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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/34/2022

ATA/275/2023 du 21.03.2023 ( PROF ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;CONSULTATION DU DOSSIER;DOCUMENT INTERNE;OFFRE DE PREUVE;COMPOSITION DE L'AUTORITÉ;COMMISSION D'EXPERTS;PRIMAUTÉ DU DROIT FÉDÉRAL;PROFESSION SANITAIRE;MÉDECIN;DEVOIR PROFESSIONNEL;INFRACTIONS CONTRE LES DEVOIRS DE FONCTION;DILIGENCE;SOINS MÉDICAUX;PRESCRIPTION MÉDICALE;UTILISATION HORS ÉTIQUETTE;STUPÉFIANT;NÉCESSITÉ D'UN TRAITEMENT;DÉPENDANCE(MALADIE);DOSSIER MÉDICAL;DROIT DISCIPLINAIRE;MESURE DISCIPLINAIRE;SANCTION ADMINISTRATIVE;INTERDICTION D'EXERCER UNE PROFESSION;POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : Cst.29.al2; Cst.3; Cst.49.al1; Cst.118.al2.leta; LPMéd.40.leta; LPTh.3; LPTh.26; LS.78.al1; LS.82; LS.85; LS.113; LComPS.3.al1; LComPS.7.al1.leta; LComPS.12; LComPS.18; LComPS.19; LCOf.6.al1; LCOf.15.al1; RCOf.4.letx; LStup.1; LStup.3; LStup.11.al1; LStup.11.al1bis; RaLStup.6A
Résumé : Admission partielle du recours déposé par un médecin contre un arrêté du département de la sécurité, de la population et de la santé lui retirant son droit de pratiquer. Suite à de nombreuses dénonciations en lien avec la prescription hors étiquette (off-label) de midazolam (Dormicum) et de morphine, le département a saisi la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients. La Directive cantonale DGS.003.03 interdisant la prescription de benzodiazépines à courte durée d’action (dont le Dormicum) aux personnes souffrant de toxicodépendance contrevient au principe de la primauté du droit fédéral. La prescription de médicament hors étiquette relève de la liberté thérapeutique et est en principe licite. En l’absence de consensus médical visant à interdire les prescriptions en cause, le département aurait dû examiner concrètement et dans chaque cas si le médecin avait respecté les devoirs professionnels régissant la prescription off-label et les procédures d’autorisation et d’annonce prévues par la LStup. Renvoi du dossier pour instruction complémentaire et nouvelle décision.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/34/2022-PROF ATA/275/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 mars 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______ recourant
représenté par Me Jacques Roulet, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ intimé



EN FAIT

A. a. Monsieur A______, né le ______ 1953, spécialiste FMH en médecine interne générale, est autorisé à exercer la profession de médecin dans le canton de Genève depuis le 9 juin 1986.

b. M. A______ suit notamment une patientèle souffrant de toxicodépendance au bénéfice d’un traitement agoniste opioïde de substitution
(ci-après : TAO), anciennement désigné « traitement basé sur la substitution »
(ci-après : TBS), à laquelle il prescrit également du Dormicum.

c. Selon les informations découlant du Compendium des médicaments suisses
(ci-après : Compendium), le principe actif du Dormicum est le midazolam, soit une benzodiazépine. Ce médicament est indiqué comme traitement à court terme des troubles du sommeil (troubles du rythme du sommeil, troubles de l’endormissement ou difficultés à se rendormir après un réveil précoce). Il est également utilisé comme sédation dans le cadre de la prémédication lors d’une intervention chirurgicale ou diagnostique. Sa posologie usuelle chez l’adulte est de 7,5 à 15 mg par jour. Le traitement ne doit généralement pas dépasser deux semaines. Un traitement de plus longue durée peut s’avérer nécessaire, mais il doit être réévalué avec soin. La prise de benzodiazépines peut mener à une dépendance. Ce risque augmente lors de traitement prolongé, lors de posologie élevée ou chez les patients prédisposés ayant des antécédents connus d’abus d’alcool et/ou de médicaments. Un surdosage de Dormicum met rarement le pronostic vital en jeu lorsque le médicament a été pris seul. Ce médicament exerce une action sédative et hypno-inductrice très rapide. Il exerce également un effet anxiolytique, anticonvulsant et myorelaxant.

B. a. En mars 2010, le service du médecin cantonal (ci-après : SMC) a dénoncé
M. A______ à la commission de surveillance des professions, de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission), suite à une interpellation d’un pharmacien qui s’étonnait des quantités de Dormicum prescrites (cause n° 26/10/1).

b. Dans le cadre de cette procédure, M. A______ a reconnu avoir prescrit vingt comprimés par jour de Dormicum à son patient qui suivait un traitement de substitution par méthadone et indiqué qu’il s’agissait d’un cas inhabituel qui nécessitait un traitement exceptionnel.

c. La procédure a été classée en septembre 2013. La commission a considéré que le traitement dispensé était acceptable, bien qu’il ne correspondît pas à une pratique optimale. Il aurait certainement été préférable de recourir à un traitement de substitution sur une longue durée d’action, lequel aurait été ponctué par un sevrage. Le patient traité était toutefois un cas problématique se trouvant dans une situation difficile entraînant des risques d’exclusion sociale. Les doses très importantes de Dormicum lui permettaient de parvenir à un équilibre fragile que son médecin avait maintenu. Au moment des faits querellés, M. A______ n’avait pas agi en violation des règles de l’art en instituant cette médication, mais il lui était rappelé les termes de la directive DGS.003.03, notamment le devoir de passer à la prescription des benzodiazépines autorisées d’ici au 1er janvier 2014.

C. a. Le 1er juillet 2013, la direction générale de la santé (ci-après : DGS) a adopté la directive DGS.003.03 sur la prise en charge des personnes toxicodépendantes, laquelle prévoit notamment que seules les benzodiazépines suivantes peuvent être prescrites : oxazépam (Seresta, Anxiolit), clorazépate (Tranxilium) et clonazépam (Rivotril). Pour les patients en cours de traitement avec d’autres benzodiazépines
(ex. Dormicum) le passage à la prescription des benzodiazépines autorisées devait être effectué avant le 1er janvier 2014.

b. Le 17 avril 2014, M. A______ a invité la DGS à annuler avec effet immédiat ladite directive qui contenait des règles restrictives contraires au droit fédéral. Il a ajouté qu’il ne modifierait pas sa pratique et ne ferait pas courir à ses patients le risque d’une interruption de traitement pour appliquer une directive scientifiquement infondée et sans aucune valeur juridique.

c. La DGS lui a répondu le 6 mai 2014 qu’une analyse serait effectuée et qu’il serait tenu informé de la suite donnée à son courrier.

d. Le 8 novembre 2016, M. A______ a demandé au conseiller d’État à la tête du département en charge de la santé (ci-après : département) le retrait de la directive DGS.003.03, soulignant que le midazolam (Dormicum) faisait partie des substances nécessaires à un TBS.

D. a. Le 4 mai 2017, le conseiller d’État a informé M. A______ que la DGS lui avait fait part de sa prescription inhabituelle de Dormicum et qu’elle se proposait de limiter son droit de pratiquer.

b. Le 29 juin 2017, M. A______ a relevé l’absence de tout motif juridique dans le projet de décision le concernant et rappelé qu’aucune réponse n’avait été donnée à sa lettre du 17 avril 2014, par laquelle il avait invité la DGS à annuler la directive DGS.003.03.

c. Par arrêté du 15 août 2017 « relatif au retrait partiel du droit de pratiquer du
Dr A______ », le département a dit que M. A______ n’était pas autorisé à traiter des personnes dépendantes au moyen de substances soumises à contrôle telles que définies par la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) (traitements de substitution) (ch. 1) et qu’il ne pouvait prescrire à des personnes non dépendantes des benzodiazépines ou des substances apparentées de courte durée d’action (ex. : midazolam, triazolam, zolpidem) que dans les posologies figurant dans les notices des médicaments (ch. 2). Il a constaté que le médecin ne respectait pas les bonnes pratiques en matière de prescription de stupéfiants, qu’il ne sollicitait pas non plus un second avis lorsqu’il dépassait les prescriptions et qu’il ne suivait pas les recommandations de l’Association des médecins cantonaux de Suisse (ci-après : AMCS) préconisant de passer de la remise de benzodiazépines à courte durée à des benzodiazépines à longue durée d’action. La commission lui avait rappelé de prescrire de l’oxazépram, du clorazépate ou du clonazépam, conformément à la directive cantonale. Malgré plusieurs échanges à ce sujet avec le médecin et le pharmacien cantonaux, M. A______ persévérait dans ses ordonnances, traitant quatorze cas de dépendance par la prescription du Dormicum. Enfin, il avait été constaté que ces prescriptions alimentaient le marché noir.

d. Statuant sur recours de M. A______ le 7 août 2018, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a annulé l’arrêté du département du 15 août 2017, ce dernier ayant été rendu avant que la commission ne mette un terme à la procédure dans la cause n° 12/16/1
(cf. ci-dessous E.b), de sorte qu’il avait porté atteinte à l’indépendance de ladite commission, sur laquelle il n’exerçait aucune autorité hiérarchique. La chambre administrative ne s’est pas prononcée sur la validité de la directive, ni sur le bien-fondé des traitements et prescriptions de Dormicum par le médecin.

E. a. Saisie de nombreuses dénonciations en lien avec la prescription de Dormicum, la commission a ouvert plusieurs procédures administratives à l’encontre de
M. A______, dont l’instruction a été confiée à la sous-commission 1.

b. La cause n° 12/16/1 a été ouverte suite à une dénonciation du 9 février 2016 du pharmacien cantonal, Monsieur B______, lequel a indiqué avoir constaté que M. A______ prescrivait depuis plusieurs années des doses importantes de Dormicum, soit en moyenne entre vingt et quarante comprimés par jour. Il a cité l’exemple de Monsieur C______, dont les doses de Dormicum élevées avaient encore été augmentées, parallèlement à de la méthadone également prescrite à des doses croissantes. Or, le Dormicum n’était pas une benzodiazépine adaptée et recommandée dans la prise en charge des traitements de substitution. Ces prescriptions n’étaient pas compatibles avec une prise en charge médicale adéquate et cadrée de personnes dépendantes et laissaient plutôt penser que le produit était revendu. L’existence d’un marché noir pour le Dormicum était bien connue et constituait une raison pour laquelle il fallait le bannir de ce type de traitement.

c. La cause n° 24/18/1 fait suite à un courrier du 19 avril 2018 du médecin cantonal, Monsieur D_____, qui a signalé la situation de quatre patients auxquels M. A______ prescrivait du Dormicum.

Ainsi, Madame E______ recevait un TBS autorisé par le SMC depuis 2001, comprenant de la morphine per os et de l’oxazépam selon l’annonce du
21 août 2017 de M. A______. Or, l’assureur-maladie de la patiente avait informé le SMC que celle-ci avait présenté pendant l’année écoulée une ordonnance dans vingt-deux pharmacies différentes pour obtenir du Dormicum. La prescription était prévue individuellement pour un traitement de deux à trois comprimés par jour, mais en additionnant toutes les pharmacies qui avaient délivré le traitement, la consommation totale s’élevait de vingt à trente comprimés par jour, ce qui n’était pas autorisé sans la production d’un second avis médial délivré par un médecin spécialisé ou expérimenté en addictologie. De plus, seule une pharmacie était autorisée à délivrer le traitement de la dépendance de cette patiente.

La deuxième situation visait Monsieur F______, qui était depuis le 13 décembre 2012 au bénéfice d’un TBS avec de la méthadone auprès du
Docteur G______, délivré par la pharmacie de ______. Cependant, une autre pharmacie avait adressé un téléfax au service du pharmacien cantonal (ci-après : SPC) en avril 2018 1’informant d’une prescription parallèle de Dormicum par
M. A______. Ce dernier avait établi plusieurs ordonnances datées du
16 avril 2018 dispensant une boîte de Dormicum de trente comprimés à des dates différentes, soit les 17, 18 et 19 avril 2018.

Le troisième patient, Monsieur H______, avait reçu le 7 mars 2016 une autorisation de l’Office fédéral de la santé publique (ci-après : OFSP) pour suivre un traitement avec de l’héroïne au programme expérimental de prescription de stupéfiants des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG). Toutefois, le service de la santé publique vaudois avait informé le SMC que M. A______ lui délivrait des prescriptions parallèles de Dormicum, à savoir dix fois six comprimés par jour, et que ce patient s’était présenté dans plusieurs pharmacies vaudoises. Ce traitement n’avait pas été autorisé par le SMC, qui était intervenu pour les faire cesser « sans succès ».

Enfin, Monsieur I______ bénéficiait d’un TBS avec de la méthadone auprès des HUG. Le SPC avait constaté des prescriptions parallèles de Dormicum par
M. A______.

d. La cause n° 61/18/1 fait suite à un courrier du 27 septembre 2018 du directeur médical des HUG, le professeur J_____, dénonçant les agissements de M. A______ en lien avec la prise en charge de deux patients et évoquant des prescriptions abusives susceptibles de mettre en danger la santé des patients, la santé publique et pouvant contribuer à un approvisionnement illicite du marché noir de médicaments.

Le premier patient, incarcéré depuis le 3 janvier 2018, bénéficiait d’un suivi régulier à l’unité médicale des HUG de la prison de Champ-Dollon. À son entrée en prison, il avait présenté une prescription de M. A______ portant sur soixante comprimés de Dormicum 15 mg par jour, soit 900 mg par jour, et 150 mg de méthadone par jour. Une telle quantité de Dormicum dépassait largement la posologie maximale quotidienne prévue par le Compendium. La prescription du médecin n’avait donc pas pu être suivie et avait été adaptée aux besoins du patient durant son incarcération. Compte tenu du profil pharmacologique défavorable du Dormicum, à courte demi-vie avec un pic d’action rapide lui procurant un haut potentiel addictif, et de la quantité prescrite, le patient avait reçu un traitement de substitution à l’Anxiolit selon des indications du service d’addictologie des HUG et conformément aux recommandations internationales sur les traitements de substitution. Il avait été soigné de manière parfaitement adéquate à la situation et ne souffrait actuellement pas d’un sevrage de benzodiazépines. La prescription de Dormicum en cause paraissait contraire aux devoirs professionnels, aux principes régissant la prescription et la remise de médicaments et à l’obligation des professionnels de la santé de contribuer à la lutte contre l’usage inadéquat et dangereux des produits thérapeutiques. En outre, le patient avait expliqué qu’il ne consommait que la moitié des comprimés prescrits et effectivement remis, de sorte qu’il semblait que trente comprimés demeuraient quotidiennement à sa disposition.

Le deuxième patient, suivi par l’unité de transition hospitalière en addictologie des HUG (ci-après : UTHA), avait expliqué au personnel soignant qu’il était au bénéfice d’une ordonnance renouvelable de M. A______ pour soixante comprimés de 15 mg de Dormicum, avec une posologie de deux à cinq comprimés par jour, sans mention de renouvellement. Il avait été d’accord de leur remettre l’ordonnance en question, laissant entendre que son médecin lui en procurerait une nouvelle.

Par courrier du 22 mai 2019, le Prof. J______ a complété sa dénonciation, de nombreuses ordonnances de Dormicum 15 mg prescrites par M. A______ ayant été retrouvées dans la chambre du patient hospitalisé au service d’addictologie, soit deux ordonnances datées du 10 avril 2019 pour un total de
nonante comprimés et sept ordonnances datées du 24 avril 2019 pour un total de
quatre cent trente comprimés. Ainsi, cinq cent vingt comprimés avaient été prescrits pour un traitement de moins de deux semaines. Le patient avait indiqué à l’équipe médicale se rendre régulièrement au cabinet du médecin, durant des sorties non autorisées, pour se procurer des ordonnances de ce médicament.

Le 18 juillet 2019, le Prof. J______ a rapporté que sept ordonnances de Dormicum 15 mg de soixante comprimés chacune avaient été retrouvées dans la chambre du patient hospitalisé au « service de psychiatrie » des HUG. Ces quantités dépassaient largement celles recommandées par les règles des sciences pharmaceutiques et médicales reconnues et semblaient violer le cadre légal applicable. De plus, l’équipe médicale avait déjà informé M. A______ que ce patient était entièrement pris en charge par les HUG, suite à une ordonnance du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE) et lui avait demandé de ne plus établir de telles ordonnances. Après avoir découvert une prescription du 26 juin 2019, le médecin chef de service avait écrit à M. A______ le 28 juin 2019 pour lui rappeler que le patient était hospitalisé dans son service et lui demander de cesser toute prescription. Le 4 juillet 2019, M. A______ avait justifié son traitement. Les six dernières ordonnances retrouvées étaient datées du
9 juillet 2019.

Par courrier du 23 août 2019, les HUG ont fait parvenir à la commission la copie de cinq nouvelles ordonnances de Dormicum 15 mg établies en faveur du même patient, datées du 24 juillet 2019 et portant sur la remise de soixante comprimés pour une prescription quotidienne de quatre à six comprimés, et mentionnant une date de dispensation différente, du 25 au 29 juillet 2019.

e. La cause n° D 8/19/1 résulte d’une dénonciation du 1er février 2019 de
Monsieur K_____, directeur général de l’office cantonal de la détention (ci-après : OCD), lequel a exposé que le service d’application des peines et des mesures (ci-après : SAPEM) et le service de probation et d’insertion
(ci-après : SPI) avaient constaté des prescriptions problématiques de
M. A______ qui n’étaient pas conformes à la science et aux règles applicables. De plus, la quantité excessive des médicaments prescrits donnait la possibilité aux patients de vendre le surplus sur le marché noir.

Le premier cas concernait Monsieur F. C., qui était suivi par le SAPEM. Ce dernier avait été contacté le 16 octobre 2018 par un pharmacien de la Chaux-de-Fonds et par le centre de prévention et de traitement des addictions de cette même ville, qui avaient refusé de remettre le traitement à l’intéressé, puis par le pharmacien cantonal de Neuchâtel. Tous avaient fait part de leurs préoccupations en lien avec les prescriptions de M. A______. Le lendemain, le SAPEM avait été informé par le service cantonal des pharmaciens de Neuchâtel qu’une autre pharmacie ne voulait plus servir le traitement, puis contacté par le médecin cantonal du Jura qui s’inquiétait du nombre élevé de médications prescrites. Le 18 octobre 2018, la pharmacie de la Chaux-de-Fonds avait rapporté au SAPEM que le patient avait été vu en train de faire du trafic avec d’autres toxicomanes. Par courriel du
22 novembre 2018, le pharmacien cantonal neuchâtelois avait précisé au SAPEM que M. A______ prescrivait au patient quarante comprimés de Dormicum 15 mg par jour, ainsi qu’une réserve de trente comprimés par semaine, et quatre comprimés de Rivotril 2 mg, soit des utilisations off-label qui auraient dû faire l’objet d’une annonce à l’autorité cantonale compétente. Ces quantités excessives permettaient la revente du surplus sur le marché noir.

Le deuxième cas visait Monsieur Y. B., à qui M. A______ prescrivait un traitement quotidien comprenant 220 mg de méthadone et 600 mg de Dormicum, selon les indications que le médecin avait fournies au SAPEM en juin 2017.

Concernant la troisième personne, Monsieur A. V., son assurance-maladie avait informé le SPI le 5 octobre 2018 que la quantité de Dormicum achetée dépassait largement les recommandations de Swissmedic et du Compendium, de sorte qu’elle limiterait sa prise en charge à un emballage de trente comprimés par mois.

Le quatrième cas concernait Monsieur F. N., qui avait eu des difficultés à se libérer du suivi de M. A______. Selon le courrier annexé de ce patient, il avait indiqué à son médecin les 22 et 24 octobre 2018 qu’il voulait arrêter son suivi et lui avait demandé une attestation d’interruption de suivi et de prescription de Dormicum afin de pouvoir débuter un suivi thérapeutique auprès de la consultation ambulatoire d’addictologie psychiatrique (ci-après : CAAP). Il avait besoin de ce document avant le 6 novembre 2018 et « implorait » M. A______ de le lui remettre pour lui éviter d’être incarcéré. Le 5 novembre 2018, le médecin avait indiqué au SPI que son patient était « libre de choisir lui-même le cadre thérapeutique » qui lui convenait, y compris de se rendre au CAAP, et qu’il ne s’opposait pas à ce qu’une nouvelle relation soit établie avec un autre thérapeute. Il estimait toutefois que les documents reçus de l’intéressé démontraient une forme de chantage au traitement.

Enfin, Monsieur M. N., suivi par M. A______ depuis le 10 mars 2017, avait été condamné par ordonnance pénale du 28 mars 2017, notamment pour avoir vendu trois comprimés de Dormicum à un tiers en date du 27 mars 2017.

f.                       La cause n° D 12/19/1 découle d’une dénonciation du 20 février 2019 du médecin cantonal relative à la prise en charge de Madame L______, au bénéfice d’un TBS avec de la morphine per os autorisé depuis le 2 juin 2017 et délivré par une seule pharmacie. Or, une autre pharmacie avait informé le SPC qu’elle remettait à la patiente un traitement de trois à cinq comprimés de Dormicum par jour et qu’elle avait appris que la patiente présentait des ordonnances identiques dans une autre pharmacie. Si la prescription d’un traitement journalier de trois à cinq comprimés de Dormicum n’était pas soumise à l’annonce aux autorités (compte tenu de la marge de tolérance fixée par le SMC), ce n’était pas le cas d’un traitement de six à dix comprimés, soit ce que les deux pharmacies avaient possiblement délivré. De plus, pour un traitement de Dormicum avec un dosage élevé, il convenait de demander un second avis médical à un médecin spécialiste ou expérimenté en addictologie, conformément aux principes généraux régissant l’utilisation des benzodiazépines et des médicaments apparentés de mai 2014.

g. Par courrier du 12 mars 2020, le SPC a transmis à la commission sept ordonnances de Dormicum établies par M. A______ le 2 mars 2020 en faveur de Monsieur M______, qui les avait oubliées sur le comptoir d’une pharmacie. Ce patient suivait un traitement de substitution, mais la remise de Dormicum n’avait pas été autorisée par le médecin cantonal. Les posologies variaient de quatre à sept ou de quatre à neuf comprimés par jour de Dormicum. L’une d’elles était renouvelable trois mois, soit jusqu’au 30 juin 2020. Les six autres étaient des dispensations journalières pour un emballage de trente comprimés, en sus de l’ordonnance renouvelable.

h. La commission a également reçu des échanges de correspondance entre le TPAE et M. A______. Le premier, par courrier du 23 décembre 2020, avait invité le second à mettre un terme au suivi, à tout le moins à cesser les prescriptions de Dormicum, d’un patient placé à des fins d’assistance à la clinique de Belle-Idée depuis le début du mois d’octobre et dont la prescription de doses massives de Dormicum posait problème et était interdite dans la structure résidentielle. Le
5 janvier 2021, M. A______ avait répondu qu’il disposait du lien thérapeutique avec ledit patient, que ce dernier ne lui avait pas parlé d’un autre médecin avec lequel il aurait un tel lien et qu’il ne pouvait donc l’abandonner sans s’exposer à des sanctions. Par ailleurs, il avait soutenu son patient pour un nouveau résidentiel qui lui permettrait d’être tenu à distance de ses réminiscences traumatiques qui étaient alors contenues par un TAO, dont le midazolam, et cela à une dose conforme aux buts de la LStup et aux besoins cliniques du patient.

i. Dans le cadre de l’instruction de ces causes, M. A______ s’est déterminé à plusieurs reprises sur son approche thérapeutique, les risques qui en découlaient et les mesures prises pour les éviter. Il a notamment été invité à détailler les fondements scientifiques de ses prescriptions de Dormicum hors notice, ses expériences professionnelles et les formations continues éventuellement suivies, ses plans thérapeutiques, sa collaboration avec d’autres médecins, l’organisation de sa relève ou encore la tenue de ses dossiers médicaux.

F. a. La commission a également ouvert une procédure, cause n° 16/16/1 C, à la suite d’une dénonciation concernant une prescription de morphine à très haute dose. Par courrier du 17 février 2016, la direction médicale des HUG lui avait signalé qu’une patiente de M. A______, Madame N______, recevait un traitement comprenant de la morphine 1200 mg par jour par voie intramusculaire, ce qui était « complétement inapproprié » pour un syndrome douloureux chronique nécessitant une prise en charge globale d’une autre nature.

b. Dans le cadre de l’instruction confiée à la sous-commission 1, M. A______ a détaillé la prise en charge de Mme N______ et produit plusieurs pièces et articles.

G. a. Le 8 décembre 2020, la commission a informé le médecin que la
sous-commission 1 avait clos l’instruction des causes le 2 décembre 2020.

b. Par courrier du 8 juillet 2021, la commission a indiqué à M. A______ qu’elle avait adopté les conclusions de la sous-commission 1 lors de sa séance plénière du 1er juillet 2021 et qu’elle adressait un préavis au département, lequel notifierait prochainement une décision formelle. Elle a annexé la liste des membres présents lors de ladite séance plénière, précisant le nom de deux membres qui s’étaient récusés.

H. a. Par arrêté du 22 novembre 2021, le département a retiré le droit de pratiquer à M. A______ et lui a fait interdiction avec effet immédiat de traiter des personnes dépendantes au moyen de substances soumises à contrôle telles que définies par la LStup (traitements de substitution) et de prescrire des benzodiazépines ou des substances apparentées de courte durée d’action (ex. : midazolam, triazolam, zolpidem). Il a dit que M. A______ disposait d’un délai de trente jours dès la notification de la décision pour se coordonner avec le SMC pour organiser le suivi médical de ses patients au bénéfice d’un TAO par d’autres institutions ou professionnels de la santé, spécialisés.

b. Dans les causes n° 12/16/1, 24/18/1, 61/18/1, D 8/19/1, D 12/19/1 relatives aux prescriptions de Dormicum, le département a rappelé les principes régissant l’utilisation de cette substance et les faits à l’origine des causes ouvertes par-devant la commission.

Il a ensuite consigné la position de M. A______, telle qu’elle ressortait de ses observations des 24 mars 2016, 30 août et 31 octobre 2018 produites dans le cadre des différentes procédures. S’agissant de son approche thérapeutique, le médecin avait expliqué que la toxicomanie était liée à la mémoire traumatique et, plus précisément, à une atteinte sévère de l’amygdale du système limbique. Le besoin de consommer une substance correspondait à la nécessité d’inhiber un ressenti douloureux, causé par un événement violent et traumatisant. Cette hypothèse se confirmait chez ses patients, qui avaient tous été victimes de violences antérieures particulièrement graves et n’avaient reçu aucune prise en charge appropriée. Ces événements traumatiques habitaient en permanence l’esprit des patients et provoquaient des douleurs extrêmes, ressenties physiquement et évaluées par tous à 10/10. Il convenait d’établir un bon lien thérapeutique et d’associer des médicaments qui inhibaient l’amygdale du système limbique. Le choix des médicaments n’était pas aisé. Il convenait d’abord d’enlever le ressenti douloureux en adaptant les morphiniques (la méthadone étant souvent le premier choix), puis de prescrire des benzodiazépines pour éviter des décompensations anxieuses et apaiser les patients. II n’existait aucune étude qui justifiait l’usage de l’une ou l’autre des benzodiazépines dans le cadre d’un TBS. Les benzodiazépines à longue durée d’action n’étaient cependant pas adaptées en cas d’angoisses envahissantes, car leur usage nécessitait un dosage si élevé qu’il provoquait une inhibition de toutes les fonctions cérébrales. Le patient avait plutôt besoin des effets rapides et intenses que procurait le midazolam, ce qui lui permettait de mieux contrôler ses émotions et ne pas être submergé par le souvenir de son vécu traumatique. Toutes les benzodiazépines impliquaient un risque de dépendance, mais les effets secondaires décrits par le Compendium comme fréquents et très fréquents étaient plus nombreux pour les benzodiazépines de durée de vie longue citées par la directive que pour le Dormicum. Ce dernier apparaissait comme la benzodiazépine la plus préférable en l’état actuel des sources scientifiques, aucune étude fondant une restriction de son usage dans le cadre d’un TBS. Le dosage se faisait au cas par cas, en fonction de l’activation ou non de la mémoire traumatique, car le seul facteur à considérer était l’état clinique du patient. Il n’y avait aucun dosage toxique à ne pas dépasser décrit dans la littérature médicale et il convenait de veiller à ce que le patient ne reçoive pas une quantité insuffisante qui le pousserait à s’en procurer par d’autres moyens, l’exposant ainsi aux risques de prises hors prescription. À cet égard, il s’est référé à une formation continue donnée par le Professeur O______, médecin au service d’addictologie des HUG, en juillet 2017. Les prescriptions en cause permettaient à ses patients de s’abstenir de consommer sans autorisation des substances soumises à contrôle, de les faire évoluer vers une consommation de substances psychoactives présentant un risque faible et d’établir un lien thérapeutique afin d’améliorer leur état de santé et les amener à se réinsérer, socialement et professionnellement. Ses patients avaient l’espoir d’être un jour libérés de leur TBS et un travail préalable personnel en profondeur était nécessaire à la réduction des doses. Tous ses patients sous TBS avaient eu ou avaient encore des entretiens spécialisés auprès de psychiatres, de psychologues, ou de divers services d’addictologie, de la LAVI. Il constatait cependant fréquemment une rupture du lien thérapeutique lorsque le patient dépassait les limites du thérapeute, et ses patients qui voyaient le même psychiatre depuis des années étaient peu nombreux. Le risque de revente sur le marché noir existait, mais ses patients consommaient bien le TBS prescrit, en particulier le Dormicum, à l’instar de Madame P_____ qui avait reçu l’intégralité de son traitement lors d’une hospitalisation, ou de deux autres patients qui avaient été hospitalisés dans le canton de Vaud. Mais ce contrôle ne pouvait pas être fourni par les HUG en raison de la structure des chambres communes et de l’impossibilité pour des raisons institutionnelles de prescrire du Dormicum. Aucun de ses patients n’avait fait l’objet d’une procédure judiciaire portant sur la revente de substance qu’il avait prescrite, seul un patient avait été interrogé par la police. En outre, la lutte contre la revente de Dormicum n’était pas un enjeu de sécurité publique, comme attesté par la directive sur les stupéfiants du Ministère public. Dès le début du traitement, il mettait en place un contrat oral avec le patient, qui portait notamment sur l’interdiction d’interactions avec le milieu du commerce illégal des stupéfiants. Le dosage du Dormicum s’établissait par ailleurs progressivement et faisait l’objet d’une constante surveillance par lui-même et le pharmacien chargé de dispenser les médicaments. Lorsqu’un patient, qui bénéficiait de prescriptions pour plusieurs jours, affirmait avoir perdu ou s’être fait voler ses ordonnances, il savait qu’il perdait immédiatement l’avantage de disposer de plusieurs jours de médicaments et était contraint de se rendre chaque jour auprès de son pharmacien pendant une période probatoire. Les prescriptions antérieures n’étaient reprises que lorsque le médecin était sûr que le patient adoptait une attitude compatible avec la remise de médicaments pour une période de temps allongée. Enfin, les overdoses par le midazolam seul n’existaient pas selon la littérature américaine. En outre, sa pratique avait été validée par les autorités, notamment en 2017 par le Tribunal correctionnel de l’Est vaudois qui avait, au vu de ses explications, reconnu l’effet bénéfique du traitement d’un TBS comprenant la prescription de Dormicum
150 mg par jour et instauré le strict suivi de ce traitement comme règle de conduite au maintien du sursis prononcé. De même, à la fin de l’année 2017, le SAPEM et le Ministère public s’étaient exprimés sur l’opportunité de maintenir un traitement comprenant, entre autres, 450 mg par jour de Dormicum. En octobre 2016, le médecin cantonal était personnellement intervenu dans le traitement d’un patient en interrompant sa prescription de Dormicum et en l’informant que les pharmacies avaient été averties de la mesure. Ce patient avait été admis aux HUG en
janvier 2017 et, à sa sortie, les médecins avaient préconisé le maintien de la substitution par Dormicum, lui avaient prescrit vingt-quatre comprimés par jour, et l’avaient adressé à son médecin-traitant pour la suite de la prise en charge. Enfin, la commission elle-même avait validé sa pratique, puisqu’elle avait classé la procédure n° 26/10/1 par décision du 30 septembre 2013. En outre, les principes généraux régissant l’utilisation des benzodiazépines et des médicaments apparentés de mai 2014 ne constituaient que des recommandations ne déployant aucune force contraignante. Ces recommandations ne faisaient d’ailleurs pas de distinction entre les différentes benzodiazépines et ne mentionnaient aucune interdiction du Dormicum. La recommandation d’obtenir un deuxième avis contenue dans les principes susmentionnés s’était révélée impossible à appliquer. À cet égard, il s’est référé à un échange de correspondances avec la Doctoresse Q_____. Le service du Prof. O______ ne prescrivait pas de Dormicum, de sorte que son avis serait nécessairement négatif.

Lors de son audition le 6 juin 2019, M. A______ avait expliqué que les patients souffrant de traumatismes d’enfance avaient besoin de contenir leurs peurs et devaient prendre un médicament avec effet rapide pour apaiser les flash-backs. Ils prenaient parfois six comprimés de Dormicum en une fois. S’ils consommaient des benzodiazépines à durée longue, ils en prendraient jusqu’à l’overdose pour être apaisés. Une diminution du médicament ne pouvait être envisagée que lorsque la personne n’était plus confrontée à ses souvenirs. L’objectif en soi n’était pas la baisse du dosage, mais l’existence d’un bon lien thérapeutique et le bien-être des patients, qui avaient besoin d’une dose minimale pour être adaptés socialement et discuter de leur situation de manière apaisée. S’agissant des risques de dépendance liée au Dormicum, l’idée était de contenir et à terme diminuer les flash-backs par l’usage de médicaments en parallèle à une thérapie. Le risque d’overdose n’existait pas, pas plus que celui de détresse respiratoire. En revanche, la combinaison avec d’autres substances posait problème. Il était donc très important de donner une dose suffisante, faute de quoi le patient complèterait son traitement par d’autres substances pouvant créer un risque létal. Puisqu’il ne pouvait plus prescrire de Dormicum à haute dose, il devait fractionner ses prescriptions afin que le traitement puisse être correctement dispensé. Beaucoup de pharmacies refusaient de délivrer du Dormicum à ses patients en raison de l’intervention du médecin cantonal, mais beaucoup étaient également convaincues de l’adéquation de ses traitements.

Interrogé par la commission quant au fondement scientifique de ses prescriptions de Dormicum hors notice, M. A______ avait répondu le 20 février 2020 que les études étaient nécessairement peu nombreuses, puisque les entreprises pharmaceutiques n’y voyaient aucun avantage économique. Cela étant, sa pratique était fondée sur plus de trente ans d’expérience. Ses prises en charge étaient individualisées, adaptées aux troubles et symptômes du patient, et son approche portait ses fruits.

Sollicité à fournir des informations complémentaires sur la tenue de ses dossiers et sa collaboration avec des psychiatres, M. A______ avait précisé le
28 août 2020 qu’il ne pouvait pas imposer à ses patients de faire appel à un psychiatre et qu’il avait constaté que les psychiatres qui suivaient ses patients changeaient fréquemment, ce qui ne contribuait nullement à la stabilité indispensable dans le cadre d’un TAO. Pendant des années, il avait requis une supervision psychothérapeutique de ses propres méthodologies et stratégies thérapeutiques afin de s’assurer de ne commettre aucune erreur. S’agissant des dossiers transmis dans les causes n° 12/16/1 et 24/18/1, ils contenaient les informations d’anamnèse suffisantes et étaient conformes aux exigences légales, étant précisé qu’il ne pouvait y consigner toutes les confidences de ses patients, pour des raisons de confiance. Cela n’empêchait pas qu’une anamnèse somatique, psychologique et familiale soit bien effectuée. Concernant la cause n° 24/18/1, il collaborait avec le Dr G______, mais ne pouvait détailler sa prise en charge couverte par le secret médical. S’agissant de la cause n° 61/18/1, il avait traité de « 2010 à 2015 » le deuxième patient, dépendant aux benzodiazépines et aux opiacés, qui souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique qui avait entraîné un trouble de la personnalité, un grave état anxieux et des épisodes dépressifs parfois majeurs. Le patient avait été incarcéré durant deux mois et avait été transféré à l’UTHA où il avait séjourné du « 11 août au 15 septembre 2015 ». Il avait prévenu le chef de service que le sevrage forcé effectué lors de l’hospitalisation était un échec thérapeutique et lui avait demandé sa détermination quant à sa stratégie thérapeutique pour ce type de prise en charge. Il n’existait ni étude ni directive fondant ou prohibant sur une base scientifique satisfaisante l’usage de benzodiazépines dans le cadre du traitement de la douleur. À défaut d’études cliniques, la société suisse de médecine et d’addiction (ci-après : SSMA) ne pouvait qu’émettre des recommandations, ce qui induisait nécessairement le développement d’une méthodologie variable fondée sur l’expérience. L’exigence du double avis avait été abandonnée dans les recommandations de la SSAM de juillet 2020.

c. S’agissant de la cause n° 16/16/1 C en lien avec la prescription de morphine, le département a relevé que Mme N______ avait été hospitalisée le 18 décembre 2015 aux HUG en raison de problèmes physiques. Dans ce contexte, son état somatique avait été réévalué et des adaptations thérapeutiques proposées, notamment du traitement de morphine. Mme N______ avait refusé les soins proposés et demandé à sortir de l’hôpital. Par décision de placement à des fins d’assistance du
15 janvier 2016, elle avait été transférée à l’unité de psychiatrie hospitalière des HUG. Le sevrage de morphine avait débuté le 18 janvier 2016, pour aboutir le
27 mai 2016 à une dose de 40 mg trois fois par jour, sans recrudescence des douleurs ou effets secondaires. Les médecins avaient exclu le diagnostic d’endométriose qui justifiait le traitement de morphine.

 

Par courrier du 6 mai 2016, M. A______ avait expliqué que sa patiente souffrait d’un trouble somatoforme douloureux avec de multiples comorbidités. L’absence de prise en charge précoce et spécifique de ces graves atteintes l’avait amenée à adopter un comportement dissocié. Elle avait développé une symptomatologie psychosomatique particulièrement sévère et vivait les conséquences de ses psycho-traumas avec une douleur immense qu’elle évaluait la plupart du temps à 10/10. Elle avait ressenti le bienfait de la morphine injectable depuis 2003 déjà sur le plan physique en raison d’une fracture au tibia, mais surtout sur le plan mental, la substance lui permettant de « dissocier ». Il était son médecin traitant depuis 2012 et lui avait prescrit la morphine nécessaire, palier par palier et en adaptant le traitement en fonction de la situation. En 2013, la patiente semblait équilibrée avec 400 mg par jour, puis elle était passée à 800 mg par jour en 2014, puis à l g par jour en 2015 et encore à 1,2 g par jour durant son hospitalisation. Afin de potentialiser l’effet de la morphine en réduisant l’état d’angoisse de Mme N______, il lui avait prescrit à plusieurs reprises différentes benzodiazépines, sans obtenir l’effet escompté, et la patiente ne voulait que de la morphine. Il n’avait pas remis en doute les diagnostics somatiques posés aux HUG en novembre 2013 qui justifiaient la prise de morphine. Du 4 au 23 mars 2015, Mme N______ avait séjourné à la clinique genevoise de _______ en raison de plusieurs affections. Selon la lettre adressée par la clinique aux HUG le 4 mai 2015, les médecins avaient décidé de poursuivre le traitement par morphine, à raison de l g par jour, traitement qui semblait efficace à ce stade. Ils avaient toutefois sensibilisé la patiente à la nécessité de diminuer les doses selon l’évolution clinique et aux risques engendrés par l’administration parentérale au long cours. En 2015, la patiente était passée « quasi d’hôpital en hôpital » et il avait reçu des demandes d’information par téléphone de plusieurs hôpitaux. Si tous ses collègues s’étaient montrés surpris par le haut dosage de morphine, celui-ci n’avait jamais été remis en cause, en particulier par le service d’orthopédie des HUG qui avait prescrit durant six semaines au moins 1,2 g par jour. Depuis janvier 2016, le service de chirurgie orthopédique des HUG où la patiente était hospitalisée, avait adopté une politique de sevrage forcé, attribuant à la morphine un rôle étiologique à son état général, sans prendre en compte l’histoire de vie de la patiente, et en le désignant comme ayant joué un rôle clef dans les diverses comorbidités, ce qui avait anéanti leur lien thérapeutique.

 

Par courrier du 30 août 2018, M. A______ avait souligné que le Compendium prévoyait une prescription de morphine conforme jusqu’à 1'200 mg par jour en cas de douleurs chroniques, tout en prescrivant le principe général selon lequel la posologie était fixée en fonction de l’intensité des douleurs, du traitement analgésique antérieur et de l’âge du patient. Les signes d’un surdosage n’avaient jamais été constatés chez Mme N______. Enfin, l’agence nationale française de sécurité du médicament et des produits de santé avait la même position que les HUG. Il s’était encore référé à un article rédigé par le Docteur R_____, médecin à l’Hôpital du Valais (« Quand la morphine ne suffit plus », in : Rev Med Suisse 20121 vol. 8, p. 231-232).

 

Par la suite, M. A______ avait renvoyé aux recommandations de la SSMA « Medizinische Empfehlungen für Opioidagonistentherapie (OAT) bei Opioidabhängigkeits-Syndrom » dans une version d’avril 2020, et concluait que l’usage des opioïdes pouvait être augmenté autant que nécessaire tant la douleur aigüe déployait un effet antagoniste aux opioïdes. Les autres traitements recommandés, soit les antidépresseurs ou les anticonvulsifs, avaient été tentés sans succès sur la patiente.

 

d. Concernant les causes n° 12/16/1, 24/18/1, 61/18/1, D 8/19/1 et D 12/19/1, M. A______ avait prescrit à plusieurs patients du Dormicum pour traiter des troubles d’ordre psychiatrique, soit une affection autre que celle pour laquelle ce médicament était indiqué, et s’écartait considérablement de la posologie maximale prévue. Or, selon les recommandations de l’Association des pharmaciens cantonaux (ci-après : APC) de juin 2016, un médecin effectuant une prescription off-label devait, pour justifier sa pratique, s’appuyer sur des recommandations des associations professionnelles ou sur des articles scientifiques ayant paru dans des journaux médicaux notoirement reconnus et mettant en évidence une utilité manifeste et démontrée de l’usage retenu. Si ceux-ci étaient rares ou inexistants, il devait envisager le recours au médicament dans le cadre d’un essai thérapeutique, mais il ne pouvait décider, sans base scientifique un minimum solide et en se référant à sa seule expérience empirique, de prescrire un médicament. En outre, les Principes généraux régissant l’utilisation de benzodiazépines établis par l’office fédéral de la santé publique (ci-après : OFSP) en mai 2014 préconisaient l’exigence d’un deuxième avis. Le traitement du syndrome de stress post-traumatique par benzodiazépines à hautes doses ne trouvait aucun fondement scientifique largement partagé. M. A______, qui n’était pas psychiatre, choisissait de prescrire une benzodiazépine à durée de vie courte, ce qui allait à l’encontre du consensus qui semblait prévaloir au moins depuis 2013 auprès des autorités sanitaires suisses et du service d’addictologie des HUG, qui ne prescrivaient pas de Dormicum, qui préconisaient de recourir si nécessaire à des benzodiazépines dont la durée de vie était moyenne ou longue, en particulier chez des personnes déjà toxicodépendantes, celles-ci devenant facilement dépendantes aux « effets flash » des molécules à courte durée d’action. La présentation de la formation continue donnée par le
Prof. O_______ ne permettait pas de remettre en cause le consensus, car il n’en ressortait aucune distinction entre les types de benzodiazépines. De plus, ce spécialiste préconisait un recours aux benzodiazépines limité à deux semaines, ce qui contredisait le traitement défendu par M. A______, indépendamment du type de molécule. Les autorités pénales et la chambre des assurances sociales de la Cour de justice n’avaient jamais examiné le bien-fondé des traitements de M. A______, se contentant de constater l’existence d’un lien thérapeutique entre le médecin et le patient qui semblait fonctionner avec son traitement. Concernant le patient pris en charge par les HUG en 2017, les médecins avaient géré l’affection principale somatique et traité la question non controversée de la substitution de méthadone, mais s’étaient déchargés s’agissant du traitement de Dormicum en renvoyant le patient consulter son médecin. La commission avait classé la cause no 26/10/1 en septembre 2013 car cette affaire était la seule dont elle avait été saisie à l’époque. Elle avait estimé qu’il ne lui revenait pas de remettre en cause un traitement isolé, mais avait néanmoins expressément invité le médecin à respecter la directive de la DGS qui était entrée en vigueur dans l’intervalle. Depuis cette décision, les principes généraux de l’OFSP avaient clarifié la problématique des traitements par benzodiazépines, l’APC avait également détaillé les règles en matière d’utilisation off-label, et la commission avait été saisie d’un nombre important de dénonciations. Si le département ne doutait pas du fait que M. A______ avait de bonnes intentions envers ses patients, il ne pouvait tolérer qu’il agisse hors cadre et hors réseau, lui seul étant persuadé du bien-fondé de sa mission et des modalités de sa mise en œuvre. Partant, il violait son obligation d’agir avec soin et diligence (art. 40 let. a de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 [LPMéd - RS 811.11]) en prescrivant à ses patients du Dormicum à hautes doses et sur le long terme pour traiter leur syndrome de stress post-traumatique, et ce sans référence scientifique solide ni mise en œuvre d’un essai clinique.

 

En outre, M. A______ avait admis qu’il n’établissait pas de plan de traitement, qu’il n’envisageait pas l’administration de traitement alternatif et qu’il n’effectuait pas de bilans sanguins ni ne renseignait les patients des risques de la prise importante de benzodiazépines de manière systématique. Le fait que plusieurs des patients concernés suivaient un TAO impliquait d’autant plus un suivi somatique sérieux et une information étendue, au vu du risque d’autres prises concomitantes de substances, hors de son contrôle. D’ailleurs, le médecin avait indiqué dans ses notes que l’ami de Mme E______ lui donnait les « médicaments nécessaires ». Ces omissions constituaient une violation crasse de l’obligation d’agir avec soin et diligence. Par ailleurs, M. A______ avait émis des prescriptions parallèles de Dormicum pour des patients sous TAO pris en charge par d’autres médecins ou institutions, soit MM. C______, F______, H______ et I______, ainsi que les patients faisant objet de la dénonciation des HUG du 18 juillet 2019 et du courrier du président du TPAE. Ce comportement compromettait considérablement la bonne prise en charge médicale des personnes concernées et était susceptible de mettre leur vie en danger. Il constituait une violation de l’obligation de collaborer avec les autres professionnels de la santé (art. 81 al. 2 de la loi sur la santé du 7 avril 2006
[LS - K 1 03]). De plus, M. A______ ne s’engageait pas activement pour que ses patients bénéficient d’un soutien psychiatrique. Au vu des profils compliqués, il était dans l’intérêt des patients qu’il travaille en étroite collaboration avec des psychiatres, experts dans le domaine du syndrome post-traumatique et encourage activement ce suivi. Or, il adoptait une attitude de sauveur et prescrivait des traitements ayant pour incidence de développer une nouvelle dépendance chez une population déjà vulnérable. Ces agissements rendaient sa patientèle encore plus fragile et tributaire de ses prescriptions. De manière consciente ou pas, il maintenait ses patients sous son emprise et les empêchait d’exercer librement leur droit au choix du médecin. Il avait enfreint son obligation de respecter les droits de la personnalité de ses patient et la liberté de choix de ceux-ci (art. 40 let. a LPMéd ; art 43 al. 1 LS ; art. 80A LS).

 

Le risque de revente du Dormicum sur le marché noir existait, comme reconnu par M. A______, du fait notamment du nombre de comprimés prescrits et de l’absence de maîtrise sur les doses réellement consommées par les patients. Le soupçon de revente était partagé par les HUG, le médecin cantonal genevois, les pharmaciens cantonaux genevois et neuchâtelois, et le directeur général de l’OCD. M. A______ fournissait ses prescriptions sur la base des seules déclarations du patient, sans contrôle sur la prise effective des doses. Par ailleurs, les patients n’avaient pas l’air de s’inquiéter lorsque leurs ordonnances étaient confisquées et une pharmacienne avait affirmé avoir remplacé des doses de Dormicum et de méthadone à la demande de M. C______ en raison de perte ou de vol, ce qui avait été validé par le médecin traitant. Ces éléments permettaient fortement de douter des explications apportées par le médecin sur sa prétendue sévérité en cas de perte ou de vol de ses ordonnances. Le risque de revente pourrait être admis dans le cadre d’une prescription dont la légitimité serait largement reconnue dans le milieu scientifique, ce qui n’était toutefois pas le cas. M. A______ contribuait à l’usage inadéquat et dangereux du Dormicum, violant ainsi son obligation de contribuer à la lutte contre l’usage inadéquat et dangereux des produits thérapeutiques (art. 113 al. 3 LS).

 

Le médecin se départait des règles de l’art médical dans de nombreux aspects de sa prise en charge et ses agissements constituaient des violations crasses de son devoir de diligence consacré.

 

De plus, le SMC avait indiqué qu’il tolérait l’absence d’une annonce de traitement au sens de l’art. 11 al. 1bis LStup pour les prescriptions comprenant jusqu’à cinq comprimés de Dormicum par jour. Au-delà, le médecin devait lui annoncer sa prescription. Or, M. A______ délivrait au même patient plusieurs ordonnances pour le même traitement, mais pour une posologie inférieure à cinq comprimés, ce qui permettait aux patients de se rendre dans différentes pharmacies pour obtenir le produit prescrit au-delà des seuils admis. Il en allait ainsi du cas de Mmes E______ et L______, de MM. F______, H______, M______ et de deux patients faisant objet de la dénonciation des HUG. Durant son audition, M. A______ avait précisé qu’il fractionnait ses prescriptions « afin que le traitement puisse être correctement dispensé » puisqu’on l’empêchait de « soigner correctement » ses patients. Une telle pratique, qui permettait au médecin de ne pas éveiller les soupçons, de contourner l’obligation d’annonce et par conséquent d’échapper à l’exigence de fournir un second avis, violait la loi (art. 11 al. 1 bis LStup et art. 40 let. a LPMéd).

 

Les deux dossiers médicaux produits par M. A______ étaient lacunaires et ne respectaient par les exigences légales (art. 52 et 53 LS). Ainsi, le dosage de la médication prescrite n’était pas mentionné et très peu d’examens somatiques étaient rapportés. Si on pouvait comprendre les raisons pour lesquelles certains éléments liés aux traumatismes vécus par les patients ne figuraient pas en détail dans les dossiers, il en allait différemment concernant le suivi somatique. Le dosage de méthadone très élevé de M. C______ pouvait entraîner des effets sur le cœur et conduire à une issue fatale. Dans ce type de situation, le médecin devait au moins effectuer un suivi cardiologique, en particulier récolter des données d’un électrocardiogramme et les mentionner dans le dossier. Le dossier de
Mme E______ ne faisait pas non plus état d’informations telle que son poids ou sa tension. Soit le médecin n’avait pas effectué les examens somatiques de base nécessaires, ce qui serait contraire à une bonne prise en charge du patient, soit il les avait faits, mais ne les avait pas consignés dans les dossiers. Dans tous les cas, il avait violé son obligation d’agir avec soin et diligence.

e. Concernant la cause n° 16/16/1 C, M. A______ avait prescrit à
Mme N______ de la morphine à haute dose, soit jusqu’à l g par jour en 2015. Il s’agissait d’un usage hors notice, puisqu’il s’écartait de l’indication prévue par le Compendium suisse qui était celle du traitement des douleurs somatiques modérées à fortes, étant rappelé que M. A______ avait expliqué qu’il avait toujours prescrit cette substance pour traiter un trouble d’ordre psychiatrique. Aucun des documents produits par le médecin ne portait sur la prescription de cette substance pour le traitement des troubles psychiatriques. M. A______ méprisait les règles de l’art médical et violait son devoir de diligence (art. 40 lit. a LPMéd).

f. M. A______ avait admis n’être titulaire d’aucune attestation de formation continue en médecine interne car il n’en avait jamais vu l’utilité. Il avait par ailleurs affirmé se sentir « très à l’aise pour débattre des questions psychiatriques », expliquant qu’il s’entretenait régulièrement avec une psychiatre et des médecins de SOS Médecins, et que ses deux premières épouses étaient psychologues. Il estimait qu’il effectuait un travail permanent dans ce domaine. Ces propos démontraient son manque de sérieux. L’omission de suivre une formation continue (art. 40
lit. b LPMéd) était d’autant plus grave que le médecin justifiait ses prescriptions hors notice pour traiter des troubles d’ordre psychiatrique, alors même qu’il n’était pas psychiatre et qu’il ne collaborait avec aucun professionnel dans ce domaine dans le cadre de la prise en charge de ses patients.

g. Ainsi, le département partageait les conclusions de la commission, étant encore souligné que depuis 2013, année d’édition des directives recommandant de ne pas utiliser de benzodiazépines à courte durée d’action sur une longue durée dans le cadre des traitements de substitution, M. A______ était « allé crescendo » dans ses prescriptions, malgré de nombreuses injonctions. Il convenait dès lors de lui intimer de cesser immédiatement la prescription de telles substances dans le cadre de traitement de personnes dépendantes.

I. a. Par acte du 6 janvier 2022, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre cet arrêté. Il a conclu, préalablement, à la restitution de l’effet suspensif de son recours s’il devait être considéré que l’arrêté entrepris était exécutoire nonobstant recours ou, à défaut, à ce qu’il soit constaté que son recours avait un effet suspensif, et à des mesures d’instruction, soit la production du préavis de la commission du 8 juillet 2021, la mise en œuvre d’une expertise de
Mme E______ pour évaluer sa prise en charge et l’audition du Docteur S______, addictologue au centre hospitalier universitaire de Vaud (ci-après : CHUV). Au fond, il a conclu à ce que soit constatée la nullité du chiffre IV. 3 de la directive DGS.003.03 et à ce l’arrêté entrepris soit annulé.

 

Le recourant a fait valoir que le droit fédéral énonçait de manière exhaustive et uniforme les devoirs professionnels du médecin. Si ce dernier devait prescrire des stupéfiants dans le cadre de l’exercice de son art, il devait respecter les conditions énoncées par la LStup, qui prévoyait un régime d’autorisation, octroyée par les cantons. La posologie ou la communication d’un diagnostic ne faisaient pas partie des informations que le médecin devait transmettre pour qu’une autorisation soit rendue. L’obligation d’annonce visait à s’assurer que les patients ne multiplient pas les prescriptions identiques auprès de médecins différents et n’avait pas pour but de contrôler les médecins ou de remettre en cause leur liberté de déterminer le type ou la quantité de médicaments prescrits. Le règlement genevois relatif à l’application de la LStup n’indiquait pas que le législateur entendrait s’inscrire en violation du droit fédéral. Pourtant, le canton avait établi un régime distinct, voire contraire au droit fédéral, en conférant la compétence au médecin cantonal et au pharmacien cantonal d’émettre des directives en vue de réglementer les modalités de la prise en charge par les professionnels de la santé des traitements comportant l’administration de stupéfiants à des personnes dépendantes. Sur cette base, la directive litigieuse qui fixait des règles particulières pour les benzodiazépines avait été introduite. Il ne revenait pas à l’autorité sanitaire cantonale, sans base légale valable, de déterminer le type de traitement qui pouvait être prodigué à un patient qu’elle n’avait pas examiné personnellement, ce d’autant plus qu’il s’agissait d’interdire le recours à une substance autorisée comme médicament en Suisse. Les autorités genevoises n’avaient jamais évoqué la moindre étude qui conclurait de manière sérieuse, sur la base de preuves scientifiques, qu’il serait contre-indiqué de prescrire du Dormicum dans le cadre d’un TAO. Elles ne sauraient donc prétendre chercher à pallier de manière urgente une lacune de la Confédération. Cette dernière n’avait d’ailleurs pas modifié la LStup et ses ordonnances de façon à rendre illégale la prescription de Dormicum dans le cadre d’un TAO, ce qui démontrait la position purement dogmatique des autorités genevoises. La problématique de cette directive était centrale, puisque la commission avait rendu une décision de classement en 2013 tout en l’invitant à respecter dite directive. Le Dr S______ avait également recours au Dormicum dans le traitement de certains de ses patients dans le canton de Vaud, sans être inquiété par les autorités vaudoises, et les pharmacies vaudoises ne s’opposaient pas à la remise de Dormicum dans le cadre d’un usage off-label. Selon une étude de l’Université de Lausanne, la prescription de benzodiazépines s’effectuait dans 11 à 13,4% des cas par du Dormicum et la moitié des patients sous TAO se voyaient prescrire des benzodiazépines à fort pouvoir addictogène. Le
Dr S______ avait rendu un consilium le 17 août 2020, aux termes duquel la question d’une indication ciblée de prescription d’une benzodiazépine à demi-vie courte demeurait ouverte. Les recommandations et principes généraux, qui n’étaient pas contraignants et ne reposaient pas sur une étude scientifique, n’offraient pas de solution satisfaisante pour les patients sous TAO pour lesquels les benzodiazépines à durée de vie longue s’étaient avérées inadaptées. Il ne pouvait lui être reproché d’avoir violé son obligation de diligence en prescrivant du Dormicum dans le cadre de TAO en se fondant sur une simple position doctrinale, sans aucune preuve scientifique, étant souligné qu’il n’y avait pas de consensus. Il était tout aussi absurde de considérer qu’il avait manqué de soin et de diligence envers ses patients, voire que sa prise en charge aurait été dangereuse, alors qu’aucun cas concret de préjudice n’avait été relevé en près de quinze ans de pratique. Ses prises en charge s’étaient avérées bénéfiques, puisque ses patients, qui avaient subi de graves traumatismes et constituaient des cas « extrêmes », s’étaient préalablement adressés à diverses institutions sans que leur état ne puisse être stabilisé.

 

Un plan thérapeutique ne pouvait être établi lorsque le patient changeait régulièrement de psychiatre. En outre, le fait de faire ou non appel à un psychiatre relevait de la liberté absolue du patient. Quant à la tenue de ses notes, ce point n’avait pas été instruit par la commission. Il avait remis ses notes de suite, qui ne représentaient pas l’intégralité des dossiers des personnes concernées, mais qui visaient uniquement à permettre de comprendre les traumas des patients et les éléments à l’origine de leur prise de psychotropes. Il avait fractionné ses prescriptions en raison des problèmes administratifs engendrés par une directive nulle de plein droit, avait signalé cette situation en 2014 déjà et avait honoré son obligation d’annonce. Le second avis médical conseillé était impossible à obtenir. S’agissant de la formation continue, l’arrêté attaqué ne remettait pas en cause sa vaste expérience et aucune erreur médicale ne ressortait du dossier. Même si cet élément devait être sanctionné, seul un avertissement pourrait être envisagé, une interdiction de pratiquer définitive étant totalement disproportionnée. Enfin, le risque de revente, abstrait, n’était pas sérieux et on ne pouvait imputer au médecin une éventuelle faute du patient.

S’agissant de Mme N______, la quantité de 1 g de morphine prescrite ne s’était pas inscrite dans la durée. Son cas n’avait pas été concrètement étudié. Aucun problème clinique n’était survenu et il n’existait aucun soupçon qui amènerait à renverser le fardeau de la preuve.

Le recourant a produit le consilium que lui avait adressé le Dr S______ le
17 août 2020 suite à l’examen d’un patient souffrant d’un syndrome de dépendance aux benzodiazépines, ancien et sévère, résistant aux indications thérapeutiques de première ligne, qui consommait de plus en plus de midazolam acheté en rue avant d’être orienté vers M. A______. Ce dernier avait suggéré une prescription off-label de midazolam à doses élevées, avec un encadrement relativement souple, qui lui paraissait préférable à une prescription de benzodiazépines à demi-vie longue qui apparaissait durablement inenvisageable aux yeux du patient. Le Dr S______ avait relevé que la littérature scientifique était quasi-inexistante concernant l’indication des benzodiazépines, mais qu’il existait un certain consensus parmi les spécialistes sur le fait que les benzodiazépines à demi-vie courte devraient être évitées. Ce consensus se fondait essentiellement sur l’analogie avec les TAO, qui privilégiait la prescription d’opioïdes de demi-vie longue. Toutefois, une telle analogie présentait des limites en raison du profil de risque différent des benzodiazépines et des opioïdes. Dans le domaine des opioïdes, il était admis scientifiquement qu’une prescription d’un agoniste opioïde de demi-vie courte pouvait être indiquée pour les cas les plus sévères, moyennant un encadrement accru. Dès lors, la question d’une indication ciblée de prescription d’une benzodiazépine de demi-vie courte demeurait ouverte. L’expérience clinique suggérait qu’il était improbable qu’une prescription de midazolam au-delà de cinq à dix comprimés (65 à 150 mg) apporte un bénéfice observable. Dans le cas soumis à son appréciation, le patient était apparu stabilisé avec une prescription de 300 mg. Du point de vue de la balance bénéfices-risques, il paraissait hasardeux d’exiger de lui un retour à la prescription d’une benzodiazépine à demi-vie longue, ce qui avait été testé à plusieurs reprises sans succès. La prescription off-label devrait être annoncée au médecin cantonal et être argumentée avec l’échec documenté des alternatives recommandées. Une hospitalisation volontaire pour sevrage partiel ou stabilisation à un dosage plafond prédéfini était fortement recommandée.

b. Le 11 janvier 2022, la chambre de céans a accordé l’effet suspensif à titre superprovisionnel à l’ensemble du dispositif de l’arrêté litigieux compte tenu de l’ambigüité de celui-ci et de l’absence de motivation quant au caractère immédiatement exécutoire de la décision.

c. Le 10 février 2022, l’autorité intimée a conclu au rejet du recours. Indépendamment de la directive cantonale, l’OFSP, l’AMCS et la SSMA avaient adopté des principes généraux. Ainsi, sur le plan fédéral également, des experts avaient souligné l’importance de limiter la prescription de benzodiazépines à courte durée d’action dans le cadre de TAO. Le recourant, qui n’était ni psychiatre ni addictologue et qui ne démontrait pas avoir suivi des formations continues dans le traitement des addictions, n’avait jamais sollicité de deuxième avis de la part d’un spécialiste et n’avait pas démontré que les quantités de substances prescrites étaient nécessaires et consommées par les patients. Au contraire, certains avaient admis n’en prendre qu’une partie et d’autres avaient été vus en train d’en revendre. De plus, les importants dosages remettaient en cause la prise effective des comprimés par le patient. Il n’appartenait pas à l’autorité intimée de démontrer que l’usage
off-label n’était pas conforme à la science, mais au recourant d’apporter la preuve scientifique que ses prescriptions étaient utiles et nécessaires au TAO. Or, il n’y avait pas d’étude permettant le traitement de TAO au moyen de benzodiazépines à courte durée d’action et les spécialistes du CHUV conseillaient de changer de molécules.

Elle a produit le préavis de la commission du 8 juillet 2021.

d. Dans sa réplique du 14 mars 2022, le recourant a sollicité la production par l’autorité intimée et la commission de l’intégralité du dossier, incluant les
procès-verbaux des séances de la commission dont celles auxquelles le Dr S______ avait participé. Le préavis de la commission, dont il avait enfin pu prendre connaissance, démontrait le caractère lacunaire de l’instruction. L’autorité intimée n’avait produit qu’une partie des pièces en sa possession et choisi le dossier soumis à la chambre de céans, violant ainsi son droit d’être entendu. La commission ne comptait aucun spécialiste dans le domaine médical concerné, extrêmement spécialisé et pratiqué par peu de médecins. D’ailleurs, elle avait reconnu manquer de compétences spécifiques puisqu’elle s’était associée au Dr S______, dont les prises de position ne ressortaient pas du préavis. Or, ce médecin avait étudié le cas concret de l’un de ses patients et validé le traitement, relevant qu’il serait hasardeux d’exiger un retour à un traitement de benzodiazépine à demi-vie longue. Il avait retenu qu’il était admis scientifiquement qu’un agoniste opioïde de demi-vie courte pouvait être indiqué dans les cas les plus sévères. La commission avait considéré qu’il n’avait commis aucune faute en 2013 et son revirement de position ne reposait pas sur une nouvelle étude concrète, mais uniquement sur la directive cantonale. L’intimée se référait à la pratique des HUG, qu’elle opposait à celle du CHUV, reconnaissant ainsi l’absence de consensus. En l’absence de tout dommage, il n’avait pas à supporter le fardeau de la preuve du bien-fondé des traitements, alors que les pièces du dossier démontraient que ses patients se portaient mieux depuis le début de leur prise en charge.

La nécessité d’obtenir un second avis relevait uniquement d’une recommandation, ce qui ne saurait justifier le prononcé d’une sanction en l’absence de tout dommage. De plus, cette recommandation avait été abandonnée. Il ne saurait lui être reproché de ne pas prouver la prise effective de Dormicum, qui visait à répondre aux crises qui n’étaient pas prévisibles. Il ne lui avait pas été demandé de produire l’intégralité de ses dossiers. Enfin, il ne lui était pas reproché de se fonder sur des connaissances datées et l’autorité intimée ne soutenait pas sérieusement qu’il n’aurait pas prescrit les traitements litigieux s’il avait suivi certaines formations.

Le recourant a produit deux lettres de la commission des 13 juillet et
7 septembre 2018 relatives à la collaboration du Dr S______.

e. Le 24 mars 2022, dans sa duplique, l’autorité intimée a soutenu que les recommandations et principes généraux n’interdisaient pas en soi l’usage off-label de benzodiazépines à courte durée d’action dans le cadre des traitements de substitution, mais mettaient un cadre à ces pratiques en recommandant notamment que le traitement soit annoncé et validé par les instances cantonales compétentes et qu’un second avis soit demandé à un spécialiste. L’usage off-label d’une molécule pouvait entrer dans le cadre d’une étude clinique, soumise à des règles précises. Si l’usage off-label n’entrait pas dans un tel cadre, il devait être validé scientifiquement et le médecin devait pouvoir s’appuyer sur des articles scientifiques mettant en évidence une utilité manifeste, ou sur des recommandations des associations professionnelles. Les benzodiazépines étaient en principe contre-indiquées chez les personnes dépendantes et pouvaient être prescrites à court terme, mais une réduction progressive était nécessaire et devait de préférence être combinée à un soutien psychothérapeutique. Il convenait de demander un second avis, surtout en cas de consommations à des dosages élevés. Le Dr S______ n’avait siégé qu’une seule fois dans la commission, puis s’était récusé. Le CHUV recommandait une prise sous surveillance à fréquence quotidienne et la prescription de benzodiazépines à longue durée d’action. Or, le recourant admettait ne pas suivre la prise effective des quantités prescrites et ne démontrait pas qu’il avait échoué à sevrer ses patients. Il n’avait pas non plus réduit progressivement les dosages.

f. Le 16 juin 2022, la chambre de céans a procédé à une comparution personnelle des parties.

Le recourant a déclaré que le département l’avait en l’état autorisé à poursuivre l’ensemble de ses traitements et qu’il tendait à réduire progressivement sa clientèle dans l’optique d’une retraite. Il ne prenait plus de nouveaux patients, mais en avait accepté deux sous TAO depuis novembre 2021 au vu de leur situation personnelle difficile. Les patients sous TAO représentaient environ 30 % de son activité, soit une cinquantaine de personnes. Ses patients ne pouvaient pas être pris en charge par d’autres médecins, compte tenu des sanctions auxquelles ils s’exposaient, mais certains confrères seraient « dans la même ligne que lui ». La douleur était fréquemment traitée par de la morphine lente ou de la méthadone, et la
co-médication, qui s’effectuait par l’alcool, la cigarette, pour la plupart par le cannabis, et pour certains par des benzodiazépines, servait à apaiser le patient. L’ensemble du traitement devait être annoncé pour qu’il n’y ait qu’une seule pharmacie qui le délivre, sous la responsabilité du médecin. Le Dormicum avait été prescrit dès 1985 sans aucune difficulté jusqu’en 2014. Il annonçait régulièrement les patients sous morphine et ceux sous benzodiazépines. Tous ses patients sous benzodiazépines avaient préalablement eu des traitements de benzodiazépines de longue et moyenne durée. Ses patients, qui étaient sous Dormicum avant 2014, recevaient leur traitement par une seule pharmacie, sans opposition du médecin cantonal. Ses patients l’avaient consulté en raison de sa longue expérience dans ce type de situations très difficiles et ils savaient qu’ils auraient l’écoute nécessaire. Il n’avait jamais eu de difficultés dans les trois autres cantons romands (Vaud, Valais et Neuchâtel) avec les prescriptions de Dormicum. Tous ces cas étaient dûment annoncés dans chaque canton. Il contrôlait la prise effective des dosages et citait deux patients dont la prise du traitement avait pu être vérifiée à la fondation des Oliviers (Vaud). Un seul patient lui avait dit avoir une fois donné un comprimé. Ses patients savaient que s’ils devaient en vendre, le lien thérapeutique serait perdu. La méthadone était vendue régulièrement à la gare, notamment des flacons avec une étiquette des HUG. Il trouvait singulier qu’on exige de lui de contrôler une patientèle précisément incontrôlable, et aucune institution romande ne voulait vérifier la prise des traitements. Seule la qualité de la relation thérapeutique permettait ce contrôle.

L’autorité intimée a indiqué que selon les informations transmises par les entités qui suivaient les patients, le recourant avait repris environ dix nouveaux patients depuis novembre 2021. En l’absence d’un consensus scientifique validant l’usage off-label que le recourant faisait du Dormicum, ses patients devraient être considérés comme « essai thérapeutique ».

g. La chambre de céans a entendu le Dr S______, médecin psychiatre et spécialiste en santé publique. Le témoin a déclaré que les médecins vaudois demandaient une autorisation au médecin cantonal lorsqu’ils voulaient prescrire des opioïdes dans le cadre d’un traitement d’un syndrome de dépendance. La demande était effectuée sur une plateforme et il fallait cocher s’il y avait une co-médication, avec une
sous-question pour les benzodiazépines à demi-vie courte, la molécule devant être précisée. Avant d’être autorisé, le praticien devait fournir un rapport circonstancié succinct sur les motifs justifiant les benzodiazépines à vie courte. A priori, il s’agissait de rappeler qu’il s’agissait d’un usage off-label et de pousser à une analyse fine ou à requestionner des prescriptions antérieures. Dans la pratique, l’autorité faisait confiance au médecin et délivrait l’autorisation. Il n’était pas nécessaire d’avoir le titre de psychiatre pour être habilité à poser médicalement le diagnostic d’un syndrome de dépendance et le traiter. Il n’introduisait pas le midazolam, mais beaucoup de ses patients en prenaient parfois à des doses très élevées. Les prescriptions existant de longue date, il ne semblait pas possible de les diminuer, selon la perception des patients et l’analyse de la balance bénéfice-risque. Lorsque la poursuite de ces traitements était apparue comme la meilleure ou la moins mauvaise solution, il avait sollicité l’équipe des éthiciens cliniques du CHUV qui avaient confirmé cette analyse. Il lui était arrivé de traiter des patients avec des doses de soixante comprimés de 15 mg de Dormicum. Pour certains, il avait été possible de diminuer ces doses. Il lui arrivait de prescrire pour les nouvelles indications des benzodiazépines à courte durée d’action, mais pas du midazolam pour éviter le marché noir. En trente ans, il lui était déjà arrivé de prescrire en première indication du midazolam dans des analyses cliniques très particulières et marginales, en ultime recours.

Les TAO étaient une « success story » en terme de réduction de la mortalité et des dommages liés aux opioïdes ou d’autres substances d’usage non médical. Il n’y avait quasiment pas de recherches scientifiques sur l’indication des benzodiazépines ni sur le syndrome de dépendance aux benzodiazépines. Le praticien était contraint de se dire qu’il le prescrivait en off-label. Cette pratique, très courante en médecine, représentait entre 30% et 40% des prescriptions et touchait la plupart des domaines médicaux. Le médecin devait pouvoir sortir du moule des seules indications homologuées par l’agence du médicament. Il ne s’agissait pas de cas d’essais thérapeutiques. Le deuxième avis n’était pas obligatoire, mais fortement recommandé. Swissmedic était la seule instance habilitée à homologuer des médicaments et/ou à émettre des recommandations en pharmacovigilance. Les compétences des administrations cantonales de santé portaient sur les conditions de mise en œuvre des traitements. Elles pouvaient émettre des recommandations, mais rien interdire au médecin en termes d’indications médicamenteuses. Il y avait encore beaucoup à faire dans l’accompagnement de la remise des médicaments, mais cela ne devait pas entraver la prescription off-label du médecin privé.

Il avait été contacté comme expert par la commission et avait participé à une séance. La discussion s’était plutôt focalisée sur la question du besoin de formation continue de M. A______ et plus généralement des médecins de premier recours, et son rôle avait consisté à rendre les membres attentifs à l’état actuel des connaissances « ou d’absence de connaissances » en la matière.

S’il existait de la formation sur les TAO, il y en avait très peu sur la co-médication de façon générale, et notamment sur les prescriptions de benzodiazépines. On savait que le métabolisme s’adaptait, mais il existait beaucoup d’inconnues en l’absence d’investissements de la recherche. Des patients stabilisés étaient asymptomatiques, clairs dans leurs interactions avec les médecins. Contrairement aux opioïdes, le risque de décès par surdose de benzodiazépines était quasiment inexistant et il n’était pas possible de se suicider en ne prenant que des benzodiazépines.

À sa connaissance, les cantons n’appliquaient pas l’obligation d’annonce de
l’art. 11 al. 1 bis LStup. Il était nécessaire, de son point de vue, que la situation soit éclaircie, le système devant être réformé.

À l’issue de ce témoignage, l’intimé s’est opposée à la transmission des
procès-verbaux de la commission, dont il détenait le dossier, et a précisé que le Prof. S______ n’avait pas été remplacé dans la commission.

h. Le 6 octobre 2022, la chambre de céans a entendu Madame T______, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Lausanne. Le témoin a expliqué diriger un projet du Fonds national suisse de la recherche sur les médicaments sous contrôle qui avait pour objectif d’examiner la manière dont le droit fédéral et les cantons réglementaient les médicaments dits stupéfiants, et dans un deuxième temps, comment les médecins appréhendaient les bénéfices et les risques de ces médicaments.

Pour les TAO, il existait un consensus médical très large selon lequel l’abstinence n’était pas l’objectif : le médecin ne devait jamais mettre la pression sur un patient en vue d’une abstinence tant le risque de rechute pouvait avoir des conséquences néfastes graves. Il existait un consensus médical selon lequel le médecin préconisait, pour un traitement de « substitution aux benzodiazépines », des benzodiazépines à demi-vie longue en lieu et place de celles à demi-vie courte qui créaient un pic avec une descente, contraire à l’objectif de stabilisation du patient. Dans le cas d’une dépendance physique aux benzodiazépines, la situation était différente et le médecin devait tenter de diminuer progressivement, voire stopper, les benzodiazépines, sans arrêt brutal. Il était conforme aux règles de l’art de rester à des benzodiazépines à courte durée d’action si le médecin avait dûment évalué le bénéfice-risque et si la personne était stable et qu’on avait tenté de mettre en place des benzodiazépines à demi-vie longue. Savoir quelles benzodiazépines prescrire était très compliqué, et il existait des patients sous TAO avec des benzodiazépines à courte vie.

De nombreux entretiens avaient été menés avec les médecins et pharmaciens cantonaux et des divergences frappantes avaient été identifiées entre cantons et entre théorie et pratique. Tous les cantons ne demandaient pas à connaître une éventuelle co-médication et il pouvait arriver qu’un médecin cantonal, mis au courant d’un TAO par le formulaire, interpelle un praticien pour avoir de plus amples renseignements sur un traitement, voire pour discuter d’un cas, mais les médecins cantonaux interféraient assez peu. La prise des benzodiazépines était encadrée par le médecin sans que cela n’impose une vérification visuelle quotidienne. L’écrasante majorité des médecins cantonaux ne souhaitait pas recevoir les notifications prévues à l’art. 11 al. 1bis LStup en cas d’usage off-label, ne les recevait pas, ou n’en faisait rien. Cette disposition légale était ainsi tombée en désuétude, sous réserve du récent arrêt du Tribunal fédéral, ce qui créait un risque pour les médecins qui n’avaient jamais eu l’habitude de faire ces notifications. L’art. 11 al. 1bis LStup impliquerait des milliers de notifications.

Dans les années 2010, la question s’était posée de savoir s’il était nécessaire de maintenir le régime de l’autorisation pour chaque traitement. Le groupe de travail composé d’experts et dans lequel elle avait siégé avait conclu qu’il fallait privilégier un accès facile et rapide aux TAO et veiller à ce que les contraintes législatives n’entravent pas l’adhésion des patients à ce traitement.

Selon leurs recherches, la question de savoir si le droit fédéral était exhaustif en matière de TAO restait indécise. Le régime LStup était exhaustif en matière de culture de cannabis selon un arrêt du Tribunal fédéral, et semblait l’être en matière d’héroïne. À sa connaissance, l’autorité qui désapprouvait le traitement donné à un patient pouvait soit refuser une autorisation TAO soit intervenir par le biais d’une mesure administrative à l’encontre du médecin.

Le consensus médical voulait que, dans certaines situations, ne pas prescrire
off-label puisse être contraire aux règles de l’art. L’information professionnelle de Swissmedic ne reflétait pas complètement la pratique en matière de benzodiazépines. L’off-label était licite juridiquement et, selon les cas, pouvait être dicté ou être conforme aux règles de l’art. Le patient devait en être informé et son attention attirée sur le fait que sa caisse maladie pourrait ne pas le rembourser. Les TAO n’avaient pas besoin d’être prescrits par des médecins spécialisés en addictologie. Les pratiques des cantons étaient toutefois très différentes, certains exigeant une formation obligatoire, d’autres une formation régulière obligatoire, d’autres la pose de l’indication par un centre ad hoc, et certains rien du tout. L’exigence d’un second avis médical était l’idéal dans la pratique. En droit, la situation était floue et elle n’avait pas connaissance que cette exigence ait été posée dans une loi cantonale.

i. Dans ses observations du 30 novembre 2022, le recourant a souligné que la commission ne disposait pas des connaissances requises et avait fait appel au
Dr S______, qu’elle avait omis de remplacer malgré son intention initiale. En outre, le préavis était totalement contraire à la position de cet expert et ne contenait aucune mention de son audition. L’autorité avait ainsi retranché des éléments centraux du dossier car ils invalidaient la décision qu’elle entendait rendre. Il ignorait qui avait délibéré le 1er juillet 2021 lors de la séance plénière et il était impossible de déterminer si la commission avait délibéré dans une composition conforme. La loi sur les commissions officielles précisait que les commissions concernées ne devaient pas compter plus de vingt membres titulaires. Or, la liste publiée en ligne par l’État de Genève mentionnait vingt-quatre membres titulaires. La production du dossier complet de la commission s’imposait pour qu’il puisse faire valoir ses droits procéduraux. Il avait sollicité à maintes reprises qu’il soit procédé à l’analyse concrète du cas de Mme E______, afin de démontrer que sa pratique était conforme à son obligation de diligence et que le traitement prescrit avait permis à cette patiente d’être stabilisée. Les deux témoins avaient confirmé que la prescription de benzodiazépines à demi-vie courte n’était pas contraire aux règles de l’art dans le cadre d’un traitement off-label. La commission n’avait pas du tout examiné si ses patients étaient stabilisés, ce qu’il n’avait pourtant eu de cesse de rappeler.

L’instruction menée par la chambre de céans n’avait permis d’éclaircir qu’une partie des éléments centraux de cette affaire que la commission avait refusé d’aborder inexplicablement. L’arrêté litigieux retenait que sa pratique allait manifestement à l’encontre du consensus qui « semblait prévaloir » au moins depuis 2013, alors que l’audition des témoins spécialistes avaient permis de démontrer que ce postulat de base était erroné. Il s’est référé à un rapport du CHUV du 19 février 2021 mentionnant un traitement par midazolam 900 mg par jour, et a relevé que l’autorité intimée ne soutenait pas que les praticiens vaudois violeraient leur devoir de diligence. Ses patients avaient suivi de multiples traitements auprès de pléthores de praticiens, et certains avaient occupé la plupart des institutions genevoises sans que jamais personne ne parvienne à les stabiliser. Tant des sevrages que des benzodiazépines à demi-vie longue avaient été tentés, sans succès. Il n’avait pas introduit une molécule ou un risque de dépendance nouveau auprès de ses patients qui consommaient déjà du midazolam. Partant, ses patients étaient déjà informés qu’il s’agissait d’une prescription off-label et des éventuelles difficultés de la prise en charge par leur assurance-maladie. Leur niveau de connaissance n’était bien évidemment pas le même que celui d’un patient qui n’avait jamais consommé de benzodiazépines. N’importe quel traitement prescrit par un médecin pouvait être détourné par un patient et revendu, et la Prof. T______ avait souligné qu’il fallait privilégier un accès facile et rapide aux TAO. S’agissant des prescriptions fractionnées, l’intimée n’avait pas procédé à l’analyse de la validité de la directive cantonale, contrairement à ce qu’elle lui avait indiqué le 6 mai 2014. Le sanctionner pour non-respect de cette directive était contraire au principe de la bonne foi et dénotait le caractère arbitraire de l’arrêté. Il effectuait systématiquement les annonces auprès des autorités, mais se heurtait à des difficultés liées à la position dogmatique du SMC qui entendait dicter le traitement à prescrire aux patients et refusait de valider des annonces. Les praticiens genevois n’osaient plus prescrire du Dormicum off-label en raison de la directive. Il avait obtenu une deuxième opinion dans le cas d’un patient sans domicile hospitalisé aux HUG durant l’hiver et le traitement de Dormicum avait été validé. Il s’était donc montré prévoyant, même si l’obtention de second avis ne constituait pas une condition légale et était difficile. L’intimée n’avait pas davantage procédé à une analyse complète de la situation médicale de Mme N______ et n’avait pas contredit que l’analyse bénéfice-risque plaidait en faveur du traitement au moment où il avait été prescrit, ni fait valoir que les connaissances scientifiques actuelles amenaient à conclure qu’il serait erroné.

S’agissant de l’absence de formation continue, une interdiction du droit de pratique ne pouvait de toute façon pas être prononcée. L’instruction avait en outre démontré l’inexistence de formation spécifique sur la co-médication et il n’y avait quasiment pas de recherches scientifiques sur les benzodiazépines. L’intimée ne soutenait pas que des connaissances nouvelles amèneraient à ne plus prescrire les traitements litigieux, de sorte que le suivi d’une hypothétique formation en la matière n’amènerait pas à les revoir. En six ans de procédure, la commission n’avait mené aucun acte d’instruction, sous réserve de l’audition d’un expert dont la déposition avait été écartée, et n’avait étudié aucun cas. On ne saurait pas justifier une sanction constituant l’ultima ratio sur la base de simples recommandations considérées comme faibles par l’expert de la commission.

Le recourant a produit une lettre de la commission du 8 juillet 2021 lui indiquant que la sous-commission 1 avait formulé des conclusions qui avaient été adoptées le 1er juillet 2021 par la commission lors de sa séance plénière, avec en annexe la liste des présences lors de la séance plénière du 1er avril 2021. Il a également communiqué la liste des vingt-cinq membres de la commission publiée sur le site internet de l’État de Genève le 17 novembre 2022

j. Le 30 novembre 2022, l’autorité intimée a relevé que le recourant continuait à prendre de nouveaux patients et qu’elle était régulièrement interpellée par des professionnels de la santé qui s’inquiétaient de savoir s’ils devaient délivrer les quantités de midazolam prescrites. Les benzodiazépines à demi-vie courte ne devraient être prescrits que pour des patients déjà dépendants à ce type de molécules. Au-delà de dix comprimés par jour, il n’y avait plus d’effet objectif sur la prise en charge des patients, et le médecin devait tendre à un passage vers des benzodiazépines à demi-vie longue et non pas augmenter les quantités. Le patient devait être strictement encadré et une formation continue était nécessaire. Or, le recourant n’avait pas démontré le suivi réel et encadré des patients concernés, ses éventuelles tentatives pour changer de molécule, rendre les patients moins dépendants, leur avoir expliqué que ces prescriptions se faisaient off-label, et s’assurer que l’entier des soixante comprimés était ingéré quotidiennement, sans quoi la diminution des prescriptions aurait dû intervenir. Il ne respectait pas les règles de l’art s’agissant de la prise en charge de ses patients, ni les recommandations fédérales en matière de traitement des dépendances et des prescriptions off-label. Le Tribunal fédéral avait confirmé le retrait du droit de pratiquer d’un médecin qui avait prescrit off-label un médicament assimilable à un stupéfiant sur une longue durée et malgré de nombreux avertissements, alors que les dosages allaient jusqu’à quatre fois le dosage recommandé.

Concernant Mme N______, ses parents avaient écrit à la commission le 16 mai 2022 qu’ils étaient partis en vacances avec leur fille en janvier 2022 pour plusieurs semaines. Celle-ci avait dû être hospitalisée en urgence en raison d’une infection à la jambe survenue suite aux injections de morphine qu’elle s’infligeait et avait ensuite dû être traitée pour une overdose. Ils avaient découvert plusieurs centaines d’ampoules de morphine dans les bagages de leur fille, qui était décédée au début du mois d’août 2022.

L’intimée a produit la dénonciation du 16 mai 2022 des parents de Mme N______, accompagnée de plusieurs documents, dont un arrêté du département faisant interdiction avec effet immédiat au recourant de poursuivre la prise en charge et le suivi médical de Mme N______.

k. Le 13 décembre 2022, le recourant a soutenu qu’il revenait à l’intimée, voire à la commission, d’indiquer concrètement quelle consommation concomitante à un traitement comprenant des benzodiazépines se serait révélée dangereuse. Il n’avait pas prescrit des benzodiazépines à des patients n’en ayant jamais consommé. Le fait que le midazolam ne leur était pas prescrit par les HUG n’empêchait pas ses patients de s’en procurer par d’autres biais. L’intimée ne pouvait retenir que ses patients avaient été sevrés durablement. Elle avait partiellement admis son recours puisqu’elle semblait désormais retenir qu’il existait effectivement des cas où l’on pouvait prescrire du midazolam sous forme de Dormicum off-label. Elle n’indiquait pas en quoi les traitements anciens, qu’elle admettait autoriser, se distinguaient des traitements plus récents. Des critiques toutes générales ne sauraient justifier une sanction et il incombait à l’intimée de démontrer dans un cas concret en quoi une analyse du cas du patient démontrait que le traitement serait erroné. La jurisprudence fédérale citée par l’intimée n’était pas applicable car tous ses patients présentaient un symptôme de dépendance quand il les avait rencontrés pour la première fois et avaient déjà tous consommé des benzodiazépines. En outre, il avait effectué les annonces et l’autorité intimée ne proposait aucune autre alternative pour ses patients.

S’agissant de Mme N______, il a produit sa lettre du 12 juillet 2022, non transmise par l’intimée, par laquelle il avait contesté fermement tous les faits reprochés. La patiente s’était vu prescrire de la morphine en 2010 et le recourant avait repris la prise en charge en 2012, alors qu’elle présentait déjà un long parcours médical. Il existait un conflit de longue date entre cette patiente et ses parents au sujet de ses traitements. C’était aux HUG que les doses de morphine prescrites avaient été les plus importantes, alors qu’il s’efforçait de les réduire lorsque cela était possible. Il avait annoncé le cas aux autorités. La patiente, en vacances avec ses parents au Brésil au début de l’année 2022, avait été sur leur instruction envoyée dans une clinique de désintoxication où un sérieux plan de sevrage et une psychothérapie avaient été mis en place pour une durée de six mois. Elle était décédée le
4 août 2022 au Brésil. Cela démontrait d’ailleurs le danger à vouloir sevrer à tout prix les patients ou les priver du traitement qui leur permettait d’être stabilisés. Les quantités de morphine retrouvées en possession de la défunte correspondaient à cinq jours du traitement qui lui avait été prescrit par les HUG, étant souligné que les HUG usaient d’ampoules de 200 mg et non de 20 mg. Enfin, aucune instruction n’avait été menée quant aux faits survenus au Brésil. Les pièces produites ne mentionnaient aucune surdose et n’indiquaient pas l’origine de la lésion à la jambe.

l. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

Le contenu des pièces sera repris pour le surplis en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010
- LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10]).

2.             Dans son acte du 6 janvier 2022, le recourant a invoqué plusieurs violations de son droit d’être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du
4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), lequel est applicable au contentieux disciplinaire dont l’enjeu est potentiellement le droit de continuer à pratiquer une profession à titre libéral (arrêt du Tribunal fédéral
2C_539/2020 du
28 décembre 2020 consid. 3.1), dans le cadre des procédures menées par les autorités judiciaires, mais non administratives à l’instar de l’autorité intimée et a fortiori de la commission (arrêt du Tribunal fédéral 2C_66/2013 du 7 mai 2013 consid. 3.2.1).

Le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_507/2021 du 13 juin 2022
consid. 3.1). L’autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d’une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).

2.1 Le recourant a tout d’abord reproché à la commission et aux sous-commissions d’avoir siégé à huis clos et de ne pas lui avoir transmis le préavis du 8 juillet 2021 fondant l’arrêté litigieux.

2.1.1 Selon l’art. 7 al. 1 de la loi sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 7 avril 2006 (LComPS - K 3 03), dans le cadre de son mandat, la commission de surveillance exerce d’office ou sur requête les attributions suivantes : elle instruit en vue d’un préavis ou d’une décision les cas de violation des dispositions de la loi sur la santé du 7 avril 2006 concernant les professionnels de la santé et les institutions de santé, ainsi que les cas de violation des droits des patients (let. a) ; elle peut émettre les directives et les instructions nécessaires au respect des dispositions de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (let. b).

L’art. 12 LComPS prévoit que la commission de surveillance, son bureau, ses
sous-commissions et l’instance de médiation siègent à huis clos.

Conformément à l’art. 19 LComPS, la commission de surveillance émet un préavis à l’intention du département lorsqu’elle constate, au terme de l’instruction, qu’un professionnel de la santé ou qu’une institution de santé a commis une violation de ses obligations susceptible de justifier une interdiction temporaire ou définitive de pratique, pour tout ou partie du champ d’activité, ou une limitation ou un retrait de l’autorisation d’exploitation, conformément à la loi sur la santé du 7 avril 2006.

2.1.2 Le principe de l’accès au dossier figure à l’art. 44 LPA, alors que les restrictions sont traitées à l’art. 45 LPA. Ces dispositions n’offrent pas de garantie plus étendue que l’art. 29 Cst. (Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, p. 145 n. 553 et l’arrêt cité).

Le droit de consulter le dossier est un aspect du droit d’être entendu garanti par
l’art. 29 al. 2 Cst. (ATF 132 II 485 consid. 3.2). Selon la jurisprudence, le justiciable ne peut pas exiger la consultation de documents internes à l’administration, à moins que la loi ne le prévoie expressément (ATF 125 II 473 consid. 4a ; ATF 122 I 153 consid. 6a). Il s’agit des notes dans lesquelles l’administration consigne ses réflexions sur l’affaire en cause, en général afin de préparer des interventions et décisions nécessaires. Il peut également s’agir de communications entre les fonctionnaires traitant le dossier. Cette restriction du droit de consulter le dossier doit de manière normale empêcher que la formation interne de l’opinion de l’administration sur les pièces déterminantes et sur les décisions à rendre soit finalement ouverte au public. Il n’est en effet pas nécessaire à la défense des droits des administrés que ceux-ci aient accès à toutes les étapes de la réflexion interne de l’administration avant que celle-ci ait pris une décision ou manifesté à l’extérieur le résultat de cette réflexion (ATF 115 V 297 consid. 2g ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_685/2018 du 22 novembre 2019 consid. 4.4.2).

Selon la jurisprudence constante, les préavis sont des documents internes à l’administration, qui sont préparatoires à la décision. Ils ont pour objet d’aider l’autorité compétente à se forger une opinion, souvent sur des questions techniques. Dépourvus de conséquences juridiques directes sur la situation des administrés, ils n’ont pas à être communiqués avant la prise de la décision entreprise et aucun droit d’être entendu n’existe à leur sujet, à ce stade de la procédure, l’idée étant que leur contenu pourra être discuté dans le recours interjeté contre la décision préavisée, dans la mesure et pour autant que le préavis litigieux ait été suivi par l’autorité (arrêt du Tribunal fédéral 2C_66/2013 du 7 mai 2013 consid. 3.2.2 ; ATA/830/2022 du
23 août 2022 consid. 3b).

2.1.3 En l’espèce, le préavis de la commission, celle-ci étant intervenue en tant qu’autorité d’instruction avant la prise de décision du département, est un acte interne à l’administration, destiné à faciliter la tâche de l’organe de décision. Ce document n’avait donc pas à être soumis au recourant avant le prononcé de l’arrêté litigieux, pas plus du reste que les préavis ou conclusions de la sous-commission 1 avant la séance plénière de la commission.

Cela étant, le préavis du 8 juillet 2021 a été produit par l’autorité intimée à l’appui de ses observations du 10 février 2022, de sorte que le recourant a été en mesure d’en prendre connaissance et de se prononcer sur les faits retenus et les reproches formulés dans ce document, qui ont d’ailleurs été intégralement repris dans l’arrêté entrepris.

Enfin, le huis clos est conforme à la législation en vigueur (art. 12 LComPS).

2.2 Dans sa réplique du 14 mars 2022, le recourant a remarqué que les déclarations du Dr S______, associé aux travaux de la commission de surveillance en qualité de spécialiste de la branche concernée par l’affaire en cause, ne ressortaient pas du préavis de la commission, de sorte qu’il a requis la production de l’intégralité du dossier de la commission, dont les procès-verbaux des séances. Par la suite, il a encore souligné que le préavis de la commission était contraire au témoignage de ce médecin et que seule la production de l’intégralité du dossier permettrait de déterminer les justifications à l’appui du raisonnement de la commission.

2.2.1 L’art. 15 al. 1 de la loi sur les commissions officielles du 18 septembre 2009 (LCOf - A 2 20) prévoit que toutes les séances de commission, dont la commission (art. 4 let. x du règlement sur les commissions officielles du 10 mars 2010 -
RCOf - A 2 20.01), et de sous-commissions font l’objet de procès-verbaux, qui ne sont pas publics.

Ces procès-verbaux constituent des projets de décisions et se rapportent uniquement à la formation de l’opinion des membres de l’autorité. Ils ne peuvent dès lors pas être transmis aux parties (ATA/830/2022 du 23 août 2022 consid. 3c ; ATA/940/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5).

2.2.2 Partant, le recourant ne peut prétendre à la production de ces documents internes à l’administration, qui n’ont pas à être remis aux parties.

Pour le reste, les faits et griefs retenus par la commission ressortent clairement de l’arrêté contesté, qui est en tous points conforme au préavis de la commission.

2.3 Le recourant a également sollicité diverses mesures d’instruction, dont l’audition de témoins, ainsi que la mise en œuvre d’une expertise clinique de
Mme E______, afin de démontrer que sa prise en charge avait permis d’obtenir des résultats positifs en stabilisant ses patients sous TAO.

2.3.1 La chambre de céans a entendu le Dr S______ et la Prof. T______ en qualité de témoins, comme demandé par le recourant.

2.3.2 En revanche, elle ne donnera pas suite à la demande d’expertise, qui n’apparaît pas pertinente pour trancher le litige, lequel porte sur six causes et concerne une quinzaine de patients.

2.4 Le recourant a également relevé, dans son écriture du 30 novembre 2022, qu’il n’avait jamais été informé de la composition de la commission ayant adopté le préavis sur lequel se fonde l’arrêté litigieux, et que la liste publiée sur le site Internet de l’État de Genève comptait, au 17 novembre 2022, vingt-quatre membres titulaires alors que la loi prévoyait un nombre maximum de vingt membres. Il émet des doutes sur la validité de la composition de la commission.

2.4.1 Conformément à l’art. 3 al. 1 LComPS, la commission est constituée d’un président ayant une formation juridique adéquate et de dix-neuf membres titulaires. Elle élit en son sein un vice-président.

L’art. 18 LComPS prévoit que la commission de surveillance ne peut délibérer valablement en séance plénière qu’en présence de cinq de ses membres ayant le droit de vote, comprenant au moins un homme et une femme (al. 1). Parmi ces membres doivent figurer nécessairement :  le président ou le vice-président (al. 2 let. a) ; un membre non professionnel de la santé (al. 2 let. b) ; deux médecins dont l’un choisi hors des établissements publics médicaux (al. 2 let. c). Pour les cas où l’affaire concerne une profession non représentée dans les membres visés à l’al. 2, il doit également être fait appel à son représentant (al. 3). Lorsque la commission de surveillance se prononce sur une question de principe ou change de jurisprudence, sa décision doit être entérinée par 7 de ses membres au moins (al. 4).

L’art. 6 al. 1 LCOf prévoit que les commissions entrant dans le champ d’application de la présente loi ne doivent pas comporter plus de vingt membres titulaires, sous réserves des exceptions précisées à l’al. 2, non réalisées en l’espèce.

2.4.2 La jurisprudence a tiré de l’art. 29 al. 1 Cst. un droit à ce que l’autorité administrative qui statue le fasse dans une composition correcte et impartiale. L’autorité est valablement constituée lorsqu’elle siège dans une composition qui correspond à ce que le droit d’organisation ou de procédure prévoit.

Il est contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré de la composition irrégulière du tribunal pour ne l’invoquer qu’en cas d’issue défavorable de la procédure (ATF 139 III 120 consid. 3.2.1 ; ATF 136 III 605 consid. 3.2.2). En outre, la motivation du recours doit être formulée dans le délai non prolongeable de recours, le recourant ne pouvant présenter des arguments nouveaux dans ses écritures ultérieures (ATF 143 II 283 consid. 1.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_196/2020 du 19 mai 2020 consid. 2.2).

2.4.3 En l’occurrence, le recourant, représenté par un avocat depuis le début de la procédure administrative, aurait pu constater dès la réception du courrier du
8 juillet 2021 contenant la liste des présences que cette dernière était manifestement erronée, puisqu’elle concernait une séance plénière du 1er avril 2021, alors que la commission avait précisé s’être déterminée sur son dossier le 1er juillet 2021. Il a donc tardé en soulevant cette irrégularité dans ses observations finales du
30 novembre 2022 seulement. De surcroît, le rôle de la commission se limite à émettre un préavis, l’autorité décisionnaire étant le département.

Quant à la question de savoir si la commission compte réellement plus de
vingt membres titulaires, comme le suggère la publication en ligne transmise par le recourant – pour autant qu’elle soit à jour –, elle est sans influence sur les conditions de validité des délibérations de la commission plénière. Rien ne permet de penser que les exigences légales n’auraient pas été respectées.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit de l’arrêté du 22 novembre 2021 par lequel l’autorité intimée a retiré au recourant le droit de pratiquer.

4.             Le recourant fait tout d’abord valoir que le droit fédéral ne contient pas de norme permettant aux cantons de dicter les traitements dont la prescription est autorisée et que, par conséquent, le contenu de la Directive DGS.003.03, en tant qu’elle interdit la prescription de Dormicum aux personnes souffrant de toxicodépendance, est contraire au droit fédéral.

5.             Conformément à l’art. 3 Cst., les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération.

À teneur de l’art. 49 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire (al. 1). La Confédération veille à ce que les cantons respectent le droit fédéral
(al. 2).

L'art. 118 Cst., qui a repris en substance les art. 69, 69bis et 24quinquies al. 2 aCst., règle les compétences de la Confédération en matière de protection de la santé.

Selon l’art. 118 al. 2 let. a Cst, dont le contenu correspond largement à celui de
l’art. 69bis al. 1 aCst, la Confédération légifère entre autres sur l’utilisation des stupéfiants, ce qu’elle a fait en adoptant en particulier la LStup, l’ordonnance du
25 mai 2011 sur le contrôle des stupéfiants (OCStup – RS 812.121.1), l’ordonnance du 30 mai 2011 du département fédéral de l’intérieur (ci-après : DFI) sur les tableaux des stupéfiants, des substances psychotropes, des précurseurs et des adjuvants chimiques (OTStup-DFI – RS 812.121.11), l’ordonnance du 25 mai 2011 relative à l’addiction aux stupéfiants et aux autres troubles liés à l’addiction
(OAStup - RS 812.121.6), ainsi que la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux du 15 décembre 2000 (LPTh - RS 812.21) et ses ordonnances qui s’appliquent aux stupéfiants utilisés comme produits thérapeutiques.

5.1 Garanti à l'art. 49 al. 1 Cst., le principe de la primauté du droit fédéral fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive. Cependant, même si la législation fédérale est considérée comme exhaustive dans un domaine donné, une loi cantonale peut subsister dans le même domaine en particulier si elle poursuit un autre but que celui recherché par le droit fédéral. En outre, même si, en raison du caractère exhaustif de la législation fédérale, le canton ne peut plus légiférer dans une matière, il n'est pas toujours privé de toute possibilité d'action. Ce n'est que lorsque la législation fédérale exclut toute réglementation dans un domaine particulier que le canton perd toute compétence pour adopter des dispositions complétives, quand bien même celles-ci ne contrediraient pas le droit fédéral ou seraient même en accord avec celui-ci (ATF 137 I 167 consid. 3.4 ;
ATF 133 I 110 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_727/2011 du 19 avril 2012 consid. 3.3).

La santé publique est en principe du ressort des cantons (art. 3 Cst. ;
Tomas POLEDNA, ad art. 118 Cst., in : Die Schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, 2ème éd., Zurich/Bâle/Genève 2008, p. 1823 n. 5 ; Brigitte BERGER / Tomas POLEDNA, Öffentliches Gesundheitsrecht, Berne 2002, p. 17 n. 43). Toutefois, la Confédération se voit reconnaître la compétence pour en réglementer certains aspects spécifiques (art. 118 al. 1 Cst. : « Dans les limites de ses compétences » ; Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, in : FF 1996 I 1, p. 338 ; Erwin MURER, Wohnen, Arbeit, Soziale Sicherheit und Gesundheit, in : Droit constitutionnel suisse, Zurich 2001, p. 967 ss, 977 n. 22), qui sont exhaustivement mentionnés à l'art. 118 al. 2 Cst. À l'intérieur de ces domaines segmentaires, la Confédération dispose d'une « compétence globale dotée d'un effet dérogatoire subséquent » (ATF 133 I 110 consid. 4.2 ;
FF 1996 I 1, p. 338 ; Giovanni BIAGGINI, ad art. 118 Cst., in :
BV-Kommentar, Zurich 2007, p. 555 n. 6 ; sous l'angle de l'aCst. : Guido CORTI, Canapa et canapai fra legalità e illegalità - Parere del 1° aprile/11 giugno 1999, in : RDAT 1999 II 377, p. 390ss.), à savoir d'une compétence concurrente non limitée aux principes lui permettant de réglementer exhaustivement une matière de sorte à évincer toute compétence cantonale autonome dans ce domaine, sous réserve des compétences réservées ou déléguées aux cantons, ainsi que de celles résultant de l'exécution du droit fédéral en vertu de l'art. 46 Cst. (Andreas AUER /
Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 2ème éd., Berne 2006, p. 360 n. 1017 ; Tomas POLEDNA, op. cit., p. 1824 n. 7 ;
René RHINOW / Markus SCHEFER, Schweizerisches Verfassungsrecht, 2ème éd., Bâle 2009, p. 149 N 727).

5.2 Conformément à l’art. 1 LStup, la législation en matière de stupéfiants a notamment pour objectifs de prévenir la consommation non autorisée de stupéfiants et de substances psychotropes, réglementer leur mise à disposition à des fins médicales et scientifiques, protéger les personnes des conséquences liées à l'addiction, préserver la sécurité et l'ordre publics des dangers émanant du commerce et de la consommation de stupéfiants et de substances psychotropes, et lutter contre les actes criminels étroitement liés au commerce et à la consommation de ces substances.

L’art. 2 let. b LStup précise qu’on entend par substances psychotropes les substances et préparations engendrant une dépendance qui contiennent des amphétamines, des barbituriques, des benzodiazépines ou des hallucinogènes tels que le lysergide ou la mescaline ou qui ont un effet semblable à ces substances ou préparations.

Selon l’art. 3e LStup, la prescription, la remise et l’administration des stupéfiants destinés au traitement des personnes dépendantes sont soumises au régime de l’autorisation. Celle-ci est octroyée par les cantons (al. 1). Le Conseil fédéral peut fixer des conditions générales (al. 2). Les traitements avec prescription d’héroïne doivent faire l’objet d’une autorisation fédérale. Le Conseil fédéral édicte des dispositions particulières (al. 3).

En vertu de l’art. 10 al. 1 LStup, les médecins et les médecins-vétérinaires qui exercent leur profession sous leur propre responsabilité professionnelle au sens de la LPMéd sont autorisés à prescrire des stupéfiants.

Selon l’art. 11 LStup, les médecins et les médecins-vétérinaires sont tenus de n’employer, remettre ou prescrire les stupéfiants que dans la mesure admise par la science (al. 1). Les médecins et les médecins-vétérinaires qui remettent ou prescrivent des stupéfiants autorisés en tant que médicaments pour une indication autre que celle qui est admise, doivent le notifier dans un délai de trente jours aux autorités cantonales compétentes. Sur demande des autorités précitées, ils doivent fournir toutes les informations nécessaires sur la nature et le but du traitement
(al. 1bis).

Le chapitre 5 (art. 29 ss LStup) de la loi fixe en détail les tâches appartenant à la Confédération et celles que le législateur fédéral a dévolues aux cantons ; ces derniers sont en particulier tenus d'édicter les dispositions d'exécution et doivent désigner les autorités et offices chargés d'accomplir les attributions définies par la LStup (cf. art. 29d LStup), la Confédération exerçant la haute surveillance sur l’exécution de la loi (art. 29 al. 1 LStup).

5.2.1 L’art. 8 OAStup indique que les buts du traitement avec prescription de stupéfiants sont les suivants (al. 1) : éloigner la personne traitée du milieu de la drogue (let. a) ; prévenir la criminalité liée à l’approvisionnement en drogue
(let. b) ; faire évoluer la personne traitée vers des formes de consommation de substances psychoactives présentant un risque faible (let. c) ; amener la personne traitée à réduire sa consommation de produits de substitution jusqu’à s’en abstenir (let. d). Le traitement avec prescription de stupéfiants est conduit par des personnes qualifiées, notamment des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des travailleurs sociaux et des psychologues (al. 2).

En vertu de l’art. 9 OAStup, pour l’octroi d’une autorisation de suivre un traitement avec prescription de stupéfiants selon l’art. 3e al. 1 LStup, le canton doit exiger du médecin traitant les indications suivantes (al. 1) : nom et adresse du médecin traitant (let. a) ; nom et prénom du patient (let. b) ; sexe du patient (let. c) ; date de naissance du patient (let. d) ; lieu d’origine du patient (let. e) ; adresse du domicile du patient (let. f) ; adresse du lieu de séjour provisoire du patient (let. g), et organisme de remise (let. h). En cas de traitement résidentiel, il exige de surcroît le nom et l’adresse de l’institution (al. 2).

5.2.2 L’OCStup régit l’autorisation et le contrôle des stupéfiants, des substances psychotropes, des précurseurs et des adjuvants chimiques définis à l’art. 2 LStup, ainsi que les matières premières et les produits ayant un effet similaire à celui des substances et des préparations au sens de l’art. 7 LStup.

En application de l’art. 3 OCStup, le DFI désigne les substances soumises à contrôle et détermine les mesures de contrôle auxquelles elles sont soumises (al. 1). À cet effet, il établit les tableaux suivants : tableau a : substances soumises à contrôle soumises à toutes les mesures de contrôle (let. a) ; tableau b : substances soumises à contrôle soustraites partiellement aux mesures de contrôle (let. b) ; tableau c : substances soumises à contrôle pouvant exister en concentration réduite dans des préparations et pouvant être soustraites partiellement aux mesures de contrôle
(let. c) ; tableau d : substances soumises à contrôle qui sont prohibées (let. d) ; tableau e : matières premières et produits ayant un effet supposé similaire à celui des substances et des préparations au sens de l’art. 7 al. 1 LStup et soumis aux mesures de contrôle des stupéfiants figurant dans le tableau a (let. e) ; tableau f : précurseurs avec mention de la quantité qui implique un contrôle au sens de la présente ordonnance (let. f) ; tableau g : adjuvants chimiques avec mention des pays cibles et de la quantité qui implique un contrôle au sens de la présente ordonnance (let. g). Le Midazolam est listé dans le tableau b de l’OTStup-DFI.

L’art. 49 OCStup précise que la notification visée à l’art. 11 at. lbis LStup doit contenir le nom du médicament, la quantité, le dosage et l’indication (al. 1) et que les prescriptions et utilisations dans le cadre d’essais cliniques autorisés selon la LPTh ne sont pas concernées par l’obligation de notifier (al. 2).

5.2.3 Plusieurs principes et recommandations ont été édictés en lien avec l’utilisation de benzodiazépines.

En juillet 2013, l’OFSP, la SSMA et l’AMCS ont établi des recommandations relatives à la « Dépendance aux opioïdes : Traitements basés sur la substitution » dans le but notamment de servir de base pour l’adaptation des directives cantonales liées aux autorisations nécessaires au TBS. Ce document préconise la prescription d’une substitution de benzodiazépines de longue durée d’action, en cas d’impossibilité de parvenir à une abstinence, afin de réduire les risques. Il ne bannit cependant pas tout recours aux autres benzodiazépines.

En mai 2014, l’OFSP, l’AMCS et la SSMA ont édicté des « Principes généraux régissant l’utilisation des benzodiazépines et des médicaments apparentés » à l’attention des médecins qui prescrivent ces médicaments et aux pharmaciens qui les remettent, pour leur permettre de définir des « stratégies » applicables dans la pratique. Ces principes généraux rappellent l’existence d’un important risque d’abus et de dépendance en raison du passage très rapide dans le cerveau et indiquent qu’il y a lieu de « renoncer » à l’emploi de tels produits. Ils considèrent que le passage à des benzodiazépines à plus longue durée d’action et la remise contrôlée des substances constituent des « solutions appropriées ». Si la prescription des benzodiazépines à courte durée d’action est clairement déconseillée, elle n’est en revanche pas expressément proscrite.

Le 1er juin 2016, l’APC et Swissmedic ont élaboré, avec le soutien de l'Académie suisse des sciences médicales (ci-après : ASSM) une nouvelle version des recommandations concernant l’ « off-label use de médicaments », lesquelles ne font pas de distinction entre les benzodiazépines à longue ou courte durée d’action.

Le 16 juillet 2020, la SSMA a rédigé des « Recommandations médicales relatives au traitement agoniste opioïde (TAO) du syndrome de dépendance aux opioïdes », qui constituent une base de travail visant notamment à développer des directives cantonales. Ces recommandations conseillent le recours aux benzodiazépines à diffusion lente et à longue durée d’action, comme le clonazépam, l’aprazolam à effet retard ou le diazépam malgré sa diffusion rapide, ou encore l’oxazépam en cas d’insuffisance hépatique. Elles ne prohibent pas l’usage du midazolam. En outre, elles excluent clairement toute portée juridiquement contraignante et rappellent qu’il incombe au médecin de décider du traitement.

5.3 Au niveau cantonal, selon l’art. 6A du règlement relatif à l’application de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (RaLStup -
K 4 20.02), en application de l’art. 11 LStup, les annonces de prescription de stupéfiants pour des indications autres que celles qui sont admises doivent être faites auprès du médecin cantonal, par le médecin prescripteur (let. a).

L’art. 14 al. 1 RALStup précise que tout médecin désirant prescrire des traitements de stupéfiants aux personnes dépendantes doit obtenir une autorisation spéciale du médecin cantonal.

Selon l’art. 15 RALStup, tout médecin doit annoncer, dans un délai de cinq jours ouvrables, au médecin cantonal les traitements qu’il initie, modifie ou clôt, au moyen d’un formulaire d’annonce électronique. Ce formulaire doit mentionner le médecin, son remplaçant, la pharmacie en principe sise dans le canton qui délivre le stupéfiant, ainsi que le patient. Le formulaire doit être imprimé et cosigné par le médecin et le patient. Le médecin conserve le formulaire dans le dossier du patient. Le médecin remplaçant et la pharmacie acceptent le traitement en le validant électroniquement (al. 1). À titre exceptionnel, l’annonce peut être faite sur un formulaire papier. Dans ce cas, il doit être cosigné par le médecin, son remplaçant, le pharmacien qui délivre le stupéfiant et le patient (al. 2). Le médecin qui prend en charge un patient hospitalisé ou incarcéré n’est pas tenu d’annoncer les traitements tels que prévus à l’al. 1 (al. 3).

Conformément à l’art. 19 RALStup, le médecin cantonal et le pharmacien cantonal sont habilités à émettre des directives en vue de régler les modalités de la prise en charge par les professionnels de la santé des traitements comportant l’administration de stupéfiants à des personnes dépendantes.

5.3.1 La directive DGS.003.03 cantonale adoptée le 1er juillet 2013 par la DGS a pour but de préciser et compléter le RaLStup concernant les aspects relatifs au traitement des personnes toxicodépendantes (chapitre I). Ce document prévoit, entre autres, que tout médecin qui désire prendre en charge des personnes toxicodépendantes en prescrivant des stupéfiants doit obtenir une autorisation spéciale du médecin cantonal (chapitre II), et que le médecin autorisé est tenu d’annoncer au médecin cantonal, au moyen d’un formulaire électronique tout traitement de stupéfiants pour une dépendance aux opiacés et/ou aux benzodiazépines qu’il initie et ceci quelle que soit la durée du traitement. Dans le cas où le traitement de substitution nécessite la prescription de plusieurs produits de substitution, ils doivent tous être mentionnés sur le formulaire (chapitre III). Le chapitre IV énonce des principes généraux concernant la prescription et la remise au patient (chapitre IV.1), ainsi que des règles particulières pour la méthadone (chapitre IV.2) et pour les benzodiazépines (chapitre IV.3), lequel précise que seules les benzodiazépines suivantes peuvent être prescrites ; oxazépam (Seresta, Anxiolit), clorazépate (Tranxilium) et clonazépam (Rivotril). Pour les patients traités au moment de l’adoption de la directive avec d’autres benzodiazépines
(ex. Dormicum) le passage à la prescription des benzodiazépines autorisées doit être effectué avant le 1er janvier 2014.

5.4 Dans un arrêt rendu le 5 octobre 2012 (ATF 138 I 435), le Tribunal fédéral s’est déterminé sur la conformité du « Concordat latin » sur la culture et le commerce du chanvre, entré en vigueur le 1er mars 2012 à la suite de l'adhésion des cantons de Fribourg, Vaud et Neuchâtel. Il en ressort que la Confédération a exhaustivement réglementé le domaine des stupéfiants, compte tenu des actes normatifs à la fois denses et détaillés que la Confédération a notamment adoptés en matière de consommation, de commerce et de protection contre les effets indésirables et nocifs des stupéfiants, et sous réserve des compétences que la LStup délègue aux cantons sous la haute surveillance de la Confédération (consid. 3.4.6). Le caractère exhaustif de la législation fédérale dans un certain domaine n'équivaut pas, de façon absolue ou systématique, à éliminer toute possibilité pour un canton de légiférer dans cette même matière. En particulier, une réglementation cantonale peut subsister dans le même champ lorsqu'elle poursuit un autre but que celui recherché par le droit fédéral exhaustif (consid. 3.5.1 ; Jean-François AUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, vol. I, Neuchâtel 1967, p. 252 n. 661). Après analyse, il a jugé que le Concordat, en tant qu'il visait à prévenir des infractions au droit fédéral exhaustif en matière de stupéfiants, ainsi qu'au droit agricole, et qu'il poursuivait les mêmes buts que le législateur fédéral, bien que réglementant le domaine du chanvre non stupéfiant, violait la primauté du droit fédéral et devait être annulé.

Lors de son audition, la Prof. T______ a déclaré que la question de savoir si le droit fédéral était exhaustif en matière de TAO restait indécise, que le régime de la LStup était exhaustif en matière de culture de cannabis selon un arrêt du Tribunal fédéral, et semblait également l’être en matière d’héroïne. 

Cela étant, certains auteurs, [ ], affirment que le régime fédéral fondé sur l’art. 3e LStup est exhaustif, en ce sens que les cantons ne sont pas habilités à introduire leur propre régime en sus (Valérie JUNOD / Carole-Anne BAUD / Barbara BROERS/ Caroline SCHMITT-KOOPMANN / Olivier SIMON / Frederik VANDENBERGHE, in Revue médicale suisse n°742, 2021, Médecine des addictions).

De surcroît, les tâches des cantons sont clairement énumérées aux art. 29d et
29e LStup et seules leur sont attribuées des compétences d’exécution de la législation fédérale. En ce qui concerne plus particulièrement les traitements avec prescription de stupéfiants et les prescriptions off-label, les ordonnances fédérales règlementent de façon très précise les informations que les cantons doivent recueillir et le contenu des notifications qui incombent aux médecins.

5.5 Dès lors que la législation fédérale en matière de stupéfiants, dont relèvent les benzodiazépines, doit être considérée comme complète et exhaustive, il convient de déterminer quelles en sont les conséquences sur la validité de la directive DGS.003.03, qui interdit la prescription de certaines benzodiazépines, dont le Dormicum, pour le traitement des personnes toxicodépendantes.

Le RaLStup, adopté par le Conseil d’État genevois en application de la LStup, de l’OCStup et de l’OAStup, poursuit les mêmes buts de prévention, de protection et de contrôle qui relèvent, en raison du caractère exhaustif de la législation fédérale en la matière, du seul droit fédéral. Ce dernier ne fait aucune distinction entre les différentes benzodiazépines et ne limite pas la prescription de celles à courte durée d’action en fonction du profil ou des pathologies des patients.

Par conséquent, la directive DGS.003.03, en tant qu’elle limite les traitements qui peuvent être prescrits aux personnes souffrant de toxicodépendance, empiète sur les compétences que la Constitution a attribuées à la Confédération et dont cette dernière a fait un plein usage. Elle contrevient donc au principe de la primauté du droit fédéral consacré à l'art. 49 al. 1 Cst. Il ne saurait donc être reproché au recourant d’avoir enfreint cette règlementation.

6.             L’autorité intimée a retenu plusieurs violations de l’obligation d’agir avec soin et diligence consacrée par l'art. 40 let. a LPMéd, dans les causes n° 12/16/1, 24/18/1, 61/18/1, D 8/19/1 et D 12/19/1. Elle a considéré que les prescriptions off-label de Dormicum à haute dose et sur une longue période n’étaient pas fondées sur des bases scientifiques solides et allaient à l’encontre du consensus qui « semblait » prévaloir depuis 2013. Elle a également retenu que la prise en charge médicale globale était inacceptable, le recourant n’établissant pas de plan de traitement, n’envisageant pas l’administration de traitement alternatif, ne collaborant pas avec des psychiatres, n’effectuant pas de bilans sanguins et ne renseignant pas systématiquement ses patients sur les risques des traitements dispensés. En outre, ses pratiques engendraient un risque de revente du midazolam sur le marché noir et les prescriptions fractionnées lui permettaient d’éluder ses obligations.

Le recourant soutient que l’arrêté contesté repose sur une instruction lacunaire et inexacte. Il rappelle que la commission a fait appel aux connaissances d’un spécialiste, le Dr S______, qu’elle a voulu remplacer suite à sa récusation, ce qu’elle n’a finalement pas fait. Il remet en cause l’existence d’un consensus médical visant à ne plus prescrire de benzodiazépines à courte durée d’action à des personnes souffrant de toxicodépendance et relève qu’il n’existe aucune obligation légale d’exiger un second avis avant de prescrire un traitement off-label. Il conteste qu’il lui incombait de prouver l’adéquation de ses traitements et souligne que ces derniers ont permis de stabiliser ses patients qui avaient tous subi de graves traumatismes et pour lesquels des sevrages et des passages à des benzodiazépines à demi-longue vie avaient échoué. Il a également allégué qu’il n’avait jamais introduit des traitements de benzodiazépines et que ses patients en avaient déjà tous consommé, qu’ils savaient qu’il s’agissait d’une prescription off-label et en connaissaient les conséquences, que ce soit les risques pour leur santé ou l’absence de remboursement par leur assureur-maladie.

7.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), hypothèse non réalisée en l’espèce.

Il n’en résulte toutefois pas que l’autorité est libre d’agir comme bon lui semble (ATA/1300/2021 précité consid. 6). Il y a abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d’appréciation qui est le sien, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux de droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; ATF 123 V 150 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_37/2020 du
7 septembre 2020 consid. 5.1).

8.             Conformément à l’art. 40 lit. a LPMéd, les personnes exerçant une profession médicale universitaire sous leur propre responsabilité professionnelle doivent exercer leur activité avec soin et conscience professionnelle et respecter les limites des compétences qu’elles ont acquises dans le cadre de leur formation universitaire, de leur formation postgrade et de leur formation continue.

L’art. 3 de la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux du
15 décembre 2000 (loi sur les produits thérapeutiques, LPTh - RS 812.21) prévoit que quiconque effectue une opération en rapport avec des produits thérapeutiques est tenu de prendre toutes les mesures requises par l’état de la science et de la technique afin de ne pas mettre en danger la santé de l’être humain et des animaux (al. 1). Pour ce qui est des médicaments de la médecine complémentaire sans mention de l’indication, il est tenu compte de l’état de la science et de la technique ainsi que des principes de la thérapeutique concernée (al. 2).

Conformément à l’art. 26 LPTh, les règles reconnues des sciences pharmaceutiques et médicales doivent être respectées lors de la prescription, de la remise et de l’utilisation de médicaments de même que les principes de la thérapeutique concernée pour ce qui est des médicaments de la médecine complémentaire sans mention de l’indication. Le Conseil fédéral peut préciser ces règles (al. 1). Un médicament ne doit être prescrit que si l’état de santé du consommateur ou du patient est connu (al. 2).

8.1 Au niveau cantonal, l’art. 78 al. 1 LS prévoit que les devoirs professionnels cités à l’art. 40 LPMéd s’appliquent aux professionnels exerçant sous leur propre responsabilité professionnelle et sous surveillance professionnelle.

L’art. 82 LS rappelle que le professionnel de la santé doit veiller au respect de la dignité humaine et des droits de la personnalité des patients (al. 1) et s’abstient, dans le cadre de ses activités, de tout endoctrinement des patients (al. 2).

Selon l’art. 85 LS, le professionnel de la santé ne peut fournir que les soins pour lesquels il a la formation reconnue et l’expérience nécessaire (al. 1). Le professionnel de la santé doit s’abstenir de tout acte superflu ou inapproprié, même sur requête du patient, d’un autre professionnel de la santé ou de tout tiers (al. 2). Lorsque les soins exigés par l’état de santé du patient excèdent ses compétences, le professionnel de la santé est tenu de s’adjoindre le concours d’un autre professionnel habilité à fournir ces soins ou d’adresser le patient à un professionnel compétent (al. 5).

L’art. 113 LS prévoit en outre que seuls les médecins, les dentistes, les chiropraticiens et les vétérinaires peuvent prescrire des médicaments, dans les limites de leurs compétences et compte tenu de la législation en la matière. Le département peut également établir une liste de médicaments pouvant être prescrits par les personnes exerçant la profession de sage-femme et à quelles conditions
(al. 1). Les professionnels de la santé sont tenus de contribuer à la lutte contre l’usage inadéquat et dangereux des produits thérapeutiques (al. 3).

8.2 Les devoirs professionnels ou obligations professionnelles sont des normes de comportement devant être suivies par toutes les personnes exerçant une même profession. En précisant les devoirs professionnels dans la LPMéd, le législateur poursuit un but d’intérêt public. Il ne s’agit pas seulement de fixer les règles régissant la relation individuelle entre patients et soignants, mais aussi les règles de comportement que le professionnel doit respecter en relation avec la communauté. Suivant cette conception d’intérêt public, le respect des devoirs professionnels fait l’objet d’une surveillance de la part des autorités cantonales compétentes et une violation des devoirs professionnels peut entraîner des mesures disciplinaires (ATA/830/2022 du 23 août 2022 consid. 10c ; ATA/941/2021 du
14 septembre 2021 consid.7d et les références citées).

Le médecin doit accomplir tous les actes qui paraissent appropriés, selon les règles de l’art médical, pour atteindre le but du traitement. Dans l’exécution de sa mission, ce praticien doit mettre à disposition ses connaissances et ses capacités ; il ne garantit cependant pas d’obtenir un résultat. L’étendue de son devoir doit être déterminée selon des critères objectifs. Les exigences qui doivent être posées à cet égard ne peuvent pas être fixées une fois pour toutes ; elles dépendent au contraire des particularités de chaque cas, telles que la nature de l’intervention ou du traitement et les risques qu’ils comportent, la marge d’appréciation, le temps et les moyens disponibles, la formation et les capacités du médecin. Les règles de l’art médical, que le médecin doit suivre, constituent des principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens. Savoir si le médecin a violé son devoir de diligence est une question de droit ; dire s’il existe une règle professionnelle communément admise, quel était l’état du patient et comment l’acte médical s’est déroulé relèvent du fait. Il appartient au lésé d’établir la violation des règles de l’art médical (ATF 133 III 121
consid. 3.1 ; ATF 130 IV 7 consid. 3.3 et les références).

Une violation des règles de l’art médical est réalisée lorsqu’un diagnostic, une thérapie ou quelque autre acte médical est indéfendable dans l’état de la science ou sort du cadre médical considéré objectivement ; le médecin ne répond d’une appréciation erronée que si celle-ci est indéfendable ou se fondait sur un examen objectivement insuffisant (ATF 134 IV 175 consid. 3.2 ; ATF 120 Ib 411
consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_63/2020 du 10 mars 2021 consid. 3.3.2).

8.3 Le médecin décide souverainement, au regard des règles de l’art, des médicaments et autres soins qu’impose la situation du patient. Il jouit de la liberté diagnostique et thérapeutique. Il ne saurait se laisser guider par les desiderata de son patient et doit s’interdire de prescrire des traitements ou médicaments à sa seule demande, sans que l’état de ce dernier le justifie médicalement
(Yves DONZALLAZ, Traité de droit médical, vol. II, Les médecins et les soignants, Berne 2021, n. 5173, p. 2479).

Les professionnels de la santé sont tenus de contribuer à la lutte contre l’usage inadéquat et dangereux des produits thérapeutiques. En outre, le médecin doit veiller à prescrire des médicaments sous une forme et en quantité adéquate pour éviter la surconsommation et le surdosage, sans se laisser influencer par son patient. Il doit employer à prévenir toute forme d’assuétude et il lui incombe d’attirer l’attention du patient notamment sur le mauvais usage et l’abus de substances qui peuvent conduire à une accoutumance, en lui indiquant les risques d’une consommation de longue durée. Ceci n’empêche pourtant nullement que, si la prescription de telles substances doit être extrêmement prudente, un médecin ne puisse pour autant d’emblée et systématiquement exclure une telle prescription sans avoir préalablement examiné le patient. Il est des circonstances dans lesquelles une telle prescription peut être justifiée, même durant une garde (Yves DONZALLAZ,
op. cit., n. 5177, p. 2480).

Les soins sont fondés sur les données acquises de la science, ce qui constitue la principale limite à la liberté du médecin. Ces données acquises de la science ne sont pas pour autant, dans tous les cas, des références claires, simples, indiscutables et définitives, de sorte que tout recours à un moyen encore disputé ne constituera pas forcément une violation des règles de l’art relevant du droit disciplinaire. Le propre de la science est en effet d’être exposée à contradiction et de pouvoir évoluer. Pourtant, le fait qu’un médecin ait un avis divergent des données de la science médicale actuelle ne lui est d’aucun secours. De même, il ne suffit pas, si tant est que cela se vérifie, qu’un grand nombre de professionnels agissent à l’encontre de la norme de pratique professionnelle pour que cette dernière en soit modifiée. Par contre, appelée à mettre en œuvre cette règle, l’autorité disciplinaire n’a pas à trancher entre des débats scientifiques. S’il n’y a pas de véritable consensus, elle ne peut, dans le cadre des approches ainsi défendues et défendables, retenir une violation des règles de l’art (Yves DONZALLAZ, op. cit., n. 5266, p. 2526).

Si un médicament est utilisé pour d’autres indications que celles mentionnées dans la notice, on parle de médicaments hors étiquette (ou off-label). Ce genre de pratique relève de la liberté thérapeutique des médecins ; elle est donc en principe admise. Un tel emploi est licite si les devoirs généraux de diligence institués par la loi sur les produits thérapeutiques, ainsi que les règles reconnues de la science médicale sont respectées. Les règles reconnues des sciences pharmaceutiques et médicales doivent être respectées lors de la prescription et de la remise des médicaments. C’est le médecin traitant qui porte l’entière responsabilité de la thérapie. Si des complications surgissent, il doit donc pouvoir prouver qu’il a respecté son devoir de diligence et que le traitement correspondait à l’état de la science (Yves DONZALLAZ, op. cit., 5273, p. 2529).

La jurisprudence et la doctrine ont mis en évidence le principe de la liberté thérapeutique qui autorise les professionnels de la santé à s’écarter de l’information professionnelle (ou notice). Aussi, sauf base légale restreignant cette liberté dans l’intérêt public et de manière proportionnée (art. 36 Cst.), les autorités ne peuvent leur interdire le recours off-label à des médicaments. S’agissant de ces restrictions, la LPTh impose divers devoirs professionnels aux acteurs du médicament, dont celui « de prendre toutes les mesures requises par l’état de la science et de la technique afin de ne pas mettre en danger la santé de l’être humain » (art. 3 LPTh). Ceci implique, en cas d’usage off-label, d’avoir pesé les avantages et les inconvénients d’une telle approche thérapeutique, pour être (raisonnablement) sûr que le traitement servira les intérêts du patient. S’agissant de médecins et pharmaciens, l’art. 26 al. 1 LPTh exige le respect des « règles reconnues des sciences pharmaceutiques et médicales » au moment de la prescription, de la remise et de l’utilisation de médicaments. Les médecins sont en outre tenus d’avoir examiné eux-mêmes leurs patients avant de leur prescrire des médicaments. La formation que les médecins et pharmaciens suivent et doivent continuer de suivre (art. 36 al. 1 et 2 et 40 let. b LPMéd) les oblige d’ailleurs à mettre à jour leur connaissances et leurs aptitudes critiques, y compris sur l’usage off-label
(art. 6 al. 1 LPMéd ; Carole-Anne BAUD / Valérie JUNOD / Barbara BROERS / Caroline SCHMITT-KOOPMANN / Olivier SIMON, in : Revue juridique des technologies pharmaceutiques, bio et médicotechniques, Life Science Recht : « Deux arrêts du Tribunal fédéral sur la prescription « off-label » des stupéfiants et psychotropes », février 2022 [ci-après : LSR 2022] p. 73 et 74).

Pour les patients, il est admis que l’usage off-label peut entraîner des risques accrus pour leur santé. Dès lors, les médecins ont le devoir d’informer leurs patients sur ces risques spécifiques, afin qu’ils puissent faire un choix libre et éclairé. En effet, à la lecture de l’information destinée aux patients (« notice d’emploi »), ceux-ci ne peuvent pas forcément réaliser que le médicament leur a été prescrit off-label, ni a fortiori pourquoi. Les patients doivent donc consentir à l’aspect off-label du traitement, à tout le moins lorsque le médecin s’écarte « des règles reconnues des sciences pharmaceutiques et médicales ». Ils peuvent bien sûr le rejeter, comme ils peuvent rejeter tout traitement. L’Association des pharmaciens cantonaux précise qu’une prescription off-label doit non seulement être justifiée, mais aussi clairement expliquée au patient et documentée (art. 40 let. c LPMéd), et que le médecin doit également informer le patient concerné sur le fait qu’il recourt à un médicament pour des indications non encore reconnues officiellement en mettant en avant les bénéfices et risques attendus en comparaison des traitements classiques. En cas d’usage off-label, le médicament n’est normalement pas remboursé par l’assurance-maladie de base et le patient doit donc être averti que sa caisse lui refusera – en principe – la prise en charge si elle se rend compte du caractère off-label du traitement (LSR 2022 p. 76).

8.4 Selon les recommandations relatives à la « Dépendance aux opioïdes : Traitements basés sur la substitution » de juillet 2013 de l’OFSP, la SSMA et l’AMCS, les benzodiazépines sont en général contre-indiquées chez les personnes dépendantes, mais peuvent être indiquées pour des patients sous TBS qui présentent des troubles psychiques. Elles sont souvent prescrites à court terme pour des périodes de crise lors de dépression, d’anxiété ou de troubles du sommeil. En cas de dépendance aux benzodiazépines, une réduction progressive et contrôlée, de préférence combinée à un soutien d’ordre psychothérapeutique, est nécessaire. Lorsque l’abstinence n’est pas possible, il est judicieux, dans une démarche de réduction des risques, de prescrire une substitution de benzodiazépines de longue durée d’action. Dans ce cas, une utilisation abusive (par exemple revente du produit) devrait être évitée en les dispensant par petite dose. Il faut tenir compte du fait que la combinaison d’opioïdes, de benzodiazépines et d’alcool accroît la dépression respiratoire et la sédation.

Les « Principes généraux régissant l’utilisation des benzodiazépines et des médicaments apparentés » de mai 2014 énoncent que les benzodiazépines doivent être utilisées conformément aux règles reconnues de la pratique médicale et des sciences pharmacologiques. Tout traitement se fonde sur des investigations, un diagnostic et la pose d’une indication, et le succès du traitement est évalué régulièrement. Les patients sont informés des effets thérapeutiques et des effets secondaires ainsi que des risques liés aux abus. Selon la LStup, la prescription de benzodiazépines en dehors des indications et des dosages enregistrés doit être notifiée aux autorités cantonales concernées, et la prescription de ces psychotropes dans le traitement de substitution est soumise à autorisation. La définition des modalités d’autorisation et leur octroi incombent aux cantons. Les benzodiazépines peuvent être consommées de façon abusive et pour les patients ne maîtrisant plus leur consommation, il est nécessaire de procéder à de nouvelles investigations, de réévaluer la situation et de revoir les indications. Si des problèmes psychiques supplémentaires sont mis en évidence, ils doivent être identifiés et traités de façon appropriée. La diminution du dosage doit être effectuée soigneusement et ne doit pas avoir lieu trop rapidement et l’interruption ne doit pas être abrupte. Les benzodiazépines devraient être utilisées de façon différenciée. En cas de consommation de benzodiazépines à dose élevée, il convient de demander un second avis à une institution spécialisée en matière de dépendances ou à un médecin qui bénéficie d’une solide expérience avec des patients dépendants. Les indications pour l’utilisation de benzodiazépines à courte durée d’action sont très limitées en médecine générale et en psychiatrie. Le passage très rapide dans de cerveau (effet de flash) a pour conséquence un risque considérable d’abus et de dépendance, raison pour laquelle il y a lieu de renoncer à l’emploi de tels produits. Le passage de benzodiazépines dont l’effet est très rapide à des benzodiazépines dont l’effet est de durée plus longue, de même que la remise contrôlée des substances, constituent des solutions appropriées pour des cas d’abus ou de dépendance.

Les recommandations concernant l’ « off-label use de médicaments » de juin 2016 rappellent que les médecins jouissent d’une certaine liberté thérapeutique, qu’ils peuvent dès lors décider dans certaines situations d’utiliser ou de prescrire des médicaments qui n’ont pas été autorisés par Swissmedic ou des médicaments autorisés, mais en off-label use. Dans un tel cas, le médecin traitant est seul responsable de son choix. Il est néanmoins tenu d’accomplir son devoir de diligence et, plus particulièrement, de respecter les règles reconnues des sciences médicales lors de la prescription et de la remise de médicaments, conformément à
l’art. 26 LPTh. Ainsi, pour justifier le recours à des médicaments en off-label, le médecin doit pouvoir s’appuyer sur des recommandations des associations professionnelles ou sur des articles scientifiques ayant paru dans des journaux médicaux notoirement reconnus et mettant en évidence une utilité manifeste et démontrée de l’usage retenu. Moins la prescription off-label repose sur des preuves solides de la littérature, plus le médecin engage sa responsabilité. Lorsque la base de preuves est très fragile, le professionnel doit envisager le recours au médicament dans le cadre d’un essai thérapeutique. Il peut se baser en cela sur les directives précitées de l’ASSM (thérapie expérimentale individuelle). Il est rappelé dans les conclusions que le recours à la prescription off-label d’un médicament se justifie uniquement si la thérapie ne peut pas être conduite de manière satisfaisante pour le bénéfice du patient en respectant la notice de médicaments autorisés.

Les « Recommandations médicales relatives au traitement agoniste opioïde (TAO) du syndrome de dépendance aux opioïdes » de juillet 2020 rappellent qu’il appartient au médecin de décider de suivre une directive particulière dans un cas donné et que celui-ci doit pouvoir justifier d’un traitement différent de celui préconisé par la directive. Les benzodiazépines sont généralement prescrites contre des troubles anxieux, des troubles du sommeil ou comme substitution en cas de dépendance aux benzodiazépines. La prescription se fait en soupesant les risques connus sur le plan cognitif, des troubles de la mémoire, des accidents, du surdosage et de la dépendance. L’usage de benzodiazépines non prescrites est également courant. Il révèle parfois une automédication et peut être associé à un dosage inadéquat des agonistes opioïdes. Le traitement de la dépendance aux benzodiazépines est particulièrement délicat et consiste à stabiliser le dosage à un niveau suffisant, puis à le réduire progressivement, en y associant un soutien psychothérapeutique. Il n’existe quasiment pas d’alternatives médicamenteuses. Il est particulièrement important de traiter en parallèle et de manières cohérente les comorbidités psychiatriques. Il est recommandé d’utiliser des benzodiazépines à diffusion lente et à longue durée d’action.

8.5 Dans un arrêt du 26 mai 2021 (2C_782/2020), le Tribunal fédéral a rappelé que, depuis 2011, l’art. 11 al. 1bis LStup prévoit que le médecin doit notifier aux autorités cantonales toute prescription médicale off-label de substances sous contrôle. Il a considéré que ne pas s’y plier constitue une violation du devoir du médecin d’exercer son activité avec soin et conscience professionnelle et que pareille violation peut être sanctionnée par une interdiction temporaire de pratiquer sous sa propre responsabilité professionnelle. Le Tribunal a considéré dans cette affaire que les prescriptions off-label de zolpidem du médecin avaient exposé la patiente à un risque de dépendance, créant un danger pour sa santé, voire sa vie. Or, notifier aurait permis au Médecin cantonal de « vérifier la prescription » du médecin, et donc – possiblement – d’intervenir auprès de ce dernier pour plus de renseignements. La sanction infligée, soit une interdiction de pratiquer pendant un an, était apte à atteindre le but de protection de la santé des patients, puisque le médecin ne pouvait désormais plus pratiquer de manière autonome. La mesure a également été jugée nécessaire et proportionnée après une pesée des intérêts en jeu, étant relevé qu’elle ne portait que sur l’activité économique privée indépendante, et non par exemple l’activité dépendante au sein d’une clinique.

Dans une autre affaire jugée le 4 novembre 2021 (2C_387/2021), le Tribunal fédéral a constaté que la question de la notification aux autorités selon l’art. 11
al. 1bis LStup n’avait pas été soulevée, alors même que la quantité de la substance sous contrôle prescrite, voire la durée du traitement, étaient clairement au-delà de la posologie autorisée par Swissmedic. En effet, le médecin commandait plusieurs milliers de comprimés de midazolam et d’ampoules de péthidine par année, alors qu’elle n’avait pas de droit de remise cantonal. L’autorité avait prononcé un blâme et le retrait de l’autorisation cantonale requise pour mener des traitements de la dépendance au moyen de stupéfiants. Cette autorisation permettait notamment de prescrire de la méthadone à des patients dépendants à l’héroïne, étant précisé que les benzodiazépines étaient souvent prescrites en complément. S’agissant du retrait de cette autorisation, le Tribunal fédéral a jugé que l’on devait appliquer les règles de la LPMéd sur le retrait de l’autorisation générale de pratiquer, dès lors que la LStup elle-même n’abordait pas le retrait de l’autorisation spécifique. Ainsi, il suffisait que le médecin ne soit plus digne de confiance ou ne présente plus les garanties d’une activité irréprochable (art. 36 al. 1 let. b LPMéd) pour que le retrait soit justifié. De surcroît, les médecins titulaires d’une autorisation de mener des traitements de la dépendance avec des stupéfiants devaient être hautement dignes de confiance, compte tenu du potentiel d’abus liés à ces produits. Dès lors, un médecin qui commandait des médicaments en quantités qui excluaient une utilisation conforme aux règles de l’information professionnelle ne remplissait pas cette condition. Ce comportement était de plus en contradiction avec l’objectif des traitements de la dépendance avec des stupéfiants selon l’OAStup. La remise incontrôlée de la substance soumise à contrôle constituait une violation d’exercer la profession de médecin avec soin et conscience professionnelle (« sorgfältig und gewissenhaft ») et donc une violation des devoirs professionnels au sens de
l’art. 40 let. a LPMéd, de sorte que le blâme était justifié.

8.6 Ces arrêts ont été critiqués par la doctrine, qui a constaté que les règles sur la prescription off-label pouvaient être utilisées, voire « exploitées », par les cantons pour retirer l’autorisation de pratique de médecins jugés « indésirables » ou
« problématiques », ce qui était discutable sous l’angle médical et juridique. Sur le plan médical, il a notamment été relevé que l’information médicale afférente aux benzodiazépines était généralement peu respectée, étant précisé qu’une étude vaudoise avait montré que la moitié des personnes sous TAO recevait parallèlement une prescription de benzodiazépines à haute dose et pour de longues périodes, ce qui montrait que l’information professionnelle ne reflétait pas la pratique médicale répandue. De plus, les informations professionnelles actuelles n’interdisaient pas formellement un usage plus durable des benzodiazépines : ainsi, dans le cas du midazolam, l’information professionnelle préconisait une réévaluation avec soin lorsque le traitement durait plus longtemps que deux semaines, et il était gênant que la durée de principe figurant dans l’information professionnelle soit utilisée pour sanctionner, sans même que l’autorité mentionne l’exception pourtant intégrée dans l’information professionnelle. Aucun médicament, notamment aucune benzodiazépine, n’était autorisé par Swissmedic dans l’indication du syndrome de dépendance auxdites benzodiazépines, alors qu’il existait un besoin médical, de sorte que si un médecin soignait une personne ayant développé un syndrome de dépendance aux benzodiazépines, avec des benzodiazépines, son traitement serait forcément off-label. Sous l’angle juridique, une double insécurité juridique a été soulignée sur le sens large ou étroit à donner à l’off-label et sur le sens à donner à l’expression « indication autre que celle qui est admise » (référence à l’AMM ou à la pratique médicale bien établie), les textes légaux étant insuffisamment clairs : l’insécurité juridique ne devrait pas nuire aux soignants. A également été déplorée une incertitude sur la compétence des cantons de compléter la LStup ou la LPTh, en imposant des exigences additionnelles, étant précisé que certains cantons cherchaient à restreindre les benzodiazépines prescrites concurremment à un TAO et qu’il existait un contexte très hétérogène et donc incertain pour les médecins. Il était urgent de préciser, directement dans les lois en cause, la marge de manœuvre des cantons pour aller au-delà des exigences fédérales. En outre, les pouvoirs du Médecin cantonal ou du Pharmacien cantonal pour influer sur le traitement du patient qui recevait une substance soumise à contrôle off-label étaient très limités. Si la LStup donnait aux autorités cantonales la compétence de demander des informations complémentaires sur le traitement, elle ne donnait en revanche pas la compétence de dicter au médecin une adaptation de son traitement (LSR 2022,
op. cit., p. 79 à 81).

S’agissant de la mise en œuvre de la notification prévue à l’art. 11 LStup, les auteurs ont observé que la plupart des médecins et pharmaciens cantonaux suisses interrogés entre 2020 et 2022 avaient signalé recevoir très peu de notifications
off-label, certains pas du tout. Les autorités interrogées disaient manquer de ressources pour analyser chaque notification, d’autant plus qu’elles n’avaient pas un accès complet au dossier médical du patient, que la liberté thérapeutique des soignants devait être respectée et qu’il fallait trouver un compromis entre la garantie d’une prise en charge des patients par un nombre suffisant de professionnels de la santé et l’intensité du contrôle étatique. Moins de la moitié des cantons fournissaient sur leur site Internet un formulaire à remplir pour la notification des prescriptions off-label, dont la définition différait d’ailleurs selon les cantons. En d’autres termes, les cantons incitaient peu à la notification (LSR 2022 op. cit., p. 79).

En l’absence de directives reposant sur des évidences scientifiques consolidées, les pratiques effectives des professionnels de la santé étaient sujettes à débat. Les personnes en traitement augmentaient insidieusement les doses journalières en raison d’un phénomène de tolérance. Les prescriptions à long terme étaient donc courantes. S’il existait différents protocoles de sevrage aux benzodiazépines proposés dans la littérature, un manque évident de consensus était constaté. Le degré d’évidence était élevé pour la mise en place d’un schéma à doses dégressives, bon pour favoriser une monothérapie en cas de dépendance à de multiples benzodiazépines, mais faible s’agissant du choix de la benzodiazépine idéale pour une sevrage (longue versus courte demi-vie ; JUNOD/ BAUD / BROERS / SCHMITT-KOOPMANN / SIMON / VANDENBERGHE, op.cit.).

8.7 Il ressort d’un article intitulé « Traitements agonistes opioïdes dans le canton de Vaud : Suivi épidémiologique entre 2015 et 2017 », publié par Unisanté, Centre universitaire de médecine générale de santé publique, que 71 % des personnes sous TAO dans le canton de Vaud avaient d’autres co-médications, dont la moitié des benzodiazépines à longue demi-vie, un tiers des antidépresseurs, un cinquième d’autres tranquillisants ou des neuroleptiques, et 10 % des patients étaient sous benzodiazépines à courte demi-vie. Cette proportion était en baisse depuis environ 2015 (11,6 % en 2015, 10,9 % en 2016 et 9,9 % en 2017).

Selon une étude de patients sous TAO avec une co-médication de benzodiazépines entre 2015 et 2018, la consommation de benzodiazépines à fort pouvoir addictogène était en diminution, de 21,4 % en 2015 à 17,9 % en 2018. Parmi ces dernières, la prescription de Dormicum était la plus fréquente et elle avait diminué de 13,4 % en 2015 à 11 % en 2018. Les auteurs avient conclu que de nombreux patients sous TAO avaient une co-médication de benzodiazépines et que cette proportion ne faiblissait pas. Bien que les recommandations préconisaient l’usage de ce type de molécules uniquement dans des cas bien précis, ces dernières ne semblaient pas être suivies, ce qui soulevait différentes questions, notamment en terme de formation continue des médecins prescripteurs et de traitement de substitution des benzodiazépines. Face à ces questions, il semblait essentiel de mettre en place des stratégies qui permettraient d’une part de préciser dans quel cadre se faisaient ces prescriptions, mais aussi d’unifier les pratiques. La prescription de benzodiazépines à pouvoir addictogène était bien moins fréquente que celle de benzodiazépines à pouvoir addictogène modéré et avait diminué au cours des quatre années étudiées. « Cette observation résulte d’une volonté du Médecin cantonal de limiter ces prescriptions dangereuses en raison du potentiel particulièrement addictif de ces molécules et de leurs effets. Il n’est, de plus, pas indiqué d’avoir recours à ces molécules sur le long terme » (Sophie STADELMANN / Sanda SAMITC /
Michael AMIGUET, in : « Suivi épidémiologique des traitements agonistes opioïdes dans le canton de Vaud », Unisanté, juin 2020).

9.             En l’espèce, il n’est pas contesté que les prescriptions de Dormicum en cause relèvent d’un usage off-label, dès lors qu’elles visent, selon les explications du recourant, à éviter des décompensations anxieuses et à apaiser les patients, à leur permettre de contrôler leurs émotions et de ne pas être submergés par les souvenirs de leurs vécus traumatiques, et que les quantités prescrites dépassaient dans une large mesure la posologie mentionnée dans le Compendium.

9.1 La prescription off-label de médicaments est licite et n’engage pas la responsabilité du médecin si les devoirs généraux de diligence, ainsi que les règles reconnues de la science médicale sont respectées.

Comme déjà constaté, il n’existe aucune disposition légale limitant la prescription du midazolam à des personnes souffrant de toxicodépendance, mais les recommandations et principes régissant l’utilisation des benzodiazépines déconseillent le recours à des benzodiazépines à courte durée d’action pour de tels patients.

Ces textes ne reposent toutefois pas sur des études scientifiques, lesquelles sont pratiquement inexistantes en la matière. Dans son consilium du 17 août 2020, le
Dr S______ a évoqué un « certain consensus » parmi les spécialistes sur le fait que les benzodiazépines à demi-vie courte devaient être évitées. Il a toutefois précisé que ce consensus se fondait essentiellement sur une analogie avec la prescription d’opioïdes de demi-vie longue dans le cadre de TAO, mais que cette analogie était discutable au vu du profil de risque différent des benzodiazépines et des opioïdes. Selon lui, la question d’une indication ciblée de prescription d’une benzodiazépine de demi-vie courte demeurait ouverte.

Les différents articles produits par le recourant étayent ses affirmations quant aux divergences importantes dans les pratiques cantonales, ce qui parle en défaveur d’un consensus. Ainsi, une étude menée dans le canton de Vaud a révélé que 71 % des personnes sous TAO prenaient d’autres co-médications, dont environ 10 % des benzodiazépines à courte demi-vie, le plus souvent du Dormicum. La Prof. T______ a d’ailleurs fait état de divergences « frappantes » entre les cantons, et entre théorie et pratique. Elle a notamment déclaré que « l’écrasante majorité » des médecins cantonaux ne souhaitaient pas recevoir les notifications prévues en cas de prescription off-label de stupéfiants autorisés, ou qu’ils n’en faisaient rien. Ceci est confirmé par plusieurs auteurs de doctrine qui ont observé que la plupart de médecins et pharmaciens cantonaux recevaient très peu ou pas du tout de notifications off-label.

De plus, les enquêtes ont permis de conforter les allégations du recourant selon lesquelles il pouvait se justifier, dans certaines situations, de maintenir des prescriptions de midazolam. Ainsi, la Prof. T______ a déclaré qu’il était conforme aux règles de l’art de rester à des benzodiazépines à courte durée d’action si le médecin avait dûment évalué le bénéfice-risque, si la personne était stable et si le passage à des benzodiazépines à demi-vie longue avait échoué. Cela correspond en tous points à l’analyse du Dr S______, lequel a conclu, après examen concret d’un patient du recourant en 2020, que celui-ci était apparu stabilisé avec une prescription de 300 mg, qu’il paraissait hasardeux du point de vue de la balance bénéfices-risques d’exiger de lui un retour à la prescription d’une benzodiazépine à demi-vie longue, ce qui avait été testé à plusieurs reprises sans succès.

Dans le même sens, le courrier du département de psychiatrie du CHUV du
14 août 2020, produit par le recourant, confirme un manque de consensus global concernant le traitement des dépendances aux benzodiazépines et le peu d’études portant sur les traitements de substitution aux benzodiazépines avec un niveau d’évidence inconnu. Il en ressort en outre que si un programme de sevrage aux benzodiazépines n’apparaît pas possible ou si cela a déjà été tenté sans succès, une prise en charge du patient par substitution de traitement de benzodiazépines permettrait de garantir une alliance thérapeutique, avec comme but final une réduction de la consommation, et d’éviter un approvisionnement sur le marché noir.

Dans ces conditions, on ne saurait retenir l’existence d’un consensus qui tendrait à interdire la prescription de benzodiazépines à courte durée d’action dans tous les cas de patients souffrant de toxicodépendance. Au contraire, la documentation communiquée par le recourant, et non contredite par des pièces ou offres de preuve du département, vient étayer son approche et permet de penser que, dans certaines situations bien définies, une prescription de Dormicum peut être justifiée, même sur une période prolongée et avec une posologie importante.

9.2 En l’absence d’un véritable consensus, l’intimé ne pouvait pas retenir une violation des devoirs professionnels sur la seule base des prescriptions en cause, étant rappelé que le recourant jouit d’une liberté thérapeutique lui permettant de s’écarter de l’information professionnelle.

Il aurait dû examiner, dans chaque situation concrète, si le recourant avait respecté les devoirs professionnels régissant les prescriptions off-label et les procédures d’autorisation et d’annonce prévues par la LStup. Or, il n’a pas cherché à déterminer si le médecin avait bien, dans chaque cas visé dans les différentes causes, examiné personnellement ses patients avant chaque prescription, procédé à une analyse des avantages et des inconvénients de sa prise en charge afin de servir au mieux les intérêts de ses patients, si des passages à des benzodiazépines à demi-vie longue avaient été tentés en vain, si les patients avaient bien été informés des risques et inconvénients liés aux prescriptions, des conséquences en cas d’abus de substances, et s’ils avaient préalablement donné leur consentement libre et éclairé. Il ne saurait désormais lui reprocher de ne pas avoir démontré ces faits, sur lesquels les investigations de la commission n’ont pas porté.

L’instruction de l’intimée est donc lacunaire et ne permet en l’état pas de retenir que le recourant aurait violé ses obligations de diligence en matière de prescription
off-label. À cet égard encore, il est surprenant de constater que la commission de surveillance n’a pas remplacé le Dr S______, alors qu’elle avait décidé d’associer un expert à ses travaux. Elle n’a semble-t-il même pas sollicité l’avis d’un autre spécialiste, quand bien même le recourant s’est prévalu de plusieurs articles et avis de doctrine.

Eu égard à tout ce qui précède, l’arrêté litigieux doit être annulé et la cause renvoyée à l’autorité intimée pour instruction complémentaire.

9.3 À toutes fins utiles, la chambre de céans relèvera encore ce qui suit.

9.3.1 Les « Principes généraux régissant l’utilisation des benzodiazépines et des médicaments apparentés » de mai 2014 préconisaient de demander un second avis à une institution spécialisée en matière de dépendances ou à un médecin qui bénéficie d’une solide expérience avec des patients dépendants en cas de consommation de benzodiazépines à dose élevée. Or, les « Recommandations médicales relatives au traitement agoniste opioïde (TAO) du syndrome de dépendance aux opioïdes » de juillet 2020, qui visent également la prescription de benzodiazépines, n’en font plus mention. Cette recommandation semble donc avoir été abandonnée, comme observé par le recourant. Elle n’était en outre pas obligatoire selon le Dr S______.

De plus, la position du service du médecin cantonal est pour le moins ambiguë. La doctoresse U_____, médecin cantonal déléguée, a écrit au recourant le 20 février 2017 que la prescription de Dormicum annoncée était acceptée pour le patient concerné jusqu’à « véritable deuxième avis ». Par la suite, dans des échanges de correspondance concernant le traitement d’un patient à qui le recourant prescrivait du Dormicum depuis 2013, la Dresse U_____ lui a indiqué, le
23 septembre 2021, que s’agissant d’un traitement ancien, en cours depuis 2013, il pouvait continuer sans second avis.

En conséquence, il ne peut être reproché au recourant de ne pas avoir sollicité un second avis médical.

9.3.2 Les autres violations retenues dans l’arrêté litigieux en lien avec la prescription de Dormicum n’ont pas non plus été suffisamment instruites.

À titre d’exemples, l’intimé a retenu que le recourant avait créé de nouvelles dépendances chez une population déjà vulnérable. Or, le recourant affirme que tous ses patients prenaient déjà du midazolam, de façon légale ou pas, ce que les pièces produites ne permettent pas de confirmer ou d’infirmer.

Quant aux risques que le médecin aurait fait courir à sa patientèle, la commission n’a pas examiné concrètement quels autres médicaments, stupéfiants ou produits étaient éventuellement consommés par les personnes visées dans les dénonciations. Elle n’a pas non plus étudié si le recourant avait évalué pour chaque patient les risques connus sur le plan cognitif, des troubles de la mémoire, des accidents, du surdosage et de la dépendance. On ignore en outre la durée des traitements prescrits et si des diminutions de dosage ont été tentées.

L’autorité intimée a retenu que le recourant contribuait à l’usage inadéquat et dangereux de Dormicum et participait au « risque » de revente sur le marché noir. Il ressort des dénonciations qu’un seul patient a été condamné pour avoir vendu trois comprimés de Dormicum en 2017 et qu’une pharmacienne a déclaré avoir vu un autre patient « faire du trafic avec d’autres toxicomanes », sans que la commission ne semble avoir instruit davantage ce fait. En réalité, les reproches de l’intimée reposent pour l’essentiel sur de simples soupçons en raison des quantités prescrites, comme cela ressort des dénonciations du pharmacien cantonal, du directeur médical des HUG et du directeur de l’OCD, ce qui est en l’état insuffisant pour retenir cette violation des devoirs du médecin. Ce d’autant plus qu’une posologie « importante » peut également être recommandée pour réduire les risques de prise hors prescription, selon le résumé de la formation continue du 6 juillet 2017 du Prof. O______. On relèvera encore que le fait que le Dr S______ a considéré « improbable » qu’une consommation supérieure à dix comprimés par jour apporte un bénéfice observable ne paraît pas décisif, puisqu’il existe un phénomène de tolérance et d’adaptation du métabolisme. À ce stade, rien ne permet d’exclure que les patients visés par les dénonciations ne consomment pas personnellement le Dormicum prescrit. De surcroît, l’intimé a considéré qu’un risque de revente pourrait être admis dans le cadre d’une prescription dont la légitimité serait largement reconnue dans le milieu scientifique. Or, les témoignages recueillis par la chambre de céans et les pièces produites par le recourant confortent ses allégations quant à la justification de maintenir des prescriptions de midazolam dans certaines situations.

9.3.3 Le recourant a admis ne pas avoir suivi de formation continue. Toutefois, en l’absence d’instruction suffisante, la gravité de sa faute ne peut être évaluée. Il est notamment rappelé que le Dr S______ a souligné que les formations en matière de prescription off-label de stupéfiants, en particulier de benzodiazépines, étaient très rares.

9.4 Enfin, le cas de Mme N______ n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi de la part de la commission, laquelle s’est contentée de constater qu’il s’agissait d’une prescription off-label de morphine que le recourant n’avait pas pu fonder sur de la littérature médicale.

De plus, depuis le prononcé de l’arrêté le 22 novembre 2021, Mme N______ est décédée et une nouvelle dénonciation est venue compléter la procédure ouverte contre le recourant.

Une reprise de l’instruction s’impose également.

10.         Le recours sera dès lors partiellement admis et l’arrêté attaqué annulé.

Le dossier sera renvoyé à la commission pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

11.         Vu l’issue du recours, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée au recourant à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 janvier 2022 par
Monsieur A______ contre l’arrêté du département de la sécurité, de la population et de la santé du 22 novembre 2021 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule l’arrêté du 22 novembre 2021 ;

renvoie le dossier à l’autorité intimée pour instruction et nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat du recourant, au département de la sécurité, de la population et de la santé, et au département fédéral de l’intérieur.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory,
Mmes Payot Zen-Ruffinen et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :