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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/20742/2021

ACPR/658/2024 du 12.09.2024 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : PROCÈS DEVENU SANS OBJET;CONDUITE DU PROCÈS;DROIT D'OBTENIR UNE DÉCISION;REFUS DE STATUER;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ;RETARD INJUSTIFIÉ
Normes : Cst; CPP.5

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/20742/2021 ACPR/658/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 12 septembre 2024

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

pour déni de justice et violation du principe de la célérité,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 21 mai 2024, A______ recourt pour déni de justice du Ministère public.

Il conclut, sous suite de dépens, au constat de la violation du principe de célérité ainsi que de l'interdiction du déni de justice et à ce que le Ministère public soit invité à instruire la cause dans les meilleurs délais.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 22 octobre 2021, A______ a déposé plainte contre son frère, C______, pour faux dans les titres (art. 251 CP), escroquerie (art. 146 CP), abus de confiance (art. 138 CP), gestion déloyale (art. 158 CP) et utilisation sans droit de valeurs patrimoniales (art. 141bis CP).

Il lui reproche en substance d'avoir soustrait des biens appartenant à la masse successorale de feu leur mère, D______ – décédée le ______ 2017 à la résidence médicalisée E______ à F______ (VD) – et d'avoir, entre 2016 et 2017, géré de façon déloyale les avoirs de la précitée.

Il s'est constitué partie plaignante.

b. Entre les 28 février 2022 et 17 janvier 2023, le Ministère public a adressé des ordres de dépôt à [la banque] G______, afin d'obtenir la documentation bancaire usuelle pour des comptes dont D______ et C______ étaient titulaires, ayants droit ou fondés de procuration.

La banque s'est exécutée les 23 mars, 10 novembre 2022 et 15 février 2023.

c. Le Procureur s'est également adressé, le 28 octobre 2022, à l'établissement médical précité, afin d'obtenir le dossier médical de la défunte, qu'il a reçu – à la suite de la levée du secret médical par le Conseil de santé du canton de Vaud – le 6 décembre suivant.

d. Entre les 29 mars 2022 et 16 mars 2023, le Ministère public a reçu des rapports de la Brigade financière, laquelle avait procédé à l'analyse de la documentation bancaire et du dossier médical de D______.

e. Le 20 juillet 2023, sur mandat d'acte d'enquête du Procureur (art. 312 CPP), la police a procédé à l'audition de C______ en qualité de prévenu et établi un rapport de renseignements.

f. Le 15 septembre 2023, A______ a consulté le dossier de la procédure.

g. Par plis des 25 octobre, 14 décembre 2023 et 8 février 2024, il s'est déterminé sur l'audition de son frère et s'est enquis de la suite de la procédure.

Aucune réponse n'a été apportée à ces courriers.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir commis un déni de justice et violé le principe de la célérité. Aucun acte d'instruction n'avait été effectué depuis l'audience du 20 juillet 2023. Par ailleurs, près de deux ans et demi s'étaient écoulés depuis sa dénonciation, sans que la procédure n'ait connu d'avancée significative, le Ministère public ayant seulement émis quelques ordres de dépôt en 2022. Un tel retard ne pouvait se justifier ni par la complexité de la procédure ni par le comportement des parties.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut, sous suite de frais, au rejet du recours. Le "temps mort" depuis le mois de juillet 2023 – lequel n'emportait pas, en lui-même, une violation du principe de la célérité – était dû à une surcharge de travail et s'expliquait également par la complexité de la procédure. Par ailleurs, l'instruction avait été menée sans désemparer, eu égard aux actes d'instruction accomplis.

E. Par avis de prochaine clôture du 24 juillet 2024, le Ministère public a informé les parties qu'il entendait classer la procédure et leur a imparti un délai au 9 août 2024 pour présenter leurs réquisitions de preuves.

F. Dans sa réplique, A______ persiste dans les termes de son recours. La cause ne présentait pas de complexité particulière, dans la mesure où le Ministère public n'avait entrepris que peu d'actes d'instruction et ce, sur une longue période.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours pour déni de justice et violation du principe de la célérité n'est soumis à aucun délai (art. 396 al. 2 CPP). Par ailleurs, le présent recours a été déposé selon la forme prescrite (art. 393 et 396 al. 1 CPP) et émane d'une personne qui s'est constituée partie plaignante, laquelle doit, en l'état, être considérée comme partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

1.2. Si l'acte est à ce jour devenu sans objet concernant le grief du déni de justice, le Ministère public ayant entretemps rendu un avis de prochaine clôture, le recourant conserve cependant un intérêt (art. 382 CPP) à ce qu'il soit statué sur le grief de la violation du principe de célérité (cf. ACPR/388/2024 du 24 mai 2024 consid. 1.2; ACPR/916/2023 du 20 novembre 2023 consid. 1.2; arrêt de l'Obergericht du canton de Berne BK 19 130 du 8 mai 2019 consid. 2.2.2).

2.             Le recourant reproche au Ministère public un manque de célérité dans la conduite de son instruction.

2.1. Les art. 29 al. 1 Cst féd. et 5 CPP garantissent à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable; ils consacrent le principe de célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou celui que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable. Le caractère approprié de ce délai s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement ainsi qu'à celui des autorités compétentes. Des périodes d'activité intense peuvent compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Ainsi, seul un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable, pourrait conduire à l'admission de la violation du principe de la célérité. En cas de retard de moindre gravité, des injonctions particulières peuvent être données, comme par exemple la fixation d'un délai maximum pour clore l'instruction (cf. ATF 128 I 149 consid. 2.2).

L'on ne saurait reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure; lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut. Selon la jurisprudence, apparaît comme une carence choquante une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l'instruction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_172/2020 du 28 avril 2020 consid. 5.1 et les références citées).

2.2. En l'espèce, force est de constater que la procédure a connu une réelle inactivité depuis le 20 juillet 2023, date à laquelle C______ a été entendu par la police. En outre, le Ministère public n'a pas répondu aux missives du recourant, laissant le dossier de côté durant plus de douze mois. Un tel laps de temps ne peut se justifier ni par une surcharge de travail (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_549/2012 du 12 novembre 2012 consid. 2.4.2; ACPR/239/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.1) ni par la complexité de la procédure – complexité somme toute relative, au vu du nombre limité des parties impliquées et en l'absence de volumineuses pièces. Qui plus est, la brigade financière a rendu son dernier rapport – lequel analysait la documentation bancaire reçue – le 16 mars 2023, soit environ seize mois avant l'avis de prochaine clôture du 24 juillet 2024.

Partant, l'inactivité de l'autorité intimée consacre une violation du principe de la célérité, qu'il y a lieu de constater.

3. 3.1. Selon l'art. 428 al. 1 CPP, les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties, dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé.

3.2. Lorsqu'un acte est sans objet, les frais sont fixés en tenant compte de l'état de fait existant avant l'événement mettant fin au litige et de l'issue probable de celui-ci (arrêt du Tribunal fédéral 6B_649/2019 du 11 juillet 2019 consid. 1.1.2). Il ne s'agit pas d'examiner en détail les chances de succès du recours, ni de rendre un jugement au fond par le biais d'une décision sur les frais, mais d'apprécier sommairement la cause (ATF 142 V 551 consid. 8.2; ACPR/497/2022 du 26 juillet 2022 consid. 9.1.1).

3.3. En l'espèce, ce n'est que postérieurement au dépôt de l'acte de recours que le Ministère public a rendu l'avis de prochaine clôture. En conséquence, les motifs pour lesquels l'acte a été, pour partie, déclaré sans objet ne sont pas imputables au recourant. Pour le surplus, son recours a été admis, de sorte que les frais de la procédure seront laissés à la charge de l'État.

4. Le recourant, qui a gain de cause, a requis une indemnité pour la procédure de recours de CHF 1'575.-, correspondant à 3h30 d'activité d'un chef d'Étude au tarif horaire de CHF 450.-/heure.

4.1. En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnités dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

Selon l'art. 433 al. 2 CPP, la partie plaignante adresse à l'autorité pénale ses prétentions, qu'elle doit chiffrer et justifier.

Le juge ne doit ainsi pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/66/2024 du 26 janvier 2024 consid. 5.1).

4.2. En l'espèce, le montant réclamé par le recourant apparaît excessif compte tenu de son recours de cinq pages, dont une et demi de discussions juridiques, dans une cause dépourvue de complexité, et d'une réplique de deux pages.

Une indemnité de CHF 972.90, TVA à 8.1% incluse, correspondant à 2h d'activité d'un chef d'Étude au tarif réclamé apparaît raisonnable.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours, dans la mesure où il n'est pas devenu sans objet.

Constate une violation du principe de la célérité.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ la somme de CHF 1'200.- versée à titre de sûretés.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 972.90 TTC pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).