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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3895/2019

ATA/932/2020 du 22.09.2020 ( AMENAG ) , REJETE

Parties : ASSOCIATION ACTION PATRIMOINE VIVANT / CONSEIL D'ETAT, KEAT SA
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3895/2019-AMENAG ATA/932/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 septembre 2020

 

dans la cause

 

ASSOCIATION ACTION PATRIMOINE VIVANT
représentée par Me Florian Baier, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT

et

KEAT SA

représentée par Me François Bellanger, avocat



EN FAIT

1) La société Keat SA (ci-après : Keat) a été inscrite au registre du commerce de Genève le 8 décembre 1997, avec pour but la gestion de biens ou patrimoines de même que le financement d'opérations dans les domaines immobilier et mobilier.

Elle est propriétaire de la parcelle n° 491 (ci-après : la parcelle), feuille 15 du cadastre de la commune de Chêne-Bougeries, située en 5e zone de développement 3, au 11 chemin de la Chevillarde.

2) La parcelle contient une ancienne maison de maître, dite maison Rosemont, édifiée au milieu du XIXe siècle puis transformée et agrandie au début du XXe siècle (cadastrée B27), une dépendance-écurie (cadastrée B28 et B29) et une seconde dépendance (cadastrée B30) construites à la même époque, et enfin un petit chalet non cadastré.

3) Un plan de synthèse n° 28'457, établi par le service des monuments et des sites (ci-après : SMS), intégré à l'office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS), du Département du territoire (ci-après : DT) portant sur le secteur Grange-Canal Sud de la commune de Chêne-Bougeries, préavisé par la commission des monuments de la nature et des sites (ci-après : CMNS), attribuait au 25 septembre 1991 le qualificatif de « monument et bâtiment intéressants » à la maison de maître et aux dépendances, ainsi qu'à l'ensemble de la parcelle.

Un plan des valeurs n° 28'860 adopté en sous-commission par la CMNS le 16 février 1994 a attribué à la maison de maître la valeur 3 « intéressant », et aux dépendances et au chalet la valeur 4 « bien intégré (volume seul) » respectivement 4+ « bien intégré (volume et substance) ».

Un plan de synthèse n° 29'975 établi le 25 mars 2014 a attribué à la maison de maître la valeur « monument et bâtiment exceptionnels et leurs abords » et aux deux dépendances cadastrées la valeur « monument et bâtiment intéressant et leurs abords ».

4) En 2012, à l'occasion d'une promesse de vente en faveur de Keat pour un montant de CHF 19'360'000.-, le Conseil d'État a renoncé à exercer son droit de préemption.

L'exercice, par la commune de Chêne-Bougeries, de son droit de préemption a quant à lui été invalidé par le Conseil d'État, un recours contre cette invalidation ayant été déclaré irrecevable par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) par arrêt ATA/362/2013 du 11 juin 2013, et un recours contre cet arrêt ayant été rejeté par le Tribunal fédéral par arrêt 1C_665/2013 du 24 mars 2013.

5) Le 13 décembre 2013, le DT a répondu favorablement à une demande de renseignements (DR 18'445) formée par Keat et portant sur la construction de quatre immeubles de logements et garages souterrains sur la parcelle, laquelle demande a par ailleurs été à l'origine d'un futur plan localisé de quartier (ci-après : PLQ).

6) Suite au projet de construction et aux démolitions que celui-ci entraînerait sur la parcelle, l'OPS a commandé à Madame Natalie RILLIET, historienne de l'art, une étude patrimoniale complète, qui a été remise en août 2013.

L'étude relevait que Monsieur Jules KOHLER avait fait construire sur la parcelle une maison avec dépendances entre 1855 et 1878. Monsieur Auguste BOISSONNAS avait ensuite chargé l'architecte Monsieur William BETTINGER de dessiner une nouvelle entrée, ajoutée en 1907, et avait lui-même réalisé en 1926 des aménagements intérieurs. La maison Rosemont était emblématique des changements que connaissait la maison bourgeoise au milieu du XIXe siècle : abandon de la symétrie, présence d'une véranda et d'une terrasse couverte s'ouvrant sur le jardin, hiérarchisation des espaces, saillie à pans coupés. C'était le hall d'entrée qui avait connu le plus de modifications au début du XXe siècle, mais la structure d'origine était encore fortement présente. La maison conservait un beau travail de ferronnerie avec sa galerie couverte et le balcon la surplombant. Elle constituait un exemple de valeur du patrimoine du XIXe siècle, lequel tendait de plus en plus à disparaître « sous la pelle » des projets immobiliers. Il n'était certes pas possible de garder l'ensemble de ce patrimoine, mais des exemples de cette valeur méritaient réflexion notamment dans cette zone sensible que représentait la frontière entre Chêne-Bougeries et les Eaux-Vives.

7) Le 14 mars 2014 l'association Patrimoine suisse (ci-après : Patrimoine suisse) a sollicité du DT la mise à l'inventaire de la maison Rosemont.

La morphologie du bâtiment, avec son plan cube de trois travées sur deux, était caractéristique de ces architectes qui avaient influencé toutes les constructions de maisons bourgeoises de cette époque, et qui avaient expérimenté, dès le tournant des années 1850, des variations qui venaient rompre la composition symétrique avec des éléments rapportés tels que bow-windows, vérandas, galeries et terrasses. La galerie et la terrasse bordant la maison le long des façades sud-ouest et sud-est étaient ceintes d'un garde-corps et de colonnettes en fonte dont la richesse des motifs décoratifs floraux ainsi que la qualité d'exécution étaient exceptionnelles dans le contexte genevois, et pouvaient être rapprochées de l'exemple tout aussi remarquable de Pierre Grise à Genthod, inscrit à l'inventaire des domaines dignes de protection. Les boiseries murales et les plinthes, les portes et les encadrements, les fenêtres en bois dur, les poignées et la serrurerie, les parquets à panneaux, les planchers, les carreaux ciment, les cheminées en marbre, les moulures et rosaces au plafond avaient été conservés. La maison s'inscrivait dans un très beau parc dont l'arborisation était remarquable. Le domaine représentait un des derniers objets de cette importance si proche de la ville et méritait une mise sous protection effective.

Le 11 avril 2014, l'OPS a indiqué à Patrimoine suisse que le DT ouvrait une procédure d'inscription à l'inventaire.

Le 9 mai 2014, la commune de Chêne-Bougeries a préavisé défavorablement la mesure de protection envisagée.

La propriétaire s'est quant à elle opposée à la mesure le 11 juin 2014, puis la nouvelle propriétaire Keat a fait sienne cette opposition le 6 août 2014.

8) Le 8 octobre 2014 a été mis à l'étude un projet de PLQ n° 29'978-511 consécutif à la demande de renseignements DR 18'445 prévoyant l'implantation de quatre bâtiments de logements, de 9, 8, 6 et 4 niveaux sur rez, et d'un bâtiment d'équipements de quartier et de commerces, un indice d'utilisation du sol (ci-après : IUS) de 1.36, un indice de densité (ci-après : ID) de 1.52, ainsi que des servitudes de passage public à pied et à cycle devant permettre de traverser la parcelle sur sa grande et sa petite longueurs.

Le PLQ prévoyait également la conservation de murs de clôture dans leurs emplacements et leur morphologie, sous réserve, pour certains d'eux, d'une démolition partielle pour l'accès au parking souterrain et en surface ainsi que l'accès des véhicules de secours, la conservation de piles en roche et du portail à déplacer et/ou à reconstituer, le déplacement ou la reconstitution du bassin ovale, de l'ancienne fontaine et du bassin rond.

Ces exceptions à la démolition du bâtiment résultaient des conditions qui assortissaient le préavis émis par le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) le 28 avril 2015. Le même préavis indiquait que la demande d'inscription à l'inventaire formée par Patrimoine suisse serait rejetée dans une procédure parallèle à celle de l'adoption du PLQ.

9) Le 28 février 2018, le Conseil d'État a adopté le PLQ n° 29978-511, vu notamment le préavis du Conseil municipal de la commune de Chêne-Bougeries du 19 janvier 2017.

Le même jour, il a rejeté les oppositions au PLQ, dont l'une d'elles avait été formée par Patrimoine suisse. La situation du logement était toujours aussi tendue et le plan directeur cantonal (ci-après : PDCn) avait notamment pour objectif la construction de 50'000 logements d'ici 2030. La fiche de mesures A02 préconisait de poursuivre la densification différenciée des quartiers de villas situés dans la couronne urbaine afin de créer de nouveaux quartiers denses d'habitat ou d'affectation mixte intégrés dans la structure urbaine. Le SMS avait rendu un préavis favorable au projet de PLQ, sous réserve de la conservation de certains éléments. Après avoir procédé à une nécessaire pesée des intérêts en présence, le DT avait rejeté la demande d'inscription à l'inventaire en écartant le préavis contraire de la CMNS, considérant notamment qu'au vu de la crise du logement sévissant à Genève, l'apport des constructions envisagées, correspondant à un peu plus de 200 logements, devait prévaloir sur les questions liées à la préservation du patrimoine bâti dans le périmètre du projet de PLQ. Le grief de non prise en considération de la valeur patrimoniale et architecturale de la maison de Rosemont était donc rejeté.

Le même jour également, le DT a rejeté la demande d'inscription à l'inventaire formée par Patrimoine suisse. L'autorité de décision pouvait s'écarter des préavis des organismes consultatifs institués par la loi s'il existait des motifs objectifs impérieux qui justifiaient de s'en écarter, notamment si un intérêt public le commandait. Deux intérêts contradictoires s'opposaient : la construction de plus de 200 logements et la destruction d'un témoin bien conservé de l'architecture bourgeoise du milieu du XIXe siècle. Le maintien de la maison de Rosemont empêcherait la construction d'un immeuble de logements d'un gabarit de neuf étages sur rez. Le maintien des dépendances empêcherait quant à lui la construction d'un immeuble de logements d'un gabarit de six étages sur rez. En période de pénurie de logement, le département devait aussi veiller à ce que l'intérêt public à la construction de logements soit préservé. L'examen des intérêts en présence, conduit de manière coordonnée, avait abouti à ce que l'intérêt public à la construction de logements répondant aux besoins de la population devait primer sur celui lié à la protection du patrimoine. Le département s'écartait du préavis favorable à l'inscription à l'inventaire de la CMNS et des recommandations des milieux de la protection du patrimoine.

Le PLQ est entré en force, après qu'un recours eut été retiré en mars 2019. Patrimoine suisse n'a recouru ni contre le PLQ ni contre le refus d'inscription à l'inventaire.

10) Le 2 novembre 2018, l'association Action patrimoine vivant (ci-après : Action patrimoine vivant) a adressé au Conseil d'État une requête visant au classement de la maison de Rosemont, de ses dépendances et de leurs abords.

L'intérêt patrimonial de cet ensemble avait été relevé depuis près de trente ans lors de recensements conduits en 1991, 1994 et 2014. Le Conseil d'État était invité à réexaminer la pesée des intérêts à laquelle il avait procédé en faveur de la construction de près de deux cent logements. L'intérêt de cette importante maison de maître résultait de l'agrandissement d'une première demeure construite vers 1860, et se caractérisant par des intérieurs très généreusement dimensionnés comprenant de vastes pièces de réception au rez-de-chaussée, dotées de lambris d'appui et de hauteur, de parquets à motifs losangés, de cheminées à chambranles de marbre. À l'étage étaient disposées les chambres destinées à la famille, surmontées d'autres chambres au niveau de la toiture. Une véranda s'appuyait le long de la façade méridionale et se retournait à l'angle oriental pour s'ouvrir sur un jardin d'hiver dont le travail de serrurerie était d'une grande finesse. L'escalier d'apparat qui reliait le rez-de-chaussée à l'étage était un exceptionnel morceau d'ébénisterie mis en valeur par l'apport de lumière dispensée au travers de la grande fenêtre de l'ancien avant-corps. L'architecte BETTINGER, à qui l'on devait ce chef-d'oeuvre, avait excellé dans l'art de balancer les marches et d'organiser la distribution verticale. L'escalier débutait par des marches incurvées et une balustrade ouvragée accompagnait le visiteur dans toute l'ascension. L'état de conservation de la demeure était très bon. Les détails d'aménagement intérieur étaient conservés de même que toutes les huisseries délicates et intactes des portes fenêtres en noyer. Les poignées, dispositifs de fermeture et volets étaient en parfait état de marche. De remarquables portes vitrées dispensant la lumière de manière habile témoignaient d'un savoir-faire qui s'était perdu. Il y avait lieu d'envisager sur la parcelle un développement raisonnable de nature à maintenir la maison de maître et ses dépendances et leurs abords ainsi qu'une partie des qualités paysagères du parc, vaste poumon de verdure en ville, dont l'importance vitale avait été sous-estimée eu égard au réchauffement climatique.

11) Le 23 janvier 2019, le DT a interpellé la commune de Chêne-Bougeries et l'a invitée à lui faire tenir son préavis sur la demande de classement.

12) Le 25 janvier 2019, une pétition n° P 2'057 intitulée « Le domaine de la Chevillarde ne doit pas disparaître ! » a été déposée au Grand Conseil.

13) Le 20 février 2019, Keat s'est opposée à la demande de classement.

Un précédent arrêté du 28 février 2018 avait rejeté la demande d'inscription à l'inventaire, se fondant sur une analyse détaillée de l'ensemble des circonstances de fait et notamment des caractéristiques des bâtiments. Le DT avait décidé de s'écarter du préavis favorable de la CMNS, et de faire primer l'intérêt public à la construction de logements. Entré en force depuis, l'arrêté bénéficiait de l'autorité de la chose décidée. Keat avait entre-temps déposé le 16 juillet 2018 une demande d'autorisation de construire quatre immeubles de logements conformément au PLQ, enregistré sous le n° DD 111'744/1, et tous les préavis étaient positifs, sous réserve de demandes de complément en cours de traitement. Une demande d'autorisation de démolir était également en cours d'instruction sous le n° M 82'00/1 et tous les préavis étaient favorables. Il n'existait pas en l'espèce de circonstances qui permettaient de révoquer ou reconsidérer la précédente décision. La qualité de la maison de maître et de ses dépendances était parfaitement connue lors de la première décision. La demande était irrecevable, subsidiairement elle devait être rejetée.

14) Le 5 mars 2019, la CMNS a émis un préavis favorable au classement.

Il ressortait du dossier que les qualités architecturales des bâtiments et paysagères de la parcelle qui les abritait avaient été reconnues de manière constante par les instances en charge de la préservation du patrimoine. En outre, la maison de maître construite vers 1860 pour le compte de Jules KOHLER, puis réaménagée en 1917 pour l'ingénieur Auguste BOISSONNAS présentait un bon état de conservation. La maison, ses dépendances ainsi que la parcelle n° 491 devaient être classées.

15) Le 29 mai 2019, la CMNS, dans sa composition plénière, a émis un nouveau préavis, cette fois défavorable au classement avec recommandations, par douze voix contre cinq.

La commission des pétitions du Grand Conseil avait entendu, dans le cadre de l'examen de la pétition P 2'057 intitulée « Le domaine de la Chevillarde ne doit pas disparaître ! » le président de la CMNS ainsi qu'un de ses membres, lesquels avaient souligné les qualités des bâtiments et de la parcelle, relevé qu'il était compliqué de demander au Conseil d'État de revenir sur les conclusions de ses services, mais que le cas était tout de même exceptionnel, que dans toutes les communes genevoises un bâtiment historique affecté à un usage public était conservé, que la pesée des intérêts aboutissait toujours à la perte du patrimoine, que le patrimoine ne pouvait jamais gagner si aucune exception n'était faite, et qu'il était déjà arrivé par le passé qu'un Conseiller d'État revienne sur une décision de démolition. Si le site n'avait pas été protégé alors qu'il était apparu plusieurs fois comme digne d'intérêt, c'était en raison du manque de moyens du service compétent. Durant des années, la valeur orange attribuée aux bâtiments dissuadait tout le monde, mais les PLQ se développaient désormais en oubliant les notions patrimoniales. À première vue, il n'était pas impossible de sauvegarder la maison et ces éléments et de densifier tout de même la parcelle en revoyant le projet. L'autorisation de construire n'était pas encore en force et le Conseil d'État pouvait encore intervenir pour sauvegarder la maison.

Le PLQ était entré en force après cette audition. La commission des pétitions avait rejeté le renvoi de la pétition au Conseil d'État, mais accepté le dépôt pour information sur le bureau du Grand Conseil, tout en regrettant la tardiveté de la demande de mesures de protection dans le processus d'aménagement et en invitant le Conseil d'État à prendre en compte le patrimoine en amont des projets et à ne pas s'écarter des préavis de la CMNS.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la CMNS considérait que les instances politiques, législatives et judiciaires avaient déjà, sous des formes diverses et variées, procédé à la pesée des intérêts en présence pour ces objets, à chaque fois en faveur de la réalisation de logements. Un PLQ était élaboré selon une procédure décrite dans la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) et la loi sur l'extension des voies de communication et l'aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LExt - L 1 40), soit des lois de même rang que la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), et ces lois prévoyaient un processus démocratique intégrant à différents stades des préavis des services et commissions concernés, des autorités politiques municipales, ainsi que la voie de l'opposition plus du recours judiciaire pour toute personne atteinte par la décision. Dans la mesure où la même instance, soit le Conseil d'État, décidait du classement et du PLQ, la CMNS s'interrogeait sur la réelle opportunité de l'ouverture d'une procédure de mise sous protection et sur la portée de son préavis dans un cas comme celui-là.

16) Le 3 juillet 2019, l'OPS a invité Action patrimoine vivant à formuler d'éventuelles observations et rappelé que le dossier pouvait être consulté.

17) Le 2 septembre 2019, la commune de Chêne-Bougeries a indiqué au DT que, son Conseil administratif ne souhaitant pas de reconsidération, le préavis communal concernant une demande de classement était défavorable.

18) Par arrêté du 18 septembre 2019, le Conseil d'État a rejeté la demande de classement.

Une pesée de tous les intérêts publics et privés en présence devait être effectuée. Une éventuelle révocation d'une décision entrée en force se ferait en violation du principe de la sécurité du droit. L'intérêt patrimonial des bâtiments visés par la requête avait fait l'objet d'un examen complet lors de la précédente décision de refus d'inscription à l'inventaire. Le DT avait alors renoncé à instruire une procédure de classement ou à initier un plan de site, et un PLQ avait été adopté, qui prévoyait la démolition des bâtiments. Le seul élément nouveau, soit le préavis de la CMNS, n'était pas de nature à entraîner une décision différente, puisque dans sa composition plénière, la CMNS s'était prononcée défavorablement au classement. Le Conseil d'État devait également veiller à la construction de logements et le programme s'inscrivait dans le grand projet Chêne-Bourg-Chêne-Bougeries prévoyant la réalisation de mille logements et cinq cents emplois d'ici 2030, ainsi que d'espaces publics et d'activités en lien avec l'arrivée du réseau ferré Léman Express d'ici fin 2019. Le projet s'inscrivait dans une vision d'ensemble du développement territorial du canton. À la limite de l'irrecevabilité, la demande de classement était rejetée.

19) Le 10 octobre 2019, le DT a délivré l'autorisation de démolir n° M 8'200/1, ainsi que l'autorisation de construire quatre immeubles de logements, un parking souterrain, un espace de quartier et des aménagements extérieurs, avec abattages d'arbres, sous le n° DD 111'744.

Ces deux décisions ont fait l'objet de recours, actuellement pendants.

20) Par acte remis à la poste le 21 octobre 2019, Action patrimoine vivant a recouru auprès de la chambre administrative contre l'arrêté du 18 septembre 2019, concluant à son annulation, et à ce que le Conseil d'État soit invité à ordonner le classement des bâtiments B27, B28, B29 et B30 de la parcelle n° 491 de la commune de Chêne-Bougeries. Préalablement, la production de tous les préavis émis dans le cadre de cette procédure devait être ordonnée, un transport sur place devait être organisé, et l'audition de la CMNS devait être réservée.

La demande de classement du 2 novembre 2018 répondait à la nouvelle attribution au bâtiment B27 d'un caractère « rouge - bâtiment exceptionnel » ainsi qu'à la valeur « orange - bâtiment intéressant » aux annexes B28, B29 et B30. Elle visait également les abords des bâtiments, où plus de quatre-vingts arbres étaient menacés d'abattage, sans pour autant empêcher toute construction, dès lors que le classement de la parcelle elle-même n'était pas demandé. L'arborisation était d'autant plus importante que des projets en cours de densification attenants impliquaient des abattages d'arbres. Une étude parue le 10 septembre 2018 avait souligné l'importance de l'arborisation pour la biodiversité et le climat et préconisé sa densification dans le canton.

Action patrimoine vivant n'avait jamais été invitée à se déterminer sur les différents préavis rendus dans la procédure de classement. Aucun de ces préavis ne lui avait par ailleurs été communiqué. L'art. 12 al. 3 LPMNS avait été violé, de même que le droit d'être entendu de la recourante, ce qui justifiait en soi que le dossier soit renvoyé au Conseil d'État pour nouvelle instruction.

Le DT n'avait pas examiné l'opportunité d'une autre mesure de protection, tels que le classement partiel, la mise à l'inventaire ou l'adoption d'un plan de site, comme l'exigeait l'art. 12 al. 5 LPMNS.

La décision attaquée violait le principe de proportionnalité. La population de Chêne-Bougeries avait augmenté de 17.5 % entre 2010 et 2017, soit trois fois plus vite que la moyenne cantonale. La commune accueillait le plus grand nombre de nouveaux logements entre Arve et Lac. Plus de vingt projets d'habitation collective étaient en chantier ou en cours de procédure, pour un total de plus de mille deux cents logements. Durant la même période, aucune nouvelle mesure de classement n'avait été prise sur le territoire communal, et ce n'était pas faute pour la commune de compter une substance patrimoniale de 30 % du bâti, supérieure de moitié à la moyenne cantonale.

Le Conseil d'État semblait considérer deux options seulement : conserver la parcelle intacte ou tout démolir pour construire du neuf. Il répétait les arguments qui avaient conduit au refus d'inscription à l'inventaire, et ne procédait à aucun moment à une pesée des intérêts à l'aune des circonstances de la nouvelle procédure. Or il suffisait de changer l'implantation des immeubles, voire d'un seul immeuble, pour sauver ne serait-ce que la maison de maître B27, hypothèse que le Conseil d'État n'avait pas examinée. Une solution similaire avait déjà été mise en oeuvre par le passé dans la même rue, sur la parcelle n° 2'345 à l'angle du chemin de la Chevillarde et de la route de Malagnou, où des bâtiments avaient été construits autour de la maison de maître, qui avait été conservée. Le Conseil d'État avait ainsi abusé de son pouvoir d'appréciation en n'instruisant pas le dossier correctement du point de vue de ce qui pouvait être entrepris pour sauver la maison de maître.

La décision attaquée violait le principe de l'égalité de traitement. Elle traitait de manière identique la demande de classement et la demande d'inscription à l'inventaire. Or, tant les requérantes que le type de protection demandée et le nombre des bâtiments visés étaient différents, la demande de classement portait également sur les abords, et de nouveaux faits étaient intervenus depuis 2014.

21) Le 3 décembre 2019, la recourante a déposé le texte d'une interview du Conseiller d'État en charge de l'aménagement et de l'urbanisme parue le 29 novembre 2019 dans la Tribune de Genève.

À la question : « On rase des arbres pour des immeubles insipides. Ne faut-il pas revoir certains plans de quartier ? », le Conseiller d'État répondait : « Oui, beaucoup de ces plans localisés de quartier (PLQ) ont été conçus à une époque qui n'avait pas les mêmes préoccupations. J'ai par exemple hérité de ces PLQ aux Allières et à la Chevillarde, et il est parfois frustrant de les porter. Mais je revendique un droit d'inventaire. J'ai demandé à mes services de réexaminer tous les anciens PLQ à l'aune de la qualité des espaces publics, de la place de la nature et du patrimoine [...] ».

22) Le 13 décembre 2019, Keat a conclu au rejet du recours.

Le maintien de certains arbres et l'harmonie des futurs bâtiments avec ceux-ci avaient été un des points centraux du PLQ, avec l'implantation d'un chemin piétonnier. Une variante d'implantation avait été étudiée pour préserver la maison de maître en rapprochant au mieux le bâtiment B du bâtiment C, mais elle avait dû être abandonnée en raison de la proximité excessive des constructions avec la végétation et entre elles, ce qui compromettait l'accès des véhicules d'urgence et bloquait le passage en direction d'un tilleul à conserver. L'implantation des bâtiments avait finalement été dictée par la protection du paysage arboré de la parcelle.

Keat avait fait appel à un arboriste conseil, qui avait rendu un rapport le 11 novembre 2019. Elle avait effectué l'étude tomographique établissant l'état sanitaire des arbres et permettant de prendre les mesures pour leur préservation.

Il n'y avait eu de violation ni du droit d'être entendu, ni de la procédure de classement, ni du principe de proportionnalité.

Le PLQ était en force et liait le Conseil d'État, qui ne pouvait prendre de mesures ayant pour but de maintenir des bâtiments dont le PLQ prévoyait la démolition. Le PLQ lui-même était le fruit d'une pesée des intérêts et d'un compromis entre l'arborisation, l'emplacement et le gabarit des bâtiments, le volume et l'assiette du parking souterrain et de ses accès, le nombre de logements et l'indice d'utilisation du sol.

Les circonstances pour une modification du PLQ n'étaient pas réunies, et la recourante n'était pas fondée à en demander le réexamen, encore moins par le biais d'une demande de classement. Une dérogation au PLQ ne pouvait pas non plus être envisagée, étant observé que les propositions faites par la recourante correspondaient en l'espèce à une modification du PLQ, vu leur importance, le maintien de la maison de maître au moyen du déplacement du bâtiment B devant augmenter les indices d'utilisation du sol et de densité.

Il n'y avait pas eu de violation du principe de l'égalité de traitement. La différence entre associations Action patrimoine vivant et Patrimoine Suisse était sans effet sur les motifs justifiant d'éventuelles mesures de protection. La pesée d'intérêts était la même pour les deux mesures de protection successivement réclamées, à savoir le maintien du patrimoine bâti contre la construction de nouveaux logements, et les deux procédures avaient bien porté sur tous les bâtiments ainsi que leur environnement. D'éventuels faits nouveaux, que la recourante ne détaillait d'ailleurs pas, ne pourraient être pris en compte qu'à dater du 28 février 2018, date de l'arrêté attaqué.

23) Le 13 décembre 2019, le DT a conclu au rejet du recours.

La recourante avait accès au dossier en tout temps et ne pouvait se plaindre d'une violation du droit d'être entendue.

Lors de la première procédure de demande d'inscription à l'inventaire, les autres mesures offertes par la LPMNS avaient été envisagées et écartées. La discussion avait même débuté auparavant, lors de l'annulation de la délibération communale portant sur l'exercice du droit de préemption. Aucune autre mesure de protection n'aurait, quoi qu'il en soit, permis d'atteindre le même objectif de densification sans entraîner la destruction des bâtiments actuels. L'art. 15 al. 5 LPMNS n'avait pas été violé.

Le Conseil d'État n'était pas tenu de protéger un monument si un autre intérêt, public ou privé, l'emportait. Un classement aurait pour effet de remettre en cause la précédente décision de refus d'inscription à l'inventaire, et de paralyser la mise en oeuvre du PLQ. Le Conseil d'État avait correctement pesé tous les intérêts en présence, et n'avait pas mésusé de son pouvoir d'appréciation. Il était indéniable que l'actualisation du recensement du patrimoine architectural et des sites attribuant des valeurs plus élevées au bâtiment n'était pas un fait nouveau, puisqu'elle avait débuté avant le prononcé de l'arrêté de mars 2014. L'instruction avait déjà porté sur la totalité des éléments bâtis et paysagers de la parcelle. La CMNS s'était finalement prononcée en pleine connaissance de cause contre le classement. L'autorité intimée ne s'était pas écartée du préavis de cette instance consultative. On pouvait enfin douter de l'intérêt de la solution alternative proposée par la recourante, de maintenir une maison de maître ancienne à proximité immédiate d'une construction nouvelle d'un gabarit de R+9. L'exemple que la recourante prétendait tirer de la villa Edelstein n'était pas pertinent, car à l'époque de la procédure, le plan d'aménagement datait d'une quinzaine d'années, et le Tribunal administratif disposait d'un très large pouvoir d'appréciation et pouvait revoir jusqu'à l'opportunité d'une décision, ce qui n'était plus le cas aujourd'hui.

24) Le 5 février 2020, la recourante a répliqué.

Le projet de la commune de Chêne-Bougeries proposé en 2013 permettait la construction de 130 à 150 logements en maintenant la maison de maître, les dépendances et la végétation existante. Cela démontrait qu'il était parfaitement possible de préserver les bâtiments, et le projet de la commune devait être versé à la procédure. Le Conseiller d'État et la CMNS devaient être entendus et un transport sur place devait être ordonné. L'intérêt public à la préservation de la maison de maître primait de toute évidence l'intérêt privé d'un promoteur immobilier à maximiser son rendement.

25) Le 13 mars 2020, le DT a persisté dans ses conclusions.

La recourante aurait dû faire valoir tous ses griefs dans le cadre de l'adoption du PLQ et porter ce dernier devant les juridictions compétentes, ce qu'elle n'avait pas fait. Sa démarche était tardive, au point que si l'autorité intimée rendait une décision de classement, celle-ci serait manifestement arbitraire. Il n'y avait pas lieu de verser des plans correspondant à un projet vieux d'une dizaine d'années dans le cadre d'une procédure différente sans lien avec la présente procédure. Les auditions réclamées ne se justifiaient pas davantage.

26) Le 19 juin 2020 s'est tenu un transport sur place.

La recourante a attiré l'attention des participants sur les qualités et la valeur des bâtiments et de leur environnement. L'intégralité de la maison de maître a été visitée, et la recourante a mis l'accent sur des éléments remontant au milieu du XIXe siècle et au début du XXe siècle. La recourante a indiqué que selon elle, le DT n'avait pas été suffisamment minutieux dans la documentation des traits caractéristiques du bâtiment. Le DT a rappelé qu'il avait commandé une étude détaillée à une historienne de l'art. La recourante a indiqué que dans les années 1980 un inventaire extensif avait été fait du plateau de Chêne-Bougeries et qu'il avait été décidé à l'époque déjà que la maison devait bénéficier d'une protection. Keat a objecté qu'aucun document officiel ne rapportait une telle décision de l'époque. La recourante s'est déclarée satisfaite que la valeur du garde-corps en fonte ouvragée bordant le balcon du premier étage ait été reconnue par l'architecte, dès lors que celui-ci en conservait les pièces dans le projet définitif. L'architecte a indiqué qu'un pavillon collectif serait construit pour les habitants, dans lequel seraient remontées les ferronneries d'origine. La conservatrice cantonale des monuments a indiqué connaître un autre type de cave dans une région irriguée par une nappe phréatique, à Pierre-Grise, et que la similitude typologique avait conduit à l'hypothèse que l'architecte Adrien KRIEG avait pu dessiner la maison. Les participants ont encore parcouru la parcelle et examiné son arborisation. Keat a détaillé les mesures prises pour protéger et renforcer certains arbres. La recourante a indiqué que la préservation du bâtiment principal entraînerait la suppression de 39 logements seulement. Keat a répliqué qu'une telle modification bouleverserait le plan financier et contrarierait le PLQ. Le DT a ajouté que l'accent avait été mis sur la préservation du patrimoine arboré et que la densité du projet, de 1.36, était particulièrement faible pour ce type de zone.

27) Le 23 juin 2020, la recourante a souligné qu'en cas de classement, la maison pourrait être reconvertie de manière grandiose pour être mise à disposition du public, par exemple pour devenir une annexe du conservatoire de musique, le grand salon pouvant admirablement servir de salle de concert pour de la musique de chambre, les nombreuses chambres des étages pouvant devenir autant de salles de cours. La maison pourrait également abriter un centre culturel, une maison des droits de la femme, une crèche ou encore une maison du patrimoine. La renonciation à une tour pour préserver la maison n'entraînerait que la perte de quarante-neuf logements sur plus de 200. Diverses institutions, outre le canton ou les communes, pourraient contribuer au rachat d'un bien immobilier d'une valeur patrimoniale exceptionnelle. La recourante se demandait quel serait l'impact financier en cas de classement de la maison de maître, combien de logements seraient construits au total, si le projet deviendrait déficitaire, à quel prix la maison devrait être vendue par Keat pour garantir la viabilité du projet et compenser le manque à gagner. La recourante se demandait encore qui était l'ayant droit économique de Keat, et s'il était prêt à certaines conditions à financer tout ou partie de la rénovation de la maison de maître.

Le 24 août 2020, la recourante a encore contesté qu'il y ait eu un arbitrage comme le soutenait le DT, faute de concessions. Elle a cité la synthèse du rapport n° 159 de la Cour des comptes, datant du mois de mai 2020 et consacré à l'urbanisme et à la protection du patrimoine, selon lequel l'expansion démographique et la valeur élevée des terrains constructibles accentuaient le risque de voir disparaître le patrimoine ; les propriétaires, les acteurs de la construction et de l'immobilier, les acteurs administratifs cantonaux et communaux étaient dans l'ensemble peu sensibilisés à l'utilité et aux moyens de la préservation du patrimoine alors que la population la soutenait largement ; le canton n'avait pas de stratégie de protection des éléments les plus représentatifs de son identité, et ce n'était qu'une fois acquis le principe de densification d'un périmètre étendu qu'était étudiée la valeur des bâtiments et leur conservation. La Cour des comptes dénonçait ainsi la nature insuffisante des arbitrages du DT. Par ailleurs, le préavis négatif de la commune de Chêne-Bougeries au PLQ 29'987 n'avait jamais été soumis au Grand Conseil, en violation de l'art. 5 al. 11 LExt, ce qui pouvait conduire à sa nullité de plein droit. Le recours donnait à la chambre administrative l'occasion de mettre un frein à cette manière de procéder illicite et antidémocratique. L'intimée, qui se prévalait du PLQ, ne pouvait invoquer sa bonne foi, puisqu'elle savait à l'époque de son adoption déjà qu'il emporterait la démolition d'un élément manifestement susceptible de faire l'objet d'un classement.

28) Le 24 août 2020, le DT a maintenu ses conclusions. Tous les éléments mis en évidence par la recourante lors du transport sur place figuraient déjà dans l'étude commandée en août 2013 à Mme RILLIET. C'était donc en connaissance de cause que les autorités avaient instruit les procédures successives d'inscription à l'inventaire et de classement. Le transport sur place avait permis de constater la préservation de l'environnement paysager. Contrairement à ce qu'avait affirmé une représentante de la recourante, la maison Brolliet à Onex faisait l'objet d'une procédure d'inscription à l'inventaire mais n'était pas encore protégée. Elle n'était en outre pas comprise dans un plan d'aménagement prévoyant sa démolition, c'est ce qui empêchait qu'on la compare avec le cas d'espèce. Les considérations de la recourante sur le rachat, l'utilisation et la réaffectation de la maison, de même que les questions qu'elle posait, n'étaient pas pertinentes pour l'examen du bien-fondé de la décision attaquée et n'avaient pas à être discutées, sous peine de contrevenir à la stabilité du PLQ sur laquelle les particuliers devaient pouvoir compter, ainsi qu'à la sécurité du droit protégeant les administrés de bonne foi, étant rappelé que l'adoption du PLQ avait généré des droits à bâtir qui deviendraient inutilisables en cas de classement, ce qui engagerait la responsabilité de l'État.

29) Le 24 août 2020, Keat a maintenu ses conclusions. Toutes les actions et les explications de la recourante ne faisaient que reprendre des éléments connus dès l'origine. Aucun élément historique n'avait échappé à la connaissance de toutes les parties et à la pesée des intérêts opérée par le Conseil d'État. Cette pesée des intérêts avait été acceptée par Patrimoine suisse en février 2018 et ce n'était que le 2 novembre 2018 qu'Action patrimoine vivant s'était soudainement manifestée. Il n'y avait aucun élément nouveau qui permette de remettre en question la décision initiale du 20 février 2018 et donc la décision querellée qui était sa suite légitime, sans porter une atteinte gravissime à la sécurité du droit. La pétition invoquée par la recourante ne pouvait remettre en cause une décision en force depuis moins d'un an, et Keat aurait également pu recueillir deux mille signatures en faveur de la réalisation de logements à la place des bâtiments litigieux. Pour tenir compte de l'intérêt patrimonial de la maison, conformément à la demande du SMS, Keat ferait réaliser avant la démolition un reportage photographique par un professionnel, qui constituerait un témoignage précis et détaillé des bâtiments. De nombreux éléments seraient repris dans des bâtiments accessibles aux habitants, et dans le parc qui deviendrait accessible au public.

30) Le 26 août 2020, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 62 al. 3 et 63 LPMNS ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante sollicite préalablement la production de tous les préavis émis dans le cadre de cette procédure, un transport sur place et l'audition de la CMNS.

Elle se plaint également d'une violation de l'art. 12 al. 3 LPMNS et de son droit d'être entendue, car les préavis ne lui auraient pas été remis par l'autorité.

a. Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit pour la personne concernée de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision et de participer à l'administration des preuves (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2). Ce droit n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 136 I 229 consid. 5.2). Le droit d'être entendu ne comprend pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; arrêt Tribunal fédéral 2D_51/2018 du 17 janvier 2019 consid. 4.1) ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; ATA/1576/2019 du 29 octobre 2019 consid. 4a).

b. En l'espèce, le dossier contenant les préavis était accessible à la recourante. Son droit d'être entendue n'a ainsi pas été violé.

Les préavis réclamés ont été produits par le DT dans la procédure de recours, un transport sur place a été ordonné par le juge délégué, et la demande d'audition de la CMNS n'a pas été maintenue. Cette dernière n'aurait pas été nécessaire, car les pièces versées à la procédure, et notamment les deux préavis successifs, le premier positif le second négatif, sont argumentés et permettent de comprendre l'évolution de la position de la CMNS. Les éléments figurant au dossier ainsi que les arguments développés par les parties permettent ainsi à la chambre de céans de trancher le litige en toute connaissance de cause.

3) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision du 18 septembre 2019 par laquelle le Conseil d'État a refusé d'ordonner le classement de la maison Rosemont (cadastrée B27), de ses dépendances (cadastrée B28, B29 et B30) et leurs environs.

4) a. Selon son art. 1, la LPMNS a entre autres pour but de conserver les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture, les antiquités immobilières ou mobilières situées ou trouvées dans le canton ainsi que le patrimoine souterrain hérité des anciennes fortifications de Genève (let. a), de préserver l'aspect caractéristique du paysage et des localités, les immeubles et les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (let. b), d'assurer la sauvegarde de la nature, en ménageant l'espace vital nécessaire à la flore et à la faune, et en maintenant les milieux naturels (let. c) et de favoriser l'accès du public à un site ou à son point de vue (let. d).

Selon l'art. 4 LPMNS, sont protégés les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets ou leurs abords (let. a) et les immeubles, les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (let. b).

b. S'agissant de l'inscription à l'inventaire, l'art. 7 al. 1 LPMNS prévoit qu'il est dressé un inventaire de tous les immeubles dignes d'être protégés au sens de l'art. 4. Si une demande d'inscription à l'inventaire est faite sous forme d'une requête motivée par la commune du lieu de situation de l'immeuble en cause ou par une association au sens de l'art. 63, l'autorité compétente pour dresser l'inventaire est tenue de statuer. Sa décision est motivée.

L'art. 7 al. 2 LPMNS précise toutefois que si la demande de mise à l'inventaire porte sur un immeuble dont la démolition ou la transformation a fait l'objet d'un préavis favorable de la CMNS et est prévue par une autorisation de construire ou de démolir en force ou un plan localisé de quartier ou un plan de site, l'un et l'autre entrés en force depuis moins de cinq ans, elle est sans délai déclarée irrecevable.

L'art. 7 al. 6 LPMNS ajoute que si l'autorité chargée d'instruire la demande de mise à l'inventaire conclut à son rejet, elle est tenue d'examiner l'opportunité d'une autre mesure de protection éventuelle, telle que le classement, le classement partiel ou l'adoption d'un plan de site et, le cas échéant, de soumettre la proposition au Conseil d'État pour décision.

Lorsqu'une procédure de mise à l'inventaire est ouverte, la commune du lieu de situation est consultée (art. 8 al. 1 LPMNS et 17 al. 3 du règlement d'exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre 1976 - RPMNS - L 4 05.01). L'autorité municipale doit communiquer son préavis dans un délai de trente jours à compter de la réception du dossier (art. 8 al. 2 LPMNS). Le silence de la commune vaut approbation sans réserve (art. 8 al. 3 LPMNS).

La CMNS formule ou examine les propositions d'inscription ou de radiation d'immeubles à l'inventaire et dans le second cas donne son préavis (art. 5 al. 2 let. b RPMNS).

Les immeubles inscrits à l'inventaire doivent être maintenus et leurs éléments dignes d'intérêt préservés (art. 9 al. 1 LPMNS).

c. S'agissant du classement, il peut être ordonné pour assurer la protection d'un monument ou d'une antiquité, par le Conseil d'État et par voie d'arrêté assorti, au besoin, d'un plan approprié (art. 10 al. 1 LPMNS).

Si la demande de classement porte sur un immeuble dont la démolition ou la transformation a fait l'objet d'un préavis favorable de la CMNS et est prévue par une autorisation de construire ou de démolir en force ou un plan localisé de quartier ou un plan de site, l'un et l'autre entrés en force depuis moins de cinq ans, elle est sans délai déclarée irrecevable (art. 10 al. 3 LPMNS).

Si l'autorité chargée d'instruire la demande de classement conclut à son rejet, elle est tenue d'examiner l'opportunité d'une autre mesure de protection, telle que le classement partiel, la mise à l'inventaire ou l'adoption d'un plan de site et de soumettre, le cas échéant, la proposition au Conseil d'État pour décision (art. 12 al. 5 LMPNS).

La commune est également consultée (art. 14 LPMNS).

La CMNS formule des propositions ou examine les demandes ou propositions de classement ou de déclassement d'un immeuble ou meuble (art. 5 al. 2 let. d RPMNS).

Le classement a pour effet que l'immeuble ne peut, sans l'autorisation du Conseil d'État, être démoli, faire l'objet de transformations importantes ou d'un changement dans sa destination (art. 15 al. 1 LPMNS).

d. L'art. 4 let. a LPMNS, en tant qu'il prévoit la protection de monuments de l'architecture présentant un intérêt historique, scientifique ou éducatif, contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l'autorité comme au juge une latitude d'appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s'appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des oeuvres d'art mais qu'elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu'ils sont des témoins caractéristiques d'une époque ou d'un style (Philip VOGEL, La protection des monuments historiques, 1982, p. 25). La jurisprudence a pris acte de cette évolution (ATF 126 I 219 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_300/2011 du 3 février 2012 consid. 5.1.1).

Tout objet construit ne méritant pas une protection, il y a lieu procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction des critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d'un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes. Elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a ; 118 Ia 384 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/1024/2019 précité consid. 3d ; ATA/428/2010 du 22 juin 2010 consid. 7c).

e. L'autorité jouit, sous réserve d'excès ou d'abus de pouvoir, d'une certaine liberté d'appréciation dans les suites à donner dans un cas d'espèce, quel que soit le contenu du préavis, celui-ci n'ayant qu'un caractère consultatif (ATA/1024/2019 précité consid. 3d ; ATA/721/2012 du 30 décembre 2012 consid. 5).

Chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l'autorité de recours observe une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi. La chambre est en revanche libre d'exercer son propre pouvoir d'examen lorsqu'elle procède elle-même à des mesures d'instruction, à l'instar d'un transport sur place (ATA/1024/2019 précité consid. 4c et les références citées).

Si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours. En outre, la CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d'associations d'importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMNS). À ce titre, son préavis est important (ATA/1024/2019 précité consid. 4d ; ATA/1214/2015 10 du novembre 2015 consid. 4f).

5) La délivrance d'autorisations de construire selon les normes d'une zone de développement est subordonnée, sous réserve des demandes portant sur des objets de peu d'importance ou provisoires, à l'approbation préalable par le Conseil d'État notamment d'un PLQ au sens de l'art. 3, assorti d'un règlement, sauf en cas de dérogation (art. 2 al. 1 let 1 et al. 2 LGZD).

Aux termes de l'art. 3 al. 4 LGZD, les PLQ indiquent le cas échéant les bâtiments déclarés maintenus en raison de leur intérêt, l'art. 90 al. 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) étant applicable par analogie aux travaux exécutés dans ces immeubles, sous réserve de cas d'intérêt public (a), les remaniements parcellaires nécessaires à la réalisation du plan (b), les bâtiments dont la démolition est prévue et les arbres à abattre (c).

Le projet de PLQ est élaboré par le département de sa propre initiative ou sur demande du Conseil d'État ou d'une commune; il est mis au point par le département, en collaboration avec la commune, et la commission d'urbanisme et les particuliers intéressés à développer le périmètre, sur la base d'un avant-projet étudié par le département, la commune ou des particuliers intéressés à développer le périmètre dans le cadre d'un processus de concertation avec ces derniers, les habitants, propriétaires et voisins du quartier ainsi que les associations et la commune concernées (art. 5A al.1 LGZD).

Aux termes de l'art. 6 al.1 LGZD, le projet de PLQ est soumis à une enquête publique d'au moins trente jours annoncée par voie de publication dans la Feuille d'avis officielle (ci-après: FAO) et d'affichage dans la commune.

Pendant la durée de l'enquête publique, chacun peut prendre connaissance du projet à la mairie ou au département et adresser à ce dernier ses observations (art. 6 al. 3 LGZD).

Pendant un délai de trente jours à compter de la première publication du projet de PLQ dans la FAO et d'affichage dans la commune, toute personne, organisation ou autorité qui dispose de la qualité pour recourir contre le PLQ peut déclarer son opposition, par acte écrit et motivé, au Conseil d'État (art. 6 al. 9 LGZD).

6) En l'espèce, le Conseil d'État est entré en matière sur la demande de classement alors qu'il aurait pu la déclarer irrecevable en application de l'art. 10 al. 3 LPMNS. La chambre de céans examinera partant les griefs des recourants relatifs au bien-fondé de la décision de rejet de la demande de classement.

7) Il n'est contesté par personne que les bâtiments objets de la demande de classement présentent, à teneur du dernier plan de synthèse n° 29'975 du 25 mars 2014 une valeur de « monument et bâtiment exceptionnels et leurs abords » pour la maison Rosemont, et de « monument et bâtiment intéressants et leurs abords » pour ses deux dépendances cadastrées.

Les parties ne contestent pas plus que les bâtiments sont en principe éligibles à une inscription à l'inventaire et même à un classement au sens de la LPMNS, vu leur qualité.

La recourante soutient que la pesée des intérêts entre logements et protection du patrimoine bâti a été faite incorrectement, ce qui constitue un abus du pouvoir d'appréciation de l'autorité. Elle se plaint également d'une violation du principe de proportionnalité, car le DT n'a pas examiné l'opportunité d'une autre mesure de protection, tels que le classement partiel, la mise à l'inventaire ou l'adoption d'un plan de site, comme l'exigeait l'art. 12 al. 5 LPMNS, et la commune se densifie plus rapidement que le reste du canton.

Le DT et Keat soutiennent pour leur part que la pesée des intérêts en faveur de la construction de logements avait été effectuée correctement lors du refus d'inscription déjà, et est aujourd'hui intangible suite à l'adoption du PLQ.

a. Traditionnellement, le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/569/2015 du 2 juin 2015 et les arrêts cités).

b. La chambre de céans a déjà jugé, dans l'examen d'un PLQ, que la prise en compte, par l'autorité, de l'intérêt public à la construction de logements en période de crise du logement et son choix de faire prévaloir cet intérêt sur la préservation de bâtiments ayant valeur d'inscription à l'inventaire, constituait un motif prépondérant, dûment pesé, lui permettant de s'écarter d'un préavis défavorable à la démolition de l'autorité consultative (la commune étant par ailleurs favorable et aucune mesure de protection n'ayant été réclamée par le voisinage). En telle hypothèse, même s'il y était opposé, le juge ne pourrait substituer sa propre appréciation à celle du Conseil d'État (ATA/692/2014 du 2 septembre 2014 consid. 6).

Dans la même espèce, et dans la suite du PLQ, des autorisations de démolir et de construire avaient ensuite été délivrées, qui étaient entrées en force, et une demande de classement avait été rejetée. La CMNS s'était prononcée en faveur du classement et la commune en défaveur. La chambre de céans a rejeté le recours contre le refus de classement, faute d'abus du pouvoir d'appréciation du Conseil d'État, en se référant à la pesée d'intérêts qui avait présidé à l'adoption du PLQ, dont aucun motif ni élément nouveau ne justifiait qu'on s'écarte (ATA/843/2019 du 30 avril 2019 consid. 9c).

La chambre de céans a relevé dans le même arrêt que si le classement de bâtiments était souvent requis lors du dépôt d'une demande d'autorisation de construire et de démolir, dans le cas d'espèce le projet de réaménagement du quartier et par conséquent de destruction de plusieurs bâtiments était connu au moment de l'élaboration du PLQ déjà, contre lequel aucune association ne s'était alors manifestée (ATA/843/2019 précité consid. 9d).

Quant à une éventuelle modification du PLQ, le même arrêt a considéré qu'au vu de l'ensemble des procédures menées par l'État dans le but de réaménager le quartier, mais également des frais déjà engagés par le propriétaire du bâtiment à démolir à la suite de garanties reçues, soit en particulier l'entrée en force du PLQ, ni le principe de la bonne foi, ni celui de proportionnalité, ni aucun intérêt public en l'espèce prépondérant à celui de la densification, ne justifiaient que l'État modifie les plans de réaménagement du quartier pour sauver la bâtisse (ATA/843/2019 précité consid. 9d).

Ce raisonnement est cohérent avec les exceptions d'irrecevabilité prévues aux art. 7 al. 2 et 10 al. 3 LPMNS.

À l'inverse, la chambre de céans a confirmé une décision d'inscription à l'inventaire dans un cas (sans PLQ) où tous les préavis étaient favorables, niant une violation du principe de proportionnalité, l'intérêt privé à une utilisation financière optimale du bâtiment par les propriétaires ne pouvant à lui seul l'emporter sur l'intérêt public à la conservation du bâtiment, le département ayant d'ailleurs expliqué qu'il entendait faire prévaloir l'intérêt public au maintien d'un élément du patrimoine sur celui lié à la construction de nouveaux bâtiments destinés à l'habitat, et les propriétaires n'ayant pas reçu d'assurances (ATA/1068/2016 du 20 décembre 2016 consid. 10 et 11).

c. En l'espèce, le Conseil d'État ne s'est pas écarté des préavis de la commune et de la plénière de la CMNS, tous deux défavorables au classement. Il s'est référé pour le surplus au PLQ n° 29978-511 approuvé le 28 février 2018 et au rejet le même jour de la demande de mise à l'inventaire, pour lesquels une pesée d'intérêts avait été effectuée entre construction de logements et préservation du patrimoine, à une époque où la valeur des bâtiments était connue et documentée. À cette occasion, le DT avait examiné les mesures alternatives à l'inscription et avait finalement retenu la préservation de certains éléments dans le PLQ.

Le raisonnement du Conseil d'État ne prête pas le flanc à la critique.

Son choix d'accorder un poids supérieur à l'intérêt à la construction de logements au moment de l'adoption du PLQ relevait de sa marge d'appréciation, et constituait un argument qui n'a rien d'arbitraire.

Par ailleurs, d'autres mesures de protection que l'inscription avaient été examinées et écartées.

Ce choix pouvait être contesté à l'époque de l'adoption du PLQ. Et c'est à ce moment-là que les griefs ayant trait à la densification de la commune ou à l'omission de prendre en compte des solutions alternatives pouvaient être soulevés, étant rappelé que le DT avait à l'époque procédé de manière coordonnée en instruisant parallèlement la demande d'inscription à l'inventaire et l'adoption du PLQ, et que le pouvoir d'examen de la chambre de céans est limité.

Or, le PLQ n'a été contesté que temporairement à l'époque de son adoption, et c'est conformément à la jurisprudence, susévoquée, de la chambre de céans que le Conseil d'État s'est référé dans la décision attaquée au PLQ aujourd'hui entré en force pour rejeter la demande de classement.

Il sera encore observé qu'aucun élément nouveau décisif pour la pesée d'intérêts ne s'est produit ou n'a été découvert depuis l'adoption du PLQ.

Les griefs seront écartés.

8) La recourante se plaint encore, dans ses dernières écritures, que le préavis négatif de la commune de Chêne-Bougeries au PLQ 29'987 n'avait jamais été soumis au Grand Conseil, en violation de l'art. 5 al. 11 LExt.

La recourante n'établit toutefois pas ce fait, qui ne ressort pas de la procédure.

Le grief devait quoi qu'il en soit être soulevé dans un éventuel recours contre le PLQ à l'époque de son adoption.

Il est observé au surplus que la commune de Chêne-Bougeries a préavisé défavorablement tant l'inscription à l'inventaire le 9 mai 2014 que le classement le 2 septembre 2019, et qu'elle n'a pas recouru contre le PLQ.

Le grief sera écarté.

9) La recourante se plaint encore d'une inégalité de traitement, l'autorité ayant traité de manière identique la demande de classement et la demande d'inscription à l'inventaire alors que tant les requérantes que le type de protection demandée et le nombre des bâtiments visés étaient différents, que la demande de classement portait également sur les abords, et que de nouveaux faits étaient intervenus depuis 2014.

a. Une décision ou un arrêté viole le principe de l'égalité de traitement garanti par l'art. 8 Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. La question de savoir si une distinction juridique repose sur un motif raisonnable peut recevoir une réponse différente selon les époques et suivant les conceptions, idéologies et situations du moment (ATF 138 V 176 consid. 8.2 ; 131 I 1 consid. 4.2 ; 129 I 346 consid. 6 ; Vincent MARTENET, Géométrie de l'égalité, Zurich-Bâle-Genève 2003, p. 260 ss).

b. En l'espèce, les bâtiments visés sont les mêmes, et la maison de Rosemont est le plus significatif, de sorte que l'adjonction des dépendances ou des environs dans la seconde demande ne différencie guère les deux situations. L'inscription à l'inventaire et le classement constituent deux mesures de protection de degré différent prévues par la même loi pour protéger le même patrimoine bâti. L'identité de l'association requérante est sans effet sur le traitement au fond d'une requête. Ainsi, et à supposer qu'il se justifie de comparer deux décisions successives portant sur la protection d'un même ensemble, les situations apparaissent très semblables, de sorte que le fait pour l'autorité de se référer à la première décision pour fonder la seconde n'est pas critiquable en soi.

Le grief sera écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

10) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 octobre 2019 par l'Association Patrimoine Vivant contre l'arrêté du Conseil d'État du 18 septembre 2019 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de l'Association Patrimoine Vivant ;

dit qu'aucune indemnité de procédure n'est allouée ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Florian Baier, avocat de la recourante, à Me François Bellanger, avocat de Keat SA, au Conseil d'État, ainsi qu'à l'office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :