Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/3163/2020

JTAPI/231/2022 du 09.03.2022 ( LCI ) , ADMIS

Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;PERMIS DE CONSTRUIRE;NULLITÉ;ESTHÉTIQUE;INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL);NOTION JURIDIQUE INDÉTERMINÉE;INSPECTION LOCALE;MUR
Normes : LCI.1; LCI.15; LCI.79
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3163/2020 LCI

JTAPI/231/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 9 mars 2022

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Jacques-Alain BRON, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

 


EN FAIT

1.             Madame A______ est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de B______, à l'adresse route de C______ 168.

Cette parcelle située en zone villa 5A, d'une surface de 351 m², comporte une petite villa d'une surface de 72 m² au sol y compris la véranda de 16 m². Elle compte deux étages et une surface habitable de 114 m². Elle a un sous-sol de 55 m².

Cette villa est située au milieu d'une rangée de huit maisons contiguës, construites en 1934, qui sont bordées du côté de la route de C______ par une bande de verdure de 8,50 m de profondeur environ, divisée en jardinets. À l'arrière, les villas donnent sur des jardins en longueur, clôturés, invisibles depuis la route de C______ et séparés par des haies de grande dimension. Ces jardins sont accessibles par un chemin privé (parcelle n° 2______) appartenant en copropriété aux huit parcelles. Hormis pour les maisons situées aux extrémités, la largeur de chaque jardin correspond à celle des maisons, soit environ 6.5 m.

2.             Le 12 mars 2018, Mme A______, par l'intermédiaire de son architecte, a déposé une requête en autorisation de construire auprès du département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, devenu le 1er juin 2018 le département du territoire (ci-après : DT ou le département), portant sur l'agrandissement du sous-sol et du rez-de-chaussée de sa villa, la démolition et la reconstruction d'une véranda et l'abattage d'arbres. Cette demande a été enregistrée sous le n° DD 3______.

Le projet consistait en six interventions distinctes :

la démolition de la véranda existante construite dans les années 1980 ;

la construction d'une nouvelle véranda de 19.4 m² détachée de la façade (qui retrouvait ainsi son aspect d'origine), non chauffée et entièrement vitrée sauf pour la toiture qui était prévue plate et opaque par souci d'intégration avec le bâtiment existant et selon discussion préalable avec le département ;

la réalisation d'une étroite coursive vitrée non chauffée reliant la villa à la nouvelle véranda, située le long de la limite parcellaire 1______/4______, ainsi que l'aménagement d'une terrasse entre la villa et la nouvelle véranda ;

l'agrandissement du sous-sol de 26.9 m² afin d'y aménager une cave et une nouvelle salle de bains, et la réalisation d'un puit de lumière sous forme d'une petite courette plantée ;

l'agrandissement de la cuisine/salle à manger ;

la pose d'un velux en toiture et le percement du plancher des combles afin d'éclairer le hall du premier étage.

3.             Dans le cadre de l'instruction du cette demande, l'office des autorisations de construire (OAC) a constaté que les parcelles en question étaient comprises dans un ensemble de huit villas contiguës ayant fait l'objet d'une publication dans l'ouvrage « D______ » vol. 1, fiche 5______. Ces villas, réalisées en 1934, apparaissaient comme exceptionnellement modernistes, l'organisation du plan était rationnelle et les distributions concentrées sur un espace minimal. En outre, il était relevé que le choix d'une disposition en ordre contigu avait permis la préservation d'une grande partie du terrain qui était aménagé en jardins privés.

Au vu de la qualité des villas en question, celles-ci avaient fait l'objet de la valeur « intéressant » au recensement architectural du canton (fiche 6______).

Il était également apparu qu'une procédure de mise à l'inventaire avait été initiée en 2004. Par conséquent, l'OAC a soumis le dossier à la commission des monuments et des sites (ci-après : CMNS).

4.             Une délégation de la CMNS s'est rendue sur place en date du 12 juin 2018.

5.             Le 17 juillet 2019, cette commission a rendu un préavis défavorable au projet :

l'agrandissement projeté de la cuisine n'était pas adéquat, des pistes d'amélioration avaient été dès lors communiquées au mandataire sur place ;

le velux en toiture devait être de taille plus modeste ;

la démolition de la véranda existante ne posait pas de problème et permettait de retrouver la façade d'origine ;

l'extension de la villa par une coursive et une nouvelle véranda posait problème par rapport à la continuité du système des jardins. De plus, l'intégration de la véranda au milieu du jardin posait la question de la disparition du jardin caractéristique comme véritable espace de respiration de la maison et risquait de poser un principe futur pour l'ensemble des villas, ce qui - réalisé sur chaque parcelle - détruirait complètement l'espace des jardins tel qu'il avait été conçu ;

l'agrandissement du sous-sol était, au vu de sa taille, disproportionné par rapport au bâtiment. De plus, le sous-sol qui était transformé en véritable logement, aurait pour conséquence, par la création de la cour anglaise, de modifier radicalement l'apparence de la façade en faisant disparaître la terrasse originale.

6.             Le 5 février 2019, compte tenu de certaines modifications du projet, la CMNS a déclaré ne plus avoir d'objection à formuler quant aux interventions à l'intérieur de la maison (cuisine et velux) et a réitéré sa position favorable à la démolition de la véranda. En revanche, elle maintenait sa position défavorable exprimée dans son précédent préavis, s'opposant notamment à toute extension directement liée à la villa construite dans la première bande de jardin sur une longueur d'environ 20-25 m (que ce soit en sous-sol ou au rez-de-chaussée). La seule alternative qui pouvait être envisagée pour la création de surfaces supplémentaires était la construction en fond de parcelle.

7.             Le 9 avril 2019, après avoir demandé plusieurs modifications du projet et des pièces complémentaires, la direction des autorisations de construire (DAC) a rendu un préavis favorable, sous réserve de celui favorable du service des monuments et des sites (ci-après : SMS) concernant notamment l’esthétique de l’extension. De plus, elle a rappelé qu'en aucun cas les pièces du sous-sol pourraient être habitables en vertu de l'art. 76 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

8.             Les autres instances consultées se sont déclarées favorables au projet avec ou sans conditions.

La commission d'architecture (ci-après : CA) n'a pas été consultée.

9.             En date du 13 juin 2019, le mandataire de la requérante a mis en demeure le département de rendre une décision.

10.         Sur la base des éléments à sa disposition, le DT a rendu une décision de refus d'autorisation le 18 juin 2019 (DD 3______).

11.         Par acte du 22 août 2019, Mme A______, sous la plume de son conseil, a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision. La procédure a été enregistrée sous le n° de cause A/7______.

12.         Par jugement JTAPI/8______ du 14 mai 2020, le tribunal a annulé la décision de refus du 18 juin 2019 et renvoyé le dossier au département pour qu’il rende une nouvelle décision après avoir consulté la CA.

Le refus du département reposait entièrement sur le préavis émanant de la CMNS, consultée parce que le département et la CMNS avaient considéré – à tort – que la villa en question faisait l’objet d’une mesure de protection générale de la LPMNS. Or, le département tenu de se prononcer sur tous les éléments qui concernaient l’autorisation n’avait pas soumis le projet à la CA, laquelle aurait dû être consultée en application de l’art. 15 LCI.

13.         Le 12 juin 2020, le conseil de Mme A______ a invité le département à consulter la CA dans le cadre de l’instruction du dossier.

14.         Le 7 juillet 2020, la CA a rendu un préavis défavorable. Le projet concernait une villa mitoyenne faisant partie d’un ensemble et dont les éléments morphologiques étaient identiques. Une construction hors sol au milieu du jardin de forme longitudinale avec des abords étroits venait rompre la logique d’ensemble, tout en péjorant de façon inadmissible l’espace végétalisé. En outre, la construction en limite de propriété péjorait les espaces en créant un couloir inadapté et un mur mitoyen trop important.

15.         Par décision du 3 septembre 2020, le département, faisant sien le préavis de la CA, a refusé une nouvelle fois l’autorisation de construire sollicitée en application de l’art. 15 LCI.

Le projet, de par l’impact négatif qu’il engendrerait, nuirait au caractère et à l’intérêt du groupe de villas contigües (rupture de la logique d’ensemble ; péjoration des espaces) et porterait en outre atteinte à la végétation tout comme à l’esthétique et la qualité des lieux, impactant dès lors négativement le quartier.

Subsidiairement, il estimait également que le projet devait être refusé en application de l’art. 79 LCI, puisqu’au vu du préavis de la CA, le couloir avait pour conséquence de créer, dans son résultat, un mur mitoyen conséquent en limite de parcelle, ayant des effets négatifs similaires aux murs que le département refusait selon cette disposition. À tout le moins, cette règle régissant les murs en limite de propriété venait confirmer la volonté du législateur de limiter, comme à l’art. 15 LCI, les atteintes excessives découlant de telles constructions, clairement non intégrées dans leur environnement

16.         Par acte du 5 octobre 2020, Mme A______ (ci-après : la recourante), sous la plume de son conseil, a recouru auprès du tribunal contre la décision précitée, concluant, sous suite de frais et dépens, au constat de sa nullité en tant qu’elle interdisait la modification des espaces cuisine, salle à manger et séjour, à son annulation dans la mesure où sa nullité n’avait pas été constatée, au constat que les travaux projetés à l’intérieur de la maison n’étaient pas soumis à autorisation de construire, soit la modification des espaces cuisine, salle à manger et séjour, la création d’un velux d’une ouverture de moins de 1 m2 et le percement du plancher des combles, à ce qu’il soit dit que la demande d’autorisation devait être acceptée pour les autres travaux soumis à autorisation de construire, au renvoi du dossier au département pour qu’il délivre l’autorisation demandée au sens des considérants et à ce qu’il soit imparti au département un délai de dix jour pour rendre dite décision.

La décision litigieuse consacrait un abus du pouvoir d'appréciation. Le DT motivait son refus par la clause d’esthétique contenue à l’art. 15 LCI en indiquant faire sien le préavis négatif rendu par la CA. Or, ce préavis, qui faisait largement écho à celui rendu antérieurement par la CMNS, n’était pas motivé par des considérations esthétiques relatives au quartier, mais par des considérations patrimoniales, étrangères à l’art. 15 LCI. En effet, les critiques de la CA portaient sur la valeur intrinsèque des huit villas contigües et leurs jardins, qualifiées « d’ensemble », et non pas sur l’esthétique de ces dernières par rapport « au quartier », comme le retenait à tort le département dans la décision querellée. Or, la villa en cause ne faisait pas partie d’un ensemble protégé et les huit villas mitoyennes auxquelles elle appartenait ne constituaient pas « un quartier » ni un autre point de vue accessible au public.

Le DT avait retenu que le projet impacterait « négativement le quartier ». Or, il n’était pas sérieux de prétendre qu’une véranda de 19 m2, située à l’intérieur d’un jardin entièrement clos et privatif, invisible de l’extérieur, puisse être susceptible d’impacter négativement un quartier au sens de l’art. 15 LCI. Le projet consistait dans une intervention légère et discrète qui était totalement invisible de l’extérieur et qui n’avait strictement aucun impact sur un quelconque « point de vue accessible au public ». Certes, la nouvelle véranda aurait pour effet de modifier légèrement l’aspect du jardin, mais il s’agissait d’une modification mineure qui serait à peine perceptible depuis les deux villas voisines – dont les propriétaires avaient approuvé le projet – et dont l’existence ne modifierait en rien l’aspect visible de la rangée de huit villas que le DT avait tant à cœur de conserver, malgré le fait que leur état actuel était déjà très éloigné de leur état d’origine. Comme la CMNS l’avait elle-même retenu, le fait que la nouvelle véranda soit détachée de la façade permettrait de dégager l’aspect d’origine de celle-ci, dissimulée par la véranda actuelle. Enfin, il était significatif que la commune ait rendu un préavis favorable sans réserve ni condition, alors qu’il était dans ses prérogatives de veiller à la bonne intégration des projets de construction sur son territoire et ses différents quartiers.

En outre, la position de l’OAC était particulièrement choquante au regard du caractère hétéroclite du voisinage et de la nature des bâtiments que cette même autorité avait récemment autorisés aux alentours de la villa en cause. La décision apparaissait même carrément arbitraire quand on considérait que l’OAC autorisait largement dans le voisinage des barres d’immeubles très imposantes et de véritables « palais » de dimensions inconnues jusqu’alors dans les environs, alors qu’elle refusait la réalisation d’un modeste projet d’agrandissement, invisible de l’extérieur et approuvé par les voisins.

Concernant plus particulièrement la portée du préavis de la CA, il fallait souligner que celui-ci divergeait de celui de la commune. Or, contrairement à ce que prévoyait la loi, le DT n’avait tenu aucunement compte du préavis favorable de cette dernière, alors même que celui de la CA, qui n’examinait le projet que par rapport à « l’ensemble » des huit villas contigües, s’écartait manifestement du champ de protection de l’art. 15 LCI. Le département, qui ne s’y était du reste par trompé, avait d’ailleurs étendu le préavis de la CA pour retenir que le projet serait non seulement inesthétique par rapport à cet « ensemble », mais qu’il porterait également atteinte à l’esthétique du quartier tout entier, et ce sans aucune indication quant aux caractéristiques du quartier auquel la villa appartenait et auquel le projet litigieux pourrait nuire. Ainsi, faute de se prononcer sur l’esthétique du projet par rapport à son environnement, le préavis de la CA n’était pas déterminant.

La notion de « quartier » ne pouvait se résumer à quelques maisons d’un lotissement privé, et encore moins à huit maisons mitoyennes avec jardins sans aucune voie d’accès ouverte au public. Cette interprétation était en contradiction manifeste avec le sens commun attribué à ce mot, ainsi qu’avec le texte, la systématique légale et la volonté du législateur. Dès lors, le périmètre à considérer au sens de l’art. 15 LCI ne pouvait être que plus large que les huit villas en cause, et d’une autre nature. Or, l’examen des constructions dans le voisinage immédiat ou plus éloigné mettait en évidence que la maison ne s’intégrait à aucun quartier dont les caractéristiques pourraient être mises en péril par le déplacement modeste et invisible d’une véranda dans le jardin. La presque totalité des villas environnantes avaient en outre des dépendances dans les jardins.

La décision violait le principe de la proportionnalité, ainsi que le droit de propriété. Il résultait de la pesée des intérêts en présence que l'intérêt public pour refuser le projet était nul dès lors qu'il n'était pas visible de l'extérieur et que les seuls voisins concernés l'avaient approuvé. En revanche, l'intérêt de la recourante à pouvoir aménager son domicile et jouir de son droit de propriété était grand.

La décision contrevenait également au principe d'égalité de traitement au vu des autres constructions autorisées dans le voisinage.

Enfin, la motivation subsidiaire du DT basée sur l’art. 79 LCI ne résistait pas non plus à l’examen, dès lors que cette disposition ne concernait que les murs mitoyens séparatifs qui n’étaient pas intégrés à un bâtiment, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

17.         Dans le délai prolongé à sa demande, le département a transmis son dossier le 22 décembre 2020, accompagné de ses observations. Il a conclu au rejet du recours et à la confirmation de sa décision, ainsi qu’à la condamnation de la recourante au frais et dépens de l’instance.

L'art. 15 LCI ne faisait pas mention d'une définition précise du périmètre à prendre en compte par l'emploi du terme « quartier ». Au contraire, cette disposition indiquait spécifiquement un périmètre large par les termes « chemin » « rue » ou « quartier » ce qui lui laissait une grande marge d'appréciation. Par ailleurs, la notion de visibilité ou d'accessibilité au public n'était pertinente dans le cadre de l'art. 15 LCI que pour les points de vue ou les sites naturels.

Suite au jugement rendu par le tribunal en date du 20 mai 2020, il avait consulté, en sus de la CMNS et de l’architecte cantonal déjà sollicités, la CA. Cette dernière avait rendu un préavis défavorable, estimant que le projet viendrait rompre la logique d’ensemble que représentait les villas mitoyennes et péjorerait de façon inadmissible l’espace végétalisé. Il avait donc considéré que le groupe de huit villas contiguës auquel appartenait celle de la recourante, et son espace végétalisé, au vu de ses particularités, représentait un élément caractéristique de la rue et du quartier en question et présentait un intérêt certain. Une des caractéristiques principales du lieu était la disposition des villas contiguës qui avait permis la préservation d'une grande partie du terrain aménagé en jardin privé. Or, en se fondant notamment sur le préavis de la CA, spécialisée en matière d’architecture et d’urbanisme, il avait considéré que le projet serait de nature à péjorer l'intérêt du quartier et de la rue dans la mesure où il viendrait rompre une logique d’ensemble et péjorerait l’espace végétalisé. De plus cela aurait pour conséquence de créer un précédent puisque, selon le principe d'égalité de traitement, si le projet en question devait être autorisé, il devrait être admis sur toutes les autres parcelles et créerait une disparition de cet espace si caractéristique du quartier.

Si le préavis de la commune s’avérait certes favorable, il ne comportait aucune motivation et encore moins un quelconque développement relatif à l’intégration du projet dans le quartier. Le préavis de la CA était quant à lui non seulement défavorable, mais il corroborait en outre ceux émis par la CMNS et la position de l’architecte cantonal récoltés précédemment. Ainsi, l’ensemble des entités spécialisée dans le domaine de l’architecture – et donc les plus à même de juger de manière objective de l’intégration, de l’adéquation et de l’impact d’une construction dans un quartier, une rue ou encore un paysage – étaient défavorables au projet. Partant, en se fondant notamment sur le préavis de la CA pour prendre sa décision, il n’avait pas abusé de son pouvoir d’appréciation.

Enfin, la recourante ne démontrait pas en quoi un projet comparable aurait été autorisé dans les mêmes circonstances. De surcroît, la décision n'était ni arbitraire ni disproportionnée dans la mesure où un projet d'agrandissement en fond de parcelle pouvait être envisagé.

Le refus d'autorisation se justifiait d’autant plus qu’il était, à titre subsidiaire, également motivé par une violation de l’art. 79 LCI. En effet, le projet serait de nature à créer, de par le couloir projeté entre la villa et la véranda, le long de la limite de propriété avec la parcelle n° 4______, un mur mitoyen. Il ne pouvait raisonnablement être retenu que le mur d’un corridor menant à la véranda serait intégré à cette dernière ou à la villa, partant, il entrait pleinement dans le champs d’application de cette disposition. Or, ladite construction viendrait non seulement péjorer les espaces, mais elle créerait de surcroît un cloisonnement de la zone 5, contre lequel le département et le législateur – par le biais de l’art. 79 LCI - luttaient précisément.

18.         Le 2 février 2021, la recourante a répliqué, persistant dans les conclusions de son recours.

Le DT tentait de créer une catégorie spéciale de protection pour les villas et jardins en question qui n’était non seulement pas prévue par la loi, mais qui contredisait carrément l’esprit du législateur et la systématique légale. L’art. 15 LCI permettait en effet à l’autorité d’empêcher des constructions susceptibles d’enlaidir ou de déséquilibrer l’espace public, mais non des projets qui ne le touchait absolument pas.

On cherchait en vain dans la décision ou les écritures du département les caractéristiques du quartier ou de la rue, ainsi que les noms et périmètres de la rue, du quartier ou même de tout autre environnement public auxquels le projet litigieux pourrait porter préjudice. Le DT soulevait pour la première fois un risque pour l’intérêt de « la rue », mais ce risque n’existait pas plus pour « la rue » que pour « le quartier », vu que la véranda n’était visible de nulle part. Il était clair que la préoccupation du département était dirigée sur la préservation de la substance des huit villas mitoyennes et en particulier de leurs jardins arrières – invisibles du public – mais pas de protéger la rue, le quartier ou de manière générale l’espace public d’une hypothétique atteinte inesthétique ou disgracieuse. Il était d’ailleurs inconcevable qu’une construction, au demeurant légère et de dimensions modestes, située à l’intérieur d’un jardin privatif et invisible depuis l’espace public, puisse être de nature à porter préjudice de manière significative à l’intérêt d’un quartier, d’une rue ou d’un environnement public en général.

Aucun intérêt public n’était susceptible d’être lésé par une construction invisible (et modeste), sauf s’il s’agissait précisément d’un bâtiment protégé patrimonialement. Refuser un projet qui n’affectait que des éléments « confidentiels » d’un bâtiment, sans aucun impact sur la sphère publique, et alors qu’il ne s’agissait pas d’un bâtiment protégé, n’était ainsi justifié par aucun intérêt public et violait le principe et la proportionnalité.

Le département faisait par ailleurs preuve d’incohérence dans sa volonté de protéger les huit villas mitoyennes et la prétendue « pureté historique » de leurs jardins, puisqu’il avait autorisé récemment, au bout du bâtiment (parcelle n° 9______), la construction d’une annexe conséquente qui dénaturait une importante partie du jardin et était de surcroît visible depuis « la rue » puisqu’elle donnait sur la route de C______.

Quant à la réalisation d’un bâtiment en fond de parcelle, elle était sans rapport avec le projet querellé, puisqu’il ne s’agirait pas d’un « agrandissement », mais d’une nouvelle construction indépendante. Parcourir 20 m à l’extérieur en toutes saisons et par toutes conditions climatiques pour passer d’une pièce à l’autre de la maison n’était à l’évidence pas envisageable. En cela, la décision du département était également arbitraire et disproportionnée.

Enfin, le département ne se déterminait pas sur les conclusions en constatation de la nullité du refus d’autorisation de construire pour les travaux qui n’étaient manifestement pas soumis à autorisation.

19.         Le département a transmis sa duplique le 25 février 2021, persistant intégralement dans ses observations et conclusions.

La construction autorisée sur la parcelle n° 9______ ne pouvait en aucun cas être comparée à la situation du cas d’espèce. En effet, cette parcelle disposait d’un jardin bien plus important en terme de surface que celui de la recourante, qui avait permis de prévoir une extension sur le côté Est du bâtiment, soit dans la continuité et l’alignement de celui-ci, et non dans l’espace de jardin situé à l’avant de la villa. De plus l’ensemble des préavis s’était révélé favorable au projet. Partant, la recourante ne pouvait prétendre à une inégalité de traitement.

Cela démontrait au demeurant que le DT n’était pas opposé à tous travaux d’extension.

20.         Le 12 octobre 2021, le tribunal a procédé à un transport sur place. Il a réalisé seize photographies, lesquelles font parties intégrantes du procès-verbal.

a. Le tribunal a constaté, en pénétrant sur la parcelle n° 1______ depuis le jardin à l’arrière de la propriété, l’existence d’un garage donnant sur le chemin privé (parcelle n° 2______), ainsi que la présence d’un couvert à voiture sur la parcelle voisine n° 4______. Du côté de la parcelle n° 10______, la présence d’un double garage obstruait totalement la vue sur le jardin.

b. Le conseil de la recourante a fait observer l’existence d’une extension de véranda sur la parcelle n° 4______ figurant sur les plans au dossier. Il a précisé que le projet de véranda litigieux devait prendre place à 6 m de la façade originelle de la maison et que la haie séparant les parcelles nos 1______ et 4______ serait supprimée pour permettre la construction d’un corridor entre la maison et la future véranda.

c. L’autorité intimée, représentée par Madame E______, a fait part de l’étonnement du département quant à l’existence de la véranda existante. Elle a indiqué que la procédure de mise à l’inventaire de l’ensemble des maisons et des jardins était toujours en cours, cette procédure n’ayant pas avancé.

d. Monsieur F______, architecte de la recourante, a précisé que le garage au fond du jardin avait été autorisé en 1967 et la véranda en 1984 (cf. pièce 3.4 chargé partie recourante).

e. Monsieur G______, représentant de la CA, a expliqué que la commission avait considéré que les garages au fond des parcelles existaient depuis toujours, car la fiche de recensement mentionnait leur présence.

Mme E______ a précisé à cet égard que la fiche de recensement établie en 1997 (recte : 2017) constatait la situation existante.

M. G______ a indiqué que l’ensemble des huit villas avait été réalisé en 1934 par l’atelier d’architectes derrière lequel se cachait l’architecte H______. La CA considérait que le projet litigieux venait rompre la cohérence de l’ensemble et péjorer l’espace végétal du jardin en inscrivant une véranda au milieu de celui-ci. L’ensemble pris en considération était constitué des huit villas contigües et de leurs jardins. Lors de l’examen du projet de construction de la véranda existante, la CA de l’époque avait dû considérer qu’elle constituait un agrandissement de la maison et qu’elle ne contrevenait pas à la cohérence du jardin. Concernant l’existence des différents garages et couverts à voiture sur les parcelles concernées, même s’ils étaient installés de manière aléatoire, ils l’étaient toujours à l’arrière des jardins. En l’occurrence, la CA entendait préserver l’espace de verdure entre les maisons et l’arrière des propriétés. La réalisation des quelques vérandas adossées aux façades ne rompait pas l’alignement des villas tel que voulu par leur concepteur. Il était également relevé que dans le quartier, les maisons n’étaient généralement pas construites au milieu de la parcelle mais en front de rue et les cabanes en fond de jardin, le tout préservant les espaces de végétation.

Le conseil de la recourante a souligné à cet égard que les jardins de toutes ces parcelles avaient pour vocation d’être totalement invisibles depuis le chemin privé.

21.         Le 26 octobre 2021, la recourante a sollicité des précisions et rectifications quant aux légendes de certaines photographies annexées au procès-verbal du transport sur place. Elle a également sollicité que celui-ci soit complété en ce sens que le tribunal avait également pu constater la présence d’un abri voiture et d’une cabane qui obstruaient la vue sur le jardin de la parcelle n° 11______ et la végétation qui obstruait la vue sur les jardins des parcelles nos 12______, 13______ et 10______. Elle relevait que la végétation de ces parcelles était visible sur les photographies produites à l’appui de la procédure ou celles prises lors du transport sur place.

Elle a joint une photographie des constructions situées à l’arrière de la parcelle n° 11______.

22.         Le 29 octobre 2021, le département a transmis au tribunal, sur sa demande, les dossiers d’autorisation concernant la parcelle n° 4______. Hormis l’autorisation initiale datée de 1933, relative aux villas contigües (DD 14______), une APA 15______ avait été déposée le 23 avril 2020 pour la régularisation de l’agrandissement de la villa et la création d’une véranda. Cette demande d’autorisation avait fait l’objet d’un renvoi d’entrée par l’OAC, dans la mesure où la forme accélérée n’était pas celle appropriée, une demande d’autorisation définitive (DD) devant être déposée au vu de la dérogation nécessaire (art. 59 al. 4 LCI). Aucune DD n’avait toutefois été déposée depuis lors et le dossier avait été transmis à l’inspection de la construction pour suivi.

23.         Le 8 novembre 2021, la recourante a déposé des observations, persistant dans ses conclusions.

Les déclarations de M. G______ lors du transport sur place confirmaient que la CA avait fondé son préavis négatif sur des considérants de protection du patrimoine. De même, ce transport sur place avait mis en évidence que le préavis de la CA n’avait pas fait l’objet de l’attention due à l’exercice. En effet, alors même que la CA avait voulu protéger les maisons mitoyennes et leurs jardins dans l’esprit de leur concepteur, ou comme s’il s’agissait d’un « ensemble » protégé, elle avait considéré que les garages en fond des parcelles existaient depuis toujours car la fiche de recensement mentionnait leur présence. Or, il n’en était rien, puisque ces garages avaient été autorisés en 1954 (DD 16______), puis 1974 (DD 17______) et 1976 (DD 18______). Le département avait d’ailleurs relevé que le recensement présentait un constat de l’état existant, et non de la situation lors de la construction des villas. Il ressortait du projet déposé à l’époque que le bas des jardins était destiné à un terrain de jeu pour enfants. La CA, tout comme le département, n’avaient pas non plus relevé la présence du mur situé en limite de propriété sur la parcelle voisine, mur qui n’avait jamais dérangé quiconque et contre lequel la coursive de la future véranda devait venir s’adosser. Enfin, le transport sur place avait permis de confirmer que le projet de construction litigieux serait invisible de tous points de vue accessibles au public, et même du chemin privé situé au fond du jardin et, partant, qu’il n’était manifestement pas susceptible de porter préjudice à l’esthétique du « quartier », contrairement à ce qui avait été retenu abusivement dans la décision litigieuse.

24.         Par courrier du 10 novembre 2021, le tribunal a indiqué à la recourante que les demandes de compléments qu’elle avait formulées seraient évoquées dans le jugement au fond.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole les principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2).

4.             La recourante se prévaut de la nullité de la décision querellée en tant qu’elle interdit les travaux projetés à l’intérieur de la maison (agrandissement de l’espace cuisine-salle à manger, création d’un velux en toiture et percement du plancher des combles), lesquels ne seraient pas soumis à autorisation de construire.

5.             Aux termes de l’art. 1 al. 1 LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut notamment, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (let. a) et modifier, même partiellement, le volume, l’architecture, la couleur, l’implantation, la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation (let. b).

Dès que les conditions légales sont réunies, le département est tenu de délivrer l'autorisation de construire (art. 1 al. 6 LCI).

6.             Selon l’art. 1 al. 2 LCI, les travaux projetés à l’intérieur d’une villa isolée ou en ordre contigu ne sont pas soumis à autorisation de construire, pour autant qu’ils ne modifient pas la surface habitable du bâtiment. Demeurent réservées les dispositions relatives à la protection du patrimoine.

En zone à bâtir, l’édification de constructions de très peu d’importance telle que la création, en 5ème zone, de jours inclinés en toiture d’une surface totale inférieure à 1 m2, n’est pas soumis à autorisation de construire (art. 1 al. 4 et 5 LCI).

7.             D'après la jurisprudence, la nullité d'un acte commis en violation de la loi, qui peut être invoquée en tout temps, devant toute autorité et doit être constatée d'office (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_333/2007 du 24 juillet 2008 consid. 2.1), doit résulter ou bien d'une disposition légale expresse, ou bien du sens et du but de la norme en question. En d'autres termes, il n'y a lieu d'admettre la nullité, hormis les cas expressément prévus par la loi, qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire (cf. ATF 121 III 156 consid. 1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_538/2013, 6B_563/2013 du 14 octobre 2013 consid. 5.3 ; 2C_34/2013 du 21 janvier 2013 consid. 6.3). Ainsi, d'après la jurisprudence, la nullité d'une décision n'est admise que si le vice dont elle est entachée est particulièrement grave, est manifeste ou du moins facilement décelable et si, en outre, la constatation de la nullité ne met pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Des vices de procédure spécifiques comme l'incompétence de l'autorité qui a pris la décision conduisent à la constatation de la nullité de cette dernière (ATF 138 III 49 consid. 4.4.3 ; 137 I 273 consid. 3.1 ; 132 II 21 consid. 3.1 ; 129 I 361 consid. 2.1 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_538/2013, 6B_563/2013 du 14 octobre 2013 consid. 5.3 ; 2C_34/2013 du 21 janvier 2013 consid. 6.3)., mais tout vice de forme n'entraîne pas une telle conséquence. En particulier, la violation de règles qui confèrent aux parties des droits auxquels elles peuvent renoncer, comme le droit d'être entendu, est un motif d'annulabilité et non de nullité d'une décision (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 2011, p. 373 ch. 2.3.4.3) Des vices de fond n'entraînent qu'à de rares exceptions la nullité d'une décision et en réalité, la doctrine considère qu'en dehors de cas de décisions dont l'exécution est matériellement impossible, le cas de nullité paraissent appartenir à la théorie plutôt qu'à la pratique (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, op. cit. p. 376 ch. 2.3.4.6)

Il résulte ainsi en particulier de ce qui précède que l'illégalité d'une décision ne constitue pas par principe un motif de nullité (ATF 130 II 249 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_538/2013, 6B_563/2013 du 14 octobre 2013 consid. 5.3).

Dans cette mesure, en règle générale, un acte administratif illégal est simplement annulable dès lors que la plupart des décisions viciées le sont par leur contenu. Reconnaître la nullité autrement que dans des cas tout à fait exceptionnels conduirait à une trop grande insécurité ; par ailleurs, le développement de la juridiction administrative offrant aux administrés suffisamment de possibilités de contrôle sur le contenu des décisions, on peut attendre d'eux qu'ils fassent preuve de diligence et réagissent en temps utile (ATF 138 III 49 consid. 4.4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_1/2013 du 11 janvier 2013 consid. 4 ; 9C_333/2007 du 24 juillet 2008 consid. 2.1).

8.             En l’espèce, il convient de relever que les griefs formulés par la recourante contre la décision querellée concernent le fait qu’elle consacrerait une violation de l’art. 15 LCI, ainsi qu’une violation des principes de l’interdiction de l’arbitraire, de la proportionnalité, de l’égalité de traitement et du droit de la propriété. Or, même en admettant une violation de ces principes, cela ne constituerait pas, selon la jurisprudence et la doctrine rappelées ci-dessus, un vice de forme si grave qu’il conduise à devoir constater la nullité de cette décision.

Au demeurant, il ne saurait être retenu que la décision attaquée est entachée d’un vice particulièrement grave au motif qu’elle refuserait des éléments non soumis à autorisation. En effet, la demande d’autorisation de construire portait sur l’agrandissement du sous-sol et du rez-de-chaussée d’une villa contigüe, la démolition et la reconstruction d’une véranda et l’abattage d’arbres. Le département a ainsi procédé à l’instruction complète du dossier, portant sur le projet dans son ensemble, ce qui l’a conduit au prononcé de la décision litigieuse, dont le bien-fondé sera examiné ci-après. Contrairement à ce que soutient la recourante, il ne lui appartenait pas de scinder le projet en fonction de ce qui était autorisable ou non, ou soumis à autorisation ou non, et de délivrer, cas échéant, une autorisation partielle.

Partant, le grief tiré de la nullité sera écarté.

9.             La recourante soutient que le refus d’autorisation de construire basé sur l’art. 15 LCI constituerait un abus du pouvoir d’appréciation du département. Elle estime que le département aurait fait une interprétation insoutenable de cette disposition et violé les principes généraux du droit et du droit de propriété.

10.         Selon la jurisprudence consacrée, conformément aux principes régissant l'aménagement du territoire, il convient de veiller à ce que les constructions prises isolément ou dans leur ensemble ainsi que les installations s'intègrent dans le paysage (art. 3 al. 2 let. b de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 - LAT - RS 700).

11.         À teneur de l'art. 15 LCI, intitulé « esthétique des construction », le département peut interdire ou n'autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l'intérêt d'un quartier, d'une rue ou d'un chemin, d'un site naturel ou de points de vue accessibles au public (al. 1). La décision du département se fonde notamment sur le préavis de la CA ou, pour les objets qui sont de son ressort, sur celui de la CMNS. Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou les services compétents du département (al. 2).

12.         La clause d'esthétique de l'art. 15 LCI fait appel à des notions juridiques imprécises ou indéterminées, dont le contenu varie selon les conceptions subjectives de celui qui les interprète et selon les circonstances de chaque cas d'espèce ; ces notions laissent à l'autorité un large pouvoir d'appréciation, celle-ci n'étant limitée que par l'excès ou l'abus de celui-ci. Lorsqu'elle estime que l'autorité inférieure est mieux en mesure d'attribuer à une notion juridique indéterminée un sens approprié au cas à juger, l'autorité de recours s'impose alors une certaine retenue. Il en va ainsi lorsque l'interprétation de la norme juridique indéterminée fait appel à des connaissances spécialisées ou particulières en matière de comportement, en matière de technique, en matière économique, en matière de subventions et en matière d'utilisation du sol, notamment en ce qui concerne l'esthétique des constructions (ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3d ; ATA/639/2020 du 30 juin 2020 consid. 4c ; ATA/45/2019 du 15 janvier 2019 consid. 5b ; André GRISEL, Traité de droit administratif, 1984, p. 332 s ; Blaise KNAPP, Précis de droit administratif, 1991, nos 160-169 p. 34-36).

13.         L'application de la clause d'esthétique n'est pas réservée à des sites protégés ou présentant des qualités esthétiques remarquables, même si ces critères peuvent entrer en ligne de compte. Il faut et il suffit que l'installation apparaisse déraisonnable compte tenu de son environnement (arrêts du TF 1C_360/2018 du 9 mai 2019 consid. 4.2.3 et 1C_520/2012 du 30 juillet 2013 consid. 2.5).

14.         Selon la jurisprudence, une clause d'esthétique ne doit pas être appliquée de manière à vider pratiquement de sa substance la réglementation sur les zones en vigueur (ATF 115 Ia 118 consid. 3d ; ATF 114 Ia 345 consid. 4b). Lorsqu'un plan de zones prévoit que des constructions d'un certain volume peuvent être édifiées dans tel secteur du territoire, une interdiction de construire fondée sur une clause d'esthétique, en raison du contraste formé par le volume du bâtiment projeté, ne peut se justifier que par un intérêt public prépondérant. Il faut que l'utilisation des possibilités de construire réglementaires apparaisse déraisonnable. Tel sera par exemple le cas s'il s'agit de protéger un site, un bâtiment ou un ensemble de bâtiments présentant des qualités esthétiques remarquables, qui font défaut à l'immeuble projeté ou que mettrait en péril sa construction (ATF 101 Ia 213 consid. 6c; 115 Ia 114 consid. 3d ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_520/2012 du 13 juillet 2013 consid. 2.3).

15.         À propos des clauses d’esthétiques en droit public des constructions valaisan, la jurisprudence a posé que l’intégration demandée par ce type de clauses n’était pas une fin en soi, mais un moyen d’assurer que le site ou le quartier en cause continuent à offrir au regard une impression somme toute satisfaisante (arrêt de la Cour de droit public A1 13 403 du 4 avril 2014, in RVJ 2015 p. 29 consid. 3.2 ; A1 13 232 du 21 juin 2013, in RVJ 2014 consid. 5.1), le but de ces normes étant d’éviter que le projet ne rompe ou n’affecte l’apparence caractéristique des lieux, mais pas de contraindre un constructeur à aligner l’apparence de son projet sur celle des installations ou bâtiments voisins (arrêt de la Cour de droit public A1 13 403 du 4 avril 2014 consid. 3.2, in RVJ 2015 p. 29 ; RVJ 2014 précité consid. 3.2). Afin de déterminer si, après une éventuelle réalisation du projet, le site ou le quartier continuait à offrir au regard une impression somme toute satisfaisante, il faut pronostiquer son apparence future et celle de ses environs et les comparer à l’aspect actuel des lieux (RVJ 2015 précité consid. 3.3 ; RVJ 2014 précité consid. 3.2).

16.         Dans le cadre de l’application de la clause d’esthétique, les autorités administratives bénéficient d’une grande latitude de jugement qu’elles doivent toutefois exercer selon une approche systématique. La question de l’intégration d’une construction ou d’une installation au sein de l’environnement bâti d’un site doit en effet être résolue sur la base de critères objectifs et fondamentaux, et non en fonction du sentiment subjectif de l’autorité ; en tous les cas, l’autorité compétente doit indiquer les raisons pour lesquelles elle considère qu’une construction ou une installation serait de nature à enlaidir le site (ATF 115 Ia 363 consid. 3b; 114 Ia 343 consid. 4b; arrêts TF 1C_80/2015 du 22 décembre 2015 consid. 2.5; 1C_133/2010 du 4 juin 2010 consid. 2.2; arrêt TC FR 602 2019 5 du 29 octobre 2019 consid. 2.1). On ajoute que, dans ce domaine, les autorités locales disposent d'un large pouvoir d'appréciation (cf. ATF 132 II 408 consid. 4.3 et les références citées; arrêt TF 1P.678/2004 du 21 juin 2005 consid. 4, in ZBl 2006 p. 430

). C'est le cas notamment lorsqu'il s'agit de savoir si une construction ou une installation est de nature à compromettre l'aspect ou le caractère d'un site, d'une localité, d'un quartier ou d'une rue (ATF 115 Ia 114 consid. 3d ; 115 Ia 363 consid. 3b ; arrêt P.265/1985 du 16 avril 1986 consid. 3 in RDAF 1987 p. 155).

17.         Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). Ils n'ont qu'un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l'autorité reste ainsi libre de s'en écarter pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur. Lorsque la consultation d'une instance de préavis est imposée par la loi, son préavis a néanmoins un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours et il convient de ne pas le minimiser (ATA/934/2019 du 21 mai 2019 consid. 8c ; ATA/537/2017 du 9 mai 2017 consid. 4c ; ATA/956/2014 du 2 décembre 2014 et les références citées).

18.         L'autorité chargée d'appliquer la loi dispose d'un pouvoir d'appréciation lorsque celle-ci lui laisse une certaine marge de manœuvre, laquelle peut notamment découler de la liberté de choix entre plusieurs solutions, ou encore de la latitude dont l'autorité dispose au moment d'interpréter des notions juridiques indéterminées contenues dans la loi. Bien que l'interprétation de notions juridiques indéterminées relève du droit, que le juge revoit en principe librement, le juge doit néanmoins restreindre sa cognition lorsqu'il résulte de l'interprétation de la loi que le législateur a voulu, par l'utilisation de telles notions, reconnaître à l'autorité de décision une marge de manœuvre que le juge doit respecter, étant précisé que cette dernière ne revient pas à limiter le pouvoir d'examen du juge à l'arbitraire. Viole le principe de l'interdiction de l'arbitraire le tribunal, qui, outrepassant son pouvoir d'examen, corrige l'interprétation défendable qu'une autorité disposant d'autonomie a opérée d'une norme déterminée (ATF 140 I 201 consid. 6.1 et les différents arrêts cités).

19.         Selon une jurisprudence bien établie, chaque fois que l'autorité inférieure suit les préavis requis, la juridiction de recours doit s'imposer une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des entités ayant formulé un préavis dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation, pour autant que l'autorité inférieure ait suivi l'avis de celles-ci. Elle se limite à examiner si le département ne s'est pas écarté sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/896/2021 du 31 août 2021 consid. 4d ; ATA/155/2021 du 9 février 2021 consid. 7c et 10e ; ATA/1311/2020 du 15 décembre 2020 consid. 7d ; ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3e ; ATA/1098/2019 du 25 juin 2019 consid. 2e).

Ainsi, en particulier, lorsque la consultation de la CA est imposée par la loi, l'autorité de recours observe une certaine retenue dans son pouvoir d'examen, lorsque le DT a suivi son préavis ; en effet, la CA, composée essentiellement de spécialistes, est plus à même de prendre position sur des questions qui font appel aux connaissances de ces derniers qu'une instance composée de magistrats (cf. not. ATA/514/2018 du 29 mai 2018 consid. 4a ; ATA/1186/2017 du 22 août 2017 consid. 6c ; ATA/521/2017 du 9 mai 2017 consid. 5e et les références citées ; ATA/442/2015 du 12 mai 2015 consid. 5c ; ATA/634/2014 du 19 août 2014 consid. 6 ; ATA/720/2012 du 30 octobre 2012 consid. 10, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_635/2012 du 5 décembre 2013 ; ATA/385/2011 du 21 juin 2011 consid. 4b, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1C_362/2011 du 14 février 2012).

En l'état de la législation, les préavis, en particulier lorsqu'ils sont obligatoires, ont un poids certain. Toutefois, ce poids n'oblige jamais l'administration à les suivre, pour autant qu'elle ait des motifs d'agir ainsi. De plus, lorsque deux préavis obligatoires sont opposés, aucun d'entre eux n'a une prééminence automatique sur le second. Il appartient à l'autorité d'en apprécier globalement les motifs avant de rendre sa décision (ATA/724/2020 du 4 août 2020 consid. 3f).

20.         L'autorité de recours peut apprécier librement le caractère esthétique d'une construction lorsque d'une part, elle a elle-même procédé à un transport sur place et à une instruction complète de la cause et que, d'autre part, elle a à faire à des préavis divergents, des préavis empreints d'éléments subjectifs sortant du cadre de la seule appréciation de l'impact d'une construction, ou encore à des préavis ne répondant pas aux exigences légales. Dans les autres cas, l'autorité de recours suit en principe les préavis (RDAF 2010 p. 159, 175). En application de ces principes, le Tribunal administratif, devenu depuis le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a confirmé l'autorisation de construire un couvert à voiture, le juge ayant constaté lors d'un transport sur place que l'ensemble architectural du quartier ne représentait pas une identité particulière (ATA/401/2009 du 25 août 2009).

21.         La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Le juge ne se fonde cependant sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 137 IV 180 consid. 3.4). En revanche, lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause, il y a lieu de déroger au sens littéral d'un texte clair (ATF 137 I 257 consid. 4.1) ; il en va de même lorsque le texte conduit à des résultats que le législateur ne peut avoir voulus et qui heurtent le sentiment de la justice et le principe de l'égalité de traitement (ATF 135 IV 113 consid. 2.4.2). De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi (ATF 135 II 78 consid. 2.2). Si le texte n'est ainsi pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1). Le juge ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme (ATF 139 IV 270 consid. 2.2 ; 137 IV 180 consid. 3.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_839/2015 du 26 mai 2016 consid. 3.4.1 ; 1C_584/2015 du 1er mars 2016 consid. 4.1).

22.         En l’espèce, le refus d’autorisation du département est fondé sur le préavis défavorable de la CA, qui a estimé que le projet venait rompre la logique d’ensemble que représentaient les huit villas mitoyennes et péjorait de façon inadmissible l’espace végétalisé.

Le préavis de la CA, obligatoire dans le cadre de l’application de l’art. 15 LCI, a été suivi par l’autorité intimée, de sorte qu’il revêt un poids particulier dans l’appréciation de l’autorité de recours, le tribunal se devant dès lors d’observer une certaine retenue.

La recourante soutient que le prévis de la CA ne serait pas pertinent, car cette instance n’aurait pas examiné l’esthétique du projet par rapport à son environnement, à savoir le « quartier » ou un autre point de vue accessible au public, mais par rapport à la valeur intrinsèque des huit villas concernées et de leurs jardins, soit des considérations patrimoniales étrangères à l’art. 15 LCI. Elle estime que la notion de « quartier » ne saurait se résumer à huit villas contigües sans voie d’accès ouverte au public et reproche à la CA d’avoir manqué d’attention dans l’examen de la situation.

S’agissant de la portée du champ d’application de la clause d’esthétique de l’art. 15 LCI, la lecture et/ou l'interprétation de l'art. 15 LCI à laquelle procède la recourante, selon laquelle cette disposition ne viserait que les constructions accessibles ou visibles du public, ne saurait être suivie. Cette disposition contient une clause d’esthétique générale, applicable à toutes les constructions, quel que soit la zone concernée (cf. RDAF 2020 I p. 159, 178). Son texte est parfaitement clair : il soumet « toute construction » à la clause d’esthétique, laquelle doit être bien intégrée à son environnement. En particulier, la notion de visibilité ou d’accessibilité au public n’est, à rigueur de texte, pas déterminante, si ce n’est pour les « points de vue ». Une telle distinction – entre les constructions accessibles et/ou visibles de l’extérieur et celles qui ne le seraient pas – serait par ailleurs difficilement compréhensible dès lors toute construction nouvelle entraîne – de fait – une modification durable de l’environnement et, à l’heure de la densification, une construction « invisible » du public aujourd’hui pourrait ne plus l’être demain. Aussi, le fait que le projet querellé ne soit pas visible depuis l’espace public en l’espèce n’est pas déterminant, étant au demeurant relevé que la construction sera à tout le moins visible pour les habitants des deux villas contigües voisines (cf. ATA/687/2002 du 12 novembre 2002 consid. 9). Il en va de même du fait que les deux voisins concernés aient donné leur accord, l’approbation de ces derniers n’étant une condition ni nécessaire ni suffisante pour entraîner la délivrance d’une autorisation de construire.

S’agissant de la notion de « quartier », il y a lieu de relever, à l’instar de l’autorité intimée, que l’art. 15 LCI ne donne pas de définition précise du périmètre à prendre en compte. De par l’utilisation des termes « quartier », « rue », « chemin », « site naturel » ou « points de vue accessibles au public », cette disposition laisse une certaine marge d’appréciation à l’autorité quant à l’étendue territoriale à prendre en considération, laquelle est évaluée au cas par cas (cf. ATA/1304/2018 consid. 7 b et c). Dans un jugement récent, le tribunal de céans a ainsi confirmé que l’harmonie à protéger au sens de l’art. 15 LCI pouvait s’inscrire dans un quartier, mais également dans un ensemble beaucoup plus petit qu’un quartier, soit notamment une rue ou un chemin, ou encore d’un simple point de vue accessible au public (JTAPI/294/2021 du 23 mars 2021).

23.         En l’occurrence, il ressort du préavis de la CA du 7 juillet 2020 que celle-ci a fait porter son analyse à l’échelle des huit villas contigües - auquel appartient celle de la recourante - et leurs jardins. Elle estime que le projet litigieux, de par sa forme (longitudinale avec des abords étroits) et son implantation en milieu de jardin, rompt la logique d’ensemble que représentent les villas mitoyennes et péjore l’espace végétalisé.

Faisant sien le préavis précité, le département a refusé l’autorisation sollicitée au motif que le projet « nuirait au caractère et à l’intérêt de ce groupe de villas contigües (rupture de la logique d’ensemble ; péjoration des espaces) et porterait en outre atteinte à la végétation tout comme à l’esthétique et la qualité des lieux, impactant dès lors négativement ce quartier ». Celui-ci considère en effet que le groupe de huit villas et son espace végétalisé représentent, au vu de ses particularités, un élément caractéristique de la rue et du quartier en question, de par la disposition des villas contigües qui a permis la préservation d’une grande partie du terrain aménagé en jardins privés.

Sur le premier point (rupture de la logique d’ensemble), il convient de rappeler que la villa de la recourante n’est ni classée ni inscrite à l’inventaire. Elle fait partie certes d’un ensemble de villas contigües qui a fait l’objet de la note « intéressant » au recensement architectural du canton. Cependant, et malgré l’ouverture d’une procédure de mise à l’inventaire en 2004, cet « ensemble » ne bénéficie à l’heure actuelle toujours d’aucune mesure de protection. La représentante du département a du reste confirmé que cette procédure n’avait pas avancé. Dans cette mesure, la critique formulée par la CA à l’encontre du projet, en tant qu’elle se rapporte à la valeur intrinsèque des huit villas contigües, soit des considérations d’ordre patrimonial, n’est pas pertinente dans le cas d’espèce. À cela s’ajoute que, lors du transport sur place, le tribunal a pu constater que la rangée de villas avait déjà subi plusieurs modifications de par les divers agrandissements et ajouts successifs – autorisés ou non – réalisés en façades ainsi qu’aux deux extrémités de l’ensemble des bâtiments, la dernière extension ayant été autorisée en 2017 (DD 19______, cf. pièce 3.4 recourante).

Sur le deuxième point (péjoration de l’espace végétalisé), la position de la CA est également discutable. Il ressort en effet des pièces produites et des constations faites sur place par le tribunal que la configuration actuelle des jardins est aujourd’hui passablement éloignée de sa configuration originelle : comme le relève la recourante, le bas des jardins était destiné à un terrain de jeux pour enfants selon les plans de 1933 et diverses constructions (garages, couverts à voiture et cabanes de jardins), accessibles par le chemin privé aménagé sur la parcelle n° 2______, ont été érigées au fond des jardins privatifs, la plus ancienne ayant été autorisée en 1957 (DD 16______ ; cf. pièce 3.4 recourante). Ces aménagements, outre d’empiéter sur les jardins, dénaturent l’espace de verdure tel qu’il a été conçu et leur aspect hétéroclite et leur disposition aléatoire péjorent encore davantage la cohérence de cet ensemble. Le transport sur place a également permis de mettre en évidence que, lors de l’examen du projet querellé, la CA a – à tort – considéré que les garages au fond des parcelles existaient depuis toujours, son représentant ayant indiqué que cette instance s’était basée sur la fiche de recensement établie en 2017 – qui présente un constat de l’état existant et non de la situation lors de la construction des villas – pour établir son préavis. Il apparaît donc que cette instance n’a pas examiné correctement la situation.

Par conséquent, le département aurait dû, au vu des développements qui précèdent, s’écarter du préavis de la CA.

24.         Reste à déterminer si le département a abusé de son pouvoir d’appréciation en refusant de délivrer l’autorisation de construire sollicitée sur la base de l’art. 15 LCI, étant relevé que, dès lors que le tribunal a notamment procédé à un transport sur place, il peut librement examiner la question de la conformité du projet litigieux avec l’esthétisme du quartier.

25.         En l’occurrence, le tribunal constate que le projet querellé, en prévoyant une extension détachée de la façade, permettra de retrouver son aspect d’origine, tout en offrant un dégagement de 6 m à la villa. Le fait que cette extension soit entièrement vitrée (excepté pour la toiture) offrira de plus une perspective jusqu’en fond de parcelle. De par ses dimensions modestes, le projet permettra en outre de conserver une bonne partie de l’espace de jardin à l’arrière de la véranda (environ 26 m de longueur selon le plan de situation produit en pièce 21 par la recourante). Si certes le projet modifiera l’aspect de l’ensemble, constitué des huit villas contigües et leurs jardins, il sied de relever, comme vu précédemment, que tant le corps du bâtiment principal que les jardins si caractéristiques du lieu ont déjà subi plusieurs modifications depuis leur réalisation. En outre, il ressort des photographies produites et des outils accessibles depuis internet (Goole map, SITG) que les immeubles situés à proximité du groupe de villas contigües ne forment pas un ensemble homogène. En face de la villa de la recourante se trouvent deux barres d’immeubles de logements avec arcades commerciales aux rez. Le long de la route de C______, ainsi que le long du chemin de I______, ont été réalisés un certain nombre d’habitats groupés. Pour le reste, le quartier, majoritairement résidentiel, est constitué principalement de villas individuelles. Enfin, il est relevé, qu’indépendant de leur type, la plupart des habitations comprenne des annexes, construites soit dans le prolongement direct, soit séparées du bâtiment principal.

Vu le caractère hétéroclite du voisinage, il ne saurait ainsi être retenu que le projet nuirait à l’intérêt du quartier ou de la rue. Il ne peut davantage être retenu que le projet viendrait rompre la logique d’ensemble que représentait les huit villas contigües et péjorer l’espace végétalisé, dès lors que, selon les constatations faites sur place par le tribunal, l’esthétique du lieu a déjà été atteint par les diverses extensions réalisées en façade et au fond des jardins.

Au vu des développements qui précèdent, il y a lieu de retenir que le projet ne contrevient pas au principe d’esthétique des constructions, prévu à l'art. 15 LCI. Par conséquent, le refus du département fondé sur cette disposition est infondé, étant relevé que toutes les autres instances consultées, et notamment la commune, ont émis des préavis favorables. Ce refus apparaît également disproportionné dans la mesure où un agrandissement en fond de parcelle, tel que proposé par l’autorité intimée, n’aurait assurément pas la même fonction qu’une extension directement reliée au bâtiment principal.

26.         Subsidiairement, l’autorité intimée motive sa décision de refus par une violation de l’art. 79 LCI.

27.         Selon cette disposition, en 5ème zone, sous réserve des murs de soutènement et des murets de 80 cm de hauteur au maximum, le département peut refuser les murs séparatifs qui ne sont pas intégrés à un bâtiment.

L’art. 79 LCI a été introduite lors de la modification de la LCI en 1988. Elle concrétise une volonté d'éviter la prolifération de murs en zone villas, dont la justification n'est pas établie et qui seraient nuisibles à l'environnement et à l'esthétique des lieux (Mémorial du Grand Conseil genevois [MGC] 1988/II 1643 ; ATA/1065/2018 du 9 octobre 2018 consid. 3c et la référence citée ; ATA/1382/2017 du 10 octobre 2017 consid. 5 ; ATA/1357/2017du 3 octobre 2017 consid. 4a), le but consistant à éviter une impression de cloisonnement, décrite par le Tribunal fédéral comme incompatible avec ce type de quartier (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_370/2015 du 16 février 2016 consid. 4.2 ; ATA/1065/2018 du 9 octobre 2018 consid. 6).). Il a été convenu, dans le rapport de la commission parlementaire, que le département ne refuserait les murs séparatifs que si ceux-ci faisaient l'objet d'un préavis négatif de la commission consultative compétente ou si le requérant n'apportait pas de justifications suffisantes à leur réalisation (MGC 1988/II 1628; ATA/1828/2019 du 17 décembre 2019 consid. 7c ; ATA/1065/2018 du 9 octobre 2018 consid. 3c ; ATA/1382/2017 du 10 octobre 2017 consid. 5 ; ATA/1357/2017 du 3 octobre 2017 consid. 4a et 6a; ATA/20/2015 du 6 janvier 2015).

28.         Ni la LCI, ni le RCI ne contiennent de définition de la notion de « mur ».

Selon le dictionnaire Larousse en ligne, un mur est un ouvrage en maçonnerie, en terre, en pan de bois ou de fer, en panneaux divers, qui, dans un plan généralement vertical, sert à enclore un espace, à soutenir des terres, à constituer les côtés ou les divisions d'un bâtiment et à en supporter les étages (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/mur/53888).

29.         Dans un arrêt récent, la chambre administrative, retenant que, « selon la définition courante du terme, un mur est un ouvrage élevé sur une certaine longueur pour constituer le côté d'un bâtiment, enclore ou séparer des espaces », a précisé que « constituent un mur, au sens des art. 79 et 112 LCI, toutes les installations fixées dans le sol créant une séparation visuelle entre les deux côtés de l'installation » (ATA/1828/2019 du 17 décembre 2019 consid. 6c).

30.         En l’espèce, la position du département ne saurait être suivie.

Comme le relève en effet la recourante, l’art. 79 LCI s’applique expressément aux murs mitoyens séparatifs qui ne sont pas intégrés à un bâtiment, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque le « mur » dont il est ici question est intégré à la villa de la recourante : il fait partie intégrante de la coursive menant à la véranda, constituant le côté de cette construction.

31.         En conclusion, aucun motif ne justifiait le refus d’autorisation de construire DD 3______, qui doit être délivrée à la recourante.

Le recours sera donc admis, la décision attaquée annulée et le dossier renvoyé au département pour qu’il délivre l’autorisation de construire sollicitée.

32.         Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs formulés par la recourante (violation des principes de proportionnalité et de l’égalité de traitement et du droit de propriété).

33.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui obtient gain de cause, est exonérée de tout émolument ; l’avance de frais de CHF 900.-, versée à la suite du recours, lui sera restituée.

34.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 2’000.-, à la charge de de l’État de Genève, soit pour lui l’autorité intimée, sera allouée à la recourante, à titre de dépens (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 5 octobre 2020 par A______ contre la décision du département du territoire du 3 septembre 2020 (DD 3______) ;

2.             l'admet ;

3.             annule cette décision ;

4.             renvoi le dossier au département du territoire pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

5.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution à la recourante de l’avance de frais de CHF 900.- ;

6.             condamne l’État de Genève, soit pour lui le département du territoire, à verser à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 2’000.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, Saskia RICHARDET VOLPI et Diane SCHASCA, juges assesseures.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier