qu'il représente (ATA/20/2010 consid. 11).

Enfin, dans un arrêt récent, la chambre de céans a retenu que le fait d'avoir menacé d'écrire aux locataires d'une fondation destinée au logement social dans le but de les pousser à demander une baisse de leur loyer si l'attribution d'un logement à une famille de migrants était confirmée et d'avoir diffusé un communiqué de presse, au nom de son parti politique, dont le contenu était de nature à nuire à l'image de la fondation, était « à l'évidence » contraire aux statuts et aux obligations des membres du conseil de fondation de veiller aux intérêts de ladite fondation. L'intéressé avait fait primer son intérêt personnel et politique sur ses obligations de membre du conseil de fondation, au détriment de cette dernière. Ce faisant, il avait gravement violé ses obligations à l'égard de l'entité publique qu'il devait servir, ce qui constituait un juste motif de révocation (ATA/433/2019 du 16 avril 2019 consid. 9b).

5) En l'espèce, le conseil de fondation reproche au recourant de s'opposer publiquement à la réalisation du projet des Vernets, dans lequel elle s'est engagée. Le recourant était membre d'une association (« Les habitants des Acacias »), qui avait recouru contre les autorisations de construire délivrées dans le cadre du projet des Vernets, notamment celles relatives aux îlots A et B, et avait indiqué au conseil de fondation qu'il ne cesserait pas d'exprimer sa position critique sur le projet. En outre, interviewé par la chaîne de télévision locale le 19 janvier 2021, le recourant avait déclaré, en lien avec l'abattage d'arbres sur le lieu des travaux relatifs au projet précité, qu'« on est assez catastrophé », ce d'autant plus que le conseiller d'État en charge du département du territoire avait ouvert la discussion publique et qu'un débat contradictoire devait avoir lieu. C'était « un peu une déclaration de guerre » d'abattre des arbres au moment où « on veut ouvrir le débat ».

Il n'est pas contesté que le conseil de fondation a valablement pris la décision de s'engager dans le projet de Vernets. Le fait que cette décision a été prise avant l'arrivée du recourant en son sein ne modifie pas les obligations que lui imposent sa qualité de membre de celui-ci. En sa qualité de membre du conseil de fondation, le recourant est tenu à des obligations particulières, comme cela a été exposé ci-dessus. Il ne le conteste d'ailleurs pas, considérant qu'il n'a pas violé son devoir de fidélité et de diligence envers la fondation.

Or, en restant membre d'une association qui agit judiciairement à l'encontre du projet de construction dans lequel la fondation s'est valablement s'engagée et en prenant publiquement position contre celui-ci, le recourant a fait primer ses convictions personnelles et politiques sur ses obligations de membre du conseil de fondation, au détriment de cette dernière. En effet, l'intérêt de celle-ci à la réalisation du projet qu'elle soutient en vue de la réalisation de logements économiques à caractère social est très important. Les agissements du recourant qui prend publiquement position contre celui-ci et demeure membre d'une des associations qui a recouru contre les autorisations de construire, concernant notamment les îlots A et B, se heurtent de manière importante à son obligation de loyauté envers la fondation.

Le recourant a d'ailleurs conscience de ce que son positionnement public et actif contre le projet des Vernets n'est pas compatible avec son mandat de membre du conseil d'administration, dès lors qu'il s'est engagé, dans son courrier du 6 novembre 2020 au conseil de fondation, à ne pas participer aux séances du conseil de fondation et décisions relatives audit projet et à accepter de recevoir des documents expurgés d'informations s'y rapportant. Il n'a d'ailleurs pas contesté ce point de la décision du 3 mars 2021.

Contrairement à ce qu'il soutient, il n'est pas envisageable de remplir ses obligations de loyauté et de fidélité découlant de sa qualité de membre du conseil de fondation, tout en critiquant publiquement le projet qui, selon celle-ci, est au demeurant son plus important projet. Dans le courrier précité, le recourant a clairement indiqué qu'il n'envisageait pas d'interrompre ses prises de position critiques, « que ce soit en public ou devant un Tribunal », et qu'il voulait « agir librement, à l'extérieur de la fondation vis-à-vis du projet [...] des Vernets, dans le respect du but de la fondation ».

La critique publique du recourant à l'égard du plus important projet de réalisation de logements de la fondation constitue ainsi un juste motif allant à l'encontre des intérêts de celle-ci, au sens de l'art. 9 al. 1 des statuts. Le conseil de fondation pouvait donc prendre la mesure de suspension de ses fonctions internes, à savoir la révocation de l'intéressé de sa fonction de membre de la commission des travaux et la suspension de sa participation aux séances du conseil de fondation et son accès aux informations en tant que ceux-ci concernent le projet des Vernets.

En conclusion, il sera pris acte de ce que la décision du conseil de fondation du 7 décembre 2021 a été annulée et remplacée par celle du 3 mars 2021. Le recours sera partiellement admis en ce que la décision du 3 mars 2021 interdit au recourant « de s'exprimer publiquement pour s'opposer au projet des Vernets » et le somme de cesser toute contestation du projet tant qu'il est membre du conseil de fondation. Ces interdictions et sommations seront donc annulées. La révocation du recourant de la commission des travaux est valable. Il en est de même de la suspension de sa participation aux séances du conseil de fondation et de son accès aux informations en tant que celles-ci concernent le projet des Vernets, points que le recourant avait, au demeurant, lui-même proposés dans son courrier du 6 novembre 2020.

6) Compte tenu du présent arrêt, il n'y a pas lieu de se prononcer sur les mesures provisionnelles requises par l'intimée.

7) Vu l'issue du litige, un émolument, réduit, de CHF 200.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 a1. l LPA), qui se verra allouer une indemnité de procédure, réduite, de CHF 300.- (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 janvier 2021 par Monsieur A______ contre la décision de la fondation de la ville de Genève pour le logement social du 7 décembre 2020 ;

au fond :

prend acte que la décision du 7 décembre 2020 a été annulée et remplacée par celle du 3 mars 2021 ;

admet partiellement le recours ;

annule la décision du 3 mars 2021 en tant qu'elle interdit à Monsieur A______ de s'exprimer publiquement pour s'opposer au projet des Vernets et le somme de cesser toute contestation de ce projet tant qu'il est membre du conseil de fondation ;

met un émolument de CHF 200.- à la charge de Monsieur A______ ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 300.-, à la charge de la fondation de la ville de Genève pour le logement social ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre-Yves Bosshard, avocat du recourant, ainsi qu'à Me Nicolas Wisard, avocat de l'intimée.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme Lauber, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :