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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1298/2018

ACST/4/2019 du 14.02.2019 ( INIT ) , REJETE

Recours TF déposé le 15.03.2019, rendu le 31.12.2019, SANS OBJET, 1C_159/2019
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1298/2018-INIT ACST/4/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 14 février 2019

 

dans la cause

 

COMITÉ D'INITIATIVE « LE PLAZA NE DOIT PAS MOURIR »
représenté par Monsieur A______, mandataire

contre

CONSEIL D'ÉTAT

et

B______ SA, appelée en cause
représentée par Me Daniel Peregrina, avocat



EN FAIT

1. B______ SA (ci-après : la société) est propriétaire des parcelles nos 5750, 5754 et 6712, feuille 43 de la commune de Genève-Cité, sises respectivement au n° 5, rue de Chantepoulet, à l'angle de la rue de Chantepoulet et de la rue du Cendrier (1-3, rue de Chantepoulet et 21, rue du Cendrier) ainsi qu'au n° 19 de la rue du Cendrier, sur lesquelles sont édifiés les bâtiments G900, G901, G902, G903, G904, G905, G912, G913 et G948 comprenant notamment des bureaux et des commerces en 1ère zone de construction.

Le bâtiment G905 (ci-après : le Plaza), édifié sur la parcelle 6712, abrite la salle de cinéma « Le Plaza », exploité jusqu’en 2004 ainsi que des arcades le long de la rue du Cendrier.

Le Plaza a fait l’objet d’une procédure de classement, au terme de laquelle aucune mesure de protection n’a été prononcée (ATA/105/2006 du 7 mars 2006 et ATA/276/2010 du 27 avril 2010, tous deux confirmés par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012).

2. Par requête enregistrée le 11 février 2015 sous le dossier M 7636-2 auprès du département de l’aménagement, du logement et de l’énergie, devenu entretemps le département du territoire (ci-après : le département), la société a sollicité l’autorisation de démolir le Plaza.

3. Le 2 octobre 2015, après avoir instruit la requête, le département a délivré à la société l’autorisation de démolir sollicitée (M 7636-2).

Cette décision a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 9 octobre 2015.

4. Par courrier du 23 mai 2017, Monsieur A______, mandataire du comité d'initiative « Le Plaza ne doit pas mourir », a informé le Conseil d'État du lancement d'une initiative populaire cantonale intitulée « Le Plaza ne doit pas mourir » (ci-après : IN 166) et lui a transmis un spécimen de la formule destinée à recevoir les signatures.

5. Par le biais de cette initiative, les initiants proposaient une loi dont l'unique article avait la teneur suivante :

« Article unique

1 Le maintien de la salle de cinéma "Le Plaza" dans son architecture, et dans une affectation de lieu de représentation culturelle, notamment cinématographique, sur la parcelle inscrite au registre foncier (Ville de Genève, feuille 43, Genève-Cité) sous n° 6712 est déclaré d'utilité publique au sens de l'article 3, alinéa 1, lettre a de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, L 7 05 du 10 juin 1933.

2 En conséquence, l'expropriation de ladite parcelle et des parcelles nos 5750, 5754 et 6712 est prononcée par le Conseil d'État à l'encontre de la société Mont-Blanc SA ou de tout acquéreur subséquent, au bénéfice de la Ville de Genève ».

6. Le 23 mai 2017 également, le service des votations et élections (ci-après : SVE) a validé la formule de récolte de signatures.

7. Le lancement et le texte de l'IN 166 ont été publiés dans la FAO du 1er juin 2017, avec un délai de récolte des signatures venant à échéance le 2 octobre 2017.

8. Le 2 octobre 2017, le comité d'initiative a déposé les listes de signatures auprès du SVE.

9. Par arrêté du 29 novembre 2017, publié dans la FAO du 1er décembre 2017, le Conseil d'État a constaté que les signatures avaient été déposées dans le délai légal prescrit et en nombre suffisant, de sorte que l'initiative avait abouti. Par le même arrêté, le Conseil d'État a fixé les délais de traitement de l'initiative.

10. Par courrier du 22 décembre 2017, la chancelière d'État a informé le comité d'initiative ainsi que la société que le Conseil d'État les invitait, avant de statuer sur la validité de l'IN 166, à lui faire part de leur détermination au plus tard le 26 janvier 2018, en particulier sur les points suivants :

-          comment la mesure proposée s'articulait avec la garantie de la propriété, en particulier sous l'angle de la proportionnalité de la mesure ;

-          comment se positionnait le comité d'initiative par rapport à l'arrêt du Tribunal fédéral ayant confirmé en 2007 l'invalidité de l'IN 132 « Pour la réalisation du projet RHINO en Ville de Genève », et

-          comment se positionnait le comité d'initiative par rapport à l'art. 25 al. 1 let. b de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, du 10 juin 1933 (LEx-GE - L 7 05), et au principe de l'autonomie communale, dès lors qu'en l'espèce, la mesure proposée n'avait pas été sollicitée par la Ville de Genève (ci-après : la ville).

11. Le même jour, soit le 22 décembre 2017, la chancelière d'État a informé la société de ce qui avait été demandé au comité d'initiative, et lui a imparti le même délai, soit jusqu'au 26 janvier 2018, pour faire valoir d'éventuelles observations.

12. Le 22 janvier 2017 (recte : 2018), le comité d'initiative a répondu au Conseil d'État qu'il considérait son initiative comme valide. Le principe in dubio pro populo devait en toute hypothèse s'appliquer.

L'IN 166 respectait la garantie de la propriété, car l'expropriation impliquait la pleine indemnisation du propriétaire. La mesure visée par l'initiative était proportionnée, dès lors qu'elle était apte à protéger la salle et son utilisation, que toutes les autres mesures avaient déjà été tentées sans succès et que la salle faisait partie intégrante d'un ensemble, présentant un intérêt sur le plan de sa valeur architecturale, qui devait être considéré comme un tout.

L'IN 166 se distinguait de l'IN 132 car cette dernière proposait de déclarer d'utilité publique non le maintien d'un bâtiment, mais l'octroi par la ville d'un droit de superficie en faveur de deux coopératives, ce qui n'était pas le cas de l'IN 166.

Le 9 décembre 2017, le conseil municipal de la ville avait accepté la pétition P-335 « Le Plaza ne doit pas être démoli et rester un cinéma », demandant au conseil administratif d'entreprendre toute démarche et de faire toute proposition, y compris de rachat et le cas échéant en partenariat, afin de maintenir l'affectation du Plaza en salle de cinéma dans le respect de son architecture. L'exécutif municipal était ainsi mandaté par le conseil municipal afin d'entreprendre toute démarche dans ce sens, ce qui pouvait impliquer une proposition de déclaration d'utilité publique et, le cas échéant, d'expropriation.

Il était enfin évident qu'il pouvait, le cas échéant et en dernier ressort, être fait application de la possibilité de scinder l'initiative.

13. Le 26 janvier 2018, la société a déposé des observations auprès du Conseil d'État.

L'IN 166 était une initiative populaire cantonale législative formulée, dont le contenu était cependant de nature administrative. Bien qu'un tel contenu ne soit pas en soi impossible, l'IN 166 recelait une incompatibilité avec le droit cantonal supérieur encore plus grave que l'IN 132. Or le Tribunal fédéral avait jugé que seul le Conseil d'État était compétent pour déposer un projet de loi en matière de constatation d'utilité publique, si bien que l'IN 166 était irrecevable. Le Grand Conseil n'était pas davantage compétent pour prononcer une expropriation.

Au surplus, elle prévoyait à son premier alinéa le maintien du bâtiment en tant que salle de cinéma ; or seul le Conseil d'État était compétent pour procéder à une telle mesure, qui était matériellement un classement.

14. Par arrêté du 21 mars 2018, publié dans la FAO du 23 mars 2018, le Conseil d'État a déclaré l'IN 166 nulle.

Cette dernière respectait l'unité du genre ainsi que l'unité de la matière. On pouvait se demander si son premier alinéa avait une portée suffisamment prévisible pour que les citoyens puissent, en cas de scrutin populaire, se représenter les conséquences réelles du texte qui leur serait soumis, mais cette question pouvait demeurer ouverte.

S'agissant de la conformité au droit supérieur, l'IN 166 avait pour objet quatre opérations successives concernant les bâtiments sis sur la parcelle nommée. Elle visait d'abord le maintien de la salle de cinéma « Le Plaza » dans son architecture, et dans une affectation de lieu de représentation culturelle, notamment cinématographique. Elle demandait ensuite que le maintien de la salle soit déclaré d'utilité publique, au sens de l'art. 3 al. 1 let. a LEx-GE. Puis, elle exigeait le prononcé, par le Conseil d'État, de l'expropriation des parcelles nos 6712, 5750 et 5754. Enfin, dès lors que cette expropriation devait se faire au bénéfice de la ville, elle impliquait un transfert de propriété des immeubles expropriés.

Il était malaisé de définir la portée exacte du maintien de la salle de cinéma, et il n’était pas exclu qu’il s’agisse en réalité d’un classement ou d’une mise à l’inventaire. Or, à supposer que cette interprétation doive être retenue, aucune de ces deux mesures ne relevait de la compétence du Grand Conseil. En revanche, s’il fallait admettre que le maintien de la salle se rapporte à la procédure de déclaration d’utilité publique préalable à l’expropriation, sa conformité au droit devait alors être analysée dans le cadre de la déclaration d’utilité publique.

Dans son arrêt concernant la validité de l'IN 132, le Tribunal fédéral avait admis que l'analyse faite par le Grand Conseil des dispositions de la LEx-GE et sa conclusion, selon laquelle seul le Conseil d'État disposait de la compétence pour déposer un projet de loi en matière de constatation d'utilité publique, n'apparaissaient pas insoutenables. Selon le Tribunal fédéral, cette conclusion semblait confirmée par les travaux préparatoires de la LEx-GE et correspondait à une pratique cantonale. Toutefois, la violation du droit supérieur n’étant pas manifeste, il en avait conclu qu'elle ne suffisait pas à fonder l'invalidation de l'IN 132. Or, la Constitution de 2012 avait supprimé cette exigence. En effet, l'art. 60 al. 4 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) n'exigeait plus qu'une initiative soit annulée seulement si elle était manifestement non conforme au droit, de sorte que les parties d'une initiative qui n'étaient pas conforme au droit étaient désormais déclarées nulles.

L'IN 166 visait l'expropriation des parcelles concernées ; la formulation de l’al. 2 de l'initiative était claire et ne laissait aucun doute, postulant expressément que l'expropriation était prononcée par le Conseil d'État. Il ressortait pourtant du texte clair de l'art. 4 LEx-GE que l'exercice du droit d'expropriation n'appartenait qu'à l'État ou à la commune intéressée. De même, selon l'art. 30 LEx-GE, lorsque l'utilité publique avait été constatée, le Conseil d'État décrétait l'expropriation. Ainsi, seule la ville ou le Conseil d'État étaient compétents pour prononcer l'expropriation demandée par l'IN 166. Par conséquent, il sortait manifestement du domaine de compétence des députés du Grand Conseil d'exiger du Conseil d'État une expropriation, d'autant plus que celle-ci serait prononcée en faveur d'une commune qui ne l'avait pas requise. Le projet de loi faisant l'objet de l'IN 166, en tant qu'il imposait au Conseil d'État une expropriation, violait ainsi le principe de la séparation des pouvoirs en modifiant la répartition des compétences. Dès lors qu'il s'agissait d'une violation du droit supérieur, cet aspect de l'IN 166 devait également être déclaré invalide.

Enfin, dans la mesure où l'IN 166 demandait que l'expropriation soit prononcée par le Conseil d'État au bénéfice de la ville, elle impliquait un transfert de propriété des immeubles expropriés. Or cette aliénation n’entrait pas dans la compétence du Grand Conseil, même si certaines de ces opérations étaient soumises à son approbation en vertu de l'art. 98 al. 1 Cst-GE. Le transfert de propriété ne pouvait ainsi résulter d'une loi et faire l'objet d'une initiative.

Il apparaissait que toutes les mesures demandées par l'IN 166 étaient contraires au droit supérieur, ce qui devait conduire à son invalidation totale. À supposer toutefois que la compétence de proposer un projet de loi de constatation de l'utilité publique puisse aussi appartenir aux membres du Grand Conseil, et que l’al. 1 soit ainsi valide, il conviendrait alors d'examiner si cette partie de l'initiative pourrait être soumise seule à la votation populaire. Tel n'était pas le cas, dès lors que la déclaration d'utilité publique, l'expropriation et le transfert de propriété étaient indissociablement liés à l'objectif poursuivi par les initiants, de sorte qu'aucune de ces mesures ne pouvait être soustraite au texte de l'initiative sans le dénaturer. Par conséquent, dès lors que ce qui avait trait à l'expropriation et au transfert de propriété était déclaré nul, l’al. 1 ne pouvait pas subsister seul, l’initiative perdant tout son sens et ne pouvant plus satisfaire à son objectif ainsi qu’aux souhaits des initiants.

15. Par acte posté le 20 avril 2018, le comité d'initiative a interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre l'arrêté précité, concluant principalement à son annulation et à ce que l'IN 166 soit déclarée recevable (recte : valide), et subsidiairement à ce que seul l'al. 2 de l'IN 166 soit déclaré invalide, l'al. 1 subsistant étant déclaré valide.

Le terme de « maintien », contenu dans le premier alinéa, était clair et du reste présent dans la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05). La décision du Conseil d'État apparaissait dès lors motivée par des choix plus politiques que juridiques. Le premier alinéa du texte de l'IN 166 visait explicitement une déclaration comme préalable à l'expropriation. Il ne contenait pas de proposition de classement ou de mise à l'inventaire.

Le Grand Conseil avait la compétence de voter une loi déclarant l'utilité publique d'un ouvrage, d'un objet ou de travaux. Dans la mesure où la Cst-GE donnait au peuple la possibilité de proposer directement un texte de rang législatif par le biais de l'art. 57 Cst-GE, la compétence de présenter un projet de loi de déclaration d'utilité publique ne pouvait être réservée au Conseil d'État, la LEx-GE devant céder le pas au droit constitutionnel cantonal, qui lui était supérieur. Il ressortait au surplus de l'arrêt du Tribunal fédéral cité par le Conseil d'État que la violation du droit supérieur n'était à tout le moins pas manifeste.

S'agissant de la décision d'expropriation, le second alinéa de l'IN 166 ne faisait que reprendre le principe de l'art. 4 LEx-GE, la décision d'expropriation étant une conséquence de la déclaration d'utilité publique. L'IN 166 donnait ainsi au Conseil d'État le mandat de procéder à l'expropriation. S'il se confirmait que le fait de contraindre l'exécutif cantonal à adopter un arrêté d'expropriation était contraire à la séparation des pouvoirs, il suffirait de modifier le texte de l'al. 2 en remplaçant les termes « est prononcée » par « peut être prononcée ». Il en allait de même pour le transfert de propriété.

Enfin, une scission de l'IN 166, avec maintien du premier alinéa de celle-ci, était tout à fait admissible. L'IN 166 se distinguait de l'IN 132, dite « Rhino », en ce sens que le but de celle-ci ne pouvait être réalisé sans décision d'expropriation, alors que l'IN 166 pouvait être réalisée par la seule déclaration d'utilité publique prévue au premier alinéa.

L'inexécutabilité de l'IN 166 était contestée, et le comité d'initiative n'avait pas été interpellé par le Conseil d'État à ce sujet.

16. Appelée en cause, la société a conclu, le 22 juin 2018, au rejet du recours « avec suite de frais et dépens », reprenant pour l'essentiel les arguments qu'elle avait présentés devant le Conseil d'État.

17. Le 22 juin 2018, le Conseil d'État a conclu au rejet du recours.

Le comité d'initiative partait d'une prémisse erronée, à savoir que par le biais de l'initiative législative, le peuple devenait législateur, alors que cet instrument juridique permettait à une fraction du corps électoral de proposer un texte de loi, que le Grand Conseil pouvait ou non accepter, le corps électoral dans son ensemble n'étant consulté qu'en cas de refus. Dès lors, si les députés n'avaient pas de droit de proposition dans un domaine considéré, le corps électoral ou la fraction de celui-ci ne pouvait pas l'avoir non plus, au risque de porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

Cette appréciation ressortait également de l'arrêt du Tribunal fédéral relatif à l'IN 132, arrêt sur lequel se basait la majeure partie de l'arrêté d'invalidation. Si cette jurisprudence avait été rendue sous l'empire de l'ancienne constitution cantonale, la teneur de l'actuelle Cst-GE n'avait pas changé concernant les modalités de l'initiative législative.

L'inexécutabilité de l'IN 166 n'avait pas constitué un motif d'invalidation. Quant au droit d'être entendu, il avait été accordé au comité d'initiative, qui avait été invité à déposer des observations sur certains points précis mais également à transmettre toutes autres observations jugées utiles.

18. Le 27 juin 2018, le juge délégué a fixé aux participants à la procédure un délai au 10 août 2018 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

19. Le 19 juillet 2018, le Conseil d'État a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires à formuler.

20. Le 8 août 2018, le comité d'initiative a persisté dans ses conclusions.

La prémisse selon laquelle le peuple devenait législateur par le biais de l'initiative législative n'était pas erronée. Par ailleurs, la déclaration d'utilité publique du maintien de la salle du Plaza pouvait parfaitement être dissociée de l'expropriation, qui n'était qu'un moyen, et non le seul, de concrétiser cette déclaration d'utilité publique.

EN DROIT

1. a. La chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionelle) est compétente pour connaître de recours interjetés, comme en l’espèce, contre un arrêté du Conseil d’État relatif à la validité d’une initiative populaire (art. 130B al. 1 let. c de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; ACST/17/2015 du 2 septembre 2015 consid. 1).

b. Le recours a été interjeté en temps utile, le délai légal ordinaire de trente jours (art. 62 al. 1 let. a et d de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA-GE - E 5 10) s’appliquant en la matière nonobstant le silence de la loi (ACST/17/2015 précité consid. 3a). Il respecte les conditions de forme et de contenu prévues par les art. 64 al. 1 et 65 al. 1 et 2 LPA.

c. Le recours contre une décision relative à la validité d’une initiative législative formulée concerne le droit de vote des citoyens ainsi que les votations et élections au sens de l’art. 82 let. c de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Toute personne physique ayant le droit de vote dans l’affaire en cause est recevable à interjeter un tel recours, de même que les partis politiques et les organisations à caractère politique formées en vue d’une action précise, comme le lancement d’une initiative ou d’un référendum (ATF 139 I 195 consid. 1.4 ; 134 I 172 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_305/2012 du 26 février 2016 consid. 1.2 ; 1C_357/2009 du 8 avril 2010 consid. 1.2). En l’espèce, le recours est interjeté par le comité ayant lancé l’initiative considérée ; ce dernier a donc qualité pour recourir. (ACST/22/2018 du 31 octobre 2018 consid. 1c ; ACST/14/2017 du 30 août 2017 consid. 1b ; ACST/8/2016 du 3 juin 2016 consid. 3a et références citées ; Stéphane GRODECKI, L’initiative populaire cantonale et municipale à Genève, 2008, p. 409 s.).

d. Le recours doit donc être déclaré recevable.

2. Le contrôle de la conformité au droit d’une initiative rédigée de toutes pièces s’apparente à un contrôle abstrait des normes. Il ne s’agit pas de prévenir uniquement que les citoyens ne soient exposés à être appelés à voter sur un objet, qui, d’emblée, ne pourrait pas être finalement concrétisé conformément à la volonté exprimée. Une initiative populaire législative formulée se transforme en loi si elle est acceptée par le Grand Conseil ou en votation populaire (art. 61 et 53 Cst-GE ; art. 122A et 122B de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève, du 13 septembre 1985 [LRGC – B 1 01] ; art. 94 al. 2 et 3 de la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 [LEDP - A 5 05] ; art. 5 ss de la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels, du 8 décembre 1956 [LFPP - B 2 05]), sans que son texte puisse être modifié (sous réserve de la correction d’erreurs matérielles de pure forme ou de peu d’importance mais manifeste [art. 216A LRGC]). Il n’y a pas lieu de prévoir deux intensités différentes du pouvoir d’examen de la chambre constitutionnelle, selon que celle-ci examine la conformité au droit respectivement de l’initiative formulée ou, subséquemment sur recours abstrait, de la loi adoptée.

Il s’agit donc d’appliquer au recours en matière de validité des initiatives populaires formulées pour l’essentiel les mêmes principes d’interprétation, pouvoir d’examen et pouvoir de décision qu’en matière de contrôle abstrait des normes. Il y a lieu de contrôler librement la conformité du texte considéré avec le droit supérieur, tout en s'imposant une certaine retenue et d’annuler les dispositions considérées seulement si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu’elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il faut tenir compte notamment de la portée de l’atteinte aux droits en cause, de la possibilité d’obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée, sans pour autant négliger les exigences qu’impose le principe de la légalité (ATF 140 I 2 consid. 4 ; 137 I 327 consid. 4 ; 135 II 243 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_668/2013 du 19 juin 2014 consid. 2.2 ; ACST/17/2015 du 2 septembre 2015 consid. 4c).

3. a. Le recours porte sur l’invalidation de l’article unique de l'IN 166, disposition dont il y a lieu prioritairement de déterminer le sens (ACST/23/2017 du 11 décembre 2017 consid. 6b).

b. Pour déterminer le sens de normes proposées par une initiative rédigée comme en l’espèce de toutes pièces – dont il faut rappeler qu’elle se transforme en loi en cas d’acceptation par le Grand Conseil ou en votation populaire (art. 61 et 63 Cst-GE ; art. 122B et 123 LRGC) –, il faut appliquer pour l’essentiel les mêmes principes d’interprétation qu’en matière de contrôle abstrait des normes. Ainsi, il y a lieu d’utiliser les méthodes habituelles d’interprétation des normes (arrêt du Tribunal fédéral 1C_157/2017 du 17 avril 2018 consid. 2.4), à savoir les méthodes littérale, systématique, historique et téléologique (ACST/18/2018 du 30 juillet 2018 consid. 2b ; ACST/2/2014 du 17 novembre 2014 consid. 7e). Conformément à la règle de l’interprétation objective, c’est le texte de l’initiative qui est déterminant, et non l’intention des auteurs de cette dernière (arrêts du Tribunal fédéral 1C_844/2013 du 3 juin 2016 consid. 3.4 ; 1C_127/2013 du 28 août 2013 consid. 7.2.4 ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/ Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 3ème éd., 2013, vol. I, n. 872 ; Stéphane GRODECKI, op. cit., p. 280 s. n. 989 ; Bénédicte TORNAY, La démocratie directe saisie par le juge, 2008, p. 67 ss).

L’interprétation d’initiatives fait certes aussi appel aux règles dites de l’interprétation la plus favorable aux initiants, qu’exprime l’adage in dubio pro populo (André JOMINI, La question du « bon moment » pour l’intervention du juge constitutionnel dans le contentieux relatif au traitement des initiatives populaires, in RJJ, Cahier spécial, Symposium 2017, 2018, p. 51 ss, 67), et de l’interprétation conforme au droit supérieur, mais ni l’une ni l’autre de ces règles n’autorisent à s’écarter à tout le moins sensiblement du texte d’une initiative, ni à faire abstraction des exigences que le principe de la légalité impose. La marge d’interprétation en la matière est plus limitée pour des initiatives rédigées de toutes pièces (ATF 124 I 107 consid. 5b.aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_529/2015 du 5 avril 2016 consid. 2.2 in fine ; Andreas AUER/ Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 872 ; Stéphane GRODECKI, op. cit., p. 280 s. n. 990 ; Bénédicte TORNAY, op. cit., p. 67 ss).

4. a. Le point le moins clair du texte de l'initiative est la référence faite, à l'al. 1 IN 166, au « maintien de la salle de cinéma "le Plaza" (…) dans une affectation de lieu de représentation culturelle, notamment cinématographique », maintien qui doit faire l'objet de la déclaration d'utilité publique.

b. Comme le relèvent tant l'autorité intimée que les initiants, la notion de maintien d'un bâtiment est présente dans la législation sur la protection du patrimoine et des sites (art. 22 al. 1, 38 al. 2 et 42C LPMNS ; art. 27D al. 2 let. c de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 - LaLAT - L 1 30).

c. Conformément aux art. 26 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 34 Cst-GE, la propriété est garantie (al. 1), et une pleine indemnité est due en cas d'expropriation ou de restriction de la propriété qui équivaut à une expropriation (al. 2).

En vertu de l’art. 1 LEx-GE, le droit d’expropriation pour cause d’utilité publique peut être exercé pour des travaux ou des opérations d’aménagement qui sont dans l’intérêt du canton ou d’une commune (al. 1) ; il ne peut être exercé que dans la mesure nécessaire pour atteindre le but poursuivi (al. 2).

Aux termes de l’art. 3 al. 1 let. a LEx-GE, la constatation de l’utilité publique peut notamment résulter d’une loi déclarant de manière ponctuelle l’utilité publique d’un travail ou d’un ouvrage déterminé, d’une opération d’aménagement ou d’une mesure d’intérêt public et désignant les immeubles ou les droits dont la cession est nécessaire.

d. La déclaration d'utilité publique, au sens de l'art. 3 al. 1 LEx-GE, est une reconnaissance de l'existence d'un intérêt public particulier, et donc qualifié, justifiant tant l'atteinte elle-même à la garantie de la propriété que son étendue. Les déclarations ponctuelles d'utilité publique (art. 3 al. 1 let. a LEx-GE) – comme celle souhaitée en l'espèce – portent sur des projets particuliers et font l'objet d'une loi spécifique ; elles impliquent un examen approfondi des circonstances particulières du cas par le législateur (François BELLANGER, La déclaration d'utilité publique à Genève, in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER [éd.], La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, Zurich 2009, 61-89, p. 64 s.).

Si les déclarations d'utilité publique concernent le plus souvent la réalisation d'équipements ou la construction de bâtiments, « il y a autant de formes d'utilité publique que de politiques publiques ou législations concernées » (François BELLANGER, op. cit., p. 89).

5. En l'espèce, force est de constater que les initiants ne demandent pas, dans l'IN 166, le classement ou la mise à l'inventaire du Plaza. Dès lors, on peut admettre que le maintien de la salle dans une affectation culturelle constitue une référence au type d'intérêt public susceptible de justifier l'atteinte au droit de propriété, à savoir la politique publique de la culture. Quand bien même ce type d'utilité publique apparaît quelque peu atypique en matière d'expropriation, il n'appartient pas à la chambre de céans de se prononcer sur sa légitimité à justifier une atteinte importante à la garantie de la propriété, question qui relève du débat de fond. Si l'on effectue en outre un parallèle avec des intérêts publics plus courants en la matière, tels que le logement, on ne saurait prétendre qu'une loi déclarant d'utilité publique la construction d’un bâtiment déterminé équivaudrait à la délivrance d'une autorisation de construire ; dès lors, la déclaration d'utilité publique de l'affectation culturelle d'un bâtiment ne saurait équivaloir à un classement ou à une demande de classement.

6. Pour le surplus, l'IN 166 contient trois demandes qui sont claires, et qui ont été correctement analysées par l'autorité intimée, à savoir : a) la déclaration d'utilité publique, au sens de l'art. 3 al. 1 let. a LEx-GE ; b) le prononcé, par le Conseil d'État, de l'expropriation des parcelles concernées, et c) dès lors que cette expropriation devait se faire au bénéfice de la ville, le transfert de propriété des immeubles expropriés.

S'agissant en particulier du prononcé de l'expropriation, le texte de l'IN 166 est sans ambiguïté, dès lors qu'il prévoit que l'expropriation des parcelles est prononcée par le Conseil d'État, au bénéfice de la ville.

7. a. Les trois conditions de validité d’une initiative que prévoit l’art. 60 Cst-GE sont l’unité du genre, l’unité de la matière et la conformité au droit supérieur ; s’y ajoutent, déduites de la liberté de vote garantie par les art. 34 al. 2 Cst. et 44 Cst-GE, l’exigence de clarté du texte de l’initiative et celle d’exécutabilité de l’initiative (ATF 133 I 110 consid. 8 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_59/2018 du 25 octobre 2018 consid. 3.1 et 4.4 ; 1C_659/2012 du 24 septembre 2013 consid. 5.1 ; Pascal MAHON, Droit constitutionnel, vol. I, 2014, n. 145 ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 885 ss ; Stéphane GRODECKI, op. cit., p. 280 ss et 308 ss ; Bénédicte TORNAY, op. cit., p. 71 ss ; Étienne GRISEL, Initiative et référendum populaires - Traité de la démocratie semi-directe en droit suisse, 3ème éd., 2004, p. 261 ss).

b. À teneur de l'art. 60 al. 4 Cst-GE, l’initiative dont une partie n’est pas conforme au droit est déclarée partiellement nulle si la ou les parties qui subsistent sont en elles-mêmes valides. À défaut, l’initiative est déclarée nulle.

Il convient dès lors d'examiner si l'IN 166 est conforme au droit.

8. a. Selon l'art. 57 al. 1 Cst-GE en vigueur avant le 21 octobre 2017, 3 % des titulaires des droits politiques peuvent soumettre au Grand Conseil une proposition législative dans toutes les matières de la compétence de ses membres. Depuis le 21 octobre 2017, la fraction du corps électoral a été abaissée à 2 %, sans autre modification de la teneur de la norme.

b. L'initiative dite administrative ne propose pas l'adoption, la modification ou l'abrogation d'une norme générale et abstraite, mais d'un acte infralégal, individuel ou concret. Les droits individuels de particuliers pouvant être directement concernés par une telle initiative, la portée de cette institution est limitée par le respect de la séparation des pouvoirs et des droits fondamentaux (Stéphane GRODECKI, op. cit., n. 393). Selon certains auteurs, le vocable d'initiative administrative est trompeur, dans la mesure où ne sont pas en jeu des décisions prises, comme c'est généralement le cas, par le pouvoir exécutif, mais uniquement des actes individuels et concrets qui sont de la compétence du parlement (Andreas AUER, Staatsrecht der schweizerischen Kantone, 2016, n. 1047 ; Pierre TSCHANNEN, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 4ème éd., 2015, § 50 n. 12), d'où une seconde dénomination possible en allemand de (Parlaments)beschlussinitiative.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, si le droit cantonal limite l'initiative aux actes de la compétence du parlement, il n'y a pas besoin d'examiner en sus l'initiative sous l'angle du respect de la séparation des pouvoirs (ATF 111 Ia 115 consid. 4a).

c. L'initiative administrative est inconnue au niveau fédéral (art. 138 à 139 b Cst. ; Andreas KLEY, Staatsrecht, 2ème éd., 2015, § 24 n. 58). Certains cantons la connaissent (p. ex. Zurich, arrêt du Tribunal administratif zurichois, VB 2015.00490 du 2 décembre 2015 consid. 3.1) et d'autres pas (p. ex. Jura, arrêt de la Cour constitutionnelle jurassienne, CST 1/2017 du 27 juin 2018 consid. 4 ; Grisons, arrêt du Tribunal administratif grison, V 16 2 du 15 décembre 2016 consid. 3).

d. Dans le canton de Genève, l'initiative administrative n'est pas prévue en tant que telle. La figure de l'arrêté législatif a été supprimée en 1959 (MGC 1959 I 30), si bien qu'il n'existe plus d'actes de type « décret du parlement », du moins formellement. En effet, dans la mesure où la notion de loi au sens formel n'est pas définie par le droit cantonal, et englobe des lois de portée non générale, il doit être admis qu'une initiative législative peut s'avérer matériellement une initiative administrative (ATF 128 I 190 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.451/2006 du 28 février 2017 consid. 3.1). Encore faut-il que ladite initiative demeure dans les limites énoncées à l'art. 57 al. 1 Cst-GE précité, à savoir que la proposition soit faite dans une matière de la compétence des membres du Grand Conseil. Une initiative administrative ne peut dès lors, en droit genevois, pas porter sur un acte réservé par la législation pertinente au pouvoir exécutif ou à une autre collectivité que le canton. Il doit être rappelé à cet égard que le Grand Conseil, lorsqu'il adopte un acte qui est matériellement une décision, doit aussi respecter les normes qu'il a lui-même adoptées (Stéphane GRODECKI, op. cit., n. 397 et les références citées), et ne peut s'en affranchir sous prétexte qu'il pourrait lui-même les modifier ou les abroger.

e. En l’espèce, l’IN 166 est une initiative législative formulée qui tend à l’adoption de divers actes individuels et concrets, si bien qu’il s’agit matériellement d’une initiative administrative.

9. a. Le droit cantonal de l'expropriation relatif à la déclaration d'utilité publique a déjà été présenté plus haut au consid. 4.

Lorsque l’utilité publique a été constatée, le droit d’expropriation est exercé par l’État ou par la commune intéressée (art. 4 LEx-GE).

L’art. 30 LEx-GE prescrit que, lorsque l’utilité publique a été constatée par le Grand Conseil, c'est le Conseil d’État qui décrète, par voie d'arrêté, l’expropriation des immeubles et des droits dont la cession est nécessaire à l’exécution du travail ou de l’ouvrage projeté.

b. S'agissant des compétences communales en matière d'expropriation, outre l'art. 4 LEx-GE précité, il convient de mentionner également que selon l'art. 30 al. 1 let. n de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05), le conseil municipal délibère sur l'expropriation pour cause d'utilité publique communale, la délibération y relative n'étant exécutoire qu'après approbation par le Conseil d'État (art. 91 al. 1 let. d LAC).

En l'espèce, ces dispositions de la LAC ne sont pas applicables, dans la mesure où l'IN 166 prévoit une déclaration d'utilité publique cantonale suivie d'une expropriation décrétée par le Conseil d'État au profit d'une commune, à savoir la Ville de Genève.

Le mécanisme prévu inclut en revanche nécessairement, comme déjà mentionné, un transfert de propriété au profit de la ville.

c. Le Grand Conseil approuve par voie législative l’aliénation de tout immeuble propriété de l’État ou d’une personne morale de droit public à des personnes physiques ou morales autres que les personnes morales de droit public (art. 98 al. 1 Cst-GE). Sont exceptés et soumis à l’approbation du Conseil d'État les échanges et transferts résultant d’opérations d’aménagement du territoire, de remembrement foncier, de projets routiers ou d’autres projets déclarés d’utilité publique (art. 98 al. 2 let. b Cst-GE).

Au niveau communal, le conseil municipal délibère sur l’acceptation des donations et les legs à la commune (art. 30 al. 1 let. j LAC) ainsi que sur les achats d'immeubles (art. 30 al. 1 let. k LAC).

Pour le surplus, la gestion du domaine public et du patrimoine administratif et financier relève, pour le canton, du Conseil d'État et, pour la ville, du conseil administratif.

10. a. Jusqu'à l'initiative présentement examinée, deux initiatives cantonales lancées à Genève réclamaient des actes concrets d'expropriation.

b. La première a été l'IN 22, lancée en 1988 et intitulée « pour la construction de logements aux Falaises (expropriation des servitudes) » (ROLG 1988 p. 716). La commission du Grand Conseil chargée d'examiner sa validité a conclu qu'elle était valide, mais son rapport n'a jamais été publié, l'IN 22 ayant été retirée avant que le Grand Conseil ne statue en séance plénière sur la question de sa validité (MGC 1991 I 1005 ; Stéphane GRODECKI, op. cit., n. 526).

c. La seconde a été l'IN 132, lancée en 2005 et intitulée « pour la réalisation du projet RHINO en Ville de Genève ». Son article unique prévoyait notamment que l'octroi, par la ville, d'un droit de superficie en faveur des coopératives RHINO et CIGUE, en vue du maintien des logements et espaces culturels actuels sur trois parcelles inscrites au registre foncier sur le territoire de la ville était déclaré d'utilité publique au sens de l'art. 3 al. 1 LEx-GE (al. 1), et l'expropriation desdites parcelles pouvait être prononcée par le Conseil d'État à l'encontre du propriétaire ou de tout acquéreur subséquent, au bénéfice de la ville (al. 2).

Dans son rapport au Grand Conseil du 29 janvier 2006, le Conseil d'État avait considéré que l'initiative n'était pas conforme au droit supérieur, car elle ne respectait pas la répartition des compétences prévue par la législation. Dans son rapport du 26 mai 2006, la commission législative du Grand Conseil avait fait siennes les conclusions du Conseil d'État et s'était également référée à un avis de droit rédigé à la demande de la ville. Par décision du 22 juin 2006, publiée sans motivation dans la FAO du 28 juin 2006, le Grand Conseil genevois avait déclaré invalide l'IN 132. Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral l'avait rejeté par arrêt du 28 février 2007 (1P.451/2006).

11. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a émis notamment les considérants suivants.

a. Selon la règle constitutionnelle alors en vigueur, soit l'art. 66 al. 3 aCst-GE, une invalidation, qu'elle fût partielle ou totale, ne pouvait reposer que sur une violation manifeste du droit supérieur. Le caractère manifeste de la violation ne se rapportait pas à la gravité de l'inconstitutionnalité alléguée, mais à la certitude de l'existence de celle-ci. Ce n'était que dans l'hypothèse où l'inconstitutionnalité « sautait aux yeux et ne pouvait raisonnablement être niée » que le Grand Conseil était tenu de la déclarer invalide. Cette solution, limitant le pouvoir de sanction du parlement aux cas évidents, avait notamment le mérite de lui éviter de devoir trancher de délicates questions de droit constitutionnel sans en avoir les moyens (arrêt du Tribunal fédéral 1P.451/2006 précité consid. 2.2).

b. L'initiative litigieuse avait pour objet quatre opérations successives concernant les immeubles sis sur trois parcelles de la ville. Elle demandait d'abord une déclaration d'utilité publique par le Grand Conseil, au sens de l'art. 3 al. 1 let. a LEx-GE. Elle visait ensuite le prononcé, par le Conseil d'État, de l'expropriation des parcelles concernées. Dès lors que cette expropriation devait se faire au bénéfice de la ville, elle impliquait un transfert de propriété des immeubles expropriés. Enfin, la dernière opération consistait en l'octroi, par la ville, d'un droit de superficie en faveur de deux coopératives.

L'IN 132 était donc une initiative législative tendant à l'adoption de divers actes individuels et concrets de nature administrative. La possibilité de demander l'adoption de tels actes par voie d'initiative législative était admissible lorsque, comme c'était le cas dans le canton de Genève, le constituant ne s'était pas limité à une définition matérielle de la loi (ibid., consid. 3.1).

c. On pouvait difficilement suivre la thèse des initiants selon laquelle l'IN 132 ne visait qu'à déclarer d'utilité publique le projet, pour offrir la possibilité aux collectivités intéressées de prononcer l'expropriation si elles le souhaitaient, et n'imposait rien ni à la ville, ni au Conseil d'État. Au contraire, sur le vu du texte de l'initiative, de l'exposé des motifs et de la problématique bien connue du squat à l'origine de l'initiative, on ne pouvait raisonnablement soutenir que les signataires de l'IN 132 demandaient autre chose que l'expropriation effective des immeubles occupés. En outre, en vertu de l'art. 30 LEx-GE, lorsque l'utilité publique avait été constatée par le Grand Conseil, le Conseil d'État décrétait l'expropriation des immeubles et des droits dont la cession était nécessaire à l'exécution du travail ou de l'ouvrage projeté. S'agissant de normes de droit cantonal qui n'étaient pas étroitement liées au droit de vote, l'opinion de l'autorité cantonale supérieure devait être privilégiée ; or, le Grand Conseil estimait que le prononcé d'utilité publique imposait au Conseil d'État de décréter l'expropriation (ibid., consid. 4.1).

d. Au demeurant, déclarer d'utilité publique l'octroi d'un droit de superficie par la ville n'avait pas de sens si cette autorité n'était pas en mesure d'effectuer l'opération en question. La déclaration d'utilité publique visée par l'IN 132 ne pouvait pas se concevoir pour elle-même, de manière indépendante et abstraite ; une telle mesure n'aurait aucune portée et ne pourrait pas être exécutée. Cette déclaration supposait donc que la ville devînt propriétaire des parcelles concernées, afin de pouvoir octroyer le droit de superficie requis. L'IN 132 portant bien sur les quatre opérations susvisées, il convenait d'examiner la conformité de chacune de ces opérations à l'art. 65B aCst-GE (intitulé « initiative législative », et dont la teneur était : « L'initiative peut proposer un projet de loi rédigé de toutes pièces dans toutes les matières de la compétence des députés ») et au principe de la séparation des pouvoirs (ibid., consid. 4.2).

e. La conclusion du Grand Conseil, selon laquelle seul le Conseil d'État était compétent pour déposer un projet de loi en matière de constatation de l'utilité publique n'apparaissait pas insoutenable ; elle semblait d'ailleurs corroborée par les travaux préparatoires ayant abouti à l'adoption de la LEx-GE (MGC 1932 p. 391 s. ; MGC 1933 p. 709) et correspondait à une pratique cantonale que tous les acteurs de ce dossier s'accordaient à qualifier de constante. Il était toutefois douteux que cela suffît à fonder l'invalidation de l'IN 132, la violation du droit supérieur n'atteignant pas le degré d'évidence voulu par l'art. 66 al. 3 aCst-GE. Cette question pouvait cependant demeurer indécise, dès lors que la constatation de l'utilité publique ne pouvait pas être soumise seule à la votation populaire en cas d'invalidation du reste de l'initiative (ibid., consid. 5.1 et 5.2).

f. S'il était douteux que le Grand Conseil pût constater l'utilité publique au sens de l'art. 3 LEx-GE sans en avoir été requis par le Conseil d'État, il était en revanche certain qu'il n'était pas compétent pour prononcer une expropriation. Il ressortait en effet du texte clair de l'art. 4 LEx-GE que l'exercice du droit d'expropriation n'appartenait qu'à l'État ou à la commune intéressée. Ainsi, seule la ville ou le Conseil d'État étaient compétents pour prononcer l'expropriation demandée par l'IN 132. Le Grand Conseil ne pouvait pas leur imposer de procéder à une expropriation sans porter atteinte à la séparation des pouvoirs. Par conséquent, en tant que le projet de loi faisant l'objet de l'IN 132 demandait une expropriation, il sortait manifestement du domaine de compétence des députés du Grand Conseil genevois et violait clairement la Constitution cantonale. Dès lors qu'il s'agissait d'une violation manifeste du droit supérieur, c'était à juste titre que cet aspect de l'IN 132 avait été déclaré invalide (ibid., consid. 6).

g. Dans la mesure où l'IN 132 demandait que l'expropriation fût prononcée par le Conseil d'État mais qu'elle bénéficiât à la ville, elle impliquait un transfert de propriété des immeubles expropriés. Or, le Grand Conseil n'était à l'évidence pas compétent pour procéder à l'aliénation d'immeubles propriété de l'État, même si certaines de ces opérations étaient soumises à son approbation en vertu de l'art. 80A al. 1 aCst-GE. Ainsi, en tant qu'elle contraignait le Conseil d'État à aliéner les immeubles concernés, l'IN 132 était manifestement contraire à l'art. 65B aCst-GE ainsi qu'à la séparation des pouvoirs. Enfin, il en allait de même en ce qui concernait l'octroi d'un droit de superficie par la ville, qui était évidemment de la compétence exclusive de cette commune. Dans la mesure où cette partie de l'initiative apparaissait elle aussi d'emblée contraire au droit supérieur, le Grand Conseil n'avait d'autre choix que de l'invalider (ibid., consid. 7).

h. Ainsi, des quatre mesures demandées par l'IN 132, seule la déclaration d'utilité publique ne semblait pas manifestement contraire au droit supérieur. En l'occurrence, l'IN 132 n'avait plus de sens si l'on supprimait ce qui avait trait à l'octroi du droit de superficie, au transfert de propriété et à l'expropriation. En effet, comme cela avait déjà été exposé, la déclaration d'utilité publique ne pouvait se concevoir sans que la ville fût en mesure d'octroyer un droit de superficie, ce qui impliquait l'expropriation des immeubles par le Conseil d'État et leur transfert à la ville. L'expropriation et l'octroi du droit de superficie aux coopératives semblaient d'ailleurs constituer le but principal de l'initiative ; ils étaient à tout le moins étroitement liés à l'objectif poursuivi par les initiants et ne pouvaient pas être soustraits au texte de l'IN 132 sans le dénaturer. Une annulation partielle de l'initiative litigieuse n'était dès lors pas possible, de sorte que c'était à juste titre que le Grand Conseil genevois l'avait entièrement invalidée (ibid., consid. 8.2).

12. a. Depuis le prononcé de cet arrêt, la réglementation applicable est globalement restée la même. Les art. 1, 3, 4, 25 al. 1 let. b et 30 LEx-GE n'ont subi aucune modification, et les recourants ne soutiennent pas que la pratique voulant que ce soit toujours le Conseil d'État qui présente les projets de loi de déclaration d'utilité publique ait été renversée ou même ait subi des exceptions depuis 2007.

b. Le texte constitutionnel a bien évidemment changé lors de l'entrée en vigueur de l'actuelle Cst-GE le 1er janvier 2013. Le contenu des dispositions pertinentes est néanmoins globalement resté le même. La Cst-GE ne contient toujours aucune définition de la loi ; l'art. 57 Cst-GE exige toujours que les propositions législatives soient dans l'un des domaines de compétence des députés du Grand Conseil ; et l'art. 60 al. 4 prévoit la sanction de la nullité, partielle ou totale, de l'initiative lorsqu'elle n'est pas conforme au droit, seule l'exigence du caractère manifeste de la contrariété au droit ayant été supprimée, ce qui s'explique notamment par le fait que le contentieux de la validité des initiatives est désormais confié à deux instances (le Conseil d'État et la chambre de céans) qui possèdent les compétences suffisantes pour trancher des questions même complexes de droit constitutionnel.

c. Quant aux propositions de l'IN 166, elles ne se distinguent de celles de l'IN 132 que par l'absence de l'octroi d'un droit de superficie. Le comité d'initiative n'a du reste pas dit autre chose au Conseil d'État, puisqu'il a déclaré que l'IN 166 se distinguait de l'IN 132, car cette dernière proposait de déclarer d'utilité publique non le maintien d'un bâtiment, mais l'octroi par la ville d'un droit de superficie en faveur de deux coopératives, ce qui n'était pas le cas de l'IN 166. On ne voit en revanche pas en quoi cette différence aurait une influence décisive sur l'issue du litige.

d. En effet, si l'on transpose l'arrêt du Tribunal fédéral 1P.451/2006 au cas d'espèce, en tenant compte du droit en vigueur au moment du dépôt de l'IN 132, on doit retenir que :

- la première proposition, à savoir la demande de déclaration d'utilité publique, n'est en principe pas conforme au droit, seul le Conseil d'État étant habilité à déposer un tel projet de loi – quoiqu’il en soit, la question peut être laissée ouverte ;

- la deuxième proposition, à savoir le prononcé de l'expropriation, est contraire au droit, le Grand Conseil n'étant pas compétent pour prononcer une expropriation pour cause d'utilité publique cantonale – seul le Conseil d'État l'étant en vertu de l'art. 4 LEx-GE –, et ne pouvant en vertu de la séparation des pouvoirs forcer le Conseil d’État à prendre une telle décision ;

- la troisième proposition, à savoir le transfert de propriété à la ville des immeubles expropriés, est contraire au droit, le Grand Conseil n'étant pas compétent pour procéder à l'aliénation d'immeubles propriété de l'État, même si certaines de ces opérations sont soumises à son approbation en vertu de l'art. 98 al. 1 Cst-GE ;

- au cas où la première proposition serait conforme au droit, l'initiative devrait néanmoins être invalidée dans son ensemble en application de l'art. 60 al. 4 Cst-GE, dans la mesure où l'IN 166 n'aurait plus de sens si l'on supprimait ce qui a trait au transfert de propriété et au prononcé de l'expropriation ; à cet égard, l'affirmation du comité d'initiative selon laquelle l'IN 166, contrairement à l'IN 132, pourrait être réalisée par la seule déclaration d'utilité publique, ne résiste pas à l'examen dès lors que cette seule déclaration ne permettrait aucunement de conserver la destination de la salle ni d'empêcher son réaménagement. Conformément au précédent jugé par le Tribunal fédéral, la déclaration d’utilité publique ne peut se concevoir sans le prononcé de l’expropriation et le transfert de propriété, puisqu’elle ne pourrait alors pas être exécutée.

13. Les recourants ne fournissant pas d'éléments qui permettent de s'écarter des conclusions claires qui précèdent, il s'ensuit que leur recours sera rejeté.

Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge du comité d'initiative, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à l'appelée en cause, qui y a conclu et a exposé des frais pour sa défense, également à la charge du comité recourant (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 avril 2018 par le comité d'initiative « Le Plaza ne doit pas mourir » ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge du comité d'initiative « Le Plaza ne doit pas mourir » ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à B______ SA, à la charge du comité d'initiative « Le Plaza ne doit pas mourir » ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, mandataire du comité d'initiative « Le Plaza ne doit pas mourir », au Conseil d'État, ainsi qu’à Me Daniel Peregrina, avocat de B______ SA, appelée en cause.

Siégeant : M. Verniory, président, Mmes Junod et Payot Zen-Ruffinen, M. Martin, Mme Tapponnier, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

 

M. Michel

 

le président siégeant :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :