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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21690/2014

ACPR/239/2020 du 22.04.2020 sur OTMC/1061/2020 ( TMC ) , REFUS

Recours TF déposé le 27.05.2020, rendu le 16.06.2020, REJETE, 1B_200/2020
Descripteurs : DÉTENTION PROVISOIRE;RISQUE DE COLLUSION;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ
Normes : CPP.221; CPP.5; CPP.197

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21690/2014 ACPR/239/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 22 avril 2020

 

Entre

 

A______, actuellement détenu à la prison B______ (GE), comparant par Me C______, avocat, ______, ______ (GE),

recourant,

 

contre l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire rendue le 24 mars 2020 par le Tribunal des mesures de contrainte,

 

et

 

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A.           A______ recourt, en personne, par lettre du 3 avril 2020, puis, par acte motivé de son conseil expédié le 6 avril 2020, contre l'ordonnance du 24 mars 2020, expédiée le lendemain et notifiée le 27 suivant, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) a prolongé sa détention provisoire jusqu'au 24 juin 2020.

Le recourant conclut, avec suite de frais et indemnité de procédure, préalablement, à pouvoir compléter son recours, et, principalement, à l'annulation de l'ordonnance précitée et sa mise en liberté immédiate, assortie d'éventuelles mesures de substitution.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Né en 1968, A______ est de nationalité suisse. Il déclare être sans revenus et payer son loyer avec ses économies, lesquelles s'élèveraient selon lui à CHF 2'800.-, somme qui a été séquestrée par le Ministère public (un recours est actuellement pendant devant la Chambre de céans contre l'ordonnance de séquestre).

A______ possède dix-huit alias et a fait l'objet de deux changements de nom.

À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse, il a été condamné, le 9 mai 2011, par la Chambre pénale à 90 jours-amende à CHF 20.-, avec sursis, pour faux dans les titres.

b. A______ a été placé en état d'arrestation le 8 juillet 2019, dans le cadre de la présente procédure, dans laquelle il est prévenu de dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) - notamment à l'égard de D______, son ancien bailleur -, faux dans les certificats (art. 252 CP), faux dans les titres (art. 251 CP), appropriation illégitime/vol et suppression de titres (art. 137/139 et 254 CP), tentative de contrainte (art. 22 et 181 CP), obtention frauduleuse d'une constatation fausse (art. 253 CP), tentative d'escroquerie (art. 22 et 146 CP) et escroquerie (art. 146 CP).

Les faits qui lui sont reprochés ont été décrits dans l'arrêt de la Chambre de céans ACPR/587/2019 du 2 août 2019, auquel il est dûment renvoyé.

c. Le prévenu est en particulier soupçonné d'avoir ouvert de très nombreux comptes bancaires à Genève et dans d'autres cantons suisses, au moyen de l'utilisation de faux documents. Il est également soupçonné d'avoir effectué des démarches, à l'aide de faux documents, auprès d'autorités administratives et sociales pour toucher des prestations indues, notamment une allocation pour impotent. Entre mars et juin 2015, il a, par exemple, obtenu le versement, à titre d'aide sociale, de CHF 5'281.85 par le Guichet social ______ (NE). Il est également soupçonné d'avoir reçu des remboursements indus de caisses maladies, sur la base de factures médicales falsifiées.

Le Ministère public procède à l'analyse de la très importante documentation bancaire dont le dépôt - auprès d'une trentaine de banques, sociétés et offices cantonaux - a été ordonné.

d. A______ fait par ailleurs l'objet d'une autre procédure pénale, P/1______/2009, dans le cadre de laquelle il a été condamné par défaut, le 11 décembre 2013, par le Tribunal de police, à une peine privative de liberté de 8 mois, avec sursis durant cinq ans - le sursis à l'emprisonnement de dix mois accordé le 21 décembre 2006 par la Chambre pénale de la Cour de justice ayant par ailleurs été révoqué - pour escroquerie, faux dans les titres, vol, dommages à la propriété, violation de domicile, contrainte, tentative de contrainte et dénonciations calomnieuses.

La demande de nouveau jugement formée par A______ a été jugée tardive par le Tribunal de police et le précité s'est pourvu en appel. Le prévenu n'a pas comparu à l'audience du 6 octobre 2016 devant la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (ci-après : CPAR), après avoir présenté un certificat médical du Dr L______ à teneur duquel il était dans l'incapacité de participer à l'audience et de transmettre à son conseil les instructions utiles à sa défense. La CPAR a ajourné les débats et transmis le dossier au Ministère public, pour ordonner l'expertise psychiatrique du prévenu.

e. Dans le cadre de la procédure pénale P/1______/2009 précitée, A______ a fait l'objet d'une expertise psychiatrique, le 25 février 2010. Les experts ont conclu - sur la base des éléments anamnestiques et du status clinique à l'époque - qu'il présentait un trouble mixte de la personnalité avec des traits narcissiques et antisociaux, d'intensité modérée. Ce trouble n'était pas assimilable à un grave trouble mental. Il ne souffrait pas de toxico-dépendance. La personnalité de l'expertisé était marquée par une tendance à la manipulation et au mensonge, qui pourrait aller jusqu'à la mythomanie. Il s'inventait une histoire invraisemblable pour se donner une image grandiose et importante, et effectuait "de notables falsifications de la réalité" sans que ses néo-constructions soient qualifiées de délirantes. Il avait fait preuve d'un manque de coopération pour l'évaluation diagnostique et donné plusieurs renseignements contradictoires au sujet de sa santé mentale.

Les actes punissables qui lui étaient reprochés n'étaient pas en rapport avec un état mental pathologique. Sa responsabilité était entière. Il existait un risque de commettre à nouveau des infractions du même genre, "en raison de la présence d'une personnalité génératrice de délit, de l'absence de réponse à l'effet dissuasif de la démarche pénale et du status psychiatrique observé (anosognosie, déni important et fixité du raisonnement)". Aucun traitement médical ni soins spéciaux n'étaient susceptibles de diminuer le risque de récidive.

f. Lors de l'audience d'instruction du 19 décembre 2019, A______, confronté aux nombreux documents paraissant contrefaits, a déclaré qu'ils avaient été déposés chez lui par des tiers, notamment D______ et le Procureur général.

g. Le Ministère public a ordonné une nouvelle expertise psychiatrique de A______ et adressé le mandat d'expertise, le 17 février 2020.

Le recours formé par A______ contre l'expertise est actuellement pendant devant la Chambre de céans.

h. La détention provisoire d'A______ a été initialement ordonnée, le 9 juillet 2019, par le TMC, pour une durée de trois mois. Le Ministère public a, ensuite, requis la prolongation de celle-ci pour une durée de six mois, en raison de l'importance des acte d'instruction à mener. Le TMC a toutefois considéré, dans son ordonnance du 9 octobre 2019, qu'il ne semblait pas que la procédure revêtît le caractère exceptionnel prévu par l'art. 227 al. 7 in fine CPP. Le Ministère public ayant, à nouveau, requis la prolongation de la détention pour une durée de six mois, le TMC a, derechef estimé, le 24 décembre 2019, que la procédure ne revêtait pas le caractère exceptionnel prévu par la disposition précitée, bien qu'assurément complexe par la quantité d'actes d'instruction nécessités par la multiplicité des infractions reprochées et leur durée. Il convenait toutefois, selon le juge de la détention, de "suivre l'instruction dans les trois prochains mois et voir son évolution, notamment quant à la détermination du Ministère public sur les vérifications à l'étranger".

La Chambre de céans a rejeté à trois reprises les recours formés par A______ contre sa détention provisoire, retenant des risques de collusion et réitération (ACPR/587/2019 du 2 août 2019, ACPR/834/2019 du 5 novembre 2019 et ACPR/20/2020 du 30 janvier 2020).

La détention provisoire a été prolongée, en dernier lieu, au 24 mars 2020.

i. Depuis le dernier arrêt de la Chambre de céans, du 30 janvier 2020 :

i. Le conseil de A______ a demandé à être relevé de sa mission, pour des raisons personnelles. Le recours du prévenu contre la désignation, par le Ministère public, du nouveau défenseur d'office a été admis par la Chambre de céans (ACPR/164/2020 du 4 mars 2020) et un nouveau défenseur d'office nommé par le Ministère public, le 10 mars 2020.

ii.La procédure pénale P/2______/2019, relative à la plainte pénale déposée par l'assurance maladie E______ contre A______ pour escroquerie, faux dans les titres et obtention illicite d'une prestation d'une assurance sociale a été jointe à la présente, le 2 mars 2020.

Le prévenu ayant refusé de délier du secret médical son médecin, la Dresse F______, dont il est soupçonné d'avoir falsifié des notes d'honoraires pour obtenir des remboursements indus, le Ministère public a requis fin février 2020, que la précitée demande elle-même cette levée pour l'entendre en qualité de témoin, levée qui a été obtenue le 12 mars 2020. A______ a toutefois formé recours contre cette décision.

iii.A______ a été entendu par le Ministère public, le 3 mars 2020, sur les factures médicales et autre attestations, notamment notariales, soupçonnées de faux, saisies par la police à son ancien domicile. Il a déclaré n'avoir jamais falsifié un document, qu'il s'agissait "vraisemblablement d'une falsification des deux personnes dont je vous ai déjà parlé la dernière fois, soit G______ et H______", que ces documents ne s'étaient jamais trouvés chez lui mais qu'il les avait en revanche vus chez les précités.

À l'issue de l'audience, A______ a demandé qu'une audience d'instruction ait lieu toutes les semaines "pour finir avec ces dossiers". Le Procureur lui a répondu que les audiences étaient convoquées chaque mois, que plusieurs recours avaient été déposés contre des actes de la procédure et que le principe de la célérité n'avait pas été remise en cause par la Chambre de céans.

iv. Par requête du 26 février 2020, A______ a requis la récusation des trois magistrats soussignés. Par arrêt AARP/118/2020 du 25 mars 2020, la CPAR a rejeté la demande.

v. L'audience d'instruction fixée au 1er avril 2020 a été annulée par le Ministère public, sans explications.

j. À l'appui de la demande de prolongation de la détention provisoire de A______, du 16 mars 2020, le Ministère public a rappelé que les investigations étaient considérables au vu des nombreux documents saisis chez le prévenu et de la quantité des informations obtenues par la saisie de la documentation bancaire - en cours d'analyse par la Brigade financière -, les agissements soupçonnés couvrant plus d'une décennie. Le contenu des ordinateurs et téléphones saisis était toujours en cours d'analyse par la Brigade de criminalité informatique. Le prévenu contestait l'ensemble des faits, se bornant à déplorer un complot fomenté par le Procureur général et un "entrepreneur de la place". Il multipliait les recours contre chacune des décisions à lui notifiées, rendant difficile une avancée rapide des investigations.

A______ a répondu, par écritures de son conseil, des 20 et 24 mars 2020.

C.            Dans son ordonnance querellée, le TMC a retenu que bien que l'instruction fût compliquée par le nombre de faits à instruire dans différents cantons, depuis des années, elle se poursuivait avec diligence, considérant les actes d'enquête en cours et les six audiences tenues depuis l'arrestation de A______, sans compter celle ayant eu lieu dans la procédure récemment jointe. Le juge a estimé que les risques de collusion, fuite et réitération demeuraient. Le principe de la proportionnalité était respecté et aucune mesure de substitution n'était susceptible d'atteindre le but de la détention au vu des risques retenus.

D.           a. À l'appui de son recours, A______ se plaint d'une violation de son droit d'être entendu, l'ordonnance querellée n'ayant pas répondu à ses arguments. En outre, il n'avait pas été tenu compte de la "gravissime situation sanitaire actuelle", due à la pandémie de Covid-19. Alors qu'à Berne, des détenus en exécution de peine qui ne présentaient pas de risque pour la société et disposaient d'un domicile étaient libérés en raison de la pandémie, le TMC avait, ici, "tout bonnement" maintenu sa détention provisoire, semblant considérer que son incarcération ne représentait aucun danger pour lui-même et ses codétenus nonobstant la surpopulation carcérale. Sa santé devait pourtant être protégée en priorité.

Il rappelle que le TMC avait, dans une ordonnance antérieure, demandé que l'instruction soit concrètement surveillée. Dans sa demande du 16 mars 2020, le Ministère public ne fournissait toutefois aucune information concrète s'agissant du résultat d'éventuelles vérifications faites à l'étranger durant les trois mois écoulés. Aucune preuve d'infraction commise à l'étranger n'avait donc été apportée.

Pour justifier la nouvelle prolongation pour une durée de trois mois, le magistrat se bornait à rappeler que la dénonciation calomnieuse était passible d'une peine privative de liberté de 20 ans, alors que la jurisprudence n'avait jamais prononcé ne serait-ce qu'une peine de 5 ans pour une telle infraction et que la doctrine contestait l'absence de peine plafond pour cette infraction. En outre, il y avait lieu de tenir compte, dans l'examen de la proportionnalité, de la portée très limitée des infractions au patrimoine qui lui étaient reprochées.

Il met en outre au cause la célérité de la procédure, reprochant le rythme des audiences, une fois par mois, alors qu'il souhaitait être entendu toutes les semaines. Le Ministère public avait, de surcroît, annulé la prochaine audience sans même en indiquer la cause ni l'éventuelle date de remplacement, ce qui prolongeait d'autant la procédure.

Un risque de réitération avait été retenu, sans que ne soit évoquée une mise en danger de la population, au demeurant inexistante ici. Le risque de collusion était abstrait, après la perquisition complète de son domicile. Les moyens de pression et d'influence auprès de tiers, que le TMC ne nommait d'ailleurs pas, ne pouvaient être retenus. Sa mise en liberté s'imposait donc "quand bien même il y a lieu de prendre le risque (contesté) qu'il ne se présentera pas à [la] prochaine convocation en justice et qu'il faudra établir un mandat d'arrêt à son encontre". En tout état de cause, il serait facilement interpellé, ne disposant pas, avec ses seules rentes et sans fortune, d'un réseau lui permettant d'entreprendre avec succès une vie dans la clandestinité.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. A______ avait, depuis le début de la procédure, recouru contre chacune des décisions rendues contre lui, pour ralentir l'instruction et, si possible, la bloquer. L'instruction avançait ce nonobstant. Le Ministère public envisageait, notamment, de procéder aux auditions de la Dresse F______ (dès la levée définitive de son secret médical), des notaires I______ et J______ (après la levée de leur secret professionnel) pour établir dans quelles conditions ils avaient instrumenté les certificats de décès présentés par A______, ainsi que de l'expert psychiatre lorsqu'il aurait rendu son rapport. Le rapport médical sur l'état de santé de A______, auprès du service médical de K______ (demandé par l'arrêt de la Chambre de céans du 30 janvier 2020) n'avait en l'état pas pu être obtenu, le prévenu ayant refusé de délier les médecins de leur secret, dont la levée, sollicitée auprès de la commission ad hoc, était attendue. La situation pandémique actuelle n'était qu'un prétexte utilisé par le recourant, dont les craintes liées au Covid-19 n'étaient que théoriques.

c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance, sans formuler d'observations.

d. Le recourant a répliqué.

EN DROIT :

1.             1.1. Tant le recours envoyé en personne par le recourant que l'acte motivé de son défenseur sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Le recourant a demandé à pouvoir compléter son recours.

Or, il est communément admis en procédure que la motivation d'un recours doit être entièrement contenue dans l'acte de recours lui-même, qui ne saurait dès lors être complétée ou corrigée ultérieurement (ATF 134 II 244 consid. 2.4.2 et 2.4.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_659/2011 du 7 décembre 2010 consid. 5 ; ACPR/291/2013 du 24 juin 2013 ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 3 ad art. 385).

En l'occurrence, non seulement l'acte déposé par le défenseur du recourant est dûment motivé, mais le prévenu a eu l'occasion de répliquer, de sorte que sa demande sera rejetée.

2.             Dans le recours déposé en personne par le recourant, ce dernier semble demander, à nouveau, la récusation des magistrats soussignés, pour les mêmes raisons que celles invoquées à l'appui de la demande tranchée par la CPAR dans son arrêt du 25 mars 2020. Cette compétence échappe à la Chambre de céans (cf. art. 59 al. 1 let. c CPP). Il n'y sera dès lors pas donné suite.

3.             Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu par l'ordonnance querellée, qui n'avait pas pris en compte les écritures déposées par son défenseur devant le TMC.

3.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 136 I 229 consid. 5.2; 135 I 265 consid. 4.3; 126 I 97 consid. 2b). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs fondant sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause ; l'autorité peut se limiter à ne discuter que les moyens pertinents, sans être tenue de répondre à tous les arguments qui lui sont présentés (ATF 134 I 83 consid. 4.1; 133 III 439 consid. 3.3; 130 II 530 consid. 4.3). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée.

3.2. En l'espèce, l'ordonnance querellée est dûment motivée. Qu'elle n'ait pas discuté, ni repris ou mentionné tous les arguments élevés par le prévenu dans ses écritures des 20 et 24 mars 2020 ne consacre pas une violation des principes précités, le recourant ayant été en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles sa détention provisoire a été prolongée et de motiver son recours.

4.             Le recourant ne discute pas les charges, au sens de l'art. 221 al. 1 CPP, que la Chambre de céans a considérées comme suffisantes et graves, dans ses précédents arrêts. Depuis le dernier arrêt, du 30 janvier 2020, les soupçons se sont même alourdis, par la jonction de la procédure pénale P/2______/2019.

5.             Le recourant demande sa mise en liberté en raison d'une violation du principe de la célérité.

5.1.  À teneur de l'art. 5 al. 1 CPP, les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. Lorsqu'un prévenu est placé en détention, la procédure doit être conduite en priorité (al. 2).

Cette disposition concrétise le principe de la célérité et prohibe le retard injustifié à statuer, posé par l'art. 29 al. 1 Cst. Viole la garantie ainsi accordée l'autorité qui ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1; 130 I 312 consid. 5.1; 119 Ib 311 consid. 5 et les références citées).

L'évaluation de la durée appropriée des procédures échappe à des règles rigides. La question de savoir si la durée s'avère appropriée doit être examinée dans chaque cas particulier, en tenant compte de toutes les circonstances concrètes (ATF 130 I 312 consid. 5.2 et les références citées). On ne saurait par ailleurs reprocher à une autorité quelques "temps morts"; ceux-ci sont inévitables dans une procédure (ATF 124 I 139 consid. 2c). Une organisation déficiente ou une surcharge structurelle ne peuvent cependant justifier la lenteur excessive d'une procédure (ATF 122 IV 103 consid. I.4; ATF 107 Ib 160 consid. 3c); il appartient en effet à l'État d'organiser ses juridictions de manière à garantir aux citoyens une administration de la justice conforme aux règles (ATF 130 I 312 consid. 5.2 précité).

La violation éventuelle du principe de la célérité n'entraîne pas la libération immédiate du détenu lorsque la détention demeure matériellement justifiée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_150/2012 du 30 mars 2012 consid. 3.3; 1B_44/2012 consid. 4 et 5).

5.2. En l'espèce, le recourant critique la lenteur de l'instruction, estimant inutile qu'on lui soumette, comme cela a été le cas lors de l'audience du 3 mars 2020, des dizaines de pièces dont il conteste être l'auteur. À bien le comprendre, il souhaite être entendu toutes les semaines. Or, il n'appartient pas au prévenu de dicter la cadence de l'instruction et le contenu des questions qui lui sont posées. Au demeurant, l'instruction n'a pas connu de temps morts injustifiés, comme l'a justement retenu le TMC.

Le grief est dès lors infondé, étant rappelé que même une éventuelle lenteur n'entraînerait pas la libération immédiate du prévenu.

6. Le recourant réclame sa libération en raison de la pandémie de Covid-19.

La Chambre de céans a d'ores et déjà jugé que la situation sanitaire actuelle n'était pas, à elle seule, suffisante pour justifier la libération d'un prévenu, la prison étant équipée d'un service médical et la crainte d'une infection n'impliquant pas que le recourant serait privé de soins, si nécessaire (ACPR/207/2020 du 18 mars 2020). Ainsi, si l'état de santé du recourant devait se dégrader, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle, ou que la situation sanitaire à K______ devait se péjorer au point de mettre des détenus en danger - ce qui n'est pas non plus le cas -, les services médicaux de la prison n'hésiteraient pas à prendre les dispositions nécessaires (ACPR/223/2020 du 14 avril 2020).

Peu importe, dès lors, la pratique adoptée par d'autres cantons - selon la presse citée par le recourant -, à plus forte raison pour des libérations conditionnelles de détenus en exécution de peine, situation fort différente de celle d'une détention provisoire.

7. 7.1. Après avoir implicitement admis l'existence des risques de collusion et réitération dans son précédent recours devant la Chambre de céans (cf. ACPR/20/2020 précité, consid. 3), le recourant en discute désormais la portée, estimant que les actes qui lui sont reprochés ne seraient pas dangereux pour la population (risque de réitération), que ses moyens de pression sur des tiers s'avéreraient inopérants (risque de collusion) et que, même s'il ne se présentait pas aux prochaines convocations, il ne disparaîtrait pas dans la clandestinité (risque de fuite).

7.2. S'agissant du risque de collusion, la Chambre de céans a retenu ce qui suit, dans son arrêt ACPR/587/2019 du 2 août 2019 consid. 3.2 :

"En l'espèce, la présente procédure a été ouverte, comme le relève d'ailleurs le recourant, en 2014. Dans la procédure parallèle, P/1______/2009, ouverte en 2009, le recourant a été jugé par défaut en 2013 mais depuis, en raison de ses nombreux refus de comparaître - allant jusqu'à se faire passer pour mort -, et dépôts de certificats médicaux dont plusieurs paraissent faux, le recourant a empêché son avancement. Il a même empêché que soit établie l'expertise psychiatrique ordonnée par le Ministère public sur demande de la CPAR.

L'écoulement du temps depuis l'ouverture de la présente procédure n'est donc pas de nature à rendre inexistant tout risque de collusion. Au contraire. Compte tenu des manoeuvres que le recourant a déployées ces dernières années dans les procédures dirigées contre lui, tant pénales que civile - n'hésitant pas à dérober le dossier de la procédure C/3______/2017 à la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice -, il existe un risque très concret que, s'il venait à être libéré dans la présente procédure, le recourant fasse disparaître des preuves ou prenne contact avec des témoins - en particulier les médecins auxquels il a demandé des attestations médicales pour ne pas comparaître, les médecins dont il paraît avoir falsifié les factures pour être remboursé par l'assurance maladie, les employés des diverses administrations auxquels il a sollicité des prestations et par lesquels il a obtenu des inscription à l'état civil, notamment celle de son faux jumeau -, voire produise des faux certificats et documents pour entraver les autorités de poursuite pénale dans leur instruction.

Il sera également relevé que des éléments nouveaux sont apparus à la suite des perquisitions menées dans ses deux logements, notamment l'existence de relations bancaires dans d'autres cantons. Comme le recourant ne précise pas la source de ses revenus, l'instruction devra porter sur sa situation financière sans qu'il n'interfère dans la manifestation de la vérité, en faisant disparaître des documents ou des sommes d'argent cachés dans des lieux que l'analyse des pièces saisies pourrait révéler.".

Les craintes exprimées ci-dessus, en août 2019, demeurent d'actualité, l'instruction se poursuivant et le recourant devant prochainement être confronté aux témoins mentionnés par le Ministère public. Si l'on peut certes considérer qu'en principe, des notaires et un médecin devraient être moins influençables ou sensibles aux éventuelles pressions du prévenu, il est permis de redouter, ici, que le recourant, compte tenu des intenses moyens qu'il est parvenu à mettre en oeuvre dans les procédures dans lesquelles il est ou était partie, ne parvienne malgré tout à influencer les témoins, ou brouiller leurs souvenirs, notamment par des contacts incessants. On peut également concrètement craindre qu'il ne mette à mal les progrès de l'instruction, voire paralyse celle-ci, par la production de nombreux documents de sa création, dans l'intention de contredire les preuves recueillies.

C'est donc à juste titre que le TMC a retenu un risque de collusion important et concret.

La jurisprudence invoquée par le recourant (notamment l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_112/2020 du 20 mars 2020) n'est pas pertinente, puisqu'elle concerne le risque de réitération pour des infractions contre le patrimoine. Dans la mesure où le risque de collusion (art. 221 al. 1 let. b CPP) est suffisant, ici, à justifier le maintien du recourant en détention provisoire, point n'est besoin d'examiner, en l'état, si s'y ajoute aussi un risque de réitération tel que retenu jusqu'ici.

8.             Le recourant propose des mesures de substitution, soit le dépôt de son passeport et toute pièce d'identité, la pose d'un bracelet électronique pour limiter ses déplacements, sa présentation régulière auprès d'un poste de police, l'interdiction d'acquérir une nouvelle photocopieuse et l'avertissement à sa caisse maladie de vérifier toute demande de remboursement de frais médicaux présentée par lui.

8.1. Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), il convient d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention (règle de la nécessité). Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention, par exemple la saisie des documents d'identité et autres documents officiels (al. 2 let. b), l'obligation de se présenter régulièrement à un service administratif (let. d), d'avoir un travail régulier (let. e), de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles (let. f). La liste des mesures de substitution énoncée à l'art. 237 CPP n'est pas exhaustive et rien ne s'oppose à un placement - combiné le cas échéant à d'autres mesures - si cela permet d'atteindre le même but que la détention (arrêt du Tribunal fédéral 1B_654/2011 du 7 décembre 2011 consid. 4.2). Lorsque la mesure ne consiste pas uniquement en l'accomplissement d'un acte ponctuel, sa durée doit être limitée dans le temps (ATF 141 IV 190 consid. 3.3 p. 193).

8.2. En l'espèce, la Chambre de céans a déjà jugé, dans son arrêt ACPR/838/2019 du 5 novembre 2019, que, même combinées entre elles, les mesures proposées n'étaient pas de nature à pallier le risque de collusion. La pose d'un bracelet électronique, même cumulée au dépôt de ses pièces d'identité, à sa présentation à un poste de police, à une interdiction d'acquérir une photocopieuse et à un avertissement à sa caisse maladie, ne serait pas propre à empêcher le recourant de sortir de chez lui pour infléchir les témoins, entraver l'instruction et/ou détruire des éléments de preuve.

Aucune autre mesure ne paraît apte à empêcher la réalisation de ce risque.

9.             Le recourant invoque une violation du principe de la proportionnalité.

9.1. À teneur des art. 197 al. 1 et 212 al. 3 CPP, les autorités pénales doivent respecter le principe de la proportionnalité lorsqu'elles appliquent des mesures de contrainte, afin que la détention provisoire ne dure pas plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible. Selon une jurisprudence constante, la possibilité d'un sursis, voire d'un sursis partiel, n'a en principe pas à être prise en considération dans l'examen de la proportionnalité de la détention préventive (ATF 133 I 270 consid. 3.4.2 p. 281-282 ; 125 I 60 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_750/2012 du 16 janvier 2013 consid. 2, 1B_624/2011 du 29 novembre 2011 consid. 3.1 et 1B_9/2011 du 7 février 2011 consid. 7.2).

9.2. En l'occurrence, les infractions considérées sont graves, indépendamment de la polémique soulevée par le recourant au sujet de l'absence ou non d'une peine plafond à l'art. 303 CP. La peine concrètement encourue, si le recourant devait être reconnu coupable des faits dont il est soupçonné, dépasse, compte tenu du nombre d'infractions et de l'antécédent spécifique, la détention provisoire ordonnée à ce jour (art. 197 al. 1 et 212 al. 3 CPP).

Reste à examiner si une nouvelle prolongation pour une durée de trois mois est justifiée par les besoins de l'instruction.

En l'état, le prévenu est détenu depuis le 8 juillet 2019, soit depuis huit mois. Pour que le juge de la détention puisse exercer son contrôle, et, donc, vérifier si la prolongation requise est justifiée, il appartient au Ministère public d'exposer, dans sa demande, les raisons pour lesquelles la durée envisagée est nécessaire à son instruction. Or, en l'espèce, sur les dix pages que contient la demande du Ministère public, aucune ne mentionne les actes d'instruction envisagés. Le Procureur ne les a annoncés que dans sa réponse au recours, ce qui n'est pas admissible. Par ailleurs, alors que dans l'ordonnance du 24 décembre 2019, le TMC, tout en refusant la prolongation de six mois requise par le Ministère public, a précisé qu'il convenait de suivre l'évolution de l'instruction dans les trois mois accordés, en particulier la détermination du Ministère public sur les vérifications à l'étranger, le Procureur a cru pouvoir se dispenser d'explications, dans sa nouvelle demande, sur cet acte d'instruction, qui n'a pas non plus été mentionné par le TMC dans l'ordonnance querellée.

De plus, le Procureur a annulé l'audience prévue le 1er avril 2020, sans donner aucune explication. On rappellera ici que, selon le plan de continuité Covid-19 publié par le Ministère public, la gestion des procédures avec détenu est assurée, ce qui signifie que ces causes doivent continuer à être instruites nonobstant la pandémie (cf. ACPR/218/2020 du 17 avril 2020).

Il s'ensuit que, à bien suivre le Ministère public, il motive sa demande de prolongation pour une durée de trois mois par l'audition de trois témoins et pour obtenir l'analyse, par la Brigade financière, des pièces saisies lors des perquisitions et du résultat des ordres de dépôt, ainsi que du rapport de la Brigade de criminalité informatique.

Dans l'attente de ces actes, le délai requis apparaît encore conforme au principe de la proportionnalité. Toutefois, la prolongation accordée implique que les trois témoins soient effectivement entendus dans ce délai - pour autant que la levée de leur secret professionnel ait pu être définitivement obtenue - et qu'un rapport de police, même incomplet, soit versé à la procédure pour étayer les charges retenues jusqu'ici.

Une éventuelle nouvelle demande de prolongation de la détention provisoire devra, ainsi, contenir la liste et le détail des actes d'instruction accomplis dans l'intervalle, leur résultat et les investigations encore envisagées - sous réserve bien sûr des éventuelles opérations à conserver secrètes -.

Si les recours incessants du recourant ralentissent indubitablement la procédure, ils ne sont toutefois pas de nature à empêcher l'avancement de l'instruction, étant rappelé qu'une autorité de poursuite pénale ne peut exciper des insuffisances de l'organisation judiciaire - en l'occurrence le déplacement du dossier original de la procédure dans les différentes juridictions ou la difficulté de photocopier les vingt classeurs - pour justifier son inaction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_545/2015 du 10 février 2016 consid. 4.1).

10.         Le recours s'avère ainsi infondé et doit être rejeté.

11.         Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

12.         La procédure n'étant pas terminée, il n'y a pas lieu d'indemniser, à ce stade, le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

P/21690/2014

ÉTAT DE FRAIS

 

ACPR/     

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

795.00

-

CHF

     

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

900.00