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Décisions | Chambre civile

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C/13352/2015

ACJC/1258/2024 du 08.10.2024 sur JTPI/12483/2022 ( OO ) , MODIFIE

Recours TF déposé le 20.11.2024, 4A_620/2024
Recours TF déposé le 21.11.2024, 4A_622/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13352/2015 ACJC/1258/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 8 OCTOBRE 2024

Entre

1) Madame A______ (ex-A______), domiciliée ______, France, appelante d'un jugement rendu par la 7ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 1er octobre 2022 et intimée, représentée par Me Vincent SPIRA, avocat, Spira + Associés, rue De-Candolle 28, 1205 Genève,

et

2) Monsieur B______, domicilié ______ [GE], appelant et intimé, représenté par Me Michel BERGMANN, avocat, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4,

et

3) Madame C______, domiciliée ______ France,

Madame D______, domiciliée ______ [GE],

Monsieur E______, domicilié ______ [GE],

tous trois appelants et intimés, représentés par Me Stéphanie NEUHAUS-DESCUVES, avocate, avenue de la Gare 2, case postale 217, 1701 Fribourg,

et

4) F______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Philippe DUCOR, avocat, Ducor-Law Health & Technology, rue de Berne 10, 1201 Genève.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/12483/2022 du 1er octobre 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a écarté la note non datée rédigée par G______ et les rapports établis par H______ les 10 juin 2021 et 20 janvier 2022 (chiffre 1 du dispositif), condamné I______ et B______, conjointement et solidairement, à verser à A______ les montants de 370'423 fr. 85 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2015 et de 212'857 fr. 65 (ch. 2), arrêté les frais de la procédure à 78'628 fr. (ch. 3), les a compensés avec l'avance de frais effectuée par B______ à hauteur de 1'800 fr. (ch. 4), les a mis à la charge de A______ à hauteur de 39'314 fr. et à la charge de I______ et B______ à hauteur de 39'314 fr. (ch. 5), condamné A______ à verser à l'Etat de Genève, soit aux Services financiers du Pouvoir judiciaire, le montant de 39'314 fr. dès qu'elle serait en mesure de le faire (ch. 6), condamné I______ et B______ à verser à l'Etat de Genève, soit aux Services financiers du Pouvoir judiciaire, le montant de 39'314 fr., sous déduction du montant de 1'800 fr. déjà versé par B______ (ch. 7), condamné A______ à verser à F______ SA le montant de 30'000 fr. à titre de dépens (ch. 8) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 9).

B. a. Par acte expédié le 28 novembre 2022 à la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ a formé appel contre ce jugement, reçu le 27 octobre 2022, sollicitant, sous suite de frais de première et seconde instances, l'annulation des chiffres 2, 5 et 6 de son dispositif. Elle a conclu, cela fait, à ce que I______ et B______ soient condamnés, conjointement et solidairement, à lui verser la "somme minimale" de 935'341 fr. 24 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2015, à titre de "perte de gain en tant que dommage passé et actuel réévalué au 1er janvier 2023", ainsi que la "somme minimale" de 635'948 fr. 95, à titre de "perte de gain en tant que dommage futur réévalué au 1er janvier 2023".

Elle a produit deux pièces nouvelles.

Par actes expédiés à la Cour le 28 novembre 2022, I______ et B______ ont chacun également formé appel de ce jugement, reçu le 27 octobre 2022, concluant, sous suite de frais, à son annulation et au déboutement de A______ de toutes ses conclusions. B______ a par ailleurs conclu, à titre subsidiaire, à ce que soit ordonnée une expertise limitée à la question de savoir quelle était la cause des lésions cérébrales occasionnées à A______ le 3 mai 2006 (embolie gazeuse ou autre/s cause/s).

b. Dans ses réponses du 25 janvier 2023 aux trois appels, F______ SA a conclu, à la forme, à la division de la cause la concernant de celle des autres parties à la procédure et, sur le fond, à ce qu'il soit constaté qu'elle n'était pas responsable du dommage causé à A______.

Le 10 février 2023, A______ a conclu au rejet des appels formés par I______ et B______ et persisté dans ses conclusions.

Dans ses réponses de la même date aux appels formés par B______ et A______, I______ a conclu au déboutement de celle-ci et persisté dans ses conclusions.

B______ en a fait de même dans ses réponses du 10 février 2023 aux appels formés par A______ et I______.

c. Dans ses répliques du 14 avril 2023 aux réponses de A______, de B______ et de F______ SA à son appel, I______ a persisté dans ses conclusions.

Dans ses répliques du 17 avril 2023 aux réponses de I______ et B______ à son appel, A______ en a fait de même.

Dans sa réplique de la même date aux réponses de A______, de I______ et de F______ SA à son appel, B______ a persisté dans ses conclusions.

d. Par courriers du 8 mai 2023, F______ SA a renoncé à dupliquer sur appels de I______ et B______, persistant dans ses conclusions.

Par courrier du 14 juin 2023, B______ en a fait de même sur appels de A______ et de I______.

Le 28 juin 2023, I______ a dupliqué sur appels de A______ et de B______, persistant dans ses conclusions.

Le 30 juin 2023, A______ en a fait de même sur appels de I______ et B______.

e. Les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger par plis du 25 août 2023.

f. Par courrier du 8 septembre 2023, le conseil de I______ a informé la Cour du décès de ce dernier, survenu le ______ 2023.

Par arrêt du 31 octobre 2023, la Cour a ordonné la suspension de la procédure dans l'attente de la détermination des successibles de feu I______ et dit qu'il serait statué sur les frais avec la décision finale.

Par arrêt du 24 mai 2024, la Cour a ordonné la reprise de la procédure. Elle a constaté que D______, E______ et C______ devenaient parties à celle-ci en leur qualité d'héritiers de feu I______. Elle a, par ailleurs, dit que la cause était gardée à juger et qu'il serait statué sur les frais avec la décision finale.

 

 

C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

Prestataires de soins

a. F______ SA, société inscrite au Registre du commerce de Genève depuis ______, a pour but l'exploitation d'un ou de plusieurs hôpitaux, de permanences médicales et de centres médicaux et de soins en Suisse, notamment l'[hôpital] F______ situé à J______. Des médecins agréés par F______ SA exercent leur spécialité à titre indépendant à l'[hôpital] F______, qui leur fournit l'infrastructure médicale et le personnel nécessaire.

B______, médecin spécialiste en chirurgie cardiaque et vasculaire, a été nommé en qualité de membre du corps médical agréé de F______ SA en 1984 et a exercé en tant qu'indépendant à l'[hôpital] F______.

I______, spécialiste en anesthésiologie, a été nommé en qualité de membre du corps médical agréé de F______ SA en 2003 et a exercé en tant qu'indépendant à l'[hôpital] F______.

K______, infirmier perfusionniste, est employé de F______ SA depuis 1983 et notamment en charge de la circulation extracorporelle (ci-après : CEC) lors des interventions.

Patiente

b. A______ est née le ______ 1972. Elle s'est mariée en 1997 et a donné naissance à quatre enfants : L______, née le ______ 1999, M______, né le ______ 2001, N______, née en 2004, et O______, né en 2010. Depuis l'été 2014, elle est séparée de son conjoint, dont elle a ensuite divorcé.

Situation professionnelle

b.a Dès le 11 juillet 2000, A______ a travaillé auprès de l'[organisation internationale] P______ à Genève. Elle a allégué y avoir travaillé auparavant à titre temporaire.

Elle a été nommée avec effet au 1er janvier 2001 – en tant que fonctionnaire au sein de cette organisation – au poste de secrétaire principale auprès du Secrétariat du Département d'hydrologie et des ressources en eau à Genève.

Son traitement annuel net, fixé au grade 5, échelon 1, s'élevait à 66'382 fr.

Dans sa lettre de nomination, il était stipulé que, sous réserve du fait qu'elle ait exercé ses fonctions d'une manière satisfaisante, elle aurait droit à une augmentation de traitement le 1er janvier 2002 et qu'elle bénéficiait à part entière du plan de sécurité sociale prévu par le Règlement du personnel de l'organisation.

Le Statut du personnel et Règlement du personnel de 2007 stipulait que les fonctionnaires recevaient chaque année, sous réserve de l'exercice satisfaisant de leurs fonctions, une augmentation de traitement selon les échelles de traitements. Il était précisé que, pour l'octroi des augmentations périodiques de traitement et sauf décision contraire du Secrétaire général dans un cas particulier, étaient considérés comme ayant exercé leurs fonctions de manière satisfaisante les fonctionnaires dont le travail et la conduite étaient jugés satisfaisants par leurs supérieurs.

Selon les rapports d'évaluation annuels de A______ d'avril 2002, août et septembre 2003 et avril 2004, celle-ci donnait pleinement satisfaction à son employeur.

Dans un mémorandum du 11 janvier 2006, le Secrétariat de l'[organisation] P______ a annoncé vouloir proposer à A______ le poste permanent de membre de l'équipe du Secrétariat de l'organisation. Il a motivé cette proposition de la façon suivante : "A______ is well qualified as a Secretary of the P______ Secretariat. She has worked well over the years, has conducted herself, in her contacts in a very correct fashion, and has shown considerable initiative and dedication to the tasks in hand. My hope is that A______ has a good career ahead of her in P______ and therefore I have no hesitation in submitting this proposal for her to be granted a permanent appointment".

Etat de santé

b.b A______ est atteinte d'une hypotension artérielle [tension artérielle anormalement basse; la tension artérielle est la pression exercée par le sang sur les artères lorsqu'il circule dans le corps; elle est exprimée en millimètres de mercure (mmHg)] chronique (pression systolique habituelle de 85/100 mmHg) et d'une thalassémie [type d'anémie (baisse anormale du taux d'hémoglobine dans le sang) héréditaire] mineure.

En 1994, elle a souffert d'un lymphome de Hodgkin [cancer du système lymphatique], traité avec une rémission complète. Une infiltration lymphomateuse du poumon a été constatée. Elle a subi une résection d'une masse médiastinale et une lobectomie pulmonaire.

En 2004, elle a été diagnostiquée d'une rectocolite ulcéro-hémorragique [maladie inflammatoire chronique du côlon].

En 2005, elle a été atteinte d'une embolie pulmonaire et d'embolies rénales ainsi qu'artérielles [l'embolie correspond à l'irruption dans la circulation sanguine d'un matériel appelé "embole"; il peut s'agir par exemple d'un caillot sanguin ou d'une bulle de gaz; pour une définition exhaustive de l'embolie, cf. infra let. e.c, 3ème §].

A______ a été opérée en urgence en octobre 2005 à l'[hôpital] F______. I______ a exercé en tant qu'anesthésiste et B______ en tant qu'opérateur. Une échographie transoesophagienne (ci-après : TEE [examen d'imagerie qui utilise les ultrasons pour visualiser, analyser et mesurer en temps réel des images du cœur]), pratiquée après l'induction de l'anesthésie, a permis d'objectiver un foramen ovale perméable (ci-après : FOP [anomalie cardiaque consistant dans un trou situé entre les deux oreillettes cardiaques, pouvant entraîner des échanges sanguins anormaux entre celles-ci et, dans certaines circonstances, un accident vasculaire cérébral]).

En décembre 2005, des examens effectués par A______ ont révélé un syndrome obstructif et restrictif pulmonaire.

En avril 2006, A______ a été atteinte d'un pneumothorax [épanchement d'air dans la plèvre, à savoir la membrane enveloppant le poumon] droit spontané. Il lui a été conseillé d'effectuer la fermeture chirurgicale du FOP et de traiter le pneumothorax à cette occasion. Selon son médecin traitant, Q______, cette intervention chirurgicale était indispensable.

Intervention du 3 mai 2006

c. L'intervention chirurgicale de fermeture du FOP a été effectuée le 3 mai 2006 à l'[hôpital] F______. I______ a exercé en tant qu'anesthésiste, R______ et B______ en tant qu'opérateurs et K______ en tant que perfusionniste et responsable de la CEC.

Déroulement

c.a A______ est arrivée en salle d'induction vers 9h30.

Après l'administration de l'anesthésie, B______ a effectué une sternotomie médiane [ouverture du thorax par la ligne médiane].

R______ a ouvert la plèvre droite, procédé à la résection d'un segment du lobe supérieur droit et à la libération d'adhérences ainsi que talqué la cavité pleurale et refermé celle-ci.

B______ a ouvert le péricarde [membrane entourant le cœur]. En vue de mettre en place la CEC, il a effectué une canulation [insertion d'une canule, à savoir d'un petit tube permettant le passage d'air ou de liquide à travers un orifice, naturel ou chirurgical] de l'artère fémorale droite et une double canulation de l'oreillette droite. Il a clampé l'aorte, effectué une auriculotomie droite [ouverture de l'oreillette droite], suturé le FOP et l'auriculotomie droite, ainsi que purgé l'air par l'aorte ascendante par la canule de cardioplégie et la veine pulmonaire supérieure droite.

En fin de CEC, B______ a appuyé sur les côtés du sternum pour vérifier le bon déroulement de l'intervention, ce qui a causé une brèche de la veine innominée de 4 à 5 millimètres et une entrée d'air dans le circuit veineux. L'alarme s'est mise en route et le système de la CEC s'est désamorcé automatiquement durant 30 à 60 secondes avant de repartir.

Après le déclampage de l'aorte, la première défibrillation a été compliquée par l'apparition d'une récidive de fibrillation ventriculaire, nécessitant l'administration d'un électrochoc et de cordarone.

B______ a enfin retiré les canules et refermé la sternotomie ainsi que l'artériotomie fémorale droite.

Lors de son audition par le Tribunal le 18 décembre 2018, puis dans un courrier du 10 juin 2021, B______ a déclaré que de l'air n'avait pas pu s'introduire dans l'oreillette gauche de A______ lors de la fermeture du FOP. En effet, il n'avait jamais "vu" l'oreillette gauche, ayant effectué l'opération "en débordement". Il existait un retour veineux pulmonaire qui avait pour conséquence de remplir l'oreillette gauche et qui permettait de réaliser la fermeture du FOP, sous le contrôle du débordement constant de ce sang veineux pulmonaire qui sortait de l'oreillette gauche. De l'air ne pouvait donc pas s'y introduire. Une fois le FOP fermé, la purge d'éventuelles bulles d'air s'effectuait par ponction du toit de l'oreillette gauche et de l'aorte ascendante, plus précisément au moyen d'une aiguille de gros calibre. Comme il le faisait pour toute intervention à cœur ouvert, B______ avait procédé à la purge d'air des cavités gauches.

L'intervention chirurgicale s'est terminée entre 13h00 et 13h30. Le Tribunal a constaté que le protocole d'anesthésie faisait état, pour ce qui est de la plage horaire comprise entre 12h00 et 12h30, de trois cases de cinq minutes au lieu de six.

A______ ne s'est pas réveillée, a présenté des convulsions des membres supérieurs, un signe de Babinski positif [signe traduisant une lésion des voies de la motricité volontaire] des deux côtés et une acidose métabolique [signe de stress intense des organes]. Elle a été prise en charge aux soins intensifs.

Présence de I______ dans la salle d'opération

c.b B______ a allégué, pour la première fois lors de son audition du
18 décembre 2018, que I______ avait quitté la salle d'opération en cours d'intervention et qu'il n'arrivait plus à le joindre. K______ a déclaré ne pas en avoir le souvenir. Quant à I______, il a exposé être resté dans la salle d'opération jusqu'à la sternotomie, ignorer s'il était resté jusqu'à la mise en place de la CEC, avoir été présent lorsque la CEC s'était désamorcée et souffrir de problèmes de mémoire.

Diurèse, hémoglobine et tension

c.c La rubrique relative à la diurèse [volume d'urine excrété en une période donnée] du protocole de la CEC ne contient aucune indication et celle du protocole d'anesthésie mentionne "200 ml". Dans un document non daté et non signé, intitulé "description de l'anesthésie du 3 mai 2006", aucune donnée quant à la diurèse n'a été indiquée, si ce n'est qu'elle se situait à 100 ml lorsque A______ se trouvait aux soins intensifs. I______ a déclaré devant le Tribunal avoir rédigé ce document – lequel comporte l'annotation "reçu le 25.06.2007" – quelques semaines après l'intervention du 3 mai 2006.

A______ a présenté une hémoglobine de 117 g/l avant l'intervention, la norme étant entre 117 et 157 g/l, de 68 g/l (hématocrite à 20 %) et 61 g/l (hématocrite à 18%) en cours d'intervention et de 105 g/l (hématocrite à 31%) à son arrivée aux soins intensifs. A teneur de l'expertise judiciaire mise en œuvre par le Tribunal (cf. infra, let. h), une transfusion sanguine a été effectuée en fin de CEC.

Selon le rapport de S______ du 16 juin 2006 (cf. infra, let. e.a), la tension artérielle de A______ était en début d'intervention de 120/65 mmHg. La patiente était restée hypotendue de manière prolongée, la pression artérielle chutant à 60/70 mmHg pendant environ 50 minutes avant la CEC, malgré son maintien en position de Trendelenburg et l'administration de bolus de noradrénaline. Durant la CEC, la pression moyenne était de 50 mmHg. Elle était descendue à 25/30 mmHg (40 mmHg de moyenne pendant deux minutes) du fait du désamorçage de la canule en fin de CEC et était remontée à 60/70 mmHg pendant 45 minutes après une perfusion de noradrénaline. L'administration de Ringer-lactate et de NaCI 0.9% n'avait pas permis de maintenir la pression. Seule la transfusion d'un culot érythrocytaire après la CEC avait permis une stabilisation momentanée de la pression à 100/60 mmHg.

CT-Scan à 18h40

c.d Un CT-scan a été pratiqué sur A______ à 18h40, dont il a été conclu en substance que les lésions observées étaient probablement la conséquence d'une ischémie [diminution de l'apport sanguin artériel à un organe, qui entraîne une baisse de l'oxygénation des tissus de l'organe en dessous de ses besoins (hypoxie) et la perturbation, voire l'arrêt, de sa fonction] antérieure.

Suites de l'intervention

Note rédigée par G______

d.a Après l'intervention, K______ a effectué un signalement auprès de son employeur portant sur la tension trop basse que présentait, selon lui, A______ avant et après l'opération.

Les experts mandatés par le Tribunal (cf. infra, let. h) ont requis la production du rapport d'incident établi par K______. F______ SA a exposé qu'aucun rapport d'incident n'avait été établi; le 18 août 2020, elle a produit une note non datée, précisant que celle-ci avait été rédigée par son directeur médical, G______, à la suite d'un entretien qu'il avait eu avec K______ le 5 mai 2006.

Aux termes de cette note, l'hypotension de A______ se montait à 50/70 mmHg pendant la phase peropératoire [pendant l'intervention chirurgicale]. I______, qui avait été mis au courant, avait indiqué que cela n'avait pas d'importance, car la patiente était toujours hypotendue. En sortie de CEC, l'hypotension était importante et I______ n'était pas présent (alternance avec l'infirmier perfusionniste T______). Le précité avait "des théories à lui" qui n'étaient pas conformes à celles des autres anesthésistes et des chirurgiens cardiaques, ce qui déstabilisait l'équipe.

I______ a contesté le contenu de cette pièce qu'il a qualifiée de nouvelle et conclu à ce qu'elle soit écartée de la procédure. B______ a fait valoir qu'il ignorait l'existence de cette pièce, selon lui nouvelle, et formulé des allégués nouveaux en reprenant les faits y figurant. Il a requis comme moyen de preuve de ces allégués ladite note et, en tant que de besoin, dans la mesure où l'authenticité de celle-ci semblait remise en cause, l'audition de G______.

Constat des lésions

d.b Le 5 mai 2006, il a été constaté que A______ présentait une hémiplégie gauche [paralysie d'une ou plusieurs parties du corps d'un seul côté, laquelle peut être totale, et dans ce cas, le membre supérieur, le membre inférieur, le tronc et la moitié de la face sont touchés] et une hémiparésie à prédominance du membre inférieur droit [l'hémiparésie, à différencier de l'hémiplégie, correspond à un déficit partiel de la force musculaire, soit du côté gauche, soit du côté droit du corps; l'hémiparésie ne touche pas systématiquement toute la moitié du corps, mais plus souvent le bras, la jambe, la main, le pied et l'œil].

CT-scan du 10 mai 2006

d.c Un second CT-scan a été effectué le 10 mai 2006, dont il a été conclu en substance une péjoration des lésions constatées lors du premier CT-scan du 3 mai 2006.

Hospitalisation, retour à domicile et rééducation

d.d A mi-septembre 2006, après avoir été hospitalisée dans différents établissements en vue de sa rééducation, A______ a été en mesure de retourner à son domicile, où elle a poursuivi sa rééducation ainsi qu'en clinique.

Rapports de S______ de 2006 et 2007 et audition de celui-ci

e.a Sur requête de F______ SA, S______, médecin adjoint et responsable de l'unité d'anesthésie cardiaque à [l'hôpital] U______, a établi un rapport le 16 juin 2006.

Il a examiné les feuilles d'anesthésie, de CEC et de soins intensifs, les rapports d'opération, de radiologie et de neurologie et s'est entretenu le 29 mai 2006 avec les médecins et infirmiers en charge de A______ lors de son séjour à l'[hôpital] F______.

Dans son "rappel des faits", il a exposé que l'opération s'était déroulée normalement, sous réserve de quelques éléments critiques. En premier lieu, la patiente était restée hypotendue de manière prolongée, étant précisé que la pression artérielle enregistrée avant et durant la CEC ne représentait qu'une chute de 25 à 30% par rapport à sa pression habituelle. En second lieu, un épisode de 30/60 secondes de désamorçage de la canule cave supérieure en fin de CEC avec une entrée d'air dans le circuit veineux était intervenu. Il semblait que cet air avait pu pénétrer par une petite brèche de la veine innominée. Durant cette période, la pression était descendue à 25/30 mmHg. Le débullage des cavités cardiaques gauches avait été effectué par deux purges de l'oreillette gauche, mais la présence de bulles résiduelles ne pouvait pas être exclue, car il n'y avait pas eu de contrôle peropératoire au moyen d'une TEE. S'agissant du débit urinaire, il a été constaté, dans ce rappel des faits, qu'il avait été de 200 ml "pour la durée de l'opération" et de 100 ml lors du réveil de la patiente en soins intensifs.

Dans son "appréciation du cas", S______ a relevé que, pendant l'intervention, la pression artérielle de A______ était restée très longtemps à la limite inférieure des valeurs acceptables chez une adulte habituellement hypotendue. Il était certain que l'on perdait à ce moment toute marge de sécurité si un phénomène intercurrent survenait. La description des lésions mises en évidence par le CT-scan n'était pas pathognomonique de lésions liées à une hypoperfusion [diminution de débit sanguin; à distinguer de l'hypovolémie qui signifie une diminution du volume sanguin], mais "parlait clairement" pour un phénomène d'origine embolique, auquel s'étaient superposés les effets d'une hypotension. Bien que les précautions chirurgicales habituelles aient été prises (débordement continu de sang depuis l'oreillette gauche et purge de l'oreillette gauche), il n'était jamais possible d'exclure une embolisation gazeuse [obstruction de la circulation sanguine causée par la présence de bulles d'air au niveau d'un vaisseau sanguin ou du cœur] systémique lors d'ouverture des cavités gauches en CEC, ni une microembolisation artérielle liée à la présence d'air dans le circuit veineux. Les séquelles neurologiques focalisées étaient le plus probablement le fait d'accidents vasculaires cérébraux peropératoires multiples liés à un phénomène embolique. Mais les pressions de perfusion très basse de manière prolongée en normothermie et l'anémie aiguë peropératoire [diminution du taux d'hémoglobine sous sa valeur normale, entraînant un mauvais transport par le sang du dioxygène] avaient joué un rôle aggravant, alors qu'une pression plus élevée, notamment après la CEC, aurait peut-être permis de limiter les dégâts cérébraux.

Le médecin a conclu qu'il était impossible, selon lui, d'attribuer les complications neurologiques exclusivement à l'hypotension et à l'anémie peropératoires. Les séquelles neurologiques graves de A______ étaient d'origine multifactorielle, mais en premier lieu la conséquence d'évènements emboliques, malheureusement imparables dans ce type d'intervention. Les images du CT-scan "parlaient" dans ce sens. L'hypotension avait joué un rôle aggravant majeur en diminuant les marges de sécurité et en limitant les potentialités de récupération. Bien que l'on ne pût pas conclure à une faute professionnelle, il n'en restait pas moins que les séquelles neurologiques étaient directement liées à des actes médicaux, ce qui devait entraîner une forme de compensation pour la patiente.

e.b Le 16 octobre 2007, S______ a adressé un complément de rapport à F______ SA, qu'il a établi après avoir pris connaissance d'un rapport de I______. Celui-ci a exposé avoir rédigé un rapport à la demande de S______ de lui fournir des précisions; dans ledit rapport, il a précisé notamment que lors de l'arrivée de A______ aux soins intensifs, la diurèse de celle-ci était de 100 ml/h.

S______ a relevé dans son complément de rapport que ses conclusions du 16 juin 2006 pouvaient être nuancées.

Les séquelles neurologiques graves dont A______ souffrait étaient le fait d'un accident peropératoire, fruit d'une double cause, soit un événement embolique lié à la chirurgie elle-même, comme en témoignaient les images du CT-scan (accidents vasculaires cérébraux peropératoires multiples liés à un phénomène embolique), et une cause liée à l'anesthésie, à savoir l'hypotension et l'anémie qui avaient joué un rôle aggravant majeur en diminuant les marges de sécurité et en limitant les potentialités de récupération.

L'hypotension la plus grave était survenue lors d'un épisode de désamorçage de la CEC, lequel était un accident relevant d'une faute technique chirurgicale.

Le manque de diligence dans le traitement de l'hypotension et les accidents emboliques liés à la chirurgie mettaient en cause la responsabilité des médecins en charge de A______ et étaient assimilables à une faute professionnelle. A son avis, l'assurance responsabilité civile de l'institution et/ou des médecins concernés se devait d'offrir à la patiente une compensation financière à la hauteur du handicap irréversible dont elle souffrait.

e.c Entendu comme témoin par le Tribunal le 18 décembre 2018, S______ a déclaré que le rapport de I______ lui avait été transmis après l'établissement de son premier rapport. Il n'avait toutefois pas été informé d'éléments nouveaux, de sorte que ses deux rapports étaient fondés sur les mêmes éléments. Son idée était la même dans les deux rapports, mais il avait voulu être "plus tranchant" dans le second.

Une embolie gazeuse artérielle pouvait se produire lors de l'ouverture de la cavité cardiaque ou lors d'un problème de canule sur le circuit veineux, le filtre de la CEC ne permettant pas de supprimer toutes les bulles d'air. La lésion à la veine avait pu permettre à de l'air d'entrer dans le circuit veineux. Habituellement le débullage devait être contrôlé, afin d'éviter qu'il reste de l'air dans l'oreillette et le ventricule gauches. Au U______, depuis 1992, le protocole prévoyait une TEE, examen effectué par l'anesthésiste.

Il avait examiné les images des CT-scans avec un neuroradiologue. Selon celui-ci, ces images "parlaient clairement" en faveur d'une embolie [largage de matière dans la circulation sanguine et lymphatique avec le risque d'une obstruction d'une artère périphérique ou pulmonaire provoquant une ischémie; il existe différents types d'embolies selon le vaisseau sanguin atteint, soit l'artère pulmonaire (embolie pulmonaire responsable d'hypoxémie), une artère cérébrale (accident vasculaire cérébral) ou une artère périphérique d'un membre (infarctus du membre), et selon la matière, soit un caillot sanguin (maladie thrombo-embolique), du cholestérol ou des calcifications lors d'un cathétérisme, de la moelle osseuse après une fracture d'un os long, des cellules tumorales, un amas de bactéries ou de fibrine infecté (embolie septique) ou du gaz (embolie gazeuse)]. Les images ne permettaient pas de déterminer de quel type d'embolie il s'agissait. Au sujet du rapport relatif au CT-scan effectué le 3 mai 2006, le témoin a déclaré que la phrase "ces lésions sont probablement des conséquences d'une ischémie antérieure" n'était pas claire. Il ignorait si le terme "antérieure" signifiait avant l'opération ou la position antérieure. Selon lui, une embolie était parfaitement compatible avec le fait que les artères du polygone [anneau anastomotique d'artères situé à la base du cerveau et qui relie les deux principaux systèmes artériels du cerveau] étaient correctement opacifiées. Des bulles d'air avaient pu pénétrer par des vaisseaux périphériques.

Interpellé au sujet du rapport de I______ qui lui avait été soumis entre ses deux propres rapports, S______ a exposé que l'anesthésiste lui avait fourni des informations plus complètes que celles dont il disposait pour son premier rapport, notamment en lien avec les médicaments administrés à la patiente avant l'opération. Il constatait que la dose de ceux-ci était relativement faible au vu de son hypotension. D'une manière générale, la patiente avait été prise en charge avec "les bons médicaments, mais de manière insuffisante". Par ailleurs, aucune lésion veineuse n'aurait dû intervenir. Si tel avait été le cas, une erreur technique avait été commise.

S______ a conclu que la patiente avait subi une embolie gazeuse, dont l'origine était multifactorielle et la cause prioritaire indéterminée, soit une lésion veineuse ou le passage d'air par le FOP, ce qui avait été "potentialisé" par l'hypotension présente pendant une longue durée et une baisse de l'hématocrite et de l'hémoglobine durant la deuxième partie de la CEC. L'hypotension et l'anémie n'avaient pas pu à elles seules provoquer les lésions subies. Si tel avait été le cas, l'ensemble du cerveau aurait souffert et la patiente se serait retrouvée comateuse et non hémiplégique. Les bulles d'air et l'hypotension ainsi que l'anémie avaient causé les lésions.

Rapport et courrier de H______ d'août 2016 et audition de celui-ci

f.a Dans son rapport du 10 août 2016 établi à la demande de B______, H______, anesthésiste à la [clinique] V______ à Zurich, a exposé les faits, en reprenant "mot pour mot" ceux figurant dans le rapport de S______ du 16 juin 2006.

Les causes des lésions neurologiques graves qu'avait subies la patiente étaient indubitablement liées aux actes médicaux réalisés pour cette procédure. Il n'était pas possible d'identifier un seul facteur responsable. Tout d'abord, la survenue d'embolies gazeuses était probable (facteur non-corrigible). Ensuite, une hypotension prolongée et une anémie periopératoire [existante avant, pendant et après l'intervention] (facteurs corrigibles) étaient des éléments qui avaient pu dans ce contexte aggraver le tableau clinique.

A la question de savoir si les séquelles présentées étaient dues à une violation des règles de l'art par l'anesthésiste, H______ a répondu que le protocole anesthésique montrait une longue période d'hypotension aux limites inférieures du tolérable. La diurèse avant CEC n'était pas notée. La patiente était en hypovolémie [déficit du plasma sanguin dans le système circulatoire qui se traduit par une baisse de la pression artérielle] et il était surprenant qu'elle n'ait pas été corrigée plus agressivement. De même, l'hypotension aurait dû être traitée de façon adéquate (trois bolus de noradrénaline étaient insuffisants). Dans le cas où l'hypotension s'avérait réfractaire au traitement, un départ rapide en CEC était une option à considérer. De plus, il était surprenant que dans le contexte d'une fermeture d'un FOP une TEE n'ait pas été effectuée. En conclusion, même si le "management" anesthésique ne pouvait être impliqué comme seul responsable, le protocole anesthésique montrait que les évènements pré-CEC n'avaient pas été traités de façon optimale.

A la question de savoir si les séquelles présentées étaient dues à une violation des règles de l'art par le chirurgien, H______ a répondu que le protocole opératoire montrait que la procédure chirurgicale s'était déroulée selon les règles de l'art et les précautions habituelles après l'épisode de désamorçage avaient été respectées (débordement continu de sang depuis l'oreillette gauche et purge de l'oreillette gauche). Cependant, il était connu que la survenue d'embolie gazeuse était toujours possible. L'épisode de désamorçage ne pouvait pas être responsable des lésions neurologiques survenues, car au moment de l'incident la fermeture du FOP avait déjà été réalisée.

Dans le cadre de son examen d'une éventuelle violation des règles de l'art par le perfusionniste, qu'il a niée, H______ a relevé qu'aucune valeur de diurèse avant et après la CEC ne figurait sur le protocole anesthésique.

H______ a formulé les remarques suivantes, dont il a précisé qu'il les avait basées sur la description manuscrite des images du CT-scan retrouvée dans le dossier, celles-ci n'étant pas à sa disposition :

(i) Il était souvent possible de visualiser des traces d'air dans le contexte d'une embolie cérébrale massive. Cette observation n'était cependant pas indispensable, mais compte tenu de l'importance des lésions la présence d'air aurait été vraisemblable;

(ii) Les conséquences cérébrales d'un événement hypoxique/ischémique ne touchaient pas toutes les structures cérébrales de façon homogène. Certains tissus étaient lésés plus précocement, un concept connu sous le nom de vulnérabilité sélective.

H______ a conclu que la sévérité des lésions visibles sur le premier CT-scan laissait supposer que plusieurs facteurs avaient agi de façon synergique pour expliquer le tableau clinique. La présence d'embolies gazeuses seule pouvait difficilement expliquer la gravité de ces lésions. Des facteurs aggravants tels que l'hypoxie (hypotension, hypovolémie) avaient dû majorer la gravité des atteintes emboliques.

f.b Par courrier du 22 août 2016, H______ a remercié le conseil de B______ pour l'envoi des deux CT-scans. Il a exposé, sans autres développements, que l'absence d'air visible et la nature des lésions plaidaient d'abord pour une atteinte ischémique (bas débit).

f.c Entendu comme témoin par le Tribunal le 18 décembre 2018, H______ a déclaré qu'après examen des CT-scans, il considérait que la cause majeure des lésions de la patiente consistait dans une hypoxie (absence d'oxygène). L'embolie gazeuse ne pouvait pas être exclue, mais les images des CT-scans plaidaient davantage pour une atteinte ischémique (pour une définition de l'ischémie : cf. supra, let. c.d). L'état postopératoire de la patiente était compatible avec une atteinte ischémique, laquelle pouvait provoquer un état comateux, mais également les lésions constatées chez la patiente selon l'expérience clinique. Les éléments plaidaient davantage pour une atteinte ischémique pour deux raisons. D'une part, en cas d'embolie gazeuse, dans 90% des cas, on constatait en cas de lésions importantes des petites bulles d'air sur les images du CT-scan effectuées dans les premières 24 heures. D'autre part, en cas d'atteinte ischémique, les zones à haut métabolisme étaient davantage touchées. La durée de l'hypotension et de l'hypovolémie de A______ durant l'opération avait pu causer une atteinte ischémique.

En Suisse, la CEC se désamorçait automatiquement en cas de bulles d'air et ne repartait que lorsqu'il n'y avait plus de bulles dans le circuit. Si l'appareil était contrôlé et vérifié, les bulles d'air ne pouvaient pas pénétrer dans le corps du patient. Le désamorçage de la CEC était intervenu une fois le FOP réparé, de sorte qu'il ne pouvait plus y avoir d'air dans le système artériel.

Il était "surprenant" qu'aucun monitoring par une TEE n'ait été utilisé. L'anesthésiste décidait de l'utilité d'effectuer un tel examen. Il aurait été opportun dans le cas d'espèce pour détecter la présence d'air dans la cavité cardiaque. Cela faisait partie du protocole.

Il était "étrange" qu'il n'ait pas été fait mention, dans le protocole établi par l'anesthésiste, comme il le fallait, de la diurèse avant et après la CEC.

Rapports médicaux de 2018 et 2019 sur l'état de santé de A______

g.a Le 27 novembre 2018, W______, médecin adjoint agrégé, responsable de l'unité de strabologie, neuro-ophtalmologie et ophtalmo-pédiatrie à [l'hôpital] X______ a examiné A______ et rendu un rapport. Il en ressort une limitation visuelle en inférieur gauche des deux côtés, étant relevé que la baisse d'acuité visuelle et le scotome absolu (perte totale de toute perception lumineuse) central et paracentral inférieur gauche étaient bien expliqués par l'embolie d'air avec une atteinte des voies visuelles.

g.b Le 13 décembre 2018, Y______, psychologue FSP au service de neuropsychologie et logopédie de la clinique Z______, a examiné A______ et rendu un rapport. Il en ressort que celle-ci, toujours motivée, adéquate et nosognosique, souffrait d'un ralentissement de l'exploration spatiale, de discrètes séquelles d'héminégligence gauche, de troubles de l'attention divisée et de difficultés de planification complexe. Le tableau, essentiellement hémisphérique droit, restait compatible avec les séquelles de l'encéphalopathie hypoxique avec œdème cérébral et ischémie importante dans tout l'hémisphère cérébral droit survenu en mai 2006. Les difficultés visuelles et attentionnelles restaient, d'un point de vue strictement neuropsychologique, une contre-indication quant à la reprise de la conduite automobile. Consciente de ses difficultés persistantes, A______ restait motivée et la prise en charge se poursuivait, toujours à raison d'une séance hebdomadaire, dans l'optique de la conduite d'un fauteuil roulant électrique.

g.c Les 30 novembre 2018 et 12 décembre 2019, AA_____, spécialiste FMH en médecine physique et rééducation, médecine interne et neurologie, exerçant à la clinique Z______, a examiné A______.

Il ressort de son rapport du 30 novembre 2018 que A______ devait bénéficier d'une séance de physiothérapie une fois par semaine à Z______, consistant en une mobilisation active sur appareillage, une rééducation à la marche et un travail statique debout, de deux séances par semaine de physiothérapie à domicile, d'une séance de neuropsychologie par semaine à Z______ et d'une aide au ménage une fois par jour. La patiente, malgré une énergie très importante avec continuation des traitements au long cours pendant douze ans, restait tri-parétique avec acquisition, après plusieurs années, d'une autonomie pour les transferts couchée-assise (lit) - assise (fauteuil roulant) puis de déplacement en fauteuil roulant dans sa maison et devant chez elle [la tri-parésie est une paralysie légère ou partielle affectant trois membres et caractérisée par une diminution de la capacité à contracter un ou plusieurs muscles, causant une faiblesse musculaire]. La marche était impossible; le membre supérieur gauche était resté complètement impotent et le membre inférieur gauche servait d'appui, mais était plégique. Les séquelles motrices, en particulier la plégie du membre supérieur gauche, et neuropsychologiques contre-indiquaient une reprise professionnelle et, à ce stade, la conduite automobile. En conclusion, l'évolution était globalement discrètement favorable, sur le plan fonctionnel, avec l'acquisition d'une autonomie dans la vie personnelle, mais une impossibilité de marcher, de reprise de conduite automobile et de reprise professionnelle.

Dans son rapport du 12 décembre 2019, AA_____ a relevé que la situation était globalement inchangée. La patiente restait autonome pour effectuer les activités de la vie quotidienne qu'étaient la toilette, l'habillage, les déplacements à l'intérieur de son domicile, en fauteuil roulant, nécessitant les transferts couché-assis-debout pour se transférer du lit au fauteuil roulant et au WC et vice versa, et entrer dans sa voiture. Elle nécessitait de l'aide pour en sortir. Elle avait une absence de capacité à la conduite automobile à ce stade. Elle effectuait une partie de son ménage et nécessitait une aide-ménagère tous les jours. Elle élevait seule ses quatre enfants. Il était fait état d'une impossibilité à la marche. Le membre supérieur gauche était resté complètement impotent. Le membre inférieur gauche servait d'appui, mais était paralysé. En conclusion, l'évolution était globalement stable sur le plan fonctionnel et il était indiqué de poursuivre tous les traitements pour le maintien de l'acquis, avec quand même l'espoir d'une amélioration de la marche et d'une éventuelle possibilité d'un début de conduite automobile dans l'avenir.

g.d Le 18 décembre 2018 devant le Tribunal, le médecin traitant de A______, Q______, a confirmé la teneur du rapport du 30 novembre 2018 de AA_____.

A______ a déclaré qu'à force de travail et de volonté, elle avait retrouvé une motricité du membre supérieur droit. Concernant son évolution, elle a exposé être un cas un peu particulier. Après dix ans, en principe, aucune récupération n'avait lieu. En ce qui la concernait, elle avait été en mesure de retrouver une partie de sa mobilité. L'évolution prévue était celle dont faisait état le rapport de AA_____.

Expertise judiciaire du 20 avril 2021

h. Le Tribunal a ordonné une expertise judiciaire et l'a confiée à AB_____, ______ [fonction] du CENTRE UNIVERSITAIRE ROMAND DE MEDECINE LEGALE (CURML). Celle-ci s'est entourée de coexperts, soit AC_____, médecin chef de service à la AD_____ [spécialiste en cardiologie], AE_____, médecin chef responsable de l'unité de neuroradiologie interventionnelle à l'[hôpital] AF_____, AG_____, cheffe du service d'anesthésiologie et de réanimation de l'[hôpital] AF_____ et AH_____, médecin assistant au CURML.

Les experts ont établi un rapport le 20 avril 2021, dont il ressort ce qui suit :

Interprétation des CT-scans et cause des lésions : embolies gazeuses

h.a Les experts ont procédé à une interprétation des images des CT-scans des 3 et 10 mai 2006, dont il ressort notamment les éléments et conclusions suivants :

CT-scan du 3 mai 2006 : Signe d'ischémie précoce de certaines zones. Pas d'argument pour une encéphalopathie post anoxique. Le tableau suggérait des phénomènes cardio-emboliques.

CT-scan du 10 mai 2006 : Tableau ischémique touchant différents territoires artériels dépassant la distribution des territoires frontières, évocateur d'une origine cardio-embolique. En l'absence d'occlusion artérielle visible sur l'examen du jour et sur le comparatif du 3 mai 2006, des embolies gazeuses étaient possibles.

L'interprétation de ces images permettait de mettre en évidence au niveau cérébral des lésions évocatrices des conséquences d'embolies gazeuses et non de lésions dues à une hypotension artérielle, une hypoxie généralisée ou une autre cause. Les lésions subies étaient selon une "haute vraisemblance" dues à des embolies gazeuses. Cette conclusion était compatible avec le rapport du CT-scan effectué le 3 mai 2006.

Explications générales quant aux zones cérébrales atteintes

h.b Le cerveau était approvisionné en sang oxygéné via plusieurs artères cérébrales, chaque artère étant responsable de l'oxygénation d'une certaine région du cerveau. Il existait ainsi des territoires frontières, se trouvant à la limite de zones irriguées par deux artères différentes. Ces zones frontières se trouvaient à la distance la plus importante de leurs artères nourricières. Pour cette raison, en cas d'hypoperfusion cérébrale généralisée due à une hypotension, ces zones frontières étaient les premières à souffrir d'hypoxie et de lésions ischémiques. En revanche, lors d'une hypoperfusion cérébrale due à l'occlusion d'une artère, le cœur du territoire desservi par l'artère en question était tout d'abord atteint de lésions ischémiques. Les territoires frontières avaient, au contraire, tendance à être préservés, car ils étaient en partie desservis en sang par les artères des territoires avoisinants.

En cas de bulles de gaz dans le système artériel, celles-ci suivaient le flux sanguin, jusqu'à atteindre des artères de trop petit calibre. Elles restaient coincées, causant une obstruction de l'artère, ce qu'on appelait embolie gazeuse. L'embolie empêchait le passage de sang et causait donc des lésions ischémiques en aval du territoire servi par l'artère. Dans le cas d'embolies gazeuses, il était donc constaté une atteinte d'un territoire artériel, avec épargne des territoires limites.

Explications générales quant à la visibilité de bulles de gaz sur les images

h.c Les bulles de gaz se dissolvaient relativement rapidement dans le sang (quelques minutes à quelques heures). Les embolies gazeuses avaient tendance à ne pas être visibles sur les examens d'imagerie, ayant déjà disparu entre temps. Des études indiquaient qu'en cas d'embolie gazeuse dans les veines, des bulles avaient pu être constatées jusqu'à 3 ou 4 heures sur le scanner et que dans certains cas, les bulles d'air pouvaient disparaître plus rapidement.

Origine des embolies gazeuses : fermeture du FOP

h.d Lors de la fermeture d'un FOP, de l'air pénétrait forcément dans l'oreillette gauche via le FOP, l'oreillette droite étant ouverte par le chirurgien. Une fois le FOP suturé, il était très important de purger les bulles d'air se trouvant encore dans le cœur gauche. Si la purge n'était pas faite correctement, des bulles d'air pouvaient, après déclampage de l'aorte, remonter dans le cerveau et causer des embolies gazeuses.

Dans le cas de A______, les bulles de gaz provenaient le plus vraisemblablement de son cœur gauche. Elles avaient pénétré via le FOP au cours de l'intervention. La présence d'air dans le cœur gauche était normale lors de ce type d'intervention, pendant la fermeture du FOP en CEC et avec l'aorte clampée, raison pour laquelle cet air devait être purgé en fin d'intervention avant le déclampage de l'aorte pour éviter le passage d'air dans la circulation systémique.

B______ avait admis ne pas avoir fait effectuer une TEE, ce qui signifiait qu'il n'avait aucun moyen de savoir si des bulles d'air se trouvaient encore dans le cœur gauche au moment du déclampage de l'aorte. Il était donc probable que lors de ce déclampage, des bulles d'air soient remontées dans le cerveau de la patiente pour former des embolies gazeuses.

En fin d'intervention, une seule défibrillation n'avait pas été suffisante pour faire repartir le cœur, ce qui était un signe indirect que des bulles d'air avaient pu être présentes dans les artères coronaires et renforçait l'hypothèse selon laquelle du gaz se trouvait dans le cœur gauche en fin d'intervention.

Si elles fonctionnaient correctement, les machines de CEC ne pouvaient pas envoyer de bulles d'air dans la canule artérielle, même si des bulles pénétraient dans la canule veineuse, comme cela s'était produit pour A______. De plus, B______ avait dû poser la canule artérielle de la CEC au niveau de l'artère fémorale droite. Même à imaginer le scénario de bulles d'air pénétrant dans la canule artérielle, ces bulles d'air, afin de causer des embolies cérébrales, auraient dû remonter, de façon rétrograde, toute l'aorte abdominale et thoracique de A______ avant d'arriver à la gerbe thoracique, puis aux vaisseaux cérébraux. Il s'agissait là d'un scénario très improbable.

Méthodes pour minimiser le risque d'embolies gazeuses

h.e Afin de minimiser le risque d'embolies gazeuses, le chirurgien utilisait à ce stade les trois méthodes suivantes, de manière cumulative :

-     Avant le déclampage de l'aorte, il faisait mettre le patient en position de Trendelenbourg (tête plus basse que les hanches), massait le cœur en aspirant par la canule de cardioplégie, demandait aux perfusionnistes de remplir le cœur temporairement et aux anesthésistes de gonfler les poumons temporairement, puis déclampait l'aorte en maintenant la tête du patient en bas tout en effectuant une aspiration du ventricule gauche.

-     Après la manœuvre précédente, et toujours avec la tête du patient en bas, une TEE était réalisée, afin de vérifier qu'il n'y avait plus d'air dans le cœur gauche. Si des bulles persistaient, il pouvait masser le cœur afin de les faire migrer et maintenait toujours la purge à travers la canule de cardioplégie.

-     Au cours de l'intervention, il pouvait saturer le champ opératoire de dioxyde de carbone. Cette troisième méthode n'était pas utilisée en 2006.

La décision d'utiliser une TEE devait être prise en commun par l'anesthésiste et le chirurgien cardiologue. Elle était réalisée par l'anesthésiste si celui-ci avait été formé ou par le cardiologue.

Les "Practice guidelines for perioperative transesophageal echocardiography" éditées en avril 1996 par l'"American Society of Anesthesiologists and the Society of Cardiovascular Anesthesiologist" recommandaient un tel examen, sans qu'il ne soit obligatoire. Il y était précisé ce qui suit : "Supported by weaker evidence and expert consensus, perioperative transesophageal echocardiography may be useful in improving clinical outcomes in the settings (intraoperative detection of air emboli during cardiotomy), depending on individual circumstances, but appropriate indication are less certain".

Cet examen était devenu obligatoire dans l'édition de mai 2010 de ces directives. Il y était précisé ce qui suit : "They provide basic recommendations that are supported by a synthesis and analysis of the current literature, expert and practitioner opinion, open forum commentary, and clinical feasibility data. […] These Guidelines are intended for anesthesiologists and other physicians (e.g. cardiologists, surgeons, and intensivists) who use perioperative transesophageal echocardiography in the perioperative setting".

La littérature scientifique recommandait cependant cet examen déjà depuis plusieurs années. Les recommandations de [l'hôpital] U______ le préconisaient depuis 1992. F______ SA n'avait, quant à elle, pas émis de directive interne concernant cet examen en fin de procédure pour la fermeture d'un FOP.

Conclusion quant à la mission du chirurgien

h.f B______ n'avait pas pris la précaution de faire effectuer une TEE par I______. Il n'avait donc aucun moyen de savoir si de l'air se trouvait encore dans le cœur gauche et il était très probable que des embolies gazeuses soient montées jusqu'au cerveau de la patiente une fois l'aorte déclampée.

Mission de l'anesthésiste en général

h.g La mission de l'anesthésiste consistait à maintenir une pression artérielle suffisante, afin de garantir une bonne viabilité de tous les organes, dont les plus sensibles qu'étaient le cerveau et le rein. Même si une hypotension continue n'était pas idéale et sollicitait des mesures de régulation du cerveau, elle était préférable à des changements de pression multiples, lesquels bloquaient les réponses physiologiques de protection du cerveau.

La pression artérielle était fréquemment mesurée en anesthésie, notamment en cas d'opération cardiaque où elle était mesurée en continu. Ceci était important car elle pouvait varier grandement en fonction des gestes chirurgicaux. Ces variations étaient tempérées en donnant des analgésiques ou en augmentant la profondeur de l'anesthésie.

Au début d'une intervention médicale, la pression augmentait en général d'environ 20% en raison du stress. En cas de sommeil naturel ou artificiel, la pression baissait en même temps que le stress. C'est pourquoi l'anesthésiste acceptait généralement une diminution de 20 à 30% de la pression éveillée. Une baisse plus importante était qualifiée d'hypotension et demandait un traitement.

Suivi de l'anesthésiste in casu

h.h A______ présentait habituellement une pression basse (90 à 100 mmHg de systolique). Une baisse de 20 à 30% correspondait à une pression systolique de 75 à 80 mmHg. De telles tensions ne devaient donc pas causer d'inquiétude, d'autant plus si la diurèse était maintenue (signe que les organes fonctionnent). In casu, le dossier médical ne permettait pas de vérifier la diurèse, de sorte que l'on ne pouvait se baser que "sur les dires de I______ (expertise de S______)".

Une hypotension artérielle pouvait résulter de plusieurs facteurs, dont le plus simple était un manque de volume dans le système sanguin, lequel pouvait être corrigé en ajoutant du volume, ce qui avait été fait. Une deuxième cause était la baisse de la force du cœur causée par les produits anesthésiants, laquelle pouvait être corrigée en allégeant l'anesthésie ou en donnant un médicament vasopresseur (qui augmente la pression dans les vaisseaux). Une troisième cause pouvait être la vasodilatation (augmentation de diamètre des vaisseaux), laquelle pouvait être corrigée par un ajout de volume (ajout de cristalloïdes, de colloïdes ou de sang) ou en faisant diminuer le diamètre des vaisseaux par traitement médicamenteux (de type amines). Ces deux dernières causes avaient été corrigées par de petites doses de médicaments (noradrénaline et médicament de type amines).

D'autres causes étaient possibles, comme un équivalent allergique, appelé syndrome de réponse inflammatoire systémique (ci-après : SIRS) et défini comme un état d'activation des cascades inflammatoires. Dans le cas de A______, une résistance au remplissage effectué et aux petites doses d'amines administrées avait été notée. Ainsi, l'hypothèse de la survenue d'un SIRS pouvait être évoquée. Ses maladies préexistantes (rectocolite et thalassémie) et la CEC elle-même étaient des facteurs de risque de la survenue d'une telle réaction. En cas de suspicion d'un SIRS, l'anesthésiste devait administrer des médicaments de type amines en continu et en doses plus importantes que ceux administrés à A______.

Même si l'hypotension en elle-même n'expliquait pas les séquelles subies, elle avait pu contribuer à la gravité de l'événement. En effet, une pression basse ne laissait en principe pas de séquelles sur un cerveau sain, mais diminuait la protection du cerveau qui subissait une agression sévère (dans le cas présent, par des bulles d'air). Ceci pouvait expliquer des lésions plus sévères et une récupération moins bonne. Certains gestes, surveillances et traitements de la part de l'anesthésiste auraient pu être plus attentifs ou plus fins. Une suspicion de SIRS aurait pu être évoquée et le traitement aurait pu être adapté dans ce sens.

Conclusion générale

h.i En conclusion, les experts ont retenu que les lésions dont faisaient état les images scanograhiques permettaient de mettre en évidence, au niveau cérébral, des lésions évocatrices des conséquences d'embolies gazeuses et non de lésions dues à une hypotension artérielle, une hypoxie généralisée ou une autre cause. Ces lésions avaient été observées dans les suites immédiates d'une chirurgie de fermeture de FOP, dont l'une des complications connues était l'embolie gazeuse. Les lésions cérébrales étaient le plus vraisemblablement la conséquence directe d'embolies gazeuses provenant du site opératoire se trouvant au niveau du cœur.

Le risque de cette complication (embolie gazeuse) pouvait être minimisé par la réalisation d'une TEE. Un tel examen aurait vraisemblablement permis de mettre en évidence la présence d'air dans le cœur gauche et dans l'aorte ascendante de la patiente. Cet air aurait alors pu être purgé, ce qui aurait évité les lésions cérébrales subies. Il aurait donc été fortement souhaitable que l'opérateur et son anesthésiste effectuent cet examen. Selon les directives en vigueur en 2006 (internes ou nationales), la réalisation d'une TEE était recommandée, mais pas obligatoire, de sorte que l'on ne pouvait pas retenir l'existence d'une faute médicale ou d'une violation des règles de l'art au sens strict. Néanmoins, l'équipe médicale n'avait pas mis en œuvre toutes les précautions existantes pour éviter les complications prévisibles.

L'existence d'une hypotension au cours de l'intervention avait pu aggraver la conséquence des embolies gazeuses, sans que cette possible aggravation ne puisse être quantifiée. Les causes de l'hypotension ne ressortaient pas du dossier et seules des hypothèses pouvaient être formulées, telle que la survenue d'un SIRS. Ceci aurait nécessité l'administration de médicaments de type amines en continu et en doses plus élevées que celles reçues par la patiente. La surveillance anesthésique aurait pu être plus attentive et l'hypothèse d'un SIRS aurait pu être évoquée.

S'agissant de l'hémodilution [dilution du sang caractérisée par la diminution du poids, de la viscosité, du taux de protéines et de globules rouges du sang, accompagnée d'une anémie], l'hématocrite mesurée au cours de l'intervention était basse, mais acceptable, la patiente étant anémique chronique. Ce taux n'avait donc vraisemblablement pas joué de rôle en ce qui concernait les lésions subies au cours de l'intervention et avait été corrigé comme il se devait en fin de CEC. Les mêmes conclusions s'imposaient s'agissant de l'hémoglobine. En effet, les taux d'hématocrite et d'hémoglobine, qui évoluaient de manière similaire, étaient deux façons de quantifier le taux de globules rouges par volume de sang. Dans leur réponse à une question en lien avec la nécessité d'une transfusion sanguine, les experts judiciaires ont réitéré leur conclusion selon laquelle les lésions subies faisaient vraisemblablement suite à des embolies gazeuses, sans qu'une hémoglobine basse ait joué de rôle dans leur survenue.

Quant aux lésions subies et à leur actualité, les experts ont relevé que les ramollissements visibles scanographiquement traduisaient une souffrance cérébrale dans les zones concernées s'accompagnant de séquelles graves sur le long terme. En l'absence d'autres examens radiologiques effectués après le 10 mai 2006 et jusqu'à ce stade (IRM notamment), l'on ne pouvait se prononcer plus précisément sur les effets à long terme de ces lésions, ni sur la nature des lésions existant encore à ce stade. Toutefois, il était évident que les lésions visibles sur le CT-scan du
10 mai 2006 étaient de nature à engendrer des séquelles neurologiques graves, en partie irréversibles, à vie. La tri-parésie mise en évidence lors de l'examen neurologique du 30 novembre 2018 était en toute probabilité une conséquence directe de l'intervention du 3 mai 2006. Sans les lésions subies à cette date, l'on pouvait supposer que l'état de santé de A______ serait actuellement similaire à celui qu'elle avait avant l'intervention, en y ajoutant les changements normaux du vieillissement de l'organisme.

Audition des experts judiciaires

i. Lors de leur audition par le Tribunal le 15 décembre 2021, les experts judicaires ont exposé que durant les années 2000, les anesthésistes partaient du principe que les cerveaux jeunes toléraient une pression basse. Les valeurs constatées pour A______ durant l'opération étaient très basses, mais pouvaient ainsi être acceptables, ce qui ne serait plus le cas aujourd'hui. Ce qui était "choquant" dans le cas de A______ était que sa tension était vraiment à la limite inférieure dès le départ, ce qui aurait dû alerter I______. Celui-ci avait administré des médicaments à petite dose, ce qui se faisait à l'époque suivant certaines écoles. Aujourd'hui, les médicaments seraient donnés en continu. En cas d'hypotension réfractaire, comme dans le cas de A______, l'on pouvait suspecter une inflammation généralisée et, dans un tel cas, il fallait administrer des médicaments en continu afin de faire augmenter la pression, ce qui n'avait pas été fait en l'occurrence. A la lecture de la feuille d'anesthésie, il apparaissait que la patiente avait dû faire un choc inflammatoire dès le début de l'opération.

L'hypotension présentée par la patiente durant l'opération, prise individuellement, n'engendrait pas de conséquence. Lorsque cette hypotension était couplée à de l'anémie, comme en l'espèce, cela pouvait en revanche avoir des conséquences sur le cerveau, celui-ci se protégeant beaucoup moins bien, de sorte que même une faible quantité d'air pouvait causer des lésions. En l'espèce, une embolie gazeuse massive avait eu lieu. L'hémodilution constatée, qui avait les mêmes effets que l'anémie, avait "complété le cocktail explosif". "Dans l'idéal", il aurait donc fallu augmenter la pression, ce qui, selon la feuille d'anesthésie, avait été tenté. Il aurait fallu administrer des médicaments de manière continue.

Les chiffres relatifs à la diurèse permettaient de déterminer si les organes souffraient. Si les reins ne fonctionnaient pas, soit lorsque la valeur de diurèse était faible, cela signifiait également que le cerveau ne fonctionnait pas parfaitement. Il fallait prendre des mesures, soit augmenter la pression, "donner du sang ou donner des médicaments". In casu, les chiffres de la diurèse, qui figuraient habituellement dans le rapport d'anesthésie, ne se trouvaient pas dans le dossier médical, sans que l'on sache pourquoi. Ce défaut pouvait s'expliquer par le fait que certaines cliniques ne l'exigeaient pas. Toutefois, dans le cas de l'opération en question, la diurèse devait être mentionnée. En principe, à tout le moins les chiffres totaux devaient être indiqués en fin d'opération. Interrogé par S______, I______ avait "rassuré" celui-ci en déclarant qu'ils étaient corrects.

AG_____, cheffe du service d'anesthésiologie et de réanimation de l'[hôpital] AF_____, a déclaré, quant à sa pratique depuis 2006 déjà, que dans le cas de A______, elle aurait été plus agressive en administrant les médicaments de manière plus importante ou de manière plus régulière, soit en particulier davantage que trois bolus de noradrénaline. Par ailleurs, s'agissant de l'administration de la noradrénaline, elle a exposé ce qui suit : "Je ne partage pas le fait qu'il fallait d'abord corriger l'hypovolémie avant d'administrer la noradrénaline. C'est juste lorsqu'il n'y a pas de réponse avec les cristalloïdes [qui augmentent le volume] d'administrer de la noradrénaline".

B______ avait utilisé la première des trois méthodes permettant de minimiser le risque d'embolies gazeuses mentionnées dans l'expertise judiciaire. La littérature scientifique recommandait d'effectuer une TEE (deuxième méthode) dans le cadre de la fermeture d'un FOP depuis 1996. Si l'intervention concernée n'avait pas lieu dans un hôpital universitaire, la décision d'effectuer éventuellement un tel examen devait être prise avant l'intervention, car la machine devait être amenée sur les lieux et la personne capable de l'utiliser également. A l'[hôpital] F______, il était possible d'effectuer une TEE, puisque A______ y avait fait l'objet d'un tel examen avant le 3 mai 2006. S______ exerçait à [l'hôpital] U______ et était spécialiste de cet examen, raison pour laquelle des recommandations à cet égard s'étaient rapidement imposées dans cet établissement, soit dès 1992. Au début d'une nouvelle technologie, des recommandations étaient émises et non des obligations, car tous les professionnels n'étaient pas formés, de sorte qu'ils ne pouvaient être obligés de l'utiliser. Après un certain temps, si les recherches avaient démontré son utilité, la technologie devenait obligatoire.

En cas d'embolies gazeuses, plus rapidement un scanner était effectué, plus grande était la possibilité de les constater. Selon des études, en cas d'embolies gazeuses dans les veines, des bulles avaient pu être constatées jusqu'à 3-4 heures après. Pour ce qui était des artères, les études disponibles ne faisaient pas souvent état de la notion du temps. Les bulles d'air pouvaient semble-t-il être constatées encore 3-4 heures après, mais pas dans tous les cas. Dans certains cas, les bulles d'air pouvaient disparaître plus rapidement. Le CT-scan avait été effectué à 18h40 et l'opération s'était terminée vers 13h00, ce dont il fallait retrancher en tous les cas 1h00 à 1h30 du fait que l'embolie s'était produite lors de la partie centrale de l'opération.

Interpellés par le conseil de B______, les experts judiciaires ont déclaré qu'il n'y avait pas de filtres particuliers à installer par l'anesthésiste dans le cadre de l'opération d'un FOP.

Rapport de H______ du 10 juin 2021

j.a Par courriers des 10, 11 et 17 juin 2021 au Tribunal, B______ a fait valoir que jusqu'à l'établissement de l'expertise judiciaire, les allégués des parties concernant la présence de bulles d'air portaient sur les circonstances ayant conduit à l'arrêt de la CEC, alors que le FOP était déjà fermé. L'expertise judiciaire avait exclu cette possibilité et émis l'hypothèse nouvelle que les bulles avaient pu pénétrer avant l'incident de la CEC, lors de la fermeture du FOP. Cet élément nouveau justifiait de nouveaux allégués de sa part, en particulier le fait que lors de la fermeture du FOP, de l'air ne pénétrait pas forcément dans l'oreillette gauche via le FOP.

j.b A l'appui des allégations qu'il a formulées dans ce cadre, B______ a produit un rapport de H______ du 10 juin 2021. Aux termes de ce rapport, l'expertise judiciaire n'apportait aucune information nouvelle par rapport à celles mentionnées dans les expertises précédentes. Les problèmes liés à l'hypovolémie et l'anémie, dont le défaut d'information sur la diurèse, y étaient banalisés. La tolérance cérébrale à "l'association hypovolémie et anémie sévères" restait aléatoire. La décision de réaliser une TEE devait être prise selon les protocoles de l'hôpital. Il était étonnant que l'anesthésiste se soit absenté pendant une longue période. Quant à l'avis des experts judiciaires, selon lequel la prise en charge de A______ ne nécessitait pas de précautions particulières sur le plan anesthésique, H______ a soutenu, sans référence à une ou plusieurs source(s), que cette affirmation était incorrecte, dans la mesure où la présence d'un FOP connu impliquait la pose de filtres adéquats pour éviter toute introduction d'air dans la circulation, ce qui ne semblait pas avoir été fait. Enfin, il était tout à fait exceptionnel dans le cas d'une embolie gazeuse "super" massive de ne pas mettre radiologiquement en évidence la présence de bulles d'air.

Rapport de H______ du 20 janvier 2022 et articles scientifiques

k.a Par courriers des 24 janvier et 2 février 2022 au Tribunal, B______ a allégué des faits que le premier juge a qualifiés de nouveaux, à savoir (i) qu'en cas d'embolie gazeuse massive, les bulles d'air étaient visibles sur les images du cerveau 30 heures voire 48 heures après qu'elles aient atteint celui-ci, (ii) que le sevoflurane [agent anesthésique volatil de la famille des éthers halogénés utilisé pour l'induction et l'entretien des anesthésies générales] perturbait le mécanisme d'autorégulation qui protégeait le cerveau en cas d'hypotension et d'hypovolémie et (iii) qu'en cas d'hypovolémie, il fallait en premier lieu procéder à un remplissage volémique, puis administrer des vasoconstricteurs [substances agissant de façon à rétrécir le diamètre des vaisseaux sanguins].

k.b A l'appui de ces allégués, B______ a produit un rapport que H______ avait rédigé le 20 janvier 2022 à sa demande. Il en ressort qu'en présence d'un FOP, le fait de ne pas poser un filtre sur les voies veineuses pouvait s'apparenter à "conduire sans attacher sa ceinture de sécurité". L'utilisation de propofol [agent anesthésique intraveineux de courte durée d'action] était préférable à celle du sevoflurane, car ce dernier perturbait le mécanisme d'autorégulation qui protégeait le cerveau en cas d'hypotension et d'hypovolémie. Au début de l'intervention, la patiente était hypovolémique et il ne fallait pas donner des vasoconstricteurs dans cette situation. Le fait de ne pas avoir mesuré la diurèse dépassait la notion de négligence. En cas d'embolie gazeuse massive, les bulles d'air étaient encore visibles après 30 heures. Pour cette patiente, vu l'importance et l'étendue des lésions, la non-visualisation de bulles d'air après quelques heures (+ ou – 5 heures) était un argument solide qui "parlait" contre ce diagnostic.

k.c B______ a produit également les cinq articles scientifiques suivants :

- Un article de 2007 au sujet de quatre cas d'embolie gazeuse systémique non fatale compliquant une biopsie percutanée à l'aiguille transthoracique. Il en ressort notamment qu'en ce qui concernait les patients 1, 3 et 4, aucune séquelle n'était apparue à la suite de l'embolie gazeuse systémique, alors que pour le patient 2 l'embolie avait entraîné un déficit neurologique permanent. A la suite de l'intervention, les patients 1 et 4 avaient subi un scanner cérébral qui n'avait révélé aucun air cérébral. S'agissant du patient 2, une tomodensitométrie cérébrale avait été effectuée après quelques heures et les images n'avaient révélé aucun air cérébral;

- Deux articles de 2000 et 2006 concernant l'autorégulation cérébrale en cas d'anesthésie au sévoflurane ou au propofol;

- Un article de 1988 relatif au décès d'une patiente après une biopsie des poumons. Il en ressort que la tomographie par ordinateur de la tête obtenue 30 heures après la biopsie avait montré un œdème cérébral et une grande quantité d'air intracrânien intravasculaire;

- Un article de 1987 portant sur un cas d'embolie gazeuse – ayant failli entraîner la mort de la patiente – à la suite d'une biopsie percutanée à l'aiguille fine du poumon. Les auteurs de l'article ont précisé, se référant à une contribution scientifique de 1957, que la présence de bulles d'air dans le cerveau avait été démontrée jusqu'à 48 heures après l'incident initial.

Situation professionnelle et financière de A______ dès mai 2006

Echelles de traitement en vigueur auprès de l'employeur de A______

l. Le montant du "Net Base Salary" de A______ était fixé selon l'échelle de traitement figurant à l'appendice B.1, plus précisément B.1.1, du Statut du personnel et Règlement du personnel de l'[organisation] P______, l'appendice B.1.2 étant par la suite applicable aux fonctionnaires nommés après le 1er juin 2016.

A l'appui de sa demande de novembre 2015 (cf. infra, let. o.a), A______ a produit les échelles de traitement applicables au 1er janvier 2006, 1er mars 2008, 1er mars 2010 et 1er avril 2011. A l'appui de ses plaidoiries finales de février 2022 (cf. infra, let. o.n), elle a produit des amendements et échelles dont il ressort qu'en septembre/novembre 2016 et septembre 2017, l'échelle de traitement du 1er avril 2011 était toujours en vigueur pour les fonctionnaires en poste avant le 1er juin 2016 (échelle B.1.1). Elle a produit à ce stade également les échelles applicables à "tous les fonctionnaires" dès les 1er septembre 2019 et 2021 (échelle B.1).

Lesdites échelles font toutes état, pour chacun des échelons de chaque grade, de montants intitulés "Gross" dont sont dérivés des montants inférieurs intitulés "Net".

Il découle de l'ensemble de ces pièces que le montant du salaire annuel "Net" du grade 5 se serait monté pour A______ dès le 1er janvier 2008 à 90'465 fr. (échelon 8 de l'échelle du 1er janvier 2006), dès le 1er mars 2008 à 90'917 fr. (échelon 8 de l'échelle du 1er mars 2008), dès le 1er janvier 2009 à 93'353 fr. (échelon 9 de l'échelle du 1er mars 2008), dès le 1er janvier 2010 à 95'789 fr. (échelon 10 de l'échelle du 1er mars 2008), dès le 1er mars 2010 à 96'796 fr. (échelon 10 de l'échelle du 1er mars 2010), dès le 1er janvier 2011 à 99'258 fr. (échelon 11 de l'échelle du 1er mars 2010), dès le 1er avril 2011 à 99'863 fr. (échelon 11 de l'échelle du 1er avril 2011), dès le 1er septembre 2019 à 100'054 fr. (échelon 11 de l'échelle du 1er septembre 2019), dès le 1er janvier 2021 à 102'536 fr. (échelon 12 de l'échelle du 1er septembre 2019) et dès le 1er septembre 2021 à 102'741 fr. (échelon 12 de l'échelle du 1er septembre 2021).

Dans les échelles de traitement, l'échelon 12 est désigné comme l'"échelon d'ancienneté", auquel il est possible d'accéder aux conditions suivantes : le fonctionnaire doit avoir au moins "vingt ans de service continu dans le Système commun de [l'organisation] AI_____ et cinq années à l'échelon actuel de son grade actuel", ainsi qu'avoir donné entière satisfaction à l'employeur.

Dans sa demande de novembre 2015 (cf. infra, let. o.a), A______ a allégué, au titre du salaire annuel "Net" du grade 5, échelon 12, le montant de 102'340 fr., lequel ressort de l'échelle du 1er avril 2011.

L'allocation pour enfant de 326 fr. 10 par mois a été augmentée dès le 1er mars 2008 à 418 fr. 75 par mois et dès le 1er septembre 2016 à 533 fr. 15 par mois (6'398 fr. par an). L'allocation pour le premier enfant d'un fonctionnaire "célibataire, séparé, divorcé ou veuf" de 891 fr. 85 par mois a été augmentée dès le 1er septembre 2016 à 1'098 fr. 60 par mois.

Salaires de A______ jusqu'au 31 janvier 2007

m.a Il ressort des fiches de salaire de A______ pour les mois de mars, août, septembre et décembre 2006, qu'avant l'intervention du 3 mai 2006 et jusqu'en décembre 2006, la précitée – qui avait atteint l'échelon 6 du grade 5 auprès de l'[organisation] P______ – percevait un "Net Base Salary" de 7'134 fr. 75 par mois (85'617 fr. "Net" par année selon l'échelle de traitement en vigueur au 1er janvier 2006, le montant "Gross" s'élevant à 108'717 fr., soit une différence de 23'100 fr.).

A ce salaire étaient ajoutées une allocation mensuelle pour ses trois enfants de 978 fr. 30 (326 fr. 10 par enfant) et une allocation mensuelle pour son conjoint de 600 fr. 90. Il en était ensuite déduite une somme de 2'587 fr. 35, comprenant 89 fr. de "Group Life Insurance", 1'448 fr. de "MEC Reimbursement", 35 fr. de "Parking Fee", 715 fr. 70 de "Pension contribution Staff" et 299 fr. 65 de "Sickness And Accident SM". Le montant qui lui était versé sur son compte s'élevait ainsi à 6'126 fr. 60 (7'134 fr. 75 + 978 fr. 30 + 600 fr. 90 – 2'587 fr. 35).

Il ressort des fiches de salaire qu'en mars 2006 un poste de 11 fr. 60 était également déduit du "Net Base Salary" au titre de "Telephone" et qu'en décembre 2006 la déduction du "MEC Reimbursement" se montait à 1'707 fr.

Ces fiches de salaire faisaient également état d'un montant de 1'431 fr. 40 sous les intitulés "Organisation's contribution" / "Pension Contribution P______".

m.b Le 9 janvier 2007, l'[organisation] P______ a informé A______ du fait qu'elle avait atteint le grade 5, échelon 7.

m.c A______ a perçu son salaire jusqu'au 31 janvier 2007.

m.d Par courrier du 6 mars 2007, la caisse de pension de [l'organisation internationale] AI_____ (ci-après caisse de pension de [l'organisation] AI_____) a informé A______ que le montant des cotisations versées par celle-ci pour la période du 18 août 1998 au 31 janvier 2007 s'élevait à 40'536 USD (environ 400 USD en moyenne par mois, soit 480 fr. au taux de change annuel moyen en 2007 de USD 1 = fr. 1.19989; https://www.estv.admin.ch/estv/fr/accueil/contributions-federale/taxe-dexemption-de-lobligation-de-servir/cours-annuel-moyen.html).

Rentes d'invalidité allouées du 1er février 2007 jusqu'en 2022

n. Dès le 1er février 2007, A______ a perçu une rente d'invalidité complète (art. 33 des Statuts de la caisse de pension de [l'organisation] AI_____), comprenant une rente pour elle-même et une rente pour ses enfants versées en euros.

A teneur de l'art. 36 des Statuts de la caisse de pension de [l'organisation] AI_____, les allocations pour enfants sont versées jusqu'au 21ème anniversaire de l'enfant concerné, sauf si celui-ci est dans l'incapacité d'occuper un emploi rémunéré lui permettant de subvenir à ses besoins, auquel cas il continuera de percevoir une pension au-delà de ses 21 ans.

Selon le courrier de la caisse de pension de [l'organisation] AI_____ du 6 mars 2007 susmentionné, A______ devait à l'avenir se soumettre chaque année à des examens médicaux périodiques afin d'établir que son état de santé continuait de justifier le versement de la rente d'invalidité. Par ailleurs, dans ce courrier, l'attention de A______ était attirée sur la teneur de l'art. 36 des Statuts de la caisse.

Les rentes mensuelles moyennes en francs suisses retenues par le Tribunal comme ayant été perçues par A______ dès le 1er février 2007 jusqu'en 2021 sont les suivantes, étant relevé que les montants de celles-ci, non critiqués par les parties, sont tous fondés sur le même type de pièces, calculs et taux de change :

A______ a perçu, en tenant compte de la déduction de l'assurance maladie, une rente mensuelle moyenne de 6'505 fr. 70 de février à décembre 2007, 5'686 fr. 30 en 2008, 6'092 fr. 30 en 2009, 5'778 fr. 80 en 2010, 4'968 fr. 60 en 2011, 5'396 fr. 40 en 2012, 5'499 fr. 20 en 2013, 5'367 fr. 85 en 2014, 5'125 fr. 90 en 2015, 6'181 fr. 35 en 2016, 6'398 fr. 20 en 2017, 6'380 fr. 75 en 2018, 6'514 fr. 55 en 2019, 6'355 fr. 80 en 2020 et 5'875 fr. 60 en 2021.

En seconde instance, produisant le même type de pièces et se fondant sur les mêmes calculs et taux de change que devant le Tribunal, A______ a démontré avoir perçu en 2022 une rente mensuelle moyenne de 6'012 fr. 50.

 

 

Présente procédure

o.a Par demande déposée en conciliation le 30 juin 2015 et introduite devant le Tribunal le 16 novembre 2015, A______ a assigné I______, B______ et F______ SA, solidairement entre eux, en paiement, notamment, des sommes minimales de 561'215 fr. 55, à titre de perte de gain en tant que dommage actuel, et de 623'450 fr. 70, à titre de perte de gain en tant que dommage futur, ces sommes devant être "réévalu[ées] au jour du jugement en suivant les bases de calcul développées dans la demande et ses annexes".

Elle a allégué être, depuis l'intervention litigieuse, tri-plégique et immobilisée dans un fauteuil roulant, avec un taux d'invalidité irréversible de 100%. Elle s'est fondée sur des rapports médicaux et hospitaliers datant de 2006 à 2008.

Elle a produit, notamment, les rapports de S______ des 16 juin 2006 et 16 octobre 2007 établis à la demande de F______ SA, les échelles salariales pour le personnel de l'[organisation] P______ en vigueur dès les 1ers janvier 2006, mars 2008, mars 2010 et avril 2011, ainsi que les attestations des rentes qui lui avaient été versées pour les années 2007 à 2015.

S'agissant du "dommage actuel", articulé à hauteur de 561'215 fr., A______ a détaillé son calcul de ce montant dans la pièce n. 77 jointe à sa demande. Son calcul se basait sur la moyenne des salaires mensuels nets qu'elle aurait réalisés sans l'intervention durant la période courant de la date de celle-ci (3 mai 2006) à celle estimée du jugement attendu (novembre 2015) [recte : date du dépôt de la demande]. Dans le cadre du calcul de cette moyenne, elle a allégué, pour la période allant de 2012 à 2015, que sur la base des échelles de traitement de l'[organisation] P______, son salaire net aurait été pour le moins de 102'340 fr. "pour l'année 2012 et les années suivantes". Elle a ensuite multiplié son salaire mensuel net moyen par le nombre de mois de la période concernée, puis ajouté au montant ainsi obtenu les allocations (conjoint + enfants) qu'elle aurait perçues, en se fondant sur la part que ces allocations représentaient de son salaire mensuel net touché en 2006 selon les fiches de salaire produites (22.14%), et enfin déduit la pension d'invalidité touchée. Au montant final en résultant (458'135 fr.), elle a ajouté la somme de 103'080 fr. à titre d'intérêts à 5% l'an à compter d'une date moyenne fixée 4.5 ans avant le
1er novembre 2015 (la période complète précitée comprenant 8 ans et 10 mois), soit des intérêts portant sur la période courant du 1er mai 2011 au 1er novembre 2015.

Pour ce qui est du "dommage futur", A______ s'est fondée sur le salaire annuel net moyen de 102'340 fr. découlant selon elle de l'échelle de traitement de l'[organisation] P______ en vigueur dès avril 2011, dont elle a déduit une rente d'invalidité annuelle moyenne de 60'272 fr. Elle a ensuite multiplié le résultat obtenu, de 42'068 fr., par le coefficient 14.82 résultant des tables de capitalisation pour une femme de 42 ans, ce qui a conduit à un dommage futur arrondi de 623'450 fr.

Dans sa demande, A______ a également conclu au paiement par I______, B______ et F______ SA, solidairement entre eux, des sommes de 518'700 fr. à titre de dommage ménager passé, 1'170'078  fr. à titre de dommage ménager futur, 97'638 fr. 10 à titre de frais médicaux non remboursés et 100'000 fr. à titre de tort moral, avec intérêts à 5% dès le 3 mai 2006. Le 4 novembre 2016, en lien avec ces postes, elle a allégué des faits nouveaux et pris de nouvelles conclusions en euros s'agissant du dommage ménager passé, du dommage ménager futur et du tort moral.

Par jugement JTPI/965/2017 du 23 janvier 2017, le Tribunal a débouté A______ de ses conclusions en paiement libellées en francs suisses à titre de dommage ménager passé et futur, tort moral et frais médicaux non remboursés, au motif qu'elles auraient dû être libellées en euros. Quant aux nouvelles conclusions libellées en euros, il les a écartées parce qu'elles ne reposaient pas sur des faits nouveaux allégués en temps utile selon l'art. 229 CPC.

Par arrêt ACJC/1424/2017 du 7 novembre 2017, la Cour a déclaré l'appel de A______ irrecevable s'agissant des conclusions libellées en francs suisses, faute de critique motivée, et l'a rejeté s'agissant des nouvelles conclusions libellées en euros, car fondées sur des faits nouveaux invoqués tardivement.

o.b Dans leurs mémoires de réponse des 29 mars et 29 avril 2016, I______, B______ et F______ SA ont conclu au déboutement de A______.

Pour ce qui est de l'allégation de celle-ci quant à son invalidité à 100%, B______ a exposé, sans autres développements, "ignorer les faits" et donc contester "en l'état" cette allégation.

o.c Le Tribunal a tenu une audience de débats d'instruction, débats principaux et premières plaidoiries le 23 septembre 2016, au cours de laquelle les débats d'instruction ont été clos. Lors de cette audience, A______ a sollicité l'audition de différents témoins et la mise en œuvre d'une expertise judiciaire. B______ a produit le rapport de H______ du 10 août 2016 et le courrier de celui-ci du 22 août 2016.

o.d Deux audiences de débats principaux ont ensuite eu lieu les 18 décembre 2018 et 12 février 2019. Lors de la première, S______ et H______ ont été entendus.

o.e En parallèle, les 4 et 19 décembre 2018, A______ a versé à la procédure les rapports médicaux de AA_____ du 30 novembre 2018 et Y______ du 13 décembre 2018.

o.f Par ordonnance du 20 juin 2019, le Tribunal a ordonné la mise en œuvre d'une expertise judiciaire.

o.g Le 12 février 2020, A______ a versé à la procédure le rapport médical de AA_____ du 12 décembre 2019.

o.h Le 18 août 2020, F______ SA a produit la note non datée dont il a été question plus haut, exposant que celle-ci avait été rédigée par son directeur médical, G______ (cf. supra, let. C.d.a).

o.i Les experts judiciaires ont établi leur rapport le 20 avril 2021.

o.j Par courriers des 10, 11 et 17 juin 2021, B______ a allégué des faits et produit des pièces, qu'il a qualifiés de nouveaux, dont le deuxième rapport de H______ du 10 juin 2021.

o.k Le Tribunal a clôturé les débats principaux à l'issue d'une dernière audience tenue le 15 décembre 2021, lors de laquelle les experts judiciaires ont été entendus.

o.l Dans ses plaidoiries finales écrites du 22 décembre 2021, F______ SA a persisté dans ses conclusions.

o.m Les 24 janvier et 2 février 2022, B______ a allégué des faits et produit des pièces, que le premier juge a qualifiés de nouveaux, dont le troisième rapport de H______ du 20 janvier 2022 et les articles scientifiques rédigés entre 1987 et 2007.

o.n Dans ses plaidoiries finales écrites du 25 février 2022, A______ a conclu à ce que les écritures et pièces produites par B______ les 24 janvier et 2 février 2022 soient écartées des débats.

Elle a par ailleurs conclu à ce que I______, B______ et F______ SA soient condamnés à lui verser la "somme minimale" de 1'204'282 fr. 84, à titre de perte de gain en tant que "dommage passé et actuel réévalué à la date prévisible du jugement au 1er juin 2022", et la "somme minimale" de 922'346 fr. 60, à titre de perte de gain en tant que "dommage futur réévalué à la date prévisible du jugement au 1er juin 2022".

Elle a produit les échelles salariales pour le personnel de l'[organisation] P______ en vigueur dès septembre 2016, septembre 2017, septembre 2019 et septembre 2021, ainsi que les attestations des rentes qui lui avaient été versées pour les années 2016 à 2021.

S'agissant du "dommage passé et actuel", articulé à hauteur de 1'204'282 fr. 84, A______ a détaillé son calcul y relatif. Celui-ci était identique à celui présenté dans sa demande pour ce qui est du mode de calcul et des différents postes le composant, les chiffres retenus étant actualisés au vu des nouvelles pièces produites et de l'écoulement du temps. En particulier, la moyenne des salaires mensuels nets qu'elle aurait réalisés sans l'intervention s'est trouvée plus élevée (passant de 8'133 fr. à 8'736 fr.) du fait des nouvelles échelles de traitement de l'[organisation] P______ entrées en vigueur à compter de 2016, dont A______ a allégué le détail pour les années concernées. La période prise en considération a également augmenté pour atteindre 15 ans et 4 mois (du 3 mai 2006 jusqu'à la date escomptée du jugement attendu, soit le 1er juin 2022). Les allocations pour conjoint et enfants qu'elle aurait perçues ont été prises en considération de la même manière que dans la demande de 2015, soit au moyen d'un pourcentage du salaire mensuel net moyen (22.14%). A cet égard, A______ a fait référence aux échelles salariales pour le personnel de l'[organisation] P______ en vigueur du 1er janvier 2006 jusqu'à septembre 2021 et dès cette date, étant allégué, mais non documenté, que ses enfants étaient encore dépendants d'elle sur le plan financier. Au montant final résultant de son calcul (859'488 fr.), elle a ajouté la somme de 343'795 fr. à titre d'intérêts à 5% l'an à compter d'une date moyenne fixée 8 ans auparavant, à savoir des intérêts portant sur la période courant du 1er juin 2014 au 1er juin 2022, soit une période plus longue que celle prise en considération dans le cadre de la demande.

Pour ce qui est du "dommage futur", A______ s'est fondée sur le salaire annuel net "moyen" de 112'277 fr. découlant selon elle de l'échelle de traitement de l'[organisation] P______ en vigueur dès septembre 2021, auquel elle a ajouté une allocation pour ses quatre enfants d'un montant annuel total de 25'592 fr. (6'398 fr. x 4), se référant aux montants indiqués sur cette échelle de traitement. Elle a allégué que ces allocations pouvaient être versées au-delà du 21ème anniversaire de l'enfant bénéficiaire si le "comité compétent" estimait que celui-ci n'était pas en mesure d'assumer ses charges. Elle s'est référée au courrier de la caisse de pension de [l'organisation] AI_____ du 6 mars 2007. Elle n'a pas pris en compte une allocation pour conjoint, exposant que son mari avait quitté le domicile conjugal et que le divorce des époux était devenu définitif environ un an auparavant. Elle a ensuite déduit des deux montants précités une rente d'invalidité annuelle moyenne de 71'987 fr. Elle a enfin multiplié le résultat obtenu, de 65'882 fr. arrondis, par le coefficient 10.86 résultant des tables de capitalisation pour une femme de 50 ans, ce qui conduisait, au titre de dommage futur, à un capital de 715'477 fr. arrondis. A______ a par ailleurs fait valoir que ce dommage pouvait aussi être calculé en multipliant le montant arrondi de 65'882 fr., correspondant à la perte de gain annuelle moyenne subie dans le futur, par le nombre d'années comprises entre 50 et 64 ans, soit par 14, ce qui conduisait au résultat arrondi de 922'346 fr. – montant au paiement duquel elle concluait dans la mesure où il lui était plus favorable, afin de se prémunir d'une potentielle application par le Tribunal du principe ne ultra petita.

o.o Dans ses plaidoiries finales écrites du 25 février 2022, I______ a sollicité que les allégués et offres de preuve formulés par B______ par courriers des 24 janvier et 2 février 2022 soient écartés du dossier.

o.p Dans ses plaidoiries finales écrites du 25 février 2022, B______ a conclu – à titre subsidiaire – à ce que le Tribunal ordonne une expertise judiciaire limitée à la question de savoir quelle était la cause des lésions cérébrales occasionnées à A______.

o.q Dans ses déterminations spontanées du 5 avril 2022, I______ a soutenu que le rapport d'incident produit par F______ SA (note non datée de G______) était irrecevable et "contesté pour son origine". Il a conclu à l'irrecevabilité des pièces nouvelles produites par B______ dans ses différents courriers et par A______ le 25 février 2022.

o.r Dans ses déterminations spontanées du 8 avril 2022, A______ a exposé que la rubrique "Group Life insurance", mentionnée sur ses fiches de salaire, consistait en une assurance-vie volontaire proposée aux fonctionnaires de l'[organisation] P______ qu'elle avait choisi de souscrire. La rubrique "MEC reimbursement" correspondait au remboursement d'une mutuelle proposée aux fonctionnaires internationaux où de l'argent pouvait être placé et emprunté. Elle avait souscrit un prêt à court terme auprès de cette institution. La rubrique "Garage/Parking fee" correspondait à des frais de parking, la rubrique "Pension contribution staff" à la contribution partielle à la CAISSE DE RETRAITE DE L'[ORGANISATION] P______ et la rubrique "Sickness And Accident SM" à l'assurance-maladie et accident pour elle-même, son mari et ses enfants. La rubrique "Telephone" correspondait aux coûts des appels privés passés depuis le lieu de travail vers l'étranger, les téléphones portables n'étant alors pas aussi largement utilisés.

o.s Dans ses déterminations spontanées des 29 mars et 12 avril 2022, B______ a conclu à l'irrecevabilité des pièces déposées par A______ le 25 février 2022.

o.t La cause a été gardée à juger par le Tribunal 15 jours après le 12 mai 2022.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC), dans les causes patrimoniales dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions de première instance, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), ce qui est le cas en l'espèce.

1.2 Interjetés dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1 et 3 et 311 CPC), les trois appels sont recevables.

1.3 Ceux-ci seront traités dans le même arrêt (art. 125 CPC). A______ sera désignée ci-après comme l'appelante, B______ comme l'intimé et les héritiers de I______ comme les autres intimés. F______ SA continuera à être désignée sous sa raison sociale.

1.4 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) et applique le droit d'office (art. 57 CPC). Conformément à l'art. 311 al. 1 CPC, elle le fait cependant uniquement sur les points du jugement que l'appelant estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante – et, partant, recevable –, pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) ou pour constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). Hormis les cas de vices manifestes, elle doit en principe se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite contre la décision de première instance (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.3).

Les parties doivent formuler leurs griefs de façon complète dans le délai d'appel, respectivement dans la réponse à l'appel; un éventuel second échange d'écritures ou l'exercice d'un droit de réplique ne peut servir à compléter une critique insuffisante ou à formuler de nouveaux griefs (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4 in fine et les arrêts cités; 132 I 42 consid. 3.3.4 in JdT 2008 I 110; arrêts du Tribunal fédéral 4A_417/2022 du 25 avril 2023 consid. 3.1; 4A_621/2021 du 30 août 2022 consid. 3.1; 4A_412/2021 du 21 avril 2022 consid. 3).

Lorsqu'une partie n'a pas interjeté appel contre la décision de première instance, elle est déchue du droit de former d'autres conclusions que celles relatives au maintien du premier jugement (arrêt du Tribunal fédéral 5A_807/2012 du 6 février 2013 consid. 5.1 et 5.2). Dans ce cadre, l'intimé peut – sans introduire d'appel joint – présenter des griefs dans sa réponse à l'appel, si ceux-ci visent à exposer que malgré le bien-fondé des griefs de l'appelant, ou même en s'écartant des constats et du raisonnement juridique du jugement de première instance, celui-ci est correct dans son résultat. L'intimé à l'appel peut ainsi critiquer dans sa réponse les considérants et les constats du jugement attaqué qui pourraient lui être défavorables au cas où l'instance d'appel jugerait la cause différemment (arrêts du Tribunal fédéral 5A_804/2018 du 18 janvier 2019 consid. 3.2; 4A_258/2015 du 21 octobre 2015 consid. 2.4.2 et les références citées; ACJC/1600/2019 du 1er novembre 2019 consid. 1.4; ACJC/1140/2017 du 5 septembre 2017 consid. 3.4).

La partie ayant fait un appel partiel se croisant avec un appel introduit simultanément par la partie adverse peut déposer un appel joint (venant ainsi amplifier les conclusions de son appel partiel) simultanément à sa propre réponse (art. 313 al. 1 CPC) à l'appel, le moyen de droit que constitue l'appel joint n'étant pas réservé à la partie n'ayant pas interjeté d'appel principal (Jeandin, CR CPC, 2019, n. 6b ad art. 313 CPC).

1.5 La maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC) sont applicables au présent litige.

2. Dans leurs réponses respectives à l'appel de l'appelante, l'intimé et les autres intimés soutiennent que celle-ci aurait modifié de façon irrecevable ses conclusions devant la Cour. Ils reprochent en outre au premier juge d'avoir statué ultra petita.

2.1.1 Devant le tribunal, avant l'ouverture des débats principaux, la demande peut être modifiée si la prétention nouvelle ou modifiée relève de la même procédure et que l'une des conditions suivantes est remplie : la prétention nouvelle ou modifiée présente un lien de connexité avec la dernière prétention; la partie adverse consent à la modification de la demande (art. 227 al. 1 let. a et b CPC).

Une fois les débats principaux ouverts, la demande ne peut être modifiée que si les conditions fixées à l'art. 227 al. 1 CPC sont remplies et si la modification repose sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux (art. 230 al. 1 CPC).

Contrairement à l'art. 229 al. 1 CPC, l'art. 230 al. 1 CPC n'exige pas que la modification de la demande liée à des faits ou preuves nouveaux intervienne sans retard; elle doit simplement intervenir "aux débats principaux ", fût-ce au stade des plaidoiries finales, cela sous réserve de procédés dilatoires contraires à la bonne foi (Tappy, CR CPC, 2019, n. 6 ad art. 230 CPC et la jurisprudence citée). Le principe de la bonne foi (art. 52 CPC) commande en effet que le demandeur réagisse rapidement après avoir eu connaissance des faits ou moyens de preuve nouveaux (arrêt du Tribunal fédéral 5A_245/2017 du 4 décembre  2017 consid. 2.4).

La modification de la demande dans le cadre de la procédure d'appel est soumise aux mêmes conditions, à savoir que la demande ne peut être modifiée devant l'instance d'appel que si les conditions fixées à l'art. 227 al. 1 CPC sont remplies et si la modification repose sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux (art. 317 al. 2 CPC).

Si les conditions d'une modification de la demande ne sont pas réunies, le tribunal n'entre pas en matière sur la partie modifiée des conclusions et statue sur la demande initiale (OGer/BE ZK 15 129 du 1er juillet 2015 consid. 6.4).

2.1.2 Les conclusions doivent être interprétées selon le principe de la confiance, à la lumière de la motivation de l'appel (ATF 123 IV 125 consid. 1; 105 II 149 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 5A_339/2019 du 17 mai 2019 consid. 1.2).

2.1.3 Aux termes de l'art. 58 al. 1 CPC, le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse.

Le principe de disposition veut que les parties sont libres de déterminer ce qu'elles vont réclamer en justice; à titre de conséquence, le tribunal ne peut aller au-delà des conclusions des parties (ne ultra petita). Il ne peut donc allouer davantage que demandé ni moins que ce que la partie adverse a reconnu devoir (arrêt du Tribunal fédéral 4A_397/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.1).

Pour déterminer si le juge reste dans le cadre des conclusions prises, il faut se fonder sur le montant global réclamé, ce qui signifie que le juge peut répartir différemment les divers postes de dommage invoqués par le demandeur, par exemple allouer davantage de tort moral et moins de dommage matériel, pour autant que l'on reste dans le cadre du montant réclamé. S'agissant de la question des intérêts du capital réclamé, pour déterminer si le principe ne ultra petita est respecté, il faut calculer le montant alloué par le tribunal avec les intérêts accordés et le comparer avec le montant réclamé (arrêt du Tribunal fédéral, in RSPC 2006 253 : dans le cas d'espèce, le tribunal avait alloué un montant inférieur, mais avec des intérêts depuis une date antérieure; le montant global alloué était inférieur à celui réclamé et il n'y avait donc pas violation du principe ne ultra petita) (Haldy, CR CPC, 2019, n. 2 à 4 ad art. 58 CPC et les références citées).

2.2 A titre liminaire, il sera précisé que les montants articulés dans le présent considérant, traitant des griefs soulevés par les parties, sont arrondis au franc inférieur par souci de simplification.

2.2.1 Dans sa demande du 16 novembre 2015, l'appelante a conclu au paiement des "sommes minimales" de 561'215 fr., à titre de perte de gain pour le dommage actuel, et de 623'450 fr., à titre de perte de gain pour le dommage futur, ces sommes devant être "réévalu[ées] au jour du jugement en suivant les bases de calcul développées dans la demande et ses annexes". Selon la motivation de la demande, le montant de 561'215 fr. comprenait 458'135 fr. à titre du dommage subi pour la période de 8 ans et 10 mois courant de la date de l'intervention (plus précisément du 1er février 2007 [fin du versement du salaire]) au jour du dépôt de la demande et 103'080 fr. à titre d'intérêts à 5% l'an portant sur une période de 4.5 ans courant du 1er mai 2011 (date moyenne) au 1er novembre 2015. Ainsi, la somme totale réclamée se montait à 1'184'665 fr. au dépôt de la demande. Compte tenu de la réserve de l'appelante – expressément formulée, de façon légitime, dans ses conclusions – tendant à la réévaluation du montant réclamé au jour (alors inconnu) du prononcé du jugement, soit en définitive au 1er octobre 2022, la somme totale réclamée en capital et intérêts se montait à 1'343'098 fr., ceci en prenant en considération uniquement l'augmentation de la somme réclamée au titre des intérêts (6 ans et 11 mois d'intérêts en sus, soit 158'433 fr.). La réserve précitée, interprétée selon le principe de la confiance, tendait en outre à ce que le montant réclamé soit réévalué le cas échéant, à tout le moins s'agissant des intérêts, au jour du prononcé de la décision de deuxième instance – lequel sera arrêté, par souci de simplification, au 1er novembre 2024. Ainsi, en tenant compte de la procédure d'appel, la somme totale réclamée dans la demande se montait, en capital et intérêts, à 1'390'818 fr., eu égard à l'augmentation de la somme réclamée au titre des intérêts (2 ans et 1 mois d'intérêts en sus [du 1er octobre 2022 au 1er novembre 2024], soit 47'720 fr.).

Dans ses plaidoiries finales du 25 février 2022, l'appelante a conclu au paiement de la "somme minimale" de 1'204'282 fr., à titre de "perte de gain en tant que dommage passé et actuel réévalué à la date prévisible du jugement au 1er juin 2022", et de la "somme minimale" de 922'346 fr., à titre de "perte de gain en tant que dommage futur réévalué à la date prévisible du jugement au 1er juin 2022". Selon la motivation de l'appelante, le montant de 1'204'282 fr. [recte : 1'203'282 fr.] comprenait 859'487 fr., à titre du dommage subi durant la période d'environ 15 ans courant de la date de l'intervention (plus précisément du 1er février 2007 [fin du versement du salaire]) au jour du prononcé prévisible du jugement (1er juin 2022), et 343'795 fr., à titre d'intérêts à 5% l'an portant sur la période de
8 ans courant du 1er juin 2014 (date moyenne) au 1er juin 2022. La somme totale réclamée en capital et intérêts se montait par conséquent à 2'125'628 fr.

Sous réserve de deux aspects qui seront discutés au paragraphe suivant, la modification de la demande, lors du dépôt des plaidoiries finales du 25 février 2022, est intervenue dans le respect des conditions prévues aux art. 227 al. 1 et 230 al. 1 CPC, soit de façon recevable. En particulier, cette modification reposait sur les faits et moyens de preuve nouveaux que l'appelante a valablement allégués et produits à l'appui de ses plaidoiries finales, comme il sera vu ci-après (cf. consid. 3.2.2). En effet, selon les calculs de l'appelante, le montant du "dommage actuel" a augmenté du fait des nouvelles échelles de traitement adoptées par l'[organisation] P______ et en raison de l'écoulement du temps. Toujours selon les calculs de la précitée, le montant du "dommage futur" a également été modifié du fait des nouvelles échelles de traitement précitées et de l'écoulement du temps, l'appelante étant plus âgée et le coefficient des tables de capitalisation appliqué s'en trouvant réduit.

Cela étant, la demande a également été modifiée pour deux autres motifs. D'une part, pour calculer son dommage futur, l'appelante a tenu compte, dans ses plaidoiries finales, des allocations perçues pour ses quatre enfants, ce qu'elle n'avait pas fait dans sa demande et qui représente, selon ses calculs, un montant annuel de 25'592 fr., soit 277'929 fr. au total (25'592 fr. x 10.86). D'autre part, la demande a été modifiée du fait que, dans ses plaidoiries finales, l'appelante a arrêté la quotité de son dommage futur sur la base d'une deuxième méthode de calcul, différente de celle utilisée dans sa demande. Selon cette deuxième méthode, qui lui est plus favorable, elle a tenu compte du nombre d'années la séparant de la retraite, alors que selon la première méthode, elle a appliqué le coefficient de capitalisation, comme elle l'avait fait dans sa demande. Cette différence de calcul aboutit à la prise en compte d'une somme complémentaire de 206'869 fr. (922'346 fr. – 715'477 fr.; cf. supra, En fait, let. C.o.n in fine). Il découle de ce qui précède que l'amplification de la demande est irrecevable à hauteur de 484'798 fr. (277'929 fr. + 206'869 fr.), au motif que ces deux aspects nouveaux du calcul de l'appelante ne reposent pas sur des faits et/ou pièces nouveaux. Il suit de là que – a priori – la somme totale en capital et intérêts réclamée de façon recevable dans les plaidoiries finales du
25 février 2022 se monte à 1'640'830 fr. (2'125'628 fr. – 484'798 fr.), comprenant 859'487 fr. à titre du dommage actuel pour la période allant du 3 mai 2006 au
1er juin 2022, 343'795 fr. à titre d'intérêts à 5% l'an courant sur cette somme du
1er juin 2014 au 1er juin 2022 et 437'548 fr. à titre de dommage futur réévalué au
1er juin 2022 (922'346 fr. – 484'798 fr.).

Comme il a été exposé supra en lien avec le montant global réclamé dans la demande, il convient de réévaluer ces montants au jour du prononcé de la décision de seconde instance, soit par mesure de simplification au 1er novembre 2024. Ainsi, la somme totale réclamée par l'appelante de façon recevable devant la Cour, en capital et intérêts, se monte à 1'744'683 fr. (1'640'830 fr. + 103'853 fr.), compte tenu de l'augmentation de la somme réclamée au titre des intérêts (2 ans et 5 mois d'intérêts en sus pour la période allant du 1er juin 2022 au 1er novembre 2024, soit 103'853 fr.).

Dans son jugement du 1er octobre 2022, le Tribunal a condamné les intimés à verser à l'appelante les montants de 370'423 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2015 et de 212'857 fr., soit la somme totale en capital et intérêts arrondie de 709'836 fr. (370'423 fr. + 126'556 fr. d'intérêts + 212'857 fr.).

Dans son appel du 28 novembre 2022, l'appelante a conclu au paiement de la "somme minimale" de 935'341 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2015, à titre de "perte de gain en tant que dommage passé et actuel réévalué au 1er janvier 2023", ainsi que la "somme minimale" de 635'948 fr., à titre de "perte de gain en tant que dommage futur réévalué au 1er janvier 2023". La somme totale en capital et intérêts réclamée se monte par conséquent à 1'988'292 fr., en tenant compte des intérêts à 5% réclamés sur une période de 8 ans et 11 mois, à savoir du 1er décembre 2015 jusqu'à la date du prononcé du présent arrêt, soit jusqu'au 1er novembre 2024 (935'341 fr. + 417'003 fr. d'intérêts + 635'948 fr.). S'agissant du dommage "passé et actuel", celui-ci a été calculé par l'appelante non sur la base d'une moyenne des revenus et rentes d'invalidité perçus sur l'entier de la période concernée, comme elle l'avait fait en première instance, mais d'année en année comme l'a fait le Tribunal dans son jugement (à noter que la période prise en considération par l'appelante court du 1er février 2007 au 31 décembre 2022, tandis que celle dont le Tribunal a tenu compte a pris fin le 1er octobre 2022, date du prononcé du jugement). Pour ce qui est du dommage futur, l'appelante a procédé au même type de calcul que dans le cadre de sa demande et de ses plaidoiries finales de première instance, sous réserve des allocations pour enfants. Devant la Cour, elle a tenu compte de ces allocations en les calculant de façon concrète pour chacun des enfants jusqu'à l'âge de 25 ans, pour un montant total de 179'918 fr., montant qu'elle a ajouté en fin de calcul à la somme de son préjudice futur total (lequel avait été obtenu préalablement en multipliant le dommage futur annuel par le coefficient de capitalisation).

2.2.2 L'intimé et les autres intimés soutiennent que le Tribunal aurait statué ultra petita en allouant "d'office" à l'appelante un montant en capital portant intérêts à 5% l'an, alors que cette dernière n'aurait pas conclu à de tels intérêts en première instance. Selon eux, ce principe aurait été violé, même si la condamnation finale en capital et intérêts prononcée par le Tribunal (si l'on arrêtait le cours des intérêts au 10 février 2023, date de la réponse de l'intimé à l'appel de l'appelante) restait en-deçà des prétentions émises par l'appelante dans sa demande du 16 novembre 2015.

Ce grief est infondé. Il convient d'interpréter les conclusions de l'appelante selon le principe de la confiance. Il en ressort que l'appelante a conclu dans sa demande à ce que le capital réclamé au titre du "dommage actuel" porte intérêts, puisqu'elle a inclus – dans son calcul du préjudice global allégué – un poste à ce titre, lequel devait être "réévalué au jour du jugement en suivant les [mêmes] bases de calcul". Cela est vrai même si elle a formellement conclu au paiement d'un montant en capital incluant les intérêts et qu'elle a calculé les intérêts réclamés jusqu'à la date prévisible de la reddition du jugement – étant rappelé qu'elle a sollicité la réévaluation de ce poste lorsque cette date serait connue, soit, pour ce qui est de la première instance, au 1er octobre 2022. En tout état, afin de déterminer si le principe ne ultra petita a été violé, il convient de calculer la somme allouée par le Tribunal avec les intérêt accordés et de la comparer avec celle réclamée (cf. supra, consid. 2.1.3 in fine). Or, dans la mesure où, comme exposé ci-dessus en lien avec la demande du 16 novembre 2015, celle réclamée se montait à 1'343'098 fr., le Tribunal, en allouant 709'836 fr., n'a pas accordé plus que ce qui était demandé. L'intimé et les autres intimés l'admettent d'ailleurs dans leurs argumentations respectives, cela même en arrêtant la somme allouée par le Tribunal au titre des intérêts au 10 février 2023 (et non seulement au 1er octobre 2022 comme il a été retenu dans le calcul de la somme globale réclamée effectué plus haut).

2.2.3 L'intimé et les autres intimés font par ailleurs valoir que l'appelante aurait formulé des conclusions nouvelles irrecevables en appel. En premier lieu, elle aurait conclu nouvellement à ce que les montants en capital réclamés portent intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2015. En second lieu, elle aurait augmenté ces montants en capital par rapport à ceux sollicités dans sa demande du 16 novembre 2015, ceci dans une mesure sortant du cadre d'une réévaluation du dommage au jour de l'appel.

Le premier argument des intimés est infondé, pour les motifs exposés plus haut en lien avec leur critique selon laquelle le Tribunal aurait statué ultra petita, à savoir, en substance, parce que l'appelante avait déjà conclu – dans sa demande – au paiement d'un montant au titre de tels intérêts. Il sera donc renvoyé à ces développements (cf. consid. 2.2.2).

Le second argument des intimés est partiellement fondé. L'appelante a en effet amplifié le montant total en capital et intérêts réclamé en appel de façon irrecevable à hauteur de 243'609 fr. (1'988'292 fr. réclamés en appel [935'341 fr. de dommage passé + 417'003 fr. d'intérêts au 1er novembre 2024 + 635'948 fr. de dommage futur] – 1'744'683 fr. sollicités de façon recevable dans les plaidoiries finales du 25 février 2022, en tenant compte d'une réévaluation du dommage au 1er novembre 2024 pour ce qui est des intérêts [859'487 fr. de dommage passé + 447'648 fr. d'intérêts au
1er novembre 2024 (343'795 fr. + 103'853 fr.) + 437'548 fr. de dommage futur]), étant relevé que le montant de 243'609 fr. précité, réclamé de façon irrecevable devant la Cour, l'a été pour l'essentiel en lien avec le dommage futur.

3. L'intimé reproche au Tribunal d'avoir écarté de la procédure la note de G______ et les rapports de H______ des 10 juin 2021 et 20 janvier 2022.

Par ailleurs, il fait grief au premier juge, tout comme les autres intimés, de ne pas avoir écarté de la procédure les pièces produites par l'appelante à l'appui de ses plaidoiries finales écrites du 25 février 2022.

Enfin, l'appelante a produit deux pièces nouvelles devant la Cour.

3.1
3.1.1
Après la clôture de la phase d'allégation – soit après la clôture du second échange d'écritures, après l'audience de débats d'instruction (art. 226 al. 2 CPC), ou après l'ouverture des débats principaux (art. 229 al. 2 CPC), c'est-à-dire dès les premières plaidoiries au sens de l'art. 228 CPC –, la présentation de nova n'est plus possible qu'aux conditions restrictives de l'art. 229 al. 1 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_910/2021 du 8 mars 2023 consid. 5.2.1).

Aux termes de l'art. 229 al. 1 CPC, les faits nouveaux et les nouveaux moyens de preuve ne sont admis aux débats principaux que s'ils sont invoqués sans retard et qu'ils sont postérieurs à l'échange d'écritures ou à la dernière audience d'instruction ou ont été découverts postérieurement (nova proprement dits) ou s'ils existaient avant la clôture de l'échange d'écritures ou la dernière audience d'instruction, mais ne pouvaient être invoqués antérieurement en faisant preuve de la diligence requise (nova improprement dits).

La loi ne fixe pas de délai dans lequel les nova doivent être invoqués pour que l'on puisse admettre qu'ils l'ont été sans retard. La doctrine et la jurisprudence cantonale retiennent majoritairement que la réaction doit être rapide, l'introduction des nova devant intervenir au plus tard dans les cinq jours, respectivement dix jours dès leur découverte. Si, dans une affaire complexe, le Tribunal fédéral a estimé qu'alléguer des nova une trentaine de jours après la réception de la duplique ne les rendait pas encore irrecevables faute d'avoir été invoqués sans retard (arrêt du Tribunal fédéral 4A_61/2017 du 31 août 2017 consid. 6.2.2), il n'en demeure pas moins que l'invocation sans retard tend à assurer la célérité de la procédure et qu'il est en tous les cas exclu de laisser s'écouler plus de quelques semaines (arrêt du Tribunal fédéral 5A_141/2019 du 7 juin 2019 consid. 6.3 et les références citées).

La réglementation des nova découle de la maxime éventuelle, qui comporte deux aspects : d'une part, les faits doivent être présentés de manière concentrée et, d'autre part, ils peuvent dans certaines circonstances – dans l'intérêt de la vérité matérielle – être encore introduits par la suite; il est contraire au premier aspect de la maxime éventuelle que de qualifier de vrais nova des nova créés ultérieurement par un plaideur, qui – au gré de ce plaideur – auraient pu exister déjà avant la clôture de la phase d'allégations (nova dits potestatifs) (ATF 146 III 416 consid. 5.3).

La loi ne précise pas expressément jusqu'à quand des nova, invoqués sans retard au sens de l'art. 229 al. 1 CPC, peuvent être introduits. En parlant de leur admission "aux débats principaux ", cette disposition implique qu'ils peuvent l'être jusqu'à la clôture des plaidoiries finales. Si celles-ci sont remplacées par des plaidoiries écrites, il faut admettre la possibilité d'introduire des nova jusqu'à l'échéance du délai fixé selon l'art. 232 al. 2 CPC, respectivement de ses prolongations éventuelles. Les délibérations, qui succèdent aux débats principaux, ne sauraient en effet commencer avant, même si formellement le juge a déclaré l'instruction close à l'issue d'une dernière audience après laquelle les parties avaient la possibilité de déposer des observations finales écrites (Tappy, CR CPC, 2019, n. 11 ad art. 229 CPC).

3.1.2 A teneur de l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

3.1.3 Selon l'art. 151 CPC, les faits notoires ou notoirement connus du tribunal et les règles d'expérience généralement reconnues ne doivent pas être prouvés.

En principe, les informations provenant d'Internet ne sont considérées comme notoires que si elles ont une empreinte officielle du fait qu'elles sont facilement accessibles et proviennent de sources fiables, dont notamment les taux de change (ATF 143 IV 380 consid. 1.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1048/2019 du 30 juin 2021 consid. 3.6.6).

3.1.4 Selon l'art. 85 al. 1 CPC, le demandeur peut intenter une action non chiffrée s'il est dans l'impossibilité d'articuler d'entrée de cause le montant de sa prétention ou si cette indication ne peut être exigée d'emblée. Il doit cependant indiquer une valeur minimale comme valeur litigieuse provisoire. Cette exception vaut en particulier lorsque seule la procédure probatoire permet de fonder une créance chiffrée; le demandeur est alors autorisé à chiffrer ses conclusions après l'administration des preuves ou la délivrance par le défendeur des informations requises. Le demandeur doit toutefois chiffrer sa demande dès qu'il est en état de le faire (art. 85 al. 2 1ère phr. CPC), autrement dit, dès que possible. L'art. 85 CPC n'a ainsi pas pour effet de limiter la portée de la maxime de disposition, le demandeur n'étant pas libéré de son obligation de chiffrer ses prétentions, mais pouvant seulement différer le moment auquel il doit y procéder. Cas échéant, le demandeur pourra introduire de nouvelles allégations en fonction des éléments découverts grâce à l'administration des preuves. Il incombe au demandeur qui formule une conclusion en paiement non chiffrée de démontrer dans quelle mesure il n'est pas possible, ou du moins pas exigible d'indiquer d'entrée de cause le montant de sa prétention. Ce qu'on entend par "dès que possible" n'est pas clairement défini. Il est donc loisible à la partie qui n'est pas, avant de connaître le résultat de la procédure probatoire, en l'état de chiffrer ses conclusions, de le faire lors des plaidoiries finales (arrêt du Tribunal fédéral 5A_847/2021 du 10 janvier 2023 consid. 4.2.2 et 4.3).

3.1.5 Le juge établit sa conviction par une libre appréciation des preuves administrées (art. 157 CPC).

3.2
3.2.1
En l'espèce, le Tribunal a retenu que la teneur de la note de G______ avait été contestée et que l'intimé n'avait pas pu en établir la véracité, puisqu'il n'avait pas maintenu son offre de preuve la concernant, soit une nouvelle audition de G______ comme témoin. Il ne pouvait donc pas être tenu compte de cette note (art. 157 CPC).

Selon le Tribunal, il ne pouvait pas non plus être tenu compte des rapports de H______ des 10 juin 2021 et 20 janvier 2022, dont la teneur était contestée par I______ et l'appelante, dans la mesure où H______ n'avait pas été entendu au sujet de ces rapports et que ceux-ci, en tant qu'expertises privées, avaient la valeur de simples allégués.

L'intimé fait grief au premier juge d'avoir écarté de la procédure la note et les rapports précités au motif de leur tardiveté. Ce grief, quoi que fondé sur le principe, est dénué de portée. Même s'il a formellement écarté ces éléments de la procédure, ce qui a fait l'objet du chiffre 1 du dispositif de son jugement, le Tribunal ne l'a pas fait au motif que ceux-ci auraient été irrecevables, mais, dans le cadre de son appréciation des preuves, parce qu'il leur a dénié toute force probante. Il a d'ailleurs intégré les éléments en question dans son état de fait, sans que cela n'influence la motivation de sa décision. Tel sera également le cas devant la Cour. Le chiffre 1 du dispositif du jugement entrepris sera annulé, comme le sollicite l'intimé, ce qui n'aura toutefois aucune incidence sur l'issue du litige.

3.2.2 Le Tribunal a considéré qu'il ne se justifiait pas d'écarter les pièces produites par l'appelante dans ses plaidoiries finales (attestations de rentes versées pour les années 2016 à 2021 et échelles salariales du personnel de l'[organisation] P______ de 2016, 2017, 2019 et 2021). Elles l'avaient été avec ses conclusions actualisées sur la question de sa perte de gain, de sorte qu'elles ne constituaient pas formellement des pièces nouvelles, mais une actualisation des pièces déjà produites.

L'intimé et les autres intimés soutiennent que les pièces en question, relatives aux années 2016 à 2022 et produites le 25 février 2022, auraient – pour la plupart – pu être produites des années auparavant, de sorte que leur production était tardive.

Ce grief n'est pas fondé. Le dommage dont l'appelante demande la réparation comprend notamment la perte de gain qu'elle a subie du jour de l'intervention
(3 mai 2006) jusqu'à la date de reddition du jugement de première instance
(1er octobre 2022; cf. infra, consid. 10.1.1). Lorsqu'elle a déposé sa demande, en 2015, l'appelante a été en mesure de fournir les éléments permettant de déterminer le montant de son dommage jusqu'à cette date et de chiffrer ses prétentions y relatives, au moyen notamment des échelles de traitement évolutives de son ancien employeur et du montant variable des rentes qu'elle avait perçues. Elle n'a toutefois pas été capable d'y procéder pour ce qui était de la période postérieure à 2015, les informations précitées n'étant pas encore disponibles. Dans ces circonstances spécifiques d'un dommage évolutif, l'on ne pouvait exiger de l'appelante, sans faire preuve de formalisme excessif et compliquer de façon disproportionnée la procédure, qu'elle formule des prétentions nouvelles et fournisse les éléments nouveaux y relatifs tous les trente jours ou même seulement chaque année, alors que la procédure a duré environ sept ans. Cela d'autant moins que les bases du calcul de ses prétentions et le type de pièces fondant ledit calcul étaient déjà connus et restaient inchangés, la nouveauté résidant uniquement dans une actualisation, comme l'a relevé à juste titre le Tribunal. Le fait, pour l'appelante, d'avoir concentré dite actualisation au "dernier moment possible", soit à celui des plaidoiries finales écrites, n'a ainsi pas empêché les autres parties de se déterminer en toute connaissance de cause sur ses prétentions et les pièces y relatives, sans compter qu'elles se sont en tout état déterminées spontanément à la suite desdites plaidoiries.

3.2.3 Les attestations de prestations d'invalidité perçues en 2022 par l'appelante produites par celle-ci devant la Cour correspondent à de vrais nova. Elles concernent des faits qui se sont produits après la clôture des débats principaux de première instance. Ces pièces sont donc recevables, tout comme les faits qu'elles comportent.

Le taux de change mensuel moyen officiel suisse valable pour décembre 2022 est un fait notoire, de sorte que la pièce y relative produite par l'appelante devant la Cour est recevable, de même que les faits qu'elle contient.

4. L'intimé et les autres intimés soutiennent que les prétentions de l'appelante seraient prescrites en tant qu'elles portent sur des montants plus élevés que ceux réclamés dans sa demande introduite devant le Tribunal le 16 novembre 2015. Selon eux, le délai de prescription absolu de dix ans extracontractuel (art. 60 al. 1 aCO), tout comme celui contractuel (art. 127 et 130 CO cum art. 394 ss CO), serait arrivé à échéance le 3 mai 2016, l'intervention médicale litigieuse ayant été effectuée le
3 mai 2006. L'intimé et les autres intimés font valoir que ces délais commenceraient à courir, pour ce qui est du premier, à compter du jour où le fait dommageable s'est produit et, s'agissant du second, dès la violation du contrat.

4.1 Sur le plan civil, le patient qui a conclu un contrat de mandat avec un médecin et qui est lésé par les actes de celui-ci dispose d'un concours objectif d'actions : il peut invoquer la responsabilité contractuelle des art. 398 et 97 ss CO, pour violation d'une obligation contractuelle, soumise au délai de prescription de dix ans de l'art. 127 CO, et/ou la responsabilité délictuelle des art. 41 ss CO, pour violation d'un devoir général, comme l'atteinte illicite à son intégrité corporelle, soumise au délai de prescription relatif de trois ans (art. 60 al. 1 CO; en l'espèce, le délai est d'un an selon la teneur de cette disposition en vigueur jusqu'au 31 décembre 2019), sous réserve du délai de prescription de l'action pénale de plus longue durée (art. 60 al. 2 CO). Le créancier lésé peut choisir d'invoquer l'une ou l'autre des responsabilités, mais aussi concurremment les deux (ATF 148 III 401 consid. 3.1).

4.1.1 Selon l'ancien art. 60 al. 1 CO, dans sa teneur en vigueur avant la révision du droit de la prescription intervenue le 1er janvier 2020 (s'agissant du droit transitoire, cf. l'art. 49 Tit. fin. CC, particulièrement l'al. 1 de cette disposition, selon lequel le nouveau droit, lorsqu'il prévoit des délais plus longs, ne s'applique pas aux délais déjà échus en vertu de l'ancien droit), l'action en dommages-intérêts ou en paiement d'une somme d'argent à titre de réparation morale se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne qui en est l'auteur, et, dans tous les cas, par dix ans dès le jour où le fait dommageable s'est produit.

4.1.2 Selon l'art. 127 CO, toutes les actions se prescrivent par dix ans lorsque le droit civil fédéral n'en dispose pas autrement. La prescription décennale s'applique à l'action en dommages-intérêts fondée sur la violation d'un contrat (ATF 77 II 243; Pichonnaz, CR CO I, 2021, n. 21b ad art. 127 CO). Elle court dès la violation du contrat, et non pas dès la survenance du dommage ou sa connaissance, même si le dommage apparaît après l'expiration du délai de prescription (ATF 143 III 348 consid. 5.2 et 5.3; 137 III 16 consid. 2).

4.1.3 La prescription court dès que la créance est devenue exigible (art. 130 al. 1 CO). Elle est interrompue notamment lorsque le créancier fait valoir ses droits par une requête de conciliation ou par une action (art. 135 ch. 2 CO).

Pour interrompre la prescription, il faut que l'acte interruptif soit recevable, notamment qu'il soit adressé à un tribunal compétent pour en connaître. Il faut encore que la créance invoquée soit individualisée par son fondement (complexe de faits) et que son montant soit chiffré, à moins que l'action en paiement non chiffrée soit admissible en vertu de l'art. 85 CPC. Aussi le créancier a-t-il toujours intérêt à interrompre la prescription pour le montant le plus élevé pouvant entrer en ligne de compte. De son côté, le débiteur a un intérêt à connaître la cause de la créance invoquée par le créancier et le montant pour lequel celui-ci le recherche
(ATF 148 III 401 consid. 3.3.1).

Dans l'hypothèse où le lésé doit interrompre la prescription à un moment où l'ampleur de son préjudice ne peut pas encore être établie, il doit soit interrompre la prescription pour le montant le plus élevé pouvant entrer en ligne de compte, soit accomplir un acte interruptif ne nécessitant pas l'indication d'un montant déterminé, tel que l'action en paiement non chiffrée (art. 42 al. 2 CO et 85 CPC) ou l'action en constatation du fondement juridique de la prétention litigieuse, qui interrompent la prescription pour la totalité de la créance (ATF 133 III 675 consid. 2.3.2; 119 II 468 consid. 2c; 119 II 339 consid. 1c/aa; Pichonnaz, op. cit., n. 27 ad art. 135 CO).

4.1.4 L'art. 85 CPC prévoit que si le demandeur est dans l'impossibilité d'articuler d'entrée de cause le montant de sa prétention ou si cette indication ne peut être exigée d'emblée, il peut intenter une action non chiffrée. Il doit cependant indiquer une valeur minimale comme valeur litigieuse provisoire (al. 1). Une fois les preuves administrées ou les informations requises fournies par le défendeur, il doit chiffrer sa demande dès qu'il est en état de le faire. La compétence du tribunal saisi est maintenue, même si la valeur litigieuse dépasse sa compétence (al. 2).

Dans deux arrêts récents, le Tribunal fédéral a jugé que, lorsque la partie demanderesse a bénéficié de l'exception de l'art. 85 al. 1 CPC parce qu'elle nécessitait que des preuves soient administrées pour pouvoir chiffrer sa demande, il faut comprendre par "dès qu'il est en état de le faire" la première occasion procédurale qui suit directement la phase d'administration des preuves, à savoir les plaidoiries finales (ATF 149 III 405 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_108/2023 du 20 septembre 2023 consid. 5.2.1).

4.2 En l'espèce, par acte d'ouverture d'action du 16 novembre 2015, l'appelante a fait valoir ses prétentions chiffrées relatives à son dommage passé, qui était intervenu jusque-là, à savoir jusqu'au 1er novembre 2015. Elle a également fait valoir des prétentions chiffrées en lien avec son dommage futur à compter de cette date, en se basant sur les éléments connus à ce stade. Par ailleurs, en sollicitant, dans sa demande du 16 novembre 2015, que ces sommes soient "réévalu[ées] au jour du jugement en suivant les bases de calcul développées dans la demande et ses annexes", elle a fait valoir des prétentions complémentaires, non encore chiffrées, faute de connaître les éléments nécessaires à avancer des montants déterminés. Cette action en paiement non chiffrée portait sur les prétentions complémentaires qu'elle a articulées par la suite, dans le cadre de ses plaidoiries finales écrites du 25 février 2022, avec des montants déterminés plus élevés à titre de dommage passé, jusqu'au 1er juin 2022, et de dommage futur.

Au vu de ce qui précède, la demande du 16 novembre 2015 portait sur l'ensemble des prétentions élevées par l'appelante ensuite de l'intervention du 3 mai 2006, de sorte que la prescription a été interrompue pour la totalité des montants visés par les conclusions qu'elle a formulées de façon recevable dans ses plaidoiries finales écrites du 25 février 2022, puis actualisées de façon recevable devant la Cour.

Le grief de l'intimé et des autres intimés se révèle par conséquent mal fondé.

5. L'intimé fait valoir que les explications données par les experts judiciaires pour arriver à la conclusion que les lésions dont souffre l'appelante auraient été causées par une embolie gazeuse seraient contradictoires, lacunaires et arbitraires. Selon lui, le premier juge aurait donc dû s'écarter de cette conclusion. A titre subsidiaire, il sollicite qu'une nouvelle expertise soit ordonnée, limitée à la question de déterminer quelle a été la cause des lésions cérébrales (embolie gazeuse ou autre/s cause/s).

5.1 Le tribunal peut faire compléter ou expliquer un rapport d'expertise lacunaire, peu clair ou insuffisamment motivé, ou faire appel à un autre expert (art. 188 al. 2 CPC). L'instance d'appel peut ordonner des débats et administrer les preuves
(art. 316 CPC).

Même s'il apprécie librement les preuves et qu'il n'est en principe pas lié par les conclusions de l'expert, le juge ne saurait, sans motifs sérieux, substituer son opinion à celle de celui-ci. On admet de tels motifs sérieux lorsque l'expertise contient des contradictions, lorsque des circonstances bien établies viennent en ébranler la crédibilité, qu'une détermination ultérieure de son auteur vient la démentir sur des points importants, lorsqu'elle contient des constatations factuelles erronées ou des lacunes, voire lorsqu'elle se fonde sur des pièces dont le juge apprécie autrement la valeur probante ou la portée (ATF 129 I 49 consid. 4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_223/2012 du 13 juillet 2012 consid. 5.3.2 et 4A_204/2010 du 29 juin 2010 consid. 3.1.1). En l'absence de tels motifs, le juge s'expose au reproche d'arbitraire s'il écarte de l'expertise judiciaire (ATF 110 Ib 52 consid. 2; 101 IV 129 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 5A_485/2012 du 11 septembre 2012 consid. 4.1).

Le juge doit vérifier si, au vu des autres preuves et des allégués des parties, des objections sérieuses s'imposent sur la cohérence des explications de l'expert. Si la cohérence d'une expertise lui paraît douteuse sur des points décisifs, il doit au besoin administrer des preuves complémentaires pour lever ces doutes. Il dispose d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 136 II 539 consid. 3.2; 132 II 257 consid. 4.4.1; 133 II 384 consid. 4.2.3, JT 2008 I 451; 130 I 337 consid. 5.4.2,
JT 2005 I 95; 128 I 81 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_202/2014 du 18 février 2015 consid. 4.1; 4A_696/2012 du 19 février 2013 consid. 4.1; 4A_204/2010 du 29 juin 2010 consid. 3.1.1). Une contre-expertise ne saurait être ordonnée au seul motif qu'une partie critique l'opinion de l'expert ou d'une divergence entre la solution de l'expert privé et celle de l'expert judiciaire (Bettex, L'expertise judiciaire, 2006, p. 190). Les expertises privées ont valeur d'allégués de la partie qui les produit (ATF 141 III 433 consid. 2.6, SJ 2016 I 162). L'avis des spécialistes mandatés par les parties pourra parfois "ébranler" la conviction du juge quant à l'exactitude du rapport établi par l'expert judiciaire et il pourra y être fait référence pour s'écarter de celui-ci (SJ 1952 p. 409; Bertossa/Gaillard/Guyet, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, 2002, n. 2 ad art. 255).

5.2 En l'espèce, se fondant sur l'expertise judiciaire, le Tribunal a retenu que la cause des lésions subies par l'appelante était une embolie gazeuse et non une hypotension artérielle, une hypoxie généralisée ou une autre cause. Les experts étaient arrivés à cette conclusion sur la base des territoires du cerveau qui avaient été atteints selon les images des CT-scans. S______ était arrivé à la même conclusion dans son rapport du 16 juin 2006 établi à la demande de F______ SA; il avait conclu que la description des lésions mises en évidence par le CT-scan n'était pas pathognomonique de lésions liées à une hypoperfusion, mais "parlait" clairement pour un phénomène d'origine embolique. H______ était lui aussi arrivé à une conclusion identique dans son premier rapport du 10 août 2016 établi à la demande de l'intimé; il avait relevé que la survenue d'embolies gazeuses était probable; il avait ajouté qu'il était souvent possible de visualiser des traces d'air dans le contexte d'une embolie cérébrale massive, mais que cette observation n'était cependant pas indispensable, même si la présence d'air aurait été vraisemblable compte tenu de l'importance des lésions. Ce n'était que dans un second temps, suite à la requête du conseil de l'intimé, que H______ avait indiqué le 22 août 2016, après avoir examiné les CT-scans, que ceux-ci plaidaient davantage pour une atteinte ischémique que pour une embolie gazeuse. En outre, contrairement à ce que soutenait l'intimé, les articles scientifiques cités par celui-ci n'étaient pas affirmatifs sur le fait qu'en cas d'embolie gazeuse, des bulles d'air auraient nécessairement dû être observées sur les CT-scans effectués. Ces articles ne faisaient que mentionner que, dans les cas particuliers examinés, des bulles d'air avaient été identifiées.

5.3 L'intimé soutient que l'expertise judiciaire aurait été "bâclée".

5.3.1 En premier lieu, l'intimé fait valoir, d'une part, que les experts judiciaires avaient affirmé "ne pas avoir trouvé les chiffres concernant la diurèse" qui figuraient normalement dans le protocole d'anesthésie, alors que ledit protocole en faisait état, ce que S______ et le Tribunal avaient d'ailleurs constaté. D'autre part, alors qu'ils admettaient l'importance de ces valeurs ("signe que les organes fonctionnent"), les experts judiciaires, pour justifier le fait que l'hypotension constatée n'avait pas joué un rôle "catastrophique" dans la survenance des lésions, avaient tenu pour acquises les valeurs communiquées par I______ à S______ plusieurs semaines après l'intervention. Selon l'intimé, compte tenu des valeurs de tension artérielle extrêmement basses, si de surcroît les valeurs de diurèse étaient inférieures à la norme, cela signifiait que le cerveau était atteint avant que les prétendues bulles d'air n'y pénètrent, prétendument lors du déclampage de l'aorte. Le Tribunal, qui avait pourtant retenu à juste titre que les valeurs relatives à la diurèse étaient lacunaires, aurait dû de ce fait ordonner une nouvelle expertise pour déterminer les causes des lésions.

Cette critique est développée en vain. D'une part, les experts judiciaires ont constaté avec raison que les données relatives à la diurèse ne figuraient pas dans le protocole d'anesthésie et qu'ils ne pouvaient donc se fier qu'aux explications fournies par I______ à S______. Seul le chiffre mesuré en fin d'intervention était retranscrit dans ledit protocole et non ceux avant et après la CEC, ce qu'a du reste relevé H______ dans l'un de ses rapports établis à la demande de l'intimé. Le Tribunal a également constaté, à juste titre selon l'intimé, que le protocole d'anesthésie était lacunaire s'agissant de la diurèse. D'autre part, les experts judiciaires ne se sont pas basés sur les dires de I______ pour justifier le fait que l'hypotension constatée n'avait pas joué un rôle "catastrophique". C'est indépendamment des valeurs de diurèse qu'ils ont conclu que les lésions avaient pour cause un cumul entre des embolies gazeuses et l'hypotension, sans qu'ils ne puissent déterminer dans quelles proportions ces deux facteurs avaient joué un rôle. S______ a abouti à la même conclusion, indépendamment des valeurs de diurèse. Tel a été le cas également de H______ dans son rapport du 10 août 2016. La thèse de l'intimé, selon laquelle des valeurs de diurèse inférieures à la norme (lors de l'intervention) signifieraient que le cerveau était atteint avant que d'éventuelles bulles d'air n'y pénètrent lors du déclampage de l'aorte, ne trouve ainsi de fondement ni dans l'expertise judiciaire ni dans les rapports d'expertise privée précités.

5.3.2 En deuxième lieu, l'intimé fait valoir en vain que le Tribunal ne pouvait se fonder sur la conclusion de l'expertise judiciaire selon laquelle les lésions avaient été causées par une embolie gazeuse, dans la mesure où les experts judiciaires avaient qualifié cette cause à une reprise de "possible", à deux reprises de "vraisemblable" et uniquement à une reprise de "hautement vraisemblable". Aucun doute sérieux ne ressort du rapport d'expertise judiciaire quant à la cause des lésions. Le fait que dans le cadre d'autres questions posées aux experts (comme la nécessité d'une transfusion sanguine; cf. supra, En fait, let. C.h.i), ceux-ci ont répondu en utilisant les termes "possible" et "vraisemblable" n'y change rien. A la question spécifique de la cause des lésions, les experts judicaires ont affirmé sans équivoque qu'il s'agissait de façon "hautement vraisemblable" d'embolies gazeuses (cf. supra, En fait, let. C.h.a).

5.3.3 En troisième lieu, l'intimé soutient sans succès que le Tribunal, pour confirmer la conclusion des experts judiciaires selon laquelle les lésions avaient été causées par une embolie gazeuse, se serait fondé à tort sur le rapport de S______. Il est vrai que ce médecin a affirmé que les images du CT-scan "parlaient clairement" pour une embolie, mais sans mentionner le caractère gazeux de l'embolie. Il est vrai également que lors de son audition devant le premier juge, il a précisé que les images ne permettaient pas de déterminer de quel type d'embolie il s'agissait. Cela étant, aucun autre type d'embolie, mis-à-part l'embolie gazeuse, n'a été envisagé dans le cas d'espèce par les experts judiciaires ou privés et l'intimé n'avance d'ailleurs aucune hypothèse à cet égard (pour les différents types d'embolie, cf. supra, En fait, let. C.e.c). Il s'ensuit que seule une embolie de type gazeuse est susceptible d'entrer en considération in casu, même si la preuve ne peut en être apportée par les images du CT-scan. Par ailleurs, le fait que S______ serait parti d'une prémisse erronée quant à la cause de l'embolie gazeuse (entrée d'air lors du désamorçage de la CEC plutôt que lors du déclampage de l'aorte) ne remet pas en question l'exactitude de sa conclusion quant à la survenance de dite embolie. En tout état, ce praticien a envisagé les deux hypothèses (lésion veineuse ou passage d'air par le FOP; cf. supra, En fait, let. C.e.c, 3ème §).

5.3.4 En quatrième lieu, l'intimé soutient que le Tribunal aurait à tort tiré du premier rapport de H______ (daté du 10 août 2016), l'expert privé auquel il avait fait appel, une confirmation de la conclusion des experts judiciaires selon laquelle une embolie gazeuse était à l'origine des lésions. Ce grief n'est pas convaincant non plus. Le courrier de cet expert privé du 22 août 2016 et les déclarations de celui-ci devant le Tribunal, dont se prévaut l'intimé, viennent certes contredire son premier rapport. Cela étant, cette opinion contraire n'est pas développée, ni documentée. De plus, la raison de ce revirement n'est pas exposée, sous réserve du fait que l'expert aurait eu accès aux images des CT-scans dans ce second temps, alors que dans le cadre de son premier rapport, il aurait dû se contenter de leur transcription manuscrite. Or, l'intéressé n'expose pas quels éléments nouveaux découleraient des images susceptibles de fonder une conclusion différente quant à la cause des lésions.

5.3.5 En cinquième lieu, l'intimé fait valoir que, pour étayer leur conclusion de la survenance d'une embolie gazeuse, alors que le CT-scan effectué cinq heures après l'intervention ne montrait aucune bulle de gaz, les experts judiciaires avaient exposé que les bulles se dissolvaient après "quelques minutes à [quelques] heures" et qu'elles avaient donc pu se dissoudre avant l'examen. Or, selon l'intimé, aucune documentation à cet égard n'était fournie et les experts judiciaires ne s'étaient même pas posé la question du temps écoulé entre la prétendue entrée des bulles dans le circuit sanguin et le CT-scan effectué. Dans ces circonstances, le Tribunal aurait considéré à tort que les articles scientifiques qu'il avait produits (dont il ressortirait que les bulles d'air étaient visibles 30 à 48 heures après leur entrée) ne seraient que des cas particuliers et que la règle aurait été le laps de temps considéré par les experts judiciaires, alors que de l'aveu de ceux-ci il n'existait que très peu d'études à ce sujet et qu'ils n'en produisaient aucune. De surcroît, le Tribunal n'aurait pas tenu compte des déclarations de H______, selon lesquelles dans 90% des cas, lors de lésions très importantes, l'on pouvait constater des bulles d'air dans le CT-scan effectué dans les premières 24 heures.

Ce grief n'est pas fondé. Les experts judiciaires ont exposé de façon convaincante comment la localisation des lésions cérébrales et leur aspect sur les images d'un scanner permettaient de déterminer l'origine de celles-ci. L'intimé ne remet d'ailleurs pas en cause ces explications, ni ne fournit aucun élément susceptible de faire douter de leur exactitude.

L'intimé tente d'exclure la conclusion à laquelle les experts judiciaires ont abouti sur cette base, en se prévalant de l'absence de bulles de gaz encore visibles sur les images du CT-scan plusieurs heures après l'intervention. Or si, à l'évidence, la présence de bulles de gaz dans le cerveau est de nature à confirmer la survenue d'une embolie gazeuse, leur défaut après plusieurs heures n'est pas un indice décisif permettant de l'exclure.

D'ailleurs, selon le premier rapport de H______, l'expert privé mandaté par l'intimé, il était souvent possible de visualiser des traces d'air dans le contexte d'une embolie cérébrale massive, mais cette observation n'était pas indispensable. Devant le Tribunal, ce praticien a certes déclaré que la présence d'air était constatée dans 90% des cas. L'intimé n'a toutefois pas été en mesure de produire un élément susceptible de corroborer cette affirmation différente de la première. Comme l'a retenu le Tribunal, les deux articles scientifiques de 1987 et 1988 auxquels l'intimé se réfère ne lui sont d'aucun secours. D'une part, il n'en ressort aucune conclusion générale quant à la pertinence de la constatation de bulles d'air sur les images pour déterminer la cause des lésions. Il en découle uniquement que dans quelques cas isolés – différents en outre du cas d'espèce – des bulles d'air ont été constatées 30 à 48 heures après l'incident initial. D'autre part, le fait que pour toute documentation l'intimé n'ait pu produire que ces deux articles de 1987 et 1988, dont l'un concerne une patiente décédée au moment de la prise des images, plaide contre sa thèse selon laquelle les experts judiciaires auraient fait preuve de légèreté dans l'exécution de leur mission. Il n'a pas non plus été en mesure de fournir des études scientifiques permettant de considérer que l'absence de bulles d'air visibles dans le cerveau plusieurs heures après une opération à cœur ouvert serait un élément décisif sur lequel il conviendrait de s'attarder.

5.3.6 Dans un sixième grief, l'intimé reproche sans succès aux experts judiciaires de ne pas avoir décelé l'erreur que présentait le protocole d'anesthésie dans la mention du nombre de "carrés" de 5 minutes contenus entre 12h00 et 12h30 (trois au lieu de six). Ce n'est pas parce que les experts judiciaires n'ont pas estimé nécessaire de relever cette erreur dans leur rapport – sans doute parce qu'aucune conclusion n'avait à en être tirée – qu'ils ne l'ont pas décelée. En tout état, l'intimé n'expose pas en quoi cette mention incorrecte de l'anesthésiste aurait joué un rôle dans la survenance des lésions, ni en quoi le fait pour les experts judiciaires d'avoir décelé ou non cette erreur aurait eu un impact sur leurs conclusions.

5.3.7 Dans un septième moyen, l'intimé fait valoir que l'expertise judiciaire serait lacunaire sur les conséquences pour le cerveau du cumul de l'hypovolémie, l'hypotension et l'hémodilution dont aurait souffert l'appelante. Les experts judiciaires auraient de surcroît exprimé des conclusions contradictoires à cet égard. Dans leur rapport, ils auraient exposé que l'hypotension ne laissait pas de séquelle sur le cerveau, lequel se protégeait toutefois moins bien en cas d'agression par des bulles d'air. Ils auraient également affirmé que l'hémodilution n'avait pas joué de rôle dans la survenance des lésions. En audience devant le Tribunal, ils auraient déclaré, en contradiction avec leur rapport, que l'hypotension prise individuellement n'engendrait pas de conséquence, étant précisé que l'appelante était anémique (pour une définition de l'anémie, cf. supra, En fait, let. C.b.b), ce qui, couplé à une hypotension, pouvait néanmoins avoir des conséquences dommageables sur le cerveau. Selon l'intimé, les experts judiciaires auraient ainsi admis en audience que ce cumul de déficits "pouvait très bien" expliquer les lésions, sans qu'il n'y ait eu d'embolie gazeuse, alors qu'ils avaient affirmé le contraire dans leur rapport.

Il ne sera pas entré en matière sur la question de l'hypovolémie, la critique de l'intimé n'étant pas motivée sur ce point. Pour ce qui est des deux autres déficits, l'on ne décèle pas de contradiction dans les explications des experts judiciaires. Il ressort clairement de leur rapport et de leurs déclarations en audience que ni l'hypotension ni l'hémodilution n'ont pu à elles seules – que ce soit prises séparément ou cumulativement – causer les lésions constatées. Dans l'expertise judiciaire, il est spécifié que le faible taux d'hémoglobine n'a pas joué de rôle dans la survenance des lésions et que l'hypotension a pu aggraver les lésions, dans la mesure où elle pouvait avoir pour effet une moins bonne protection du cerveau en cas d'agression par des bulles d'air. Cette éventuelle moins bonne protection du cerveau, causée par l'hypotension, pouvait quant à elle être aggravée lorsque celle-ci était couplée avec une hémodilution. C'est dans ce sens que les experts judiciaires ont déclaré en audience que ce cumul pouvait avoir des conséquences sur le cerveau. L'intimé ne saurait donc être suivi lorsqu'il soutient que ceux-ci auraient admis devant le Tribunal que ce cumul de déficits aurait pu, à lui seul, causer les lésions constatées (i.e. sans aucune agression sur le cerveau par des bulles d'air). D'ailleurs, selon S______ dans ses rapports de 2006 et 2007, il était impossible d'attribuer les lésions subies exclusivement à l'hypotension et à l'anémie, ces deux facteurs ayant joué un rôle aggravant, comme l'a relevé également H______ dans son rapport du 10 juin 2021.

Pour ce qui est de la question de savoir s'il fallait corriger l'hypovolémie avant ou après l'administration de noradrénaline, l'intimé tente sans succès de mettre en évidence une contradiction entre deux phrases prononcées par l'experte AG_____ lors de son audition du 15 décembre 2021 (cf. supra, En fait, let. C.i). En effet, aucune contradiction manifeste ne ressort desdits propos, la question n'est pas déterminante et même s'il fallait suivre l'intimé sur ce point, cela ne justifierait pas de remettre en question la cohérence de l'expertise judiciaire dans son ensemble.

5.3.8 Dans un huitième grief, l'intimé soutient que l'avis des experts judiciaires, selon lequel la prise en charge de l'appelante ne nécessitait pas de précautions particulières sur le plan anesthésique, serait erroné. Selon lui, des filtres adéquats auraient dû être posés en début d'anesthésie, comme l'affirmait H______ dans son rapport du 10 juin 2021. Cet avis contraire d'un expert privé – qui ne fait pas état d'une obligation ou d'une recommandation, et qui n'est de surcroît pas documenté – ne saurait suffire à remettre en doute celui des experts judicaires. Cela d'autant moins que ceux-ci, interpellés en audience à ce sujet, ont spécifié qu'il n'y avait pas de filtres particuliers à installer par l'anesthésiste dans le cadre de l'opération d'un FOP.

5.3.9 En dernier lieu, l'intimé fait valoir que I______ se serait absenté de la salle d'opération à la fin de l'intervention, ainsi que cela ressortait de la note de G______, avec pour conséquence que l'appelante n'aurait pas bénéficié d'une transfusion sanguine pourtant nécessaire. Il reproche au Tribunal d'avoir retenu que cette absence de l'anesthésiste n'aurait pas été démontrée. Cela étant, l'intimé relève lui-même que le rapport d'expertise judiciaire, se référant à la note précitée, tenait cette absence pour acquise. L'on ne discerne donc pas en quoi la question de l'absence de I______ serait d'un quelconque secours à l'intimé en lien avec son grief selon lequel dite expertise aurait été "bâclée" et qu'il conviendrait d'en ordonner une autre. Par ailleurs, s'agissant de la nécessité d'une transfusion sanguine, les experts judiciaires ont spécifié qu'une hémoglobine basse n'avait pas joué de rôle dans la survenance des lésions subies par l'appelante; quoi qu'il en soit, une transfusion sanguine a bien été effectuée en fin de CEC (cf. supra, En fait, let. C.c.c).

5.4 Au vu de ce qui précède, il ne se justifie pas d'ordonner une seconde expertise limitée à la question de savoir si les lésions constatées ont été causées par des embolies gazeuses ou par une autre cause. Les experts judiciaires y ont apporté une réponse complète, précise et convaincante, de sorte que le Tribunal n'avait aucune raison de s'en écarter.

6. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir mal constaté les faits sur deux aspects de sa perte de gain passée, actuelle et future (déductions à opérer sur son salaire hypothétique et progression de celui-ci). Ce grief sera examiné dans le cadre du considérant relatif au calcul du dommage (cf. infra, consid. 10.2.3 et ss).

7. L'intimé soutient que même si l'appelante avait été victime d'une embolie gazeuse, aucune violation des règles de l'art ne pourrait lui être reprochée, comme les experts judiciaires l'avaient d'ailleurs eux-mêmes relevé.

Les autres intimés font grief au Tribunal d'avoir considéré, contrairement à l'avis des experts judiciaires, que I______ avait violé les règles de l'art médical. L'hypotension qui s'était manifestée durant l'opération avait été corrigée à l'aide des moyens usuels utilisés en 2006. Les complications qui s'étaient produites lors de l'intervention du 3 mai 2006, notamment l'embolie gazeuse et l'hypotension, faisaient partie du risque opératoire.

7.1
7.1.1
Lorsque les parties sont liées par un contrat de mandat, l'art. 398 al. 2 CO rend le mandataire responsable envers le mandant de la bonne et fidèle exécution du mandat. L'alinéa 1 de cette disposition renvoie aux règles régissant la responsabilité du travailleur dans les rapports de travail, soit à l'art. 321e CO. Cette disposition prévoit que le travailleur est responsable du dommage qu'il cause à l'employeur intentionnellement ou par négligence (al. 1) et elle détermine la mesure de la diligence requise (al. 2; ATF 133 III 121 consid. 3.1).

Pour que la responsabilité du médecin soit engagée, il faut que l'on puisse reprocher à ce dernier un manquement – qui peut résulter soit d'une violation des règles de l'art, soit de l'absence d'un consentement éclairé du patient – qu'il existe un dommage, une relation de causalité naturelle et adéquate entre le manquement et le dommage et enfin une faute, qui est présumée (ATF 133 III 121 consid. 3.1).

7.1.2 En sa qualité de mandataire, le médecin répond de la bonne et fidèle exécution du mandat. Si le propre de l'art médical consiste, pour le médecin, à obtenir le résultat escompté grâce à ses connaissances et à ses capacités, cela n'implique pas pour autant qu'il doive atteindre ce résultat ou même le garantir, car le résultat en tant que tel ne fait pas partie de ses obligations. L'étendue du devoir de diligence qui incombe au médecin se détermine selon des critères objectifs. Les exigences qui doivent être posées à cet égard ne peuvent pas être fixées une fois pour toutes; elles dépendent des particularités de chaque cas, telles que la nature de l'intervention ou du traitement et les risques qu'ils comportent, la marge d'appréciation, le temps et les moyens disponibles, la formation et les capacités du médecin. La violation, par celui-ci, de son devoir de diligence – communément, mais improprement, appelée "faute professionnelle" – constitue, du point de vue juridique, une inexécution ou une mauvaise exécution de son obligation de mandataire et correspond ainsi, au plan contractuel, à la notion d'illicéité propre à la responsabilité délictuelle. Si elle occasionne un dommage au mandant et qu'elle se double d'une faute du médecin, le patient pourra obtenir des dommages-intérêts (art. 97 al. 1 CO). Comme n'importe quel autre mandataire, en particulier l'avocat (ATF 117 II 563 consid. 2a), le médecin répond en principe de toute faute; sa responsabilité n'est pas limitée aux seules fautes graves (ATF 115 Ib 175 consid. 2b; ATF 113 II 429 consid. 3a). Lorsqu'une violation des règles de l'art est établie, il appartient au médecin de prouver qu'il n'a pas commis de faute (art. 97 al. 1 CO; ATF 133 III 121 consid. 3.1).

Le comportement du médecin est illicite lorsqu'il enfreint une injonction ou une interdiction écrite ou non écrite de l'ordre juridique destinée à protéger le bien en cause, en particulier lorsqu'il viole les règles de l'art médical (ATF 113 Ib 420 consid. 2). Les règles de l'art médical constituent des principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens (ATF 108 II 59 consid. 1; 64 II 200 consid. 4a).

Le médecin viole son devoir de diligence lorsqu'il pose un diagnostic ou choisit une thérapie ou une autre méthode qui, selon l'état général des connaissances professionnelles, n'apparaît plus défendable et ne satisfait pas aux exigences objectives de l'art médical (ATF 134 IV 175 consid. 3.2; 130 IV 7 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1287/2018 du 11 mars 2019).

7.1.3 Il appartient au lésé d'établir la violation des règles de l'art médical
(ATF 120 Ib 411 consid. 4 in fine; 115 Ib 175 consid. 2b). Sous l'angle du fardeau de la preuve, il a été jugé qu'une atteinte à la santé causée par un traitement médical diffère du cas d'un traitement médical qui n'a pas eu l'effet thérapeutique attendu. Lorsqu'il est prévisible qu'un traitement pourrait avoir des effets négatifs, le médecin doit tout faire pour y parer. Si ces effets négatifs se produisent, il y a présomption de fait que les mesures nécessaires n'ont pas toutes été prises et, dès lors, présomption d'une violation objective du devoir de diligence. Cette présomption facilite la preuve d'une telle violation, mais ne renverse pas le fardeau de la preuve (ATF 120 II 248 consid. 2c et les références citées). Il a cependant été précisé ultérieurement que cette jurisprudence, en tant qu'elle admettait l'existence d'une telle présomption, devait être relativisée, en ce sens qu'elle visait spécifiquement le traitement dont il était question dans l'arrêt précité et qu'elle ne pouvait, dès lors, pas être transposée à n'importe quel autre traitement (arrêt du Tribunal fédéral 4C.53/2000 du 13 juin 2000 consid. 2b; ATF 133 III 121 consid. 3.1).

Dans l'ATF 133 III 121 précité, le Tribunal fédéral a rappelé qu'il appartient au créancier d'une obligation de moyens ou de diligence de prouver le manquement à la diligence due par le débiteur. Le fait que le résultat escompté n'ait pas été obtenu n'implique pas encore une violation de cette obligation. Ainsi, de même que la perte d'un procès ne permet pas de présumer la faute de l'avocat, l'absence de guérison ne permet pas non plus de présumer la faute du médecin. En juger autrement reviendrait à conclure à une violation du contrat par le débiteur chaque fois que le créancier subit un dommage. Cependant, tel n'est pas le sens à donner à l'art. 97 al. 1 CO. Dans le même ordre d'idées, le Tribunal fédéral a souligné que toute nouvelle atteinte à la santé ne constitue pas en soi une violation du contrat, car les traitements et interventions médicaux comportent des risques inévitables quand bien même toute la diligence requise serait observée. Il appartient donc au patient d'établir que la lésion intervenue est due à une violation de l'obligation de diligence du médecin. La présomption de fait posée à l'ATF 120 II 248 ne change rien à la répartition du fardeau de la preuve. Ainsi, si la cour cantonale ne parvient pas à constater si la violation des règles de l'art médical imputée au médecin est avérée ou non, les règles régissant le fardeau de la preuve doivent la conduire à trancher en défaveur du patient (consid. 3.4 et les références citées).

7.1.4 Savoir si le médecin a violé son devoir de diligence est une question de droit; dire s'il existe une règle professionnelle communément admise, quel était l'état du patient et comment l'acte médical s'est déroulé relève du fait (ATF 133 III 121 consid. 3.1).

On ne peut soumettre à un expert que des questions de fait, non des questions de droit, dont la réponse incombe impérativement au juge, qui ne peut pas déléguer cet examen à un tiers. Il s'ensuit que celui-ci ne saurait se fonder sur l'opinion exprimée par un expert lorsqu'elle répond à une question de droit (ATF 132 II 257 consid. 4.4.1; 130 I 337 consid. 5.4.1 in JdT 2005 I 95; arrêts du Tribunal fédéral 5A_795/2013 du 27 février 2014 consid. 5.1.2; 5A_911/2012 du 14 février 2013 consid. 6.4.2).

7.2
7.2.1
En l'espèce, le Tribunal a considéré que la violation par I______ des règles de l'art médical était établie.

Il a retenu que l'appelante était restée hypotendue de manière prolongée. Or, la préoccupation de l'anesthésiste consistait à maintenir une pression artérielle suffisante qui garantissait une bonne viabilité des organes. Même si durant les années 2000, les anesthésistes partaient du principe que les cerveaux jeunes toléraient une pression basse, I______ n'avait pas fait preuve de suffisamment de vigilance dans le suivi de l'anesthésie. Certes, il n'était pas démontré que le précité se serait absenté de la salle d'opération et qu'il n'aurait plus été joignable durant l'intervention, comme l'avait allégué l'intimé. Cela étant, il ne s'était ni interrogé sur la cause de l'hypotension prolongée, ni n'avait cherché à comprendre pourquoi les mesures prises pour faire remonter la tension n'avaient pas fonctionné. Les experts avaient relevé que la surveillance anesthésique aurait pu être plus attentive. Ils avaient ajouté que ce qui était "choquant" en l'espèce était que la tension de l'appelante était à la limite inférieure dès le départ et que cela aurait dû alerter I______. Ils avaient rappelé qu'en cas d'hypotension réfractaire, comme dans le cas de l'appelante, il aurait fallu suspecter une inflammation généralisée et lui administrer des médicaments en continu afin de faire augmenter sa pression sanguine, ce qui n'avait pas été fait. I______ devait être d'autant plus vigilant qu'il devait savoir qu'une pression basse diminuait la protection du cerveau contre une agression sévère et qu'une telle agression ne pouvait pas être écartée en l'espèce, vu l'absence de TEE qui aurait permis de détecter d'éventuelles bulles d'air résiduelles. En outre, les mesures de diurèse mentionnées dans le protocole d'anesthésie étaient lacunaires et ne permettaient pas de déterminer si les organes de l'appelante étaient en souffrance durant l'anesthésie et si I______ les avait vérifiées.

7.2.2 Les autres intimés reprochent au Tribunal d'avoir omis de tenir compte du fait qu'il était usuel dans les années 2000 de tolérer une pression basse sur des cerveaux jeunes, que la patiente présentait déjà une pression basse en temps normal, que I______ ne pouvait pas prévoir la survenance d'une embolie gazeuse ni la détecter et qu'il avait, selon les experts, tenté de corriger la pression de la patiente qui demeurait basse, à l'aide de moyens adéquats au vu des standards de l'époque. En retenant qu'il avait manqué de vigilance sans indiquer quelles règles médicales auraient été violées, le Tribunal aurait évalué son comportement à l'aune des principes actuels et se serait à tort écarté des conclusions de l'expertise, selon lesquelles aucune violation des règles de l'art médical ne pouvait être retenue.

S'agissant de la survenance d'une embolie gazeuse, les autres intimés soutiennent que la réalisation par I______ d'une TEE n'aurait pas été obligatoire en 2006, qu'il n'aurait ainsi pas planifié cet examen et qu'il n'aurait pas été formé pour l'effectuer.

S'agissant des moyens utilisés pour remédier à l'hypotension, ils font encore valoir que les experts ont relevé que plusieurs écoles étaient conformes à l'art médical en 2006. Selon l'une d'elles, que I______ avait suivie, une hypotension dans le cas d'un cerveau jeune n'était pas alarmante et les médicaments pouvaient être administrés à petite dose de manière répétée, mais non en continu. Par ailleurs, la survenue d'un SIRS n'avait pas été constatée par les experts. Ainsi, selon les autres intimés, il n'y avait pas lieu d'administrer des médicaments de type amines en continu et/ou de façon plus importante que ne l'avait fait le précité.

Ces griefs tombent à faux. En l'occurrence, il ne s'agit pas de déterminer si I______ aurait dû administrer un traitement plutôt qu'un autre ou prendre une mesure plutôt qu'une autre, eu égard à leur caractère obligatoire ou non en 2006. Il s'agit bien plutôt de répondre à la question, différente, de savoir s'il a pris toutes les précautions en son pouvoir à l'époque pour parer à un risque qu'il devait connaître.

Or la réponse à cette question est négative.

Le médecin anesthésiste ne pouvait ignorer le risque d'embolie gazeuse inhérent à toute intervention cardiaque du type de celle dont l'appelante a fait l'objet. Les autres intimés admettent que ce risque médical était connu à l'époque. Le fait que I______ n'ait pas pu détecter sa réalisation durant l'opération n'y change rien, dans la mesure où il ne pouvait pas exclure sa survenance non plus.

De même, I______ ne pouvait ignorer le fait qu'en cas de pression basse, le cerveau était moins bien protégé pour faire face au risque d'embolie gazeuse. Par conséquent, c'est en vain que les autres intimés se prévalent du fait qu'en 2006 une pression basse était tolérée pour les cerveaux jeunes. Preuve en est d'ailleurs que I______ a tenté de faire remonter la pression de l'appelante. Dès lors qu'il n'avait pas obtenu un tel résultat, il aurait dû intensifier les mesures prises (doses de médicaments plus élevées et/ou en continu) jusqu'à y parvenir, qu'il suspecte ou non un SIRS et qu'un tel syndrome soit survenu ou non. Les autres intimés ne soutiennent du reste pas qu'en faisant usage des moyens à sa disposition – selon les règles de l'art médical en vigueur à l'époque – I______ se serait trouvé dans l'impossibilité de corriger ou de réguler la pression basse de l'appelante.

Par ailleurs, l'anesthésiste devait savoir qu'effectuer une TEE pour pallier le risque précité était recommandé à l'époque, de sorte qu'il aurait dû planifier cet examen, cela d'autant que la patiente souffrait d'une tension basse de façon chronique. La diligence requise ne saurait se limiter à ce qui est strictement obligatoire. Comme il a été exposé plus haut, la question à trancher n'est pas tant de savoir si le médecin a décidé du bon traitement entre plusieurs, mais surtout de déterminer s'il a pris toutes les précautions utiles (existantes) dans le cas concret. Les autres intimés invoquent en vain le fait que I______ n'aurait pas été formé pour pratiquer une TEE. En effet, il n'est fait référence à aucun moyen de preuve à cet égard dans l'acte d'appel du précité. En tout état, même s'il fallait admettre qu'il n'était pas formé pour pratiquer cet examen, l'anesthésiste aurait pu se faire assister d'une personne compétente pour y procéder.

Enfin, savoir si le médecin a violé son devoir de diligence est une question de droit qui ne relève pas de la compétence des experts judiciaires. C'est ainsi à tort que les autres intimés reprochent au Tribunal de s'être écarté de la conclusion de l'expertise pour ce qui est de la violation des règles de l'art médical. Au demeurant, les experts judiciaires n'ont pas conclu au défaut de violation des règles de l'art médical, mais au défaut de violation des règles de l'art médical "au sens strict", tout en soulignant que l'équipe médicale n'avait pas mis en œuvre toutes les précautions existantes pour éviter les complications prévisibles dans une opération cardiaque de ce type.

Partant, les griefs des autres intimés sont infondés.

7.3
7.3.1
Le Tribunal a considéré que la violation des règles de l'art médical par l'intimé était également établie.

Il a retenu que l'embolie gazeuse était survenue lors de la fermeture du FOP. L'affirmation de l'intimé – selon laquelle de l'air n'avait pas pu s'introduire à ce moment, ayant effectué cette fermeture sous le contrôle du débordement constant du sang veineux pulmonaire et procédé à une purge des éventuelles bulles d'air par ponction de l'oreillette gauche et de l'aorte ascendante – n'était pas démontrée. Tant les experts judiciaires que S______ et H______ avaient indiqué qu'un passage d'air pouvait se produire malgré le débordement de sang depuis l'oreillette gauche pendant la suture. De plus, contrairement à ce que l'intimé avait allégué, les purges d'air pouvaient, dans certains cas, ne pas être suffisantes. Une TEE était nécessaire pour vérifier que les purges effectuées avaient permis d'évacuer l'ensemble des bulles d'air. Les experts judiciaires avaient en effet exposé que, pour minimiser le risque d'embolies gazeuses, les chirurgiens procédaient cumulativement au débullage des cavités cardiaques gauches par des purges, comme l'avait fait l'intimé, puis à une TEE afin de vérifier qu'il n'y avait plus d'air. En l'occurrence, l'intimé n'avait pas effectué de TEE, ce qui signifiait qu'il n'avait aucun moyen de savoir si des bulles d'air se trouvaient encore dans le cœur gauche au moment du déclampage de l'aorte. S______ le relevait également dans son rapport du 16 juin 2006. Selon ce praticien, bien que les précautions chirurgicales habituelles aient été prises (débordement de sang et purge), il n'était jamais possible d'exclure une embolisation gazeuse systémique lors de l'ouverture des cavités gauches en CEC, ni une microembolisation artérielle liée à la présence d'air dans le circuit veineux. Il précisait que le débullage des cavités cardiaques gauches avait été effectué par deux purges de l'oreillette gauche, mais que l'absence de bulles résiduelles ne pouvait pas être exclue, car il n'y avait pas eu de contrôle au moyen d'une TEE. H______ l'avait également confirmé dans son rapport du 10 août 2016; il avait ajouté qu'il était surprenant que dans le contexte de la fermeture d'un FOP une TEE n'ait pas été utilisée. Ainsi, les experts judiciaires et les médecins auditionnés par le Tribunal étaient catégoriques sur le fait qu'une TEE devait être effectuée après la fermeture d'un FOP afin de vérifier la présence éventuelle de bulles d'air résiduelles. Le fait pour l'intimé de soutenir le contraire constituait une méconnaissance des mesures à prendre lors d'une telle intervention, ce qui constituait une violation de son obligation de diligence.

Le Tribunal a considéré que cette méconnaissance n'était pas excusable à l'époque de l'intervention litigieuse. Certes, l'obligation d'effectuer une TEE ne figurait que dans les "Practice guidelines for perioperative transesophageal echocardiography" éditées en mai 2010 par l'"American Society of Anesthesiologists and the Society of Cardiovascular Anesthesiologist". En 2006, il existait cependant déjà de la littérature scientifique qui recommandait de procéder à un tel examen et les "Practices guidelines", dans leur précédente version éditée en 1996, soit dix ans avant l'intervention du 3 mai 2006, mentionnaient déjà qu'une TEE pouvait être utile en fonction des circonstances. Un tel examen était au demeurant déjà communément pratiqué par le U______ depuis 1992. Par ailleurs, même s'il fallait admettre qu'une TEE n'était pas obligatoire de manière systématique, il n'en restait pas moins qu'elle était clairement indiquée dans les circonstances de l'espèce, dans la mesure où l'appelante était restée hypotendue durant toute l'intervention. Comme l'avaient relevé les experts, même si une pression basse ne laissait en principe pas de séquelles sur un cerveau sain, elle diminuait la protection du cerveau contre une agression sévère telle qu'une embolie gazeuse. Il était ainsi d'autant plus important de procéder à une TEE in casu afin de vérifier l'absence de bulles d'air résiduelles, sachant que le cerveau n'était plus protégé du fait de l'hypotension. En ne procédant pas à un tel examen, l'intimé n'avait pas fait preuve de la diligence requise.

7.3.2 L'intimé fait valoir en premier lieu qu'à l'époque des faits litigieux, les directives internationales ("guidelines") en vigueur se limitaient à indiquer que la mise en place d'un appareil de TEE pouvait être utile. Il n'aurait existé aucune norme nationale ni directive interne de l'[hôpital] F______ à ce sujet. Selon lui, cette méthode n'était donc pas obligatoire, de sorte que le choix de ne pas l'utiliser n'était pas indéfendable. D'ailleurs, dans ses rapports, S______ ne mentionnait pas que le défaut de contrôle au moyen d'une TEE constituait une violation des règles de l'art, tandis que les experts judiciaires avaient conclu à l'absence de violation des règles de l'art au sens strict.

Cet argument n'est pas fondé, pour les motifs déjà exposés en lien avec la même critique formulée par les autres intimés, auxquels il sera renvoyé (cf. supra, consid. 7.2.2). Tout comme I______, l'intimé ne conteste pas qu'à la date de l'intervention litigieuse, il connaissait le risque d'embolie gazeuse et savait que ce risque ne pouvait être complètement exclu au moyen des actes qu'il avait effectués, seul un contrôle au moyen d'une TEE permettant d'y pallier de façon certaine. Certes, cette technique – bien que recommandée – n'était pas formellement obligatoire à l'époque, mais, selon les experts judiciaires, uniquement du fait que tous les professionnels n'étaient pas encore formés pour pratiquer cet examen. Il n'en reste pas moins qu'en 2006, l'utilité d'une TEE dans le cadre d'une opération cardiaque de ce type (fermeture d'un FOP) était reconnue par la communauté scientifique, raison pour laquelle de nombreux établissements et praticiens pratiquaient déjà cet examen depuis des années, ce que l'intimé ne pouvait ignorer. En outre, comme exposé en lien avec l'examen de la responsabilité de I______, il ne s'agissait pas de choisir entre cette technique et une autre, mais de décider si la précaution – utile et recommandée – consistant à effectuer une TEE devait être prise vu les circonstances de l'espèce. A juste titre, le Tribunal a considéré que tel était le cas. D'ailleurs, comme l'a relevé le premier juge, H______, expert privé mis en œuvre par l'intimé, a déclaré en audience qu'il était "surprenant" – et donc inattendu – qu'une TEE n'ait pas été pratiquée le 3 mai 2006 dans le contexte de la fermeture d'un FOP.

L'intimé soutient en deuxième lieu que la pose d'un appareil de TEE ressortirait des "guidelines" éditées par la "Société Savante d'Anesthésiologie", et non pas par celle de chirurgie cardiaque, de sorte qu'il aurait appartenu en premier lieu à l'anesthésiste de mettre en place cet appareillage et non au chirurgien. Hormis l'argument tiré de l'auteure desdites "guidelines", qui ne suffit pas à convaincre, cette affirmation de l'intimé n'est étayée par aucun élément du dossier. Les experts judiciaires ont au contraire exposé que la décision d'effectuer une TEE relevait de la responsabilité commune de l'anesthésiste et du chirurgien. Les "guidelines" susmentionnées précisent d'ailleurs que les recommandations en question sont destinées aux anesthésistes et autres médecins concernés, comme par exemple les chirurgiens (cf. supra, En fait, let. C.h.e, avant-dernier §).

L'intimé soutient en dernier lieu que la décision de mettre en place un appareil de TEE aurait dû être prise avant le début de l'intervention chirurgicale et qu'à ce moment-là, il n'aurait pas pu prévoir que l'anesthésiste se satisferait d'une tension extrêmement basse et d'une hémodilution à la limite de l'acceptable. Cet argument ne saurait être suivi. L'intimé a manqué à ses devoirs en ne prenant pas la précaution d'effectuer une TEE. Il savait que ce contrôle était utile, recommandé et le seul à même d'exclure le risque (connu de lui) d'embolie gazeuse, lequel était toujours présent lors de la fermeture d'un FOP. Un tel constat reste valable même si le patient ne présentait pas une tension extrêmement basse durant l'intervention. Ainsi, le fait de n'avoir pas pu "deviner" avant le début de l'opération que l'appelante présenterait une telle tension ne dispensait pas l'intimé de faire le nécessaire pour pouvoir procéder à une TEE le moment venu. L'hypotension chronique dont souffrait l'appelante ne fait que confirmer cette conclusion, si ce n'est aggraver le manquement reproché à l'intimé. En d'autres termes, en 2006, tout patient devant subir une intervention de fermeture d'un FOP était en droit d'attendre de ses médecins (chirurgien et anesthésiste) qu'ils prennent la précaution – avant le début de l'opération dans un établissement non universitaire – d'organiser la mise en place du matériel et du personnel nécessaires pour effectuer un contrôle au moyen d'une TEE, ceci même en l'absence de "circonstances spéciales" connues à ce moment-là. L'appelante était d'autant plus en droit de l'attendre qu'elle présentait une hypotension chronique.

Partant, les griefs de l'intimé sont infondés.

8. Les autres intimés reprochent au Tribunal d'avoir retenu qu'une faute pouvait être reprochée à I______.

8.1 En cas de mauvaise exécution du mandat, le mandataire doit réparer le dommage causé au mandant de façon intentionnelle ou par négligence, la faute du mandataire étant présumée (art. 398 al. 1 et 2, 321e al. 1 et 97 al. 1 CO).

8.2 En l'espèce, le Tribunal a retenu que l'intimé et I______ avaient fautivement violé leur obligation de diligence, la faute étant présumée.

Les autres intimés relèvent que les experts judiciaires reprochent à I______ de n'avoir pas pris les mesures de précaution existantes à l'époque, à savoir procéder à une TEE et administrer des médicaments en continu pour faire monter la pression sanguine. Ils soutiennent que dans la mesure où ces précautions étaient certes possibles, mais non obligatoires, il s'agirait d'un "constat rétrospectif" et aucune faute ne pourrait être reprochée à l'intéressé. I______ aurait tenté de faire remonter la pression, selon des méthodes adéquates à l'époque. Il aurait finalement toléré la pression basse, car il s'agissait d'une patiente jeune, ce qui, en 2006, n'était ni indéfendable ni répréhensible. Il ne pouvait prévoir que de l'air entrerait dans le circuit artériel en fin d'intervention, lors du déclampage de l'aorte, et personne n'avait détecté cet accident, faute de TEE réalisée.

Les autres intimés échouent à renverser la présomption légale de l'existence d'une faute. Comme il a été exposé dans le cadre de l'examen de la diligence requise, celle-ci ne vise pas seulement les actes obligatoires, mais également les précautions recommandées par les circonstances. Or, maintenir une pression adéquate pour permettre au cerveau de l'appelante (même s'il s'agissait d'une patiente jeune) de se protéger contre d'éventuelles agressions, en prenant les mesures nécessaires pour pallier le risque d'embolie gazeuse connu avant l'intervention – et qui ne pouvait être exclu en l'absence de TEE – relevait d'une précaution dont on pouvait à titre prospectif exiger de I______ qu'il la prenne.

Le grief sera donc rejeté.

9. Les autres intimés reprochent au Tribunal d'avoir méconnu la notion de causalité.

9.1
9.1.1
Il existe un lien de causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit du tout ou lorsqu'il ne serait pas survenu de la même manière. Il n'est pas nécessaire que l'événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat. Il suffit qu'associé éventuellement à d'autres facteurs, il ait provoqué l'atteinte préjudiciable, c'est-à-dire qu'il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 142 V 435 consid. 1; 133 III 462 consid. 4.4.2; arrêt du Tribunal fédéral 8C_540/2018 du 22 juillet 2019 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral à propos de la causalité en cas d'omission (cf. ATF 132 III 715 consid. 2.3), pour retenir une causalité naturelle en pareil cas, il faut admettre par hypothèse que le dommage ne serait pas survenu si l'intéressé avait agi conformément à la loi. Un lien de causalité naturelle ne sera donc pas nécessairement prouvé avec une exactitude scientifique. Le rapport de causalité étant hypothétique, le juge se fonde sur l'expérience générale de la vie et émet un jugement de valeur. En règle générale, lorsque le lien de causalité hypothétique entre l'omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité. Ainsi, lorsqu'il s'agit de rechercher l'existence d'un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s'interroger sur le cours hypothétique des événements (arrêts du Tribunal fédéral 4A_543/2016 du 1er novembre 2016 consid. 3.2.3; 4A_297/2015 du 7 octobre 2015 consid. 4.2).

Comme c'est généralement le cas pour la preuve du rapport de causalité, il est difficile d'apporter cette preuve dans certains domaines de la responsabilité, le demandeur se trouvant souvent dans un "état de nécessité en matière de preuve" (ATF 132 III 715 consid. 3.2.1), qui se rencontre lorsque, par la nature même de l'affaire, une preuve stricte n'est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée, en particulier si les faits allégués par la partie qui supporte le fardeau de la preuve ne peuvent être établis qu'indirectement et par des indices (ATF 144 III 264 consid. 5.3; 133 III 81 consid. 4.2.2). La jurisprudence admet depuis longtemps
– en accord avec les règles générales concernant les dommages-intérêts – un allégement de la preuve concernant le rapport de causalité. Il n'est pas exigé une preuve stricte et absolue, mais seulement la preuve d'une vraisemblance prépondérante, qui suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération. Le juge doit se satisfaire de la certitude que l'on peut exiger selon le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie (ATF 132 III 715 consid. 3.2.1 et 3.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_113/2018 du 12 décembre 2018 consid. 6.2.2.1). En effet, la mise en œuvre du droit ne doit pas échouer en raison de difficultés probatoires qui se présentent de manière récurrente dans certaines situations. Toutefois, un état de nécessité ne peut pas être admis au motif qu'un élément de fait, qui devrait par nature être l'objet d'une preuve directe, ne peut être établi, faute par la partie à qui la preuve incombe de disposer des moyens de preuve nécessaires. De simples difficultés probatoires dans un cas concret ne sauraient conduire à un allègement de la preuve (ATF 144 III 264 consid. 5.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_113/2018 précité consid. 6.2.2.1).

9.1.2 L'art. 168 al. 1 CPC mentionne, parmi les moyens de preuve admis par le CPC, l'expertise (let. d).

9.2
9.2.1
En l'espèce, le premier juge a retenu que le manque de diligence conjoint de l'intimé et de I______ avait causé les séquelles présentées par l'appelante, de sorte que la condition du lien de causalité était satisfaite.

Selon le Tribunal, si l'anesthésiste avait maintenu la pression artérielle de la patiente à des valeurs moins basses, son cerveau aurait été en mesure de se défendre, et si le chirurgien avait effectué une TEE, il aurait constaté la présence de bulles d'air résiduelles et aurait effectué une purge supplémentaire afin de les éliminer. L'appelante n'aurait dès lors pas subi de telles lésions ou, à tout le moins, les lésions auraient été beaucoup moins dommageables.

Tant les experts judiciaires que S______ et H______ avaient précisé que les lésions neurologiques graves subies par l'appelante étaient le fait d'un accident peropératoire qui était le fruit d'une double cause : un événement embolique lié à la chirurgie elle-même et une cause liée à l'anesthésie, l'hypotension ayant notamment joué un rôle aggravant majeur en diminuant les marges de sécurité et en limitant les potentialités de récupération.

9.2.2 Selon les autres intimés, l'appelante aurait échoué à démontrer que la prise de mesures de précaution plus importantes (ou autres) que celles mises en œuvre lors de l'opération aurait eu pour effet, selon une haute vraisemblance, de faire remonter sa tension artérielle et d'empêcher la survenance des lésions cérébrales.

Ce grief n'est pas fondé.

Selon l'expertise judiciaire, la mission de l'anesthésiste consistait à maintenir une pression suffisante et stable durant l'opération. Les principales causes possibles de l'hypotension constatée (manque de volume dans le système sanguin, baisse de la force du cœur et augmentation de diamètre des vaisseaux) pouvaient être corrigées et I______ avait pris des mesures adéquates dans ce sens, soit l'ajout de volume et l'administration de petites doses de noradrénaline et de médicaments de type amines. Il avait toutefois été constaté une résistance à ces mesures, de sorte qu'une autre cause possible de l'hypotension, telle qu'un SIRS, pouvait être suspectée. Cette cause possible nécessitait, pour être corrigée, l'administration de médicaments de type amines en continu et en doses plus importantes, ce qui n'avait pas été fait. Par ailleurs, selon les experts judiciaires, l'hypotension en elle-même avait pu contribuer à la survenance de lésions plus sévères et à une récupération moins bonne, dans la mesure où elle diminuait la protection du cerveau qui subissait une agression par des bulles d'air. Les experts judiciaires ont conclu que l'hypotension au cours de l'intervention avait pu aggraver la conséquence des embolies gazeuses, sans qu'ils puissent quantifier cette possible aggravation.

Devant le Tribunal, les experts judiciaires ont déclaré que lorsque l'hypotension était couplée à de l'anémie, cela pouvait avoir des conséquences sur le cerveau, celui-ci se protégeant beaucoup moins bien, de sorte que même une faible quantité d'air pouvait causer des lésions. En l'espèce, une embolie gazeuse massive avait eu lieu. L'hémodilution constatée, qui avait les mêmes effets que l'anémie, avait "complété le cocktail explosif". "Dans l'idéal", il aurait donc fallu augmenter la pression, ce qui, selon la feuille d'anesthésie, avait été tenté. Il aurait fallu administrer des médicaments de manière continue.

Sur la base de ces conclusions probantes des experts judiciaires, le Tribunal était fondé à admettre, sous l'angle de la vraisemblance prépondérante, d'une part, que si I______ avait pris les précautions existantes, la tension ne serait pas restée si basse et, d'autre part, que si la tension n'était pas restée si basse, le cerveau aurait été mieux protégé contre les lésions induites par l'embolie gazeuse.

D'ailleurs, les autres intimés n'avancent aucun élément susceptible de mettre en doute ces deux liens de cause à effet retenus par le Tribunal. Bien au contraire, pour ce qui est du premier, I______ n'a pas soutenu (dans son acte d'appel) qu'il aurait été dans l'impossibilité de faire remonter la pression de l'appelante avec les moyens dont il disposait à l'époque. Sa position a été de dire qu'il avait "toléré" une pression basse, du fait que la patiente était jeune et qu'il ne pouvait ni suspecter ni détecter une embolie gazeuse.

En tout état, il est également reproché à I______ de ne pas avoir, en concertation avec l'intimé, planifié une TEE. Or, selon l'expertise judiciaire, un tel examen aurait permis de mettre en évidence la présence d'air dans le cœur gauche et dans l'aorte ascendante de la patiente. Cet air aurait alors pu être purgé, ce qui aurait évité les lésions cérébrales subies. Ainsi, la condition du lien de causalité entre cette omission et le dommage de l'appelante est réalisée, étant relevé que dans son acte d'appel, I______ n'a pas abordé la question du lien de causalité pour ce qui concerne la TEE.

10. L'intimé fait grief au Tribunal d'avoir retenu que l'appelante était dans l'impossibilité totale d'exercer une activité lucrative. Par ailleurs, comme l'appelante et les autres intimés, il critique le calcul du dommage opéré par le premier juge.

10.1
10.1.1
Aux termes de l'art. 46 al. 1 CO, la victime de lésions corporelles a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l'atteinte portée à son avenir économique.

Le lésé peut subir un dommage consécutif à une incapacité de travail passagère ou durable. Lorsque l'incapacité a pris fin au jour du jugement, la perte qui en résulte constitue le dommage actuel. Par contre, si, au moment du jugement, l'incapacité se poursuit, la perte relève du dommage futur. C'est ce que prévoit l'art. 46 al. 1 in fine CO en parlant d'"atteinte à l'avenir économique". Le calcul de cette perte de gain future repose, plus encore que tout autre, sur une très importante abstraction (probabilités et estimations). A cet égard, l'art. 46 al. 1 CO est un cas d'application de l'art. 42 al. 2 CO. Autant que possible néanmoins, le dommage doit se calculer de manière concrète (Werro/Perritaz, CR CO I, 2021, n. 13 ad art. 46 CO). Pour déterminer le gain hypothétique futur, le juge doit prendre comme point de départ le revenu de la victime au moment du jugement (Werro/Perritaz, op. cit., n. 16 ad art. 46 CO).

En d'autres termes, il convient de distinguer d'une part la perte de gain actuelle et, d'autre part, l'atteinte portée à l'avenir économique du lésé, laquelle se détermine abstraitement, pour l'éventualité où l'incapacité de travail dure toujours parce que le lésé est devenu totalement ou partiellement invalide. Cette distinction n'a par ailleurs pas d'autre fonction que celle de faciliter le travail de calcul, étant donné qu'il s'agit en fait de deux postes du même préjudice. Les principes présidant au calcul de ces deux postes du dommage sont en conséquence les mêmes (arrêt du Tribunal fédéral 4C.324/2005 du 5 janvier 2006 consid. 3.2 et les références citées).

L'art. 46 al. 1 CO prescrit au juge de constater d'abord la perte de gain actuelle, soit celle que le lésé a effectivement subie du jour de l'accident jusqu'à la date de la décision terminant l'instance dans laquelle il est permis d'alléguer pour la dernière fois des faits nouveaux. Le juge doit ensuite évaluer la perte de gain future, en comparant par capitalisation à cette même date les valeurs du revenu que le lésé aurait obtenu à l'avenir sans l'accident, d'une part, et du revenu à attendre d'une activité résiduelle compatible avec l'invalidité, d'autre part. Pour la capitalisation, il convient d'utiliser les tables et programmes à disposition, qui tiennent compte des paramètres tels que le jour du calcul, le sexe et l'âge du lésé (Stauffer/Schaetzle/ Weber, Tables et programmes de capitalisation, 7ème éd., 2018, p. 75 ss). Selon une pratique constante, l'âge au jour du calcul est en principe arrondi au plus proche anniversaire de la naissance (Stauffer/Schaetzle/Weber, op. cit., p. 65 et 83 qui renvoie à Stauffer/Schaetzle/Weber, Tables et programmes de capitalisation, 6ème éd. 2013, p. 114). Les revenus résiduels et hypothétiques doivent être comparés sur la base de salaires nets, après déduction de toutes les cotisations sociales et de prévoyance professionnelle. La perte de gain future se calcule jusqu'à l'âge de la rente de vieillesse AVS. Autant que possible, les pertes de gain doivent être établies de manière concrète (arrêt du Tribunal fédéral 4A_543/2015 et 4A_545/2015 du 14 mars 2016 consid. 4; dans cette cause, le Tribunal fédéral a relevé une "anomalie". La cour cantonale avait recueilli des renseignements et administré des preuves afin d'établir une situation de fait actualisée à la date de sa propre décision, soit de la décision d'appel, et distingué les dommages à réparer avant et après cette date. Selon le Tribunal fédéral, ce procédé ne paraissait pas conforme à l'art. 317 al. 1 CPC aux termes duquel des faits et moyens de preuve nouveaux ne pouvaient pas être introduits en appel, sinon exceptionnellement).

Si la situation salariale concrète de la personne concernée avant l'événement dommageable constitue ainsi la référence, le juge ne doit toutefois pas se limiter à constater le revenu réalisé jusqu'alors, car l'élément déterminant repose bien davantage sur ce que le lésé aurait gagné annuellement dans le futur. Mais il incombe en particulier au demandeur de rendre vraisemblables les circonstances de fait – à l'instar des augmentations futures probables de son salaire durant la période considérée – dont le juge peut inférer les éléments pertinents pour établir le revenu que le demandeur aurait réalisé sans l'accident (ATF 131 III 360 consid. 5.1; 129 III 135 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_310/2014 du 10 octobre 2014 consid. 2.2). La perte de gain indemnisable correspond à la différence entre le revenu net de valide du lésé (revenu hypothétique sans l'accident) et son revenu net d'invalide (revenu qui peut probablement être réalisé après l'accident;
ATF 136 III 222 consid. 4.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_310/2014 précité consid. 2.2).

En vertu du principe de l'imputation des avantages, les prestations couvertes par les assurances sociales sont déduites du dommage que le lésé peut réclamer au responsable (ATF 131 III 360 consid. 6.1).

10.1.2 La preuve du dommage incombe au demandeur (art. 42 al. 1 CO; art. 8 CC). Toutefois, lorsque le montant exact du dommage ne peut être établi, le juge le détermine équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée (art. 42 al. 2 CO).

10.1.3 L'état de santé doit s'analyser indépendamment d'éventuels droits envers l'assurance-invalidité. Ainsi, une incapacité de travail durable, telle qu'attestée par des certificats médicaux, peut, selon les circonstances, suffire à admettre que l'intéressé ne peut effectivement trouver un emploi. Le dépôt de n'importe quel certificat médical ne suffit toutefois pas à rendre vraisemblable l'incapacité de travail alléguée. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine ni sa désignation, mais son contenu. Il importe notamment que la description des interférences médicales soit claire et que les conclusions du médecin soient bien motivées. Une attestation médicale qui relève l'existence d'une incapacité de travail sans autres explications n'a ainsi pas une grande force probante (arrêt du Tribunal fédéral 5A_88/2023 du 19 septembre 2023 consid. 3.3.3 et les références citées).

En ce qui concerne les rapports établis par le médecin traitant, le juge doit avoir égard au fait que la relation de confiance unissant un patient à son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci; cela ne justifie cependant pas en soi d'évincer tous les avis émanant des médecins traitants. Il faut effectuer une appréciation globale de la valeur probante du rapport du médecin traitant au regard des autres pièces médicales (arrêt du Tribunal fédéral 5A_799/2021 du 12 avril 2022 consid. 3.2.2).

10.1.4 En vertu de l'art. 221 al. 1 let. d CPC, respectivement de l'art. 222 al. 2 CPC, les faits doivent être allégués en principe dans la demande, respectivement dans la réponse pour les faits que doit alléguer le défendeur.

Les faits pertinents allégués doivent être suffisamment motivés (charge de la motivation des allégués) pour que, d'une part, le défendeur puisse dire clairement quels faits allégués dans la demande il admet ou conteste et que, d'autre part, le juge puisse, en partant des allégués de fait figurant dans la demande et de la détermination du défendeur dans la réponse, dresser le tableau exact des faits admis par les deux parties ou contestés par le défendeur, pour lesquels il devra procéder à l'administration de moyens de preuve (art. 150 al. 1 CPC), et ensuite appliquer la règle de droit matériel déterminante (ATF 144 III 519 consid. 5.2.1.1).

Un simple renvoi en bloc à des pièces du dossier en guise d'exposé des faits est en principe insuffisant (ATF 147 III 440 consid. 5.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_377/2021 du 29 juin 2022 consid. 3). Cela ne signifie pas, en revanche, qu'il ne soit pas possible de satisfaire exceptionnellement au devoir de motivation par renvoi à une pièce, notamment à un décompte ou un extrait de compte (arrêt du Tribunal fédéral 4A_377/2021 précité consid. 3). Ainsi, en ce qui concerne par exemple l'allégation d'une facture, il arrive que le demandeur allègue dans sa demande (voire dans sa réplique) le montant total de celle-ci et qu'il renvoie pour le détail à la pièce qu'il produit; dans un tel cas, le Tribunal fédéral a précisé, dans sa pratique constante, qu'il faut examiner si la partie adverse et le tribunal obtiennent ainsi les informations qui leur sont nécessaires, au point que l'exigence de la reprise du détail de la facture dans l'allégué n'aurait pas de sens, ou si le renvoi est insuffisant parce que les informations figurant dans la pièce produite ne sont pas claires et complètes ou que ces informations doivent encore y être recherchées. Il ne suffit en effet pas que la pièce produite contienne, sous une forme ou sous une autre, lesdites informations. Leur accès doit être aisé et aucune marge d'interprétation ne doit subsister. Le renvoi figurant dans l'allégué doit désigner spécifiquement la pièce qui est visée et permettre de comprendre clairement quelle partie de celle-ci est considérée comme alléguée. L'accès aisé n'est assuré que lorsque la pièce en question est explicite (selbsterklärend) et qu'elle contient les informations nécessaires. Si tel n'est pas le cas, le renvoi ne peut être considéré comme suffisant que si la pièce produite est concrétisée et commentée dans l'allégué lui-même, de telle manière que les informations deviennent compréhensibles sans difficulté, sans avoir à être interprétées ou recherchées (ATF 144 III 519 consid. 5.2.1.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_377/2021 précité consid. 3; 4A_415/2021 du 18 mars 2022 consid. 5.4).

10.2
10.2.1
En l'espèce, le Tribunal a retenu que suite à l'intervention du 3 mai 2006, il avait été constaté chez l'appelante une hémiplégie gauche et une hémiparésie à prédominance du membre inférieur droit, ainsi qu'une limitation visuelle en inférieur gauche des deux côtés. Malgré les séances régulières de physiothérapie suivies par l'appelante, sa volonté et l'énergie qu'elle déployait afin de retrouver son indépendance, ces lésions n'étaient pas réversibles. Elle restait incapable de marcher. Le membre supérieur gauche était resté complètement impotent et le membre inférieur gauche servait d'appui, mais était paralysé. Ainsi, comme l'avaient constaté AA_____ et Q______ qui suivaient l'évolution de l'appelante, celle-ci, du fait de ses séquelles motrices et neuropsychologiques, n'était pas en mesure, malgré les efforts qu'elle fournissait, de reprendre une activité professionnelle. Elle percevait au demeurant une rente d'invalidité complète de la caisse de pension de [l'organisation] AI_____, du fait de cette invalidité.

L'intimé soutient que l'instruction du dossier n'aurait pas porté sur la question de la capacité de travail de l'appelante et que les allégations (contestées) de celle-ci ne seraient pas motivées ni démontrées. Selon l'intimé, seule une expertise judiciaire aurait pu établir une incapacité totale de travailler de l'intéressée. Les rapports de AA_____ et les déclarations de Q______ n'étaient selon lui pas suffisants, car il s'agissait des médecins traitants de l'appelante. Il soutient que cette dernière disposerait, selon une haute vraisemblance, d'une certaine capacité à exercer une activité lucrative dans un travail adapté à son handicap. Comme aurait dû le constater le Tribunal, elle "s'exprimait avec aisance" et "maniait son fauteuil roulant électrique avec dextérité". Elle exposait d'ailleurs elle-même être un "cas particulier" sur le plan de sa capacité à récupérer.

Ce grief n'est pas fondé. Selon l'expertise judiciaire, il était évident que les lésions visibles sur le CT-scan du 10 mai 2006 étaient de nature à engendrer des séquelles neurologiques graves, en partie irréversibles, à vie. La tri-parésie mise en évidence chez l'appelante lors de l'examen neurologique du 30 novembre 2018 a également été relevée par les experts judiciaires. Aux termes du rapport établi par AA_____ à la suite de cet examen, la plégie (paralysie) du membre supérieur gauche et les séquelles neuropsychologiques de l'appelante contre-indiquaient une reprise professionnelle. Q______, médecin traitant de l'appelante, a confirmé cette conclusion à l'audience du 18 décembre 2018. Dans un second rapport du 12 décembre 2019, AA_____, qui a examiné à nouveau l'appelante à cette date, a constaté que la situation était inchangée. Le membre supérieur gauche était resté complètement impotent et le membre inférieur gauche servait d'appui, mais était paralysé. Enfin, à fin 2022, l'appelante percevait toujours une rente d'invalidité complète de son ancien employeur, dont le versement était subordonné à des examens médicaux annuels.

Sur la base de ces éléments fournis par l'appelante, le Tribunal était fondé à admettre que celle-ci avait démontré être invalide à 100%. Que les experts judiciaires se prononcent spécifiquement sur cette question n'était pas nécessaire. La persistance, plus de dix ans après l'intervention litigieuse, de l'impotence des membres de l'appelante côté gauche (bras et jambe) ainsi que l'existence de séquelles neuropsychologiques – attestées par les avis médicaux précités et, en soi, non contestées par les intimés –, suffisent à se forger l'intime conviction que l'appelante a été et restera en incapacité totale de travailler. Cela sans compter la nécessité du suivi thérapeutique quasi quotidien auquel elle doit continuer de se soumettre pour maintenir la stabilité de son état. L'intimé se limite à contester l'invalidité totale de l'appelante de façon générale et abstraite, sans exposer concrètement dans quel type d'activité et à quel taux il pourrait être exigé de l'appelante qu'elle se réinsère professionnellement. Dans ces circonstances, il n'y avait pas lieu d'attendre de l'appelante qu'elle motive et étaye davantage son allégation d'une incapacité totale de travailler. En tout état, la démonstration d'une capacité résiduelle de travail de l'appelante serait dépourvue d'incidence sur l'issue du litige, sauf à retenir qu'elle permettrait à l'intéressée d'en tirer des gains supérieurs à la rente d'invalidité perçue, ce qui est hautement invraisemblable.

10.2.2 Par ailleurs, le premier juge a retenu que la période concernée – pour calculer la perte de gain passée et actuelle – courait du 1er février 2007, date à laquelle l'appelante n'avait plus perçu son salaire, au 1er octobre 2022, date du prononcé du jugement. En seconde instance, si l'appelante conclut au paiement de montants
"à titre de perte de gain en tant que dommage passé, actuel et futur réévalué au 1er janvier 2023", elle ne développe toutefois aucun grief spécifique à cet égard. Il n'y a dès lors pas lieu de revenir sur les dates retenues par le Tribunal, que celui-ci a d'ailleurs correctement fixées (cf. supra, consid. 10.1.1).

10.2.3 Pour ce qui est du traitement "brut" qu'aurait perçu l'appelante si elle avait continué de travailler auprès du même employeur, le Tribunal a considéré que celle-ci aurait bénéficié chaque année des augmentations de salaire prévues par les échelles de traitement de l'[organisation] P______. En effet, depuis sa nomination en tant que fonctionnaire, le 1er janvier 2001, elle avait, tous les 1ers janviers, gravi un échelon, débutant à l'échelon 1, pour terminer à l'échelon 7, le 1er janvier 2007. Aucun élément ne permettait de conclure que cette progression n'aurait pas continué. Depuis sa nomination, elle avait toujours donné entière satisfaction à son employeur, ainsi qu'en attestaient ses rapports d'évaluation annuels.

Cela étant, selon le Tribunal, l'appelante n'aurait pas pu bénéficier de l'échelon d'ancienneté (échelon 12) avant d'avoir effectué vingt ans de service continu, soit avant le 1er janvier 2021, sa nomination en tant que fonctionnaire ayant pris effet le 1er janvier 2001. Par ailleurs, l'appelante n'ayant pas établi de quelle manière un fonctionnaire pouvait augmenter de grade, il convenait de retenir que la précitée aurait conservé le sien.

S'agissant des allocations pour enfant qu'aurait perçues l'appelante si elle avait continué de travailler auprès du même employeur, le Tribunal a retenu que l'âge jusqu'auquel ces allocations étaient versées par l'[organisation] P______ était identique à celui prévu par la caisse de pension de [l'organisation] AI_____, soit 21 ans. L'appelante n'avait pas produit les articles du Statut du personnel et du Règlement du personnel de l'[organisation] P______ y relatifs et n'avait pas établi que les allocations auraient encore été dues au-delà de cet âge, à savoir que l'aînée de la fratrie, L______, n'aurait pas été en mesure de subvenir à ses besoins dès le 1er août 2020. Le premier juge a en outre retenu, dans son examen de la perte de gain future de l'appelante, que celle-ci n'aurait plus eu droit à des allocations pour son fils aîné, M______, dès que celui-ci aurait atteint l'âge de 21 ans, soit dès le 1er octobre 2022.

En ce qui concerne les déductions à prendre en compte pour calculer le traitement net auquel aurait eu droit l'appelante si elle avait continué à travailler auprès du même employeur, le Tribunal a retenu que celle-ci n'avait pas établi que les déductions opérées jusqu'au 31 janvier 2007 n'auraient pas continué à l'être, de sorte qu'il a pris celles-ci en considération pour l'entier de la période concernée, à savoir un montant total de 2'587 fr. 35 par mois ("Group Life Insurance" de 89 fr., "MEC Reimbursement" de 1'448 fr., "Parking Fee" de 35 fr., "Pension contribution Staff" de 715 fr. 70 et "Sickness And Accident SM" de 299 fr. 65).

Pour ce qui est des rentes d'invalidité perçues en 2022, à déduire du salaire net qu'aurait touché l'appelante cette année-là, le Tribunal a retenu le même montant qu'en 2021, celle-ci n'ayant pas produit les pièces pertinentes pour l'année 2022.

Griefs de l'appelante

L'appelante reproche au Tribunal d'avoir soustrait du salaire net retenu des déductions totalisant 2'587 fr. 35. Selon elle, il ne s'agirait pas de cotisations sociales devant obligatoirement être déduites du salaire brut, mais de dépenses personnelles – liées ou non à son activité professionnelle. De telles dépenses n'auraient pas été déduites de son salaire net auprès d'un employeur "ordinaire", mais auraient fait partie des charges personnelles courantes dont elle se serait acquittées chaque mois.

Ce grief est fondé. Les charges sociales qu'il convient de déduire du salaire brut pour obtenir le salaire net pertinent (au sens de la jurisprudence rappelée plus haut; cf. consid. 10.1.1) afin de déterminer la perte de gain subie sont très vraisemblablement comprises dans la différence entre les montants intitulés "Gross" et ceux intitulés "Net" dans les échelles de traitement applicables. Le montant du "Net Base Salary" mentionné dans les fiches de salaire mensuelles
– qui correspond à celui intitulé "Net" dans les échelles de traitement et dont sont soustraites les déductions litigieuses de 2'587 fr. 35 – constitue donc bien, comme l'indique d'ailleurs son libellé, celui qu'il convient de prendre en considération au titre du salaire net. Il n'y a pas lieu d'en déduire les dépenses (assurance maladie, frais de parking, etc.) et l'épargne (assurance vie, etc.) personnelles de l'appelante et de sa famille totalisant 2'587 fr. 35, que son employeur finançait avant d'être remboursé par la précitée au moyen d'une retenue sur le salaire net qu'il lui versait sur son compte. Ces prestations "en nature" de l'employeur doivent donc être ajoutées à ce que l'appelante touchait sur son compte pour déterminer son salaire net pertinent, lequel correspondait au montant de son "Net Base Salary" indiqué dans ses fiches de salaire.

En conclusion sur ce point, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal et à ce que soutient l'intimé, il ne s'agit pas de savoir si les retenues litigieuses auraient continué à être déduites à l'avenir, mais de déterminer s'il faut, sur le principe, considérer que les postes en question constituent un revenu de l'appelante. Tel est à l'évidence le cas s'agissant des retenues opérées sur le salaire net au titre du financement par l'employeur des primes d'assurance maladie, de l'assurance-vie ainsi que du remboursement d'un prêt. Pour ce qui est des frais de parking, la jurisprudence ne prévoit pas que, pour calculer le dommage, il conviendrait de déduire du revenu brut d'autres postes que les cotisations sociales, à savoir par exemple les frais d'acquisition du revenu, tels qu'un éventuel abonnement de bus, des frais plus importants d'habillement ou des frais de repas à l'extérieur.

En revanche, l'appelante ne saurait être suivie lorsqu'elle soutient qu'elle aurait atteint vingt ans d'ancienneté auprès de son employeur le 1er janvier 2014, dans la mesure où elle y aurait débuté dans un emploi temporaire en 1994. Elle ne fournit aucun élément permettant de retenir, comme le prévoient les échelles de traitement (cf. supra, En fait, let. C.l), qu'elle aurait été intégrée dans le "Système commun de [l'organisation] AI_____" avant sa nomination en qualité de fonctionnaire prenant effet le 1er janvier 2001.

Selon l'appelante, le premier juge aurait mal apprécié sa progression salariale hypothétique, en retenant qu'elle aurait conservé le grade 5 si elle avait continué à travailler pour le même employeur. Selon elle, il ressortirait des termes utilisés dans les échelles de traitement ("le fonctionnaire doit avoir au moins […] cinq années à l'échelon actuel de son grade actuel") que les employés progressaient tant de grades que d'échelons lorsqu'ils atteignaient l'échelon maximal d'un grade, ce sous réserve du grade 7 qui ne serait pas aisément accessible par promotions annuelles.

Ce grief est mal fondé. En effet, selon les explications fournies par l'appelante, un passage au grade 6 n'aurait pu intervenir qu'après un maintien durant deux ou trois ans au grade 5 à l'échelon 12, lequel n'aurait pu être atteint, comme on vient de le voir, que le 1er janvier 2021. A suivre l'appelante, la question d'un éventuel passage au grade 6 n'aurait donc pu se poser qu'à compter du 1er janvier 2023 au plus tôt, à savoir après la période examinée, pertinente pour déterminer la perte de gain passée et actuelle. En tout état, le Tribunal a considéré avec raison que l'appelante n'avait fourni aucun élément permettant de retenir qu'elle aurait bénéficié d'une évolution de grade, cela même après le 1er janvier 2023. Le terme "actuel" dont font état les échelles de traitement ne saurait suffire à cet égard. Cela d'autant moins que l'appelante soutient dans le même temps, sans l'étayer non plus, que le grade 6 serait atteignable uniquement après le maintien durant "deux ou trois ans" au dernier échelon du grade antérieur et que le grade 7 serait "difficilement" atteignable.

En dernier lieu, l'appelante soutient sans succès qu'il se justifierait de tenir compte des allocations qui auraient été versées pour ses deux enfants aînés, L______ et M______, au-delà de l'âge de 21 ans, dans la mesure où ceux-ci seraient dépendants d'elle financièrement. En effet, elle n'a fourni aucun élément à l'appui de cette allégation, alors que L______ et M______ ont atteint l'âge de 21 ans respectivement en juillet 2020 et septembre 2022.

Griefs des intimés (appels)

Dans leurs appels respectifs, l'intimé et les autres intimés reprochent au Tribunal de n'avoir pas débouté l'appelante de ses prétentions, alors qu'elle n'aurait pas apporté la preuve de son dommage et qu'il n'y aurait aucune place pour une appréciation de celui-ci en équité. Selon eux, l'impossibilité de calculer le dommage précisément serait imputable à l'appelante, celle-ci n'ayant pas suffisamment allégué l'étendue de sa perte de gain, ni produit en temps utile les éléments permettant de la calculer, alors qu'elle aurait eu les moyens de le faire.

En premier lieu, l'appelante aurait allégué (dans sa demande du 16 novembre 2015) que ses salaires "bruts" pour 2012 et les années suivantes auraient été de 102'340 fr., en se fondant uniquement sur l'échelle de traitement du 1er avril 2011 (grade 5, échelon 12). Ainsi, sa perte de gain de 2012 à 2015 n'aurait pas été suffisamment articulée ni démontrée. En deuxième lieu, l'appelante n'aurait formulé aucune allégation sur l'évolution des montants qu'il convenait de déduire de son "Net Base Salary". Selon les intimés, le Tribunal ne pouvait ainsi retenir à ce titre, pour l'entier de la période concernée, le montant pris en considération aux termes de la dernière fiche de salaire produite (2'587 fr. 35), alors que ces déductions auraient forcément évolué à la hausse, tout comme le "Net Base Salary". En tous les cas, le Tribunal aurait à tort pris en compte, pour l'entier de la période concernée, une déduction de 1'448 fr. par mois au titre de "MEC Reimbursement", en lieu et place du montant de 1'700 fr. par mois déduit à ce titre en décembre 2006 selon la dernière fiche de salaire figurant au dossier. En troisième lieu, les intimés soutiennent que les pièces relatives aux années 2016 à 2022 produites le 25 février 2022 (attestations des rentes perçues de 2016 à 2020 et échelles salariales applicables de 2016 à 2021) seraient irrecevables car produites avec retard.

Ces trois griefs doivent être écartés. Avec raison, l'appelante s'est fondée sur l'échelle de traitement du 1er avril 2011 pour calculer sa perte de gain pour les années 2012 à 2015, cette échelle de traitement étant restée en vigueur jusque-là; l'on ne saurait donc lui reprocher de ne pas avoir suffisamment motivé et documenté son dommage pour les années 2012 à 2015. Par ailleurs, l'appelante n'avait pas à alléguer ni à documenter l'évolution des déductions qui auraient été opérées sur son salaire net. En effet, comme exposé ci-dessus, il n'y a pas lieu de tenir compte de ces déductions pour calculer le dommage. Enfin, les pièces relatives aux années 2016 à 2021 ont été déclarées recevables (cf. supra, consid. 3.2.2).

Selon les autres intimés, s'agissant des rentes d'invalidité à déduire du salaire net de l'appelante, il y aurait lieu de retenir la valeur mensuelle moyenne de 5'995 fr. 53 admise par l'intéressée dans ses plaidoiries finales du 25 février 2022. Ce grief doit aussi être écarté. En effet, l'appelante a produit en seconde instance les pièces démontrant les rentes perçues en 2022 et le montant du dommage retenu par le Tribunal sera rectifié sur cette base.

En dernier lieu, les autres intimés soutiennent sans succès que l'on ignorerait si l'appelante aurait perçu de "probables indemnités" de la part d'institutions sociales françaises et/ou d'institutions d'assurances françaises et/ou suisses. L'on ne saurait reprocher à l'appelante de ne pas avoir allégué ni démontré qu'elle n'aurait touché aucune indemnité de l'une ou l'autre de ces institutions (fait négatif). En tant qu'ils s'en prévalent comme d'un fait de nature à réduire les prétentions de l'appelante, il incombait aux autres intimés d'alléguer et de démontrer que de telles indemnités auraient été versées à celle-ci. Quoi qu'il en soit, cet argument, qui n'est pas suffisamment motivé, échoue à convaincre. Les autres intimés se prévalent d'un fait qu'ils qualifient de "probable" sans en expliquer la raison, si ce n'est que l'appelante cotisait à une assurance vie et à une assurance maladie et accident. Or ils n'explicitent pas à quel(s) titre(s) lesdites assurances auraient versé des prestations à l'appelante.

Griefs des intimés (réponses à l'appel de l'appelante)

Dans leurs réponses respectives à l'appel de l'appelante, l'intimé et les autres intimés réitèrent que celle-ci n'aurait pas suffisamment allégué ni démontré son dommage. En vain. L'on ne saurait reprocher à l'appelante, sans faire preuve de formalisme excessif, d'avoir allégué dans sa demande le montant total de son dommage et renvoyé pour le surplus à une pièce (n. 77), comportant trois pages, dans laquelle elle a fourni le détail de son calcul et précisé les éléments de fait à prendre en considération pour déterminer sa perte de gain actuelle et future. Elle a ainsi satisfait à son devoir de motivation, dans la mesure où ses parties adverses et le Tribunal ont aisément obtenu, via la pièce n. 77, les informations claires et complètes qui leur étaient nécessaires à ce sujet. Ce faisant, l'appelante a simplement "sorti" de son mémoire, à des fins de lisibilité, les pages comportant ses allégués relatifs à son dommage et les a intégrées au bordereau de pièces accompagnant ledit mémoire. Un tel procédé, admis par la jurisprudence citée plus haut (cf. consid. 10.1.4), ne contrevient pas aux exigences fixées à l'art. 221 CPC. Les intimés ne s'y sont du reste pas trompés, puisqu'ils ont eux-mêmes désigné, dans leurs réponses à l'appel, les allégués et les pièces sur lesquels l'appelante s'est fondée pour établir son dommage. L'intimé a d'ailleurs lui-même reconnu qu'il était possible, en se référant à la pièce n. 77, de comprendre comment l'appelante avait calculé son préjudice.

Dans leurs réponses, l'intimé et les autres intimés soulèvent aussi, pour la première fois devant la Cour, des griefs ne figurant pas dans leurs appels respectifs. Ils font tout d'abord valoir que le Tribunal n'aurait pas dû calculer la perte de gain de l'appelante en tenant compte, pour les années 2014 et 2015, de l'allocation "pour premier enfant de fonctionnaire séparé", l'intéressée n'ayant formulé aucun allégué sur ce point, ni fourni de moyen de preuve s'y rapportant. Selon eux, le premier juge aurait donc dû débouter l'appelante de toutes ses conclusions relatives aux années 2014 et 2015. Pour les mêmes motifs, ils soutiennent que le Tribunal n'aurait pas dû tenir compte des allocations pour la fille aînée de l'appelante de 2017 à 2020 (soit de la majorité de l'enfant à ses 21 ans) et pour son fils aîné dès 2019 (soit dès la majorité de l'enfant). Selon eux, le premier juge aurait dû débouter l'appelante de toutes ses conclusions relatives aux années concernées ou, à tout le moins, ne pas tenir compte de ces allocations dans son calcul du dommage. En dernier lieu, ils reprochent au Tribunal d'avoir retenu que l'appelante aurait passé à l'échelon 12 de l'échelle de traitement dès le 1er janvier 2021, soit après vingt ans de services, alors que l'intéressée n'aurait formulé aucun allégué sur ce point.

Les trois griefs susvisés tendent à la réformation du jugement entrepris. Ils n'ont pas été soulevés par les précités dans leurs appels respectifs, pas plus qu'ils ne l'ont été dans le cadre d'un appel joint, aucun des intimés n'ayant formé un tel acte – si tant qu'ils aient valablement pu en former un, dans la mesure où leurs appels ne sont pas partiels (cf. supra, consid. 1.4 in fine). En outre, ces griefs ne portent pas sur des questions spécifiques que l'appelante aurait été la seule à traiter dans son appel, ce qui aurait pu justifier que les intimés se déterminent à ce sujet dans leurs écritures responsives. Au contraire, ces griefs portent sur différents aspects du litige que les intimés ont eux-mêmes discutés dans leurs appels respectifs. En d'autres termes, les précités tentent – par le biais de leurs réponses à l'appel de l'appelante – de compléter la motivation de leurs propres appels de façon tardive, ce qui n'est pas admissible. Les griefs en question sont donc irrecevables.

En tout état, même si les intimés avaient émis ces trois critiques dans le cadre de leurs appels respectifs, comme ils auraient pu – et dû – le faire, celles-ci auraient quoi qu'il en soit été rejetées. En première instance, l'appelante s'est valablement prévalue des allocations perçues en faveur de son conjoint et de ses enfants. Elle a allégué que les allocations pour enfants étaient en principe dues jusqu'à l'âge de
21 ans, mais qu'elles pouvaient l'être au-delà si l'enfant bénéficiaire dépendait financièrement d'elle. L'appelante a aussi allégué qu'elle pourrait, à terme, passer à l'échelon 12 sur les échelles de traitement de l'[organisation] P______. Sur ces différents points, elle a produit plusieurs pièces, en particulier les échelles de traitement de l'[organisation] P______ faisant état des allocations susmentionnées et des échelons de traitement, ainsi qu'un courrier de la caisse de pension de [l'organisation] AI_____ du 6 mars 2007. Le Tribunal n'a que partiellement fait droit à la demande de l'appelante sur ces points. Il a écarté l'allocation pour conjoint dès la séparation de l'appelante et celles pour enfants au-delà de l'âge de 21 ans. Il a aussi nié l'hypothétique droit de l'appelante de passer à l'échelon 12 à la date alléguée et retenu une date postérieure. Sur la base des allégués et pièces produits par l'appelante, le Tribunal était fondé à trancher dans le sens sus-évoqué, de sorte que les griefs des intimés sont en toute hypothèse mal fondés.

10.2.4 Eu égard aux considérations qui précèdent, les calculs suivants du dommage opérés par le Tribunal seront confirmés, sous réserve des corrections mentionnées ci-après :

1er février au 31 décembre 2007 (grade 5, échelon 7)

Le Tribunal a constaté que l'appelante, ayant atteint le grade 5, échelon 7, avait perçu jusqu'au 31 janvier 2007 un salaire mensuel net de 6'328 fr. 60. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 7'336 fr. 75 (88'041 fr. par année), auquel étaient ajoutées une allocation pour ses trois enfants de 978 fr. 30 et une allocation pour son conjoint de 600 fr. 90 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Le Tribunal a considéré que si l'appelante avait continué à travailler auprès du même employeur, elle aurait perçu du 1er février au 31 décembre 2007 le même revenu mensuel net de 6'328 fr. 60. Or elle avait perçu une rente d'invalidité mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 6'505 fr. 70 en 2007. Elle n'avait donc pas subi de dommage cette année-ci. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, ce constat sera rectifié et le dommage 2007 sera arrêté à 2'410 fr. 25 par mois (6'328 fr. 60 + 2'587 fr. 35 – 6'505 fr. 70) durant onze mois, soit à 26'512 fr. 75.

2008 (passage à l'échelon 8, puis augmentation du traitement et des allocations)

Selon le premier juge, l'appelante aurait perçu un salaire mensuel net de 6'530 fr. 60 dès le 1er janvier 2008, du fait du passage à l'échelon 8. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 7'538 fr. 75 (90'465 fr. par année dès le 1er janvier 2008), auquel étaient ajoutées une allocation pour ses trois enfants de 978 fr. 30 et une allocation pour son conjoint de 600 fr. 90 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Dès le 1er mars 2008, elle aurait perçu un salaire mensuel net de 6'846 fr. 20 du fait de l'augmentation du traitement et des allocations pour enfants. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 7'576 fr. 40 (90'917 fr. par année dès le 1er mars 2008), auquel étaient ajoutées une allocation pour ses trois enfants de 1'256 fr. 25 (418 fr. 75 par enfant) et une allocation pour son conjoint de 600 fr. 90 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Elle avait perçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 5'686 fr. 30 en 2008. Son dommage se montait ainsi à 1'688 fr. 60 (2 x 844 fr. 30) et 11'599 fr. (10 x 1'159 fr. 90), soit à 13'287 fr. 60 pour 2008. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2008 sera rectifié à 44'335 fr. 80 (13'287 fr. 60 + 31'048 fr. 20 [2'587 fr. 35 x 12]).

2009 (passage à l'échelon 9)

Le Tribunal a retenu que l'appelante aurait perçu un salaire mensuel net de 7'049 fr. 20 dès le 1er janvier 2009, du fait du passage à l'échelon 9. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 7'779 fr. 40 (93'353 fr. par année dès le 1er janvier 2009), auquel étaient ajoutées une allocation pour ses trois enfants de 1'256 fr. 25 et une allocation pour son conjoint de 600 fr. 90 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Elle avait perçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 6'092 fr. 30 en 2009. Son dommage se montait donc à 11'482 fr. 80 (12 x 956 fr. 90) cette année-ci. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2009 sera rectifié à 42'531 fr. (11'482 fr. 80 + 31'048 fr. 20).

2010 (passage à l'échelon 10, puis augmentation du traitement et allocation supplémentaire)

Selon le premier juge, l'appelante aurait perçu un salaire mensuel net de 7'252 fr. 20 dès le 1er janvier 2010, du fait du passage à l'échelon 10. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 7'982 fr. 40 (95'789 fr. par année dès le 1er janvier 2010), auquel étaient ajoutées une allocation pour ses trois enfants de 1'256 fr. 25 et une allocation pour son conjoint de 600 fr. 90 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Dès le 1er mars 2010, elle aurait perçu un salaire mensuel net de 7'336 fr. 15 du fait de l'augmentation du traitement. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'066 fr. 35 (96'796 fr. par année dès le 1er mars 2010), auquel étaient ajoutées une allocation pour ses trois enfants de 1'256 fr. 25 et une allocation pour son conjoint de 600 fr. 90 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Dès le 1er décembre 2010, elle aurait perçu un salaire mensuel net de 7'754 fr. 90 du fait de la naissance de son quatrième enfant le 14 novembre 2010. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'066 fr. 35, auquel étaient ajoutées une allocation pour ses quatre enfants de 1'675 fr. (418 fr. 75 par enfant) et une allocation pour son conjoint de 600 fr. 90 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Elle avait perçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 5'778 fr. 80 en 2010. Son dommage se montait ainsi à 2'946 fr. 80 (2 x 1'473 fr. 40), 14'016 fr. (9 x 1'557 fr. 35) et 1'976 fr. 10 (1 x 1'976 fr. 10), soit à 18'938 fr. 90 pour 2010. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2010 sera rectifié à 49'987 fr. 10 (18'938 fr. 90 + 31'048 fr. 20).

2011 à 2013 (passage à l'échelon 11, puis augmentation du traitement)

Le Tribunal a retenu que l'appelante aurait perçu un salaire mensuel net de 7'960 fr. 05 dès le 1er janvier 2011, du fait du passage à l'échelon 11. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'271 fr. 50 (99'258 fr. par année dès le 1er janvier 2011), auquel étaient ajoutées une allocation pour ses quatre enfants de 1'675 fr. et une allocation pour son conjoint de 600 fr. 90 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Dès le 1er avril 2011, elle aurait perçu un salaire mensuel net de 8'010 fr. 45 du fait de l'augmentation du traitement. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'321 fr. 90 (99'863 fr. par année dès le 1er avril 2011), auquel étaient ajoutées une allocation pour ses quatre enfants de 1'675 fr. et une allocation pour son conjoint de 600 fr. 90 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Elle avait perçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 4'968 fr. 60 en 2011. Son dommage s'élevait donc à 8'974 fr. 35 (3 x 2'991 fr. 45) et 27'376 fr. 65 (9 x 3'041 fr. 85), soit à 36'351 fr. pour l'année 2011. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2011 sera rectifié à 67'399 fr. 20 (36'351 fr. + 31'048 fr. 20).

Elle avait perçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 5'396 fr. 40 en 2012. Son dommage se montait donc à 31'368 fr. 60 (12 x 2'614 fr. 05) pour l'année 2012. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2012 sera rectifié à 62'416 fr. 80 (31'368 fr. 60 + 31'048 fr. 20).

Elle avait perçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 5'499 fr. 20 en 2013. Son dommage était ainsi de 30'135 fr. (12 x 2'511 fr. 25) pour 2013. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2013 sera rectifié à 61'183 fr. 20 (30'135 fr. + 31'048 fr. 20).

2014 et 2015 (modification des allocations du fait de la séparation des conjoints)

Selon le Tribunal, l'appelante aurait perçu un salaire mensuel net de 7'882 fr. 65 dès le 1er septembre 2014, du fait de son statut de fonctionnaire séparée de son conjoint. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'321 fr. 90, auquel étaient ajoutées des allocations pour son premier enfant de fonctionnaire séparée de 891 fr. 85 et ses trois autres enfants de 1'256 fr. 25 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Elle avait touché une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 5'367 fr. 85 en 2014. Son dommage se montait donc à 21'140 fr. 80 (8 x 2'642 fr. 60) et 10'059 fr. 20 (4 x 2'514 fr. 80), soit 31'200 fr. pour l'année 2014. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2014 sera rectifié à 62'248 fr. 20 (31'200 fr. + 31'048 fr. 20).

Elle avait reçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 5'125 fr. 90 en 2015. Son dommage s'élevait ainsi à 33'081 fr. (12 x 2'756 fr. 75) pour 2015. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2015 sera rectifié à 64'129 fr. 20 (33'081 fr. + 31'048 fr. 20).

2016 à 2018 (augmentation des allocations)

Le Tribunal a retenu que l'appelante aurait perçu un salaire mensuel net de 8'432 fr. 60 dès le 1er septembre 2016, du fait de l'augmentation du montant des allocations pour enfants. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'321 fr. 90, auquel étaient ajoutées des allocations pour son premier enfant de 1'098 fr. 60 (13'183 fr. par an) et ses trois autres enfants de 1'599 fr. 45 (533 fr. 15 par enfant) et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Elle avait perçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 6'181 fr. 35 en 2016. Son dommage se montait ainsi à 13'610 fr. 40 (8 x 1'701 fr. 30) et 9'005 fr. (4 x 2'251 fr. 25), soit à 22'615 fr. 40 cette année-ci. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2016 sera rectifié à 53'663 fr. 60 (22'615 fr. 40 + 31'048 fr. 20).

Elle avait touché une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 6'398 fr. 20 en 2017. Son dommage s'élevait par conséquent à 24'412 fr. 80 (12 x 2'034 fr. 40) cette année-ci. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2017 sera rectifié à 55'461 fr. (24'412 fr. 80 + 31'048 fr. 20).

Elle avait perçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 6'380 fr. 75 en 2018. Son dommage était de 24'622 fr. 20 (12 x 2'051 fr. 85) pour 2018. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2018 sera rectifié à 55'670 fr. 40 (24'622 fr. 20 + 31'048 fr. 20).

2019 et 2020 (augmentation du traitement, puis suppression d'une allocation)

Le Tribunal a retenu que l'appelante aurait perçu un salaire mensuel net de 8'448 fr. 55 dès le 1er septembre 2019, du fait de l'augmentation du traitement. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'337 fr. 85 (100'054 fr. par année dès le 1er septembre 2019), auquel étaient ajoutées des allocations pour son premier enfant de 1'098 fr. 60 et ses trois autres enfants de 1'599 fr. 45 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Elle avait touché une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 6'514 fr. 55 en 2019. Son dommage se montait à 15'344 fr. 40 (8 x 1'918 fr. 05) et 7'736 fr. (4 x 1'934 fr.), soit à 23'080 fr. 40 pour 2019. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2019 sera rectifié à 54'128 fr. 60 (23'080 fr. 40 + 31'048 fr. 20).

Dès le 1er août 2020, elle aurait perçu un salaire mensuel net de 7'915 fr. 40, les allocations pour L______ n'étant plus versées, celle-ci ayant eu 21 ans ______ juillet 2020. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'337 fr. 85, auquel étaient ajoutées des allocations pour son "premier enfant" de 1'098 fr. 60 et ses deux autres enfants de 1'066 fr. 30 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Elle avait touché une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 6'355 fr. 80 en 2020. Son dommage se montait ainsi à 14'649 fr. 25 (7 x 2'092 fr. 75) et 7'798 fr. (5 x 1'559 fr. 60), soit à 22'447 fr. 25 cette année-ci. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2020 sera rectifié à 53'495 fr. 45 (22'447 fr. 25 + 31'048 fr. 20).

2021 et 2022 (passage à l'échelon 12, puis augmentation du traitement)

Le premier juge a retenu que l'appelante aurait réalisé un salaire mensuel net de 8'122 fr. 20 dès le 1er janvier 2021, du fait du passage à l'échelon d'ancienneté 12, après vingt ans de service. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'544 fr. 65 (102'536 fr. par année dès le 1er janvier 2021), auquel étaient ajoutées des allocations pour son "premier enfant" de 1'098 fr. 60 et ses deux autres enfants de 1'066 fr. 30 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Dès le 1er septembre 2021, elle aurait perçu un salaire mensuel net de 8'139 fr. 30 du fait de l'augmentation du traitement. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'561 fr. 75 (102'741 fr. dès le 1er septembre 2021), auquel étaient ajoutées des allocations pour son "premier enfant" de 1'098 fr. 60 et ses deux autres enfants de 1'066 fr. 30 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35

Elle avait perçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 5'875 fr. 60 en 2021. Son dommage s'élevait ainsi à 17'972 fr. 80 (8 x 2'246 fr. 60) et 9'054 fr. 80 (4 x 2'263 fr. 70), soit à 27'027 fr. 60 pour 2021. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage pour 2021 sera rectifié à 58'075 fr. 80 (27'027 fr. 60 + 31'048 fr. 20).

Aux termes des documents produits en seconde instance, l'appelante a perçu une rente mensuelle moyenne pour elle et ses enfants de 6'012 fr. 50 en 2022. Son dommage se montait donc à 19'141 fr. 20 (9 x 2'126 fr. 80) du 1er janvier au
30 septembre 2022. Dans la mesure où il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, le dommage de janvier à septembre 2022 sera arrêté à 42'427 fr. 35 (19'141 fr. 20 + 23'286 fr. 15 [2'587 fr. 35 x 9]).

Récapitulatif (1er février 2007 au 30 septembre 2022)

Pour l'entier de la période courant du 1er février 2007 au 30 septembre 2022, le gain manqué se monte à la somme arrondie de 853'665 fr. (26'512 fr. 75 + 44'335 fr. 80 + 42'531 fr. + 49'987 fr. 10 + 67'399 fr. 20 + 62'416 fr. 80 + 61'183 fr. 20 + 62'248 fr. 20 + 64'129 fr. 20 + 53'663 fr. 60 + 55'461 fr. + 55'670 fr. 40 + 54'128 fr. 60 + 53'495 fr. 45 + 58'075 fr. 80 + 42'427 fr. 35), avec intérêts moyens à 5% l'an dès le 1er décembre 2015.

10.2.5 Pour ce qui est du calcul de la perte de gain future, le Tribunal a retenu que le salaire mensuel net de l'appelante aurait été de 7'606 fr. 15 dès le 1er octobre 2022, les allocations pour son fils M______ n'étant plus versées, celui-ci ayant atteint l'âge de 21 ans en septembre 2022. Ce montant comprenait le "Net Base Salary" de 8'561 fr. 75 par mois, auquel étaient ajoutées des allocations pour son "premier enfant" de 1'098 fr. 60 par mois et son autre enfant de 533 fr. 15 et dont étaient déduits 2'587 fr. 35.

Le Tribunal a considéré qu'au 1er octobre 2022 (prononcé du jugement), l'âge arrondi au plus proche anniversaire de la naissance de l'appelante (née le ______ 1972) était 51 ans, de sorte qu'il convenait de capitaliser le montant précité avec une table d'activité jusqu'à 64 ans pour une femme de 51 ans, avec un taux de 3.5%, soit un coefficient de 10.25 (Stauffer/Schaetzle/Weber, Tables et programmes de capitalisation, 7ème éd., 2018, table A3y).

Selon le Tribunal, la perte de gain future s'élèverait à 1'730 fr. 55 par mois (7'606 fr. 15 de salaire net – 5'875 fr. 60 de rente moyenne), soit à 20'766 fr. 60 par année, ce qui représentait un montant capitalisé de 212'857 fr. 65 (20'766 fr. 60 x 10.25).

10.2.5.1 Il n'y a pas lieu de tenir compte de la déduction de 2'587 fr. 35, de sorte que le salaire mensuel net à retenir sera rectifié à 10'193 fr. 50 (7'606 fr. 15 + 2'587 fr. 35). Quant à la rente mensuelle, elle sera arrêtée au montant moyen perçu par l'appelante en 2022, soit à 6'012 fr. 50.

Par ailleurs, l'appelante réitère ici son grief lié aux allocations pour ses deux enfants aînés, L______ et M______, qu'il n'y aurait pas lieu d'écarter dès l'âge de 21 ans selon elle. Ce grief n'est pas fondé, pour les mêmes motifs qu'exposés supra au considérant 10.2.3 (cf. "griefs de l'appelante", dernier §), auxquels il est renvoyé.

En dernier lieu, l'appelante reproche avec raison au premier juge d'avoir retenu que l'âge arrondi au plus proche anniversaire de sa naissance était 51 ans, en lieu et place de 50 ans. C'est donc le coefficient de 10.86 qui doit être appliqué (Stauffer/Schaetzle/Weber, Tables et programmes de capitalisation, 7ème éd., 2018, table A3y). Partant, le jugement entrepris sera rectifié dans le sens où la perte de gain future sera arrêtée à 4'181 fr. par mois (10'193 fr. 50 de salaire net – 6'012 fr. 50 de rente moyenne), soit à 50'172 fr. par année, ce qui représente un montant capitalisé arrondi de 544'867 fr. (50'172 fr. x 10.86).

10.2.5.2 Dans leurs réponses à l'appel de l'appelante, l'intimé et les autres intimés font valoir – pour la première fois devant la Cour – que le Tribunal, en calculant la perte de gain future de l'appelante, n'aurait pas dû tenir compte des allocations perçues par ses deux plus jeunes enfants (N______ et O______) pour la période de capitalisation (soit du 1er octobre 2022 jusqu'à ce que l'intéressée atteigne l'âge de 64 ans en 2036), puisque ceux-ci ne les percevraient sans doute plus dès leur majorité, soit en 2022 pour N______ et en 2028 pour O______. Ce grief, soulevé tardivement, est irrecevable pour les mêmes motifs que ceux exposés plus haut au consid. 10.2.3 (cf. "griefs des intimés - réponses à l'appel", avant-dernier §), motifs auxquels il est renvoyé.

Ce grief est en tout état infondé. Dans le cadre de son calcul du dommage futur, le Tribunal a capitalisé les revenus – évalués concrètement – que l'appelante aurait perçus à la date du prononcé du jugement, le 1er octobre 2022, si elle avait continué de travailler, ce qui est conforme à la jurisprudence. Il est vrai que ces revenus comprennent des allocations pour enfants que l'appelante n'aurait pas continué à percevoir durant l'entier de la période courant jusqu'à sa retraite. Le calcul du dommage futur par capitalisation implique toutefois nécessairement une importante abstraction, puisqu'il s'agit de "figer" pour l'avenir le montant des revenus concrets pris en considération en faisant abstraction des changements futurs. S'il en résulte que certains éléments sont pris en considération quand bien même ils n'auraient pas perduré sur l'entier de la période de capitalisation, cela est compensé par le fait que d'autres ne le sont pas. Ainsi, les salaires nets que l'appelante aurait touchés dans le futur auraient très probablement continué d'évoluer à la hausse après le 1er octobre 2022, tandis que les rentes d'invalidité qu'elle percevra à l'avenir sont susceptibles de diminuer – or ces deux éléments n'ont pas été pris en compte.

10.2.6 Eu égard aux considérations qui précèdent, l'intimé et les autres intimés devraient – a priori – être condamnés à payer à l'appelante, solidairement entre eux, les montants de 853'665 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2015, à titre de dommage actuel pour la période du 1er février 2007 au 1er octobre 2022, et de 544'867 fr., à titre de dommage futur à compter de cette dernière date. Le montant en capital et intérêts alloué devrait donc s'élever à 1'779'112 fr. (853'665 fr. + 380'580 fr. d'intérêts pour la période courant du 1er décembre 2015 jusqu'au prononcé du présent arrêt, soit jusqu'au 1er novembre 2024 + 544'867 fr.).

Cela étant, devant la Cour, l'appelante a valablement conclu au paiement d'un montant en capital et intérêts totalisant 1'744'683 fr. (cf. supra, consid. 2.2.1), soit 34'429 fr. de moins que ce à quoi elle a théoriquement droit (1'779'112 fr. – 1'744'683 fr.). Aussi, conformément au principe ne ultra petita, l'intimé et les autres intimés doivent être condamnés à lui payer, solidairement entre eux, les montants de 853'665 fr., avec intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2015, et de 510'438 fr. (544'867 fr. – 34'429 fr.).

Le chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué sera dès lors annulé et il sera statué à nouveau dans le sens de ce qui précède.

11. 11.1 Les frais judiciaires et dépens sont mis à la charge de la partie qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Lorsqu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais sont répartis selon le sort de la cause (art. 106 al. 2 CPC).

Le juge peut s'écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation si le demandeur obtient gain de cause sur le principe de ses conclusions, mais non sur leur montant, celui-ci étant tributaire de l'appréciation du tribunal ou difficile à chiffrer (art. 107 al. 1 let. a CPC), soit notamment dans le cas de procès en responsabilité civile contre des compagnies d'assurances à la suite de lésions corporelles. Il faut que le demandeur obtienne gain de cause sur le principe de son action et non seulement sur des points accessoires sans se voir allouer la totalité ou l'essentiel de ce qu'il réclamait, mais aussi qu'on n'ait pu attendre de lui qu'il limite d'emblée ses prétentions au montant auquel il avait droit, parce que celui-ci était difficile à déterminer ou dépendait d'une appréciation du tribunal (ATF 139 III 358 consid. 3; arrêts du Tribunal fédéral 4A_207/2015 du 2 septembre 2015 consid. 3.1; 5A_816/2013 du 12 février 2014 consid. 4.1; Tappy, CR CPC, 2019, n. 9 et 10 ad art. 107 CPC).

Si l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).

11.2.1 Il ne sera pas revenu sur le montant des frais judiciaires de première instance (78'628 fr.) que les parties ne critiquent pas.

S'agissant de leur répartition, que l'appelante remet en cause, le Tribunal a retenu que dans la mesure où celle-ci obtenait gain de cause sur le principe de la responsabilité, mais uniquement sur un montant restreint de ses prétentions, il y avait lieu de répartir les frais judiciaires par moitié entre celle-ci, d'une part, et l'intimé et I______, d'autre part.

Dans leurs réponses à l'appel de l'appelante, l'intimé et les autres intimés soutiennent que celle-ci aurait succombé pour plus de 75% des prétentions qu'elle a émises. Ils chiffrent toutefois à tort ces prétentions à 2'552'382 fr., respectivement à 3'071'082 fr. au total, en prenant en considération les montants réclamés par l'appelante dans ses écritures du 16 novembre 2015 au titre du préjudice ménager passé et futur, des frais médicaux non remboursés et du tort moral. Or ces postes ont fait l'objet de décisions de déboutement partiel, désormais entrées en force, dans le cadre desquelles la question des frais judiciaires et dépens y afférents a déjà été réglée (cf. supra, En fait, let. C.o.a in fine). Il ne sera donc pas entré en matière plus avant sur ce grief qui part d'une prémisse erronée.

A l'issue de la procédure d'appel, l'appelante obtient gain de cause sur une part importante des montants réclamés, que l'on tienne compte des intérêts (1'744'683 fr. sur 2'125'628 fr. réclamés) ou non (853'665 fr. et 510'438 fr. sur 859'487 fr. et 922'346 fr. réclamés). En outre, l'on ne pouvait attendre de l'appelante qu'elle limite d'emblée ses prétentions au montant auquel elle avait droit, compte tenu de la difficulté à établir ce montant et du principe ne ultra petita applicable au présent litige. Dans la mesure où l'appelante obtient gain de cause sur le principe de la responsabilité et des postes de son dommage, mais également sur une grande partie des montants réclamés, il se justifie de faire application de l'art. 107 al. 1 let. a CPC et de mettre les frais judiciaires de première instance à la charge de l'intimé, à raison de 39'314 fr., et des autres intimés, solidairement entre eux, à raison de 39'314 fr.

Le chiffre 4 du dispositif du jugement attaqué, qui prévoit que les frais judiciaires de première instance sont partiellement compensés avec l'avance de 1'800 fr. versée par l'intimé, sera confirmé.

En conséquence, l'intimé versera 37'514 fr. et les autres intimés verseront 39'314 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de solde des frais judiciaires de première instance.

Les chiffres 5, 6 et 7 du dispositif du jugement attaqué seront annulés et il sera statué à nouveau dans le sens de ce qui précède.

11.2.2 Se fondant sur les mêmes motifs que ceux retenus en lien avec les frais judiciaires, le Tribunal a considéré qu'il convenait d'allouer des dépens exclusivement à F______ SA et de les mettre à la charge de l'appelante. Celle-ci ne remet pas en cause ces dépens – arrêtés à 30'000 fr. –, exposant que F______ SA avait renoncé à en réclamer le paiement. Le chiffre 8 du dispositif du jugement entrepris sera donc confirmé.

Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus en lien avec la répartition des frais judiciaires de première instance, il convient de condamner l'intimé et les autres intimés à verser des dépens de première instance à l'appelante. Ceux-ci seront arrêtés, sur la base de la valeur litigieuse, de l'ampleur et de la complexité de la cause, ainsi que de l'activité déployée, à 60'000 fr., débours compris et sans TVA compte tenu du domicile à l'étranger de l'appelante (art. 84 et 85 RTFMC; art. 20 al. 1, 23 al. 1, 25 et 26 LaCC; ATF 141 IV 344 consid. 4.1).

Ces dépens seront mis à la charge de l'intimé à raison de 30'000 fr. et des autres intimés, solidairement entre eux, à hauteur de 30'000 fr.

11.3.1 Il sera fait masse des frais judiciaires des trois appels, qui seront arrêtés, en incluant ceux liés aux arrêts de suspension et reprise de la procédure, à 50'000 fr. (art. 13, 17 et 35 RTFMC) et partiellement compensés avec l'avance de 15'000 fr. fournie par l'intimé et celle de même montant fournie par les autres intimés.

Pour les mêmes motifs que ceux précédemment mentionnés, ces frais judiciaires d'appel seront mis à la charge de l'intimé, à raison de 25'000 fr., et des autres intimés, solidairement entre eux, à raison de 25'000 fr., étant relevé qu'ils succombent entièrement dans leurs appels respectifs et en grande partie dans le cadre de celui de l'appelante (art. 106 al. 1 et 107 al. 1 let. a CPC). En conséquence, l'intimé versera 10'000 fr. et les autres intimés verseront 10'000 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de solde des frais judiciaires d'appel.

11.3.2 L'intimé et les autres intimés seront, en outre, condamnés à verser un montant de 40'000 fr. à l'appelante à titre de dépens d'appel, débours compris et sans TVA. Ce montant tient compte de la valeur litigieuse, de l'importance ainsi que de la complexité de la cause et de l'activité déployée par le conseil de l'appelante dans le cadre des trois appels (art. 84, 85 et 90 RTFMC; art. 20 al. 1, 23 al. 1, 25 et 26 LaCC).

Ces dépens seront mis à la charge de l'intimé à raison de 20'000 fr. et des autres intimés, solidairement entre eux, à raison de 20'000 fr.

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevables les appels interjetés le 28 novembre 2022 par A______, B______ et I______ contre le jugement JTPI/12483/2022 rendu le 1er octobre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/13352/2015.

Au fond :

Annule les chiffres 1, 2, 5, 6 et 7 du dispositif du jugement entrepris et, statuant à nouveau sur ces points :

Condamne B______, C______, D______ et E______, solidairement entre eux, à verser à A______ les sommes de 853'665 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2015 et de 510'438 fr.

Met les frais judiciaires de première instance à la charge de B______ à hauteur de 39'314 fr., et de C______, D______ et E______, solidairement entre eux, à hauteur de 39'314 fr.

Condamne B______ à verser 37'514 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne C______, D______, E______, solidairement entre eux, à verser 39'314 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne B______ à verser 30'000 fr. à A______ à titre de dépens de première instance.

Condamne C______, D______, E______, solidairement entre eux, à verser 30'000 fr. à A______ à titre de dépens de première instance.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 50'000 fr., les met à la charge de B______ à hauteur de 25'000 fr., et de C______, D______ et E______, solidairement entre eux, à hauteur de 25'000 fr., et les compense avec les avances versées, qui restent acquises à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser 10'000 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne C______, D______, E______, solidairement entre eux, à verser 10'000 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne B______ à verser 20'000 fr. à A______ à titre de dépens d'appel.

Condamne C______, D______ et E______, solidairement entre eux, à verser 20'000 fr. à A______ à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.