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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/975/2024

ATA/1314/2024 du 12.11.2024 ( AMENAG ) , REJETE

En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/975/2024-AMENAG ATA/1314/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 novembre 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OPS intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ est propriétaire de la parcelle no 7’846, feuille 45 du cadastre de B______ (ci-après : la commune). Sur ce bien-fonds, d’une surface de 1’801 m2, sis en cinquième zone de construction a été érigé, entre 1959 et 1960, un bâtiment d’habitation à un seul logement no 1______, d’une surface au sol de 214 m2, à l’adresse ______, chemin C______ à D______.

b. Cette villa fait partie d’un ensemble de quatre villas (bâtiments nos 1______, 2______, 3______ et 4______) construit au lieu-dit « E______ », œuvre des architectes genevois Michel FREY (1931-1994) et Jean ROGG (1939-2007), sur les parcelles nos 7’846, 6’435, 6’629 et 6’751, aux adresses respectives ______ et ______, chemin C______, ______ et ______, route F______.

B. a. Le 27 mai 2022, une requête en autorisation de démolir portant sur le bâtiment no 1______ ainsi que sur trois autres villas ne faisant pas partie de l’ensemble susmentionné, dont une sise sur la parcelle no 7’847, a été déposée par la G______ SA (ci-après : G______) auprès du département du territoire (ci‑après : le département) et a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) dans son édition du 15 juin 2022.

Une promesse de vente et d’achat pour un montant de CHF 4'850’000.- avait été signée entre le propriétaire et des sociétés de promotion immobilière les 15 juillet 2021 et 9 juin 2022 en vue de la réalisation de ce projet.

b. Le 10 août 2022, la commune a préavisé défavorablement la démolition de la villa no 1______, en raison de son appartenance à un ensemble représentatif du patrimoine communal.

c. Le 21 septembre 2022, un représentant du service de l’inventaire des monuments et des sites (ci-après : IMAH) a effectué une visite du bâtiment no 1______ dans le cadre de l’instruction de la demande de démolition.

À teneur du rapport de visite, la villa présentait un intérêt patrimonial : d’un point de vue architectural, les quatre villas, dont le bâtiment no 1______, prenaient clairement leur source du côté de l’architecture américaine de l’après-guerre, en particulier de celle de la côte californienne où s’était déployé le programme dit des Case Study Houses entre 1945 et 1966. En dépit de transformations malheureuses, mais superficielles qui avaient fini par altérer le caractère moderne de la villa (en particulier dans son aspect intérieur), celle-ci avait su conserver l’essentiel de sa substance architecturale et sa matérialité d’origine. Il convenait de considérer la villa comme un objet « intéressant » selon les critères du recensement architectural du canton de Genève.

d. Le 22 septembre 2022, l’association Patrimoine Suisse Genève (ci-après : PSGe) a formulé une demande d’inscription à l’inventaire du groupe de villas de « E______ ».

e. Dans un préavis du 6 octobre 2022, le service des monuments et des sites (ci‑après : SMS) s’est prononcé en faveur d’une modification du projet de démolition, lequel devait prévoir le maintien du bâtiment no 1______ en raison de son intérêt patrimonial.

f. Le 6 octobre 2022, le département a ouvert une procédure d’inscription à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés du bâtiment no 1______ et de la parcelle no 7’846, invitant le propriétaire et la commune à lui faire part de leurs observations.

g. Le 25 octobre 2022, la sous-commission 3 de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) s’est déclarée favorable à l’inscription à l’inventaire des quatre villas et des quatre parcelles composant l’ensemble de type californien.

Les villas affirmaient une modernité radicalement avant-gardiste – encore rare à Genève – que les architectes revendiquaient et empruntaient aux célèbres Case Study Houses californiennes. Malgré des modifications, les villas avaient gardé leur authenticité matérielle.

Pauline NERFIN, membre de la CMNS et co-présidente de PSGe, n’avait pas siégé dans la sous-commission 3 et n’avait pas pris part ni à l’instruction de la demande ni à l’adoption du préavis.

h. Le 2 novembre 2022, la commune s’est déclarée favorable à l’inscription à l’inventaire des quatre parcelles et des quatre bâtiments.

i. Le 31 janvier 2023, le propriétaire s’est opposé à l’inscription à l’inventaire du bâtiment no 1______ et de la parcelle no 7’846.

Le bâtiment ne présentait pas d’intérêt patrimonial suffisant en raison du mauvais état de conservation. Les travaux d’assainissement et de remise aux normes seraient particulièrement dispendieux. La mesure dévaluerait la parcelle et en empêcherait la densification. La mesure ne répondait pas à un intérêt public et était disproportionnée.

Il a transmis, le 24 février 2023, une « étude économique sur la remise en état afin de louer » réalisée par le bureau d’ingénieurs H______ Sàrl (ci‑après : H______) portant sur des travaux d’assainissement et autres pour un coût total de CHF 534’461.-.

j. Le 8 juin 2023, le département a transmis au propriétaire des analyses de coûts de rénovation réalisées par l’office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS) afin de déterminer les implications financières d’une mesure d’inscription à l’inventaire sur les travaux de rénovation envisagés par le propriétaire – en particulier sur les menuiseries extérieures qui étaient des travaux touchant à la préservation patrimoniale du bâtiment, ainsi qu’un devis estimatif établi par l’entreprise I______ SA (ci-après : I______) concernant précisément l’amélioration énergétique des menuiseries métalliques extérieures ainsi que des travaux d’étanchéité, d’électricité, de chauffage et ventilation, de plâtrerie et peinture ainsi que d’aménagement extérieur. Compte tenu des devis et de la subvention d’un montant de 10% qui pourrait être octroyée en cas d’inscription à l’inventaire, le montant total des travaux s’élèverait à CHF 448’264.- TVA comprise.

k. Le plan du recensement architectural du canton de Genève (RAC - 2022) validé par la commission scientifique de suivi le 7 juin 2023, a attribué la valeur « intéressant » au bâtiment no 1______ ainsi qu’aux trois autres villas de l’ensemble. La fiche descriptive retenait qu’elles n’avaient pas subi de transformations importantes et conservaient leur substance et intégrité architecturales. L’ensemble méritait une valeur patrimoniale élevée.

l. Le 5 juillet 2023, la requête en autorisation de démolir initiale a été modifiée et n’a plus eu pour objet la parcelle no 7’846 ni deux autres parcelles mais uniquement la parcelle no 7’847. La démolition du bâtiment construit sur la parcelle no 7’847 a ensuite été préavisée favorablement par la commune et autorisée le 29 janvier 2024 par le département.

m. Le 31 août 2023, le propriétaire a complété son opposition, faisant état de divers devis pour des travaux s’élevant à un total de CHF 884’363.40 hors TVA. Un devis pour les fenêtres de l’entreprise J______ SA (ci-après : J______) pour CHF 319’565.- hors TVA était transmis. Il alléguait devoir rembourser son hypothèque pour un montant de CHF 1’050’000.- au 30 septembre 2024.

n. Le 17 octobre 2023, un représentant du SMS, accompagné de l’entreprise I______, s’est rendu sur place afin d’examiner en détail les vitrages ainsi que les menuiseries métalliques extérieures et leur état. Il a été constaté que seul le remplacement des vitres par de nouvelles vitres isolantes était nécessaire.

Par un nouveau devis du 20 décembre 2023, I______ a estimé le coût des travaux à CHF 146’593.- hors TVA et CHF 157’880.65 TVA comprise. Avec ce devis, le montant total des travaux se montait à CHF 472’278.- TVA comprise.

o. Les 20 octobre et 11 décembre 2023, le propriétaire a réitéré son opposition et transmis une expertise de l’entreprise K______ SA selon laquelle il pourrait être conseillé de remplacer les menuiseries métalliques de la villa dans le cadre d’un changement de vitrage.

Il a encore relevé par courriers des 2 septembre, 23 novembre 2023, 15 et 26 janvier et 8 février 2024 une contradiction portant sur l’évaluation de l’état de conservation de l’intérieur de la villa entre le préavis du SMS du 5 octobre 2022 et le rapport de visite du 21 septembre 2022.

p. Par arrêté du 21 février 2024, le département a approuvé l’inscription à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés du bâtiment no 1______ et de la parcelle no 7’846, feuille 45 du cadastre de la commune.

Par arrêtés séparés du même jour, le département a approuvé l’inscription à l’inventaire des trois autres parcelles et villas de l’ensemble. Aucune opposition n’a été formée contre ces trois décisions.

C. a. Par acte du 20 mars 2024, A______ a formé recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêté de mise à l’inventaire, concluant principalement à sept conclusions, formulées de la façon suivante : « Partant, rejeter dans toutes ces conclusions l’arrêt du département du territoire du 21 février 2024 […] » ; « constater de la part de l’office du patrimoine et des sites qu’il existe bien des circonstances de nature à faire suspecter une partialité et qu’elle est de nature arbitraire » ; « constater la violation du droit d’être entendu de la commune de B______ et ordonner l’irrecevabilité de la mise à l’inventaire ; constater la violation de la Loi sur les commissions officielles (LCOf) ; constater la violation des statuts PSGe des deux co-présidents et ordonner l’irrecevabilité de la mise à l’inventaire ; reconnaître le fondement de la disproportion économique et du principe de proportionnalité ; avec suite de frais judiciaires et dépens ».

Préalablement, il sollicitait la production du procès-verbal de la CMNS 3 du 25 octobre 2022. Il avait demandé le 7 mars 2024 à la CMNS la transmission des procès-verbaux des séances concernant sa villa ainsi que la liste des participants. Il lui avait été répondu le 12 mars 2024, par le président de la CMNS, qu’il n’y avait pas de procès-verbaux et que la liste des participants ne lui était pas accessible car il ne disposait pas d’un intérêt digne de protection.

Il détaillait les travaux à effectuer dans sa propriété pour qu’elle puisse être louée. Le montant total des travaux devisés était de CHF 903’908.50 duquel il fallait déduire CHF 31’956.60 de subventions pour les menuiseries et couvertures, ajouter CHF 6’000.- d’hébergement et CHF 1’050’000.- de remboursement d’hypothèque, soit un total CHF 1’998’809.- TVA comprise.

Il produisait un rapport de Gilbert FREY, frère de l’architecte qui avait été son associé entre 1965 et 1972. Celui-ci retenait à propos de la villa : « de trop nombreuses transformations l’ont éloignée de l’image originelle. Elle a pratiquement tout perdu de son caractère architectural. J’en veux pour preuve par exemple, la disparition totale des briques de parement, qui faisait partie de son image ».

La maison était difficilement comparable avec l’œuvre grandiose des architectes Gaillard (villa Gaillard 1954-1955), Brera et Waltenspühl (villa Maier 1956-1958), villas citées dans le rapport de la CMNS.

Il souffrait de problèmes de santé induits par la procédure déraisonnable. Sa santé était plus importante que la conservation à tout prix d’un bien peu qualitatif, tombant en décrépitude, disproportionné et insoutenable dans son coût de préservation.

À l’intérêt public lié au témoin d’un style architectural, s’opposait une villa dénaturée avec des éléments originels disparus, une image d’ensemble estompée avec le temps, des matériaux vieillissants et très usés, un gouffre énergétique et un assainissement coûteux, une densification de la parcelle souhaitée par la planification cantonale et communale, une évaluation du prix de la parcelle, des architectes d’importance secondaire et des répliques existantes. La décision litigieuse avait pour conséquence une disproportion économique, une expropriation, des souffrances psychologiques et physiques, une faillite.

L’OPS était responsable du dommage, étant donné que la demande initiale de démolition avait dû être remaniée suite au préavis du SMS du 6 octobre 2022 excluant sa villa sous promesse de vente, ce qui causerait probablement sa faillite personnelle.

La PSGe n’avait pas respecté ses statuts et la demande d’observations avait été envoyée par le département à la co-présidente également membre de la CMNS.

La CMNS n’avait pas produit les procès-verbaux alors qu’il existait un droit d’accès à ces procès-verbaux. Il avait des doutes sur la récusation de Pauline NERFIN dans la décision.

Sous l’angle de la proportionnalité, il était indispensable de tenir compte des trois autres répliques réalisées par les mêmes architectes. Celles-ci étaient restées dans leur état originel alors que pour sa propriété, les frais à engager seraient exorbitants et insupportables.

b. Le 22 avril 2024, l’OPS a conclu au rejet du recours et répondu point par point aux griefs.

La demande d’instruction complémentaire était sans objet.

Le bâtiment no 1______ présentait un intérêt patrimonial incontestable et élevé, à l’instar des trois autres villas identiques qui avaient également fait l’objet d’une mesure de protection. L’intérêt patrimonial élevé primait sur celui lié à la construction de logements, conformément aux préavis de la CMNS et de la commune.

Une partie importante du devis de l’entreprise J______ produite par le recourant concernait des travaux qui ne pouvaient être considérés comme déterminants sous l’angle patrimonial. Le montant de CHF 534’461.- pouvait apparaître comme non négligeable mais le recourant ne démontrait pas qu’il entraînerait des conséquences insupportables pour lui. De plus, ces travaux pourraient donner lieu à une participation de l’État qui pouvait se monter à 10%. Le fait que le bâtiment nécessite des travaux – essentiellement le changement des vitrages – n’était pas suffisant pour justifier sa démolition. Les restrictions consacrées par la mesure de protection ne s’inscrivaient pas dans un rapport déraisonnable entre le but d’intérêt public poursuivi et l’intérêt privé, en particulier financier.

Il n’y avait aucune contradiction entre le rapport de visite du 21 septembre 2022 et le préavis du SMS du 6 octobre 2022.

Il n’y avait aucune expropriation matérielle du fait de l’inscription à l’inventaire décidée.

Les vices soulevés quant à la procédure de demande de mise à l’inventaire et de fonctionnement de la CMNS étaient sans fondement.

c. Le 27 mai 2024, le recourant a répliqué, persistant dans les conclusions prises et développant à nouveau son argumentation.

Les quatre villas n’étaient identiques ni par leurs métrages ni par l’implantation des piscines ou l’ajout d’un pool-house sur l’une des parcelles, la déconstruction du muret d’origine et du portail d’entrée notamment.

La villa avait perdu ses caractéristiques, notamment les briques cachées sous un épais crépissage, le patio remodelé avec la mise en place d’un immense bac, la fermeture de la zone cuisine, le crépissage du manteau de cheminées autrefois en brique, la cheminée rustique. Parmi les seize maisons du programme des vraies Case Study Houses, une dizaine tenait encore debout en raison de la dégradation, comme cela ressortait d’un article de la presse spécialisée.

Le coût de remise aux normes ainsi que les coûts d’hébergement durant les travaux, de mise en dépôt du mobilier ainsi que de l’hypothèque à rembourser s’élèveraient à CHF 1’998’809.-. Sous l’angle du principe de la proportionnalité, la mesure n’était pas admissible.

Il y avait incohérence de la part de la commune à préaviser favorablement la construction d’un immeuble sur la parcelle voisine et à demander la mise à l’inventaire de quatre maisons et parcelles dans le même secteur.

d. Le 27 mai 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.1 Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

1.2 L’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). Il contient également l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 1e phr. LPA).

1.3 Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pourvu que le tribunal et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant. Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa vol’onté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/642/2024 du 28 mai 2024 consid. 1.2 et l’arrêt cité).

1.4 En règle générale, les conclusions constatatoires sont irrecevables lorsque leur auteur n’a pas d’intérêt pratique à leur admission. Il en va notamment ainsi lorsque la partie recourante aurait pu prendre des conclusions à caractère condamnatoire. En vertu du principe de subsidiarité, une décision en constatation ne sera prise qu’en cas d’impossibilité pour la partie concernée d’obtenir une décision formatrice (ATF 142 III 364 consid. 1.2 ; ATA/293/2016 du 5 avril 2016 consid. 6 ; ATA/88/2013 du 18 février 2013).

1.5 L’interdiction du formalisme excessif commande certes de ne pas se montrer trop strict dans la formulation des conclusions et de les interpréter, cas échéant, à la lumière de la motivation (ATF 142 III 364 consid. 1.2). Toutefois, on doit s’attendre à ce qu’un recourant qui n’agit pas en personne mais est assisté d’un mandataire professionnel qualifié, soit en mesure de formuler devant la juridiction cantonale des conclusions conformes aux exigences légales et jurisprudentielles, ne serait-ce qu’à l’encontre du jugement attaqué (ATA/41/2019 du 15 janvier 2019 consid. 3).

1.6 En l’espèce, bien que la formulation des conclusions soit peu claire, l’on comprend que le recourant souhaite l’annulation de la décision attaquée. S’agissant des « conclusions en constatation », elles sont donc irrecevables car en dehors de l’objet du litige. Elles correspondent aux différents griefs énoncés dans le recours. Il faut également tenir compte de ce que le recourant agit en personne.

En conséquence, afin d’éviter tout formalisme excessif, la chambre de céans entrera en matière sur le recours et retiendra qu’il conclut principalement à l’annulation de la décision d’inscription à l’inventaire des bâtiments dignes d’intérêt de la villa et de la parcelle propriété du recourant.

2.             Le recourant sollicite la production du procès-verbal de la séance de la CMNS 3 du 25 octobre 2022.

2.1 L’art. 15 al. 1 de la loi sur les commissions officielles du 18 septembre 2009 (LCOf - A 2 20) prévoit que toutes les séances de commission, dont la CMNS (art. 5 let. m du règlement sur les commissions officielles du 10 mars 2010 ; RCOf - A 2 20.01), et de sous-commissions font l’objet de procès-verbaux, qui ne sont pas publics. Ces procès-verbaux constituent des projets de décisions et se rapportent uniquement à la formation de l’opinion des membres de l’autorité. Ils ne peuvent dès lors pas être transmis aux parties (ATA/422/2023 du 25 avril 2023 consid. 3.2 ; ATA/275/2023 du 21 mars 2023 consid. 2.2.1). Partant, le recourant ne peut prétendre à la production de ces documents internes à l’administration.

En outre, le président de la CMNS a déjà exposé au recourant le 12 mars 2024 que les préavis de la commission faisaient office de procès-verbaux des séances. Leur forme permettait de refléter et de synthétiser la décision à laquelle étaient parvenus les membres de la commission consultés.

2.2 Le préavis de la CMNS 3 du 25 octobre 2022 ayant été communiqué au recourant, sa demande de mesure a perdu son objet.

3.             Le recourant conteste le caractère digne de protection de l’immeuble sous plusieurs angles.

3.1 Il ne s’agissait pas d’une œuvre grandiose d’architectes illustres mais d’une copie des villas produites dans le programme des Case Study Homes.

3.1.1 La loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) prévoit la protection de monuments de l’architecture présentant un intérêt historique, scientifique ou éducatif (art. 4 let. a LPMNS) et contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l’autorité comme au juge une latitude d’appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s’appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des œuvres d’art mais qu’elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu’ils sont des témoins caractéristiques d’une époque ou d’un style (Philip VOGEL, La protection des monuments historiques, 1982, p. 25). La jurisprudence a pris acte de cette évolution (ATF 126 I 219 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_300/2011 du 3 février 2012 consid. 5.1.1).

3.1.2 Un monument au sens de la LPMNS est toujours un ouvrage, fruit d’une activité humaine. Tout monument doit être une œuvre digne de protection du fait de sa signification historique, artistique, scientifique ou culturelle. Il appartient aux historiens, historiens de l’art et autres spécialistes de déterminer si les caractéristiques présentées par le bâtiment le rendent digne de protection, d’après leurs connaissances et leur spécialité. À ce titre, il suffit qu’au moment de sa création, le monument offre certaines caractéristiques au regard des critères déjà vus pour justifier son classement, sans pour autant devoir être exceptionnel dans l’abstrait. Un édifice peut également devenir significatif du fait de l’évolution de la situation et d’une rareté qu’il aurait gagnée. Les particularités du bâtiment doivent au moins apparaître aux spécialistes et trouver le reflet dans la tradition populaire sans trop s’en écarter (ATA/353/2021 du 23 mars 2021 consid. 8 ; ATA/561/2020 du 9 juin 2020 consid. 5b).

3.1.3 Tout objet construit ne méritant pas une protection, il y a lieu de procéder à une appréciation d’ensemble, en fonction des critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d’un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes. Elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d’une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a ; 118 Ia 384 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/1024/2019 du 18 juin 2019 consid. 3d ; ATA/428/2010 du 22 juin 2010 consid. 7c).

3.1.4 En l’espèce, les spécialistes ont retenu, dans le rapport de l’IMAH, dans le préavis de la CMNS 3, dans le cadre du RAC - 2022 que les quatre villas, dont le bâtiment litigieux, ont été construites sur un site encore très largement rural à l’époque, dans une zone convoitée et propice à l’implantation de maisons individuelles depuis le début des années 1950. La requérante du projet était la mère de Jean ROGG, jeune architecte associé à Michel FREY de huit ans son aîné. Il s’est agi de leur seule collaboration. L’un et l’autre allaient, dans la suite de leur carrière, être à l’origine de plusieurs constructions de villas, bâtiments scolaires, centre paroissial, immeubles locatifs et diverses transformations et restaurations de bâtiments anciens, notamment.

Le projet final à E______ était celui de quatre grandes villas identiques avec un large patio. Le projet rompait clairement avec les canons de la maison traditionnelle et avait rencontré, pour cette raison, l’opposition de la commune. Chaque villa se développait sur un seul niveau de plain-pied sur 190 m2 habitables, à partir d’un plan carré (16,25 X 16,25 m) d’une certaine simplicité. On accédait à l’intérieur par l’intermédiaire du patio ouvert, orienté au nord-est et prévu planté, qui faisait office de cour intérieure et faisait pénétrer la lumière jusqu’au cœur de l’habitation. À l’intérieur, un espace de circulation distribuait d’un côté l’espace séjour-bibliothèque-salle à manger avec, au fond, la chambre parentale équipée de sa salle de bains, de l’autre trois chambres dont une chambre de bonne avec son cabinet de toilette et un garage. Face au patio se trouvaient la cuisine ouverte sur la salle à manger, une salle de bains indépendante, ainsi qu’une quatrième chambre. Un escalier menait au sous-sol où étaient disposés, sous la totalité de la surface de la villa, de nombreux espaces de stockage.

La dalle de la toiture plate en béton était portée par une série de fins poteaux métalliques de section carrée modulés sur une trame uniforme de quatre mètres qui venait compléter les murs périphériques en brique porteuse. Les façades nord-est et nord-ouest étaient essentiellement opaques et celles au sud-est et au sud-ouest étaient entièrement vitrées, s’ouvrant largement sur l’extérieur au moyen de baies coulissantes en acier.

D’un point de vue architectural, les villas de FREY et ROGG prenaient clairement leur source du côté de l’architecture américaine de l’après-guerre, en particulier celle de la Côte californienne où s’était déployé le programme des Case Study Houses (1945-1966) lancé par la revue Arts & Architecture, diffusé internationalement par la presse architecturale de l’époque et qui avait connu une immense fortune critique dans les années 1950 et 1960. Le programme visait à réaliser, autour de Los Angeles, des maisons modernes et économiques, destinées à être reproduites en grand nombre. Les architectes genevois, dans leur architecture moderne, s’étaient inspirés des thèmes de ce programme.

Sans être l’œuvre d’architectes considérés comme majeurs à Genève, la villa avait été conçue et réalisée avec une modernité nouvelle à Genève pour ce type de programme. La proposition était audacieuse, traduisant un idéal architectural et domestique basé sur la légèreté (verre, acier, brique, bois, etc.), la transparence, la modularité spatiale, le rapport étroit à la nature et la simplicité des formes et des matières.

Selon l’architecte Jean-Marc LAMUNIÈRE dans l’ouvrage consacré à l’architecture à Genève 1919-1975, seule une dizaine de maisons individuelles reflétaient des tendances modernes dans les années cinquante, et pas davantage dans les années soixante (p. 339).

Les quatre villas étaient présentées à ce titre dans le Guide d’architecture moderne de Genève, édité en 1969 par André CORBOZ, Jacques GUBLER et Jean-Marc LAMUNIÈRE, parmi les villas GAILLARD (André & Francis GAILLARD arch., 1954-1955) et MAIER (Georges BRERA & Paul WALTENSPÜHL arch., 1956‑1958) à L______, BÉDAT à M______ (Pierre BUSSAT & Jean-Marc LAMUNIÈRE, arch., 1958-1960) ou LEUTHOLD à N______ (Maurice CAILLER & Pierre MERMINOD arch., 1959-1961).

Toujours selon les spécialistes, en dépit de transformations malheureuses, mais superficielles, ayant fini par altérer le caractère moderne de la villa (en particulier dans son aspect intérieur), celle-ci avait su conserver l’essentiel de sa substance architecturale et sa matérialité d’origine, à savoir sa structure (poteaux métalliques et murs en brique porteuse) et ses enveloppes de façade aux élégantes huisseries métalliques. De plus, aucun changement majeur dans la distribution n’était à déplorer.

Ses caractéristiques avaient permis à la villa d’être considérée comme un objet avec une valeur patrimoniale élevée et la note « intéressant » avait été attribuée par le recensement architectural du canton de Genève, validé par la commission scientifique de suivi le 7 juin 2023. La fiche du bâtiment relevait que les villas de l’ensemble étaient situées dans des parcelles arborées et aménagées de piscines et toutes orientées dans la même direction. Les différents matériaux de construction utilisés étaient intégrés de manière cohérente dans un ensemble structurel harmonieux.

La commune a préavisé favorablement l’inscription à l’inventaire de l’ensemble, soulignant l’intérêt patrimonial élevé acquis au fil des années par ces constructions.

3.1.5 Il découle de ce qui précède que l’intérêt patrimonial de la villa, de la parcelle et de l’ensemble des quatre villas, tel qu’établi par les spécialistes, est indéniable. Les milieux spécialisés ont considéré de façon concordante et objective que la villa et l’ensemble des villas faisaient partie du patrimoine construit de l’architecture moderne et présentaient les caractéristiques d’une œuvre au sens vu ci-dessus.

Contrairement à ce que retient le recourant, il ne s’agit pas de « copies » de maison réalisées en Californie mais de villas construites dans le style d’architecture moderne tel que celui apparu dans le cadre du programme des Case Study Houses. En outre, ce sont bien les caractéristiques intrinsèques des constructions qui fondent la mesure contestée.

3.2 Le recourant fait valoir que l’état du bâtiment ne justifierait pas la mesure de protection et que l’abondante végétation empêche de la voir ainsi que de voir l’ensemble des quatre villas.

3.2.1 S’agissant de l’état du bâtiment, il n’est pas contesté que les briques de parement sont recouvertes d’un crépi. Si cette transformation éloigne l’image actuelle de l’originale, il ne peut être retenu, comme le fait le recourant que le bâtiment aurait perdu « son caractère architectural » et serait dénaturé dans sa substance. En outre, s’agissant du crépissage des murs, le rapport de visite précise que plusieurs interventions malheureuses faites sur les façades sont réversibles et que les enveloppes sont plutôt bien conservées puisque la totalité des baies vitrées (menuiseries en acier enserrant de grands verres simples), constitutives de l’identité de la villa, sont toujours en fonction. En outre, l’essentiel de la substance architecturale et la matérialité d’origine, à savoir la structure (poteaux métalliques et murs en brique porteuse), est conservé.

Les différentes pièces figurant au dossier permettent ainsi de retenir que la villa n’a subi que peu de transformations depuis sa construction.

3.2.2 La jurisprudence admet que la plupart des monuments qui subsistent ont fait l’objet, au travers de leur histoire, d’interventions diverses, plus ou moins importantes, ce qui n’empêche pas qu’ils puissent bénéficier d’une mesure de protection. Ainsi, c’est le cas d’un immeuble dont les façades ont subi une rénovation (arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 5.3). En outre, la jurisprudence ne retient pas l’état, même très délabré, d’un immeuble comme motif propre à mettre en échec une mesure de protection fondée sur la LPMNS, dès lors que la substance patrimoniale est conservée (ATA/428/2010 du 22 juin 2010 consid. 7c).

S’agissant de l’intérieur de la villa, qui a subi le plus de transformations, il est établi qu’aucun changement majeur dans la distribution n’est à déplorer même si son aspect a largement été transformé.

L’autorité intimée retient donc à juste titre que les transformations intervenues depuis l’édification du bâtiment doivent être relativisées, dans la mesure où la structure du bâtiment est restée inchangée et qu’elle est identique à celle des trois autres villas. Les spécificités de ces édifices avant-gardistes dans le canton de Genève sont : une construction légère et transparente, de plain-pied selon un plan carré d’une certaine simplicité, dont des baies vitrées constitutives de leur identité et qui fonctionnent toujours ont été préservées. Il appert ainsi que la villa a conservé ce qui faisait d’elle au moment de sa réalisation un objet architectural intéressant et rare sur le territoire genevois, à l’instar des trois répliques qui la jouxtent.

3.2.3 S’agissant de la valeur de l’ensemble et du fait qu’il n’est pas visible en raison de la végétation, comme ne l’est pas la villa litigieuse, il faut relever que le caractère visible d’un bâtiment n’est pas une condition de sa mise sous protection. La définition de monument, au sens de l’art. 4 al. a LPMNS ne contient pas la notion d’édifice public ou accessible au public. Cela dit, l’inventaire peut être consulté par le public selon les modalités fixées par voie réglementaire (art. 7 al. 8 LPMNS). L’arrêté rendu en matière d’inscription à l’inventaire est publié dans la FAO (art. 15 al. 1 du règlement d’application de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 mars 2023 ; RPMNS - L 4 05.01). Le dossier peut, sur requête, être consulté selon les modalités fixées par loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (art. 15 al. 2 RPMNS). Aussi, le fait que les bâtiments objets de la mesure ne soient pas visibles ou cachés par de la végétation est donc sans pertinence s’agissant du but et des modalités de la protection du patrimoine instaurées par la LPMNS.

Le grief du recourant quant à l’absence d’intérêt public à la mesure de conservation doit donc être écarté.

4.             Le recourant remet en cause la pesée des intérêts effectuée par l’autorité intimée. Elle aurait omis l’intérêt public lié aux possibilités de densification de la parcelle et le peu d’intérêt patrimonial du bâtiment.

4.1 Alors qu’à l’origine, les mesures de protection visaient essentiellement les monuments historiques, à savoir des édifices publics, civils ou religieux, ainsi que des sites et objets à valeur archéologique, elles se sont peu à peu étendues à des immeubles et objets plus modestes, que l’on a qualifiés de patrimoine dit « mineur », caractéristique de la campagne genevoise, pour enfin s’ouvrir sur une prise de conscience de l’importance du patrimoine hérité du XIXe siècle et la nécessité de sauvegarder un patrimoine plus récent, voire contemporain (ATA/555/2022 du 24 mai 2022 consid. 5b et les références citées).

Chaque fois que l’autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l’autorité de recours observe une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/1296/2022 du 20 décembre 2022 consid. 6c ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 508 p. 176 et la jurisprudence citée). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/1296/2022 précité ; ATA/1261/2022 du 13 décembre 2022 consid. 4d et les références citées). La chambre administrative est en revanche libre d’exercer son propre pouvoir d’examen lorsqu’elle procède elle-même à des mesures d’instruction, à l’instar d’un transport sur place (ATA/135/2022 du 1er mars 2022 consid. 9g).

Si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours (ATA/1024/2019 précité ; ATA/126/2013 précité). En outre, la CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d’associations d’importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMNS). À ce titre, son préavis est important (ATA/1214/2015 précité).

Lorsque l’autorité s’écarte des préavis, la chambre de céans peut revoir librement l’interprétation des notions juridiques indéterminées, mais contrôle sous le seul angle de l’excès et de l’abus de pouvoir, l’exercice de la liberté d’appréciation de l’administration, en mettant l’accent sur le principe de la proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable et sur le respect de l’intérêt public en cas d’octroi de l’autorisation malgré un préavis défavorable (ATA/451/2017 du 25 avril 2017 ; ATA/814/2014 du 28 octobre 2014 et les références citées ; ATA/453/2011 du 26 juillet 2011).

4.2 La chambre administrative a déjà tranché le fait que faire primer l’intérêt public à la construction de nouveaux logements sur celui de la protection d’un bâtiment, même en cas de préavis de la CMNS favorable au classement de l’immeuble, ne relevait pas d’un abus du pouvoir d’appréciation du Conseil d’État en cette période de crise du logement (ATA/423/2023 du 25 avril 2023 consid. 5.4 ; ATA/932/2020 du 22 septembre 2020 consid. 7).

4.3 En l’espèce, le recensement architectural validé le 7 juin 2023 a attribué la valeur « intéressant » au bâtiment. Le service spécialisé, la CMNS et la commune ont, quant à eux, préavisé favorablement la mesure de protection. L’autorité intimée a suivi ces préavis, estimant que seule cette mesure était apte à assurer la pérennité de l’objet à protéger.

L’intérêt patrimonial élevé de l’objet a déjà été confirmé ci-dessus et s’agissant de l’intérêt public à la construction de logements que le recourant oppose à la mesure de protection, il faut prendre en compte le fait que la parcelle est sise en cinquième zone de construction, ce qui limite le nombre de logements qui auraient pu être construits après la démolition du bâtiment qui constitue déjà lui‑même un logement. En outre, la fiche A04 du plan directeur cantonal 2030 indique également que la densification ne doit pas se faire au détriment de la préservation du patrimoine.

C’est donc en se fondant sur les appréciations faites par des spécialistes et en suivant les préavis, notamment de la commune concernée, que l’autorité intimée a procédé à une pesée des intérêts qui ne prête pas le flanc à la critique. Le fait que le bâtiment nécessite des travaux, essentiellement le changement des vitrages, n’est assurément pas suffisant pour justifier sa démolition et ne saurait l’emporter sur l’intérêt public à sa conservation.

Le grief sera donc écarté.

5.             Le recourant remet en cause la proportionnalité de la mesure, notamment quant aux effets de celle-ci sur sa situation financière.

5.1 L’assujettissement d’un immeuble à des mesures de conservation ou de protection du patrimoine naturel ou bâti constitue une restriction du droit de propriété garanti par l’art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Pour être compatible avec cette disposition, l’assujettissement doit donc reposer sur une base légale, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_386/2010 du 17 janvier 2011 consid. 3.1 ; ATA/1214/2015 précité consid. 2a).

Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/569/2015 du 2 juin 2015 et les arrêts cités).

En principe, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont d’intérêt public et celui-ci prévaut sur l’intérêt privé lié à une utilisation financière optimale du bâtiment (ATF 126 I 219 consid. 2c ; 120 Ia 270 consid. 6c ; 119 Ia 305 consid. 4b).

Le sacrifice financier auquel le propriétaire est soumis du fait de la mise à l’inventaire constitue un élément important pour apprécier si l’atteinte portée par cette mesure à son droit de propriété est supportable ou non (ATF 126 I 219 consid. 6c ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_52/2016 du 7 septembre 2016 consid. 3.2). En relation avec le principe de la proportionnalité au sens étroit, une mesure de protection des monuments est incompatible avec la Constitution si elle produit des effets insupportables pour le propriétaire ou ne lui assure pas un rendement acceptable. Savoir ce qu’il en est, dépend notamment de l’appréciation des conséquences financières de la mesure critiquée (ATF 126 I 219 consid. 6c in fine et consid. 6h ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_52/2016 précité consid. 2 ; 1P.842/2005 du 30 novembre 2006 consid. 2.4). Plus un bâtiment est digne d’être conservé, moins les exigences de la rentabilité doivent être prises en compte (ATF 118 Ia 384 consid. 5 ; ATA/1024/2019 précité consid. 2).

Les effets d’une mise à l’inventaire sur un immeuble sont son maintien ainsi que la préservation de ses éléments dignes d’intérêt (art. 9 al. 1 LPMNS). Le fait de ne pouvoir disposer librement de son bien mais que pour tout projet ou intervention, la CMNS ou le SMS doivent être consultés par la propriétaire, ne représente pas d’emblée une entrave insupportable à la garantie de la propriété. Aucune interdiction totale de construire n’a été prononcée. Les contraintes de la mesure sont moins lourdes que celles de tout propriétaire d’un bien-fonds situé en zone protégée ou soumis à une mesure de classement (ATA/783/2012 du 20 novembre 2012 consid. 14 b). Toutefois, la mise à l’inventaire, comme la mesure de classement, confère à l’objet qu’elle vise une protection plus importante que les seules dispositions en matière de police des constructions (ATA/783/2012 précité consid. 13).

Le Tribunal fédéral retient que la seule diminution des expectatives de rendement que pourrait entraîner une mesure de protection n’est en elle-même pas suffisante à empêcher ladite mesure, l’intérêt privé à une utilisation financière optimale de l’immeuble devant en principe céder le pas devant l’intérêt public lié à la protection des monuments et des sites bâtis (ATF 126 I 219 consid. 2c ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_708/2022 du 27 janvier 2022 consid. 4.2).

5.2 En l’espèce, les affirmations du recourant sur les travaux à effectuer pour maintenir le bâtiment et leur coût ne sont pas démontrées. Les devis effectués, suite à la visite d’une entreprise accompagnée d’un représentant du SMS, impliquent un total de travaux de CHF 472’278.- TVA comprise. Dans ce montant figurent les travaux liés à l’assainissement énergétique qui concernent surtout le remplacement nécessaire des vitres par de nouvelles vitres isolantes qui se montent à CHF 157’880.65 TVA comprise, selon le devis fourni par l’entreprise I______ qui, à cette occasion, est plus favorable que ceux produits par le recourant. Les autres travaux que le recourant souhaite effectuer ne peuvent être considérés comme déterminants sous l’angle patrimonial selon l’OPS et le recourant ne contredit pas ce point de vue de façon crédible, s’agissant par exemple des travaux en lien avec une « remise en état afin de louer » qui prévoit des travaux d’entretien général de la propriété.

Bien que le coût ne soit pas négligeable, le recourant ne démontre pas qu’il entraînerait des conséquences insupportables pour lui. De plus, il n’apparaît pas démesuré compte tenu de la valeur patrimoniale élevée du bien et parce qu’une participation financière de l’État, se montant selon la pratique du département à 10%, au sens de l’art. 22 LPMNS et de l’art. 42A ss LPMNS, afin de réduire les coûts liés à la conservation, à l’entretien et à la restauration du bâtiment peut être octroyée.

À cela s’ajoute que le recourant n’expose pas de raisons pour lesquelles il découlerait une perte de valeur foncière de la mise à l’inventaire de sa propriété. Il allègue de façon générale que sa situation financière actuelle serait mauvaise, sans toutefois attester de celle-ci. Il échoue à démontrer qu’il serait en difficulté en cas de travaux à effectuer sur sa propriété ni qu’elle ne lui assurera pas un rendement acceptable, à tout le moins comparable à celui dont il bénéficie aujourd’hui.

En outre, rien n’indique qu’il y aurait une perte de valeur de la propriété, laquelle peut toujours être utilisé conformément à sa destination. Le recourant conserve ses prérogatives liées au droit de propriété, notamment celle de la vendre, quand bien même la mesure empêche la démolition du bien. À ce propos, le recourant n’a pas apporté d’élément pour démontrer ses allégations quant à des tentatives infructueuses de vente avant que la mesure de protection n’ait été prise.

Il n’est donc pas possible de retenir que l’inscription à l’inventaire produit à l’encontre du recourant des effets insupportables, même si ses expectatives de rendement pourraient être diminuées.

En conséquence, le grief sera écarté.

En tous points infondé, le recours doit être rejeté.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 mars 2024 par A______ contre l’arrêté du département du territoire du 21 février 2024

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, au département du territoire - OPS ainsi qu’à l’office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeant : Michèle PERNET, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

M. PERNET

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :