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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2394/2007

ATA/783/2012 du 20.11.2012 ( CE ) , REJETE

Descripteurs : POUVOIR D'APPRÉCIATION; MONUMENT; CLASSEMENT(ZONE); PROPORTIONNALITÉ; GARANTIE DE LA PROPRIÉTÉ; PRISE DE POSITION DE L'AUTORITÉ
Normes : Cst.26.al1 ; Cst.36.al1 ; Cst.36.al2 ; Cst.36.al3 ; LPMNS.4 ; LPMNS.10.al1 ; LPMNS.12.al1 ; LPMNS.12.al2 ; LPMNS.14 ; LPMNS.18.al2 ; RPMNS.5.al2 ; RPMNS.22.al2
Parties : SCHERRER Bruno et Carole, SCHERRER Carole / CONSEIL D'ETAT
Résumé : L'extension de l'assiette de classement à l'intégralité d'une parcelle sur laquelle est érigé un bâtiment classé n'emporte pas de restriction inconstitutionnelle à la garantie de la propriété, dès lors qu'elle poursuit un intérêt public important, soit la pérennité de l'objet classé, et répond à la nécessité de protection plus importante conférée par la LPMNS par rapport à la LCI. Elle n'a pas pour conséquence d'interdire toute construction sur une parcelle constructible, celle-ci fût-elle classée, à moins qu'elle ne soit accompagnée par une interdiction totale de bâtir.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2394/2007-CE ATA/783/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 novembre 2012

 

dans la cause

 

Madame Carole et Monsieur Bruno SCHERRER
représentés par Me François Bellanger, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 



EN FAIT

1) Le 13 novembre 1996, la Société d’Art public, devenue depuis Patrimoine suisse Genève (ci-après : PSGe), a demandé le classement de la maison de maître, dite « Maison Choffat » (ci-après : la maison Choffat), une habitation résidentielle construite en 1912, sise au 9, chemin de Gilly, 1212 Grand-Lancy sur la parcelle n° 829, feuille 23, de la commune de Lancy, alors propriété de la Société culturelle Arbor (ci-après : Arbor), ainsi que celui d'un périmètre de protection suffisant pour respecter les aménagements paysagers d’origine (portail d’entrée, cheminement, terrasse, murs, talus).

2) Le 8 décembre 1997, le Conseil d’Etat a rejeté la demande de classement.

Le préavis de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) du 1er juillet 1997 était favorable à la mesure de classement de la maison Choffat, telle que formulée par PSGe. La qualité architecturale de la bâtisse, son état de conservation satisfaisant et sa position dominante dans le site motivait le préavis de la CMNS. La procédure de classement avait cependant mis en évidence des avis divergents quant à l’intérêt de la maison Choffat au titre d’élément représentatif du patrimoine architectural, la bâtisse ne représentant pas un courant architectural majeur. Arbor avait engagé un processus d’urbanisation de la parcelle n° 829 dès 1990 qu'il fallait prendre en considération dans la pesée des intérêts. Elle avait engagé des frais importants pour modifier son projet de construction prévoyant le maintien de la maison Choffat et mettre en valeur sa parcelle après le préavis de la commission d’architecture (ci-après : CA) qui prévoyait sa démolition. La demande de protection était intervenue en 1996, alors que le projet de construction était sur le point d’aboutir et que ni PSGe ni la commune de Lancy n’avaient saisi l’autorité compétente d’une demande de protection du bâtiment depuis 1990.

Les règles de la bonne foi faisaient également obstacle au prononcé d’une mesure de classement de la maison Choffat, dès lors que celle-ci aurait pour conséquence de remettre en cause un projet de construction qu’Arbor avait consenti à remanier pour tenir compte des exigences et des prises de position émanant d’organes officiels, sans que personne ne s’avise, en temps opportun, de solliciter une mesure de protection de la maison Choffat.

3) Le 15 septembre 1998, le Tribunal administratif, devenu dès le 1er janvier 2011, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), a annulé sur recours de PSGe l’arrêté du 8 décembre 1997 du Conseil d’Etat (ATA/589/1998) et a invité celui-ci à procéder au classement de la maison Choffat.

A trois reprises, la CMNS, chargée de conseiller l’autorité compétente, s’était montrée défavorable à la démolition de la maison Choffat en 1992, en 1996, et en 1997 lorsqu’elle avait donné un préavis favorable à la demande de classement. La maison Choffat constituait, par sa conservation, ses qualités architecturales et son emplacement privilégié, un élément du patrimoine bâti récent du canton de Genève, méritant d’être qualifié de monument au sens de l’art. 4 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05). La rareté d’un bâtiment devait s’apprécier au moment où son classement était envisagé et non selon les circonstances qui prévalaient lors de sa construction, de sorte qu’il pouvait acquérir, du fait de son rôle de témoin d’une époque, les qualités nécessaires pour être qualifié de monument. De jurisprudence constante, les intérêts purement financiers du propriétaire quant à une utilisation aussi lucrative que possible de son bien-fonds ne pouvaient pas l’emporter sur l’intérêt public à une restriction à la propriété (ZBl 1982 p. 180 ; ATF 105 Ia 236 ; JdT 1985 I p. 504 ; ATA A. du 21 novembre 1990). L’intérêt public au classement de la maison Choffat devait être admis. Arbor avait eu connaissance dès 1992 des préavis en majorité négatifs relatifs au projet d’urbanisation de la parcelle n° 829, la CMNS s’étant montrée défavorable à la démolition du bâtiment.

4) Le 7 novembre 2001, le Conseil d’Etat a déclaré classés les bâtiments nos C 80 et C 81 (maison Choffat) et a adopté le plan n° 29’226-543 déterminant les abords des immeubles classés et une aire libre de construction.

Arbor conservait le droit d’affecter la maison Choffat à un usage privé et tout projet de construction envisagé sur une partie de la parcelle n° 829 n’était pas incompatible avec la mesure de classement de la bâtisse. Les constructions envisagées devaient tenir compte de l’objectif de protection recherché, soit la pérennité de la maison Choffat. La conservation d’un monument impliquait celle d’un cadre environnant à l’échelle du bien faisant l’objet de la mesure de protection. Le plan n° 29’226-543 faisant partie intégrante de la mesure de protection déterminait une aire libre de toute construction. Les éventuelles constructions devaient être localisées aux abords de la maison Choffat, notamment sur la partie constructible de la parcelle n° 829 et prendre en considération l’aspect dominant du bâtiment principal.

5) Le 12 mai 2004, la CMNS a auditionné Monsieur Francis Goetschmann, architecte à Carouge, au sujet d’un projet de maisons en terrasses à ériger sur la parcelle de la maison Choffat, comportant un ensemble de 20 habitations groupées - garage souterrain - aménagements extérieurs - voie d’accès - parking visiteurs, déposé par la Compagnie Générale Immobilière à Genève, CGI Immobilier (ci-après : CGI) au nom d’Arbor.

6) Le 7 juillet 2004, la CMNS s’est déclarée favorable à la poursuite de l’examen du dossier du projet présenté par M. Goetschmann sous réserve de trois conditions, soit une redéfinition de l’assiette de classement à élargir dans la partie supérieure de la parcelle n° 829, un examen plus détaillé de la jonction entre l’espace des terrasses prolongeant la maison classée et la partie dominante des habitations en terrasses et leur emprise, et l’impact des excavations, lequel devait être limité afin de ne pas porter atteinte au site et à l’assiette de classement.

7) Le 20 avril 2005, la CMNS a émis un préavis favorable au projet modifié de M. Goetschmann et a demandé que celui-ci tienne compte de deux points.

L’emprise de l’assiette de classement devait s’étendre sur toute la largeur de la parcelle dans sa partie supérieure (le long du chemin de Gilly), et la limite de l’assiette devait s’étendre sur toute la largeur de la parcelle à une distance de 21 m de la façade sud du bâtiment classé. Un complément d’étude devait être fait pour rendre compte dans le projet et dans le détail d’une liaison cohérente entre l’ancien aménagement et les nouveaux aménagements extérieurs.

8) Le 13 juillet 2005, le département de l’aménagement, de l’équipement et du logement, devenu le département des constructions et des technologies de l’information, puis le département de l’urbanisme (ci-après : le département) a élaboré un projet de plan fixant une nouvelle assiette de classement de la maison Choffat avec possibilité d’implantation de garages, piscine et bâtiment de peu d’importance.

9) Le 4 août 2005, la CMNS a donné un préavis favorable définitif au projet de M. Goetschmann.

Arbor acceptait la nouvelle emprise de l’assiette de classement, correspondant comme demandé par la CMNS à toute la largeur de la parcelle dans sa partie supérieure. L’articulation entre le projet et le bâtiment classé ne créait par de barrière visuelle propre à cloisonner la terrasse de la villa, mais la CMNS mettait en garde contre l’édification future d’une clôture dans le cadre d’une éventuelle division de la parcelle.

10) Le 29 novembre 2005, le département a accordé l’autorisation de construire DD 99’632-5 à CGI.

Toutes constructions futures sur la parcelle n° 829, de même que tous agrandissements ou transformations ultérieurs des constructions autorisées, susceptibles d’augmenter le rapport de surfaces, ne pouvaient être envisagés que dans le cadre d’un projet d’ensemble valant pour tous les propriétaires. Les allèges, les barrières et garde-corps devaient être conformes à l’art. 50 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01). Aucun couvert extérieur à véhicules ne pouvait être érigé sur la parcelle n° 829. CGI devait aussi tenir compte du préavis de la CMNS du 4 août 2005.

11) Le 26 mai 2006, le département a élaboré le projet de plan n° 29’226A-543 fixant les abords de l’immeuble classé.

12) Le 6 décembre 2006, la CMNS a donné un préavis favorable à la nouvelle assiette de classement.

13) Le 26 février 2007, le président du département a requis le préavis de la commune de Lancy relatif à la proposition de modification de l’assiette de classement de la maison Choffat, selon le projet de plan n° 29’226A-543.

14) Le 1er mars 2007, le Conseil administratif de Lancy a émis un préavis favorable à la modification de l’assiette de classement nécessitée par la construction des « Terrasses de Lancy » faisant l’objet de l’autorisation de construire DD 99'632-5.

15) Madame Carole et Monsieur Bruno Scherrer (ci-après : les propriétaires) ont acquis la parcelle n° 4'494 issue de la division de la parcelle n° 829 lorsque les « Terrasses de Lancy » n’étaient pas encore construites.

16) Les propriétaires ont, par l’intermédiaire de M. Goetschmann, requis une autorisation de construire DD 100’835-5 en vue de la réalisation d’une piscine avec vestiaires et aménagements extérieurs.

17) Le 18 avril 2007, la CMNS a auditionné M. Goetschmann au sujet de cette demande d’autorisation de construire et de la modification de l’assiette de classement.

Il y avait une contradiction entre le préavis favorable émis le 6 décembre 2006 à la modification de l’assiette de classement, avec spécification d’une « aire libre de construction », et celui favorable (sous réserve) à la construction d’une piscine avec vestiaires et garages dans la nouvelle zone classée déclarée « libre de construction ».

La CMNS avait confirmé son préavis favorable quant à la modification de l’assiette de classement et à la construction d’une piscine avec vestiaires et garages dans la zone classée déclarée « libre de construction ».

Le conservateur des monuments et des sites devait supprimer sur le plan n° 29’226A-543 joint à l’arrêté du Conseil d’Etat le libellé « aire libre de construction », la mention « abords des immeubles classés » figurant déjà sur le plan étant suffisante à assurer une protection efficace du site.

18) Le 16 mai 2007, le Conseil d’Etat a modifié le chiffre 2 de son arrêté du 7 novembre 2001, en ce sens que les abords des immeubles classés étaient déterminés par le plan n° 29’226A-543.

La localisation de 5 habitations des 20 projetées sur la partie de l’aire libre de construction prévue par le plan n° 29’226-543 nécessitait une modification de l’assiette de classement, soit les abords comprenant les bâtiments classés.

La mention « aire libre de construction » avait été supprimée du plan n° 29’226A-543 faisant partie intégrante de l’arrêté du Conseil d’Etat.

19) Par acte posté le 19 juin 2007, les époux Scherrer ont interjeté recours auprès du Tribunal administratif contre l’arrêté du Conseil d’Etat du 16 mai 2007 rectifiant celui du 7 novembre 2001 déclarant monuments classés les bâtiments nos C 80 et C 81 (maison Choffat), concluant principalement, à l’annulation de l’arrêté querellé, subsidiairement, à l’annulation de l’arrêté et au renvoi du dossier au Conseil d’Etat afin qu’il élabore un nouveau plan de protection des abords de la maison Choffat permettant la réalisation d’un garage à l’angle du chemin de Gilly et de la parcelle n° 761, ainsi que la construction d’une piscine sur le côté ouest du bâtiment protégé.

Ils contestaient la modification de l’assiette des abords protégés de la maison Choffat dans la mesure où elle était incompatible avec la réalisation de la piscine et du garage souhaités.

Seule la protection des abords immédiats de la maison Choffat avait été prise en compte dans le cadre de l’arrêté initial de classement, soit un rectangle occupant la partie nord-est de la parcelle, la partie sud-ouest de la parcelle étant totalement libre. La modification empêchait la réalisation du garage devant être implanté à l’angle nord-ouest de la parcelle et de la piscine envisagée du côté ouest de la maison. L’assiette des abords protégés avait été modifiée pour libérer la partie supérieure des parcelles nos 4’505, 409 (recte : 4’509) et 4’513 qui était incluse dans l’aire de protection. Le changement ne répondait à aucun besoin additionnel de protection de la maison Choffat. Le terrain libéré n’avait pas d’intérêt particulier, la limite du jardin aménagé de la maison s’arrêtant à celle de la parcelle n° 4’494. Le Conseil d’Etat pouvait réduire l’assiette des abords protégés de la maison Choffat de manière à permettre la réalisation des villas contiguës sur les parcelles nos 4’505, 409 (recte : 4’509) et 4’513 sans compromettre l’objectif de protection de la maison Choffat. Il n’avait pas fait ce choix. Il avait « compensé » la petite perte de surface des abords protégés sur le bas de la parcelle n° 4’494 par une extension latérale très importante de la zone protégée. La totalité de la parcelle n° 4’494 était désormais classée. Une mesure de classement ne devait porter sur les abords de l’immeuble classé que si cela était nécessaire pour atteindre l’objectif de protection recherché. Le classement des abords n’était pas obligatoire, il intervenait seulement « cas échéant ».

Le Conseil d’Etat avait défini l’étendue des abords de la maison Choffat devant être protégés dans son arrêté du 7 novembre 2001. L’assiette de protection ne comprenait pas la moitié de la parcelle n° 4’494 située du côté ouest. Le seul élément nouveau intervenu depuis l’arrêté de 2001 était la délivrance par le département de l’autorisation de construire 20 habitations groupées sur la partie inférieure de la parcelle n° 4’494. La construction des 3 villas situées sur les parcelles nos 4’505, 4’509 et 4’515 (recte : 4’513) imposait une petite réduction de la zone protégée qui pouvait être effectuée par le Conseil d’Etat dans l’intérêt de la construction de nouveaux logements, car cela n’affectait pas le but de protection de la maison Choffat. La construction des villas prévues ne pouvait pas justifier l’extension de la protection à l’ensemble de la parcelle n° 4’494. L’extension n’était justifiée par aucun intérêt public de protection d’un bâtiment ou de ses abords. Elle était contraire aux art. 10 et 11 LPMNS. L’extension de la protection à l’ensemble de la parcelle n° 4’494 violait également le principe de la proportionnalité, car le Conseil d’Etat pouvait compenser la suppression d’une petite partie de l’aire protégée par une extension latérale de l’aire existante en laissant libre l’espace nécessaire pour la réalisation de la piscine et du garage souhaités par les recourants.

20) Le 21 juin 2007, Monsieur Jiri Jebavy, architecte mandataire des époux Scherrer, a déposé une demande définitive d’autorisation de construire n° 101’391-5 portant sur la rénovation intérieure et extérieure, la création d’une extension en sous-sol et d’un local technique, la construction d’un garage et d’une clôture sur la parcelle n° 4’494 de la commune de Lancy.

21) Le 3 juillet 2007, le département s’est déterminé sur le recours.

La nouvelle assiette fixant la mesure de protection des abords de la maison Choffat n’empêchait pas la réalisation du garage et de la piscine souhaités par les recourants. La CMNS s’était déclarée favorable à leur réalisation sous réserve de la toiture du « pool house » devant s’inscrire en continuité de la surface engazonnée.

Le département proposait la suspension de la procédure de recours en attendant l’issue de la procédure relative au permis de construire.

22) Le 5 juillet 2007, le juge délégué a prononcé la suspension de l’instruction de la procédure d’entente entre les parties.

La procédure serait reprise par déclaration écrite de la partie la plus diligente ou d’office à l’échéance d’une année à compter du jour de la communication aux parties de la décision de suspension.

23) Le 28 septembre 2007, le département a délivré aux époux Scherrer l’autorisation de construire en vue de la rénovation intérieure et extérieure de leur habitation, de l’extension du sous-sol, de la construction d’un garage avec des panneaux solaires en toiture, d’une clôture et d’une piscine.

24) Le 29 août 2008, les recourants ont demandé la reconduction de la suspension de la procédure pour les mêmes motifs que ceux invoqués précédemment.

25) Le 9 septembre 2008, le département a donné son accord.

26) La procédure a été reprise et suspendue à nouveau, avec l'accord des parties, les 15 septembre 2008, 1er octobre 2009 et 15 novembre 2010.

27) Le 20 octobre 2011, le juge délégué a demandé à nouveau aux parties de lui faire connaître la suite qu’ils entendaient donner à la procédure suspendue et leur a fixé un délai au 28 octobre 2011.

28) Le 1er novembre 2011, le département s’est opposé au maintien de cette suspension.

Les motifs ayant conduit au recours contre l’arrêté du Conseil d’Etat n’étaient plus d’actualité depuis le dépôt de la requête n° DD 100’835-5 tendant à la construction de vestiaires et d’une piscine sur la parcelle n° 4’494.

29) Le 4 novembre 2011, les recourants ont requis une ultime prolongation de la suspension de l’instruction de la procédure de recours.

Les travaux de construction autorisés dans la propriété étant arrivés à terme, ils allaient s’employer à trouver une solution à l’amiable avec le département.

30) Le 8 novembre 2011, le juge délégué a ordonné la reprise de la procédure.

31) Le 19 décembre 2011, le juge délégué a fixé au département un délai échéant le 24 février 2012 pour se déterminer sur le recours et lui faire parvenir son dossier.

32) Le 22 février 2012, le département a conclu au rejet du recours.

Une mesure de protection d’un bien-fonds, sous réserve d’une interdiction totale de bâtir, ne faisait pas obstacle à l’édification d’une construction sur celui-ci s’il était situé en zone à bâtir. La piscine et le garage avaient été construits. Le grief portant sur l’obstacle à leur réalisation n’avait par conséquent plus d’objet.

L’objectif supplémentaire poursuivi par les recourants était la réduction voire la suppression de l’assiette fixant « les abords de l’immeuble classé ». Une réduction de l’assiette de classement ne pouvait pas être envisagée, le périmètre de protection, soit les abords de l’immeuble classé, constituant une mesure complémentaire minimale pour donner son sens au classement de la maison Choffat. La CMNS avait donné son accord pour la construction des 5 maisons d’habitation sur la partie initialement classée de la parcelle n° 4’494 à condition qu’une mesure de compensation soit prise, soit le classement de ladite parcelle dans toute sa partie latérale supérieure.

La mesure servait à conserver un dégagement de vues afin d’éviter le cloisonnement du bâtiment principal sis sur la parcelle n° 4’494. Elle ne lésait pas les intérêts des recourants, qui avaient pu réaliser les aménagements autorisés par le département.

Elle visait ensuite à prévenir toute altération de l’environnement immédiat de la maison Choffat. L’extension du classement à l’entier de la parcelle permettrait au Conseil d’Etat ou à la CMNS de se prononcer sur toute autre construction qui serait envisagée sur la parcelle n° 4’494, voire d’y faire obstacle si celle-ci devait porter atteinte au bâtiment principal ou à ses abords immédiats. L’établissement d’une aire de dégagement suffisante autour du bâtiment principal s’imposait et répondait à un intérêt public. Sa suppression ne pourrait que rendre inopérante la protection de la maison Choffat.

L’extension de l’assiette de protection ne violait pas le principe de la proportionnalité, mais était au contraire la seule qui permettait d’atteindre l’objectif de protection poursuivi. Elle n’avait pas fait obstacle à la construction souhaitée par les recourants et n’avait ainsi pas porté atteinte à leur droit de propriété.

33) Le 22 mars 2012, le juge délégué a procédé à un transport sur place.

Une allée bétonnée menait du nouveau garage construit à l’angle droit de la parcelle n° 4’494. L’ancien garage se trouvait plus près du portail de l’entrée, avec un accès extérieur sur le chemin de Gilly. Les bâtiments construits sur la partie inférieure de l’ancienne parcelle, soit les « Terrasses de Lancy » étaient à environ une quinzaine de mètres de la maison Choffat.

Les époux Scherrer ont déclaré qu’ils avaient procédé à une rénovation complète la plus proche possible de l’esprit de l’époque de la construction de la maison Choffat. Il n’existait aucun conflit entre l’arrêté et les aménagements prévus, tels que la piscine et le garage. L’arrêté querellé reprenait les limites de la parcelle et les faisait correspondre aux abords classés du monument. Il était plus logique de garder une certaine mesure et de prendre comme abords classés une délimitation plus modeste autour du bâtiment. La bande ouest du bâtiment n’était pas comprise dans le premier arrêté de classement et rien ne méritait d’être classé de ce côté-là de la parcelle. La colline située derrière le nouveau garage était un remblai. Aucun autre projet de construction n’était prévu sur la parcelle.

Il existait une disproportion entre la partie de la parcelle qui avait été retirée de l’aire de classement au sud de par la construction des « Terrasses de Lancy » et la superficie de la partie ouest, ajoutée dorénavant à la surface classée. Sur la partie ouest, rien n’avait changé par rapport à la situation antérieure, excepté la piscine. L’extension de l’assiette de protection était excessive et témoignait d'un certain manque de reconnaissance de leur contribution à la restauration du monument. Au moment où ils avaient acquis la maison Choffat, il n’y avait pas de vue depuis le rez-de-chaussée côté ouest, celle-ci était uniquement dégagée sur le côté sud, en direction du Salève. La restauration des abords du bâtiment qu'ils avaient opérée avait préservé les abords de celui-ci dans la configuration prévue.

Le représentant du département a déclaré que la CMNS avait proposé de modifier l’assiette de classement des abords de la maison en compensation du recul dû aux nouvelles constructions en contrebas. La distance entre la maison Choffat et les villas construites empêchait toute nouvelle construction à cet endroit. Du côté ouest en revanche, l’extension de l’assiette de classement permettait au Conseil d’Etat ou à la CMNS de se prononcer dans la procédure en cas de demande d’autorisation de construire. L’extension de classement n’était pas envisagée seulement pour les années à venir, mais également pour les générations futures. Le but était de préserver les vues et la « respiration » du monument.

34) Le 15 mai 2012, les recourants ont persisté dans leurs conclusions principales, mais en restreignant la conclusion subsidiaire portant sur le renvoi du dossier à l’autorité intimée afin qu’elle élabore un nouveau plan de protection des abords de la maison Choffat dans le sens des considérants. Ils ont produit des photographies.

L’interprétation restrictive applicable à la notion « d’abords immédiats » s’opposait à une extension latérale du classement telle qu’envisagée par l’arrêté querellé. L’arrêté initial n’avait pas protégé les surfaces concernées, l’assiette de classement n’avait pas été d’emblée étendue latéralement. Ainsi, une éventuelle modification de l’ouest de la parcelle ne porterait pas atteinte à l’environnement immédiat de la construction protégée, qui était hostile avant la rénovation entreprise par les recourants.

Le principe de la proportionnalité était violé. La compensation de la suppression d’une petite partie de l’aire protégée par une extension latérale de l’aire existante exigeait de se limiter aux abords immédiats du bâtiment, en lieu et place de la protection étendue. Le nouvel argument du Conseil d’Etat au sujet de la préservation du dégagement visuel était contredit par les photographies antérieures à la rénovation du bâtiment. La présence des baies vitrées était nouvelle, et la maison Choffat n’était absolument pas orientée sur la partie latérale du jardin, mais sur la pente où avaient été construites les « Terrasses de Lancy ». La CMNS s’était intéressée à la partie non classée à cause de la rénovation entreprise par les recourants. Ce motif n’était à l’évidence pas valable pour l’extension envisagée de l’assiette protégée. La mesure de ce qui était admissible pour les recourants pour l’extension de l’assiette de classement résultait de la surface de la parcelle considérée couverte par le classement initial portant à l’époque déjà sur les abords du bâtiment selon le plan annexé à l’arrêté de 2001. Les explications données par l’autorité intimée au sujet de l’insuffisance originelle du classement initial ou consécutive à la construction des villas des « Terrasses de Lancy » étaient insuffisantes.

35) Le 16 mai 2012, le juge délégué a imparti aux parties un délai au 22 juin 2012 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, à défaut de quoi la cause serait gardée à juger.

36) Le 22 juin 2012, le département a persisté dans ses conclusions. Il a également produit des photographies.

La maison Choffat présentait déjà une « ouverture » (véranda) en direction de l’ouest, avec un escalier frontal permettant de rallier le terrain qui lui faisait face. La façade située à l’extrémité opposée du bâtiment classé n’offrait aucune « sortie ». Le parti architectural retenu à l’époque de la construction du bâtiment et la volonté de son concepteur étaient de donner vie à la maison Choffat et de préserver la vue, non seulement dans sa partie frontale sise au droit de la pente, mais également dans la partie du terrain située dans le prolongement de la façade ouest de l’édifice. L’extension de la mesure de protection à la totalité de la parcelle n° 4’494 répondait à un intérêt digne de protection, soit éviter de « péjorer » l’environnement situé à l’ouest du bâtiment principal. La mesure s’imposait d’autant plus après l’édification du garage et de la piscine sur le même espace. Les éventuelles nouvelles constructions devaient être soumises à l’appréciation et à l’accord de la CMNS et du Conseil d’Etat. La suppression ou la limitation de la mesure de classement de l’arrêté querellé anéantissait cette possibilité.

La CMNS avait préavisé favorablement le projet de construction d’habitation déposé par l’ancien propriétaire de la parcelle à condition que l’assiette de classement soit modifiée et s’étende sur la partie supérieure de la parcelle concernée dans toute sa largeur. L’ancien propriétaire avait accepté la nouvelle assiette de classement demandée par la CMNS se traduisant par une nouvelle mesure de protection ad hoc portant sur toute la largeur de la parcelle n° 829 dans sa partie supérieure (soit l'actuelle parcelle n° 4'494). Il revenait à l’ancien propriétaire d’en informer les recourants dans le cadre de leur relation de droit privé. Le Conseil d’Etat était resté dans les limites de son pouvoir d’appréciation lors de l’édiction de l’arrêté querellé.

Au moment de l’arrêté de 2001, la réalisation d’un lotissement de 20 villas sur la partie basse de la parcelle n’était pas d’actualité, raison pour laquelle l’assiette du classement ne portait pas, latéralement, sur la totalité de la partie supérieure de la parcelle n° 829. La réalisation du projet de lotissement modifiait de manière fondamentale les dégagements et la vue de la maison Choffat et donnait lieu à une nouvelle appréciation du périmètre à protéger. Elle mettait surtout en évidence la nécessité de refixer les abords de l’immeuble classé, cette mesure ne pouvant se concrétiser que dans la partie supérieure latérale du bien-fonds. La réalisation de la piscine située au droit de la partie ouest de la maison Choffat et du garage situé au nord-ouest de la parcelle concernée a réduit les abords du bâtiment classé à un espace des plus modestes. L’extension de la mesure de protection à la totalité de la parcelle n° 4’494 était la seule à même d’éviter le cloisonnement de ce bâtiment et la réalisation d’autres aménagements hors de tout contrôle des autorités chargées de la protection du patrimoine, dont la CMNS.

37) Les recourants n'ont pas déposé d'observations dans le délai imparti.

38) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Depuis le 1er janvier 2011, suite à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), l'ensemble des compétences jusqu'alors dévolues au Tribunal administratif a échu à la chambre administrative, qui devient autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 LOJ).

Les procédures pendantes devant le Tribunal administratif au 1er janvier 2011 sont reprises par la chambre administrative (art. 143 al. 5 LOJ). Cette dernière est ainsi compétente pour statuer.

2) Interjeté en temps utile devant la juridiction alors compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - aLOJ ; 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 dans sa teneur au 31 décembre 2010 ; art. 62 al. 3 LPMNS).

3) Les recourants contestent la modification de l’assiette des abords protégés de la maison Choffat et son extension du classement à toute la largeur de la parcelle n° 4’494, feuille 23, de la commune de Lancy.

4) Suite à la construction de la piscine et du garage souhaités par les recourants sur la parcelle n° 4’494, ceux-ci ont restreint leurs conclusions relatives à la réalisation de ces deux objets ; la question encore litigieuse porte ainsi uniquement sur l’extension des abords protégés de la maison Choffat sur l’intégralité de leur parcelle.

5) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 p. 44 ; 137 I 23 p. 24-25 consid 1.3 ; 135 I 79 consid. 1 p. 82 ; Arrêts du Tribunal fédéral 2C_892/2011 du 17 mars 2012 consid. 1.2 ; 2C_811/2011 du 5 janvier 2012 consid. 1 ; ATA/245/2012 du 24 avril 2012 ; P. MOOR/E. POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 748 n. 5.7.2.3 ; T. TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 449, n. 1367). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 p. 299 ; 136 II 101 consid. 1.1 p. 103).

6) En l'espèce, les recourants ont interjeté recours contre le classement des abords de leur maison notamment dans la mesure où celui-ci était susceptible d'entraver leur projet de construction d'une piscine et d'un garage. Or, ces constructions ont été autorisées et réalisées en cours de procédure.

Il n'empêche que l'arrêté attaqué restreint encore aujourd'hui leur droit de propriété sur la parcelle en cause, si bien qu'un intérêt actuel à recourir doit leur être reconnu et que leur recours est recevable.

7) a. Conformément à l'art. 4 LPMNS, sont protégés les monuments de l'histoire de l'art ou de l'architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui représentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif ainsi que les terrains contenant ces objets ou leurs abords.

b. Pour assurer la protection d'un monument ou d'une antiquité au sens de l'art. 4 LPMNS, le Conseil d'Etat peut procéder à son classement par voie d'arrêté assorti, au besoin, d'un plan approprié (art. 10 al. 1 LPMNS).

8) Lorsqu'une procédure de classement est ouverte en vertu de l'art. 10 LPMNS, le propriétaire est informé personnellement. Il est invité à formuler ses observations (art. 12 al. 1 et 2 LPMNS ; art. 22 al. 2 du règlement général d'exécution de la LPMNS du 29 novembre l976 - RPMNS - L 4 05.01).

La commune du lieu de situation est également consultée (art. 14 LPMNS ; art. 22 al. 3 RPMNS). L'autorité compétente pour émettre le préavis est le conseil administratif (art. 48 let. h de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 - LAC - B 6 05).

Enfin, le Conseil d'Etat doit s'entourer du préavis de la CMNS (art. 5 al. 2 let. d RPMNS).

9) La procédure de classement est applicable par analogie à la modification ou à l’abrogation d’un arrêté de classement (art. 18 al. 2 LPMNS).

En l’espèce, la procédure ci-dessus a été respectée par le Conseil d’Etat lors de la modification de son arrêté de classement du 7 novembre 2001.

10) Selon une jurisprudence bien établie, la chambre de céans observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département voire le Conseil d’Etat ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/721/2012 du 30 octobre 2012 ; ATA/22/2011 du 28 janvier 2011 ; ATA/360/2010 du 1er juin 2010 et les références citées).

Lorsque la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de celle-ci est déterminant dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours (ATA/721/2012 précité ; ATA/22/2011 précité ; ATA/703/2010 du 12 octobre 2010 et les références citées).

11) En l’espèce, la CMNS a donné un préavis favorable à la construction des « Terrasses de Lancy » dont trois ont été érigées sur une partie de « l’aire libre de construction » déterminée par l’arrêté du Conseil d’Etat du 7 novembre 2001, sous réserve d’étendre l’assiette de protection du bâtiment classé sur la partie supérieure de la parcelle concernée. Arbor, alors propriétaire, a donné son accord sur cette extension portant sur toute la largeur de la parcelle n° 4’494. Le conseil administratif de Lancy a également donné son accord. Quant aux recourants, dès qu’ils ont acquis la maison Choffat, ils ont sollicité une autorisation de construire aux fins de procéder aux aménagements intérieurs de la maison classée, à la réalisation d’une piscine avec vestiaires et d’un garage sur la partie touchée par l’extension de l’assiette de protection. L’autorisation de construire leur a été accordée par le département en date du 28 septembre 2007, après l’audition de leur mandataire, l’architecte Goetschmann, le 18 avril 2007 par la CMNS au sujet de la modification prévue. Celui-ci n’a émis aucune objection sur l’extension de l’assiette de protection du bâtiment classé.

La construction des « Terrasses de Lancy » est un élément nouveau qui a changé fondamentalement les circonstances qui prévalaient au moment de l’arrêté initial du 7 novembre 2001 et qui imposait une modification de l’assiette de classement dans la mesure où les villas construites avaient empiété sur l’assiette de « l’aire libre de construction ». Les parties admettent ce fait, leurs divergences ne portant que sur l’ampleur de l’extension ; chacune a produit diverses photographies à l’appui de ses allégations.

Le Conseil d’Etat s'est donc fondé sur un préavis de la CMNS, dont les motifs sont compréhensibles et argumentés.

12) Reste à déterminer si le classement de l’intégralité de la parcelle est compatible avec les libertés constitutionnelles des recourants, en particulier avec la garantie de la propriété.

13) L'assujettissement d'un immeuble à des mesures de conservation ou de protection du patrimoine bâti constitue une restriction du droit de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Pour être compatible avec cette disposition, l'assujettissement doit donc reposer sur une base légale, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a p. 221 et les arrêts cités ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 du 30 novembre 2006).

Les recourants soutiennent que le principe de la proportionnalité a été violé en l'espèce.

Ce dernier, consacré à l'art. 36 al. 3 Cst., veut qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité) ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.842/2005 précité consid 2.4 ; ATA/360/2010 du 1er juin 2010 et les références citées).

La restriction de droits protégés par la Cst. enfreint le principe de la proportionnalité si elle n’est pas appropriée ou pas nécessaire à la réalisation du but visé, ou si elle touche trop durement la personne concernée, c’est-à-dire si les moyens employés ne se trouvent plus dans un rapport raisonnable avec le but visé. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la mise sous protection d’un bien-fonds doit en général être considérée comme une atteinte grave à la propriété. C’est du moins le cas lorsque toute modification essentielle de l’usage du bâtiment - nécessaire pour en assurer la rentabilité - est exclue (ATF 126 I 219).

En d’autres termes, la mesure de protection doit respecter la règle de la nécessité. A cet égard, il sied de relever que le classement est certes la mesure la plus contraignante des instruments de protection du patrimoine, mais qu'elle n’a pas pour conséquence de rendre inconstructible une parcelle se trouvant en zone constructible au sens de la législation sur l’aménagement du territoire. Elle confère à l’objet qu’elle vise une protection plus importante que les seules dispositions en matière de police des constructions (cf. MGC 2000/II p. 1685 ss).

14) a. En l’espèce, le bâtiment est une maison d'habitation et les abords visés par l'arrêté attaqué constituent une part de son jardin d'agrément. Ni l'un ni l'autre n'ont donc d'objectif de rentabilité. De plus, l'arrêté attaqué n'interdit pas l'édification de toute construction sur le périmètre visé. Enfin, aucune autre mesure que celle prise ne permet d'assurer que tant la CMNS que le Conseil d'Etat pourront intervenir dans une éventuelle procédure d'autorisation de construire et se déterminer sur la compatibilité de l'éventuel projet avec les objectifs de protection du patrimoine. En ce sens, le sous-principe de la nécessité est respecté.

b. S’agissant du sous-principe de la proportionnalité au sens étroit, les recourants se prévalent d’une atteinte à leur droit de propriété.

Le département a précisé que tout projet de construction sur une parcelle classée est soumis à l’appréciation de la CMNS. Dans cette mesure, les droits des recourants ne sont pas différents de ceux de tout propriétaire d’un bien-fonds situé en zone protégée, notamment dans un village protégé au sens de l’art. 106 LCI. L’aval que doit donner le Conseil d’Etat en application de l’art. 15 al. 1 LPMNS ne péjore pas davantage leurs droits. En effet, l’appréciation de la CMNS et l’aval du Conseil d’Etat n’ont pas pour conséquence d’interdire toute construction sur une parcelle constructible, fût-elle classée.

Tel serait le cas si la parcelle était frappée d’une interdiction totale de bâtir, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. L’« aire libre de construction » qui recouvrait une partie de la surface sur laquelle a été réalisée la piscine souhaitée par les recourants a été supprimée sur le nouveau plan n° 29’226A-543 et aucune interdiction de construire au sens de l’art. 15 al. 4 LPMNS sur toute l’étendue de la parcelle n° 4'494 n’a été prise par le Conseil d’Etat. Au demeurant, les recourants ont déjà demandé et obtenu la construction d’une piscine avec vestiaires et d’un garage après l’adoption de l’arrêté querellé. Le département a assuré que tout projet de nouvelle construction serait examiné dans la perspective de garantir la pérennité du classement de la maison Choffat.

La modification de l’assiette de classement a été imposée par la construction des « Terrasses de Lancy » voulue par l’ancien propriétaire. Ce dernier a du reste accepté l’adaptation de la protection de la maison Choffat, soit l’extension de l’assiette de protection sur toute la partie supérieure de la parcelle. Par ailleurs, lors du transport sur place, les recourants ont déclaré qu’ils n’avaient pas de nouveau projet de construction.

Dès lors, l'intérêt privé des recourants - en l'état purement théorique - doit céder le pas devant l'intérêt public à la protection du patrimoine poursuivi par l'arrêté attaqué, si bien que ce dernier ne viole pas le sous-principe de la proportionnalité au sens étroit.

15) L'arrêté attaqué se fondant sur un préavis motivé de la CMNS, et s'avérant conforme au principe de la proportionnalité, le recours sera rejeté.

Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement (art. 87 al. 1 LPA), et il ne leur sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 juin 2007 par Madame Carole et Monsieur Bruno Scherrer contre l’arrêté du Conseil d'Etat du 16 mai 2007 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame Carole et Monsieur Bruno Scherrer, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1'500.- ;

dit qu’aucune indemnité de procédure n’est allouée ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat des recourants ainsi qu'au Conseil d'Etat.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction a.i. :

 

 

C. Sudre

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :