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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1478/2022

ACPR/754/2022 du 03.11.2022 sur ONMMP/1889/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : INDIVISIBILITÉ;PLAINTE PÉNALE;DÉLAI
Normes : CP.32; CPP.310.al1.leta

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1478/2022 ACPR/754/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 3 novembre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[VD], comparant par Me Anaïs BRODARD, avocate, BRODARD AVOCATS SA, rue du Lion-d'Or 1, 1003 Lausanne,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 7 juin 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 17 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 7 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et à ce qu'il soit entré en matière sur la procédure P/1478/2022.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 19 janvier 2022, A______ a déposé une plainte pénale contre B______ et C______, pour calomnie (art. 173 CP), subsidiairement diffamation (art. 174 CP).

En substance, il a expliqué que, dans le cadre d'une procédure de divorce l'opposant à D______, cette dernière avait, à l'appui de sa réponse du 1er décembre 2021, produit des attestations écrites de B______, son employée de maison, et de C______, conjoint de la précitée, travaillant également pour son épouse. Lesdites attestations contenaient des affirmations diffamatoires, voire calomnieuses, à son égard.

b. Le 24 janvier 2022, le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur les faits reprochés à B______, au motif que l'intéressée était décédée le ______ 2021, circonstance qui éteignait l'action pénale.

c. Auditionné par la police le 10 mars 2022, C______ a déclaré avoir rédigé l'attestation du 18 octobre 2021 de sa propre initiative, dans le but de soutenir D______, qui vivait mal la procédure de divorce. B______ lui avait indiqué s'être vu proposer de l'argent et un poste de baby-sitter, par A______, pour attester que son employeuse était "folle". Lui-même n'avait commencé à travailler pour D______ qu'après le départ de A______ du domicile, de sorte qu'il ne le connaissait pas.

d. Le 18 mai 2022, le Ministère public a constaté que la plainte pénale du 19 janvier 2022 avait été expressément déposée contre B______ et C______ sans viser D______, qui avait pourtant déposé les attestations des précités au Tribunal d'arrondissement de E______[VD]. Ce procédé paraissait, prima facie, contraire au principe de l'unité de la plainte pénale, un délai au 1er juin 2022 étant imparti à A______ pour se déterminer sur cette question.

e. Par courrier du 1er juin 2022, A______ a déclaré que sa plainte pouvait et devait être considérée comme visant toutes les personnes ayant participé aux infractions dénoncées.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que A______ a choisi, dans sa plainte, d'épargner D______ malgré le rôle majeur joué par celle-ci dans la commission de l'infraction éventuelle, qui a consisté à porter les documents à la connaissance de l'autorité judiciaire vaudoise. Faute de se conformer au principe d'unité, la plainte n'était pas valable. L'indication donnée le 1er juin 2022 par A______ que sa plainte devait être considérée comme visant toutes les personnes ayant participé à la commission des infractions était tardive car postérieure à l'échéance du délai de plainte.

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir que le Ministère public a constaté de manière erronée qu'il aurait souhaité épargner son épouse, ce qui n'était pas le cas. Sa déclaration d'extension de sa plainte à toute personne ayant participé à l'infraction n'était pas tardive, le Ministère public lui ayant imparti un délai – qu'il a respecté – à cette fin. Par ailleurs, il soutient que le principe de l'unité de la plainte pénale impliquait que le délai de plainte était sauvegardé à l'égard de tous les participants à partir du moment où elle avait été déposée dans les délais contre l'un d'eux au moins.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, avec suite de frais. La plainte pénale de A______, qui était assisté d'une avocate lors de son dépôt, était rédigée de manière réfléchie et professionnelle. Or, les formules usuelles "et contre tout participant à l'infraction" ou "et contre inconnu" n'avaient pas été mentionnées, ce qui ne pouvait pas résulter du hasard. L'intéressé avait donc cherché à épargner son épouse afin d'éviter une escalade du conflit familial.

c. A______ réplique ignorer si son épouse est impliquée, cas échéant dans quelle mesure, dans la commission de l'infraction, de sorte que le dépôt d'une plainte contre celle-ci aurait pu être qualifiée de calomnieuse. Il soutient, en outre, que le fait de lui impartir un délai en vue de clarifier s'il étendait sa plainte pénale à son épouse, puis de déclarer tardive la déclaration en ce sens, intervenue dans le délai imparti, avait un caractère contradictoire.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur sa plainte.

2.1.  Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore (arrêt 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 consid. 2.1). Pour les infractions poursuivies sur plainte, l'existence d'une plainte valable constitue une condition à la poursuite pénale (ATF 128 IV 81 consid. 2, p. 83; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP – Petit Commentaire, 2ème éd. Bâle 2016, n. 1a ad art. 310).

2.2.1. Si une infraction n'est punie que sur plainte, toute personne lésée peut porter plainte contre l'auteur (art. 30 al. 1 CP), ce droit se périmant dans un délai de trois mois à compter du jour où l'ayant droit a connu l'auteur de l'infraction (art. 31 CP). À teneur de l'art. 32 CP, si un ayant droit a porté plainte contre un des participants à l'infraction, tous les participants doivent être poursuivis.

Le but de l'art. 32 CP, applicable uniquement dans les cas où une plainte est nécessaire à l'ouverture de l'action pénale (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand du Code pénal I, 2ème éd. Bâle 2021, n. 2a ad art. 32), est d'empêcher que le lésé puisse choisir arbitrairement de faire punir un participant à l'infraction à l'exclusion d'un autre (ATF 143 IV 104 consid. 5.1 p. 112; 132 IV 97 consid. 3.3.1 p. 99). Lorsqu'il est patent que le plaignant entend épargner les participants à une infraction qui ne sont pas désignés dans la plainte pénale, celle-ci doit être déclarée non valable (ATF 121 IV 150 consid. 3a/aa; arrêt du Tribunal fédéral 6B_106/2015 du 10 juillet 2015 consid. 2.3).

2.2.2. La plainte pénale est déposée à raison d'un état de fait délictueux déterminé, l'autorité pénale étant, après l'ouverture de l'action pénale, saisie in rem et non in personam. La plainte déposée valablement contre inconnu ou contre l'un (ou certains) des participants vaut donc aussi, en vertu du principe d'indivisibilité de la plainte, contre tous ceux qui ont pris part à l'infraction (ATF 128 IV 81 consid. 2 p. 83; 110 IV 87 consid. 1c p. 90; 80 IV 209 consid. 2 p. 212; L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op. cit., n. 5a ad art. 31).

2.2.3. Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. De ce principe général découle notamment le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'État, consacré à l'art. 9 in fine Cst. (ATF 138 I 49 consid. 8.3.1 p. 53). Le principe de la bonne foi est également concrétisé à l'art. 3 al. 2 let. a CPP et concerne, en procédure pénale, également les autorités pénales (ATF 144 IV 189 consid. 5.1; 143 IV 117 consid. 3.2).

Selon ce principe constitutionnel, toute autorité doit s'abstenir de procédés déloyaux et de comportements contradictoires, notamment lorsqu'elle agit à l'égard des mêmes justiciables, dans la même affaire ou à l'occasion d'affaires identiques (ATF 111 V 81 consid. 6; arrêts du Tribunal fédéral 1B_640/2012 du 13 novembre 2012 consid. 3.1 et les arrêts cités; 6B_481/2009 du 7 septembre 2009 consid. 2.2; ACPR/336/2012 du 20 août 2012). À certaines conditions, le citoyen peut ainsi exiger de l'autorité qu'elle se conforme aux promesses ou assurances précises qu'elle lui a faites et ne trompe pas la confiance qu'il a légitimement placée dans ces dernières (ATF 128 II 112 consid. 10b/aa; 118 Ib 580 consid. 5a). De la même façon, le droit à la protection de la bonne foi peut aussi être invoqué en présence, simplement, d'un comportement de l'administration susceptible d'éveiller chez l'administré une attente ou une espérance légitime (ATF 129 II 361 consid. 7.1; 126 II 377 consid. 3a et les références citées; ACPR/125/2014 du 6 mars 2014).

2.3. En l'espèce, dans sa déclaration de plainte pénale du 19 janvier 2022, le recourant vise les auteurs de déclarations au contenu, selon lui, diffamatoire, voire calomnieux, soit deux infractions poursuivies uniquement sur plainte.

À teneur de la plainte, le recourant n'a pas tu l'agissement de son épouse ayant consisté à déposer, devant l'autorité judiciaire chargée de leur divorce, les attestations litigieuses. Par ailleurs, les éventuels éléments susceptibles de constituer des faits attentatoires à l'honneur du recourant dans lesdites attestations ont trait à des événements qui se seraient déroulés hors la présence de l'épouse de celui-ci, en particulier l'épisode lors duquel le recourant aurait proposé à la compagne du mis en cause de l'argent et de l'aide pour obtenir un travail en échange d'une attestation diffamatoire. Le recourant paraissait donc légitimé, à tout le moins dans un premier temps, à considérer que la plainte pénale devait viser les auteurs des attestations litigieuses, sans que cela emporte renonciation à agir contre son épouse, si sa participation à l'infraction venait à être établie, étant rappelé que la volonté du plaignant d'épargner toute poursuite pénale à un participant à l'infraction doit ressortir de manière patente de la plainte. En l'occurrence, une telle volonté ne ressortirait pas explicitement de la lecture de la plainte pénale. Or, par son courrier du 1er juin 2022, le recourant a levé le doute qui subsistait quant à son intention réelle.

En définitive, la plainte pénale du 19 janvier 2022 doit être interprétée comme visant toute personne ayant participé à l'éventuelle infraction dénoncée, sans exclusion de l'épouse du recourant.

3. Fondé, le recours doit être admis. Partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour nouvelle décision.

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par le recourant lui seront restituées.

5. Le recourant, partie plaignante, assisté d'une avocate, n'ayant ni chiffré ni a fortiori justifié l'indemnité requise pour ses frais de procédure, cette question ne sera pas examinée (art. 433 al. 2 CPP).

 

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer au recourant les sûretés versées, en CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).