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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/599/2017

ACST/23/2017 du 11.12.2017 ( INIT ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 01.02.2018, rendu le 16.11.2018, ADMIS, 1C_59/2018, 1C_60/2018
Recours TF déposé le 01.02.2018, rendu le 16.11.2018, REJETE, 1C_60/2018, 1C_59/2018
En fait
En droit

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/599/2017-INIT ACST/23/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 11 décembre 2017

 

dans la cause

 

Monsieur A______

et

ASSOCIATION DES PROMOTEURS CONTRUCTEURS GENEVOIS

et

CHAMBRE GENEVOISE IMMOBILIÈRE

et

UNION SUISSE DES PROFESSIONNELS DE L’IMMOBILIER GENÈVE
représentés par Me François Bellanger, avocat

contre

CONSEIL D’ÉTAT

et

COMITÉ D'INITIATIVE « CONSTRUISONS DES LOGEMENTS POUR TOUTES ET TOUS »,
représenté par Me Damien Chervaz, avocat



EN FAIT

1) a. Monsieur A______ est de nationalité suisse, domicilié sur le territoire de la commune genevoise de B______ et titulaire des droits politiques dans le canton de Genève.

b. L’Association des promoteurs constructeurs genevois (ci-après : APCG) est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), ayant son siège à Genève. Elle a pour but notamment de regrouper les personnes physiques ou morales exerçant à Genève la profession de promoteur constructeur, de représenter et défendre collectivement les intérêts des maisons membres et de veiller à ce qu’en tout temps soient sauvegardés les intérêts des tiers qui recourent aux services de ses membres. Pour réaliser ses buts, l’APCG peut notamment représenter la profession auprès des autorités et, en cas de nécessité, agir par la voie judiciaire ou administrative contre toute mesure de nature à porter atteinte aux intérêts de la profession ou d’un de ses membres.

c. La Chambre genevoise immobilière (ci-après : CGI) est une association au sens des art. 60 ss CC, ayant son siège à Genève. Elle a pour but la promotion, la représentation et la défense de la propriété foncière dans le canton. Ses membres sont des propriétaires de biens fonciers sous toute forme juridique et des personnes manifestant un intérêt particulier pour la propriété immobilière.

d. L’Union suisse des professionnels de l’immobilier Genève (ci-après : USPI Genève) est une association au sens des art. 60 ss CC, ayant son siège à Genève. Elle a pour but notamment de défendre collectivement les intérêts des maisons membres et de promouvoir au sens large la profession de régisseur et de courtier. Peut être admise à faire partie de l’USPI Genève toute entreprise individuelle ou personne morale dont les ayant-droits remplissent notamment les conditions d’être inscrits au registre du commerce de Genève et d’exercer les activités principales (de régisseurs ou de courtiers) dans le canton de Genève.

2) Le 1er décembre 2006, le Conseil d’État et un Groupe de concertation représentatif des partenaires économiques et sociaux du logement et de la construction ont signé un accord établissant les fondements d’une nouvelle politique du logement à Genève pour une période de dix ans. Ledit accord prévoyait de constituer durant ce délai un socle permanent de logements d’utilité publique, qui représenterait le 15 % – à plus long terme le 20 % – du parc locatif sur l’ensemble du canton et dont la location serait conditionnée à des critères de taux d’effort et d’occupation. Le caractère pérenne du système serait assuré par le fait que ces logements seraient en mains, principalement, de collectivités publiques (État, communes, fondations immobilières de droit public) ou d’organismes sans but lucratif, qui, ès qualités, les offriraient à bail aux ménages dont les ressources seraient modestes, et, accessoirement, d’entités privées qui s’engageraient dans le long terme (au moins cinquante ans) à faire de même dans le respect des taux d’effort et d’occupation fixés. Pour parvenir à cet objectif, un crédit d’investissement global de CHF 300'000'000.- serait ouvert au Conseil d’État, qui serait réparti en dix tranches annuelles de CHF 30'000'000.- ; de nouveaux déclassements de la zone agricole en zone de développement seraient soutenus en faveur de la construction de logements collectifs, prioritairement dans le cadre du plan directeur cantonal (ci-après : PDCant) ; la nature des logements mis sur le marché serait orientée par la fixation de pourcentages de logements à loyers modérés et de logements d’utilité publique à livrer dans les nouvelles opérations ; ces proportions seraient arrêtées au regard d’un principe de réalité (voulant que le prix de revient soit pris en compte, en particulier le prix du terrain, différant selon qu’il s’agissait de terrains nus d’origine agricole ou en milieu bâti), d’un principe de mixité (permettant d’éviter de créer des poches de logements d’utilité publique dans la couronne suburbaine), d’un principe de complémentarité (ajoutant un objectif de réalisation de logements subventionnés ou de coopératives à celui de création de logements d’utilité publique, insuffisant à satisfaire les besoins d’une large partie de la population aux ressources limitées) et d’un principe de collaboration (offrant aux propriétaires concernés le choix entre réaliser eux-mêmes les logements collectifs dans les proportions fixées ou céder une partie de leurs parcelles à l’État, une commune ou un autre organisme sans but lucratif).

3) a. Le 1er mars 2007, le Conseil d’État a présenté au Grand Conseil un projet de loi pour la construction de logements d’utilité publique (ci-après : PL 10008), concrétisant la nouvelle politique du logement ainsi définie.

b. Le Grand Conseil a adopté ce projet de loi le 24 mai 2007 (en lui apportant quelques amendements mineurs, ici sans pertinence).

Ladite loi pour la construction de logements d’utilité publique (ci-après : LUP - I 4 06) est entrée en vigueur le 31 juillet 2007 (ROLG 2007 p. 469).

Elle a introduit l’art. 4A suivant, intitulé « Catégories de logements », dans la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 5) :

1 Dans les périmètres sis en zone de développement et dont la zone primaire est la zone villa, celui qui réalise des logements a le choix entre :

a) la construction de logements soumis au régime HM, au sens de l'article 16, alinéa 1, lettre d, de la loi générale sur le logement et la protection des locataires, du 4 décembre 1977, ou en coopérative d'habitation à raison de 30 % du programme, ou

b) la cession à l’État, à une commune ou à un autre organisme sans but lucratif, à titre onéreux et au prix admis par l’État dans les plans financiers, de 25 % du périmètre pour la construction de logements d'utilité publique.

2 Dans les périmètres déclassés en zone de développement après le 1er janvier 2007 et dont la zone primaire est la zone villa, il est réalisé au moins 15 % de logements d’utilité publique. Dès lors, pour permettre la réalisation de cet objectif, celui qui réalise des logements a le choix entre :

a) la cession à l’État, à une commune ou à un autre organisme sans but lucratif, à titre onéreux et au prix admis par l'État dans les plans financiers, de 15 % du périmètre pour la construction de logements d’utilité publique, d'une part, et la construction de logements HM ou en coopérative d’habitation à raison de 15 % du programme, d'autre part, ou

b) la cession à l’État, à une commune ou à un autre organisme sans but lucratif, à titre onéreux et au prix admis par l’État dans les plans financiers, de 25 % du périmètre pour la construction de logements d'utilité publique.

3 Dans les périmètres sis en zone de développement et dont la zone primaire est la zone agricole, ainsi que dans le périmètre des communaux d'Ambilly (commune de Thônex), il est réalisé des logements d'utilité publique pour au moins un quart du programme et des logements soumis au régime HM, HLM ou en coopérative d'habitation pour au moins un quart du programme. Pour permettre la réalisation de ces objectifs, celui qui réalise des logements dans un tel périmètre peut être contraint de céder à l’État, à une commune ou à un autre organisme sans but lucratif, à titre onéreux et au prix admis par l’État dans les plans financiers, 25 % du périmètre pour la construction de logements d'utilité publique.

4 La présente disposition est applicable à toute demande déposée jusqu’au 31 juillet 2017. À l’issue de cette période, le Conseil d’État présente un rapport au Grand Conseil.

5 Si les circonstances l'exigent, le département de l’aménagement, du logement et de l’énergie peut accepter de déroger aux proportions énoncées dans le présent article. Dans de tels cas, celui qui réalise des logements doit offrir des compensations équivalentes, de manière à ce que les proportions soient respectées à l'échelle du plan localisé de quartier, du plan de zone, voire de la région considérée. Dans des cas de peu d'importance, le département peut exceptionnellement renoncer à cette exigence.

4) L’objectif de constituer un parc de logements d'utilité publique a été porté à 20 % du parc locatif du canton par une loi 10460, du 14 mai 2009, entrée en vigueur le 14 juillet 2009 (ROLG 2009 p. 406 et 606).

5) Le 20 septembre 2013, le Grand Conseil a adopté le PDCant 2030, que le Conseil fédéral a approuvé le 29 avril 2015 (FF 2015 3241).

6) Le 14 octobre 2015, le Conseil d’État a déposé auprès du Grand Conseil un rapport sur la mise en œuvre de la nouvelle politique du logement dans le cadre de la réalisation du PDCant 2030 (ci-après : RD 1108).

Il fallait apporter des ajustements à la politique du logement. La LUP avait complexifié le système ; sa mise en œuvre impliquait des relations avec la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05), compliquées par le fait que les deux lois utilisaient les mêmes termes de logements d’utilité publique sans que leur définition ne soit la même. Les rôles et responsabilités des nombreux acteurs mobilisant les actes de construire et d’exploiter des immeubles devaient être précisés ; l’État devait se montrer proactif, sans contrarier l’initiative privée ou celle des communes, dans une logique de résultat plutôt que de moyens. Les mécanismes prévus pour développer le parc de logements d’utilité publique (en particulier les leviers territoriaux découlant de la répartition des catégories de logements prévus en 2007) ne permettaient pas d'atteindre les objectifs fixés dans des délais raisonnables ; il fallait mieux mettre en relation les intentions et la réalité des potentiels constructibles. Les principes fondamentaux ayant marqué Genève dans le domaine considéré depuis plus de cinquante ans n’en devaient pas moins être maintenus, à savoir offrir une part significative de logements répondant aux besoins prépondérants de la population en menant une action déterminée reposant aussi bien sur des outils d’aménagement du territoire que des aides à la pierre ou à la personne.

Au chapitre d’une nécessaire révision de l’art. 4A LGZD, ledit rapport identifiait plusieurs axes stratégiques pour mieux répondre aux besoins en logements de manière générale et, de façon plus sectorielle, pour assurer la création du parc de logements d’utilité publique voulu par la LUP. À titre de synthèse, le Conseil d’État proposait la nouvelle teneur possible suivante de l’art. 4A LGZD, à intituler « Catégories de logements » :

1 Dans les périmètres sis en zone de développement 2, 3 et 4A, dont les indices de densité sont prévus à l’article 2A, celui qui réalise des logements doit :

a) construire des logements locatifs pour au moins 2/3 du programme

b) et construire des logements d'utilité publique, au sens de la loi pour la construction de logements d'utilité publique (LUP), du 24 mai 2007, pour au moins 1/3 du programme.

Pour permettre la réalisation qualitative de ces objectifs tout en veillant à une rationalité économique, celui qui réalise des logements dans un tel périmètre est contraint de céder à l’État ou à une commune, ou un organisme sans but lucratif, à titre onéreux et à un prix préférentiel dans la mesure où il est admis par l’État dans les plans financiers, les terrains produisant les droits à bâtir nécessaires à la réalisation du programme.

Sont exemptés de cette contrainte de vente les requérants investisseurs. Ces derniers peuvent réaliser eux-mêmes le programme prévu.

2 Dans les périmètres sis en zone de développement 4B et 4B protégée, celui qui réalise est libre du choix des catégories de logements.

3 La présente disposition est applicable à toute demande déposée dans les 10 ans à compter de son entrée en vigueur. À l'issue de cette période, le Conseil d'État présente un rapport au Grand Conseil.

4 Si les circonstances l'exigent, le département de l’aménagement, du logement et de l’énergie peut accepter de déroger aux proportions énoncées dans le présent article. Dans de tels cas, celui qui réalise des logements doit offrir des compensations équivalentes, de manière à ce que les proportions soient respectées à l'échelle du plan localisé de quartier, du plan de zone, voire de la région considérée. Dans des cas de peu d'importance, le département peut exceptionnellement renoncer à cette exigence.

7) Le 8 mars 2016, un comité d’initiative « Construisons des logements pour toutes et tous » (ci-après : comité d’initiative) a informé le Conseil d’État du lancement d’une initiative législative cantonale formulée intitulée « Construisons des logements pour toutes et tous : Davantage de coopératives et de logements bon marché ! » (ci-après : IN 161).

L’IN 161 portait sur la modification suivante de la LGZD :

Art. 4A Catégories de logements (nouvelle teneur)

1 Dans les périmètres sis en zones de développement :

a)     au moins 80 % des logements construits doivent être destinés à la location.

b)    au moins 50 % des logements construits doivent être d’utilité publique au sens de la loi pour la construction de logements d’utilité publique du 24 mai 2007 et sont des immeubles soumis aux catégories de l’article 16 de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL).

c)     au moins 30 % des logements construits doivent être des habitations bon marché au sens de l’article 16 alinéa 1 lettre a) de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977.

2 En principe, dans les périmètres sis en zones de développement, au moins 50 % de l’ensemble des logements sont réalisés par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif, notamment des coopératives d’habitation.

3 Si les circonstances l’exigent, le Département de l’aménagement, du logement et de l’énergie peut accepter de déroger aux proportions mentionnées dans le présent article. Dans les cas visés aux alinéas 1 et 2, celui qui réalise des logements doit créer des compensations équivalentes, de manière à ce que les proportions soient respectées à l’échelle du plan localisé de quartier, du plan de zone, voire de la commune considérée.

L’initiative ne comportait aucun exposé des motifs.

8) L’IN 161 a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 15 mars 2016. Le délai de récolte des signatures arrivait à échéance le 15 juillet 2016. Celles-ci ont été déposées auprès du service des votations et élections le 14 juillet 2016.

9) Par arrêté du 21 septembre 2016, publié dans la FAO du 23 septembre 2016, le Conseil d’État a constaté l’aboutissement de l’initiative et fixé ses délais de traitement.

10) Par courrier du 5 octobre 2016, le Conseil d’État a invité le comité d’initiative à se déterminer sur la validité de l’IN 161 sous l’angle du principe de la clarté, de la conformité avec le droit supérieur et de l’exécutabilité.

La question était de savoir si les let. a, b et c de l’art. 4A al. 1 proposé étaient cumulatives, et, dans l’affirmative, si l’équilibre des pourcentages prévus devait être obtenu par le calcul du total des logements sis en zone de développement, du plan localisé de quartier, du plan de zone, voire de la région ou de la commune, ou s’il devait être imposé à chaque projet de construction pris séparément. Il s’agissait aussi de préciser la portée de la locution « En principe » à l’art. 4A al. 2 proposé, en d’autres termes dans quelles circonstances il serait possible de déroger au taux de 50 % y figurant et selon quelles modalités de calcul celui-ci devait être obtenu.

Il importait aussi de se déterminer sur la validité des pourcentages proposés par l’art. 4A au regard de la garantie de la propriété et du principe de la proportionnalité, ainsi que sur l’exécutabilité des pourcentages proposés si ceux-ci devaient s’appliquer non par projet mais sur un échantillon plus large.

11) Par courrier du 4 novembre 2016, le comité d’initiative s’est déterminé sur ces questions.

Les let. a, b et c de l’art. 4A al. 1 proposé devaient se comprendre à la lumière de l’expression « au moins » qui initiait chacune des catégories. Un minimum de 80 % de logements locatifs devait être réalisé (soit un maximum de 20 % en propriété par étages [ci-après : PPE]) ; un minimum de 50 % de l’entier des logements à construire devait être des logements d’utilité publique au sens de la LUP et de la LGL, étant entendu qu’ils faisaient partie des logements locatifs exigés visés par la let. a ; un minimum de 30 % des logements à construire devaient être des habitations bon marché, étant entendu qu’ils faisaient partie des logements locatifs visés par les let. a et b. Le secteur déterminant pour le calcul des pourcentages était le périmètre déclassé en zone de développement. La locution « En principe » figurant à l’art. 4A al. 2 proposé exprimait que cette disposition prévoyait « un objectif que le Conseil d’État (devait) se fixer pour le choix des opérateurs en vue de la réalisation des constructions en zone de développement », objectif qui ne pourrait pas toujours être atteint, le Conseil d’État devant alors justifier les dérogations qu’il accorderait. Le secteur déterminant pour le calcul des pourcentages serait celui du périmètre déclassé en zone de développement, et il n’y aurait aucune exigence de temporalité.

Comme le droit en vigueur, l’IN 161 fixait des pourcentages de types de logements devant être réalisés en zone de développement, certes de façon plus contraignante, mais moins que la pratique des autorités avant 2005, qui exigeaient que deux tiers des logements construits en zone de développement fussent des logements d’utilité publique au sens de la LGL. Le Tribunal fédéral avait admis que, comme le prévoyait l’art. 6A LGZD, lorsqu’un secteur était déclaré d’utilité publique pour la levée de servitudes de restriction des droits à bâtir, 60 % des surfaces brutes de plancher réalisables selon un plan localisé de quartier devait répondre aux exigences de la LGL.

Moins contraignante que la pratique suivie jusqu’en 2005 et prévoyant la possibilité de dérogations moyennant des compensations dans des conditions pratiquement identiques à celles de l’actuel art. 4A al. 5 LGZD, l’IN 161 était exécutable.

12) Par arrêté du 18 janvier 2017, publié dans la FAO du 20 janvier 2017, le Conseil d’État a déclaré l’IN 161 valide.

L’IN 161 respectait la condition de forme d’une initiative. Elle était formulée et pouvait ainsi s’insérer dans la LGZD sans de plus amples modifications. Elle respectait également l’unité de genre dans la mesure où elle portait modification de la LGZD par l’ajout d’un nouvel article sans mélanger les niveaux normatifs. Elle respectait aussi l’unité de la matière, dès lors que l’ensemble des mesures proposées visait un objectif commun de lutter contre la pénurie de logements en créant des logements suffisamment accessibles à l’ensemble de la population et répondant aux besoins de celle-ci. Les différentes mesures proposées présentaient entre elles un lien de connexité étroit.

L’IN 161 respectait aussi le principe de la clarté. Certes, trois éléments de son texte pouvaient soulever des interrogations, soit le caractère cumulatif ou non des let. a, b et c de l’art. 4A al. 1 proposé, la locution « En principe » à l’art. 4A al. 2 proposé et les modalités de calcul en temps et en espace. Toutefois, en tenant compte de l’ensemble de son texte, les conditions prévues par les let. a, b et c devaient être considérées comme cumulatives. La locution « En principe » atténuait la restriction posée par l’al. 2, même en dehors de toute compensation prévue à l’al. 3 ; il devait être compris qu’en cas d’impossibilité ou de difficulté majeure, il pourrait être dérogé sans compensation au pourcentage de 50 % de maîtres d’ouvrage sans but lucratif, mais qu’en cas de simple convenance, une compensation équivalente devrait être octroyée. Le 50 % de maîtres d’ouvrage sans but lucratif devait être compris comme un objectif, étant précisé que les dérogations devraient être justifiées par le Conseil d’État. Les modalités de calcul des pourcentages se clarifiaient au regard du principe de la non-rétroactivité, qui impliquait que les droits accordés par le passé ne pourraient être reconsidérés et que « les pourcentages (devraient) être retenus pour les déclassements en zone de développement et plans futurs ».

L’IN 161 était conforme au droit supérieur, à savoir au droit international (aucune convention internationale ne régissait la matière concernée), au droit fédéral (le droit public fédéral en matière de logement ne comportait pas de normes qui la primeraient, et l’initiative ne proposait pas de règles de droit privé), à la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) et au droit intercantonal (aucune convention intercantonale n’existait dans le domaine concerné). Les mesures proposées par l’IN 161 étaient propres à atteindre le but visé ; aucune autre mesure moins incisive ne permettrait d’arriver au même résultat ; des possibilités de dérogation aux pourcentages contraignants étaient prévues ; le département compétent disposerait d’une marge de manœuvre, lui permettant de tenir compte des autres intérêts privés ou publics en jeu pour examiner des situations de cas en cas. L’IN 161 n’affectait pas le noyau intangible de la garantie de la propriété, la possibilité d’acquérir la propriété privée, d’en jouir et de l’aliéner à nouveau étant maintenue.

L’IN 161 était en outre exécutable. Elle n’exigeait rien de matériellement ou formellement inexécutable.

13) Également le 18 janvier 2017, le Conseil d’État a saisi le Grand Conseil d’un rapport sur la prise en considération de l’IN 161 (ci-après : IN 161-A), l’invitant à rejeter l’initiative et à lui opposer un contre-projet.

L’IN 161 permettrait difficilement d’atteindre les objectifs énoncés dans le cadre de la nouvelle politique du logement. Les buts poursuivis étaient légitimes, mais incomplets. Les moyens proposés semblaient inadéquats et risquaient d'aboutir à un blocage de l'ensemble du dispositif mis en place par la législation en vigueur.

Les objectifs qui avaient été fixés lors de l’introduction de la législation sur le logement avaient été partiellement atteints. Des inconvénients importants étaient apparus au cours des dix années de pratique. La législation n'avait pas offert de solutions de logement à la classe moyenne, la production de logements qui lui était destinée s'étant limitée à 17 %. Il y avait également un déséquilibre entre la production de logements en PPE ou villas et la population-cible de cette offre, seuls 20 % des ménages genevois étant en mesure de devenir propriétaires de leur logement, compte tenu des restrictions fédérales de financement. Il y avait également un déséquilibre territorial quant à la répartition des logements d’utilité publique, partant un déséquilibre de la mixité sociale. La législation en vigueur devait être modifiée pour répondre aux enjeux majeurs de logement de la classe moyenne et de mixité sociale. L’initiative ne proposait pas de solution permettant de faire face à ces enjeux. Le dispositif proposé pouvait, par un blocage des projets de construction, aboutir au résultat contraire à celui visé par le PDCant 2030, qui prévoyait la construction de près de 50'000 logements en zone de développement.

Le Conseil d’État étudiait avec les partenaires cantonaux du logement différentes pistes concernant les modifications à apporter, avant juillet 2017, à la législation en vigueur pour répondre à l'ensemble des enjeux mis en évidence par l'évaluation de celle-ci. Il envisageait d’élaborer un contre-projet à l’IN 161 dans le courant du premier trimestre 2017.

14) L’IN 161 et l’IN 161-A ont été renvoyés à la commission du logement le 27 janvier 2017.

Pour les partisans de l’initiative, cette dernière corrigeait la situation de l’immobilier à Genève en proposant une répartition des logements correspondant aux capacités financières des citoyens. Pour certains opposants à l’initiative, celle-ci allait à l'encontre des lois et de l'économie du marché du logement ; il n’était pas envisageable qu’au moins 50 % des logements soient réalisés par des maîtres d'ouvrage sans but lucratif. Tout en soutenant l’idée de favoriser la construction de logements d’utilité publique dans les zones de développement, notamment par des sociétés coopératives, d’autres députés objectaient qu’il fallait mieux prendre en compte les besoins de la classe moyenne, représentant le 50 % de la population, de se loger dans le canton, y compris en PPE.

Pour le conseiller d’État en charge du logement, il fallait revoir l’art. 4A LGZD issu de l’accord sur le logement de 2006. Un déséquilibre s’était produit dans la répartition des logements construits ces dix dernières années, avec 33 % de logements subventionnés, 50 % de villas et de PPE et 17 % de logements locatifs non subventionnés. C’était la classe moyenne, représentant plus de 50 % des ménages genevois, qui était défavorisée, n’ayant pas accès aux logements subventionnés, mais souvent pas non plus à la propriété en raison d’un pouvoir d’achat fortement érodé par les impôts, les primes d’assurance-maladie et les charges de l’habitat. Le Conseil d’État présenterait un contreprojet renforçant la création de logements en faveur de la classe moyenne, mais aussi augmentant la part de logements d’utilité publique afin d’atteindre l’objectif de 20 % de tels logements.

15) Par acte du 20 février 2017, M. A______, l’APCG, la CGI et l’USPI Genève ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre l’arrêté précité du Conseil d’État déclarant l’IN 161 valide, en concluant à son annulation et à l’invalidation de ladite initiative.

L’IN 161 n’était pas conforme au droit supérieur, à savoir violait la garantie de la propriété et la liberté économique, en tant qu’elle était contraire à l’intérêt public et enfreignait le principe de la proportionnalité.

Elle allait à l’encontre du cadre constitutionnel définissant la politique genevoise du logement, voulant qu’il soit produit suffisamment de logements bon marché et de logements à vendre, en garantissant un équilibre entre les différents types de logements, sociaux ou libres, et parmi ces derniers entre ceux en location et ceux en PPE. Un propriétaire privé ne pourrait réaliser que le 20 % de son programme dans une autre catégorie que des logements locatifs, comme celle de la PPE, ce qui réduirait considérablement la possibilité pour de jeunes couples ou des familles d’accéder à la propriété, contrairement à l’exigence constitutionnelle de favoriser l’accès à la propriété du logement (art. 180 Cst-GE), le taux genevois de tels propriétaires n’étant que de 17 % contre 28 % dans le canton de Zurich et 36,8 % sur le plan suisse. L’IN 161 imposerait en outre l’expropriation de 50 % des terrains déclassés en zone de développement, en violation de l’objectif fixé par l’art. 179 al. 4 Cst-GE voulant que l’État mène une politique active d’acquisition de terrains, notamment en vue d’y construire des logements d’utilité publique par des institutions de droit public ou sans but lucratif, telles que des coopératives d’habitation.

L’IN 161 bloquerait l’essentiel des projets de construction en zone de développement, du fait que les pourcentages fixés étaient cumulatifs, que les immeubles encore susceptibles d’être construits en PPE ou comme locatifs non subventionnés étaient faussement qualifiés de « libres » dès lors que leur prix de vente ou de location était contrôlé par l’État pendant dix ans, et que le 20 % du programme devrait supporter toute la charge financière qui ne pourrait être reportée sur les autres 80 %. Ceci serait d’autant plus marqué dans les périmètres de zones de développement dont la zone de fond serait la zone villa, en raison du prix très élevé d’acquisition du foncier dans une telle zone, comprenant le prix du terrain et la valeur des bâtiments construits, étant rappelé que le PDCant 2030, ayant force obligatoire pour les autorités, prévoyait notamment la densification de la zone villa. L’obligation de céder au moins 50 % de l’ensemble des logements en zone de développement à des maîtres d’ouvrage sans but lucratif renforcerait cet effet de blocage, non seulement si – comme le silence du texte le laissait penser – une telle cession devait intervenir à titre gratuit (avec l’effet que le 50 % du programme devrait supporter le 100 % de la charge foncière), mais même aussi pour le cas où elle interviendrait à titre onéreux au prix admis par l’État, le propriétaire n’ayant aucun intérêt à se lancer dans un projet de construction dont la réalisation l’appauvrirait.

L’IN 161 violait le principe de la proportionnalité. Les pourcentages élevés à respecter en matière de type de logements construits en zone de développement et les restrictions très contraignantes quant au choix des maîtres d’ouvrage et les circonstances permettant les dérogations à ces contraintes n’étaient pas propres à atteindre le résultat escompté, et ce d’autant moins que des maîtres d’ouvrage sans but lucratif ne disposeraient pas des structures et moyens pour réaliser au moins le 50 % de l’ensemble des logements à construire en zone de développement, à savoir la moitié des 50'000 logements prévus par le PDCant 2030 ; le canton serait dans l’incapacité de financer ces constructions, même s’il n’avait pas à acheter les terrains en cas d’expropriation sans indemnité.

D’autres mesures moins incisives et mieux délimitées permettraient d’atteindre les objectifs visés par l’IN 161, ainsi que le Conseil d’État disait les étudier et vouloir les proposer comme contreprojet.

Les mesures proposées par l’IN 161 rendaient presque impossible ou du moins beaucoup plus difficile une utilisation des terrains conformes à leur destination, du fait de l’obligation faite aux propriétaires de destiner au moins 80 % des logements à construire à la location, dont 50 % devaient être des logements d’utilité publique au sens de la LUP et soumis à la LGL, et le 30 % restant être des logements HBM au sens de la LGL, et ce d’autant plus qu’ils devraient céder gratuitement au moins le 50 % de leur programme à des maîtres d’ouvrage sans but lucratif, mais même dans l’hypothèse où cette cession interviendrait à titre onéreux au prix admis par l’État. Les dérogations évoquées par l’IN 161 ne représentaient pas de vrais assouplissements à ces contraintes, car, à l’art. 4A al. 2 LGZD, l’initiative affirmait le principe, sans prévoir d’exception, qu’au moins 50 % de l’ensemble des logements réalisés en zone de développement devait l’être par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif, et, à l’al. 3, elle ne prévoyait pas de véritables dérogations aux contraintes résultant des al. 1 et 2 mais exigeait des compensations équivalentes, même dans les cas de peu d’importance.

Pour ces mêmes motifs, lesdites mesures portaient atteinte au noyau intangible de la garantie de la propriété et de la liberté économique, étant ajouté qu’elles s’appliqueraient à toutes les zones de développement et indépendamment du point de savoir si les parcelles concernées auraient été déclassées avant ou après l’entrée en vigueur de l’initiative. Or, les zones de développement couvraient déjà actuellement quasiment tout le potentiel constructible du canton, que ce soit sur des terrains déjà construits et densifiables (en zone villa et dans la couronne urbaine) ou sur des terrains vierges (en zone agricole), et auxquels s’ajouteraient ceux pour lesquels des déclassements étaient en cours (comme 550'000 m2 de terrains agricoles à Bernex par les projets de loi 11980 et 11985). L’État contrôlerait l’essentiel du sol, puisqu’il aurait le droit et l’obligation d’acheter, à raison de 50 %, tous les terrains disponibles, ce qui impliquerait une collectivisation du sol contraire à l’institution même de la propriété.

L’IN 161 était manifestement et matériellement inexécutable. Les maîtres d’ouvrage sans but lucratif ne disposeraient pas des structures et moyens de réaliser à eux seuls la moitié des 50'000 logements prévus en zone de développement par le PDCant 2030. Le dispositif de l’IN 161 était impossible à réaliser à cause du déséquilibre économique évident qu’il provoquerait entre les proportions excessivement élevées qu’il fixait et les ressources étatiques ou privées qui seraient nécessaires pour respecter ces pourcentages, et ce sans que le crédit d’investissement de CHF 35'000'000.- par an prévu par la LUP ne soit augmenté. Les proportions de logements d’utilité publique à construire devaient nécessairement être adaptées à la réalité économique, ainsi que le démontrait l’expérience faite avec la loi relative à l’aménagement du quartier « Praille-Acacias-Vernets » modifiant les limites de zones sur le territoire des Villes de Genève, Carouge et Lancy du 23 juin 2011 (ci-après : L 10788), dont le Conseil d’État proposait des modifications par un projet de loi 12052 déposé le 18 janvier 2017 (ci-après : PL 12052). Il était irréaliste de ne permettre aux propriétaires de réaliser que le 20 % de leur programme en PPE ou locatifs non subventionnés, de surcroît en faisant porter à ce 20 % toute la charge financière qui ne pourrait être reportée sur les autres 80 % de logements et en les obligeant à céder au moins le 50 % de l’ensemble de leur programme à des maîtres d’ouvrage sans but lucratif.

16) Le 14 mars 2017, onze députés (dont le recourant A______) ont déposé au Grand Conseil un projet de modification de l’art. 4A al. 4 LGZD (ci-après : PL 12074), aux termes duquel le Conseil d’État présenterait désormais un rapport au Grand Conseil sur l’application de l’art. 4A LGZD tous les cinq ans, dans le but de lever une inquiétude liée à l’absence d’une base légale au-delà du 31 juillet 2017, sans préjudice du débat de fond qui interviendrait sur l’IN 161. Ce projet de loi a été renvoyé sans débat à la commission du logement.

17) Le 30 mars 2017, le Conseil d’État a conclu au rejet du recours, par une écriture renvoyant à l’arrêté attaqué et relevant les quelques points suivants, présentés selon lui de façon erronée par les recourants.

Plusieurs immeubles locatifs soumis à la LGL avaient été soumis au régime de la LUP, sur demande de leurs propriétaires.

Il était erroné de dire que l’IN 161 ne promouvait que la construction de logements sociaux, car les 30 % de logements HBM prévus par l’art. 4A al. 1 let. c LGZD qu’elle proposait pouvaient faire partie, en totalité ou partie, des 50 % de logements d’utilité publique exigés par la let. b de cette disposition ; ainsi, 30 % du projet pouvaient être des locatifs non aidés.

L’IN 161 n’impliquait pas une expropriation forcée de 50 % des terrains déclassés en zone de développement.

Elle ne prévoyait pas de cession à titre gratuit à des maîtres d’ouvrage sans but lucratif, puisqu’une compensation financière était évoquée.

Le programme de logements non en PPE prévu par l’IN 161 – soit 50 % de logements d’utilité publique, dont 30 % du total en HBM, et 30 % de locatifs non aidés – était viable sur le plan financier, ainsi que le démontrait l’opération dite des Vernets en cours de réalisation comportant un programme entièrement locatif (donc sans PPE) et 66 % de logements d’utilité publique au sens de la LUP et 50 % de logements admis au bénéfice de la LGL (dont 22 % en HBM).

Les recourants confondaient impossibilité d’exécuter une initiative et questions d’opportunité.

Dire que le système actuel fonctionnait, c’était oublier qu’il avait été introduit pour une durée limitée de dix ans et que son application prendrait fin le 31 juillet 2017.

18) Par mémoire de réponse du 3 mai 2017, le comité d’initiative a conclu au rejet du recours.

L’IN 161 poursuivait le but d’intérêt public consistant à lutter contre la pénurie, avérée, de logements accessibles à tous. Elle le faisait par des moyens propres à atteindre ce but, en augmentant la proportion de logements destinés à la location en général, et en particulier de logements d’utilité publique et de HBM, corrigeant ainsi les lacunes de l’actuel art. 4A LGZD. Les mesures prévues étaient nécessaires pour atteindre l’objectif prévu par la LUP, sans être si incisives puisque l’initiative prévoyait, à l’al. 2 de l’art. 4A LGZD, des « mécanismes d’assouplissement » et, à l’al. 3 de cette disposition, des possibilités de dérogation, tout en permettant de construire jusqu’à 20 % de logements à vendre (PPE ou villas), ce qui répondait largement à la demande du marché pour ce type de biens. La possibilité d’acquérir la propriété privée, d’en jouir et de l’aliéner était fondamentalement maintenue.

Il n’y avait pas d’obstacle insurmontable à la réalisation de l’initiative. Comme le Conseil d’État l’avait retenu, si celle-ci était approuvée par le corps électoral, les exigences qu’elles posaient seraient applicables pour le futur. Pour l’essentiel, l’IN 161 reprenait la structure et les termes de l’ancienne pratique administrative, qui n’avait pas soulevé de problème d’exécutabilité.

19) Le 12 mai 2017, après avoir débattu du rapport de la commission du logement sur le PL 12074, comportant un rapport de majorité et un rapport de minorité, le Grand Conseil a adopté un art. 4A al. 4 LGZD proposé par la majorité de ladite commission, prolongeant l’application de l’art. 4A LGZD de deux ans, soit jusqu’au 31 juillet 2019.

La loi 12074 ainsi votée a été publiée dans la FAO du 19 mai 2017, puis, aucun référendum n’ayant été lancé à son encontre, promulguée dans celle du 28 juillet 2017, et elle est entrée en vigueur le 29 juillet 2017.

20) Dans l’intervalle, par une réplique du 15 juin 2017 répétant pour l’essentiel les arguments développés dans le recours, M. A______, l’APCG, la CGI et l’USPI Genève avaient persisté dans les conclusions de leur recours.

Le système actuel se fondait sur une privatisation du financement des logements sociaux, en imposant des revenus locatifs insuffisants pour financer le coût de construction de ces logements, avec l’effet que la part déficitaire dudit coût était transférée dans le plan financier des PPE construits dans les mêmes promotions. Ceci ne pouvait fonctionner que pour des promotions contenant suffisamment de logements en PPE ou en loyers libres, un équilibre pouvant être atteint de la sorte surtout pour des projets concernant un nombre élevé de logements. Le système d’avant 2007, soit celui des « deux tiers – un tiers », n’avait pas fonctionné.

Contrairement à l’actuel art. 4A LGZD, rien dans le texte de l’IN 161 ne laissait comprendre que la cession d’au moins 50 % de l’ensemble des logements à réaliser en zone de développement par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif interviendrait à titre onéreux, et l’initiative prévoyait une solution trop restrictive s’agissant des logements en PPE et en loyers libres répondant aux besoins de la classe moyenne, représentant la majorité de la population genevoise. Le Conseil d’État estimait lui-même, dans son rapport au Grand Conseil sur la prise en considération de l’IN 161, que cette dernière risquait d’aboutir à un blocage de l’ensemble du dispositif mis en place par l’actuel art. 4A LGZD, grâce auquel le taux annuel de logements d’utilité publique croissait chaque année. Le Conseil d’État étudiait, avec les partenaires cantonaux du logement, différentes pistes pour répondre à l’ensemble des enjeux mis en évidence par l’évaluation de la législation actuelle.

21) Le 6 juillet 2017, le Conseil d’État a persisté dans les termes et les conclusions de l’arrêté attaqué et de sa réponse au recours. Les recourants confondaient les questions de validité et celles d’opportunité de l’initiative.

22) Le 17 juillet 2017, le comité d’initiative s’est référé à sa précédente écriture. La réplique s’apparentait bien plus à un pamphlet politique qu’à une argumentation juridique.

23) Le 31 août 2017, M. A______, l’APCG, la CGI et l’USPI Genève ont persisté dans les termes et conclusions de leurs précédentes écritures.

24) Le 4 septembre 2017, les observations des recourants ont été transmises au Conseil d’État et au comité d’initiative, et la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) La chambre constitutionnelle est compétente pour connaître de recours interjetés, comme en l’espèce, contre un arrêté du Conseil d’État relatif à la validité d’une initiative populaire (art. 130B al. 1 let. c de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; ACST/17/2015 du 2 septembre 2015 consid. 1).

Le recours a été interjeté en temps utile, le délai légal ordinaire de trente jours (art. 62 al. 1 let. a et d de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) s’appliquant en la matière nonobstant le silence de la loi (ACST/17/2015 précité consid. 3a). Il respecte les conditions de forme et de contenu prévues par les art. 64 al. 1 et 65 al. 1 et 2 LPA.

2) a. La qualité pour recourir devant la chambre constitutionnelle est définie par la loi de la même manière que pour les recours devant les autres juridictions administratives, sans distinction selon les actes attaqués (art. 60 LPA). Elle s’avère substantiellement similaire à celle qui prévaut devant le Tribunal fédéral pour le recours en matière de droit public, compte tenu du fait que les juridictions cantonales ne sauraient adopter, en matière de qualité pour recourir comme d’ailleurs de griefs invocables, des définitions plus restrictives que celles que retiennent la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) et le Tribunal fédéral (art. 89 al. 3 et 111 al. 1 et 3 LTF ; ATF 139 II 233 consid. 5.2.1 ; 138 II 162 consid. 2.1.1 ; 136 II 281 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_663/2012 du 9 octobre 2013 consid. 6.5).

b. Au regard de la LTF, le recours contre une décision relative à la validité d’une initiative populaire concerne le droit de vote des citoyens ainsi que les élections et votations populaires (art. 82 let. c LTF ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_33/2013 du 19 mai 2014 consid. 1 ; 1C_306/2012 du 25 février 2013 consid. 1 ; 1C_261/2007 du 5 mars 2008 consid. 11, non publié in ATF 134 I 172 ; Alain WURZBURGER, in Bernard CORBOZ et al. [éd.], Commentaire de la LTF, 2ème éd., 2014, n. 110 ss, 121 p. 859 ad art. 82 LTF ; Christoph HILLER, Die Stimmrechtsbeschwerde, 1990, p. 104 ss), si bien que, s’agissant de personnes physiques, quiconque a le droit de vote dans l’affaire en cause est recevable à interjeter un tel recours (art. 89 al. 3 LTF) – non seulement devant le Tribunal fédéral, mais aussi devant la chambre constitutionnelle (art. 111 al. 1 LTF) –, de même qu’à certaines conditions auraient cette même qualité pour recourir, indépendante d’un intérêt juridique ou digne de protection à l’annulation de l’acte attaqué, les partis politiques et des organisations à caractère politique formées en vue d’une action précise, comme le lancement d’une initiative ou d’un référendum (ATF 139 I 195 consid. 1.4 ; 134 I 172 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_305/2012 du 26 février 2016 consid. 1.2 ; 1C_357/2009 du 8 avril 2010 consid. 1.2 ; ACST/14/2017 du 30 août 2017 consid. 1b ; Florence AUBRY GIRARDIN, in Bernard CORBOZ et al. [éd.], op. cit., n. 58 ad art. 89 LTF ; Stéphane GRODECKI. L’initiative populaire cantonale et municipale à Genève, 2008, p. 409 n. 1489).

En l’espèce, en tant que titulaire des droits politiques dans le canton de Genève, le recourant A______ a qualité pour recourir. La question est plus délicate s’agissant des associations recourantes, qui, en tant que personnes morales, ne peuvent être titulaires des droits politiques, étant précisé par ailleurs qu’elles ne constituent ni des partis politiques, ni ne sauraient être assimilées à un comité d’initiative dès lors que ce ne sont pas elles qui ont lancé l’IN 161.

c. Dans un arrêt du 28 juillet 2004 (ATF 130 I 290 consid. 1.3 ; JdT 2006  I 384 ; RDAF 2005 I 454), le Tribunal fédéral a admis la qualité pour recourir pour violation des droits politiques à des associations ayant vocation statutaire de défendre les intérêts professionnels et politiques de leurs membres dans une votation concernant leur champ d’activité, étant précisé qu’une grande partie de ceux-ci disposaient du droit de vote pour ladite votation. Cet arrêt est resté isolé et a été critiqué (Bénédicte TORNAY SCHALLER, Le recours au Tribunal fédéral en matière d’élections fédérales, PJA 2017 p. 351 ss, 363 ; Florence AUBRY GIRARDIN, op. cit., n. 58 ad art. 89 LTF ; Gerold STEINMANN, in Marcel Alexander NIGGLI / Peter UEBERSAX / Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetz, 2ème éd., 2011, n. 73 in fine ad art. 89 ; Michel BESSON, Legitimation zur Beschwerde in Stimmrechtssachen, RJB 2011, p. 843 ss, 854 et note 37 ; cf. aussi Yves DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral, 2008, n. 3191 in fine ; Stéphane GRODECKI, op. cit., n. 1490). Dès lors, cependant, que le Tribunal fédéral n’a pas dans l’intervalle contesté la pertinence de cette jurisprudence, la chambre constitutionnelle doit s’y tenir en vertu de l’art. 111 al. 1 LTF.

Il ne se justifie en revanche pas d’élargir davantage la qualité pour recourir en matière de contrôle de validité d’une initiative législative formulée, en particulier en la reconnaissant au cercle à certains égards plus large des personnes, physiques ou morales, qui auraient ultérieurement vocation pour requérir un contrôle abstrait des normes qui résulteraient de l’acceptation d’une telle initiative (ATF 137 II 40 consid. 2.6.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_380/2016 du 1er septembre 2017 consid. 1.3 ; ACST/10/2016 du 10 novembre 2016 consid. 1c). Certes, le contrôle de validité d’une telle initiative comporte matériellement un examen de la conformité au droit (art. 60 al. 4 Cst-GE) similaire au contrôle abstrait des normes ; de plus, le constituant genevois (BOACG tome V, p. 2342) a écarté la solution que prévoyait l’art. 66 al. 3 de la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 de ne sanctionner le cas échéant qu’une non-conformité manifeste au droit (Stéphane GRODECKI, op. cit., p. 353 ss ; Thierry TANQUEREL, Note sur l’ATF 132 I 282, RDAF 2007 I 332 ss, p. 335), entendant par-là prévenir qu’un même texte ne soit pas invalidé au stade du contrôle de la validité de l’initiative le proposant, mais le soit ensuite, une fois celui-ci devenu loi du fait de l’adoption de l’initiative, dans le cadre d’un contrôle abstrait des normes (Michel HOTTELIER / Thierry TANQUEREL, La constitution genevoise du 14 octobre 2012, SJ 2014 II 341 ss, p. 373). Le contrôle de la validité d’une initiative législative, même formulée, ne s’inscrit toutefois pas moins d’un point de vue procédural dans le contexte d’un recours pour violation des droits politiques (ACST/14/2015 du 27 août 2015 consid. 2d), et la norme que propose une initiative législative formulée n’est à ce stade jamais qu’un projet de norme.

Il s’ensuit en l’espèce qu’en vertu de l’ATF 130 I 290 précité, la qualité pour recourir peut être reconnue à la CGI, dans la mesure où il apparaît qu’un grand nombre de ses membres sont des personnes physiques à la fois propriétaires de biens fonciers et titulaires des droits politiques dans le canton de Genève et que de ses statuts peut se déduire la vocation de défendre les intérêts professionnels et politiques de ses membres. Il est en revanche douteux que cette jurisprudence élargissant la qualité pour recourir pour violation des droits politiques doive profiter à l’APCG et à l’USPI Genève, dès lors que leurs membres sont principalement des entreprises ou maisons, certes sans que ne soit exclu qu’il s’agisse d’entreprises individuelles, donc de personnes physiques dont un certain nombre sont sans doute titulaires des droits politiques dans le canton de Genève.

La question souffrira en l’occurrence de rester ouverte, du fait que le recours doit être déclaré recevable en tant qu’il est interjeté par M. A______ et la CGI.

3) a. Le recours porte sur la validité de l’IN 161, qui est une initiative législative formulée, visant, à teneur de son intitulé, à imposer davantage de coopératives d’habitation et de logements bon marché en zone de développement. Il convient préliminairement de présenter le contexte juridique dans lequel la norme qu’elle propose s’insérerait en cas d’acceptation, au cœur des deux législations sur lesquelles le législateur genevois a fondé conjointement la politique du logement dès les années 1950, soit celle encourageant la construction de logements à loyers modérés et celle régissant l’aménagement du territoire.

b. De la première relève la LGL (ROLG 1977 p. 655), qui s’inscrit dans la ligne des lois l’ayant précédée (cf. la loi générale d’encouragement à la construction de logements à caractères social du 28 juin 1974 [ROLG 1974 p. 355] et les six lois abrogées par l’art. 33 let. a à f de cette loi [ROLG 1948 p. 52 ; 1955 p. 71 ; 1957 p. 37 ; 1961 p. 288 ; 1964 p. 146 ; 1969 p. 217]). Cette loi prévoit que l’État encourage la construction de « logements d’utilité publique » et s’efforce d’améliorer la qualité de l’habitat dans les limites et selon les critères qu’elle fixe (art. 1 al. 1), notamment en acquérant des terrains par l’exercice des droits de préemption et d’expropriation qu’elle lui confère (al. 2 let. a), en encourageant la construction de logements, en particulier à but non lucratif, par voie notamment de caution simple d’emprunts hypothécaires, d’octroi de prêts avec ou sans intérêt, de subventions, d’avantages fiscaux, de mises à disposition, dans la mesure des disponibilités, de terrains à bâtir en droit de superficie, d’aide à l’équipement de terrains à bâtir (al. 2 let. b), et en construisant des logements par l’intermédiaire de fondations de droit public (al. 2 let. c). L’État instaure un contrôle des loyers sur tous les logements ou locaux construits par ou avec son aide, aussi longtemps qu’ils bénéficient de cette aide s’agissant de ceux visés par l’al. 2 let. b précité (soit pendant vingt ans [cf. art. 18], voire vingt-cinq ans ou même trente-et-un ans [art. 23 al. 1 LGL]), et de façon permanente tant qu’ils sont propriété de l’État, de corporations de droit public s’agissant (notamment) de ceux visés par l’al. 2 let. c précité (art. 1 al. 3). Les « logements d’utilité publique » construits au bénéfice d’aides prévues par l’art. 1 al. 2 let. b précité (art. 15) relèvent de trois catégories (art. 16 al. 1), à savoir les immeubles d’habitation bon marché (HBM), les immeubles d’habitation à loyers modérés (HLM) et les immeubles d’habitation mixte (HM), étant précisé qu’une autre catégorie – celle des immeubles destinés à la classe moyenne (HCM) – a été supprimée par une loi 8076 du 17 novembre 2001 (ROLG 2001 p. 61). L’accès à un logement dans l’une ou l’autre de ces catégories est déterminé en fonction de conditions relatives aux locataires définies aux art. 30 ss.

c. Adoptée dans sa version d’origine le 29 juin 1957 (ROLG 1957 p. 237) – d’abord sous d’autres intitulés (ROLG 1957 p. 237 ; 1962 p. 38 ; 1978 p. 244) –, la LGZD a été conçue comme un instrument de lutte contre la pénurie de logements et la spéculation immobilière. Elle repose sur la considération que l’application des normes d’une zone de développement, au lieu de celles de la zone primaire à laquelle la zone de développement se superpose, produit une plus-value devant aussi profiter à la collectivité publique, autrement dit en échange de laquelle le promoteur-constructeur et, partant, le propriétaire des parcelles dites « déclassées » doivent concéder des sacrifices, notamment « sous la forme de création de logements à des conditions raisonnables » (ATF 98 Ia 194 consid. 2b ; ACST/17/2015 précité consid. 6 ; MGC 1957 II 1386, 1390, 1962 IV 2508 s.). La LGZD fixe les conditions applicables à l'aménagement et à l'occupation rationnelle des zones de développement affectées à l'habitat, aux commerces et aux autres activités du secteur tertiaire, ainsi que les conditions auxquelles le Conseil d'État peut autoriser l'application des normes d'une telle zone (art. 1 LGZD ; art. 12 al. 4 phr. 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 4 juin 1987 - LaLAT - L 1 30).

La délivrance d’autorisations de construire selon les normes d’une zone de développement est subordonnée à l'adoption préalable d'un plan localisé de quartier, assorti d’un règlement (art. 2 al. 1 let. a LGZD), ainsi que de conditions particulières applicables au projet (art. 2 al. 1 let. b LGZD). Au titre de ces conditions est exigé que les bâtiments d'habitation répondent à un besoin prépondérant d'intérêt général, par le nombre, le type et respectivement les loyers ou prix des logements prévus (art. 5 al. 1 LGZD), et est instauré un contrôle des prix du foncier, des prix de construction, de la typologie des logements ainsi que, durant dix ans, des prix de vente ou des loyers (art. 5 al. 2 et 3 LGZD).

d. Ainsi, durant des décennies, en application d’une pratique administrative se référant à ces dispositions, le Conseil d’État a exigé que les deux tiers des logements construits en zone de développement le soient au bénéfice d’un subventionnement étatique découlant de la LGL, le tiers restant pouvant être des appartements en PPE ou des logements locatifs non subventionnés, avec l’effet que les premiers, dits sociaux, étaient soumis aux restrictions et contrôles prévus par la LGL et la LGZD et les seconds, dits libres, faisaient l’objet de mesures instaurées en application de la seule LGZD.

Si elle a permis la construction de nombreux logements en zone de développement, cette pratique s’est avérée avoir des effets limités dans le temps, du fait notamment de la sortie des logements du contrôle des loyers au bout de vingt à trente-et-un ans s’agissant des logements sociaux et de dix ans s’agissant des logements « libres ». La nouvelle politique du logement définie par l’accord du 1er décembre 2006 a impliqué l’abandon de cette pratique, en contrepartie de la constitution, devant intervenir en l’espace de dix ans, d’un socle permanent de logements d’utilité publique de 15 % – taux ayant été porté à 20 % – du parc locatif de l’ensemble du canton.

e. Au sens de la LUP adoptée pour concrétiser cet accord (ROLG 2007 p. 469), un logement est d’utilité publique s'il est locatif et si un taux d'effort et un taux d'occupation sont appliqués, pour autant qu'il soit détenu par l'État, une fondation de droit public, une commune ou un organisme sans but lucratif (art. 1 al. 2 LUP) ou par toute autre entité (donc des privés) se soumettant contractuellement, pour 50 ans au moins, aux conditions arrêtées par l'État (art. 1 al. 3 LUP). L'acquisition et la construction de logements d'utilité publique au sens de la LUP sont soumises à l'approbation d'un plan financier et d'un état locatif par l'autorité compétente (art. 2 al. 1 LUP) ; ces logements sont soumis à un contrôle permanent des loyers par l'État (art. 2 al. 2 LUP) ou, pour ceux qui seraient détenus par des privés, durant au moins 50 ans (art. 2 al. 3 LUP). Sauf disposition contraire de la LUP, la LGL leur est applicable par analogie (art. 2 al. 4 LUP).

Conjointement à la LUP a été adopté l’actuel art. 4A LGZD, dont il sied de souligner ici quelques caractéristiques.

Premièrement, cette disposition érige au rang de la loi la fixation des catégories de logements à construire dans les zones de développement et la cession à des collectivités publiques de pourcentages de périmètres pour la construction de logements d’utilité publique.

Deuxièmement, elle fixe des quotas de catégories de logements de façon différenciée selon que les zones de développement se superposent à la zone primaire « villa » ou à la zone agricole et, au sein des périmètres déclassés de la zone « villa », selon que le déclassement est antérieur ou postérieur au 1er janvier 2007.

Troisièmement, ce faisant et certes de façon peu explicite mais néanmoins déductible du texte de ladite disposition, elle répartit les logements susceptibles d’être construits dans les périmètres considérés en logements d’utilité publique au sens de la LUP, en logements admis au bénéfice de la LGL (soit en logements sociaux qui ne sont pas forcément des logements d’utilité publique au sens de la LUP, même s’ils en constituent au sens de la LGL) et en logements en PPE ou locatifs non aidés.

Quatrièmement, elle prévoit, de façon nuancée selon les périmètres ainsi délimités, dans certains cas à titre d’alternative, des cessions à l’État, une commune ou un autre organisme sans but lucratif de pourcentages, oscillant entre 15 % et 25 %, de périmètres en vue de construction de logements d’utilité publique au sens de la LUP, et ce en précisant que ces cessions interviennent « à titre onéreux et au prix admis par l’État dans les plans financiers ».

Cinquièmement, elle permet que, si les circonstances le justifient, il soit dérogé aux différents quotas fixés, toutefois contre des compensations équivalentes, sauf, possiblement, dans des cas de peu d’importance.

f. L’application qui a été faite de la LUP et de l’art. 4A LGZD n’a pas permis d’atteindre l’objectif fixé de constituer, en dix ans, un socle permanent de 20 % de logements d’utilité publique au sens de la LUP sur l’ensemble du parc locatif du canton, le taux atteint étant juste inférieur à 10 %. L’échéance de l’applicabilité de cette législation a été reportée de deux ans, soit jusqu’au 31 juillet 2019 (art. 4A al. 4 LGZD). En automne 2015, le Conseil d’État a annoncé le prochain dépôt d’un projet de loi modifiant l’art. 4A LGZD de façon à ajuster la politique du logement, sans remettre en question l’objectif de constituer un tel socle permanent de 20 % de logements d’utilité publique au sens de la LUP sur l’ensemble du parc locatif du canton, étant en outre rappelé que le PDCant 2030 adopté deux ans plus tôt et approuvé dans l’intervalle par le Conseil fédéral prévoit la construction de 50'000 logements d’ici l’année 2030, pour l’essentiel dans des zones de développement. Il a esquissé les grandes lignes des propositions qu’il formulerait à cette fin, a même synthétisé ces dernières par une possible nouvelle teneur à donner à l’art. 4A LGZD.

g. L’IN 161, déposée dans l’intervalle en réaction à cette proposition, ne remet pas en question l’objectif énoncé à l’art. 1 al. 1 phr. 1 LUP de constituer un parc permanent de logements d’utilité publique au sens de la LUP représentant le 20 % du parc locatif du canton. Elle vise au contraire à l’atteindre, à un rythme devant être sensiblement plus soutenu que durant les dix années écoulées quoique sans échéance temporelle déterminée, en demandant qu’il y ait davantage de logements bon marché et de coopératives d’habitation, plus précisément en fixant les catégories de logements susceptibles d’être construits en zone de développement et exigeant la réalisation d’une certaine proportion de ces logements par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif.

4) a. Il est indéniable et non contesté que l’IN 161 affecte la garantie de la propriété et la liberté économique, ancrées aux art. 26 et 27 Cst., de même que, sans qu’il en résulte une protection plus étendue, aux art. 34 et 35 Cst-GE. Aussi suffit-il de rappeler succinctement le contenu de ces deux droits fondamentaux et les conditions auxquelles des restrictions peuvent leur être apportées.

b. Dans sa dimension institutionnelle, qui concerne au premier chef le législateur, la garantie de la propriété protège l’existence même de la propriété privée, comprise comme une institution fondamentale de l’ordre juridique suisse, soit la possibilité d’acquérir tous éléments patrimoniaux – les droits réels, dont la propriété mobilière et immobilière au sens étroit du CC, les droits personnels ou obligationnels, les droits immatériels, les droits acquis –, d’en jouir et de les aliéner (ATF 119 Ia 348 consid. 2a ; 113 Ia 126 consid. 6 ; 88 I 248 consid. II.3 ; Klaus A. VALLENDER / Peter HETTICH, in Bernhard EHRENZELLER et al. [éd.], Die Schweizerische Bundesverfassung, St. Galler Kommentar, 3ème éd., 2014, p. 575 ad art. 26 ; Pascal MAHON, op. cit., vol. II, n. 136 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 810 ss). Dans sa fonction individuelle, elle protège les droits patrimoniaux concrets du propriétaire, d’une part leur existence, s’étendant à leur conservation, leur jouissance et leur aliénation, et d’autre part leur valeur, sous la forme, à certaines conditions, d’un droit à une compensation en cas de réduction ou de suppression (Klaus A. VALLENDER / Peter HETTICH, op. cit., p. 569 ss ad art. 26 ; Pascal MAHON, op. cit., vol. II, n. 134 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 807 ss ; Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999, 2003, p. 222 ss ad art. 26).

c. La liberté économique comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2 Cst. ; art. 35 al. 2 Cst-GE). Elle a également une fonction institutionnelle, en tant qu’elle exprime, conjointement avec d’autres dispositions constitutionnelles (notamment l’art. 94 Cst.), le choix du constituant en faveur d’un système économique libéral, fondé sur la libre entreprise et la concurrence (ATF 138 I 378 consid. 6.1), et une fonction individuelle, en tant qu’elle assure une protection contre les mesures étatiques restreignant la liberté d’exercer toute activité économique privée, exercée aux fins de production d’un gain ou d’un revenu, à titre principal ou accessoire, dépendant ou indépendant (arrêt du Tribunal fédéral 2C_380/2016 précité consid. 5.1 ; ACST/22/2017 du 3 novembre 2017 consid. 6b ; Klaus A. VALLENDER, in Bernhard EHRENZELLER et al. [éd.], op. cit., p. 594 ss ad art. 27 ; Pascal MAHON, op. cit., vol II, n. 121 ss et n. 123 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 882 ss, 904 ss et 909 ss ; Jean François AUBERT / Pascal MAHON, op. cit., p. 235 ss ad art. 27).

d. Comme les autres droits fondamentaux, ni la garantie de la propriété, ni la liberté économique ne sont absolues. Elles peuvent faire l’objet de restrictions de la part de l’État, aux conditions cumulatives de reposer sur une base légale, de poursuivre un intérêt public et de respecter le principe de la proportionnalité – à savoir être apte à atteindre le but visé, être nécessaire à cette fin dans le sens que le but visé ne peut pas être atteint par une mesure moins incisive, et respecter un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public –, et enfin de ne pas porter atteinte au noyau intangible de ces droits fondamentaux (art. 36 Cst. ; art. 43 Cst-GE).

5) a. Ces conditions s’appliquent aussi à une initiative législative rédigée, dont il faut rappeler qu’elle se transforme en loi en cas d’acceptation par le Grand Conseil ou en votation populaire (art. 61 et 63 Cst-GE ; art. 122B et 123 de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève du 13 septembre 1985 - LRGC - B 1 01). Une initiative doit en outre respecter les conditions de l’unité du genre, de l’unité de la matière, de clarté de son texte et d’exécutabilité (Pascal MAHON, Droit constitutionnel, vol. I, 3ème éd., 2014, n. 145 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 3ème éd., 2013, vol. I, n. 855 ss ; Étienne GRISEL, Initiative et référendum populaires - Traité de la démocratie semi-directe en droit suisse, 3ème éd., 2004, p. 261 ss).

b. Quoique non mentionnée à l’art. 60 Cst-GE à titre de condition de validité d’une initiative, une exigence de clarté se déduit, en matière d’initiative, de la liberté de vote garantie par l’art. 34 al. 2 Cst. (et, dans la même mesure, par l’art. 44 al. 2 Cst-GE), à propos non seulement de la formulation des questions posées aux électeurs mais aussi du texte des initiatives, dès lors qu’un texte équivoque ou imprécis empêche les électeurs d’apprécier la portée de l’initiative (ATF 133 I 110 consid. 8 p. 126 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_659/2012 du 24 septembre 2013 consid. 5a ; Bénédicte TORNAY, La démocratie directe saisie par le juge, 2008, p. 115 s.).

Cette exigence résulte également du principe de la légalité, qui est posé de façon générale pour toute l’activité de l’État régi par le droit (art. 5 al. 1 Cst. ; art. 9 al. 2 Cst-GE), mais aussi pour les restrictions aux droits fondamentaux (art. 36 al. 1 phr. 1 Cst.). L’exigence d’une base légale ne concerne en effet pas que le rang de la norme – à savoir celui d’une loi formelle en cas de restrictions graves (art. 36 al. 1 phr. 2 Cst.) –, mais s’étend à son contenu, qui doit être suffisamment clair et précis (ATF 140 I 168 consid. 4 ; 119 Ia 362 consid. 3a ; 115 Ia 333 consid. 2a ; 108 Ia 33 consid. 3a). Il faut que la base légale ait une densité normative suffisante pour que son application soit prévisible, compte tenu de la teneur du texte considéré, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires, aussi pour que l’égalité de traitement soit garantie, pour qu’aucune place ne soit laissée à l’arbitraire, et pour que les citoyens puissent, en cas de scrutin populaire, se représenter les conséquences réelles du texte soumis à leur suffrage (ATF 138 I 6 consid. 4.2 ; 136 I 87 consid. 3.1 ; Rainer J. SCHWEIZER, in Bernhard EHRENZELLER et al. [éd.], op. cit., p. 830 ss ad art. 36 ; Pascal MAHON, op. cit., vol. II, n. 33 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 189 ss ; Pierre MOOR / Alexandre FLÜCKIGER / Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3ème éd., 2012, p. 674 ss ; Pierre TSCHANNEN, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 3ème éd., 2011, p. 566 ; Jean François AUBERT / Pascal MAHON, op. cit., p. 323 ss ad art. 36).

c. Une initiative populaire doit en outre être exécutable. À défaut, elle doit être invalidée, même si aucune norme ne le prévoit explicitement, car il ne se justifie pas de demander au peuple de se prononcer sur une proposition qui n’est pas susceptible d’être mise en œuvre. Encore faut-il qu’il y ait une impossibilité matérielle ou juridique, un obstacle insurmontable à la réalisation de l’initiative, soit, en cas d’initiative formulée, à l’application de la norme que propose l’initiative (ATF 128 I 190 consid. 5 ; 101 Ia 354 consid. 10 ; 94 I 120 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.52/2007 du 4 septembre 2007 consid. 3.1 ; ACST/14/2017 précité consid. 10e ; Pascal MAHON, op. cit., vol. I, n. 145, p. 184 s. ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 876 ; Bénédicte TORNAY, La démocratie directe saisie par le juge, op. cit., p. 85 ; Étienne GRISEL, op. cit., p. 267).

6) a. D’après les recourants, l’IN 161 ne satisfait ni aux conditions précitées auxquelles les droits fondamentaux peuvent être restreints, ni aux exigences de clarté et d’exécutabilité.

Leur grief de manque de clarté du texte de l’IN 161 est pour l’essentiel absorbé par celui d’un défaut de densité normative suffisante, et leur grief d’inexécutabilité de l’IN 161 se confond largement avec ceux d’inaptitude de l’initiative à atteindre le but d’intérêt public visé, d’atteinte excessive à la garantie de la propriété et à la liberté économique, et d’atteinte au noyau intangible de ces deux droits fondamentaux.

b. Pour juger de la validité d’une initiative rédigée de toutes pièces, à l’instar de l’IN 161, il faut cerner les propositions qu’elle formule.

À cette fin, il faut appliquer pour l’essentiel les mêmes principes d’interprétation qu’en matière de contrôle abstrait des normes, de même qu’user des mêmes pouvoirs d’examen et de décision. Ainsi, il y a lieu d’utiliser les méthodes habituelles d’interprétation des normes – à savoir les méthodes littérale, historique, systématique et téléologique (ACST/2/2014 précité consid. 7e) –, d’appliquer le droit d’office, sans être lié par les motifs invoqués par les parties (art. 69 al. 1 phr. 2 LPA), et de s’imposer une certaine retenue, moins marquée, cependant, que celle dont le Tribunal fédéral fait montre pour des motifs liés au fédéralisme l’amenant à ne contrôler le droit cantonal que sous l’angle de l’arbitraire (ATF 136 I 316 consid. 2.2.1 ; Bernard CORBOZ, in Bernard CORBOZ et al. [éd.], op. cit., n. 34 ad art. 95 LTF, n. 40 ad art. 106 LTF ; Yves DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral, 2008, n. 3525 ss).

Conformément à la règle de l’interprétation objective, c’est le texte de l’initiative qui est déterminant, et non l’intention des auteurs de cette dernière (arrêt du Tribunal fédéral 1C_127/2013 du 28 août 2013 consid. 7.2.4 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 872 ; Stéphane GRODECKI, op. cit., p. 280 s. n. 989 ; Bénédicte TORNAY, La démocratie directe saisie par le juge, op. cit., p. 67 ss). L’interprétation d’initiatives fait certes aussi appel aux règles dites de l’interprétation la plus favorable aux initiants (qu’exprime l’adage in dubio pro populo) et de l’interprétation conforme au droit supérieur, mais ni l’une ni l’autre de ces règles n’autorisent à s’écarter à tout le moins sensiblement du texte d’une initiative, ni en tout état à faire abstraction des exigences que le principe de la légalité impose de façon d’autant plus intense que les restrictions sont importantes. La marge d’interprétation en la matière est plus limitée pour des initiatives rédigées de toutes pièces (ATF 124 I 107 consid. 5b/aa p. 119 ; arrêt 1C_529/2015 du 5 avril 2016 consid. 2.2 in fine ; SJ 2001 I 253 consid. 2b ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. I, n. 872 ; Stéphane GRODECKI, op. cit., p. 280 s. n. 990 ; Bénédicte TORNAY, La démocratie directe saisie par le juge, op. cit., p. 67 ss).

c. En l’espèce, il est rationnel de cerner les propositions qu’avance l’IN 161 en examinant, au fur et à mesure de leur présentation, si elles répondent déjà aux conditions de clarté et de densité normative leur étant applicables, sans préjudice d’un examen ultérieur des autres conditions qu’elles doivent aussi remplir.

7) L’IN 161 fixe des quotas de catégories de logements et de constructions à réaliser par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif qui s’appliqueraient dans toute zone de développement, sans différenciation selon les zones ordinaires auxquelles se superposent les zones de développement.

S’il n’est certes pas inconcevable qu’il n’y ait pas de différenciation à cet égard, il appert cependant que l’intensité de l’atteinte portée aux droits fondamentaux qu’affectent de telles restrictions, à pourcentages pourtant égaux, ne serait pas identique selon les zones primaires des périmètres considérés. En effet, des quotas élevés notamment de logements d’utilité publique au sens de la LUP (et/ou de logements sociaux au sens de la LGL) pourraient être acceptables pour des parcelles dont la zone primaire est la zone agricole (dont le déclassement en zone de développement implique en général une valorisation significative, justifiant d’importantes contreprestations, bien que la réalisation de constructions sur de telles parcelles implique des coûts supplémentaires générés par la nécessité d’équiper ces dernières), mais ils ne seraient pas ipso jure acceptables pour des parcelles dont la zone primaire est une zone constructible, notamment la zone villa (dont le déclassement en zone de développement produit en général une valorisation moindre, bien que le prix d’acquisition de telles parcelles soit sensiblement plus élevé que celui de terres agricoles dans la mesure où le prix du foncier doit le cas échéant tenir compte du prix du terrain et de la valeur des bâtiments construits et des équipements déjà réalisés).

Force est de retenir qu’en tant qu’elle fixe des pourcentages minimaux (cf. les mots « Au moins » marquant le début de chacune de ses dispositions), l’IN 161 ne permet pas de fonder ne serait-ce qu’une pratique administrative dérogeant de façon quasi systématique auxdits quotas en fonction d’un critère d’appartenance de périmètres à telle ou telle zone primaire.

8) a. L’IN 161 n’opère pas non plus de distinction selon les dates des déclassements des périmètres considérés, autrement dit selon que ces derniers auraient été ou seraient intégrés à des zones de développement avant ou après son adoption.

Dans l’arrêté contesté, le Conseil d’État retient que l’IN 161 ne s’appliquerait qu’aux périmètres déclassés après son adoption, puisqu’il indique (ch. 40), en lien avec l’exigence de clarté de l’initiative, que « le principe de non rétroactivité des lois implique que l’on ne peut reconsidérer les droits accordés par le passé et que les pourcentages doivent être retenus pour les déclassements en zones de développement et plans futurs », ce qui correspondrait à la pratique actuelle, et qu’il répète, dans le contexte de l’exécutabilité de l’initiative (ch. 90), que si celle-ci était approuvée « les exigences posées par le nouvel article 4A proposé (seraient) applicables pour le futur ». Dans sa réponse au recours, le comité d’initiative a indiqué se référer aux motifs avancés par le Conseil d’État pour admettre que l’IN 161 est exécutable.

Ces appréciations ne sauraient suffire à conférer ce sens à l’IN 161, alors que ni son texte, ni le principe de la non-rétroactivité des lois n’impliquent une telle restriction de sa portée.

b. Pour des motifs de sécurité et de prévisibilité du droit, immanents aux principes de la légalité, de la bonne foi et de l’interdiction de l’arbitraire, il ne peut en principe être adopté de normes, ni en être proposé par voie d’initiative législative, qui déploieraient des effets juridiques à des faits entièrement révolus avant leur mise en vigueur (ACST/17/2015 précité consid. 23 ; cf. aussi ACST/13/2017 du 3 août 2017 consid. 22 et 23). Une telle rétroactivité, appelée proprement dite, n’est admise qu’exceptionnellement, à savoir seulement si, cumulativement, elle se justifie en considération d’un intérêt public suffisamment important pour l’emporter sur les intérêts opposés et sur le principe même de la sécurité du droit sous-tendant l’interdiction de principe de la rétroactivité, si elle est prévue par une loi, est raisonnablement limitée dans le temps, n’engendre pas d’inégalités choquantes, et ne porte pas atteinte à des droits acquis (ATF 125 I 182 consid. 2b.cc ; 122 V 405 consid. 3b.aa ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_273/2014 du 23 juillet 2014 consid. 4.1 ; ACST/1/2015 du 23 janvier 2015 consid. 7c ; Pascal MAHON, op. cit., vol. I, p. 281 s. n. 167 ; Pierre MOOR / Alexandre FLÜCKIGER / Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 198 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 417 ss).

Il n’y a pas rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend régler, de façon nouvelle pour l’avenir, un état de fait qui a pris naissance dans le passé et perdure au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit ; ce dernier attache des conséquences juridiques à des faits ayant pu se produire antérieurement, mais uniquement pour la période future et en tant que leur survenance passée a créé une situation qui continue à déployer ses effets. La rétroactivité improprement dite, n’ayant en réalité que l’apparence d’une rétroactivité, est admissible, sous réserve de respecter les droits acquis des individus ; en effet, sauf situation particulière, nul n’a droit au maintien d’un régime juridique (ATF 140 V 154 consid. 6.3.2 ; 138 I 189 consid. 3.4 ; 122 II 113 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_273/2014 du 23 juillet 2014 consid. 4.1 ; Pierre MOOR / Alexandre FLÜCKIGER / Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 190 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 418 s.).

Des droits acquis, qui sont réservés dans les deux situations de rétroactivité évoquées, sont des droits que l’administré a envers l’État en vertu d’une garantie particulière que celui-ci lui a donnée, le prémunissant contre une atteinte future. Une telle garantie peut être conférée par la loi, lorsque celle-ci qualifie comme tels des droits qu’elle institue, garantit expressément leur pérennité, donne l’assurance qu’elle ne sera pas modifiée ou qu’une modification ultérieure ne les affectera pas (ATF 134 I 123 consid. 7.1 ; ACST/13/2015 du 30 juillet 2015 consid. 6 ; Pascal MAHON, op. cit., vol. I, p. 280 s. n. 167 ; Pierre MOOR / Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, p. 19 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 756 ss). Elle peut aussi résulter d’assurances données par une autorité ; elle se trouve protégée aux conditions d’application du droit constitutionnel de toute personne d'être traitée par les organes de l’État conformément aux règles de la bonne foi (art. 9 Cst. ; Pierre MOOR / Alexandre FLÜCKIGER / Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 917 ss).

c. Ainsi, sauf disposition légale prévoyant explicitement le contraire (en l’occurrence nullement prévue par l’IN 161), les propriétaires de parcelles n’ont aucun droit au maintien du régime juridique régissant ces dernières qui prévalait lorsqu’ils en ont fait l’acquisition. Dès son entrée en vigueur, le nouvel art. 4A LGZD qui résulterait de l’acceptation de l’IN 161 s’appliquerait – et devrait obligatoirement s’appliquer – à toute construction (y compris densification de construction existante) qui serait réalisée sur des parcelles comprises dans des zones de développement, indépendamment de la date de déclassement de ces parcelles, sauf à être couverte par une autorisation de construire ou un plan localisé de quartier déjà entrés en force (ATA/143/2011 du 8 mars 2011 consid. 7f). Cela ne représenterait aucunement une rétroactivité proprement dite. Aussi le principe de la non-rétroactivité des lois ne peut-il être invoqué à l’appui d’une compréhension différente de l’initiative, pas plus en vertu de la règle de l’interprétation conforme au droit supérieur qu’en vertu de l’adage in dubio pro populo.

La disposition proposée par l’IN 161 aurait donc un très vaste champ d’application, d’autant plus que le potentiel constructible du canton se trouve déjà largement en zones de développement et s’y trouvera a fortiori dans les années à venir avec la mise en œuvre du PDCant 2030, prévoyant la construction de 50'000 logements d’ici l’année 2030, essentiellement en zones de développement. Autrement dit, l’IN 161 aurait des effets considérables en termes de gravité des atteintes qui seraient portées à la garantie de la propriété et à la liberté économique des propriétaires des parcelles sises en zone de développement, de même d’ailleurs – sied-il de relever au passage – en termes d’impact financier qu’induirait pour les collectivités publiques l’obligation, évoquée plus loin, d’acquérir en principe la moitié desdites parcelles, sous-jacente à celle imposée par l’art. 4A al. 1 let. b et al. 2/IN 161 auxdits propriétaires de les leur céder. On ne saurait le nier sans vider le texte de cette initiative de sa substance par une totale relativisation des obligations qu’elle prévoit, en particulier des pourcentages minimaux des catégories de logements d’utilité publique au sens de la LUP à construire et des droits à céder. Cela commande de se montrer exigeant quant à la clarté et la densité normative à requérir à l’égard de normes ayant de tels effets, sans préjudice des exigences à émettre pour juger de leur proportionnalité, nonobstant toute déclaration contraire – ici au demeurant faiblement affirmée – du comité d’initiative sur le sens à attribuer à l’IN 161 sur les points précités.

9) a. L’art. 4A al. 1 LGZD/IN 161 fixe des quotas de catégories de logements dans toute zone de développement. Il en résulte la répartition suivante des logements qui pourraient être construits en zone de développement.

Au moins 80 % des logements construits dans une zone de développement devraient être des locatifs, ce qui signifie qu’au maximum 20 % pourraient être des logements en PPE (art. 4A al. 1 let. a LGZD/IN 161).

Au moins 50 % des logements construits (donc au moins la moitié du 100 % de logements construits, et non du 80 % de locatifs construits, mais pouvant constituer une partie de ce 80 % de logements locatifs) devraient être des logements d’utilité publique au sens de la LUP, admis au surplus au bénéfice de la LGL en tant que HBM, HLM ou HM (art. 4A al. 1 let. b LGZD/IN 161). Cela signifie que la moitié des logements à construire dans les périmètres considérés devrait l’être par l'État, une fondation de droit public, une commune ou un organisme sans but lucratif (art. 1 al. 2 LUP) ou par des privés se soumettant contractuellement à un plan financier et un état locatif approuvés par l'autorité compétente (y compris un contrôle des loyers) pour une durée minimale de cinquante ans (art. 1 al. 3 et art. 2 al. 1 à 3 LUP).

Au moins 30 % des logements construits, pouvant entrer dans le 50 % prévus par l’art. 4A al. 1 let. b LGZD/IN 161, devraient être des HBM (art. 4A al. 1 let. c LGZD/IN 161).

b. Ainsi – contrairement à ce que les recourants laissent entendre, mais conformément à l’interprétation que le Conseil d’État a donnée à cet égard de l’art. 4A LGZD/IN 161 –, les propriétaires de parcelles sises en zone de développement pourraient affecter 30 % de leur programme à la réalisation de locatifs non aidés, en plus de 20 % de logements en PPE (ou aussi de locatifs non subventionnés).

À cet égard, l’art. 4A al. 1 LGZD/IN 161 n’est critiquable ni en termes de clarté de son texte ni en termes de densité normative.

10) a. L’art. 4A al. 2 LGZD/IN 161 pose le principe qu’au moins la moitié des logements en zone de développement soient réalisés par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif, notamment des coopératives d’habitation. Cette disposition soulève plusieurs interrogations.

b. L’IN 161 n’exige certes pas formellement que les logements à construire par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif à teneur de cette disposition-ci soient les logements d’utilité publique au sens de la LUP dont l’art. 4A al. 1 let. b LGZD/IN 161 prévoit la construction. En effet, elle n’interdit pas qu’un propriétaire de périmètres en zone de développement non seulement se conforme aux pourcentages fixés par l’al. 1 de la disposition proposée, mais fasse en outre réaliser le reste de son programme sur lesdits périmètres par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif, en renonçant à une meilleure valorisation de son bien fonds et de ses droits à bâtir. Il appert toutefois qu’elle admet et suppose même que l’al. 1 let. b et l’al. 2 de la disposition proposée portent en règle générale sur les mêmes logements, puisque des logements d’utilité publique au sens de la LUP se définissent par le fait qu’en plus d’être des locatifs dont l’accès est réservé à des locataires remplissant des conditions de taux d’effort et d’occupation, ils doivent être détenus par l’État, une fondation de droit public, une commune ou un organisme sans but lucratif (art. 1 al. 2 LUP), en particulier des coopératives d’habitation, ou – hypothèse ne pouvant qu’être fort peu souvent réalisée– par des privés se soumettant contractuellement, pour cinquante ans au moins, à des conditions arrêtées par l’État (dont un contrôle des loyers) et étant alors assimilés à des maîtres d’ouvrage sans but lucratif. La notion de maître d’ouvrage sans but lucratif figurant à l’art. 4A al. 2 LGZD doit être comprise dans un sens compatible avec la définition que la LUP donne des logements d’utilité publique, étant rappelé que l’État ou une commune qui acquerrait des parcelles de propriétaires privés ne voulant pas se soumettre à un contrôle des loyers pendant au moins cinquante ans les mettrait à la disposition de fondations de droit public ou d’autres organismes sans but lucratif (en particulier des coopératives d’habitation), par exemple par le biais de contrats de superficie, en vue de la construction et la gestion de locatifs accessibles à des locataires remplissant les conditions résultant des taux d'effort et d'occupation fixés. Dans l’IN 161, il existe en réalité un lien étroit entre l’al. 2 de la disposition proposée et l’al. 1 let. b de cette dernière en tant qu’elle fait référence à des logements d’utilité publique au sens de la LUP.

c. L’art. 4A al. 2 LGZD/IN 161 n’évoque par ailleurs pas de cession de périmètres, droits à bâtir ou logements construits. Il n’est pas indiqué de mécanisme permettant de traduire l’exigence précitée en réalité lorsque les propriétaires de périmètres sis en zone de développement ne seraient pas des maîtres d’ouvrage sans but lucratif ni ne voudraient assumer les engagements les assimilant à de tels maîtres d’ouvrage. On ne voit cependant pas comment il serait envisageable de réaliser cette disposition sans contraindre des propriétaires à céder leurs périmètres à de tels maîtres d’ouvrage, à hauteur du pourcentage fixé de 50 %, par le biais d’une condition mise à l’autorisation d’appliquer les normes plus favorables de la zone de développement (la délivrance d’une autorisation pour une construction conforme aux normes de la zone primaire n’entrant pas en considération, sauf cas tout à fait exceptionnel, compte tenu tant des intentions desdits propriétaires que de la finalité des déclassements des périmètres en zone de développement). Les initiants ne peuvent qu’avoir eu en vue d’instaurer une obligation de cession, qui, contrairement à celle que prévoit l’actuel art. 4A LGZD, doit être en principe systématique pour au moins la moitié des logements à construire en zone de développement (et non constituer, au choix des propriétaires, une alternative à l’atteinte de quotas fixés de catégories de logements). Ni le comité d’initiative ni le Conseil d’État n’ont d’ailleurs nié, en réponse aux griefs soulevés par les recourants, que l’art. 4A al. 2/IN 161 implique une obligation de cession.

d. L’IN 161 ne précise pas non plus si la cession sous-jacente à l’obligation qu’elle prévoit de réaliser au moins la moitié des logements en zone de développement par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif devrait intervenir à titre gratuit ou à titre onéreux. Le Conseil d’État n’a pas abordé cette question dans l’arrêté attaqué ; dans sa réponse au recours, il s’est borné à affirmer que l’IN 161 n’impliquait pas en soi d’expropriation ni ne prévoyait de cession à titre gratuit puisqu’une compensation financière était évoquée. Le comité d’initiative ne s’est pas prononcé sur le sujet, pourtant soulevé par les recourants.

e. L’IN 161 ne fait pas non plus mention du corollaire de ladite obligation de cession imposée à des propriétaires n’entendant pas se soumettre contractuellement, pour au moins cinquante ans, à des conditions arrêtées par l’État pour la moitié des logements à bâtir sur leurs périmètres, à savoir une obligation d’acquisition incombant à l’État ou aux communes concernées, ainsi qu’une obligation de faire réaliser sur les parcelles ainsi acquises, dans un délai raisonnable, des logements (dont il paraît inconcevable qu’ils ne soient pas des logements d’utilité publique au sens de la LUP).

f. L’IN 161 n’aborde aucunement les conditions auxquelles pourrait intervenir ultérieurement une vente des immeubles d’habitation réalisés par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif.

g. Il n’est pas admissible, au regard du principe de la clarté déduit de la liberté de vote, que ces différentes questions ne trouvent pas de réponse dans le texte même de l’IN 161. Force est d’en retenir que l’art. 4A al. 2 LGZD/IN 161 n’a pas une portée suffisamment prévisible pour que les citoyens puissent, en cas de scrutin populaire, se représenter les conséquences réelles du texte soumis à leur suffrage, de même que l’art. 4A al. 1 let. b LGZD/IN 161 en réalité étroitement lié à cette disposition en tant qu’il fait référence à des logements d’utilité publique au sens de la LUP.

11) a. Au surplus, ces mêmes dispositions soulèvent un problème de densité normative, donc de respect du principe de la légalité.

b. En effet, si les cessions qu’implique l’art. 4A al. 1 let. b et al. 2 LGZD/IN 161 ne constituent pas à proprement parler des expropriations formelles, pas davantage que celles prévues par l’actuel art. 4A LGZD, elles n’en équivalent pas moins, par leurs effets, à des expropriations, à l’égal du droit de préemption légal de l’État dans les zones de développement, ainsi que l’a jugé le Tribunal fédéral (ATF 114 Ia 14 consid. 2c ; 88 I 248 consid. III.1). Elles sont même plus restrictives que le droit de préemption légal prévu par la LGL, qui n’est exercé que si l’État ou la commune concernée le décide (art. 3 ss LGL), alors que les cessions prévues par l’art. 4A al. 2 LGZD/IN 161, plus encore que celles prévues par l’actuel art. 4A LGZD, seraient obligatoires pour peu – condition dont il appert qu’elle serait souvent réalisée – que les propriétaires n’entendraient pas s’engager à construire des logements d’utilité publique au sens de la LUP sur la moitié de leurs parcelles aux conditions fixées par l’État pour au moins cinquante ans (François BELLANGER, La déclaration d’utilité publique à Genève, in Thierry TANQUEREL / François BELLANGER [éd.], La maîtrise du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 61 ss, 85 s.).

Il ne fait pas de doute qu’une restriction aussi importante à la garantie de la propriété doit reposer sur une base légale, qui, eu égard à la gravité de la mesure, doit être explicite et prévoir en outre sa contrepartie. Or, les initiants n’ont repris explicitement dans la norme proposée par l’IN 161, appelée à remplacer l’actuel art. 4A LGZD, ni l’obligation de cession, ni la condition que celle-ci intervienne à titre onéreux, soit deux points essentiels figurant dans cette disposition-ci. Ni la règle de l’interprétation conforme au droit supérieur, ni celle de l’interprétation en faveur des initiants ne sauraient – s’agissant, comme en l’espèce, d’une initiative rédigée de toutes pièces – remédier à la carence de l’initiative sur ces importants sujets. On ne peut qu’être conforté dans cette appréciation par le fait que, dans leurs écritures respectives, le comité d’initiative n’a pas même pris position sur ces questions, pourtant soulevées par les recourants, et que le Conseil d’État s’est borné à affirmer que l’IN 161 n’impliquerait pas en soi d’expropriation – alors qu’elle en produirait des effets équivalents – ni ne prévoirait de cession à titre gratuit.

c. L’art. 4A al. 2 LGZD/IN 161 n’est pas conforme au principe de la légalité, faute de densité normative suffisante, de même que l’al. 1 let. b en tant que cette disposition-ci fait référence à des logements d’utilité publique au sens de la LUP et lui est ainsi étroitement lié.

12) a. L’art. 4A al. 3 LGZD/IN 161 prévoit que des dérogations pourraient être apportées aux pourcentages que fixe l’initiative (tant pour les catégories de logements prévues par l’al. 1 que pour leur réalisation par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif stipulée par l’al. 2), pour autant que les circonstances le justifient, mais contre des compensations équivalentes en sorte que lesdites proportions soient respectées, à défaut de pouvoir l’être pour un projet déterminé, « à l’échelle du plan localisé de quartier, du plan de zone, voire de la commune ».

b. Les compensations dont il est question dans cet art. 4A al. 3 LGZD/IN 161 ne représenteraient pas des contreparties qui seraient versées à des propriétaires qui devraient céder des périmètres ou droits à bâtir ou logements construits en application de l’al. 2 de la norme proposée. Ce sont lesdits propriétaires qui devraient les fournir, et ce à hauteur de la valeur des dérogations qu’ils obtiendraient, sans exception pour des projets de peu d’importance. Les pourcentages fixés par l’art. 4A al. 1 et 2 LGZD/IN 161 devraient être respectés, d’une façon ou d’une autre.

c. Concernant les cas dans lesquels des dérogations pourraient être octroyées, la question se pose de savoir si l’IN 161 en précise les contours de façon suffisante au regard du principe de la légalité.

Comme la chambre constitutionnelle l’a déjà jugé (ACST/17/2015 précité consid. 14b), au niveau général et abstrait caractérisant un acte normatif – et donc aussi le texte d’une initiative populaire rédigée de toutes pièces –, il est certes inévitable de recourir à des termes vagues et à des notions juridiques aux contours flous, à concrétiser par voie d’interprétation au stade de l’application (ATF 128 I 295 consid. 5b.aa). Il faut cependant que les normes considérées, insérées dans leur contexte et plus généralement dans l’ordre juridique, ne présentent pas de carence qui affecterait leur cohérence, leur effectivité ou leur prévisibilité, ou générerait une insécurité juridique, ou ouvrirait la voie, de par des généralisations excessives, à des inégalités de traitement ou à l’arbitraire. Une réserve toute générale du droit supérieur ou de principes d’ordre constitutionnel ne suffit pas à rendre des normes valides, pas plus que l’adjonction des mots « en principe » à l’énoncé d’une règle de droit par ailleurs pas aussi nuancée qu’elle pourrait l’être sans difficulté (arrêt du Tribunal fédéral 1C_223/2014 du 15 janvier 2015 consid. 4.4.2 § 2 in medio s’agissant d’exemples donnés par une loi).

En l’espèce, la locution « En principe » marquant le début de l’art. 4A al. 2 LGZD/IN 161 ne saurait transformer ladite disposition en une simple norme programmatique, évoquant un objectif à tenter d’atteindre, mais dont il serait admis d’avance qu’il pourrait souvent ne pas l’être, pour peu que le Conseil d’État le justifie au cas par cas, ainsi que le comité d’initiative l’a indiqué dans sa détermination à l’adresse du Conseil d’État. Ce serait contraire tant à la même proportion de 50 % expressément qualifiée de minimale par l’art. 4A al. 1 let. b LGZD/IN 161 qu’à l’exigence, en tout état, de compensations équivalentes figurant à l’art. 4A al. 3 phr. 2 LGZD/IN 161.

Quant à eux, les mots « Si les circonstances le justifient » insérés au début de l’art. 4A al. 3 phr. 1 LGZD/IN 161 ne décrivent pas des « mécanismes d’assouplissement », contrairement à ce qu’indique le comité d’initiative. Tout au plus pourraient-ils servir de fondement légal à des dérogations qui devraient rester l’exception (arrêt du Tribunal fédéral 1C_529/2015 précité consid. 2.4 in fine et 3.3 in fine ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 235) et en tout état faire l’objet de compensations équivalentes.

d. Les dérogations que l’IN 161 évoque par rapport aux pourcentages que celle-ci prévoit pour les catégories de logements d’utilité publique et les logements à réaliser par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif ne sauraient donc se voir attribuer une portée plus étendue que celle, fort limitée, qui se dégage de son texte, à savoir être exceptionnelles et pleinement compensées.

13) Il sied encore d’examiner si – ce que contestent les recourants – l’IN 161 poursuit un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité, dès lors qu’une invalidation de la disposition proposée sur les points précités n’impliquerait pas forcément l’invalidation de l’initiative dans son entier.

14) a. Ainsi que la chambre constitutionnelle l’a déjà jugé (ACST/22/2017 précité consid. 9b ; ACST/17/2015 précité consid. 15a), la détermination de l’intérêt public, auquel toute activité étatique doit répondre (art. 5 al. 2 Cst.) et toute restriction aux droits fondamentaux satisfaire (art. 36 al. 2 Cst.), est une question de nature éminemment politique, qui est prioritairement du ressort des pouvoirs législatif et exécutif. Elle est susceptible de varier dans le temps et l’espace, mais aussi au regard des droits fondamentaux considérés. Est toujours d’intérêt public la protection de l’ordre public, englobant la sécurité, la tranquillité, la santé et la moralité publiques, ainsi que la bonne foi en affaires. L’intérêt public comprend aussi la promotion du bien-être général de la population, l’utilisation rationnelle du territoire, la sauvegarde des bases vitales de l’homme, des espèces animales et végétales, ainsi que la défense et le développement de valeurs esthétiques ou culturelles. La chambre constitutionnelle doit faire montre d’une certaine réserve dans l’examen de la question de l’intérêt public poursuivi. Il lui faut cependant s’assurer que l’intérêt public invoqué n’ait pas simple valeur d’antienne, mais concerne une réelle problématique appelant une intervention étatique. Elle peut se référer à cet effet aux valeurs communément ressenties comme importantes au sein de la population, en particulier à celles qu’expriment les constitutions fédérale et cantonale, et elle n’est pas limitée, contrairement au Tribunal fédéral, dans l’appréciation des circonstances locales ou régionales relevant principalement de la compétence cantonale (Rainer J. SCHWEIZER, op. cit., p. 836 s. ; Pascal MAHON, op. cit., vol. II, n. 35, n. 126 et 137 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 212 ss, 831 ss et 983 ss ; Pierre MOOR / Alexandre FLÜCKIGER / Vincent MARTENET, op. cit., p. 756 ss ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 527 ss ; Pierre TSCHANNEN, op. cit., p. 138 s. ; Jean-François AUBERT / Pascal MAHON, op. cit., p. 325 ss ad art. 36).

b. Il ne fait pas de doute qu’à l’instar de l’actuel art. 4A LGZD, l’IN 161 poursuit des buts d’intérêt public, en accordant plus de poids que cette disposition à la lutte contre la spéculation immobilière et la pénurie de logements répondant aux besoins d’une frange de la population disposant des plus faibles revenus et non fortunée qu’à la favorisation de l’accession à la propriété de la classe moyenne, l’un et l’autre de ces deux objectifs relevant de politiques que tant l’art. 108 Cst. que les art. 178 à 182 Cst-GE chargent respectivement la Confédération et le canton de mener (ACST/17/2015 précité consid. 15b).

Des divergences de vues quant à l’importance respective à attribuer à l’un ou l’autre de ces buts font partie du combat que les acteurs économiques et sociaux du logement et de la construction peuvent mener notamment en exerçant leurs droits politiques, sans que puisse en être déduit que le cadre posé en la matière par les normes constitutionnelles précitées ne serait pas respecté. Peu importe, à cet égard, que le Conseil d’État estime, à teneur de son rapport sur la prise en considération de l’IN 161, qu’il faudrait modifier la législation en vigueur de façon à mieux répondre aux enjeux majeurs de logement de la classe moyenne et de mixité sociale. L’IN 161 s’insère, en termes d’intérêt public poursuivi, dans les prévisions d’une politique publique compatible avec lesdites normes constitutionnelles. Elle n’est d’ailleurs pas orientée exclusivement vers la production d’habitations qui ne seraient accessibles qu’à des personnes à bas revenus et non fortunés, puisqu’elle permettrait la construction de 30 % de locatifs non subventionnés en plus de 20 % de logements en PPE. Elle vise fondamentalement à constituer de façon plus soutenue que durant la décennie écoulée le socle permanent de 20 % de logements d’utilité publique au sens de la LUP voulu par cette dernière, en particulier à exiger davantage de coopératives d’habitation et de logements bon marché.

c. Le grief de défaut d’intérêt public poursuivi soulevé par les recourants est mal fondé.

15) a. S’agissant de la proportionnalité des mesures prévues par l’IN 161, il n’apparaît pas contestable que des pourcentages plus élevés que ceux de l’actuel art. 4A LGZD de catégories de logements d’utilité publique au sens de la LUP et/ou de logements sociaux au sens de la LGL seraient aptes à atteindre les buts d’intérêt public visés par l’initiative, étant rappelé que pas même la moitié du 20 % du parc locatif du canton n’a pu, en l’espace de dix ans, être constituée de logements d’utilité publique au sens de la LUP (RD 1108, p. 65).

D’après le RD 1108 (p. 66), les besoins identifiés pour atteindre le 20 % de logements d’utilité publique visé par la LUP estiment un parc locatif de tels logements à 39'000 unités à l’horizon 2030, si bien qu’eu égard aux quelque 15'000 unités en exploitation (en octobre 2015), ce sont environ 24'000 logements d’utilité publique au sens de la LUP qui devront être intégrés dans ledit parc d’ici là. Il peut donc être admis que si au moins 50 % des logements qui se construiraient dès l’entrée en vigueur de l’IN 161 supposée acceptée étaient de tels logements d’utilité publique, le nombre de ces derniers augmenterait de façon significative en un nombre d’années proche des quelque douze années à venir durant lesquelles, à teneur du PDCant 2030, quelques 50'000 logements devront être construits dans le canton, ce qui représenterait environ 25'000 logements d’utilité publique. Il n’y a pas lieu de se pencher sur la question de savoir si, une fois cet objectif atteint, la LUP et/ou l’art. 4A LGZD (actuel ou proposé par l’IN 161) devraient être modifiés.

b. L’inaptitude de mesures pourrait tenir au fait que celles-ci ne seraient tout simplement pas praticables. C’est la thèse que soutiennent les recourants à l’encontre de l’IN 161. Selon eux, il ne se trouverait pas suffisamment de maîtres d’ouvrage sans but lucratif dotés de structures et moyens leur permettant de construire la moitié de l’ensemble des logements à construire en zone de développement, et l’État serait dans l’incapacité financière de financer ces constructions. À cet argument peut et doit être objecté que, pour le cas où l’IN 161 serait acceptée, un signal politique suffisamment fort serait donné pour que le canton doive se doter d’un budget à la hauteur de l’ambition ainsi approuvée, en sorte que l’idée d’un défaut de moyens paraît non pertinente. Sans doute l’absence de toute évaluation du coût du financement des mesures que l’acceptation de l’initiative impliquerait pour les collectivités publiques accroît-elle le risque d’imprévisibilité de la norme proposée ; la question relève cependant de l’argumentaire politique, et non de l’examen de la validité juridique de l’initiative.

c. Le grief d’inaptitude des propositions formulées par l’IN 161 est mal fondé.

16) a. L’arrêté entrepris retient qu’il n’y a pas de mesure de principe moins incisive que celles prévues par l’IN 161 pour atteindre le but d’intérêt public visé. Ce n’est pas le principe même de quotas de différentes catégories de logements - en particulier de logements d’utilité publique au sens de la LUP ainsi que de logements sociaux au sens de la LGL – qui peut prêter à discussion sous l’angle du sous-principe de la nécessité, comme d’ailleurs de celui de la proportionnalité au sens étroit, mais le cas échéant les proportions respectives prévues de ces différentes catégories de logements.

b. La règle de nécessité implique « une comparaison des divers moyens disponibles ou envisageables » (Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 232), l’étude des « effets de solutions alternatives » (Pierre MOOR / Alexandre FLÜCKIGER / Vincent MARTENET, op. cit., vol. I, p. 818), et, en conséquence, d’abord la recherche, en vue de les examiner, d’autres mesures a priori propres à atteindre les objectifs poursuivis. Quant à elle, la règle de la proportionnalité au sens étroit interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis ; elle implique une pesée des intérêts (ATF 140 I 168 consid. 4.2.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_220/2017 du 25 août 2017 consid. 4.6.2 ; 2C_719/2016 24 août 2017 consid. 3.7 ; 8C_638/2016 du 18 août 2017 consid. 8.2).

Pour qu’il y ait violation desdites règles, il ne suffit pas que d’autres solutions apparaissent plus opportunes, ni que les propositions faites par les initiants comportent des contraintes sévères (arrêt du Tribunal fédéral 1C_33/2013 du 19 mai 2014 consid. 2.6). On ne saurait donc voir en soi de démonstration que l’IN 161 serait contraire auxdites règles dans le fait qu’aux dires mêmes du Conseil d’État, à teneur du RD 1108, une solution possible aux insuffisances constatées de l’actuel art. 4A LGZD résiderait dans une obligation, moins rigoureuse que celle de l’IN 161, de réaliser, en zones de développement 2, 3 et 4A, des logements locatifs pour au moins deux tiers du programme (plus précisément un tiers de logements d’utilité publique au sens de la LUP et un autre tiers de logements locatifs, qui ne seraient pas forcément des logements sociaux au sens de la LGL), ni dans le fait que, d’après le rapport sur la prise en considération de l’IN 161, cette dernière ne propose pas de solution permettant de faire face aux enjeux majeurs de logement de la classe moyenne et de mixité sociale.

Les exigences respectives de l’opportunité et de la proportionnalité ne se confondent pas ; les premières relèvent de la politique et les secondes du droit. Elles ont néanmoins un champ d’application dont une frange des unes tend à se rapprocher d’une frange des autres, au point de présenter un point de jonction, à partir duquel les exigences à la base de nature politique ne sont plus appréhendées que par la politique mais aussi par le droit.

c. Le devoir d’envisager des solutions alternatives et d’évaluer leur impact respectif, et ainsi de tracer cette ligne de démarcation, incombe principalement à l’Exécutif et au Législatif. Si des initiants sont certes moins en mesure d’y satisfaire eux-mêmes, il n’en appartient pas moins au Conseil d’État, lors du contrôle de la validité d’une initiative, de ne pas escamoter ces questions, particulièrement en présence d’une initiative législative rédigée de toutes pièces, étant précisé que les initiants faisant le choix d’une telle initiative, plutôt que celui d’une initiative non formulée, ne sauraient déduire de leurs droits politiques qu’il soit fait abstraction du respect notamment des règles de la nécessité et de la proportionnalité au sens étroit. De son côté, la chambre constitutionnelle se trouve à cet égard confrontée aux mêmes devoirs et limites que pour la vérification de l’intérêt public poursuivi (ACST/17/2015 précité consid. 18). Elle ne peut substituer son appréciation à celle desdites autorités qu’avec retenue, sans être dispensée pour autant de vérifier que ces dernières ont procédé à un examen attentif de la proportionnalité des normes proposées.

17) a. En l’espèce, il n’apparaît pas que l’IN 161 consacre une violation du droit, en particulier des sous-principes de la nécessité et de la proportionnalité au sens étroit, en tant qu’elle pose les exigences, certes contraignantes, d’une part qu’au moins 80 % des logements construits en zone de développement soient destinés à la location (art. 4A al. 1 let. a LGZD/IN 161) et d’autre part qu’au moins 30 % des logements construits en zone de développement soient des HBM (art. 4A al. 1 let. c LZGD/IN 161). Le 20 % restant pour la construction de logements en PPE correspond approximativement à la proportion des ménages genevois en mesure d’accéder à la propriété de leur logement ; quant au pourcentage de 30 % d’HBM, il équivaut schématiquement à la proportion des ménages genevois n’entrant ni dans la catégorie des 20 % appartenant à la classe aisée pouvant accéder à la propriété de leur logement, ni dans celle, de l’ordre de 50 %, de la classe moyenne n’ayant pas accès à des logements HBM (IN 161-A, p. 5 s. ; déclaration du représentant du Conseil d’État lors du débat du 27 janvier 2017 au Grand Conseil sur l’IN 161-A, in MGC accessible sur internet, http://ge.ch/grandconseil/ memorial/seances/010312/67/15/). De surcroît, quand bien même les pourcentages respectifs de 80 % de locatifs et de 30 % de HBM prévus par l’IN 161 seraient supérieurs aux proportions de la population genevoise ayant vocation (cf. RD 1108, p. 107 s.), au regard de leur situation financière, à accéder respectivement à la location plutôt qu’à l’acquisition de leur logement et à des logements HBM, lesdits pourcentages n’en seraient pas moins admissibles dans la perspective de rattraper un retard dans la mise de logements sociaux sur le marché, en faveur en particulier des ménages les plus démunis.

b. Il pourrait en outre être admis que 50 % des logements construits en zone de développement doivent être des logements sociaux, construits au bénéfice de la LGL, y compris les 30 % de logements HBM précités, car il peut être considéré sans données plus développées sur ce sujet que sur les 50 % de ménages constituant la classe moyenne dans le canton, il s’en trouve une proportion aux revenus suffisamment limités pour ouvrir l’accès à 20 % de logements sociaux autres que des HBM. L’art. 4A al. 1 let. b LGZD/IN 161 n’apparaît donc pas critiquable en tant qu’il prévoit un pourcentage de 50 % de logements dans des immeubles soumis aux catégories de l’art. 16 LGL. Il sied d’ailleurs de noter que l’actuel art. 4A al. 3 phr. 1 LGZD retient un pourcentage cumulé similaire de logements d’utilité publique au sens de la LUP et de logements soumis au régime HM, HLM ou en coopérative d’habitation.

c. L’art. 4A al. 1 let. b LGZD/IN 161 ne se limite cependant pas à prévoir un pourcentage de 50 % de logements sociaux. Il ajoute la condition que ces logements sociaux soient des logements d’utilité publique au sens de la LUP, ce qui – comme déjà évoqué – le relie étroitement à l’art. 4A al. 2 LGZD/IN 161 en tant que cette condition implique qu’il s’agisse de constructions réalisées par l’État, une commune ou un organisme sans but lucratif ou – situation assimilée à cette dernière – par des privés se soumettant contractuellement à des restrictions fixées par l’État pour une durée minimale de cinquante ans.

Or, sous cet angle, il apparaît que le contrôle qu’a effectué le Conseil d’État de la proportionnalité de ces deux dispositions est resté insuffisant, d’autant plus qu’il est intervenu sur la base de la prémisse erronée que la norme proposée ne serait applicable que pour des périmètres déclassés en zone de développement postérieurement à son acceptation, et qu’une trop grande portée a été attribuée aux assouplissements et dérogations susceptibles d’être apportés au cas par cas aux pourcentages prévus par l’IN 161.

Dans ce contexte, la crainte qu’a exprimée le Conseil d’État, le jour même où il admettait la validité de l’IN 161, que cette dernière aboutisse à un blocage de l’ensemble du dispositif mis en place par la législation, dont l’objectif n’est pas remis en cause (IN 161-A, p. 6), révèle une perception trop extensive du champ de l’opportunité par rapport à celui de la proportionnalité. Il en va de même du fait que tout en disant poursuivre le même objectif de constituer un socle permanent de 20 % de logements d’utilité publique au sens de la LUP, le Conseil d’État a formulé, dans le RD 1108, une proposition se situant bien en-deçà de celle avancée ensuite par les initiants.

d. Il sied de préciser qu’il ne peut être renvoyé à un contrôle concret des décisions que rendrait l’autorité compétente en application de l’art. 4A LGZD/IN 161 de savoir si, de façon générale (donc non exceptionnelle seulement), il serait viable économiquement que des propriétaires de parcelles sises en zone de développement doivent adopter des programmes de construction comportant - pour peu qu’ils n’entendent pas se soumettre contractuellement à un contrôle des loyers pendant au moins cinquante ans – une cession de la moitié de leurs périmètres à des maîtres d’ouvrage sans but lucratif. Le Conseil d’État a simplement indiqué qu’un programme de logements non en PPE prévu par l’IN 161 est viable sur le plan financier, sans en apporter la démonstration, sinon par une référence toute générale et non documentée à une opération en cours de réalisation, alors que les recourants ont fait état de reports de charges financières sur les logements en PPE ou en loyer libre induits par les restrictions liées à la construction de logements d’utilité publique au sens de la LUP et d’autres logements sociaux. Ce n’est pas la vocation de la chambre constitutionnelle que d’analyser la rentabilité financière des programmes de construction que l’IN 161 permettrait de réaliser en zone de développement, mais il lui incombe de s’assurer qu’une telle analyse a été faite dans une mesure suffisante. Or, il ne résulte nullement du dossier que tel a été le cas s’agissant des exigences résultant de l’art. 4A al. 2 LGZD/IN 161 de même que de l’al. 1 let. b de la disposition proposée en tant qu’elle fait référence à des logements d’utilité publique au sens de la LUP.

e. D’après le Conseil d’État lui-même, s’il faut encourager la construction de logements d’utilité publique au sens de la LUP et leur maîtrise d'ouvrage par des entités sans but lucratif, « les moyens proposés (par l’IN 161) pour atteindre cet objectif sont excessifs et mal calibrés », en plus qu’il est à craindre que les maîtres d'ouvrage d'utilité publique ne disposent pas des structures ou des moyens pour réaliser 25'000 logements à eux seuls et donc qu’un des objectifs principaux de l'IN 161 ne puisse pas être atteint (IN 161-A, p. 6).

Force est de retenir que l’art. 4A al. 1 let. b et 2 LGZD/IN 161 prévoit une mesure qui représente une atteinte excessive aussi bien à la garantie de la propriété qu’à la liberté économique des propriétaires de parcelles qui seraient sises en zone de développement, ou des promoteurs constructeurs d’immeubles d’habitation, en tant qu’il leur impose l’obligation soit de se soumettre à des restrictions ayant un impact pendant au moins cinquante ans (en particulier à un contrôle des loyers) pour la moitié de leur programme, soit, à défaut, de céder le 50 % de l’ensemble des logements à réaliser sur leurs périmètres à des maîtres d’ouvrage sans but lucratif, sans que des dérogations ne soient possibles qui ne seraient ni exceptionnelles ni pleinement compensées. Au regard de la dimension individuelle de la garantie de la propriété, il appert que ces restrictions impliqueraient une réduction drastique des droits à bâtir des intéressés, allant bien au-delà des limitations que le Tribunal fédéral a jugé ne pas constituer une atteinte au noyau intangible dudit droit fondamental, en particulier la soumission à autorisation de l'aliénation des appartements à usage d'habitation jusqu'alors offerts en location, pour autant que ces appartements entrent dans une catégorie de logements où sévit la pénurie et sous réserve de cas dans lesquels l'autorisation ne peut être refusée (ATF 113 Ia 126 consid. 6), et l’obligation d’occuper personnellement, durant dix ans, un logement acquis en zone de développement (arrêt du Tribunal fédéral 1C_529/2015 du 5 avril 2016 consid. 4.5). Quand bien même les restrictions imposées par l’art. 4A al. 2 et, en tant qu’il fait référence à des logements d’utilité publique au sens de la LUP, l’al. 1 let. b de la disposition proposée par l’IN 161 ne porteraient pas à cet égard atteinte à l’institution même de la propriété, elles induisent, du fait de la hauteur du pourcentage fixé (soit 50 %), un rapport déraisonnable entre les effets des contraintes qu’elles impliquent pour les propriétaires et promoteurs constructeurs et le résultat pouvant en être escompté du point de vue de l’intérêt public poursuivi.

D’un point de vue juridique, et non simplement en termes d’opportunité, les mesures précitées doivent céder le pas devant un pourcentage moins élevé que 50 % de logements d’utilité publique au sens de la LUP, autrement dit de logements à réaliser par des maîtres d’ouvrage sans but lucratif. Il s’impose d’autant plus de l’admettre que des mesures moins incisives existent sans compromettre l’atteinte de l’objectif visé de constituer dans un délai raisonnable un socle permanent de 20 % de logements d’utilité publique sur l’ensemble du parc locatif du canton, sans qu’il soit dit par-là que lesdites mesures moins incisives sont celles que le Conseil d’État a évoquées dans le RD 1108 ou des restrictions plus rigoureuses que celles qui résulteraient de cette proposition-ci mais moins que celles de l’IN 161.

18) a. La question se pose même – mais peut rester ouverte – de savoir si l’IN 161 ne porte pas atteinte au noyau intangible de la garantie de la propriété, sinon de la liberté économique, prises dans leur dimension institutionnelle, notamment quand on en mesure les effets – ainsi qu’il le faudrait – en termes de collectivisation du sol, dans la perspective de son application à l’ensemble des zones de développement, couvrant l’essentiel du potentiel à bâtir dans le canton, et de la mise en œuvre du PDCant prévoyant la construction, d’ici l’année 2030, de 50'000 logements essentiellement en zone de développement (Rainer J. SCHWEIZER, op. cit., n. 44 s. ad art. 36 ; Pascal MAHON, op. cit., vol. II, n. 39 s., 136, 137 p. 223 s. ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 248 ss).

b. Point n’est besoin non plus de statuer sur le grief d’inexécutabilité de l’IN 161, un tel grief tombant en tout état à faux pour la partie de l’initiative ne devant le cas échéant pas être invalidée.

19) a. En conclusion, l’art. 4A al. 2 LGZD/IN 161, de même que l’al. 1 let. b de la disposition proposée en tant qu’il fait référence à des logements d’utilité publique au sens de la LUP, enfreignent l’exigence de clarté, le principe de la légalité et le principe de la proportionnalité (à savoir les règles de nécessité et de proportionnalité au sens étroit). L’entier de l’al. 2 doit être annulé, ainsi que, à l’al. 1 let. b, le membre de phrase « doivent être d’utilité publique au sens de la loi pour la construction de logements d’utilité publique du 24 mai 2007 et ».

b. Selon l’art. 60 al. 4 Cst-GE, l’initiative dont une partie n’est pas conforme au droit est déclarée partiellement nulle si la ou les parties qui subsistent sont en elles-mêmes valides (ATF 105 Ia 362 consid. 3) ; à défaut, l’initiative est déclarée nulle, c’est-à-dire, plus justement dit, est invalidée ou annulée (ACST/17/2015 précité consid. 26a et b ; Stéphane GRODECKI, op. cit., n. 1181 ss ; Bénédicte TORNAY, La démocratie directe saisie par le juge, op. cit., p. 118 ss ; Étienne GRISEL, op. cit., p. 272 s.).

En l’espèce, si l’art. 4A al. 2 LGZD/IN 161 et le membre de phrase précité de l’al. 1 let. b de la disposition proposée sont certes au cœur du dispositif voulu par les initiants, le reste de l’IN 161 conserve un sens pouvant encore être raisonnablement imputé aux initiants, comme alternative à une invalidation du reste de l’initiative, à savoir qu’en zone de développement 80 % des logements à construire soient destinés à la location, 50 % soient des immeubles soumis aux catégories de l’art. 16 LGL, et 30 % (pouvant faire partie de ces 50 %) soient des HBM, sous réserve de dérogations devant rester exceptionnelles et pleinement compensées. Il n’y a donc pas lieu d’invalider l’entier de l’IN 161.

c. Le recours doit ainsi être admis partiellement, sans qu’il y ait lieu d’annuler dans la même mesure l’arrêté attaqué, auquel le présent arrêt se substitue.

20) a. Vu l’issue donnée au recours, un émolument réduit à CHF 500.- sera mis à la charge des quatre recourants (art. 87 al. 1 LPA), pris conjointement et solidairement.

b. Les recourants dont le recours est déclaré recevable obtenant partiellement gain de cause, y ayant conclu et étant représentés par un avocat, une indemnité de procédure de CHF 2'000.- leur sera allouée, pris conjointement et solidairement, à la charge de l’État de Genève, pour les frais indispensables occasionnés par la procédure, y compris les honoraires d’un mandataire (art. 87 al. 2 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

c. Vu l’issue donnée au recours, une indemnité de procédure réduite à CHF 500.- sera allouée au comité d’initiative, à la charge des quatre recourants, pris conjointement et solidairement.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 février 2017 en tant qu’il est formé par Monsieur A______ et la Chambre genevoise immobilière contre l’arrêté du Conseil d’État du 18 janvier 2017 relatif à la validité de l’initiative législative cantonale formulée 161, intitulée « Construisons des logements pour toutes et tous : Davantage de coopératives et de logements bon marché ! » ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule le membre de phrase « doivent être d’utilité publique au sens de la loi pour la construction de logements d’utilité publique du 24 mai 2007 et » de l’al. 1 let. b de l’art. 4A de l’initiative législative cantonale formulée 161, intitulée « Construisons des logements pour toutes et tous : Davantage de coopératives et de logements bon marché ! » ;

annule en entier l’al. 2 de l’art. 4A de l’initiative législative cantonale formulée 161, intitulée « Construisons des logements pour toutes et tous : Davantage de coopératives et de logements bon marché ! » ;

rejette le recours pour le surplus ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Monsieur A______, la Chambre genevoise immobilière, l’Association des promoteurs constructeurs genevois et l’Union suisse des professionnels de l’immobilier Genève, pris conjointement et solidairement ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à Monsieur A______ et à la Chambre genevoise immobilière, pris conjointement et solidairement, à la charge de l’État de Genève ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- au comité d’initiative « Construisons des logements pour toutes et tous », à la charge de Monsieur A______, la Chambre genevoise immobilière, l’Association des promoteurs constructeurs genevois et l’Union suisse des professionnels de l’immobilier Genève, pris conjointement et solidairement ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat des recourants, au Conseil d’État, à Me Damien Chervaz, avocat du comité d’initiative, ainsi que, pour information, au Grand Conseil.

Siégeant : M. Verniory, président, Mmes Galeazzi, Montani et Payot Zen-Ruffinen, M. Martin, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

le greffier-juriste :

 

 

 

I. Semuhire

 

le président siégeant :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :