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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4646/2009

ATA/704/2012 du 16.10.2012 sur DCCR/915/2010 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : ; CONSTRUCTION ET INSTALLATION ; ZONE DE DÉVELOPPEMENT ; PERMIS DE DÉMOLIR ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; POUVOIR D'EXAMEN ; PROTECTION DES MONUMENTS ; PESÉE DES INTÉRÊTS ; INTÉRÊT PUBLIC ; LOGEMENT ; COORDINATION(AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE OU ENVIRONNEMENT)
Normes : Cst.29.al2 ; LPA.61 ; LGZD.6.al15 ; LAT.25a ; LCI.1.al1.letc ; LCI 3A ; LPA.12A ; LDTR.2.al1 ; LDTR.3.al4 ; LDTR.5 ; LDTR.6
Parties : THIEMANN Philippe / LA FONDATION ARMENIA, DEPARTEMENT DE L'URBANISME
Résumé : Confirmation d'une autorisation de démolir un bâtiment sis en zone de développement 3 (zone de fond 5), l'intérêt du propriétaire à valoriser sa parcelle conformément aux prescriptions prévues par un PLQ en force primant celui tenant dans la conservation d'un bâtiment présentant une valeur architecturale et historique. Affecté à un établissement de soins, puis temporairement loué à des étudiants, le bâtiment en cause n'est pas assujetti à la LDTR. Le département n'a donc pas violé le principe de coordination en délivrant l'autorisation de démolir, avant celle de construire un nouveau bâtiment de logements.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4646/2009-LCI ATA/704/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 octobre 2012

1ère section

 

dans la cause

Monsieur Philippe THIEMANN
représenté par Me Guy Zwahlen, avocat

contre

FONDATION ARMENIA
représentée par Me Marc Iynedjian, avocat

 

et

 

DÉPARTEMENT DE L'URBANISME

_________


Recours contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 18 juin 2010 (DCCR/915/2010)


EN FAIT

1. La Fondation Armenia (ci-après : la fondation), inscrite au registre du commerce de Genève depuis le 22 octobre 1971, a pour but statutaire de contribuer à la survie du peuple arménien et au développement de celui-ci sur le plan spirituel, moral, culturel et matériel par tous les moyens appropriés ; de maintenir et développer la fraternité et la solidarité entre tous les Arméniens et d'accorder, à cet effet, toutes les aides nécessaires à toutes personnes, sociétés ou collectivités poursuivant une activité conforme au but ci-dessus, sans aucune discrimination de nationalité, de religion, de sexe ou d'appartenance politique.

2. La fondation est propriétaire de la parcelle n° 1'361, feuille 41, de la commune de Genève, secteur Eaux-Vives, sise à l'adresse 22, chemin du Velours à Conches.

3. Initialement inclus dans la zone 5 (villas), ce bien-fonds d'une superficie de 1'975 m2 est désormais classé en zone de développement 3.

Le 8 juillet 1987, le Conseil d'Etat a adopté un plan d'aménagement n° 27'895A-275 modifiant pour partie le plan d'aménagement n° 27'125-275 du 8 novembre 1978 et prévoyant la construction de trois bâtiments de logements, dont un de 6 étages sur rez-de-chaussée, plus attique, sur la parcelle n° 1'361.

4. Sur celle-ci est érigé un bâtiment (G285) d'une surface au sol de 268 m2, construit en 1908 et ayant abrité un pensionnat pour jeunes filles dans un premier temps, puis, jusqu'en 2008, un établissement médico-social utilisé successivement par la Fondation Sidaid et la Fondation pour l'hébergement des personnes handicapées psychiques (ci-après : FHP).

Depuis, la fondation permet à des étudiants arméniens et à différents invités d'y résider, afin d'éviter une occupation illicite des lieux. De mars à décembre 2009, elle a conclu des baux de courte durée (trois mois renouvelables) avec d'autres étudiants, mettant des chambres à leur disposition pour un loyer mensuel de CHF 500.-.

5. Selon l'état descriptif figurant au registre foncier (ci-après : RF), le bâtiment est destiné à un établissement de soins.

Il n'a pas subi de transformations au départ de la FHP et se compose de trois niveaux sur rez-de-chaussée et d'un sous-sol, agencés de la manière suivante : un hall, une buanderie, deux vestiaires, une cave, une chaufferie, une citerne et deux autres pièce au sous-sol ; un sas d'entrée, un hall, un WC, une salle à manger, deux salons, une cuisine, une réception et deux bureaux au rez-de-chaussée ; huit chambres équipées de lavabo, deux salles de bain et deux WC avec douche au 1er étage ; sept chambres équipées de lavabo, une salle de bain et deux WC avec douche au 2ème étage. Les combles ne sont pas aménagés.

6. Lors du recensement opéré le 16 septembre 1992 par la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) pour le secteur de Malagnou, le bâtiment G285 a été inclus dans la catégorie des « monuments et bâtiments intéressants ».

7. Le 14 juillet 2009, la fondation a déposé auprès du département des constructions et des technologies de l'information, devenu depuis lors le département de l'urbanisme (ci-après : le département) une requête en autorisation de démolir le bâtiment G285, enregistrée sous n° M 6'260-2.

A cette même date, elle a également déposé une demande définitive en autorisation de construire un immeuble de logements HSE (haut standard énergétique) et un garage souterrain sur la parcelle n° 1'361 que le département a enregistrée le 28 août 2009 seulement, sous n° DD 103'102. Dite demande a suivi un cours indépendant de la requête en autorisation de démolir.

8. Le 21 juillet 2009, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) a émis un préavis favorable à la délivrance de l'autorisation de démolir, sous réserve que des photographies intérieures et extérieures et qu'un plan de repérage du bâtiment lui soient fournis.

9. Le 23 juillet 2009, la direction générale de la nature et du paysage (ci-après : DGNP) a exigé le dépôt d'une requête en autorisation d'abattage, ainsi que d'un plan d'abattage des arbres concernés par la démolition.

10. Le 20 août 2009, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a émis un préavis favorable sous condition qu'un projet de construction d'un immeuble de logements, conforme au plan localisé de quartier (ci-après : PLQ) n° 27'895A-275 du 8 juillet 1987, soit autorisé en lieu et place de la villa existante.

11. Le 25 août 2009, la fondation a indiqué au département qu'aucun arbre significatif n'était concerné par la démolition. Selon un document élaboré par le bureau d'architectes paysagistes Gilbert Henchoz et joint au dossier de la demande en autorisation de construire, seul un arbre mort serait atteint.

12. Le 15 septembre 2009, la DGNP a rendu un préavis favorable.

En cas de démolition avant la délivrance de la DD 103'102, toutes les précautions utiles (protections solides à l'aplomb des couronnes plus 1 m) devraient être prises, de manière à séparer valablement l'espace vital des arbres avoisinant la zone de chantier. L'autorisation d'abattage d'arbres serait liée à la demande en autorisation de construire.

13. Par décision du 20 novembre 2009, publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 25 novembre 2009, le département a délivré l'autorisation de démolir n° M 6'260-2.

Les conditions figurant dans le préavis de la DGNP du 15 septembre 2009 devaient être strictement respectées et faisaient partie intégrante de l'autorisation.

14. Par acte du 22 décembre 2009, Monsieur Philippe Thiemann, copropriétaire des parcelles voisines nos 2'791 et 2'794, feuille 41, de la commune de Genève, secteur Eaux-Vives, a recouru contre l'autorisation précitée auprès de la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : CCRA), devenue dès le 1er janvier 2011 le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

Le bâtiment G285 était loué principalement à des étudiants. Il était d'intérêt public que ce type de logement soit maintenu en ville. Le projet de démolition portait par ailleurs atteinte au caractère du lieu et du patrimoine du quartier. De magnifiques arbres devraient être abattus, tandis que le bâtiment visé par la démolition présentait un intérêt architectural indéniable et devait être classé. Le PLQ, vieux de plus de vingt-trois ans, n'était plus adapté et devait être revu pour maintenir le caractère du quartier. Le projet de construction de la fondation, qui était le corollaire de celui de la démolition, porterait une atteinte importante à la qualité de vie du quartier, l'infrastructure routière du chemin du Velours étant totalement inadaptée aux constructions en cours et à venir. Le principe de coordination avait été violé, puisque les deux projets n'avaient pas été déposés en même temps. L'autorisation querellée devait, partant, être annulée.

15. Le 2 février 2010, la fondation a conclu au rejet du recours.

La parcelle n° 1'361 se situait en zone de développement 3 et le PLQ en vigueur prévoyait la démolition de la maison existante et la réalisation d'un immeuble de logements de 6 niveaux sur rez-de-chaussée plus attique, d'un parking en sous-sol de 1,3 place par logement et des aménagements paysagers sur le reste du bien-fonds. La maison existante n'était pas un foyer pour étudiants, Afin de pallier la libération anticipée des locaux par la FHP, elle avait été temporairement mise à la disposition de certains d'entre eux, moyennant la conclusion de baux limités et précaires. Ceux-ci avaient depuis lors été résiliés avec l'accord formel et écrit de tous les locataires qui y logeaient encore. Elle entendait réaliser 21 logements locatifs considérés d'utilité publique. Son projet de construction était un projet social, conforme à ses valeurs et non une promotion immobilière. Selon le SMS, la maison existante ne présentait pas de valeur architecturale, ni historique. Les arbres de la parcelle n° 1'361 seraient préservés, grâce à une réduction du parking souterrain et à des travaux spéciaux engendrant un coût supplémentaire qu'elle était prête à assumer. La ville travaillait sur un projet de réaménagement et de sécurisation du chemin du Velours qui allait prochainement faire l'objet d'une demande en autorisation de construire.

16. Le 8 mars 2010, M. Thiemann a complété son recours sous la plume d'un avocat, concluant à l'octroi de l'effet suspensif, à la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur la demande de classement ou de mise à l'inventaire du bâtiment G285 que les milieux de protection du patrimoine allaient déposer, à l'audition d'un représentant du SMS, ainsi qu'à l'annulation de l'autorisation de démolir n° M 6'260-2 « sous suite de frais et dépens ».

Le PLQ prévoyant la construction d'un immeuble de logements avait plus de trente ans et avait été adopté dans un contexte différent, soit à une époque où le style de la maison visée par la démolition n'attirait pas encore l'attention des responsables de la protection du patrimoine. Il n'était plus d'actualité. Le SMS n'avait délivré qu'un préavis sous réserves et avait exigé un complément d'instruction, compte tenu du recensement de la maison en tant que bâtiment intéressant. La majorité des habitants du quartier étaient opposés à la démolition. Ils avaient déposé un recours transformé ensuite en pétition. L'intérêt public à la protection du patrimoine devait l'emporter sur la spéculation immobilière, étrangère aux buts de la fondation. Le principe de coordination ancré à l'art. 3A al. 2 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) avait été violé, l'autorisation de démolir ayant été accordée avant celle de construire.

17. Le 30 avril 2010, le département s'est déterminé sur le recours.

Le SMS avait récemment rappelé au recourant qu'il avait préavisé favorablement la requête en autorisation de démolir. La valeur orange attribuée lors du recensement de 1992 au bâtiment G285 n'était qu'indicative. Seul un examen au cas par cas aurait permis d'attribuer à cet objet une valeur de mise sous protection. Ledit service avait demandé des prises de vues intérieures et extérieures, ainsi qu'un plan de repérage, afin de documenter ses archives. L'autorisation de démolir avait ensuite été délivrée par le département.

18. Le 25 mai 2010, M. Thiemann a persisté dans ses conclusions tendant à l'octroi de l'effet suspensif.

Si l'autorisation de démolir devait être mise à exécution avant droit jugé sur le fond, il en résulterait un dommage irréparable. Le SMS avait été saisi d'une demande formelle de tiers sollicitant le classement ou la mise à l'inventaire du bâtiment G285. Parallèlement, une pétition munie de plus de 100 signatures avait été déposée par des habitants du quartier auprès du conseil municipal de la Ville de Genève et du Grand Conseil, afin que ces autorités prennent toutes les mesures utiles à la protection de cet objet.

19. Le 10 juin 2010, la fondation a sollicité la levée de l'effet suspensif, le recours de M. Thiemann étant dilatoire.

Aucune procédure de protection du bâtiment G285 n'avait à ce jour été ouverte. Multipliant les démarches et courriers auprès des autorités genevoises, le recourant tentait de rouvrir le débat pour mieux prolonger la présente procédure. Sa demande de classement ou de mise à l'inventaire était dénuée de chances de succès, compte tenu de la position clairement signifiée par le département dans ce dossier. L'immeuble projeté représenterait une source de revenu significative pour les bénéficiaires de la fondation, dont les projets humanitaires étaient mis en péril par le recours.

20. A cette même date, le département a fait valoir que l'autorisation de démolir avait été délivrée dans le cadre de la mise en oeuvre d'un PLQ, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de donner suite à la demande en restitution de l'effet suspensif du recourant.

21. Le 18 juin 2010, la CCRA a tenu une audience de comparution personnelle et d'enquêtes, au cours de laquelle Monsieur Maurice Lovisa, directeur du SMS a été entendu en qualité de témoin.

a. Les représentants de la fondation ont indiqué que la DD 103'102 était toujours en cours d'examen, les derniers compléments devant être prochainement soumis au département. Le recours n'avait pas d'effet suspensif, puisqu'un PLQ existait. Ils souhaitaient prendre leur temps pour démolir la maison, afin de pouvoir en vendre certains éléments. Des chambres avaient été louées à des étudiants au mois de septembre 2008 à des prix très bas et pour de courtes durées, en vue d'éviter des « squatters ». Aucuns travaux de transformation n'avaient été effectués, tandis que seuls des étudiants arméniens étaient actuellement logés gratuitement dans la maison.

b. Selon le département, la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) ne s'appliquait pas, le bâtiment G285 ayant une vocation « administrativo-commerciale » et n'étant pas destiné à du logement.

c. M. Thiemann a soutenu le contraire, dans la mesure où des baux avaient été conclus avec des étudiants. Il a sollicité l'audition de témoins.

d. Se référant au préavis de son service, M. Lovisa a expliqué qu'un reportage photographique n'avait été demandé qu'en vue de constituer des archives. Le bâtiment avait subi des transformations pour accueillir des personnes âgées.

22. Par jugement du même jour, la CCRA a rejeté le recours de M. Thiemann et confirmé l'autorisation de démolir M 6'260-2.

La parcelle abritant le bâtiment litigieux était située dans le périmètre d'un PLQ adopté le 8 juillet 1987, lequel n'avait pas fait l'objet de modification, ni de demande en ce sens de la part du recourant. Ce plan avait force obligatoire pour les autorités en vertu de l'art. 14 de loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700) et prévoyait la construction d'un immeuble de logements en lieu et place du bâtiment actuel qui devait, partant, être démoli.

Le département avait en l'espèce suivi le préavis du SMS qui avait approuvé la démolition du bâtiment, en dépit de son recensement architectural comme objet intéressant. Ce service s'était prononcé après avoir procédé à une réévaluation du bâtiment. La CCRA devait ainsi faire preuve de retenue et ne pas substituer sa propre appréciation à celle d'un service spécialisé en matière de protection du patrimoine architectural. Les démarches entreprises par le recourant en vue d'empêcher la démolition du bâtiment G285 (pétition, interpellation du Grand Conseil et des autorités communales) n'étaient en outre pas aptes à mettre à néant la décision querellée.

Aucune disposition de la LCI n'obligeait le département à délivrer l'autorisation de démolir concurremment avec l'autorisation de construire. En raison de sa composition, la CCRA n'était au surplus pas compétente pour trancher la question de l'applicabilité de la LDTR.

23. Le 8 juillet 2010, l'association Action patrimoine vivant (ci-après : APV) a sollicité du Conseil d'Etat le classement du bâtiment G285.

24. Par acte du 30 juillet 2010, M. Thiemann a recouru auprès du Tribunal administratif, devenu dès le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), contre la décision de la CCRA reçue le 30 juin 2010, concluant à son annulation, ainsi qu'à celle de l'autorisation de démolir M 6'260-2, le tout « sous suite de frais et dépens ».

L'effet suspensif devait être maintenu, subsidiairement accordé. Le recours était en effet dirigé contre une autorisation de démolir et visait à sauvegarder un édifice de valeur historique et architecturale importante. Il importait que la démolition ne puisse être entreprise avant droit jugé au fond, sous peine de rendre vaine une issue favorable au recours. Un fait nouveau, consistant dans le dépôt, par une association disposant de la qualité pour agir, d'une demande de classement du bâtiment G285 imposait en outre de suspendre la procédure jusqu'à droit connu sur cette cause.

En rendant sa décision sans offrir la possibilité au recourant de faire entendre des témoins, dont en particulier des représentants de milieux de la protection du patrimoine, la CCRA avait violé son droit à la preuve. Si elle considérait que l'audition de témoins n'était pas pertinente, elle aurait dû en expliquer les raisons, ce qu'elle n'avait pas fait.

Le PLQ de 1987 n'avait pas force obligatoire en raison d'un fait nouveau intervenu depuis son adoption. Dans le milieu des années 90, un impératif de protection des édifices du Heimatstil s'était imposé. Cet élément aurait dû conduire la CCRA à relativiser la portée du PLQ et à privilégier l'intérêt public à la protection du patrimoine et à la conservation de logements pour étudiants, par rapport à l'intérêt privé de la fondation à réaliser une opération immobilière non prévue par ses buts statutaires. Les art. 9 et 21 LAT imposaient aux autorités de revoir tous les dix ans les plans d'affectation existants, ce qui ne leur assurait aucune pérennité au-delà de cette période.

Le préavis favorable du SMS n'était pas déterminant, puisque ce service ne s'était pas donné la peine de se rendre sur place pour examiner le bâtiment. Depuis lors, APV avait déposé une demande de classement, ce qui démontrait le caractère erroné du préavis rendu sans instruction sérieuse. Les spécialistes de la préservation du patrimoine considéraient que le bâtiment présentait un grand intérêt et méritait d'être reconnu comme monument historique, en tant que représentant du style historicisant de la fin du XIXème et du début XXème siècle. La CCRA ne pouvait ainsi pas faire preuve de la retenue d'usage dans son appréciation de la décision querellée.

La CCRA aurait également dû reconnaître une violation du principe de la coordination, la construction d'un immeuble de logements sur la parcelle n° 1'361 impliquant nécessairement la démolition du bâtiment G285. Ce principe, ancré à l'art. 12A de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), imposait que toutes les décisions nécessaires à la réalisation d'un projet soient au minimum notifiées en même temps et qu'une voie de recours unique soit ouverte à leur encontre. L'art. 25a LAT imposait en outre la désignation d'une autorité de coordination.

Enfin, la CCRA avait considéré à tort la LDTR comme inapplicable. Le fait que l'édifice à démolir abritait des étudiants au bénéfice de contrats de bail était établi. La LDTR s'appliquait donc et imposait d'autant plus le respect du principe de coordination susmentionné. Celle-ci se justifiait également compte tenu du fait qu'une étude d'impact pourrait s'avérer nécessaire, en raison de la charge de trafic supplémentaire induite par la construction prévue sur le chemin du Velours.

25. Le 23 août 2010, la fondation s'est déterminée sur effet suspensif.

L'accueil d'étudiants dans le bâtiment G285 avait été et demeurait une solution temporaire destinée à éviter que des « squatters » ne s'installent dans la maison, avant que celle-ci ne soit démolie. Les étudiants arméniens qui y logeaient actuellement étaient des invités temporaires, ne lui versaient aucun loyer et n'étaient pas au bénéfice de contrats de bail.

Les diverses procédures initiées par le recourant étaient purement dilatoires, le bâtiment concerné ne présentant manifestement pas de valeur architecturale justifiant des mesures de protection. En les multipliant, le recourant portait atteinte à l'intérêt public à lutter contre la pénurie de logements, ainsi qu'aux intérêts de la fondation et de ses bénéficiaires. Elle se trouvait dans une situation financière délicate dans la mesure où elle ne tirait plus aucun revenu de son immeuble, lequel engendrait en revanche des frais d'entretien et autres coûts substantiels. En 2009, ces frais s'étaient élevés à CHF 34'688.-. Depuis le début de l'année 2010, elle avait eu recours aux services d'une société de sécurité qui lui coûtaient CHF 1'300.- par mois environ. Le retard pris dans la réalisation de son projet immobilier lui causait en outre un important manque à gagner. Elle sollicitait donc le rejet de la requête en restitution de l'effet suspensif.

26. Le 26 août 2010, le département s'est opposé à la restitution de l'effet suspensif, dans la mesure où l'autorisation de démolir avait été délivrée sur la base du PLQ n° 27'895A-275. Cela étant dit, une demande de classement portant sur le bâtiment G285 avait été déposée par APV et était en cours d'instruction.

27. Par décision du 7 septembre 2010 (ATA/610/2010), la présidente du Tribunal administratif a restitué l'effet suspensif au recours de M. Thiemann en application de l'art. 146 al. 2 LCI, réservant le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond.

L'intérêt public à la réalisation du PLQ n° 27'895A-275 était sans conteste important. En matière de construction, la préférence était toutefois donnée au maintien de l'état prévalant avant le litige. Cette considération s'imposait d'autant plus en l'espèce qu'une procédure de classement concernant le bâtiment litigieux était en cours et que si le retrait de l'effet suspensif au recours était confirmé, dite procédure en perdrait son objet.

28. Le 30 septembre 2010, la fondation a conclu au rejet du recours « sous suite de frais et dépens ».

A teneur de l'art. 21 LAT, les plans d'affectation avaient force obligatoire pour chacun. Selon la jurisprudence, lorsqu'un plan d'affectation avait été mis en oeuvre moyennant l'octroi d'autorisations de construire, sa stabilité devait être également garantie. En l'espèce, le PLQ avait été presque entièrement exécuté. Des immeubles modernes, notamment celui dont le recourant était copropriétaire, avaient été construits sur les parcelles voisines. La construction d'un immeuble de logement sur la parcelle n° 1'361 constituait la dernière étape de mise en oeuvre du PLQ. L'urbanisation du périmètre du chemin du Velours situé à proximité de la future liaison ferroviaire Cornavin - Eaux-Vives - Annemasse (ci-après : CEVA) était devenu un projet prioritaire de l'Etat. Des travaux d'envergure de rénovation et d'agrandissement du cycle d'orientation de la Florence étaient par ailleurs en cours, à quelques mètres du bâtiment litigieux. Ces raisons avaient conduit la direction générale de l'aménagement du territoire à préaviser favorablement le projet de démolition le 22 juillet 2009. L'intérêt public à lutter contre la pénurie de logements devait ainsi prévaloir. Elle entendait le servir en construisant sur la parcelle n° 1'361 un immeuble comprenant 30 % de logements d'utilité publique (LUP). Eu égard au principe de la sécurité du droit et de la garantie de la propriété, il était également d'intérêt public qu'un PLQ déjà réalisé à 90 % soit achevé.

Aucune disposition légale n'imposait au SMS de se rendre sur place avant d'émettre un préavis. Ledit service statuait usuellement sur la base des plans, photographies, articles et autres documents étatiques en sa possession. Il avait en outre confirmé son préavis en audience, après avoir effectué une nouvelle évaluation du bâtiment. L'absence de dossier photographique n'avait en l'espèce pas eu d'influence, puisque celui-ci était destiné à ses archives. La maison à démolir était en mauvais état de conservation. Elle était vétuste et des travaux importants et onéreux auraient été nécessaires pour la remettre en état. Au cours des ans, elle avait subi de nombreuses transformations et ne présentait donc pas une valeur architecturale ou historique justifiant des mesures de protection.

Le principe de coordination ancré aux art. 25a LAT, 12A LPA et 3A LCI garantissait que tous les aspects d'un projet de construction soient traités de manière coordonnée pour que les autorisations nécessaires ne fassent l'objet que d'une seule et même procédure de recours. L'autorisation de démolir querellée n'était en l'espèce qu'une pure mesure d'exécution du PLQ n° 27'895A-275, ayant force obligatoire pour les autorités. L'autorisation de construire déposée en regard du même bien-fonds était en outre en cours d'instruction. Elle visait un projet beaucoup plus complexe que la démolition et était soumise à des enjeux différents. Les deux projets étaient donc indépendants l'un de l'autre et le principe de coordination n'avait pas été violé.

La LDTR n'était pas applicable dans le cas d'espèce. La maison, qui avait servi durant plusieurs années à l'exploitation d'un établissement médico-social avait depuis longtemps une vocation « administrativo-commerciale ». Selon le RF, elle était affectée à un établissement de soins. L'accueil d'étudiants n'était qu'une solution provisoire et n'avait engendré aucuns travaux de transformation. La maison ne contenait pas de locaux affectés, par leur aménagement et leur distribution, à l'habitation et pourrait tout au plus être assimilée à une maison individuelle ne comportant qu'un seul logement.

29. Le 30 septembre 2010, le département a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision de la CCRA du 18 juin 2010.

30. Par courrier du 13 octobre 2010, le juge délégué a demandé au Conseil d'Etat de le renseigner sur l'état d'avancement de la procédure de classement, subsidiairement de mise à l'inventaire, initiée par APV le 8 juillet 2010.

31. Par courrier du 13 octobre 2010, M. Thiemann a demandé à ce qu'un délai lui soit imparti pour produire une liste de témoins susceptibles de renseigner le Tribunal administratif sur la qualité architecturale du bâtiment G285, l'évolution de la procédure de classement et des pétitions toujours pendantes devant le Grand Conseil et le conseil municipal de la Ville de Genève, ainsi que sur les baux conclus par la fondation avec des étudiants.

32. Le 10 novembre 2010, l'office du patrimoine et des sites a informé le Tribunal administratif de l'état d'avancement de la demande de classement d'APV.

33. Par courriers adressés au département les 24 janvier, 18 mai et 1er juillet 2011, le juge délégué s'est à nouveau enquis du sort réservé à la demande précitée, dont l'instruction était toujours en cours.

34. Par arrêté du 27 juillet 2011, le Conseil d'Etat a rejeté la demande de classement.

Il pouvait s'écarter des préavis des organismes consultatifs institués par la loi s'il existait des motifs objectifs ou impérieux qui le justifiaient. Il se trouvait confronté en l'espèce à deux intérêts contradictoires, l'un ayant trait à la conservation d'un élément digne d'intérêt du patrimoine bâti, l'autre relevant de la nécessité de mettre à la disposition de la population des logements répondant aux besoins de celle-ci. En l'occurrence, l'intérêt public à la construction de logements devait l'emporter sur celui de la préservation du patrimoine, étant précisé que le plan d'aménagement, en force, prévoyait implicitement la démolition du bâtiment. La mise à l'inventaire demandée à titre subsidiaire était de la compétence du département, qui était invité à rejeter la demande pour les mêmes motifs.

35. Selon le site Internet de suivi administratif des dossiers de l'office de l'urbanisme (http://etat.geneve.ch/sadconsult/ [consulté le 16 octobre 2012]), l'autorisation de construire n° 103'102, portant sur la construction d'un immeuble de logement HSE et d'un garage souterrain sur la parcelle n° 1'361, a été délivrée le 29 juillet 2011.

Elle a été publiée dans la FAO du 3 août 2011, aux côté de l'autorisation d'abattage d'arbres délivrée par la DGNP pour le même projet, et ferait l'objet d'un recours pendant devant le TAPI.

36. Le 12 septembre 2011, M. Thiemann a demandé à la chambre administrative de maintenir la « suspension » de la procédure, jusqu'à ce que le refus de classement du Conseil d'Etat soit définitif et exécutoire.

37. Par courriers des 13 et 30 septembre 2011, le département a informé la chambre administrative que les voies de recours contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 27 juillet 2011 étaient toujours ouvertes et que lui-même devait encore se prononcer sur la demande de mise à l'inventaire formée à titre subsidiaire par APV. Cela étant, il ne voyait pas en quoi une suspension de la procédure était utile ou nécessaire. Seul l'art. 13 al. 1 de loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) paraissait devoir être mis en oeuvre.

38. Par acte du 16 septembre 2011, APV a recouru auprès de la chambre administrative contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 27 juillet 2011, en concluant principalement à son annulation et à ce qu'il soit ordonné de procéder au classement du bâtiment G285 ou subsidiairement à sa mise à l'inventaire (cause A/2824/2011).

39. Le 10 octobre 2011, la fondation s'en est remise à l'appréciation de la chambre administrative concernant la demande du recourant en suspension de la procédure, relevant toutefois que son projet était bloqué depuis près de deux ans et qu'il en résultait un important préjudice financier dont les lésés n'étaient autres que les bénéficiaires de ses oeuvres de charité.

40. Par décision du 8 décembre 2011, le département a rejeté la demande de mise à l'inventaire du bâtiment G285 formée par APV, en se fondant sur les mêmes motifs que le Conseil d'Etat.

APV a formé recours contre cette décision auprès de la chambre de céans (cause A/310/2012), avant de retirer celui-ci par courrier du 30 mars 2012. Par décision du 2 avril 2012, la chambre administrative a donc rayé cette cause du rôle.

41. Par arrêt du 27 mars 2012, la chambre administrative a déclaré irrecevable le recours interjeté par APV contre l'arrêté de refus de classement du Conseil d'Etat du 27 juillet 2011 (ATA/164/2012).

42. Le 23 mai 2012, la chambre administrative a informé les parties que la décision de refus de classement et celle de refus de mise à l'inventaire étaient définitives. Un ultime délai au 29 juin 2012 leur était imparti pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires.

43. Le 1er juin 2012, la fondation a relevé que les motifs ayant conduit à la suspension de la procédure avaient disparu et que celle-ci devait, partant, être reprise afin qu'une décision puisse être rapidement rendue.

Pour le surplus, le Grand Conseil et le conseil municipal de la ville avait décidé de ne pas donner suite aux pétitions déposées par le recourant et d'autres voisins. Au cours des débats, des députés de toute tendance politique avaient exprimé avec véhémence leur écoeurement par rapport aux moyens mis en oeuvre pour bloquer le projet de construction de la fondation. Sous réserve de la présente procédure, l'ensemble des moyens mis en oeuvre par les voisins pour empêcher la fondation de démolir le bâtiment G285 et reconstruire un nouvel immeuble de logements avaient donc été écartés.

44. Le 29 juin 2012, M. Thiemann a persisté à demander l'ouverture d'enquêtes, ainsi qu'un délai pour déposer une liste de témoins.

Ces témoins pourraient notamment attester la conclusion de contrats de bail entre la fondation et certains étudiants résidant dans le bâtiment G285. Le fait était pertinent pour trancher la question de l'applicabilité de la LDTR et, partant, de la violation du principe de la coordination. Pour sa part, il n'agissait pas pour des motifs égoïstes, mais uniquement pour préserver un milieu bâti harmonieusement aménagé, comme le souhaitaient de très nombreux habitants du quartier.

45. A cette même date, le département a fait savoir qu'il n'avait aucune requête complémentaire à formuler.

46. Le 12 juillet 2012, la fondation s'est opposée à la requête du recourant en audition de témoins. Une telle mesure n'était pas nécessaire pour trancher le litige et n'était qu'une nouvelle mesure dilatoire destinée à retarder encore plus la réalisation d'un projet bloqué depuis près de trois ans.

Aucun étudiant au bénéfice d'un contrat de bail ne logeait dans sa maison, occupée par des invités qui ne payaient aucun loyer. Cette solution provisoire ne perdurait qu'en raison de recourant et de ses nombreuses démarches pour empêcher la démolition. En tout état de cause, la maison se trouvait à l'état d'abandon, après avoir été affectée pendant des années à un but « administrativo-commercial ». Elle n'avait jamais été réaménagée de façon à pouvoir être affectée au logement, de sorte que la LDTR ne lui était pas applicable. Elle n'était finalement rien d'autre qu'une maison individuelle ne comportant qu'un seul logement, conformément à son affectation première à la 5ème zone villas.

47. Le 30 juillet 2012, le juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Depuis le 1er janvier 2011, suite à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), l'ensemble des compétences jusqu'alors dévolues au Tribunal administratif a échu à la chambre administrative, qui devient autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 131 et 132 LOJ).

Les procédures pendantes devant le Tribunal administratif au 1er janvier 2011 sont reprises par la chambre administrative (art. 143 al. 5 LOJ). Cette dernière est ainsi compétente pour statuer.

2. Interjeté en temps utile devant la juridiction alors compétente, le recours est recevable de ce point de vue (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 en vigueur jusqu'au 31 décembre 2010 - aLOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a LPA, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2010).

3. En tant que copropriétaire de bien-fonds voisins de la parcelle n° 1'361, M. Thiemann dispose de la qualité pour recourir au sens de l'art. 60 let. b LPA.

4. Le recourant se plaint d'une violation de son droit à la preuve, la commission n'ayant pas procédé aux auditions de témoins qu'il avait requises. Il lui reproche en particulier de n'avoir pas expliqué son refus de donner suite à cette offre de preuve. Par-devant la chambre de céans, il persiste à requérir l'audition de témoins qui pourraient attester la conclusion de contrats de bail entre la fondation et certains étudiants résidant dans le bâtiment visé par l'autorisation de démolir querellée.

Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (Arrêt du Tribunal fédéral 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3), de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 135 I 279 consid. 2.3 p. 282 ; 132 II 485 consid. 3.2 p. 494 ; 127 I 54 consid. 2b p. 56 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C_552/2011 du 15 mars 2012 consid. 3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3 p. 158 ; Arrêts du Tribunal fédéral 8C_799/2011 du 20 juin 2012 consid. 6.1 ; 2D_2/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3 ; 2D_51/2011 du 8 novembre 2011 ; 2C_58/2010 du 19 mai 2010 consid. 4.3 ; 4A_15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.2 et les arrêts cités ; ATA/432/2008 du 27 août 2008 consid. 2b). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d'obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 133 II 235 consid 5.2 p. 248 ; 129 I 232 consid. 3.2 p. 236 ; Arrêts du Tribunal fédéral 1C_424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 2 ; 2C_514/2009 du 25 mars 2010 consid. 3.1).

Dans son mémoire complémentaire du 8 mars 2010, le recourant a requis l'audition d'un représentant du SMS. La commission a auditionné le directeur de ce service à l'audience du 18 juin 2010. Au cours de celle-ci, le recourant a sollicité de pouvoir déposer une liste de témoins. Les raisons pour lesquelles la commission n'a pas donné suite à cette offre de preuve sont décelables à la lecture de sa décision. Pour autant que cette offre ait été formulée en regard du grief tenant dans la nécessaire conservation du bâtiment G285, la commission l'a écartée au motif qu'elle considérait comme suffisant l'avis du service spécialisé en la matière. Si l'offre de preuve concernait le grief tenant dans l'applicabilité de la LDTR, elle n'avait pas à lui donner suite, puisqu'elle s'estimait incompétente pour en juger. Dans l'une comme dans l'autre hypothèse, la commission s'est donc livrée à une appréciation anticipée des preuves, dont M. Thiemann a compris les motifs puisqu'il a contesté, par-devant la chambre de céans, la pertinence du préavis rendu par le SMS, respectivement plaidé l'applicabilité de la LDTR. La décision du 18 juin 2010 ne consacre donc aucune violation de son droit d'être entendu.

Pour le reste, la chambre de céans s'estime en mesure de statuer sans procéder à l'audition de témoins requise par le recourant. Ce dernier sollicite l'instruction d'un fait, la conclusion de contrats de bail entre la fondation et des étudiants résidant dans le bâtiment G285, qui, dans les circonstances d'espèce, n'est pas déterminant pour trancher la question de l'applicabilité de la LDTR. Son offre de preuve sera en conséquence rejetée.

5. Selon l'art. 61 al. 1 LPA, qui circonscrit le pouvoir de cognition de la chambre de céans, un recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives ne sont en revanche pas compétentes pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA).

De jurisprudence constante, la chambre de céans observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis, pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci (ATA/495/2009 du 6 octobre 2009 ; ATA/417/2009 du 25 août 2009 et les références citées). Les autorités de recours se limitent alors à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/190/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/646/1997 du 23 octobre 1997 et les références citées).

Lorsque l'autorité s'écarte des préavis, la chambre administrative peut revoir librement l'interprétation des notions juridiques indéterminées, mais contrôle sous le seul angle de l'excès et de l'abus de pouvoir, l'exercice de la liberté d'appréciation de l'administration, en mettant l'accent sur le principe de la proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable et sur le respect de l'intérêt public en cas d'octroi de l'autorisation malgré un préavis défavorable (ATA/105/2006 du 17 mars 2006 et les références citées).

6. L'objet du litige consiste dans l'autorisation de démolir le bâtiment G285 sis sur la parcelle n° 1'361, que le département a délivrée à la fondation en application de l'art. 1 al. 1 let. c LCI.

Dite décision suit les préavis favorables que les différents services et autorités consultés ont rendus, compte notamment tenu de l'appartenance de la parcelle n° 1'361 à la zone de développement 3 et du PLQ n° 27'895A-275 du 8 juillet 1987 prévoyant la construction d'un bâtiment de logements sur ce bien-fonds.

7. Selon le recourant, l'autorisation querellée privilégierait indûment l'intérêt privé de la fondation au détriment de l'intérêt public à la protection du patrimoine et à la conservation de logements pour étudiants. La portée du PLQ n° 27'895A-275 aurait dû être relativisée, compte tenu de l'ancienneté de cet instrument.

L'arbitrage entre l'intérêt public à la conservation d'un bâtiment présentant une valeur architecturale et historique et celui de la fondation à valoriser sa parcelle, conformément au programme de construction prévu par le PLQ n° 27'895A-275, a été effectué à plusieurs reprises par divers services ou autorités compétentes. Le 21 juillet 2009, le SMS a préavisé favorablement la démolition du bâtiment G285, en dépit de son recensement architectural, exigeant tout au plus qu'un reportage photographique lui soit fourni pour ses archives. Par arrêté du 27 juillet 2011, le Conseil d'Etat a rejeté la demande de classement au sens des art. 10 ss LPMNS formée par APV, dont le recours contre cette décision a été déclaré irrecevable, par jugement de la chambre de céans du 27 mars 2012 désormais en force (ATA/164/2012). La demande de mise à l'inventaire au sens des art. 7 ss LPMNS, formée par la même association, a également été rejetée par arrêté du département du 8 décembre 2011 aujourd'hui définitif. Enfin, le recourant ne prétend à juste titre pas que le seul bâtiment G285 constituerait un ensemble du début du XXème siècle, dont l'art. 89 LCI commanderait la préservation.

Le débat sur la nécessité de conservation du bâtiment G285 s'avère ainsi clos, sans qu'il y ait lieu d'y revenir. Les différents intérêts en présence ont été consciencieusement pesés et l'intérêt public à la mise en oeuvre du PLQ n° 27'895A-275 a été privilégié. Les autorités compétentes ont considéré qu'aucune circonstance ne justifiait l'abrogation de cet instrument qui, même ancien, continue de faire règle (art. 6 al. 15 de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 - LGZD - L 1 35 ; art. 21 LAT). A l'heure où la pénurie de logements ne cesse de s'aggraver, elles n'ont, ce faisant, pas mésusé de leur pouvoir d'appréciation.

8. Le recourant allègue ensuite une violation du principe de coordination, au motif que l'autorisation de construire n° DD 103'102 n'a pas été publiée en même temps que l'autorisation de démolir n° M 6'260-2 et que ces deux décisions n'ont pas été soumises à une voie de recours unique. A son sens, le respect de ce principe s'imposait d'autant plus que la LDTR s'appliquait au présent cas d'espèce.

a. D'abord ancré à l'art. 25a LAT, le principe de coordination formelle et matérielle est désormais expressément consacré par le droit cantonal. Selon l'art. 3A LCI, lorsque plusieurs législations ayant entre elles un lien matériel étroit sont applicables à un projet de construction, la procédure directrice est celle relative aux autorisations de construire, à moins qu'une loi n'en dispose autrement ou sauf disposition contraire du Conseil d'Etat (al. 1). En sa qualité d'autorité directrice, le département coordonne les diverses procédures relatives aux différentes autorisations et approbations requises et veille à ce que celles-ci soient délivrées et publiées simultanément dans la FAO (al. 2). L'art. 12A LPA rappelle quant à lui le principe général selon lequel les procédures doivent être coordonnées lorsque plusieurs législations ayant entre elles un lien matériel étroit sont applicables à un projet.

b. A de nombreuses reprises, le Tribunal fédéral a dégagé les principes imposant une coordination matérielle et formelle des décisions impliquant l'application de plusieurs dispositions légales différentes pour la réalisation du même projet. S'il existe entre celles-ci une imbrication telle qu'elles ne sauraient être appliquées indépendamment les unes des autres, il y a lieu d'en assurer la coordination matérielle (ATF 118 IV 381 ; 118 Ib 326 ; 117 Ib 35 ; 116 Ib 175 ; 116 Ib 50 ; 114 Ib 125 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_14/2011 du 26 avril 2011 consid. 2.1 ; ATA/453/2011 du 26 juillet 2011 ; ATA/676/2006 du 19 décembre 2006 ; ATA/32/2002 du 15 janvier 2002). De l'exigence de coordination matérielle naît une obligation de coordination formelle (ATF 117 Ib 35 et 325). Ces principes développés dans le cadre de l'application du droit fédéral valent par analogie dans tous les cas où un projet relève de dispositions légales cantonales étroitement imbriquées. La juridiction de céans a d'ailleurs déjà eu l'occasion d'indiquer qu'en matière d'autorisation de construire, l'autorité devait prendre en compte toutes les dispositions légales pertinentes et, par conséquent, peser les intérêts y relatifs (ATA/190/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/80/2009 du 17 février 2009 ; ATA/464/2007 du 18 septembre 2007).

c. La LDTR est une réglementation qui entre typiquement en concours avec la LCI. L'imbrication de ces deux législations n'a pas échappé au législateur, qui a spécifiquement rappelé qu'une demande assujettie à l'une ou l'autre de ces lois ne devait donner lieu qu'à l'ouverture d'une seule procédure en autorisation (art. 40 al. 2 LDTR), la procédure directrice étant celle relative aux autorisations de construire en vertu de l'art. 3A LCI. Lorsqu'un requérant projette de démolir un bâtiment assujetti à la LDTR pour lui substituer une autre construction, le département doit au demeurant impérativement coordonner la procédure en autorisation de démolir avec celle en autorisation de construire. Dans la mesure où la démolition d'un tel bâtiment est en principe interdite (art. 5 LDTR) et n'est autorisable qu'aux conditions dérogatoires de l'art. 6 LDTR, qui réglemente la nature et les caractéristiques de la nouvelle construction, l'autorisation de démolir et celle de (re)construire doivent nécessairement être instruites, délivrées et publiées concurremment. Cette coordination matérielle et formelle est en effet le seul moyen de garantir le respect de la LDTR, aux côtés des prescriptions constructives de la LCI.

d. Selon l'art. 2 al. 1 LDTR, cette dernière s'applique à tout bâtiment situé dans l'une des zones de construction prévues par l'art. 19 de la loi d'application de la LAT, du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) ou construit au bénéfice des normes de l'une des quatre premières zones de construction en vertu des dispositions applicables aux zones de développement (let. a) et comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectées à l'habitation (let. b). Les maisons individuelles ne comportant qu'un seul logement, ainsi que les villas en 5ème zone comportant un ou plusieurs logements ne lui sont pas assujetties (art. 2 al. 2 LDTR). Lorsqu'une maison d'habitation comporte au moins deux logements indépendants qui peuvent être occupés par des familles ou des personnes différentes, il ne fait guère de doute qu'il ne s'agit plus d'une maison individuelle et que la LDTR est applicable ; à l'inverse, une maison d'habitation, si spacieuse fût-elle, conçue et aménagée pour recevoir une seule communauté familiale, échappe à l'assujettissement à la LDTR. Tel est notamment le cas des hôtels particuliers (ATA/765/2005 du 15 novembre 2005 ; ATA/966/2004 du 14 décembre 2004 ; ATA R. du 13 avril 1988, SJ 1988 p. 350).

9. Lors de sa construction en 1908, le bâtiment G285 a été conçu comme une vaste maison d'habitation individuelle, comme en atteste le fait qu'une seule cuisine ait été aménagée. Il aurait servi, au début du siècle passé, de pensionnat pour jeunes filles, avant d'être affecté par la fondation à un établissement de soins dont l'exploitation a cessé en 2008. Cette dernière affectation, qui n'est pas contestée par le recourant, a nécessité des transformations qui ont passablement modifié l'état d'origine du bâtiment G285 (création d'un ascenseur intérieur, installation d'un escalier de secours extérieur, médicalisation des chambres moyennant la pose de lavabos, aménagement de salles de bain, création d'un sas à l'entrée, etc.). Elle correspond à l'état descriptif figurant au RF et a été autorisée par le département, le bâtiment G285 figurant dans ses dossiers comme établissement de soins. En tant que tel, ce bâtiment n'était donc pas assujetti à la LDTR, faute de comporter des locaux affectés, par leur aménagement et leur distribution, à l'habitation.

Reste à déterminer si le fait pour la fondation d'avoir loué des chambres à des étudiants à compter du mois de septembre 2008 a pu entraîner l'assujettissement du bâtiment G285 à la LDTR. La question doit être résolue à l'aune de l'art. 3 al. 4 LDTR à teneur duquel il n'y a pas de changement d'affectation lorsque des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel ont été temporairement affectés à l'habitation et qu'ils retrouvent leur destination commerciale, administrative, artisanale ou industrielle antérieure, pour autant qu'ils n'aient jamais été précédemment affectés au logement. Cette disposition montre que le législateur n'entendait pas assujettir à la LDTR des bâtiments à usage commercial, dont l'affectation en logement n'aurait été que temporaire. Or, tel est précisément le cas du bâtiment G285. Si la fondation a autorisé des étudiants, ainsi que d'autres invités, à résider dans son établissement, elle ne l'a fait que pour éviter une occupation illicite des lieux, d'ici à ce que le projet de valorisation de sa parcelle puisse être mis en oeuvre. Conçu comme transitoire, ce changement d'affectation n'a donné lieu à aucuns travaux de transformation, le bâtiment G285 ayant conservé l'aménagement qui était le sien à l'époque de son exploitation en établissement de soins. Le 14 juillet 2009, soit une année à peine après le départ de la FHP, la fondation a en outre sollicité du département l'octroi des autorisations nécessaires à la réalisation de son projet, dont en particulier l'autorisation de démolir querellée. Le changement d'affectation, qui s'est produit au cours de l'année 2008, revêtait donc bien un caractère temporaire qui n'a finalement perduré qu'en raison de la procédure initiée par le recourant. Il n'est, partant, pas apte à entraîner l'assujettissement du bâtiment G285 à la LDTR.

10. Le département n'était donc pas tenu d'instruire, de délivrer, comme de publier simultanément les autorisations de démolir et de construire requises par la fondation en vertu des art. 5 et 6 LDTR, qui ne régissaient pas le cas d'espèce.

Un traitement simultané de ces deux demandes ne s'imposait pas plus en regard du principe général de coordination, tel que rappelé ci-dessus. La démolition du bâtiment G285 était en effet soumise à des exigences propres (tenant à la protection du patrimoine et à celle de la végétation arborée notamment), dont le respect pouvait s'examiner indépendamment de tout projet de construction. Or, le département a statué en tenant compte de toutes les dispositions légales pertinentes en la matière, après avoir recueilli les préavis favorables des services compétents (SMS et DGNP). Il pouvait dissocier le traitement de l'autorisation de démolir de celui de l'autorisation de construire, puisque la délivrance de la première n'était juridiquement pas conditionnée par celle de la seconde. La conformité de cette dernière, dépendante du respect des exigences posées par la LGZD et le PLQ n° 27'895A-275, pouvait s'examiner dans un second temps, ces instruments n'induisant en toute hypothèse pas d'obligation, pour le propriétaire, de réaliser le programme de construction prévu.

Dans la mesure où la volonté de la fondation de mettre en oeuvre le PLQ n° 27'895A-275 a visiblement fait pencher la balance en faveur de l'octroi de l'autorisation de démolir querellée, le département aurait certes pu conditionner celle-ci à la délivrance de l'autorisation de construire qui avait été parallèlement requise, mais il n'y était juridiquement pas tenu. Même en procédant de la sorte, il n'aurait de toute manière pas complètement pallier le risque qu'après la mise en oeuvre de la première de ces autorisations, la seconde demeure inexploitée par sa bénéficiaire.

Ainsi, le département n'a pas violé le principe de coordination en délivrant successivement les autorisations de démolir et de construire requises par la fondation, la première ayant été octroyée en tenant compte de toutes les législations pertinentes. Ce traitement par étapes des différentes questions juridiques en jeu n'a en outre nullement porté préjudice au recourant qui a pu faire valoir ses droits contre chacune des décisions prises, respectivement renoncer à les exercer (ATA/453/2011 du 26 juillet 2011 ; ATA/18/2995 du 18 janvier 2005).

11. Le recours sera, partant, rejeté. Un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). En outre, une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à la fondation, qui l'a expressément requise, également à la charge du recourant (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 juillet 2010 par Monsieur Philippe Thiemann contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 18 juin 2010 (DCCR/915/2010) ;

 

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge de Monsieur Philippe Thiemann ;

alloue à la Fondation Armenia une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, à la charge de Monsieur Philippe Thiemann ;

di que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Guy Zwahlen, avocat du recourant, à Me Marc Iynedjian, avocat de la Fondation Armenia, au département de l'urbanisme, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Hurni, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction a.i. :

 

 

C. Sudre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :